Pour une approche pastorale dans le contexte post-traumatique

POUR UNE APPROCHE PASTORALE

DANS LE CONTEXTE POST-TRAUMATIQUE

 

 

Egbert BRINK*

 

Prologue

 

Le cocon du papillon

Un jour, une ouverture apparut dans un cocon. L’homme s’assit et regarda le jeune papillon se battre longuement pour sortir de son abri en forçant le petit trou à s’agrandir. Mais bientôt l’homme eut l’impression que l’insecte ne progressait plus. Ce papillon naissant était allé aussi loin qu’il avait pu et, maintenant, il ne bougeait même plus.  L’homme ayant pitié prit alors une paire de ciseaux et découpa délicatement le cocon afin de faciliter la sortie du papillon, qui émergea sans problème du cocon. Le papillon avait un corps chétif avec des ailes atrophiées et froissées. L’homme se dit: «Patience! Ce n’est pas grave, il va se développer.» Il continua à regarder longuement le papillon, attendant qu’il déploie ses ailes et qu’il vole. Mais cela n’arriva pas. Le papillon passa le reste de sa vie à ramper avec son petit corps, incapable d’utiliser ses ailes rabougries. Ce que l’homme n’avait pas compris dans son élan de bonté, c’est que le cocon trop étroit est une sagesse de la création pour forcer le papillon à le percer et à entraîner ses ailes… Ainsi le suc de la vie se faufile de son corps dans ses ailes. A cette condition seulement, le papillon peut voler. Le processus de la bataille, disons la souffrance endurée, pour sortir du cocon, donne au papillon la force de voler.1

 

«C’est pourquoi nous ne perdons pas courage. Et même lorsque notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car un moment de légère affliction produit pour nous au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire. Aussi nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles; car les choses visibles sont momentanées, et les invisibles sont éternelles.» (2Co 4.16-18)

 

I. Description d’un exemple pratique

 

Une jeune femme (que nous appellerons Marilyne) a demandé une aide pastorale étant dans une situation spéciale de traumatisme. Elle avait déjà suivi un trajet psychanalytique et avait participé à une psychothérapie de groupe. Elle avait aussi fait une thérapie individuelle, suivie de l’art-thérapie, qui avait fait appel à son imagination créatrice. En collaboration avec sa thérapeute, nous avons établi un suivi pastoral. Le matériel que je vais vous présenter: 1°) des résumés des réflexions faites lors de nos entretiens pastoraux; 2°) les objectifs de l’art-thérapie; tout cela, évidemment, avec l’autorisation de l’intéressée.

 

Le trouble dû au stress post-traumatique

 

Il s’agit d’un type de trouble dû à une sévère anxiété qui se manifeste à la suite d’une expérience vécue comme étant traumatisante2. Ce syndrome de stress post-traumatique (SSPT3) est une réaction psychologique consécutive à une situation anxiogène durant laquelle l’intégrité physique (ou psychologique) du patient ou de son entourage a été menacée et/ou effectivement atteinte. Il s’agit, par exemple, de situations où la vie est en jeu: catastrophes (naturelles), mort violente, viol et abus sexuel, agression, maladie grave, situation de guerre, camp de concentration, attentat, et ainsi de suite.

 

La réaction immédiate face à l’événement a été une peur intense, un sentiment d’horreur. Un autre facteur essentiel a été le sentiment d’impuissance éprouvé durant l’expérience traumatisante, l’impossibilité de se défendre contre le danger. Au moment où la victime se remémore la scène, elle peut être submergée par l’angoisse et la tristesse. Une des réactions logiques de la victime est celle de tenter d’oublier, de passer sous silence, de ne pas vouloir se souvenir, de se replier sur soi-même en cachant ses sentiments. Tout ce qui fait penser à la scène, la moindre allusion est évitée (cp. Il y a longtemps que je t’aime, Philip Glaudel). Mais, durant la nuit, les souvenirs enfouis se réveillent sous forme de cauchemars.

