La colère de Dieu : aperçus bibliques

La colère de Dieu :
aperçus bibliques1


Emile NICOLE
Professeur d’Ancien Testament
Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine


Remarques liminaires

Il est question de la colère de Dieu aussi bien dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien. Pas autant, probablement. En disant aussi bien, on veut dire que cette façon de parler de Dieu n’est pas limitée à l’Ancien Testament. Le Nouveau l’utilise de manière naturelle et courante, comme, par exemple, Paul au début de l’exposé de sa doctrine dans l’épître aux Romains : « La colère de Dieu se révèle du ciel contre l’impiété et l’injustice des hommes… » (Rm 1.18)

L’utilisation de ce concept ne semble poser aucun problème aux auteurs de la Bible. Jamais on ne les voit embarrassés d’utiliser une telle expression. La seule chose qui perturbe et effraie les auteurs de l’Ancien Testament, dans les Psaumes notamment, c’est de se trouver eux-mêmes sous le coup de la colère de Dieu : « Seigneur, ne me punis pas dans ta colère, ne me châtie pas dans ta fureur ! » (Ps 6.1 ; 38.1) Mais dire que Dieu est en colère, cela ne les gêne pas le moins du monde. Jamais ils n’éprouvent le besoin d’atténuer, de nuancer, d’expliquer : « C’est une façon de parler, cela ne veut pas dire que… » Non, Dieu est en colère, un point c’est tout. Quand une expression, qui ne pose aucun problème aux auteurs bibliques, nous pose un problème à nous, ne faudrait-il pas d’abord nous interroger nous-mêmes : quel est notre problème avec la colère de Dieu ? On ne se propose pas ici de répondre directement à la question, mais d’orienter la réflexion en relevant quels attributs de Dieu sa colère nous révèle.

La colère de Dieu comme expression de sa justice

La colère de Dieu est étroitement associée à sa justice dans la saisissante affirmation du Psaume 7 : « Dieu est un juste juge, un Dieu qui tout le jour s’irrite. » (Verset 12) De manière significative, la Bible en français courant biaise ; elle oppose les deux et atténue la colère en sévérité : « Dieu est un juste juge, mais il reste chaque jour un Dieu sévère ! » Mais non ! Le psaume n’oppose pas la justice et la colère de Dieu, il les juge indissociables. Le juste juge ne peut qu’être fâché par le spectacle de l’injustice, de l’oppression. C’est la colère de Dieu que les psalmistes appellent lorsqu’ils réclament justice. Juste après le Psaume 6, où il implore Dieu de ne pas le punir avec colère, le croyant, dans le Psaume 7, en appelle à la colère de Dieu contre celle de ses adversaires : « Lève-toi, Seigneur ! dans ta colère, lève-toi contre la fureur de mes adversaires, réveille-toi pour me secourir, ordonne un jugement ! » (7.7) Colère et justice se retrouvent étroitement liées, comme au verset 12.

Cette relation entre colère et justice, on la retrouve dans le Nouveau Testament. C’est contre l’impiété et l’injustice que se révèle la colère de Dieu (Rm 1.18). C’est contre les adversaires de l’Evangile, qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes, qui ne plaisent pas à Dieu, qui sont hostiles à tous les humains, qui empêchent de parler aux païens pour qu’ils soient sauvés, que Paul déclare : « La colère a fini par les atteindre. » (1Th 2.15-17)

Certes les auteurs bibliques ne choisissent pas systématiquement de relier les sanctions divines à sa colère. Pour le déluge, le récit évoque la déception de Dieu, son chagrin (Gn 6.6) devant la violence humaine. Avant l’embrasement de Sodome, le récit insiste sur l’impartiale circonspection de la justice divine, Dieu ne sévit pas sans enquête préalable (Gn 18.21). Il donne même à l’« avocat » Abraham l’occasion de plaider pour la ville coupable. La justice de Dieu, heureusement, ne se résume pas à sa colère, elle a bien d’autres facettes, mais la colère est bien une expression authentique de cette justice.

