DES MÉDITATIONS
SUR LA PERTINENCE DU SABBAT POUR LE CHRÉTIEN
Ronald BERGEY*
J’ai l’impression que le sabbat n’est plus considéré comme un sujet théologique d’actualité. Si cette question ne suscite que peu de débat et ne fait pas couler beaucoup d’encre, c’est sans doute indicatif de la valeur qu’on lui accorde1. Il y a, bien sûr, de bons arguments théologiques avancés. Pour les uns, le sabbat est quelque chose de lointain qui concernait Israël, le peuple de l’ancienne alliance, et la loi de Moïse. Pour les autres, le sabbat, signifiant le repos du salut, s’est déjà réalisé en Christ et s’achèvera pleinement à l’avenir quand Dieu « essuiera toute larme de nos yeux » (Es 25.8; Ap 21.4). On peut affirmer toutes ces choses: le sabbat est mosaïque, christologique et eschatologique. Mais entre le « déjà » ou le « pas encore », quel rapport pour le chrétien maintenant ou quel intérêt pour l’Eglise aujourd’hui?
Y a-t-il une théologie biblique relative au sabbat qui doit nous interpeller en tant qu’étudiants en théologie? Y a-t-il un enseignement biblique sur le sabbat pertinent pour nourrir nos communautés? Y a-t-il encore un message le concernant à faire passer? Pour trouver des éléments de réponse, je propose un petit clin d’œil sur quelques passages clefs de la Bible, lectures organisées autour de trois temps dans l’histoire de la révélation. C’est à partir de ces textes, en menant une réflexion théologique, que je tirerai certaines conclusions relatives à la pertinence du sabbat aujourd’hui.
Le sabbat depuis le début des temps
Genèse 2.1 résume le récit des six jours de la création du verset 1 en disant: « Ainsi furent achevés le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent. » Puis les versets 2 et 3 relatent ce que Dieu a fait par la suite: « […] il s’est reposé au septième jour de toutes les œuvres qu’il avait accomplies. » D’où le sabbat. Or le mot « sabbat » n’apparaît pas ici; il est apparenté au verbe « se reposer » (shabat). Le décalogue en Exode 20.11, en fondant la loi sabbatique sur le repos de Dieu, reprend Genèse 2.2 et 3 et précise que le septième jour est le jour du sabbat (cf. aussi Dt 5.14-15; Lv 23.3). Ce n’est pas, pour autant, la première fois que ce mot est utilisé. La première mention se trouve en Exode 16.23 dans le récit sur le ramassage de la manne au désert. La manne est recueillie pendant six jours mais le ramassage est interdit le jour du sabbat (vv. 22-27). Ce texte anticipe donc la loi sur le sabbat donnée en Exode 20. On peut déjà détecter un certain schéma: le sabbat précède l’octroi de la loi et remonte à la création. On peut aussi dire que l’origine de l’institution du sabbat remonte non pas après mais avant la chute. Quant à la question de l’actualité du sabbat, ces constats sont, je crois, significatifs.
Dans ce tableau de la Genèse, le Créateur est dépeint comme celui qui s’est arrêté ou s’est reposé après six jours de travail. L’idée que Dieu se repose, ou même que Dieu doit se reposer, peut nous confondre. Les commentateurs prétendent souvent que ce verbe se traduit mieux « cesser de travailler », car toute œuvre de création est achevée. Cela se confirme par le fait que Dieu ne se fatigue pas! Bien que ces affirmations soient vraies, Exode 20.11 ne nous laisse pas esquiver la question: le verbe shabat de Genèse 2.2 est remplacé, dans le décalogue, par un verbe qui ne peut être traduit que par « se reposer » (nuah, d’où le nom propre Noé, « repos »). Puis, en Exode 31.17, il est dit que Dieu a cessé son travail de six jours « pour reprendre son souffle » le septième (du verbe npsh, cf. 23.12; 2S 16.14, apparenté au nom nepesh, « vie, être, soi, âme »).