 

Dans ce cadre, un autre phénomène est la dissociation mentale4. C’est comme si la personne subissait à nouveau la situation anxiogène, la faisant partiellement sortir de la réalité dans une sorte d’échappée. Voici ce qui distingue la fugue psychotique et la dissociation: dans la fugue psychotique, le psychotique se détache entièrement de la réalité, tandis que, dans la dissociation, une partie de la personne reste connectée à la réalité, bien qu’elle essaie de se détacher d’une situation qu’elle ne peut pas gérer.

II. Approche herméneutique

L’approche herméneutique présuppose, d’une part, une recherche du sens des Ecritures saintes et, d’autre part, une analyse fine de la situation historique actuelle. Elle demande de la bonne volonté pour établir un rapport entre les deux.

 

C’est dans cet état d’esprit que nous avons entrepris une lecture du livre de Job. Par celle-ci, nous voulions mettre en relation l’histoire personnelle de Marilyne avec la réalité de la souffrance présente dans le livre de Job. Nous avons voulu cheminer ensemble, pasteur-accompagnant et accompagnée, posant à Dieu des questions de vie et de foi, étant guidés par sa parole et par l’Ecriture. Nous sommes partis sur un sentier de découverte spirituelle afin de trouver la présence de l’Esprit Saint, même dans la zone de tension.

 

L’approche herméneutique demandait, en premier lieu, une approche des Ecritures. Il fallait suivre l’accompagnée, Marilyne, dans sa lecture et dans ses choix de textes, sans que le pasteur n’opère de présélection. Une attitude de neutralité et d’ouverture était nécessaire dans l’écoute du discours de l’accompagnée, sous l’inspiration vivante des Ecritures. Non pas une approche a priori, mais a posteriori; suivre d’abord, puis diriger et corriger seulement si nécessaire. Un suivi spirituel dans un mouvement de compréhension vers l’interprétation et l’application.

 

L’approche herméneutique a demandé, en second lieu, une observation attentive de la situation actuelle de Marilyne, dont le sens était encore à découvrir. Même si le pasteur  percevait, entrevoyait celui-ci, il était encore trop tôt pour le désigner ou l’interpréter. Les expériences traumatiques peuvent être présentes, mais pas clairement énoncées. Elles doivent se dévoiler au fur et à mesure et prendre place au rythme du discours de l’accompagnée. Cela demande au pasteur une écoute réelle et patiente, une observation de la communication non verbale et la capacité d’instaurer un climat de confiance et d’intimité. Il a dû avoir la patience d’attendre que Marilyne se livre peu à peu et communique ses souffrances.

Complexité

La complexité, dans la situation de Marilyne, a été augmentée par l’enchevêtrement des différents événements traumatiques. Cela a rendu confuse et de plus en plus complexe sa perception de la réalité. Cela a exigé une analyse très fine de la situation, mais surtout une grande prudence pour ne pas tomber dans le piège de l’homme qui prend sa paire de ciseaux…

La comparaison des deux situations – celle de Job et celle de notre accompagnée – s’est avérée palpitante. La première lecture «se brisa» sur Job 16 et s’est arrêtée. Six mois plus tard, une nouvelle tentative a échoué aussi. La piste était semée d’embûches et de pièges (souffrances de Job, expériences anxiogènes, tout ce qui faisait revivre le passé). Nous avons découvert ce terrain, pas à pas, l’Esprit Saint tenant parfaitement compte du rythme de Marilyne. Il a agi avec précision, avec sensibilité et grande prudence. Il vient au secours des créatures par des soupirs inexprimables (Rm 8.26-27).

Il était très important que l’accompagné apprenne petit à petit à désigner ses sensibilités, même si cette progression infime. Il doit oser dire ce qui s’est passé. Dans notre cas, Marilyne a utilisé d’abord un langage codé pour ne pas trop s’approcher des expériences vécues. Tout cela était indispensable pour ne pas porter atteinte au processus de réparation et de cicatrisation de blessures graves. Ce processus a été très difficile, souvent pénible, et a exigé énormément d’énergie (images access denied et struggling to get through).

