L’élection divine :
Quand et comment l’apôtre Paul en parle-t-il ?
Donald COBB*
La question de l’élection est vaste et, on le sait, des plus épineuses! Une étude de quelques pages ne peut prétendre faire le tour de la question. Ce que nous proposons ici sera donc nécessairement modeste: il s’agira, surtout, de regarder quelques textes clés de Paul, en évoquant les contextes où l’apôtre fait intervenir la notion d’élection et la façon dont il en parle. En fin de parcours, nous tâcherons de voir, brièvement, comment ces passages dans leurs contextes respectifs peuvent aider à parler de l’élection, et de répondre à certaines interrogations posées par cet enseignement.
1. Le langage de l’élection chez Paul
Disons rapidement un mot au sujet du vocabulaire. D’une certaine façon, le point de départ de la notion d’élection chez Paul se trouve dans l’Ancien Testament et ce qu’il dit du choix divin qui repose sur le peuple de YHWH. L’emploi paulinien des termes «élire» (eklegomai) et «élus» (eklektoi) vient directement de l’Ecriture1, où Dieu «choisit» Israël (eklegomai) et en fait son peuple2, ses «élus».
La perspective des Ecritures se fait encore ressentir sur la façon de comprendre l’élection. Dans l’Ancien Testament, le choix vis-à-vis d’Israël comporte, pourrait-on dire, un volet «négatif», comme aussi un volet «positif». Négativement, l’élection souligne l’humilité dans laquelle Israël doit cheminer parce que l’attachement de Dieu aux siens ne repose pas sur des qualités humaines, mais sur son propre amour et la fidélité à ses engagements passés3. Positivement, Israël est exhorté, comme conséquence de son élection, à adopter un comportement de sainteté (Dt 10.15-16), en rejetant, notamment, les pratiques idolâtres des nations alentour (Dt 14.1-3). L’élection sert encore à renouveler le courage d’Israël, notamment en temps de difficulté ou de détresse4. Or, cette double perspective est aussi un élément structurant de l’enseignement paulinien sur le sujet.
En laissant provisoirement de côté Romains 9-11 (qui met en avant des préoccupations spécifiques), nous pouvons donc aborder, à l’aide de ces catégories, les textes de Paul relatifs au choix de Dieu.
2. L’élection et l’encouragement de l’Eglise
Commençons par le «volet positif». C’est ici que les textes sur l’élection sont les plus nombreux et les contextes les plus variés. Nous pouvons regarder, tout d’abord, deux textes dans les épîtres aux Thessaloniciens.
1-2 Thessaloniciens
En 1 Thessaloniciens 1.4-5, Paul écrit: «Nous savons, frères bien-aimés de Dieu, que vous avez été élus5, car notre Evangile n’est pas venu jusqu’à vous en paroles seulement, mais aussi avec puissance, avec l’Esprit Saint et une pleine certitude.»6 Dans cette affirmation qui fait partie des actions de grâce par lesquelles débute l’épître, l’élection est mentionnée à titre de rappel de la bonté de Dieu, qui a placé les croyants dans une relation privilégiée avec le Christ. Elle relève ainsi des réalités de foi pour lesquelles l’apôtre exprime sa reconnaissance (v. 2). Nous devrons revenir sur ce point, mais il importe déjà de noter que l’élection, dans ce passage, n’est pour Paul ni un sujet de crainte, ni l’objet d’une connaissance incertaine ou précaire. Elle se devine, comme on le voit au verset 5, comme la source permettant de comprendre l’action de l’Esprit qui a accompagné l’annonce de l’Evangile, et ce qui fonde la réception de l’annonce chez les Thessaloniciens7.
Mais il convient de regarder aussi pourquoi Paul écrit ces lignes. L’Eglise de Thessalonique traverse, au moment où Paul rédige son billet, une opposition soutenue de la part des concitoyens8. La mise en avant de l’élection vise, de façon très précise, à affermir une communauté menacée par le découragement et le repli sur soi. En d’autres termes, la dimension pastorale est, ici, centrale9.
La thématique de l’élection revient dans une affirmation presque identique, en 2Thessaloniens 2.13-14:
«Quant à nous, frères bien-aimés du Seigneur, nous devons continuellement rendre grâces à Dieu à votre sujet, car Dieu vous a choisis dès le commencement10 pour le salut, par la sanctification de l’Esprit et par la foi en la vérité. C’est à cela aussi qu’il vous a appelés par notre Evangile, pour que vous possédiez la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ.»
La différence d’avec le texte de 1Thessaloniciens touche, d’abord, aux moyens par lesquels l’élection se concrétise, à savoir l’action sanctifiante de l’Esprit et la foi en l’Evangile11. Plus important encore est le contexte immédiat. En effet, ce qui appelle cette mention de l’élection est la mise en évidence de l’«homme impie»12 aux versets 1-12, et de ceux qui, séduits par ses prodiges, sont sur la voie de la condamnation, frappés d’«une puissance d’égarement» pour ne pas avoir reçu l’amour de la vérité (vv. 10-11). En d’autres termes, l’élection prend son relief particulier sur fond d’un monde qui se perd et qui demeure sous le jugement de Dieu. Face à l’égarement de la société, les croyants peuvent prendre confiance; leur attachement à l’Evangile les démarque de ceux qui «n’ont pas cru à la vérité» (v. 12) et cette confiance est d’autant plus certaine que le fondement de leur attachement est le choix de Dieu lui-même.