Le triolet de versets au début de Genèse 2 constitue une unité littéraire. Ces trois versets servent de charnière entre les deux tableaux de la création des chapitres 1 et 2. D’un côté, sur le plan du trajet narratif, ces versets sont en aval du récit sur les six jours précédents de l’activité culminant à la création de l’homme (1.26-31). De l’autre, ce jour est en amont du récit suivant. L’homme, dans le tableau qui suit, est fait de poussière. Il aura ses limites, car son être (nepesh) se constitue de souffle (neshamah) et de poussière (2.7). Comme Dieu, il aura à travailler, à s’occuper des champs et des animaux et ce travail l’essoufflera (1.28b-30; cf. 3.17-19). Le repos de Dieu fait le trait d’union entre ces deux tableaux de l’homme, d’une part créé à l’image de Dieu (1.27), de l’autre façonné par les mains du Seigneur Dieu, comme l’argile dans les mains d’un potier (cf. Es 29.16; Jr 18.6).
Même si, dans ces versets de la Genèse, il n’y a pas de commandement relatif à la manière dont l’homme doit observer le sabbat, il n’y a pas de doute: ce passage manifeste un souci pédagogique – l’homme certes créé à l’image de Dieu, mais aussi fait de souffle et de poussière, est invité, voire appelé, à imiter son Créateur. De même que Dieu a travaillé six jours et s’est reposé le septième, l’homme doit, pour son propre bien-être, faire de même. Epuisé par son travail, il a besoin de reprendre son souffle! (Ex 23.12) C’est donc l’exemple du repos de Dieu qui sert de repère, de référence, avant même qu’un ordre ne soit donné à l’homme relatif au sabbat.
Si l’homme, pour imiter Dieu, est appelé à cesser ses activités de tous les jours, il a aussi comme vocation de faire quelque chose en ce jour, car Dieu a réalisé deux projets: il a béni le sabbat et l’a sanctifié (Gn 2.3). Du fait que Dieu a accompli ces choses, on comprend que ce repos n’est pas une cessation de toute activité, mais un arrêt du travail normal des six jours de la semaine pour se consacrer aux autres activités.
En effet, Dieu est toujours actif sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par sa providence, il soutient et maintient continuellement l’univers et tout ce qu’il contient. Jésus évoque ce fait face aux critiques à l’égard de ses guérisons le jour du sabbat: « Mon Père travaille jusqu’à présent et moi aussi, je travaille. » (Jn 5.17) Les guérisons, le travail de Jésus le jour du sabbat, indiquent le véritable sens du sabbat – la restauration de la vie dans la providence divine (Lc 4.31-37, 6.6-11, 13.10-16, 14.1-6; Jn 5.16-18). Ce repos, hors du domaine de la création, est providentiel dans le sens où Dieu prend soin des créatures qu’il a faites. Par ce repos béni et sanctifié, Dieu fait abonder prospérité et renouvellement de la vie.
Le sabbat depuis l’octroi de la loi
Dans la tradition juive, la comparaison des deux commandements relatifs au sabbat – « souviens-toi du sabbat » en Exode et « observe le jour du sabbat » en Deutéronome – a permis l’explication suivante: souviens-toi (de zakar) du sabbat pour qu’il habite ta mémoire tous les jours de la semaine afin de te préparer à l’observer (de shamar) le jour venu.
Il y a une autre différence. Dans le décalogue du livre de l’Exode, la loi rattache le sabbat à la création. Le commandement sur le repos sabbatique pour l’homme renvoie au repos de Dieu du septième jour (20.8-11; cf. 31.13-17): « Car en six jours, l’Eternel a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour; c’est pourquoi l’Eternel a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié. » (V. 11) Le décalogue de Deutéronome 5 rattache la loi sur le sabbat à la rédemption de l’esclavage en Egypte: « Tu te souviendras que tu as été esclave en Egypte et que l’Eternel ton Dieu t’a tiré de là en intervenant avec puissance; c’est pourquoi l’Eternel ton Dieu t’a demandé d’observer le jour du sabbat. » (V. 15) Par le biais du décalogue, deux thèmes gravitent autour du sabbat: la création et la rédemption. Du point de vue eschatologique, ces deux motifs du sabbat vont de pair: la rédemption a comme finalité la restauration de la création (Rm 8.20-21; 2P 3.13; Ap 3.12, 21.1).
