La chaîne d’or de l’eschatologie biblique
Paul WELLS*
Comment parler du message chrétien concernant l’avenir et l’au-delà à une époque où l’accent mis sur « le maintenant » rapproche et rétrécit l’horizon, où tant d’incertitudes pèsent sur ce que sera demain, sur l’avenir à échelle humaine?
Le problème de l’eschatologie chrétienne présente deux aspects1.
Il y a, d’abord, une question de plausibilité. Pour nos contemporains, le passé ne semble pas avoir de réel intérêt, car « le sens de l’histoire » ne correspond plus, pour la plupart d’entre eux, à grand’chose dans le concret; et il n’y a pas, non plus, d’avenir certain au-delà de la vie, dont la mort est le terme inéluctable. Le temps présent est donc un concentré de toutes les attentes et de toutes les expériences, gratifiantes ou non. Il est l’objet de toutes les attentions, de tous les soins. Tout autre perspective semble inopportune, voire incongrue2.
En deuxième lieu, la théologie chrétienne, évangélique ou non, n’a pas vraiment contribué à aider la proclamation dans ce domaine. Depuis un siècle, l’espérance chrétienne traditionnelle sur l’au-delà a été redéfinie, de telle sorte que la cohérence du message eschatologique de la Bible s’en est trouvée minimisée.
Pour des théologiens tels que R. Bultmann ou C. H. Dodd, le « déjà » est central dans le message du Nouveau Testament au point que, dans leur « eschatologie réalisée », l’avenir est remis dans le domaine de la mythologie. A la limite et au mieux, la résurrection devient une expérience subjective du chrétien et n’est plus une réalité attendue pour le dernier jour. Si beaucoup de chrétiens croient que « tous iront au paradis », cela signifie qu’ils considèrent le salut non pas comme lié à une expérience personnelle, mais plutôt comme un état, un nirvana à la manière bouddhiste, sans substance.
Du côté évangélique, l’eschatologie est trop souvent considérée dans la perspective des choses qui « restent » non encore réalisées et dont l’accomplissement est suspendu. Le passé, le présent et l’avenir de Christ, trois périodes différentes de son œuvre, sont séparées et comme cloisonnées par des événements historiques majeurs. Par exemple, pour les théologies qui attendent un millénium encore à venir, il existe une césure entre ce qui se passe dans notre monde, le règne de Christ pendant les mille ans et la fin du temps.
Cela implique que, dans son expérience quotidienne, le croyant n’est pas dans une situation d’attente pleine d’espoir; l’eschatologie est une des parties de la théologie, qui est relative à ce qui se passera un jour et qui est dépourvue d’impact réel aujourd’hui. Une telle conception ne stimule guère la spiritualité, n’est pas bien encourageante.
Comment donc faudrait-il concevoir l’unité des temps historiques, par rapport au salut en Christ, pour que le présent ne soit pas dissocié de l’espérance à venir? La réponse se trouve dans la personne de Christ: ce qu’il a fait, ce qu’il fait et ce qu’il fera, replacés dans le cadre de l’alliance de grâce et de son accomplissement.
I. Le rapport entre la personne de Jésus et l’eschatologie
Dès le début de la théologie chrétienne, certains des Pères de l’Eglise, y compris Irénée ou Origène, ont parlé de la personne de Christ comme ho eschatos, le dernier. La personne de Jésus lui-même est le but vers lequel toute la création progresse pour trouver son accomplissement; elle introduit la consommation de l’histoire dans le temps.
Jésus-Christ est le « dernier » de trois façons:
1. Jésus-Christ est la fin de l’histoire par sa personne. Selon Hébreux 1:2, Dieu parle « à la fin de ces jours qui sont les derniers » par son Fils. (Ep eschatou ton hemon touton: cf. Es 2:2). 1 Pierre 1:20 présente un contraste entre deux événements opposés – la fondation du monde et la fin des temps – et précise que Christ est apparu « en ces jours qui sont les derniers à cause de vous ». Le lien entre le passé et le futur est établi par la venue de Christ. Le sens de ces passages n’est pas que la venue de Christ marque la dernière période du temps mais qu’elle est la fin des temps. Autrement dit, dans la personne et à cause de la personne de Jésus, le dernier jour est DÉJÀ présent. Hébreux 9:26 indique également le caractère absolu et radical de la venue de Christ « une seule fois, à la fin des siècles, il a paru pour abolir les péchés ». L’incarnation de Christ est un événement eschatologique, dans lequel Jésus-Emmanuel, par son apparition même, marque la consommation, la fin de l’histoire.