Romains 8.28-29
Paul n’emploie pas le terme «élection» dans ces versets13. Il dit plutôt que ceux que Dieu «[…] a connus d’avance (proegnô), il les a aussi prédestinés (proôrisen) à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères.» Deux questions se posent d’emblée. La première touche au verbe «connaître d’avance (proginôskô)»: faut-il l’entendre simplement dans le sens de «savoir par avance ce que fera celui qui croit»? On l’a souvent affirmé14, et il est vrai que proginôskô se trouve parfois dans le Nouveau Testament avec ce sens, en particulier en rapport avec des événements connus par avance15. Il y a pourtant une différence ici, car il n’est nullement question d’événements que Dieu prévoit, mais d’êtres humains qu’il connaît. «Connaître» a dans ce passage – conformément à l’utilisation fréquente du verbe dans l’Ecriture – une connotation relationnelle, comme lorsque Dieu dit à Jérémie: «Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré; comme prophète des nations, je t’ai établi.» (Jr 1.5, BJ) Dans un cas, comme dans l’autre, il est question d’une relation qui a son origine dans un «avant» précédant l’existence même de ceux qu en son l’objet16.
La deuxième question touche à la prédestination proprement dite. Paul dit que «ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés». Le verbe horizô signifie «fixer, déterminer, décider»; avec le préfixe pro («avant»), il prend le sens de «pré-déterminer», «décider d’avance au sujet de quelqu’un». S’agit-il d’un simple synonyme de «connaître d’avance» ou ce terme a-t-il une connotation plus précise? La progression logique de ces versets suggère que la «prédestination» se comprend ici non d’abord en rapport avec l’élection, mais avec sa finalité, la conformité au Christ: Dieu a voulu que ceux à qui il s’est attaché soient transformés, dans leur vie même, à l’image du Fils17. Si l’un et l’autre verbe sont munis du préfixe pro, c’est parce que cela fait partie, dans les deux cas, de ce que Dieu a décidé dans l’éternité.
Il faut noter un dernier point en rapport avec ce passage. Une fois de plus, Paul ne parle pas de l’élection dans l’abstrait: déjà au verset 17, il a parlé des nécessaires souffrances auxquelles les chrétiens devront faire face. Il poursuit au verset 18 par l’affirmation: «J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour nous.» La finale des versets 31-39 le confirmera encore, le contexte où Paul parle de l’élection est celui des souffrances, en particulier celles assumées en raison de la confession de foi et de l’attachement au Christ (cf. vv. 35-36). C’est dire, une fois de plus, que pour Paul, l’élection n’est pas mise en avant pour jeter une ombre angoissante poussant à l’introspection, mais pour susciter une confiance inébranlable en Dieu, une connaissance solide (v. 28) au sein de nos épreuves, de nos ignorances et de nos incertitudes (v. 26).
Ephésiens 1.3-5
En dehors de Romains 9-11, la bénédiction qui ouvre l’épître aux Ephésiens contient l’affirmation la plus explicite de Paul au sujet de l’élection:
«Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes, en Christ. En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde (kathôs exelexato hêmas en autô pro katabolês kosmou), pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a destinés d’avance (proorisas), par Jésus-Christ, à être adoptés, selon le dessein bienveillant de sa volonté.» (Ep 1.3-5)
Impossible de ne pas constater que l’élection, la première des bénédictions de Dieu – voire la source ultime des autres bénédictions18 –, s’inscrit ici dans un contexte d’adoration vis-à-vis de l’action de Dieu (v. 3); Paul oriente ses lecteurs vers ce que Dieu a fait et qui doit susciter la reconnaissance. La primauté de cette action divine est d’ailleurs bien mise en relief par l’expression «avant la fondation du monde» (pro katabolês kosmou); sans entrer dans les questions philosophiques de savoir quels rapports le Dieu biblique entretient avec le temps – est-il dans le temps? est-il en dehors ou «au-dessus» du temps? – on peut néanmoins retenir l’idée essentielle de l’expression: le choix de Dieu ne se calque pas sur des démarches humaines situées dans l’histoire, mais, au contraire, fonde et suscite notre décision pour lui.