Selon Calvin, dans son commentaire sur Genèse 2.3, le Seigneur n’a pas simplement commandé aux hommes de se reposer chaque septième jour. La loi sur le sabbat, qu’il qualifie d’« aiguillon », a été ajoutée à l’exemple de Dieu. Pourquoi? Afin de nous attirer doucement, dit-il, à l’obéissance. Il nous incite avec une plus grande efficacité quand il nous exhorte à le suivre.
Observer le sabbat signifie au moins que l’homme (et l’animal) cesse toute activité normale qui constitue le travail des six jours précédents. Est-il possible, s’interroge la tradition orale, d’avoir fait tout son travail en six jours? Rachi (1040-1105), de Troyes en Champagne, le commentateur rabbinique médiéval par excellence, répond: « Tu devras faire comme si tout ton travail était fait. » Sur le plan physique et psychique, il y a de bonnes raisons pour cette ordonnance. Elle se justifie. Ce repos renouvelle le corps et l’esprit. L’être a besoin de se ressourcer. Le Maître du sabbat n’a-t-il pas dit: « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat »? (Mc 2.27-28)
L’ordre de sanctifier le sabbat va de pair avec l’ordre de l’observer. Si Dieu a créé et racheté son peuple, il l’a fait pour que ce peuple puisse l’adorer et jouir de ses bienfaits. Pour que cette grâce se réalise, Dieu a non seulement donné un jour particulier de la semaine, mais aussi un lieu spécial pour réunir et rencontrer son peuple. La réitération de la loi sur le sabbat après les prescriptions relatives au dressage du tabernacle fait le trait d’union entre ce lieu et ce jour (Ex 31.12). Ce rapport entre sabbat et sanctuaire est résumé de manière très succincte dans le Lévitique: « Vous observerez mes sabbats et vous respecterez mon sanctuaire. » (19.30) Il s’agit de réserver ce jour pour l’assemblée cultuelle (Lv 23.3; Es 56.6-7). Cesser de travailler pour se rassembler était la manière dont Israël a été appelé à sanctifier le sabbat (Ex 20.8, 11, 31.15; Dt 5.12). Le Psaume 92 célèbre la grâce qui découle du respect du sabbat dans l’adoration du Seigneur.
Le sabbat depuis le temps de l’Eglise
Selon le Nouveau Testament, il y a un sabbat pour le croyant. Le repos hebdomadaire de l’Ancien Testament préfigurait un repos quotidien pour le croyant en Christ. L’auteur de la lettre aux Hébreux, en s’appuyant sur le Psaume 95 et Genèse 2, met en rapport le repos créationnel et rédempteur et le repos en Jésus-Christ grâce à son œuvre de rédemption accomplie sur la croix (3.7-4.11). Il conclut qu’il demeure encore, aujourd’hui, un repos sabbatique: « Il reste […] un repos de sabbat pour le peuple de Dieu. » (4.9) Que signifie ce repos? Il répond: « […] celui qui entre dans le repos de Dieu se repose aussi de ses œuvres, comme Dieu se repose des siennes. » (V. 10)
Le message est clair. Entrer dans le repos du salut implique que l’homme cesse son travail pour son salut. L’homme n’est pas sauvé par les œuvres, ses propres œuvres. Il n’y a qu’une œuvre qui peut sauver, celle du Christ. C’est en ce sens aussi qu’on peut méditer la parole du Christ: « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. » (Mc 2.27-28)
Quant à ce repos, l’auteur de cette lettre nous met en garde de ne pas rester incrédules et indifférents. Il nous exhorte à y entrer par l’obéissance de la foi pour être sauvés: « Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là. » (V. 11) Ce repos est donc pour tous ceux qui cessent de travailler pour leur salut. Ce repos est pour vous si vous recevez par la foi la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. Etes-vous entré dans ce repos?