 

III. La piste pastorale en pratique

 

A) Identification et rencontre: deux horizons

 

1. Faire face à sa souffrance

«Quelle est ma force pour que j’attende? Et quelle sera ma fin pour que je prolonge ma vie? Ma force est-elle une force de pierre? Ma chair est-elle de bronze?» (Jb 6.11-12)

«Je n’ai ni calme, ni tranquillité, ni repos. Et c’est l’agitation qui survient.» (Jb 3.26) To vigilant to feel safe…

 

Dans sa recherche d’identification, Marilyne a osé peu à peu se reconnaître dans cette réalité accablante. Elle a eu de moins en moins le réflexe de nier la réalité et de fuir. Auparavant, elle a fui dans une expérience religieuse dans laquelle le malheur n’avait aucun espace. Le malheur s’exprimait douloureusement dans l’automutilation5, mais était forcément exclu du domaine religieux. Maintenant, prudemment, elle a osé établir quelques liens avec Job.

 

La tâche pastorale a consisté à l’encourager et à la stimuler dans sa marche dans cette direction, pour qu’elle admette cette réalité et à donner le courage de s’identifier, d’une certaine manière, à Job. Autrement dit, il fallait rapprocher leurs horizons différents et  qu’une rencontre réelle ait lieu. Job a été une personne unique, mais la réalité de sa souffrance s’exprime dans un langage compréhensible par tous. Son langage a aidé Marilyne à s’exprimer.

 

Marilyne a dû se battre avec une sorte de dualité. Pour elle, il y avait deux mondes, plus ou moins séparés, puisqu’elle n’arrivait pas à intégrer ses douleurs dans son existence devant Dieu. La façon de s’exprimer de Job, avec un langage audacieux, a été le début de la démolition lente du mur de séparation qui existait entre ces deux mondes (image walls of restraint) jusqu’au remplacement de cette cloison par une frontière perméable.


2. Expérimenter Dieu comme Adversaire dans ses mystères

«Les terreurs de Dieu se rangent en bataille contre moi.» (Jb 6.4)
«Je sais que tu ne me tiendras pas pour innocent. C’est moi qui serai le coupable!» (Jb 9.28-29)

«Le Tout-Puissant m’a rempli d’épouvante.» (Jb 23.16b)

 

Le pas suivant dans l’identification avec Job en tant que fidèle meurtri est qu’il considère Dieu comme son Adversaire et qu’il ose le faire très ouvertement. Marilyne a appris à discerner que colère et déception en Dieu faisaient parties de plusieurs de ses émotions. Un combat violent a alors commencé entre sentiment et conscience (cette dernière étant extrêmement formée, pour ne pas dire malformée). Elle s’autorisait difficilement à avouer de tels sentiments envers Dieu. «Job, je l’ai lu; j’ai ressenti une sorte de contact. − Avec qui? − Hum, je pense avec Dieu, mais par une voie détournée. Je peux m’identifier à Job. − Dans quoi?»

« Il fait des choses grandes et insondables, des merveilles sans nombre. Voici qu’il passe près de moi, et je ne le vois pas, qu’il disparaît, et je ne le comprends pas. Qui ramènera ce qu’il arrache ? Qui lui dira: Que fais-tu?» (Jb 9.10-12)

«Si j’appelais et qu’il me réponde, je ne croirais pas qu’il ait prêté l’oreille à ma voix, lui qui m’assaille comme par une tempête, qui multiplie sans raison mes blessures.» (Jb 9.16-17)

 

«D’accord. C’est cela que je ressens. Dieu l’a-t-il fait, m’a-t-il blessé? Mon cœur dit ‹oui›, mais ma tête ne permet pas cette réponse. Qui prend la parole? Je le sais (je réalise tout à coup): le ‹sage›, c’est moi. Encore une fois: Dieu, m’a-t-il blessée? Oui. D’accord, c’est ce que Job ressent, et je m’identifie à lui. Le pas suivant, par conséquent: quelles sont mes émotions? (…) Effrayant certes, mais le pas doit être fait. Si je le dis, je m’exprime, et cela sort de mon intérieur. J’y arrive, je m’entends dire: je suis déçue par Dieu et en colère contre lui; je pense que le dernier mot ne devait pas faire partie de la phrase, mais je ne suis pas arrivée à le retenir. J’essaie de nuancer malgré tout.»