L’élection est encore, dans ces versets, christocentrique: Dieu nous a choisis, dit Paul, «en lui», c’est-à-dire en Christ (v. 4). Le sens de l’affirmation est débattu, mais on peut dire en tout cas que le regard d’amour que Dieu pose sur les siens est inséparablement lié au Fils et à la relation d’amour que, dans l’éternité déjà, le Père entretenait avec lui; les croyants sont au bénéfice du même amour que Dieu a pour son Fils «bien-aimé»! Comme le remarque A.T. Lincoln, l’élection des croyants avant la fondation du monde se fonde sur le fait que ceux qui sont «en Christ» sont embrassés du même regard que le Christ préexistant; unis à celui dont l’existence remonte au-delà de la création, il en découle qu’ils sont par conséquent choisis, eux aussi, en lui19. Les versets 4-5 prolongent la réflexion: l’action de Dieu, impliquant la «prédestination» en vue de la conformité au Christ («l’adoption»), est souveraine; mais sa motivation ultime ne se trouve pas ailleurs que dans un élan d’amour: «Dans son amour, il nous a prédestinés […].»20
Pourquoi Paul parle-t-il ici de l’élection? Aux chapitres 2-3, il mettra en avant l’intégration des pagano-chrétiens au sein du peuple de Dieu recréé en Christ (Ep 2.11-19) et il précisera que c’est là le «mystère» autrefois caché en Dieu, mais révélé à présent, au moyen de son ministère (3.3-7). Or, l’élection doit se comprendre dans ce contexte: face à l’objection que l’on pourrait formuler contre les pagano-chrétiens, à savoir qu’ils tiennent une place secondaire dans l’histoire de la rédemption, Paul rappelle le dessein que Dieu a formé, dès avant la création du monde, de créer un peuple composé d’hommes et de femmes pris d’entre les nations21. L’élection met donc en lumière la constance inviolable et l’attachement de Dieu à son dessein. Les croyants ne font pas partie de l’Eglise, du peuple de Dieu, grâce à leur choix ou à des événements aléatoires, imprévisibles mais parce que, dans le mystère de son amour éternel, Dieu s’est attaché à eux.
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Ce bref survol le montre bien, l’élection chez Paul est avant tout positive, visant l’encouragement, l’affermissement des croyants. Elle vient rappeler que derrière les circonstances et les choix humains se trouvent un autre choix, un autre engagement, éternels ceux-là.
3. L’élection et l’impossible mise en avant de soi
Qu’en est-il du «volet négatif»? En dehors de Romains 9-11, on le voit surtout dans un passage.
1 Corinthiens 1.27-29
«Considérez, frères, comment vous avez été appelés: il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi (exelexato ho theos) les choses folles du monde pour confondre les sages; Dieu a choisi (exelexato ho theos) les choses faibles du monde pour confondre les fortes; Dieu a choisi (exelexato ho theos) les choses viles du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu.» (1Co 1.26-29)
Par trois fois, Paul souligne que le choix de Dieu n’est pas seulement à l’opposé de ce que choisiraient les hommes; il vise encore à «confondre» (hina kataischunê)22, voire à «réduire à l’impuissance (hina […] katargêsê)» (v. 28) ceux sur qui porterait spontanément la préférence humaine. Ces mentions de ceux que Dieu choisit doivent donc se comprendre tout autant en rapport avec ceux que Dieu ne choisit pas: les sages, les puissants et les nobles. Autrement dit, l’élection opère un renversement radical des valeurs du monde; alors que le monde – tout autant à l’époque de Paul qu’aujourd’hui – estime la valeur de quelqu’un d’après son éducation, sa prospérité et sa position sociale, Dieu manifeste sa souveraineté et sa grâce en s’attachant, précisément, à celles et ceux que le monde laisserait de côté23.
Le contexte de ces affirmations est loin d’être négligeable; la situation que Paul essaie de démêler, dans l’Eglise de Corinthe, tourne autour de différentes factions opposant les partisans de Paul, fondateur de l’Eglise, à ceux d’Apollos, rompu à la rhétorique hellénistique très estimée dans le monde gréco-romain du Ier siècle24. D’après ceux-ci, le style oratoire plutôt moyen de Paul le désignait comme un chef de file moins désirable que celui qui maniait mieux le verbe25. Paul riposte en mettant en avant non lui-même, mais le Seigneur, qui réduit au néant la sagesse humaine avec sa rhétorique… et qui le fait par le Crucifié, «scandale pour les Juifs et folie pour les païens» (v. 23). Or, le choix de Dieu, qui rejette ce qui attire le regard et fait que les Corinthiens eux-mêmes sont maintenant au Christ, ne relève pas d’une autre perspective! La logique de l’élection est, précisément, la logique de la croix: «Le contenu de la prédication détermine aussi la forme de la communauté.»26
La finalité de l’élection obéit donc à ce qu’est Dieu lui-même en tant que Créateur et Seigneur, et à ce qu’est l’homme en tant que créature et débiteur de la grâce. Devant Dieu, une seule attitude est possible, celle de l’humilité, comme le rappelle la citation de Jérémie 9.23: «Afin, comme il est écrit: Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur.» (V. 31) La remarque de G. Fee est ici des plus pertinentes:
«Dieu, en fin de compte, a délibérément choisi les choses insensées de ce monde – la croix et les croyants de Corinthe eux-mêmes – pour ôter, à tout jamais et à toute créature humaine, tout fondement possible qui se trouverait en elles-mêmes et qui leur permettrait de se tenir en sa présence ayant quelque chose entre les mains. […] Rien de ce que l’on possède ne donne un quelconque avantage devant le Dieu vivant.»27
4. Romains 9-11: élection et compassion souveraines de Dieu
C’est en Romains 9-11 que l’élection est abordée de la façon la plus approfondie chez Paul, surtout dans son aspect négatif. Elle l’est toutefois dans un contexte particulier, celui du rapport entre Israël et l’Eglise. Nous nous devons de respecter cette spécificité. Du fait que la plupart des affirmations sur l’élection se trouvent au chapitre 9, nous limiterons nos remarques, pour l’essentiel, à ce chapitre.