On comprend mieux le constat de l’apôtre Paul au sujet de toutes les fêtes sabbatiques d’Israël: « Tout cela n’est que l’ombre [préfiguration] des choses à venir, mais la réalité [chose ou personne préfigurée] est celle du Christ. » (Col 2.17) C’est très profond. La raison pour laquelle le Dieu créateur a donné l’exemple du repos sabbatique à son peuple et la raison pour laquelle le Dieu rédempteur a donné l’ordre d’observer le sabbat étaient de préfigurer le repos du salut en Jésus-Christ, repos où nous ne pouvons entrer que par l’obéissance de la foi en lui.
Avec l’avènement de la nouvelle alliance, le sabbat hebdomadaire s’est réalisé en Jésus-Christ. Ce sabbat préfigurait le repos du salut en la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. Avec l’accomplissement de l’œuvre rédemptrice, à savoir la mort et la résurrection du Christ, le jour du repos est passé du septième au premier jour de la semaine. La résurrection du Christ, le premier jour de la semaine, œuvre qui est la garantie du repos éternel, confirme et valide l’achèvement de son travail précédent. Ce changement de jour a été préfiguré par le repos de la rédemption. Le peuple de Dieu a été délivré de la servitude au premier jour de la semaine tandis que le jour d’avant, un septième, l’agneau pascal a été immolé (Ex 12.6, 16-17; Nb 33.3; Esd 6.19-20). Ce repas préfigurait la réalité qui s’ensuivrait: la rédemption. Ainsi le premier jour de la semaine pascale et le septième jour ont été consacrés à l’assemblée cultuelle (Ex 12.15-17). Bien que les signes aient changé – la sainte cène remplace le repas de la Pâque – la signification demeure: la rédemption en Christ. De surcroît, si les jours pour observer le repos sabbatique ont changé, la signification reste intacte: l’entrée dans le repos du Dieu créateur et rédempteur par la foi en Christ.
Un sabbat hebdomadaire pour aujourd’hui?
S’il y a ce repos quotidien, qu’en est-il pour le repos hebdomadaire? Autrement dit: devons-nous faire notre travail en six jours et réserver le septième pour adorer Dieu, Créateur et Rédempteur? Voici quelques éléments de réponse.
Un signe perpétuel d’une alliance éternelle pour tout le monde
Rattaché à la création, le sabbat en Exode 31 est qualifié de signe perpétuel d’une alliance éternelle (vv. 16-17). L’ordonnance sabbatique remonte à l’origine, à la création du monde, à l’exemple du Créateur lui-même (Ex 20.11; Gn 2.2-3). Le jour du repos de Dieu n’a pas de limite dans le temps. Ce jour ne s’achève pas comme les six autres qui, dans le récit, culminent par la formule: « Il y eut un soir et il y eut un matin; ce fut le énième jour. » Calvin qualifie l’exemple du repos de Dieu comme « une règle perpétuelle » (commentaire sur Gn 2.3).
Ce jour a également une portée universelle. L’observance du sabbat, dit Calvin, n’est pas pour un âge ni pour un peuple, mais est commun à tout le genre humain (commentaire sur Gn 2.3).