2. Le ministère de Jésus est un acte qui marque la venue de la fin. Le royaume de Dieu est concrétisé par sa présence. En lui (Lc 4:18-19), l’année de grâce de Dieu est là. La libération des captifs qui est proclamée se réalise dans le fait que Satan est lié et détrôné (voir Mt 12:28 et Lc 11:20). Satan tombe du ciel, ce qui ne veut pas dire qu’il est sur la terre pour y installer son royaume, mais tout le contraire. Il n’a plus de puissance ultime sur la terre.
3. La crucifixion de Jésus constitue également un événement eschatologique. Tous les évangélistes rapportent le discours eschatologique de Jésus, avant sa passion et, par la suite, en présentent les éléments comme des événements qui marquent la fin. La perte de l’amour de beaucoup, l’anomie et l’injustice, les phénomènes surnaturels, qui marquent le jour du Seigneur dans l’Ancien Testament, sont réalisés au moment de la mort de Christ. Le « tout est accompli », tetelstai, peut être traduit par « tout est terminé » et indique que la fin est venue au Calvaire.
Pour résumer:
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Les derniers jours constituent le temps où Jésus, « le dernier », introduit le royaume de Dieu. La venue de Dieu en Christ est le point culminant de l’histoire.
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Toute l’histoire de la personne de Jésus est eschatologique et pas seulement son retour en gloire.
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Jésus en personne marque la fin de l’histoire et la culmination de toutes ses attentes.
L’eschatologie inaugurée est unifiée dans la présence de Christ sa personne et son oeuvre3. Cette interprétation suppose qu’il est impossible de séparer l’incarnation de Christ, sa présence actuelle et sa parousie à venir comme trois événements eschatologiques de nature, de qualité différentes. Christ est toujours personnellement présent pour accomplir le salut. Il ne s’agit pas, non plus, de trois événements séparés, mais d’un seul événement, d’un acte accompli par une seule personne, d’un acte ayant la même fonction et effectué à trois moments distincts dont les significations sont complémentaires.
II. Trois moments unifiés par l’action personnelle de Christ
L’incarnation et la croix, la résurrection et l’ascension avec sa présence et la parousie sont les événements qui constituent la structure eschatologique de l’œuvre du salut. Ils se sont produits de façon échelonnée à trois moments successifs, mais ils constituent les aspects d’un salut unique: pour nous, en nous et avec nous4.
Ce que Christ fait pour nous, il le fait principalement pendant son ministère d’humiliation sur la terre; ce qu’il fait en nous, il le fait, à l’époque présente, après sa résurrection, par l’intermédiaire du Saint-Esprit; ce qu’il fera avec nous, il le fera après la parousie dans la nouvelle création, quand nous serons entièrement à son image.
Jésus est la substance de l’alliance, comme médiateur entre Dieu et son peuple. Par une progression historique, en trois moments, l’unique alliance de grâce fait éclore la rédemption. La tige, les feuilles et la fleur rendent manifestes toutes les possibilités de l’oignon de tulipe, de façon organique et dans un ordre logique, car temporel. A cause du rôle de Christ comme médiateur de l’alliance, il n’y a pas un seul moment de l’eschaton mais trois: le salut accompli par un seul, le salut appliqué à beaucoup et le salut final de la nouvelle création.
Il en aurait été autrement si le premier Adam était devenu héritier de la justice et de la vie éternelle sans avoir péché; il n’y aurait eu qu’un seul moment, celui de l’accomplissement. Mais, à cause du péché et du monde, « soumis à la vanité », l’eschaton accomplit l’alliance dans un dévoilement multiforme de la grâce qui est en Christ. L’alliance doit, d’abord, être accomplie sans nous eten dehors de nous en suite de l’héritage adamique du péché (Rm 5.12ss); ainsi, elle est accomplie pour nous de façon définitive dans la personne et l’œuvre de Christ. La fin est donc présente dans la vie et la mort du Messie. Le salut est déjà une réalité à la croix (Rm 5:10; 2 Co 5:18; Ep 2:15,16). Paul peut dire qu’il a été crucifié avec Christ (Ga 2:20). L’objectif de l’alliance est donc déjà atteint à la croix.