 

3. Dieu: Partenaire et Adversaire en même temps !

«C’est lui qui fait la blessure et qui la panse; il écrase et ses mains guérissent.» (Jb 5.18)

«Même s’il voulait me tuer, je m’attendrais à lui; oui, devant lui je défendrai ma conduite.» (Jb 13.15)

«Mes amis se raillent de moi; c’est Dieu que j’implore avec larmes, puisse-t-il être l’arbitre entre l’homme et Dieu, entre le fils de l’homme et son ami!» (Jb 16.20-21)

 

Pendant la première lecture, Marilyne s’est heurtée au passage de Job 16.19-21. Ce passage était crucial dans la rencontre des deux horizons. L’expérience de souffrance de Job qui demande l’impossible: il fait appel à Dieu contre Dieu. Dieu est appelé comme témoin-arbitre, puisqu’il a été présent durant chaque événement. Job interpelle fortement Dieu pour qu’il le défende contre Dieu lui-même: paradoxe immense!

 

Ces expressions paradoxales mettent en évidence les liaisons, dans une réalité troublante: Dieu du présent, il est là pour elle, Lui, le grand Témoin de son passé, de tous les événements anxiogènes. Il a permis cela activement, sans pour autant en être la cause directe. Paradoxalement, il est en même temps Partenaire et Adversaire!

 

Dans la première lecture, cette idée a occasionné un choc profond qui a mis Marilyne au bord de la rupture interne (sauter les plombs!). La cause de ce court-circuit provenait de ce que plusieurs traumas étaient touchés en un seul coup. Mais, dans cette crise, le conflit a servi également de contact. De là, une identification nouvelle s’est amorcée, dans la reconnaissance, l’approbation et l’estime de soi. Une rencontre forte qui a mis ses nerfs à rude épreuve. Ce processus particulièrement éprouvant a été crucial dans la reconnaissance de son expérience de souffrance.

 

«C’est comme s’il y avait deux ‹dieux›, le Dieu du ‹passé› et le Dieu du présent? Comme disait Job: c’est Dieu que j’implore avec larmes, puisse-t-il être l’arbitre entre l’homme et Dieu (Jb 16.20-21). D’une part, être attirée, vouloir se diriger vers Dieu, amis, d’autre part, être rejetée, vouloir prendre ses distances, être aussi loin que possible, se mettant à l’opposé de lui. Parce qu’il était présent et qu’il a tout permis… Dieu Témoin (littéralement). Présent, permettant. Difficile!»

 

Ce qui rendait la rencontre difficile avec le texte se trouvait aussi dans les mots: entre le fils de l’homme et son ami! La façon de s’exprimer de Marilyne reste toujours un peu rationnelle. Mais on peut constater la chose suivante dans son processus, bien que sa progression s’exprime en millimètres. Elle arrive, de plus en plus, à verbaliser, ce qui rend sa position pénible devant Dieu.

 

Marilyne s’est bien rendu compte qu’elle était dépendante de Dieu, même dans son processus de thérapie psychique, pastoral, dans ses confrontations. D’une part, elle réalisait que sans Dieu veut dire sans issue; d’autre part, elle combattait Dieu comme Adversaire, dans son rejet, et son propre complexe de culpabilité. Ce paradoxe ne relève pas de la logique. L’art de vivre est de laisser persister cette tension.

 

Le paradoxe décrit est exprimé dans le rapprochement suivant. Deux textes, mis à part, jouent un rôle: Job 3.8a et 9.12b placés à côté de Psaume 143.8a.