Avec son signe, cette alliance a été établie, selon Esaïe, avec l’humanité, les fils d’Adam, les Israélites, les étrangers, voire tous les peuples qui s’attachent à l’Eternel (56.2, 6-7). Esaïe 56.1-8 a en vue l’intégration des nations au nouvel Israël et les bénédictions de la nouvelle alliance dont elles bénéficieront. La stipulation dont la jouissance des bienfaits dépend est l’observance du sabbat (v. 2). En effet, le respect du sabbat est le signe par excellence de l’attachement au Seigneur de l’alliance (vv. 4-7). Ces non-Israélites, avec le reste d’Israël, loueront le Seigneur dans le temple appelé « maison de prière pour tous les peuples » (v. 7). Observer ce signe, dans la maison de prière, est la manière pour tout le peuple de Dieu de garder l’alliance (Es 56.6-7, 66.23; Ez 20.12, 20; Mt 21.13).
La condition inchangée de l’homme
Rachi fait remarquer, à la suite de la Mekhilta (midrash halakhique sur l’Exode de Rabbi Yishmaël), que si Dieu, que son œuvre n’a pas fatigué, s’est reposé, combien plus l’homme doit-il le faire, lui pour qui le travail est peine et effort. L’homme doit, à l’imitation de Dieu, le sanctifier.
L’exemple du repos sabbatique de Dieu est survenu avant la désobéissance de l’homme. Si les origines de l’institution du sabbat remontent jusqu’à l’exemple du Créateur lui-même, et même avant la chute, comment imaginer que, après la faute, l’homme puisse s’en passer? La chute a radicalement altéré la situation: le travail est devenu pénible, parfois un véritable esclavage (Gn 3.17, 19). Et puis l’homme asservit l’homme pour l’exploiter (Gn 37.27-28; Ex 1.11-14). D’où la nécessité d’une loi. De plus, l’homme finit souvent par vivre pour son travail et se rend esclave du travail. En Occident, l’homme et de plus en plus la femme s’identifient surtout et en premier lieu par rapport à leur profession. Ces tendances naturelles doivent nous inciter à respecter les limites imposées par la loi sabbatique: tu feras tout ton travail en six jours et le septième tu te reposeras. Ces penchants doivent nous avertir, comme les témoins clignotants sur le tableau de bord, et nous montrer notre fragilité. L’homme, pour ne pas devenir esclave de son travail, doit observer le sabbat: comme Dieu le Créateur, qui s’est reposé pour reprendre son souffle, l’a montré en s’accommodant à notre nature.
Une loi morale perpétuelle
La revendication de Jésus en Matthieu 5.17 – « Je ne suis pas venu pour abolir la loi […] mais pour accomplir » – signifie, d’abord, qu’il a parfaitement accompli les exigences radicales de la loi. Cela veut aussi dire que Jésus, en accomplissant la loi, montre son ampleur, son sens profond. Chrysostome dit, dans ses Homélies sur l’Evangile de St Matthieu, que les paroles du Christ ne révoquent pas celles d’autrefois. Au contraire, elles les étoffent et les enrichissent. Ainsi le sabbat hebdomadaire est embelli mais pas aboli par l’œuvre du Christ.
Ainsi, dit Calvin, « quand nous entendons que le sabbat a été aboli par la venue du Christ, il faut mettre une distinction entre ce qui appartient au régime perpétuel de la vie humaine, et ce qui convient proprement aux figures anciennes, dont l’usage a été aboli quand la vérité a été accomplie. […] Mais ce qui a été dès le commencement commandé aux hommes, de s’exercer au service de Dieu, c’est à bon droit que cela doit durer jusqu’à la fin du monde. » (Commentaire sur Gn 2.3.)
