L’action de grâces

L’ACTION DE GRÂCES

Paul-Aimé LANDES*

« Il n’y a point d’œuvre plus propre à Dieu que de répandre ses bienfaits, ni à la créature que de rendre grâces; celle-ci considérant qu’elle ne peut rendre en retour quoi que ce soit d’autre que cette gratitude… Il n’y a qu’une seule œuvre qui nous appartienne et dont nous puissions honorer Dieu: lui rendre grâces; mettons-y tous nos soins toujours et en toutes circonstances. »1

Ainsi s’exprimait, au début de l’ère chrétienne, le philosophe juif, Philon d’Alexandrie. Mais il y a, pour nous chrétiens, un contemporain de Philon qui a une autorité bien plus grande: l’apôtre Paul. S’adressant aux chrétiens de Colosses, il déclare: « Soyez enracinés et fondés en Christ, affermis dans la foi… et abondez en actions de grâces. » (Col 2.7) Paul, dans l’ épître aux Colossiens reprend, comme un leitmotiv, dans chacun des quatre chapitres qui la compose, cette exhortation à l’action de grâces: « Nous rendons grâce à Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ… pour votre foi et l’amour que vous avez pour tous les saints. »(1.3), « Rendez grâces avec joie au Père qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage » (1.12), « …abondez en action de grâces » (2.7), « Soyez reconnaissants… faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâces par lui à Dieu le Père » (3.15-17), « Persévérez dans la prière, veillez-y avec action de grâces » (4.2).

L’action de grâces (la reconnaissance) est une des dominantes de cette lettre adressée aux chrétiens de Colosses. Le mot que l’on traduit par « abondez » est un verbe qui signifie: surpasser, amplifier, exceller. Cela m’amène à faire une première remarque à propos de la nature du chrétien: dans le Nouveau Testament, cette nature profonde suppose une attitude ample et généreuse. La vie du chrétien n’est jamais présentée comme une vie étroite et étriquée. Tout ce qui est mesquin est en contradiction avec la nature d’un enfant de Dieu. L’enseignement du Christ, comme celui des apôtres, invite à une vie pleine dans laquelle nous avons à nous engager sans réserve. Pas de demi-mesure mais, en toutes choses, un engagement de tout notre être, de toute notre volonté et de tous nos sentiments.

L’Evangile nous présente: Marie de Béthanie qui verse sur les pieds de Jésus la totalité de son parfum de nard pur, un parfum de grand prix (Jn 12.2-5); la maison est remplie de l’odeur du parfum! Après la pêche miraculeuse, les disciples « laissent tout pour suivre Jésus » (Lc 5.11). Il importe que l’Eglise connaisse cette spontanéité dans ses gestes, cette générosité dans ses sentiments, cette abondance de vie dans son être profond. L’Eglise doit s’ouvrir aux autres au lieu de se recroqueviller sur elle-même.

Action de grâces. Le mot grec que l’on traduit par « action de grâces » est eucharistia, qui a le sens de remerciement, reconnaissance, gratitude. Il désignait l’action de grâces juive qui était prononcée avant chaque repas, celle que Jésus a prononcée lors du dernier repas avec ses disciples, avant son arrestation. Il est intéressant de constater que, très rapidement, ce mot désignera le repas des chrétiens (la Cène) et deviendra l’action de grâces par excellence.

A) Le chrétien, un grand débiteur

La question n° 2 du Catéchisme de Heidelberg (1563) est ainsi formulée:

« Combien de choses dois-tu nécessairement savoir pour vivre et mourir dans cette heureuse assurance? Trois. D’abord, combien sont grands mon péché et ma misère. Ensuite, comment j’en suis délivré. Enfin, quelle reconnaissance je dois à Dieu pour cette délivrance. »

Ainsi, ce n’est que si je suis conscient, d’une part, de la grandeur de mon péché et, d’autre part, de la grandeur de l’amour de Dieu que je pourrai exprimer à Dieu ma reconnaissance et mon action de grâces. L’intensité de ma gratitude est fonction de la conscience que j’ai de ma misère et de ma pauvreté comme de celle que j’ai de la miséricorde divine. Celui qui ne perçoit pas l’amour infini de Dieu à l’égard de sa créature indigne n’aura jamais ce sentiment intense de reconnaissance.Le chrétien est une personne qui a compris qu’il est un débiteur insolvable devant Dieu.(cf. la parabole du serviteur impitoyable en Matthieu 18.21-35).