A) Une distinction selon la grâce (Rm 9.6-13)
Au début de son argument28, Paul pose une question: le refus de l’Evangile par ceux-là mêmes auxquels il était destiné en premier lieu – Israël – implique-t-il un échec de la part de Dieu? Non, répond-il, car Dieu opère, depuis toujours, une distinction entre «Israël» et «Israël» (Rm 9.6), entre les enfants physiques d’Abraham et ceux qui, au sein d’Israël, ont mis leur confiance en lui et qui, seuls, peuvent prétendre au titre de «descendants d’Abraham» (vv. 7-8)29. C’est dans cette section que se trouve une première affirmation explicite du choix divin, en faveur notamment de Jacob:
«Car les enfants n’étaient pas encore nés et ils n’avaient encore fait ni bien ni mal, pourtant – afin que le dessein de Dieu demeure selon l’élection (hina hê kat’ eklogên prothesis tou theou menê) qui dépend, non pas des œuvres, mais de celui qui appelle – il fut dit à Rébecca: L’aîné sera asservi au plus jeune; selon qu’il est écrit: J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü.» (Rm 9.11-13)
Les questions ici sont légion. Rappelons, d’abord, le contexte: Paul, dans ces versets qui figurent parmi les passages les plus «prédestinatiens» de ses lettres, répond à une question qui touche, non à l’élection comme telle, mais au refus que ses concitoyens opposent au Christ30. Son propos consiste à souligner le plus fortement possible que, s’agissant de l’accès à la grâce, aucune qualité se situant du côté de l’homme – que ce soit l’origine raciale, la possession de la Torah ou la circoncision (les «œuvres» du v. 11) – ne donne un avantage «automatique» pour le salut. Cela est nécessairement le cas car, comme l’exemple de Jacob et d’Esaü le montre bien, Dieu accorde sa grâce de façon à maintenir sa liberté et sa souveraineté; son «projet» (prothesis) de salut ne s’accomplit pas sur la base d’actions ou de sujets de fierté humains, mais, en tant que «dessein selon l’élection», grâce à son appel qui élit et qui sauve: «La promesse renverse les hiérarchies reçues.»31 Le front polémique est donc bien celui des rapports entre Israélites qui reçoivent l’Evangile et Israélites qui, se fondant sur leur «statut privilégié», le rejettent. La suite du texte le montrera bien, la question de fond est l’intégration des croyants d’origine juive, mais surtout païenne, au sein du peuple de Dieu eschatologique (vv. 24-29, 10.12, 20).
Est-ce à dire, comme plusieurs l’ont avancé, que l’élection s’entend uniquement ici dans une perspective collective et non individuelle?32 Il y a là, très certainement, une fausse opposition. Certes, le contexte particulier interdit des généralisations trop rapides pour une doctrine systématique de la prédestination. Mais, ce que dit Paul au sujet de l’«Israël selon la promesse» (vv. 6-9), qui l’est par élection, n’est pas qualitativement différent de ce qu’il a déjà dit en 8.28-3033 ou dans les autres passages présentés plus haut: l’élection divine et la réception chez le croyant de la justice de Dieu, réception qui manifeste la réalité de cette élection dans l’histoire, sont l’effet de la grâce, libre et souveraine, de Dieu34.
B) Des vases préparés d’avance (Rm 9.14-24)
C’est dans cette perspective qu’il convient de comprendre 9.14-24, parlant de l’endurcissement de Pharaon et des «vases de colère formés pour la perdition» (v. 22). Nous pouvons faire ici trois remarques. Premièrement, Paul prévient plusieurs objections possibles touchant à la justice de Dieu: en appelant selon son propre choix et non d’après l’activité humaine, Dieu n’est-il pas injuste (v. 14)? L’apôtre oppose à cette suggestion un déni vigoureux. Pour appuyer sa réponse, il reprend le texte de l’Exode où, à la suite de l’apostasie du veau d’or, Dieu révèle son «Nom», alors que le peuple est menacé de destruction (cf. Ex 32.30-35): «Je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion.» (v. 15) Le contexte de désobéissance et de jugement est d’une importance capitale, mais la citation elle-même (Ex 33.19) est remarquable à plus d’un titre: d’une part, ceux qui sont objets de la miséricorde le sont uniquement pour des raisons qui se trouvent en Dieu. Celui-ci reste souverain dans sa relation avec son peuple. Mais, d’autre part, ce dont il est question, c’est bien le don de la compassion divine. En d’autres termes, Paul ne présente pas le portrait d’un Dieu qui serait une simple puissance absolue. Il est souverain! Mais c’est de la compassion souveraine qu’il s’agit.
Deuxièmement, l’exemple de Pharaon (vv. 17-18) va dans le même sens. Celui que Dieu suscite n’est pas un homme bon; c’est un tyran qui, dans l’Exode, s’obstine dans son refus de YHWH et maltraite ceux-là mêmes qui constituent «le fils premier-né de Dieu» (Ex 4.22-23). Mais il faut encore reconnaître que Dieu opère cet endurcissement en vue de la délivrance des siens et, dit-il, «[…] pour que mon nom soit publié par toute la terre» (v. 17). L’endurcissement n’a donc rien d’arbitraire; il s’exerce au sein d’une situation d’oppression, en vue du salut et de la proclamation du caractère de Dieu. L’illustration n’est d’ailleurs pas choisie au hasard. Paul reparlera, au chapitre 11, de l’endurcissement, en rapport avec l’Israël ethnique35. Or, il y sera question d’un endurcissement qui, dans le temps présent, devient le moyen pour que l’Evangile soit proclamé parmi les non-Juifs et que ceux-ci soient intégrés, eux aussi, au peuple de Dieu (9.24). L’exemple de Pharaon permet de voir que ce qui se passe dans le présent trouve un précédent dans l’histoire d’Israël. Au Ier siècle comme jadis, suggère Paul, ce sont ceux qui, dans leur prétention d’autosuffisance, se trouvent exclus de la justice de Dieu et endurcis. Pourtant, même ceux-là se trouvent être mis au service – y compris dans leur refus de l’Evangile! – de la proclamation du salut36.
