Recension

Recension


Rebekah Sheats, Pierre Viret, L’Ange de la Réformation, Lausanne, Association Pierre Viret, 2017.


Rebekah Sheats a écrit une biographie, traduite de l’anglais, sur Pierre Viret, le réformateur suisse éclipsé par la stature et l’influence de Jean Calvin. Comme son collègue et ami genevois, la vie de Viret (1511-1571) est capitale dans l’histoire de la Réforme protestante en francophonie. Un ministère qui a commencé après sa conversion du catholicisme dans son lieu de naissance à Orbe et a continué à Lausanne, d’où il a été expulsé par les magistrats de Berne à cause d’un différend sur la discipline à pratiquer dans le repas du Seigneur. Il rejoignit Calvin à Genève, mais en raison des séquelles d’une tentative d’empoisonnement par des adversaires catholiques bien des années auparavant, Viret fut obligé de chercher un climat plus tempéré dans le sud de la France, où son influence sur les Eglises réformées en pleine expansion marqua leur développement à Lyon, Nîmes et Montpellier. Il a présidé plusieurs des premiers synodes de cette Eglise dans le sud de la France.

Viret était réputé et apprécié, même par ses ennemis, pour ses attitudes iréniques envers ses adversaires et ses encouragements aux croyants souffrant de la persécution. D’où son surnom, « l’Ange de la Réforme ». Il se distingue par sa nature paisible, sa générosité d’esprit et son plaidoyer pour une tolérance limitée à un moment caractérisé par la violence religieuse.

Il fut aussi célébré, comme Chrysostome, pour ses dons oratoires et redouté par ses ennemis, qui cherchaient à le faire taire, ce qu’ils obtinrent finalement par décret royal en 1565, le forçant à fuir vers les bastions protestants d’Orange et du Béarn, dans les Pyrénées. Son courage pastoral a marqué ses actions lors d’épisodes tels que l’épidémie de la peste à Lyon en 1564, quand 60 000 personnes périrent (y compris sa fille), ou lors du siège de la ville, qui fut finalement restituée à l’autorité catholique. Tout au long de ces épreuves, la foi de Viret fut inébranlable ; plus nous connaissons son caractère et son travail, plus nous apprécions qu’il soit dans la même ligue que Luther et Calvin comme l’un des architectes de la Réforme continentale.

L’œuvre de Viret, écrite en français, était volumineuse et comparable à celle de Calvin. Il a écrit près de cinquante livres d’une moyenne de 500 pages chacun. Dès le début, il a choisi d’écrire en langue vernaculaire plutôt qu’en latin et il a visé l’accessibilité, utilisant souvent des dialogues pour mettre en évidence des problèmes théologiques. Le livre de Sheats fait connaître Viret à un public francophone, largement ignorant de son travail à cause de l’indisponibilité de ses écrits, et comble ainsi un vide. En fait, à part le livre de Michael Bruening, Conflit et Réforme dans le Pays de Vaud (2005), il y a relativement peu d’œuvres récentes disponibles à ce sujet.

De nombreuses citations ainsi que les titres des œuvres de Viret sont présentés, rendant sa pensée accessible pour la première fois depuis le xvie siècle, lorsque des volumes tels que son Instruction chrétienne ont été publiés (1564). La bibliographie, divisée en plusieurs sections, est détaillée. On constate que son travail, jadis publié avec la même cadence que les œuvres de Luther et de Calvin, est malheureusement tombé en oubli depuis le xviie siècle.

Rien n’a été épargné dans la présentation de cette biographie. Elle possède de nombreuses cartes, des plaques historiques et des vues géographiques qui donnent vie aux visages et aux lieux du ministère de Viret. C’est une sorte d’encyclopédie de l’information sur le temps et donne des informations sur la propagation de la Réforme en France. Il présente un calendrier utile des événements de la vie de Viret, une bibliographie substantielle de sources secondaires et un index, ainsi qu’un poème de Théodore de Bèze sur Viret, dont voici un extrait :

Je connais que mon Christ a soin de son Eglise,
Quand en ce feu mi-mort si grand’flamme il attise,
De tant d’hommes les cœurs échauffant, éclairant.