Je souligne là un danger qui a toujours menacé l’Eglise et qui, par conséquent, menace tout particulièrement les chrétiens engagés, à savoir l’aveuglement spirituel, le pharisaïsme. Parce que nous sommes arrivés (parfois après de durs combats) à acquérir un certain standing « évangélique », parce que nous avons atteint un certain degré de connaissance, de piété, d’engagement… nous en arrivons à sous-estimer l’état de notre misère! Parce que nous pensons respecter et observer les grandes lignes de la morale chrétienne, nous en oublions la réalité profonde de notre nature. Nous en arrivons à être satisfaits de nous-mêmes. Malheureux que nous sommes alors! Pour nous, l’action de grâces n’est plus que formalisme, fidélité à une lettre morte… tradition, vocabulaire pieux.

On peut dire beaucoup de choses, fortes intéressantes à propos de l’action de grâces, mais si on n’a pas une conscience nette d’avoir une dette infinie envers Dieu (d’une dette impossible à annuler, même par une piété, une doctrine ou une morale exemplaires), on ne connaîtra jamais ce qu’est vraiment cette action de grâces qui accompagne constamment les écrits pauliniens.

Nous sommes tous indignes de l’amour divin. Rien, en nous, ne justifie l’attitude libérale et gracieuse de Dieu qui nous comble de bienfaits. La gratuité de la miséricorde divine est totale. « C’est par la grâce que vous êtes sauvés,… Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » (Ep 2.8) Dans son ouvrage, La théologie morale du Nouveau Testament, le professeur Spicq déclare: « Or Dieu étant notre premier, notre principal et notre perpétuel bienfaiteur puisqu’il est le principe de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous avons, est en droit d’attendre de sa créature, des pécheurs pardonnés, de ses enfants accédant à l’héritage céleste, la reconnaissance la plus vive. »2 La gratitude est, certes, un devoir universel: de la part des chrétiens (ceux qui ont reçu le pardon et l’héritage céleste), mais aussi de la part de toutes les créatures humaines. Paul, dans sa lettre aux Romains (chap. 1), souligne que le péché des païens a été, entre autres, de ne pas rendre grâces au créateur. « En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces… » (v. 20-21) Nous, croyants, qui sommes au bénéfice de la grâce générale (les bienfaits inerrants à la création) et de la grâce spéciale (le salut en Christ, l’appel que Dieu nous a adressé), combien ne devrions-nous pas comprendre l’importance de ce devoir qui nous incombe: rendre grâces à Dieu notre Père!

Nul, peut-être, n’a compris cette nécessité comme l’apôtre Paul. Parlant de Paul, Spicq déclare: « Le théologien de la grâce ne pouvait pas ne pas être le prédicateur de l’action de grâces. Pécheur, persécuteur, converti par la miséricorde toute-puissante de Dieu, il a acquis sur le chemin de Damas un tel sens du don de Dieu et une telle âme de gratitude, qu’il saura découvrir en tout la main et le cœur de Dieu et l’en bénir. Il rend grâces à tous moments. » Ce même auteur ajoute un peu plus loin cette phrase excellente: « On reconnaît un croyant à cette lucidité du regard discernant en tout un cadeau du ciel, sa vie c’est de remercier. »3En effet, « pour le non-croyant: le fruit de son travail, l’usage qu’il fait de ses biens et de sa fortune, les enfants qu’il met au monde, sa santé personnelle et celle des siens… tout cela est empreint de quelque chose de naturel, de normal qui relèverait d’une grâce générale. Par contre, le croyant sait qu’il est personnellement l’objet de grâces particulières, que tout ce qu’il a, que tout ce qu’il reçoit dans le domaine matériel et spirituel révèle une intention personnelle, bienveillante et gracieuse de son Dieu. »4Aussi, ne peut-il faire autre chose que d’ abonder en actions de grâces.