La croix appelle la résurrection qui en est la conséquence. Il ne s’agit pas là d’une simple succession dans le temps mais d’une manifestation liée à la logique inhérente à l’œuvre de la croix. A cause de l’accomplissement du salut et de la justice de l’alliance, la résurrection doit suivre la croix. De même, ce qui a été accompli pour nous doit logiquement se poursuivre en nous. Romains 5:10 reconnaît cette logique: nous sommes réconciliés par la mort de Christ et sauvés par sa vie.
L’expression « en train d’être sauvé » indique l’œuvre de Christ en nous, ce qui nous permet de recevoir l’exhortation « soyez réconciliés avec Dieu ». L’alliance est réalisée quand la réconciliation devient une réalité en nous; cependant, même à cette étape, la fin n’est pas encore complètement manifeste. L’eschaton se réalise dans le corps spirituel présenté par Paul en 1 Corinthiens 15:44. Cette répétition de l’accomplissement eschatologique de l’œuvre de Christ se concrétise dans la nouvelle création, lorsque les saints jugeront et règneront avec Christ.
Pourquoi l’œuvre de Jésus-Christ, qui met fin à l’histoire et inaugure le dernier jour, se déroule-t-elle en trois étapes complémentaires et successives? La conclusion de l’histoire qui est arrivée en Christ s’articule en sa personne: morte, ressuscitée et glorifiée. Christ, comme dernier Adam, est le premier à entrer dans la nouvelle création qui, par lui, devient une réalité actuelle. Il y accède pour régner et pour sauver son peuple, mais l’histoire des hommes que nous sommes continue en ce monde. Ce qui est déjà, en lui, une réalité actuelle en puissance doit s’étendre à nous, dans notre conscience et dans nos vies, par l’action de la régénération et par la sanctification.
Finalement, tout le cosmos sera renouvelé, car l’alliance doit embrasser toute la nature et toute l’histoire afin de réaliser l’intention de Dieu dans la création. Ce qui est en puissance dans la personne de Christ seul doit devenir effectif pour toutes choses. Par une transformation progressive et définitive toute la réalité sera changée à la parousie de Christ et l’ancienne création revêtira la nouvelle. Ce dernier jour cosmique de transformation est contenu dans le dernier jour du Christ, inauguré par l’incarnation du Fils de Dieu. « La fin est venue. La fin n’est pas venue »!
Pour mettre en relief l’étendue de cette action, trois questions sont à considérer:
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Comment la venue de Christ met-elle en mouvement l’eschatologie inaugurée?
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Quelles en sont les conséquences?
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Quelle est la signification de la période qui s’écoule entre le commencement et l’achèvement de l’œuvre de Christ?
III. La venue de Christ et l’eschatologie inaugurée
« Dans le Nouveau Testament, nous passons du climat de la prédiction à celui de l’actualité. Ce que Dieu a préfiguré sur les lèvres des prophètes, il l’a maintenant, en partie au moins, accompli. L’eschaton décrit de loin… s’est manifesté en Jésus. Le signe suprême de l’eschaton est la résurrection de Christ… qui n’est pas simplement un signe par lequel Dieu accorde sa valeur à son Fils, mais qui inaugure l’entrée dans l’histoire du temps de la Fin. »5
Christ est donc le dernier. La fin commence avec son incarnation, sa mort et sa résurrection. Il convient de souligner le caractère radical de la venue de Christ pour l’eschatologie. La perspective de l’Ancien Testament est modifiée; l’attente qui la caractérisait est désormais comblée comme par les trois rebonds de la même balle eschatologique.
La fin est arrivée parce que l’époque messianique a commencé avec l’incarnation et la résurrection. Deux aspects de la résurrection sont présentés dans le Nouveau Testament. D’abord, la résurrection de Christ annonce, explique et justifie la résurrection générale, car elle est les prémices de la résurrection finale qui a commencé le matin de Pâques (1 Co 15:20,23). Quand les disciples ont rendu témoignage de l’apparition du Christ qui était mort, ils l’ont fait de façon étonnante, qui n’était pas obligatoire étant donné ce qu’ils avaient vu. Ils ont compris qu’il s’agissait d’une résurrection corporelle. Or, une telle résurrection, pour eux, devait se produire uniquement à la fin du monde. Ils ont donc compris que la résurrection de Jésus faisait partie de l’événement de la fin du monde, déjà commencée. C’est sans doute pour cette raison qu’ils attendaient une parousie plus ou moins immédiate, même si les paroles de Jésus ne justifient pas une attente aussi précise. Ainsi la résurrection de Jésus fait partie de la résurrection générale et la résurrection finale est la raison pour laquelle Dieu a ressuscité Christ. Paul peut dire « si les morts ne ressuscitent pas, Christ n’est pas ressuscité, et nous sommes toujours dans nos péchés. » (1 Co 15.16)
Mais, en deuxième lieu, la fin n’est pas encore venue et l’âge messianique reste toujours à venir. Le croyant du Nouveau Testament, qui vit déjà dans l’âge nouveau, est conscient que le temps présent porte, en son sein, un autre âge. Cet âge à venir est l’âge éternel.