 

«Qu’elle (la nuit) soit exécrée par ceux qui maudissent le jour, par ceux qui savent réveiller le Léviathan!» (Jb 3.8)

«Qui lui dira: que fais-tu?» (Jb 9.12)

«Fais-moi entendre dès le matin ta bienveillance! Car je me confie en toi.» (Ps 143.8a)

 

L’expression de ce paradoxe se voit aussi dans un autre rapprochement. On voit deux trônes, deux textes bibliques, et elle au milieu. Cela montre clairement cette dualité. D’un côté Dieu comme Témoin, qui a permis l’événement, de l’autre Dieu comme Partenaire et Aide. Les deux expériences sont présentes. A un moment, l’une l’est plus que l’autre et inversement. Parfois, elle ne ressent plus rien, aucun sentiment. Le vide ou, plutôt, le repos malgré l’agitation.

 

Job 9.17a placé à côté du Psaume 142.8.

 

«Lui qui m’assaille comme par une tempête.» (Jb 9.17a)

«Fais sortir mon âme de la prison, afin que je célèbre ton nom! Les justes viendront m’entourer quand tu m’auras fait du bien.» (Ps 142.8)

B. Reconnaissance et libération
1. Moment prometteur
Peu à peu, nous avons vécu des moments de reconnaissance qui avaient une influence libératrice. Ces moments n’étaient pas planifiés ou programmés. Mais l’histoire du texte connaît une longue tradition et joue un rôle dans les sons connus et familiers: «Mais je sais que mon Rédempteur est vivant (…).» (Jb 19.25) Des lueurs libératrices apparaissaient, de manière fragmentaire, dans la rencontre des horizons de Job et de Marilyne. Pourtant, la navette entre les pôles du paradoxe continuait sans cesse.

 

«Je fais référence au chapitre 19 de Job dans lequel une phrase m’a marquée. Tout au milieu des plaintes et après la parole de Job adressée à ses amis: pourquoi me poursuivez-vous comme Dieu me poursuit, il dit: mais je sais que mon Rédempteur est vivant (Jb 19.25). Cette phrase m’a complètement surprise dans un tel contexte. En même temps, cela reste aussi difficile à lire.»

A son tour, Elihu veut montrer un chemin alternatif, qui s’écarte de celui que les autres amis ont présenté. Elihu, lui aussi, a tendance à défendre Dieu. Mais, de façon différente, il veut montrer à Job la voie du seul Médiateur: «Mais s’il se trouve pour lui un ange intercesseur, un seul entre mille, qui annonce à l’homme son devoir, alors il lui fera grâce (…).» (Jb 33.23)

Ces lueurs l’attirent vers la libération. Quel message prometteur! Mais Marilyne se disait perpétuellement: trop beau pour être vrai. Le pasteur la reprend patiemment et avec prudence en disant: trop beau pour ne pas être vrai!

2. Distinction et aliénation

 

Les derniers chapitres du livre de Job invitent à s’identifier à lui dans sa souffrance et sa libération. Premièrement, Job prend conscience des limites qu’il a dépassées. Dans cette transgression, il est corrigé par le Créateur. Même l’excellent, le fidèle serviteur de Dieu n’arrive pas à trouver l’équilibre dans son expérience de Dieu considéré comme un Adversaire. Après la splendide révélation de Dieu, avec une multitude de questions «impossibles» (Jb 38-39), il doit finalement se taire. Il ne lui reste qu’à mettre la main sur sa bouche (Jb 40.4-5).

 

«Mais, enfin, Elihu. Selon moi (Marilyne), le sens de cette histoire est que Dieu ne commet rien d’injuste. Signifie-t-il ainsi que Job s’est trompé dans tout ce qu’il a dit? Dieu ne dit-il pas, dans la dernière partie du livre, que Job a eu tort? Si je devais comprendre cela, cela serait comme si la porte qui vient de s’entrouvrir (commencer, d’une certaine manière, à exprimer de la colère contre Dieu) devait se refermer.»