Troisièmement, l’image du potier (vv. 20-21) pourrait tout de même donner l’impression d’un potestas absoluta, d’un Dieu arbitraire qui agit au gré de ses seuls caprices. Cependant, la dissymétrie dans les termes ne saurait être négligée: d’un côté, en parlant des «vases de colère», Paul emploie les termes de «patience» et de «support» (ênenken en pollê makrothumia, v. 22). De l’autre, c’est «la gloire» et «la miséricorde» qui sont accentuées. Qui plus est, c’est en rapport avec les seconds – uniquement – que l’apôtre parle des vases que Dieu lui-même a «d’avance préparés pour la gloire» (v. 23)37. Certes, la métaphore de vases «formés pour la destruction» ne perd pas sa consistance pour devenir une catégorie hypothétique; il faut la comprendre, encore une fois, en rapport avec ceux qui, au sein d’Israël, continuent à rejeter le Christ. Mais, à la différence de ceux que Dieu a activement «préparés d’avance pour la gloire», ce sont ceux que Dieu laisse dans leur incrédulité. En outre, il est important de relever le verset 21, parlant des vases qui, dans un cas comme dans l’autre, sont faits à partir d’une même pâte – c’est-à-dire à partir d’une même humanité qui, en Adam, se trouve sous le coup de la condamnation universelle (cf. Rm 5.12-13, 16, 18; cf. aussi 1.18-25). Les théologiens ultérieurs, en parlant d’une élection qui s’opère au sein d’une massa perditionis – d’une pâte destinée à la destruction! – n’ont fait autre chose que suivre l’imagerie de Paul dans ces versets38.
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Ces considérations n’enlèvent pas le mystère du choix souverain de Dieu. Mais elles apportent une confirmation à ce que nous avons déjà vu en rapport avec l’élection chez Paul dans son aspect négatif: si Dieu est bien celui qui choisit et qui reste souverain dans son choix, l’annonce de ce fait n’a pas pour finalité de faire planer une ombre sur les certitudes du croyant ou d’introduire une angoisse au sujet de sa relation à Dieu («Suis-je un vase de miséricorde… ou de colère?»). Si Paul relève cet aspect de l’élection, ce n’est pas non plus pour brosser un portrait de la toute-puissance «nue» d’une divinité arbitraire, d’un Dieu imprévisible pour qui élection et réprobation seraient simplement deux faces d’une même médaille, deux options également valables, ayant chacune le même poids et la même fonction. C’est, au contraire, en parlant d’un Israël qui s’accroche obstinément à son statut de «peuple élu», à sa spécificité ethnique et religieuse et qui, dans le même temps, rejette celui qui est venu révéler le Dieu de l’alliance. En d’autres termes, l’élection ne devient une menace qu’en présence d’une attitude d’orgueil et d’autosuffisance humaine.
Conclusion
Quelles lignes de forces pouvons-nous dégager de ces textes et de leurs contextes respectifs? Remarquons, en premier lieu, que l’élection chez Paul va infiniment au-delà d’une «pré-connaissance» impersonnelle. Il y a dans l’élection une relation, dont Dieu est le maître et l’initiateur. Par conséquent, si cette notion suppose une forte conscience de la souveraineté de Dieu, elle n’implique pas moins une perspective foncièrement personnelle, se fondant sur elle.
Deuxièmement, nous pouvons relever la façon dont Paul articule l’élection avec, d’une part, le Christ et, d’autre part, la communauté. Le choix de Dieu s’effectue en relation avec le Christ, ce qui implique que notre statut d’élus se découvre et se confirme, uniquement, dans le regard de foi porté sur le Christ lui-même et dans l’attachement à sa personne. En même temps, il est frappant de constater à quel point ces affirmations de Paul s’adressent à l’Eglise en tant que communauté. Non pas que l’élection soit collective plutôt qu’individuelle, mais Paul conçoit l’Eglise comme le lieu où, au sein de l’histoire, l’élection trouve sa manifestation concrète. Pour le dire autrement, la conscience de l’élection ne se forme pas en dehors de la communauté de l’Eglise, mais la suppose et nous ouvre à elle.
Troisièmement, Paul parle de l’élection, le plus souvent, dans un contexte d’opposition. Il y a là une certaine différence entre la perspective biblique et notre mentalité marquée aussi bien par le catholicisme romain que par l’individualisme des Lumières. Chez Paul, l’élection n’est pas, d’abord, ce qui me permet de trouver un soulagement face à mes angoisses vis-à-vis de Dieu; elle est ce qui encourage l’Eglise à aller de l’avant, notamment dans son témoignage, malgré l’hostilité que le monde lui oppose. Certes, la question d’une certitude personnelle au sujet du salut reste valable; mais elle ne peut se situer, dans la perspective de Paul, qu’au second plan – ce qui implique, sans aucun doute, une certaine priorité dans notre façon d’aborder cette question aussi, entre autres, dans la prédication.