Ces deux moments dans l’accomplissement sont celui d’une promesse tenue avec les bénédictions du salut, et celui de l’attente de bénédictions encore plus grandes à venir. Le salut est apparu et apporte des conséquences radicales pour le temps présent; la bénédiction finale est attendue pour le moment où la gloire de Dieu se révélera (Tt 2:11-14). Le Nouveau Testament tisse un rapport complexe où le passé, le présent et l’avenir apparaissent dépendants dans la perspective de l’alliance de grâce.
IV. Eschatologie et vie selon l’Alliance
L’espérance chrétienne est à l’opposé de celle du monde qui suppose que l’on attend ce que l’on n’a pas. Elle est fondée sur ce que l’on a déjà dans l’accomplissement de l’alliance par Christ et sur son application dans l’ordre du salut. Cet ordre du salut comporte une ultime réalisation dans la glorification qui est présentée en Romains 8:29, de façon prophétique, comme une réalité déjà présente.
Le salut pour nous, en nous et avec nous fonde l’espérance chrétienne et fait de chacun de nous une nouvelle créature en Christ. Etre chrétien aujourd’hui, c’est vivre de la grâce présente de la régénération et se sanctifier par l’obéissance, avec une claire conscience du passé: Christ a accompli la réconciliation avec Dieu par son sacrifice sur la croix, où nous sommes morts avec lui. Mais, ressuscité avec lui, comme une nouvelle créature, le chrétien regarde vers l’avenir et attend le renouvellement de la création. L’ensemble trouve son unité dans les étapes historiques des offices du médiateur de l’alliance, en qui sont présents l’éternité passée et l’élection divine ainsi que le futur de la vie éternelle.
Aux trois étapes de la réalisation de l’alliance correspondent, dans la vie chrétienne, les trois principes actifs qui animent et alimentent cette vie:
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Christ pour nous: la foi et la justification;
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Christ en nous: l’amour et la sanctification;
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Christ avec nous: l’espérance et la glorification.
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C’est Dieu le Père qui est le sujet de l’acte de justification, à cause de la justice objective de Christ, accompli dans le passé à la croix et que s’approprie le croyant, dans le présent, par le moyen de la foi. Si Dieu justifie, qui condamne? (Rm 8:33)
Par l’Esprit, Christ est en nous comme auteur de la réconciliation et de la sanctification (2 Co 5:16ss). C’est par l’Esprit que les bienfaits de l’alliance obtenus par Christ nous sont progressivement appliqués comme étant l’aspect présent de l’œuvre de Christ. Ainsi la situation du croyant est eschatologique, en tension entre le passé avec son accomplissement du salut et le futur avec la parousie de Christ qui introduira l’état final. L’avenir de la nouvelle création constituera une dernière étape où la glorification se manifestera par la libération – du péché et de la mort – du corps de la chair et par le règne de Christ et de ceux qui sont en lui. Car « si nous souffrons avec lui, nous serons glorifiés avec lui » (Rm 8:17).
A la foi, l’amour et l’espérance, présents dans le déjà eschatologique, correspondent, selon l’expression de Pierre Courthial, dans l’action concrète du chrétien, une triade de vertus « justice, piété et sobriété » vécue dans la communion avec le Seigneur6.
A l’unité de l’eschatologie de l’alliance de grâce correspond la cohérence du statut du chrétien justifié, sanctifié et dans l’espérance. Cette vision des choses fait entrer l’attente eschatologique au cœur de la compréhension que le croyant a de lui-même comme enfant de Dieu. Au lieu de pousser l’espérance vers un avenir pas encore là et fait d’événements incertains et discutables, sans lien avec la vie présente, une telle perspective ne peut que déclencher des actions constructives et utiles:
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Christ pour nous:
la foi et la justification –> la recherche de la justice;
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Christ en nous:
l’amour et la sanctification –> l’obéissance et la prière;
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Christ avec nous:
l’espérance et la glorification ––> le non-attachement aux réalités de ce monde manifesté par la générosité (la sobriété).