La colère de Dieu comme expression de sa sainteté

Justice et sainteté se recouvrent en partie, mais pas totalement. Un exemple fera ressortir la distinction : la mort d’Uzza lors du transport du coffre de l’alliance (2S 6.1-11). On place le coffre sacré sur un char pour l’amener à Jérusalem. Les deux fils de la maison où avait été entreposé le coffre sont chargés de conduire les bœufs qui tirent le char. À un moment, les bœufs font pencher le char. Le précieux chargement risque de tomber. Uzza tend la main pour retenir le coffre. « La colère du Seigneur » s’enflamme contre lui, il le frappe sur place (verset 7). Uzza n’a commis aucune faute morale. Assurément, il voulait bien faire. La colère ne peut guère être considérée ici comme une manifestation de la justice de Dieu. David, d’ailleurs, trouve que ce n’est pas juste, il est lui-même en colère parce que Dieu a frappé Uzza (verset 8). Le lecteur se trouve ainsi confronté à une manifestation de la sainteté de Dieu difficile à accepter. On la prend de plein fouet, on se sent comme David dont la réaction spontanée est la colère. Colère de l’homme contre colère de Dieu ?

La mort d’Ananias et Saphira offre dans le Nouveau Testament un exemple similaire (Ac 5.1-11). Certes, il y a bien faute morale : Ananias et sa femme ont voulu se faire passer pour plus généreux qu’ils n’étaient. Mais la sanction paraît très disproportionnée par rapport à la faute. Si tous ceux qui tentent une fois ou l’autre de se faire passer pour meilleurs qu’ils sont étaient ainsi frappés, il n’y aurait plus grand monde dans nos Eglises ! L’écart entre la faute et la sanction fait prendre conscience de la sainteté de Dieu, sainteté du Saint-Esprit : « Comment avez-vous pu vous accorder pour provoquer l’Esprit du Seigneur ? » (Verset 9)

Dans les deux cas, la réaction finale des témoins est la crainte (2S 6.9 ; Ac 5.11). Dieu marque ainsi sa distance par rapport à des humains qui pensaient, sans y penser, l’avoir intégré à leur monde familier.

La colère de Dieu comme expression de son amour

L’emploi par les prophètes de l’image conjugale pour dépeindre les relations entre Dieu et son peuple fait apparaître la colère de Dieu contre son peuple comme la colère d’un amour bafoué.

Comme expression de son amour, la colère de Dieu peut être perçue comme inexorable : si c’est celui qui aime qui est en colère, si la colère est l’expression ultime de l’amour trahi, il n’y a plus rien à espérer. Cependant si celui qui est en colère aime encore l’objet de sa colère, n’y a-t-il pas un espoir que la colère ne soit pas son dernier mot ? Le message des prophètes est traversé par cette tension : une colère d’amour qui se terminera par le pardon, la réconciliation, ou une colère d’amour qui ne peut être assouvie que par le châtiment. La tension est gérée ainsi : il n’y aura pas d’accommodement facile, le châtiment aura bien lieu, mais, après le châtiment, Dieu, à cause de sa fidélité, à cause de son amour, offre une espérance.

Dans le Nouveau Testament, la tension persiste, mais elle paraît bien gérée dans l’ordre inverse. Le message de la nouvelle alliance est celui du pardon, du salut, parce que le châtiment, Dieu l’a pris sur lui dans la personne de son Fils. Dans l’expiation de la croix se trouvent réunies la colère de Dieu contre le péché et son amour pour le pécheur. Mais cela ne vaut que pour celui qui croit : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle, celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » (Jn 3.36) Dans l’Apocalypse, Jean forge cette expression paradoxale : « la colère de l’Agneau » (Ap 6.6). Une colère à laquelle nul ne peut plus échapper.

Ainsi le message biblique nous révèle la colère de Dieu comme expression de sa justice, de sa sainteté et de son amour. La colère n’est pas la justice de Dieu, ni sa sainteté, ni son amour, mais elle est une expression authentique et révélatrice de ces attributs divins. Si nous avons des problèmes avec la colère de Dieu, avons-nous bien compris ce qu’est sa justice, ce qu’est sa sainteté, ce qu’est son amour ?


  1. Notes d’un exposé présenté au Centre évangélique à Lognes (novembre 2014).↩︎

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