Le croyant est celui qui, avec les yeux de la foi, discerne la main de Dieu derrière chaque événement de sa vie et s’en émerveille. Quelle est notre capacité d’émerveillement à nous chrétiens du XXIe siècle? Le plus grand obstacle à l’émerveillement est l’aveuglement spirituel, l’esprit pharisaïque. Le pharisien ne s’émerveille plus; pour lui, les bénédictions de Dieu lui sont dues… il les mérite. C’est pourquoi Jésus a dit: « Bienheureux le pauvre en esprit »! Bienheureux, celui qui est conscient de sa pauvreté spirituelle, qui n’a aucun mérite à faire valoir devant Dieu… car il saura s’émerveiller devant la grâce et l’amour de Dieu. Comme Jacob, il s’écriera: « Je suis trop petit pour toutes ses grâces » (Gn 32.11)5. Avec Marie, il confessera: « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit est dans l’allégresse parce que Dieu a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. » (Lc 1.46) L’authentique action de grâces naît de l’étonnement, de l’émerveillement d’être aimé et comblé par Dieu. La vie chrétienne toute entière devient alors: actions de grâces!

Quelle place accordons-nous à l’action de grâces dans notre vie personnelle, dans notre vie de famille et dans notre vie communautaire, dans nos célébrations cultuelles? Sommes-nous capables de nous émerveiller encore devant les bénédictions de Dieu? Notre reconnaissance est-elle « épidermique » ou bien est-elle profondément enracinée dans la contemplation du merveilleux dessein de salut de Dieu?

La reconnaissance n’est pas naturelle au cœur de l’homme. Bien des événements au fil des siècles sont là pour en témoigner: Si nos parents, Adam et Eve, avaient été reconnaissants pour tous les bienfaits dont Dieu les avait comblés… ils n’auraient pas louché vers le fruit défendu! Nous sommes bien les fils d’Adam, nous qui louchons en permanence vers ce qui nous manque, vers ce qui nous fait défaut. Si le peuple d’Israël avait été reconnaissant après les délivrances reçues, le désert n’aurait pas été jonché de tant de cadavres et sa traversée n’aurait pas été si longue. Dans les évangiles, Luc fait le récit de la guérison des 10 lépreux dont un seul est revenu remercier Jésus, qui interroge avec tristesse: « Dix n’ont-ils pas été purifiés? Les neuf autres, où sont-ils? Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir donner gloire à Dieu? » (Lc17.12-19) Dans sa 2ème lettre à Timothée, Paul écrit que, dans les derniers jours, les hommes deviendront ingrats, a-charistoï (2Tm 3.2). En Colossiens 3.15, en revanche, il invite à être des eu-charistoï, c’est-à-dire des hommes et des femmes reconnaissants. Etre reconnaissant… tel est le devoir premier du chrétien!

B) Comment s’exprime la reconnaissance dans la Bible?

a) Au moyen de sacrifices. Le rituel juif connaît un sacrifice d’action de grâces. Ce sacrifice est un don fait à Dieu pour le remercier de ses bienfaits passés et pour implorer de nouvelles bénédictions. Ainsi, dès la Genèse, Caïn et Abel offrent un sacrifice pour remercier Dieu de ses bienfaits (Gn 4). Noé fait de même après le déluge (Gn 8.20). Dans la loi mosaïque, le sacrifice appelé sacrifice pacifique (ou « de communion ») était souvent un sacrifice d’action de grâces. Suite à la victoire sur les Ammonites (après l’institution de la royauté), Samuel déclare au peuple: « Rendons-nous à Guilgal pour y confirmer la royauté. Là, ils offrirent des sacrifices de communion (pacifiques) devant l’Eternel; et là, Saül et tous les hommes d’Israël se livrèrent à de grandes réjouissances. » (1S 11.15). Remarquons ici que le sacrifice d’action de grâces est toujours une occasion de contacts sociaux. Il se déroule sous le signe de la communauté, dans une atmosphère joyeuse.