Notons, enfin, que l’élection ne suscite pas chez Paul une interrogation inquiète en rapport avec ce qui serait, pour nous, son contraire, à savoir la réprobation. La mention de l’élection débouche toujours sur l’adoration, l’encouragement et l’humilité. Il s’ensuit que l’élection, dans les épîtres pauliniennes, n’est pas un enseignement à éviter dans l’Eglise; l’apôtre en parle naturellement, afin de susciter la confiance et la reconnaissance à l’égard du Dieu dont l’engagement ne saurait défaillir ou être déjoué. Il est vrai que Paul évoque aussi, par moments, la question de la réprobation; mais, quand il le fait, c’est toujours en rapport avec ceux qui, de façon ouverte et délibérée, rejettent la grâce ou cherchent à détruire l’Eglise (cf. Rm 9.22; 2Tm 2.20). En d’autres termes, l’idée d’une réprobation éternelle n’est pas présentée comme le corollaire logique de l’élection, mais comme l’explication d’un comportement qui s’élève sciemment contre le Christ.
Malgré la relative rareté d’explications approfondies, la notion de l’élection occupe une place centrale dans la pensée et l’enseignement de Paul39. Contrairement au réflexe courant de l’éviter soigneusement et de passer sous silence les textes qui en parlent, l’apôtre ne nous montre-t-il pas une autre voie? A savoir, la mise en avant de la grâce souveraine de Dieu en Christ, plus forte que nos faiblesses, plus constante que nos velléités, qui seule mérite d’être élevée et glorifiée dans la vie de son peuple.
1* Donald Cobb est professeur à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
Paul emploie aussi le substantif eklogê («élection»), terme que l’on ne trouve pas dans la LXX, version grecque de l’Ancien Testament. Cf. Rm 9.11, 11.5, 7, 28; 1Th 1.4.
2 Cf. Dt 4.37, 10.15, 14.2; Ps 33.12, 134.4; Es 14.1, etc.
3 Le texte emblématique ici est Dt 7.6-8 (cf. aussi Dt 4.37). L’humilité à laquelle Israël est appelé en Dt 9.4-6 doit se comprendre dans cette même logique.
4 Cf. Es 41.8-10; Dt 4.37; Ps 33.12, 135.4; Es 14.1, 43.10, 44.1-2, 49.7, etc.
5 Eidotes, adelphoi êgapêmenoi hupo tou theou, tên eklogên humôn (littéralement: «Sachant, frères bien-aimés par Dieu, votre élection»).
6 Ces versets constituent une des seules mentions explicites de l’élection en 1 Thessaloniciens. Ils s’inscrivent pourtant dans une logique qui traverse l’ensemble de l’épître, de sorte que J. Becker peut écrire: «[…] 1Th porte l’empreinte d’une théologie de l’élection qui fournit le système dans lequel toutes les autres affirmations de la lettre trouvent leur place.» Paul, Apôtre des nations (Paris-Montréal: Cerf-Médiaspaul, 1995), 158. Becker mentionne aussi 1Th 2.11-12, 4.7, 5.9, 23-24. La présentation de Becker apporte des éléments intéressants, même si plusieurs affirmations demeurent discutables.
7 «Les destinataires de l’Evangile ne se bornent pas à prendre connaissance d’un nouvel enseignement concernant Dieu, mais en même temps que le message leur advient ils sont déterminés par l’Esprit Saint. […] Dans la parole, l’Esprit opère pour que le message soit accueilli dans la joie (1.6).» J. Becker, Paul, Apôtre des nations, 160. Comme le souligne C.A. Wanamaker, les vv. 6-10 font partie des raisons que Paul énumère pour expliquer sa certitude en l’élection des croyants de Thessalonique. Commentary on 1 & 2 Thessalonians (Grand Rapids: Eerdmans, 1990), 78.
8 Cf. 1Th 2.14, 3.3-5.
9 Ce fait mérite d’être souligné vu la tendance dans nombre d’Eglises d’opérer une sorte de suppression des mentions bibliques de l’élection, pour des motifs que l’on veut, justement, «pastoraux»!
10 Hoti heilato humas ho theos ap’ archês (d’après Sin., D, K, L, Psi, le texte majoritaire et plusieurs versions). Le NA27 propose heilato humas ho theos aparchên («Dieu vous a choisis comme prémices»), s’appuyant sur B, F, G, P et plusieurs minuscules (dont 33, 1379 et 1881). Le choix entre les deux leçons n’est pas facile, d’autant plus que deux manuscrits importants, A et C, sont illisibles ou lacunaires à cet endroit. Au niveau de la cohérence, la première leçon paraît préférable: en disant que les Thessaloniciens sont «prémices», on ne sait pas de quoi ils le sont. Cf. S. Légasse: «[…] On ne voit pas de quelle moisson les Thessaloniciens […] pourraient être considérés comme les ‹prémices». Les épîtres de Paul aux Thessaloniciens (Paris: Cerf, 1999), 408. C’est sans doute pourquoi la leçon «dès le commencement» a été retenue par TOB, BJ, Col et d’autres.