Le schéma suivant cherche à représenter le lien entre l’œuvre de Christ accomplie, son application dans le salut et ses conséquences pratiques dans la perspective d’une eschatologie chrétienne:
Conclusion
Un des problèmes du protestantisme actuel évangélique est la dichotomie – la séparation consentie d’une foi super-spirituelle et d’une vie hyper-matérielle. La foi et le pragmatisme restent frères ennemis et une intégration de la foi et de la vie manque dans le domaine des attitudes et des comportements des chrétiens dans l’Eglise et dans le monde.
La vision triadique de l’eschatologie proposée ici, qui cherche une intégration harmonieuse de la réalité, constitue un début de réponse à ce problème.
Il est à retenir que Jésus et les apôtres ne parlent jamais de l’eschatologie de façon abstraite, en la présentant sous la forme d’un schéma se développant de façon chronologique. Leur enseignement sur le futur fait ressortir l’unité des événements eschatologiques, centrée sur la réalité de la personne de Jésus et il débouche sur l’exhortation concrète à une vie d’espérance et d’obéissance.
Au moment où Jésus, par sa présence incarnée, marque le passage de l’ancienne à la nouvelle disposition de l’alliance de grâce, la réalité de son règne s’exprime par de nouvelles formes de sainteté et de spiritualité. « Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mt 5:20) donne le ton d’une pratique qui valorise l’intention du cœur, conformément à la promesse de la nouvelle alliance en Jérémie 31:33.
A une eschatologie accomplie, correspond une vie transfigurée. En Matthieu 6:1-18 les trois expressions de la nouvelle obéissance sont indiquées par le Seigneur, à propos de l’aumône, la prière et le jeûne. Son caractère accentue l’aspect cordial et personnel de cette spiritualité, en opposant les démonstrations publiques et la pratique « secrète », car « ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (6:4,6,18). Le thème de cette section est résumé dans le verset 21 « Là où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. » L’intériorité spirituelle et la réponse du cœur sont constitutives d’une relation approfondie avec Dieu dans la nouvelle époque instituée par Jésus.
La célèbre histoire de Marie et de Marthe souligne toute l’importance de la présence du Seigneur. Jésus reproche doucement à Marthe son activisme: « tu t’agites pour beaucoup de choses », alors que « Marie a choisi la meilleure part, et personne ne la lui enlèvera. » (Lc 10:42) L’attitude de Marie constitue la réponse convenable à la présence de Jésus – l’attente de tout recevoir de lui, y compris le Saint-Esprit que le « Père céleste donnera… à ceux qui le lui demandent » (11:9,13). Marthe est éclipsée par Marie comme l’alliance mosaïque le sera par son accomplissement et l’attitude réceptive de Marie est analogue au cœur disposé à la prière.
La prédication chrétienne de la chaîne d’or de l’eschatologie christocentrique inclut l’encouragement à exercer les vertus christiques qui, à leur tour, alimentent une vie de spiritualité dont la dynamique est la communion avec le Seigneur. Ceci implique une attitude envers le monde: « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui… et le monde passe… mais celui qui fait la volonté du Dieu demeure éternellement. » (I Jn 2:15-17)
* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence et éditeur de la revue.
1 Eschatologie = la compréhension des actes de Dieu dans l’histoire qui font progresser l’histoire de la révélation du début jusqu’à la fin.
2 R. Bauckham et T. Hart, Hope against Hope. Christian Eschatology in a Contemporary Context (Londres: DLT, 1999) ch.1.
3 « Eschtologie inaugurée » est utilisée par J.A.T. Robinson dans Jesus and His Coming (Londres: SCM, 1957) et adoptée par A. A. Hoekema dans The Bible and the Future (Grand Rapids: Eerdmans, 1979) 15.
4 Formule proposée par A. König, Jesus Christus die Eschatos, 1970.
5 W. Manson cité par Hoekema, 14.
6 P. Courthial, « La triade ‘piété-justice-sobriété’, La Revue réformée, N° 152,1987/4, 35-41.