Un chapitre sur la théologie de Viret aurait été un ajout bienvenu pour évaluer sa contribution, mais peut-être que Sheats pense qu’il suffisait que le lecteur consulte le livre de Jean-Marc Berthoud, Pierre Viret. Un géant oublié de la Réforme, publié en 2011. Cependant, tant de questions sont soulevées par la pensée de Viret que cela ne peut guère justifier l’absence d’un chapitre critique sur l’influence théologique et l’originalité du réformateur. Certains sujets abordés par Viret sont proches des problèmes théologiques actuels qui nous préoccupent. Par exemple, l’interprétation de Viret de la relation entre la Loi et l’Evangile est-elle un précurseur de la théonomie, comme certains le supposent ? Son évaluation de l’état du monde (« Le monde à l’empire » est un jeu de mots sur empire et empirer) a certainement de l’importance dans le crépuscule de l’Occident, comme ses nombreux écrits sur le catholicisme, et sa pensée sur la relation entre l’Eglise et l’Etat. Que diraient de son travail L’établissement des temps fixes pour les prières des chrétiens (1564) ceux qui pensent qu’une lecture rapide du texte biblique de la journée sur le smartphone est le summum de la discipline spirituelle ?

Une autre faiblesse du travail de Sheats est l’absence d’une évaluation de la pensée de Viret ou de ses actions. Sheats prend l’histoire dans un sens d’hagiographie plutôt que dans celui de l’histoire critique. A peine une question critique est soulevée et nous nous demandons : notre Viret était-il angélique à ce point ? Par exemple, Viret était connu comme un pacificateur, mais y avait-il des situations où son caractère irénique le conduisait à des compromis ou à des difficultés ? Calvin pensait que Viret possédait « une trop grande propension à espérer le meilleur ». Pourquoi Calvin a-t-il dit une chose pareille ? Notre théologie du péché ne nous dit-elle pas que, malheureusement, le pire est invariablement vrai ? De telles réflexions soulèvent la question de savoir pourquoi un certain type de littérature évangélique succombe trop facilement à la tentation d’une eschatologie réalisée dans la béatification de ses héros. Bien sûr, il est plus facile de décrire les verrues de Luther ou de Calvin, mais le Viret de Rebekah Sheats n’a pas de verrues du tout.

Parfois aussi, lorsque Sheats décrit les situations historiques, elle va directement à la cause première plutôt que d’élucider la situation humaine. Par exemple, lors du siège de Lyon, Viret a plaidé pour que les citoyens ne soient pas expulsés de la ville pour éviter la famine. Nous lisons : « Dieu, dans sa providence, n’a pas permis aux foules de mourir de faim, mais a plutôt envoyé un secours quand on n’en attendait pas […] Le Seigneur a envoyé deux mille chargements de blé dans la ville assiégée. » Nous serions intéressés de savoir exactement comment le Seigneur l’a fait. Aussi, à propos du séjour de Viret dans le Béarn, nous lisons que le chemin qui avait été fermé était maintenant ouvert par le Seigneur, et le réformateur, forcé de son refuge à Orange, a répondu à l’invitation de la reine huguenote. Aucune explication n’est donnée sur la raison qui a forcé Viret à quitter Orange ou comment le chemin lui a été ouvert. En ce qui concerne la mort de Viret, nous lisons que, maintenant, à 60 ans… il a mis sa maison en ordre et alors le Réformateur bien-aimé est passé tranquillement dans la gloire. Mais comment et de quoi Viret est-il mort ? Y avait-il, ou non, un relevé de ses dernières paroles, comme c’était souvent le cas à l’époque ? On ne nous dit pas.

Enfin, il ne s’agit pas d’un traité académique, mais d’un récit dynamique qui met en évidence, peut-être parfois un peu trop, la manière dont la providence de Dieu agit à travers les circonstances historiques pour le bien de ses serviteurs et de son peuple. En tant que tel, le livre de Sheats est édifiant et adapté au sujet. C’est un plus pour ceux qui connaissent peu ou rien de cette page mouvementée de la contribution de Viret à l’histoire de la Réforme.

Paul Wells


Nicolas Farelly, Lire l’Evangile selon Jean. En route pour la mission, Excelsis, Charols, 2017.


Nicolas Farelly est professeur associé de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Il est également pasteur de la Fédération des Eglises évangéliques baptistes de France (FEEBF).

Cet ouvrage a pour but de nous guider dans une discussion, une réflexion individuelle ou collective. Pour ce faire, l’auteur nous présente à la fin de chaque chapitre deux ou trois questions de réflexion ainsi que des lectures dans l’évangile.

Nicolas Farelly nous propose une brève introduction générale (auteur, structure, survol général…) où il indique que la mission est l’objectif de la rédaction de Jean. Jésus est lui-même considéré comme missionnaire, car il est « l’envoyé » du Père. En plus de faire la biographie de Jésus, Jean nous présente de nombreux autres missionnaires qui précèdent Jésus ou poursuivent sa mission. Il nous décrit quatre facettes de Jésus, que Farelly se propose de définir dans son livre : l’homme, le Messie, le Fils de Dieu et le Logos. Jean soulève la question suivante : « Jésus va-t-il parvenir à accomplir la mission que le Père lui a confiée ? » C’est autour de cette question que se construit le quatrième évangile. Il nous faut aussi étudier l’évangile en ayant en tête les intentions de l’auteur : veut-il édifier les croyants, sa communauté, ou bien vise-t-il la conversion d’un grand nombre ? Il faut néanmoins prendre en compte le contexte d’écriture qui influence toujours le travail de l’auteur et ses choix éditoriaux.