11 Ainsi l’œuvre de l’Esprit qui, en 1Th 1.4-5, est considérée comme la manifestation concrète du choix de Dieu, devient-elle ici ce au travers de quoi l’élection se concrétise dans la vie des croyants. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux perspectives: l’œuvre de l’Esprit, en suscitant la foi, se manifeste de façon tangible.
12 Ou «l’homme du péché», suivant certains manuscrits.
13 Le terme eklektoi («élus») se trouve en revanche en Rm 8.33.
14 Ainsi, par exemple, B. Witherington et D. Hyatt, Paul’s Letter to the Romans, A Socio-Rhetorical Commentary (Grand Rapids-Cambridge: Eerdmans, 2004), 227-230. La remarque de F. Godet est typique de cette position: «[…] Le fait préconnu de Dieu est tout simplement la foi […].» Commentaire sur l’épître aux Romains, t. II (Genève: Labor & Fides, 1968), 211 (souligné dans le texte).
15 Cf. Sg 6.13, 8.8, 18.6. On le trouve avec ce même sens en Ac 26.5 et 2P 3.17, où le sujet n’est pas Dieu mais des êtres humains. Le substantif prognôsis («prescience») se trouve en Jdt 9.6, 11.19 avec la connotation d’une connaissance donnée auparavant.
16 «L’arrière-plan de ce terme doit être recherché dans l’AT, où l’action divine de ‹connaître› ([…] yâda’) se réfère à l’amour, dans le cadre de l’alliance, par lequel Dieu pose son affection sur ceux qu’il a choisis. […]. De la même manière, en Rm 8.29, l’idée est que Dieu a prédestiné ceux sur qui il a fait reposer son affection d’alliance.» T. Schreiner, Romans (Grand Rapids: Baker, 1998), 452 (Schreiner se réfère, lui aussi, à Jr 1.5). Même avis chez J.D.G. Dunn, Romans 1-8 (Waco: Word, 1988), 482, D. Moo, The Epistle to the Romains (Grand Rapids-Cambridge: Eerdmans, 1996), 532, et N.T. Wright, The Letter to the Romans, Introduction, Commentary and Reflections (Nashville: Abingdon Press, 2002), 602. Cf. aussi Gn 18.19; Os 13.5; Am 3.2. Le verbe proginôskô a clairement ce même sens un peu plus loin, en Rm 11.2.
17 T. Schreiner est de l’avis que proorizô accentue l’idée que le dessein de Dieu, établi d’avance, s’accomplira certainement, tandis que proginôskô met plutôt en relief l’amour et l’affection d’alliance pour ceux que Dieu a choisis; Romans, 453. Cf. aussi D. Moo, The Epistle to the Romains, 534.
18 Ainsi R. Schnackenburg, The Epistle to the Ephesians, A Commentary (Edimbourg: T&T Clark, 1991), 47. Cf. aussi A.T. Lincoln, Ephesians (Nashville: Thomas Nelson, 1990), 16.
19 A.T. Lincoln, Ephesians, 22-24. Cf. aussi R. Schnackenburg: «Si Dieu a formé son dessein de salut dans le Christ (pré-existant), il nous a également inclus ‹en Christ›, dans son plan. Le Christ et ceux qui sont sauvés en lui ne sauraient être séparés l’un des autres. En conséquence de notre appel concret et de notre ‹participation› en Christ (cf. v. 11), nous sommes également assurés de notre élection éternelle ‹en Christ›, avant la fondation du monde.» The Epistle to the Ephesians, 53.
20 Cf. R. Schnackenburg: «Le Christ est nommé ‹le bien-aimé› parce que, en lui, Dieu a déversé tout son amour et, par lui, nous a inclus dans cet amour; de la sorte [en agapê] doit se rapporter à [proorisas], c’est-à-dire à Dieu. L’ensemble de cette section qui nous est présentée est donc pour ainsi dire contenu entre crochets par ‹dans l’amour› au début et ‹dans le bien-aimé› à la fin.» The Epistle to the Ephesians, 47s.
21 Point bien mis en évidence par F.F. Bruce (citant la position de H. Chadwick); The Epistles to the Colossians, to Philemon and to the Ephesians (Grand Rapids: Eerdmans, 1984), 244s.
22 Littéralement «rendre honteux». Le terme n’évoque pas un sentiment subjectif de honte mais, conformément à l’arrière-plan vétérotestamentaire, l’idée que Dieu fera reconnaître, aux yeux de tous, la cause des siens et abaissera leurs adversaires (cf. Ps 6.10, 31.17, 35.4, 26-27, etc.).
23 Comme le remarque A. Thiselton: «L’essentiel, sur le plan théologique, touche ici non seulement à la liberté souveraine par laquelle Dieu choisit d’aimer et de se donner, en dehors de tout mérite ou exploit humains, mais aussi à la discontinuité entre Dieu et le monde.» The First Epistle to the Corinthians, A Commentary on the Greek Text (Grand Rapids-Cambridge: Eerdmans, 200), 184 (italique et caractère gras dans le texte).