 

N’oublions pas non plus que Dieu lui-même prend la défense de Job contre ses amis, qui se sont présentés comme des avocats de Dieu. Dieu se montre Partenaire dans l’arbitrage, puisque Job a parlé avec droiture à son endroit. Marilyne n’arrêtait pas, aussi, de se demander si elle était aussi intègre que Job. Cela fait bien distinguer les deux horizons, mais cela peut aussi être la source d’aliénations ou de courts-circuits.

 

«Job dit quelque part qu’il n’a pas commis de faute et qu’il est dans son droit devant Dieu. Cela me donne le sentiment que… (voici le moi irritant qui ne laisse aucun espace à la petite-moi; finalement je m’exprime tellement). Lui, Job, a le droit pour lui devant Dieu alors que moi (Marilyne), je ne l’ai pas! Mais, selon le pasteur, Job dit qu’il est sans reproches bien que ses amis l’aient forcé à reconnaître que Dieu ne punit pas sans raison…, qu’il doit y avoir, chez lui, quelque chose de fautif qui appelle une punition. D’ailleurs Job admet qu’il n’est pas pur puisqu’il est né dans le péché, dès le ventre de sa mère (Jb 14.4) et Dieu reconnaît que la souffrance de Job est sans cause (Jb 2.3).»

 

«Dieu a dit que, seul, Job a eu un comportement droit et n’a pas rompu l’alliance avec lui. Job a, certes, maudit le jour de sa naissance, mais pas Dieu. Il a cherché son Dieu dans toutes ses démarches plus ou moins compliquées. Alors, je (Marilyne) râle ferme face à cette lecture parce que j’exige de pouvoir tout comprendre, de faire entrer aussi cette attitude dans mon système personnel et d’obtenir LA réponse ultime6. Mais non! Et puis, cela recommence et un autre niveau apparaît. En définitive, il existe deux conclusions: tout d’abord, être en colère contre Dieu est une grâce en soi et, en second lieu, il n’y a qu’une voie, celle de la croix (réconciliation).»

 

Actuellement, nous voyons clairement la distinction entre la souffrance de Job et celle de l’accompagnée. Leurs horizons peuvent diverger. Il faut reconnaître l’unicité des situations et bien distinguer les contextes. Leur lien se trouve en Dieu lui-même! Il est le seul à percevoir toute la réalité, il l’englobe entièrement (Ec 3.11). Dieu fait en sorte que les horizons de Job et de Marilyne restent ouverts, se touchent, mais ne se confondent pas. Cela provient de ce que chaque situation est complexe dans son unicité et dans son interaction avec la souffrance, la tristesse, le deuil, le détachement, la culpabilité, la honte et la confusion.

 

«Puis-je m’identifier à Job? Job savait bien pourquoi il était en colère contre Dieu. Est-ce que moi (Marilyne), je connais le pourquoi de ma colère? Je sens comme des puits s’ouvrir à l’intérieur de moi. J’entends des sonnettes d’alarme. Serais-je capable de le mettre par écrit, au lieu de le dire, me demande le pasteur. Hum… je ne sais pas. Si, j’ose le faire. Nous changeons de cap. Le pasteur dit: chez Job, il s’agissait de perte, il trouvait injustifié de tout perdre (enfants, possessions, santé, épouse en plus). Chez vous, y a-t-il aussi une perte? Douloureux!… Mais je tiens le coup. Je réponds: oui! La question est inévitable. Mais, maintenant, tout en moi proteste contre une réponse tellement complexe à une question si simple. Je ressens toutes mes angoisses s’agiter au fond de mon cœur. Les signaux d’alarme apparaissent rouge sang.»