b) Au moyen du chant (et de la danse). Comme pour les sacrifices, le chant était utilisé pour remercier Dieu pour les bienfaits qu’il a accordés, pour les victoires et les délivrances. Immédiatement après la traversée de la Mer Rouge, Moïse et les Israélites chantent à Dieu un cantique de louange et de reconnaissance que toutes les femmes accompagnent avec leur tambourins et en dansant (Ex 15). Parmi les cantiques célèbres, il y a le cantique de Débora (Jg 5), le cantique d’Anne (après la naissance de Samuel, 1S 2.1-1), le cantique d’Ezéchias (Es 38.10-20), le cantique de Marie, de Zacharie, de Siméon. A tout cela, il faut ajouter plus de 30 Psaumes dont l’objet direct est la reconnaissance (9, 18, 21, 30, 34, 40, 46, 48, …). Ainsi, par le chant, le croyant qui a expérimenté une délivrance accordée par Dieu associe la communauté chrétienne à son action de grâces.

c) Au moyen de la prière. L’Evangile montre le Seigneur utilisant la prière pour adresser à Dieu son action de grâces. Ainsi, après la résurrection de Lazare: « Jésus leva les yeux en haut et dit: Père je te rends grâces de ce que tu m’as exaucé. » (Jn 11.41) L’apôtre Paul fait de même. Alors qu’il approche de Rome, les frères viennent à sa rencontre. « Paul en les voyant rendit grâces à Dieu et reprit courage. » (Ac 28.15) Paul transformera, au commencement de chacune de ses lettres (excepté, l’épître aux Galates), l’usage de la salutation épistolaire en prière d’actions de grâces. Enfin, il recommande vivement que l’action de grâces accompagne la prière de demande. « Persévérez dans la prière, veillez-y avec action de grâces. » (Col 4.2)

Parce que l’action de grâces paulinienne plonge ses racines dans le rappel de l’amour infini de Dieu et de sa fidélité inébranlable, elle ouvre la voie à la prière de demande; elle la prépare, l’éclaire et l’inspire. Dans son livre sur la prière, R.A. Torrey (le docteur-évangéliste) déclare:

« Quand nous nous approchons de Dieu pour solliciter de nouvelles bénédictions, nous ne devrions jamais oublier de le remercier pour les bénédictions déjà reçues. Si l’un quelconque d’entre nous s’arrêtait pour considérer le grand nombre de fois où Dieu a répondu à sa prière et la rareté des cas où il est revenu vers Dieu pour lui rendre grâces, je suis sûr qu’il serait écrasé de honte. Il nous faut être aussi précis en rendant grâces à Dieu que nous le sommes en priant. Nous venons à Dieu avec des demandes précises, mais quand nous lui rendons grâces, c’est de manière vague et générale.. » Et il poursuit:« Rendre grâces pour les bienfaits reçus augmente notre foi, nous rend capables de nous approcher de Dieu avec une nouvelle audace et une nouvelle assurance. Nous arrivons à éprouver du fond du coeur qu’il n’y a rien de trop difficile pour Dieu. »6

Il est certain que rendre grâces donne de l’assurance et renouvelle notre courage!

d) En s’offrant lui-même. Une dernière forme de l’action de grâces: l’offrande de nous-mêmes. Sur la croix, le Christ s’est offert, une fois pour toutes, en sacrifice parfait pour le salut de l’humanité. Depuis ce jour, le chrétien n’a plus à offrir de sacrifice… si ce n’est, le seul accepté par Dieu, faire le don de lui-même. « Offrez vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. » (Rm 12.1) Réconcilié avec Dieu et pouvant désormais s’en approcher librement, le chrétien offre à Dieu, en sacrifice de reconnaissance, sa personne, tout ce qui lui appartient afin que Dieu l’utilise pour sa gloire. Nous ne pouvons pas, décemment, adresser à Dieu des cantiques de reconnaissance et de louange, des prières d’action de grâces si nous ne les accompagnons pas de l’offrande de notre temps, de notre argent, de nos différents dons et charismes.