Farelly relève l’importance du cadre juridique, notamment avec le vocabulaire employé, ainsi que la tension entre la vie charnelle/ténèbres et la vie par l’Esprit/lumière. Jésus se positionne comme étant à la fois le témoin et le juge dans ce procès d’alliance qui oppose Dieu à son peuple. La mort de Jésus à la croix représente sa victoire ; il est ainsi le témoin parfait de Dieu. Mais pourquoi ce procès ? Jean veut nous montrer que, bien que l’homme se soit détourné de Dieu, il a profondément besoin de lui. Ainsi, l’auteur nous présente les représentants de Dieu (Jésus et ses disciples) et ceux du monde (les « Juifs », le « monde »). Il apparaît alors nécessaire de faire la distinction entre ceux qui ont cru et les incrédules. C’est pourquoi les disciples apparaissent très tôt dans le récit. Ils reconnaissent immédiatement Jésus comme « le Messie », « le Fils de Dieu », « le Roi d’Israël ». Rapidement les disciples rendent témoignage de la divinité du Christ, mais ce témoignage commence même avant le ministère de Jésus. En effet, le premier à être appelé témoin est Jean-Baptiste. C’est par le témoignage des disciples que le procès avec le monde se poursuit. Le récit se déroule alors comme un procès : la recherche de la vérité, les témoignages, le jugement, le verdict.

Avant d’être des témoins, les disciples doivent suivre l’enseignement, mais souvent ils apparaissent comme étant de « mauvais élèves ». Ce manque de compréhension chez ceux qui suivent Jésus permet d’annoncer plus clairement la mission du Fils : il est venu pour la moisson et ce sont ses disciples malgré leur faiblesse qui prendront sa suite quand « l’heure » sera passée. Farelly note un schéma intéressant qui se répète dans l’évangile : enseignement, explication, encouragement à faire de même pour les disciples mais aussi pour nous lecteurs.

La préparation à la mission s’intensifie dans les chapitres 13 à 17 en vue du témoignage à rendre au Christ. Mais de nombreuses complications font leur apparition au fil du récit : les disciples ne comprennent pas, les autorités religieuses complotent contre lui… Les disciples ne comprennent qu’à la fin, au moment de la résurrection et du don du Paraclet. L’envoi des disciples marque l’apogée de la relation entre eux et Jésus.

Dans la suite de son ouvrage, Farelly nous présente le rôle du Paraclet. Ce dernier sera un guide et un soutien pour les disciples quand ils devront rendre témoignage à la vérité. Il est l’Esprit de vérité, le consolateur et le défenseur, l’avocat. Son rôle est essentiellement fondé sur la relation particulière qu’il entretient avec le Christ. Il témoigne de lui, il enseigne son message par les Ecritures et il traduit les paroles du Christ pour « un témoignage véritable ». Le Paraclet est l’agent du jugement, c’est-à-dire que c’est lui qui établit la culpabilité en révélant la vraie signification de la croix. Il est plus qu’une promesse, il est le don particulier du Christ pour chacun des croyants.

A travers le Paraclet se fait sentir l’appel au témoignage que Jésus nous adresse. Comme Jésus est envoyé par le Père, il envoie ses disciples (et nous aussi) à sa suite pour qu’ils annoncent la Bonne Nouvelle au monde en se plaçant toujours dans le cadre du procès cosmique qui se poursuit. Jean nous invite ainsi à nous identifier aux disciples afin que nous aussi nous soyons envoyés et puissions témoigner de l’œuvre de Dieu. Pour cela, nous avons besoin de « mieux croire ». Par la description simple des disciples, notamment de leur foi, de leurs défauts, l’évangéliste rend notre identification avec eux plus facile.

Le témoignage communautaire ne doit pas rester confiné à l’intérieur de la communauté mais s’ouvrir sur le monde. Cela reflète la relation qui existe au sein de la Trinité et entre Dieu et le monde. N’oublions pas que nous sommes choisis et que c’est ici la mission que Dieu nous confie : être témoins de la vérité et de la lumière.

Ce petit ouvrage accessible à tous est une invitation à méditer l’évangile de Jean sans oublier son but : la mission et le témoignage. Pour ceux qui souhaitent aller encore plus loin dans leur réflexion, une bibliographie riche et complète est mise à leur disposition.

Virginie Maurer

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