 

«Fais sortir mon âme de la prison, afin que je célèbre ton nom!» (Ps 142.8)

 

«En contemplant le dessin, le pasteur me pose la question de savoir s’il s’agit surtout d’une reconnaissance ou, plus précisément, s’il s’agit de mon expérience. J’y réfléchis un peu. Cela dépend des moments. Un passage du psaume, du moins en partie, exprime exactement ce que je (Marilyne) ressens et vis. A d’autres moments, le psaume exprime ce que je désirerais ressentir. A d’autres encore, j’aimerais jeter tout ce texte par la fenêtre qui est située près de mon lit.»

 

Il restait un long chemin à parcourir, mais le processus était bien entamé et orienté dans la bonne direction; la marche en avant de Marilyne, guidée par l’Esprit de Dieu, qui inspire toujours par sa parole vivante, était vraiment amorcée. Un pasteur est appelé à se soumettre, à ne pas dominer, à être au service, les yeux ouverts pour observer tout ce que l’Esprit du Christ nous montre. Son style doit être empreint de prudence, de précision et d’ouverture. Il ne force pas, mais laisse le fidèle être lui-même. Il manifeste de l’amour et de la patience dans le traitement et le soin des blessures.

 

IV. Conclusion

 

Le pastorat dans un contexte de stress post-traumatique demande beaucoup de patience, prudence et de réserve (voir l’exemple du cocon du papillon). Avant tout, il est important de comprendre que l’accompagné est propriétaire de sa propre problématique (qu’elle soit complexe ou non, il en est propriétaire). Le pasteur doit s’abstenir de toute forme de curiosité. Le rythme du processus du traitement des blessures doit surtout être déterminé par l’accompagné, le pasteur faisant tout son possible pour le respecter.

 

Dans l’accompagnement pastoral, ils poursuivent ensemble une route, guidés par l’Esprit Saint, par l’intermédiaire de la Parole vivante qui se fait entendre dans ce cadre précis. Le pasteur intervient avec sa propre compétence dans le processus herméneutique, dans l’interprétation des textes, et il essaie, avec prudence, de le faire aboutir dans la situation concrète de l’accompagné, petit à petit, pas à pas. Il prend en compte la contribution professionnelle des psychologues et des psychiatres, mais il reste maître dans son propre domaine.

 

Nous avons évoqué deux horizons, celui de Job et celui de l’accompagné, qui se rencontrent, se croisent et divergent. Finalement, ils gardent leur propre indépendance, ils ne s’entremêlent pas. Certes, les expériences de souffrance sont comparables, mais elles doivent rester distinctes. D’un côté, nous envisageons une ouverture vers l’horizon présenté par les Ecritures et, de l’autre côté, vers l’histoire de vie de la personne, qui doit être respectée en tant que telle.

 

Le livre de Job invite à s’identifier à lui et il aide aussi à exprimer les sentiments qui sont évoqués dans un contexte de trauma, surtout dans la relation avec Dieu. L’expérience de foi dans la souffrance de Job est cruciale, celle de Dieu comme Adversaire et Partenaire, dans ses mystères. Marilyne a rencontré le Dieu de Job dans une expérience similaire. Cette rencontre a pu l’aider dans son processus de guérison des blessures des traumas et dans le soin de ses cicatrices.

 

La Parole de Dieu est vivante et dynamique, elle parle dans chaque contexte, ouvre des perspectives jusque dans la souffrance du fidèle. Elle donne une vision sur Dieu et sur soi-même. Elle nous amène à une connaissance, un approfondissement et un enrichissement dans la rencontre réelle avec le Dieu Tout-Puissant, qui était, qui est et qui va venir.

 

Cette perspective s’inscrit parfaitement dans le panorama de l’œuvre du Christ, lui, le Juste par excellence, qui a souffert. Le Christ nous invite à nous identifier à lui, qui est plus que Job. Il est notre témoin-arbitre, dans le procès de Dieu contre Dieu, entre le fils d’homme et son ami!

 

Avec Job, nous sommes arrivés à reconnaître qu’il s’agit «de merveilles qui me dépassent et que je ne connaissais pas. (…) Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon œil t’a vu.» (Jb 42.3 et 5)

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