C ) Les trois dimensions de l’action de grâces

a) L’action de grâces est permanente, continue. La reconnaissance n’est pas un acte occasionnel, passager; elle doit être une disposition foncière et permanente. L’apôtre Paul le rappelle en plusieurs occasions et avec force: « Soyez reconnaissants! » (Col 3.15), « Quoi que vous fassiez… faites tout… en rendant grâce à Dieu le Père. » (Col 3.17), « Rendez toujours grâces pour tout à Dieu le Père. » (Ep 5.20). Il n’y a pas de situation dans laquelle un croyant ne puisse louer son Dieu et lui rendre grâces. Paul, lorsqu’il écrit l’épître aux Colossiens, n’est pas en vacances sur quelque plage de l’Adriatique ou de la Méditerranée… non, il est captif, prisonnier à Rome. Cela ne l’empêche pas de rendre grâces continuellement. Il analyse toutes choses avec les yeux de la foi qui discerne la main de Dieu derrière chaque événement. Il se réjouit même d’avoir à connaître souffrances et privations au nom de l’Evangile de Jésus-Christ. Le Christ, lui-même, avant de se rendre au Mont des Oliviers (Mt 26.30) chante les Psaumes (114-118) (Le grand Hallel chanté à la fin du repas pascal). Avant d’avoir à affronter l’ultime tentation, la dernière offensive de l’Ennemi, il chante et rend grâces à Dieu. Il rappelle les grandes délivrances passées, la Mer Rouge qui s ‘enfuit …, le Jourdain qui recule (Ps. 114). Rappel bienfaisant de la fidélité de Dieu! « En toutes circonstances, dit l’apôtre, rendez grâces; car telle est à notre égard la volonté de Dieu en Christ. » (1Th 5.18)

L’enfant de Dieu croit que son Père veille sur lui et que « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8.28). Il sait aussi que si lui-même est infidèle, Dieu demeure fidèle (2Tm 3.13). Ces certitudes-là, ces promesses rendent possible l’action de grâces en toutes occasions. Cependant, veillons, par souci de fidélité au commandement de l’apôtre Paul, à ne pas louer Dieu à tord et à travers. Certes, cette attitude reflète un souci de fidélité (qui est louable), mais il y a exagération et déséquilibre… Quand Paul dit « priez sans cesse », il n’exhorte pas à passer notre vie à genoux, cloîtré dans une chapelle…, il définit plutôt l’attitude fondamentale du chrétien, qui est de tout attendre de Dieu, d’être constamment orienté, tendu vers Dieu, notre Père. De même lorsqu’il dit « soyez toujours joyeux », il n’invite pas à se réjouir devant la souffrance et les maux de l’humanité, mais à avoir cette attitude intérieure qui consiste à garder, en toutes occasions, une paix profonde fondée sur la certitude que rien ne nous séparera de sa main.