La Confession de foi de Westminster déclare, dans l’article XXI, « Le culte religieux et le jour du sabbat », que la prescription sabbatique est un commandement moral et perpétuel et qualifie le sabbat « sabbat chrétien »:
« […] Dieu a spécialement désigné, par un commandement positif, moral et perpétuel de sa Parole, liant tous les hommes de tous les temps, un jour sur sept comme sabbat à lui consacrer; depuis le commencement du monde jusqu’à la résurrection du Christ, ce jour fut le dernier de la semaine; à partir de la résurrection du Christ, et pour être continué jusqu’à la fin du monde comme le sabbat chrétien, il est devenu le premier jour de la semaine appelé, dans l’Ecriture, le Jour du Seigneur. »
Un jour sur sept toujours consacré au culte
Ce jour permet le rassemblement du peuple de Dieu pour célébrer ses œuvres et jouir de ses bienfaits. Sanctifier le premier jour de la semaine était la pratique de l’Eglise primitive (Ac 20.7; 1Co 16.2; cf. Ap.1.10). C’est aussi l’exhortation de l’auteur de la lettre aux Hébreux: « N’abandonnons pas notre assemblée, comme c’est la coutume de quelques-uns, mais exhortons-nous mutuellement, et ceci d’autant plus que vous voyez le jour s’approcher. » (10.25)
De sa manière tranchante, Calvin dit que « le Seigneur n’a pas simplement commandé aux hommes de se reposer chaque septième jour comme s’il prenait plaisir à notre oisiveté, mais pour que, délivrés de toutes autres affaires, nous appliquions plus franchement nos esprits à reconnaître le Créateur du monde ». (Commentaire sur Gn 2.3.)
Si Dieu a béni et sanctifié ce jour, c’est pour que ce jour soit une source de bénédiction et de sanctification pour l’homme. Bénir, c’est rendre la vie fructueuse, féconde, productive (Gn 1.28). Ce repos comprend donc l’activité qui permet l’épanouissement vrai et véritable de la vie (cf. Ex 12.16; Es 56.1-5, 58.13-14). Ce repos comprend l’activité qui libère l’homme de l’emprise des jours ouvrables. Sanctifier, c’est dégager de la semaine ce jour qui est consacré à ce qui édifie, telles l’écoute de la Parole et la prédication de celle-ci, la prière, la fraction du pain et la communion fraternelle (Ac 2.42).
Créés à son image et vivifiés par son souffle, nous avons reçu de Dieu le pouvoir de bénir et de sanctifier. Les psalmistes bénissent Dieu pour ses œuvres de création et de rédemption. Ce jour est, d’abord, un jour où on bénit Dieu. Bénir Dieu, c’est le reconnaître comme source de la vie et du salut. C’est le louer, car il gratifie ses créatures de ses dons (Gn 14.20; Rt 4.14; Ps 103.1-5). C’est l’adorer comme Créateur et Rédempteur. On peut bénir quelqu’un d’autre, c’est-à-dire prier Dieu de lui accorder la vie épanouie et le salut (Nb 6.22-27; Rt 2.19), ou reconnaître la grâce divine qui est à l’œuvre en lui (Rt 2.20, 3.10; Lc 1.42-43). Bénir un frère ou une sœur en Christ, c’est, entre autres, intercéder, exhorter et encourager. Ce sont les paroles et les gestes qui vivifient, qui font croître et rendent fructueuse la vie de l’autre.
Bref, la théologie biblique du sabbat est conséquente. Le repos du Dieu créateur au septième jour, après six jours de travail, montre à l’homme l’exemple à suivre pour son propre bien-être physique et spirituel. Le repos sabbatique hebdomadaire, comme cérémonie, préfigurait le repos du salut en Christ. La chose préfigurée est abolie. Mais la réalité demeure. C’est pourquoi il y a encore un jour de repos dans la semaine. C’est le jour où le chrétien est convié par l’exemple de Dieu et convoqué par son commandement à adorer le Créateur et Rédempteur, l’auteur du repos éternel. Comme le Seigneur a fait, comme il vous le demande, sanctifiez ce jour de repos! Bénissez le Seigneur pour ses œuvres et ses bienfaits, bénissez les autres pour son œuvre en eux!
R. Bergey est professeur d’hébreu et d’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Texte d’une prédication au culte hebdomadaire à la Faculté.
1 On peut consulter les travaux d’Alain-Georges Martin à ce sujet ou l’article de P. Wells, « Le sabbat, signe eschatologique », in La Revue réformée 26 (1975:3), 137-147.