Ainsi Paul, en nous exhortant à l’action de grâces permanente, nous invite à une attitude permanente de reconnaissance pour le don qui est au-dessus de tout don: le don parfait de Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur, en qui nous avons tout pleinement! (Col 2.10). Ne remercions pas aveuglément le Seigneur pour nos difficultés, pour nos maux, pour nos problèmes… qui sont la conséquence directe du péché de l’homme. En revanche, ne cessons pas de rendre grâces parce qu’au sein même de ces difficultés, de ces maux, de ces problèmes, Dieu est là, nous assurant de sa présence, de son secours et de la victoire.

b) L’action de grâces est communautaire. Nous avons vu, précédemment, que le sacrifice d’action de grâces revêtait une dimension communautaire. Celui qui offre un sacrifice invitait des amis à partager un repas en présence de Dieu, signe de communion et occasion de joie. La reconnaissance qui remplit le cœur du fidèle le pousse à partager ses sentiments avec des frères en la foi. « Je te célébrerai dans la grande assemblée, Je te louerai au milieu du peuple », dit le psalmiste (35.18). L’action de grâces a une dimension publique. Reconnaissons qu’il n’est pas toujours facile de faire place à l’action de grâces dans nos rassemblements cultuels. Luther a réussi à glisser l’ action de grâces dans le culte à un moment où on ne l’attend pas, en faisant de son « credo » un chant d’action de grâces. Pour lui, confesser la foi équivalait à une action de grâces pour les bienfaits reçus. Ainsi la communauté toute entière rendait grâces pour la nourriture que Dieu donne chaque jour, le vêtement, la demeure et toutes les choses nécessaires à l’entretien de cette vie, la protection de Dieu dans tous les dangers.

Il y a, dans le culte communautaire, deux autres occasions de manifester notre action de grâces:

– L’offrande. Le témoignage des Pères de l’Eglise (Justin et Irénée) montrent l’importance qu’avaient, dans l’Eglise des premiers siècles, ces offrandes, signes de reconnaissance.

– La sainte Cène. Rendons à la Cène ce qu’elle est dans son essence même: une « eucharistie », une action de grâces par excellence. La communauté rassemblée autour du pain et du vin rend grâces à Dieu pour le don parfait de Jésus-Christ et pour toutes les bénédictions reçues.

c) Enfin l’action de grâces est éternelle. Nelly Beaupère, dans son ouvrage, St Paul et la joie, écrit: « L’action de grâces chrétienne paulinienne englobe passé, présent, avenir, s’étend à l’univers entier, est toujours référence à l’éternel et universel mystère de la volonté salvifique de Dieu. » L’action de grâce englobe passé, présent et avenir. En Colossiens 1, Paul donne un exemple saisissant de cette réalité. Il rend grâces à Dieu au sujet des Colossiens, parce que:

v. 6: « Cet Evangile est parvenu chez vous… il porte des fruits depuis le jour où vous avez entendu et connu la grâce de Dieu. » C’est la référence au passé.

v. 4: « Nous avons en effet entendu parler de votre foi en Christ-Jésus et de l’amour que vous avez pour tous les saints. » C’est la référence au présent.

v. 5: « A cause de l’espérance qui vous est réservée dans les cieux et que la Parole de vérité, celle de l’Evangile, nous a fait connaître. » C’est la référence au futur, à l’avenir.

Ainsi le passé, le présent et l’avenir sont englobés dans une même action de grâces. L’action de grâces de l’Eglise universelle qui attend le jour où elle pourra s’associer à l’action de grâces des 24 vieillards de l’Apocalypse pour proclamer avec eux: « Nous te rendons grâces, Seigneur Dieu, Tout-Puissant, qui es, et qui étais, d’avoir saisi ta grande puissance et d’avoir établi ton règne. » (Ap 11.17)

1* P.-A. Landes est pasteur de l’Union des Eglises Réformées Evangéliques Indépendantes à Nîmes (Gard). Etude présentée à l’occasion de la retraite de début de l’année de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence en octobre 2005.

Cité par C. Spicq, Théologie morale du Nouveau Testament (Paris: Gabalda, 1970) 134.

2 Ibid, 134.

3 Ibid., 138.

4 P. Ch. Marcel, A l’écoute de Dieu.

5 Prière de Jacob avant sa réconciliation avec Esaü et avant son combat pour arracher la bénédiction au gué de Yabbok.

6 R.A. Torrey, Comment prier (Mission Prière et Réveil), 74.

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