24 Cf. Ac 18.24.
25 W.F. Orr et J.A. Arthur soulignent que le petit nombre de personnes dans l’Eglise répondant à la description du v. 26 «[…] allait à l’encontre de la sagesse du monde car, d’un point de vue humain, le nouveau mouvement se devait de chercher des gens d’influence, prospères et puissants, afin de lui donner un certain prestige et, ainsi, attirer d’autres personnes. Du point de vue de Dieu, toutefois, l’Eglise trouvait sa force parmi les membres de la société qui étaient sans influence et sans position enviable». 1 Corinthiens (Garden City [NY]: Doubleday & Co, 1976), 161.
26 H. Conzelmann, cité in C. Senft, La première épître de Saint Paul aux Corinthiens (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1979), 43.
27 The First Epistle to the Corinthians (NICNT, Grand Rapids: Eerdmans, 1987), 84.
28 J.-N. Aletti considère, à juste titre sans doute, Rm 9.1-5 comme l’exordium (l’introduction) de l’ensemble des chapitres 9-11. Israël et la loi dans l’épître aux Romains (Paris: Cerf, 1991), 173.
29 Pour des raisons liées à la syntaxe mais aussi au contexte, la traduction du v. 7 proposée par la NBS («Pour être les enfants d’Abraham, tous ne sont pas sa descendance») doit être préférée à celle de Seg, Col, TOB et BJ, etc. («Parce qu’ils sont la descendance d’Abraham, tous ne sont pas ses enfants»). La suite, mettant en avant la descendance (sperma) du patriarche, confirme cette traduction (cf. aussi Ga 3.29).
30 Cf. 9.30-10.4.
31 S. Bénétreau, L’épître de Paul aux Romains, t. II (Vaux-sur-Seine, Edifac, 1997), 42. Au sujet de l’appel dans ces versets, il faut le comprendre, conformément à l’emploi du même verbe en Rm 8.30 («Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés»), comme l’appel souverain, fondé sur l’élection et débouchant sur le salut. En outre, relevons, avec la plupart des commentateurs, que si l’affirmation du v. 12 – «J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü» (citation de Ml 1.2-3) – peut paraître choquante, nous aurions tort d’y voir un quelconque sentiment «haineux». Il s’agit d’un rejet en préférence à quelqu’un (ou quelque chose) d’autre. Dans le contexte du livre de Malachie, Dieu souligne par ces mots qu’Edom, descendant d’Esaü et ennemi traditionnel d’Israël, n’a pas été épargné par le jugement – alors que Dieu reste attaché à son peuple (= Jacob).
32 Les notes de la TOB sont typiques de cette interprétation: «Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur porté sur les deux fils d’Isaac, mais de la place et du rôle de la descendance de chacun d’eux dans l’histoire du salut.» (C’est nous qui soulignons.) Cf. aussi la discussion de G.C. Berkouwer, Divine Election (Grand Rapids: Eerdmans, 19772), 66-73. S. Bénétreau souligne à juste titre que la préoccupation de Paul dans ces versets touche d’abord à la distinction entre des individus (Isaac, Jacob et Esaü, Pharaon…). L’épître de Paul aux Romains, 43.
33 Cf. la terminologie partagée entre 8.28-30 et 9.22-24, etc.
34 Rm 9.16, soulignant que la compassion de Dieu n’est pas à la remorque de l’action humaine (vv. 14-15), le montre bien: «Ainsi donc, cela ne dépend pas de celui qui veut (ou tou thelontos) ni de celui qui court, mais de Dieu, qui fait miséricorde (alla tou eleôntos theou).»
35 Cf. Rm 11.7-8, 9-10, 25.
36 Cf., dans ce même sens, N.T. Wright, The Letter to the Romans, 639. Il est important de relever en outre que, dans la perspective de Paul, le refus et l’endurcissement d’Israël n’ont rien d’irréversible; s’ils deviennent effectivement le tremplin pour que l’Evangile soit annoncé aux nations (11.12a, 15a), ils ne sont que partiels (v. 25: «il y a un endurcissement partiel d’Israël…»), et ils s’intègrent au dessein divin de «faire miséricorde à tous» (v. 32b), aux païens comme aux Juifs.
37 Le terme proetoimazô («préparer d’avance») rappelle les termes proginôskô («connaître d’avance») et proorizô («pré-destiner») de Rm 8.29-30. Comment faut-il comprendre l’idée des «vases (skeuê) formés pour la perdition (eis apôleian)» (v. 22)? Il convient de noter l’allusion à Es 54.16 (LXX), le seul autre passage dans l’Ecriture où l’on trouve l’expression: «Voici, je ne te crée pas comme un forgeron soufflant sur des charbons et produisant un ustensile en vue d’un travail (skeuos eis ergon); je ne t’ai pas créé pour la perdition (eis apôleian), afin de te détruire.» Dans ce chapitre d’Esaïe, c’est la délivrance accordée par le Serviteur de l’Eternel (Es 52.13-53.12) qui est mise en relief (cf. 54.1-15). Conformément à ce contexte, l’accent de Paul en Rm 9 n’est pas d’abord sur ceux qui sont «préparés pour la perdition» mais sur ceux qui ne le sont pas! L’apôtre applique à ses lecteurs la promesse de la délivrance opérée par le Serviteur, y incluant ceux qui sont appelés «non seulement d’entre les Juifs, mais d’entre les nations» (v. 24).
38 Paul emploie encore le terme eklogê («élection») en Rm 11.5, 7 et 28, pour désigner ceux qui, au sein d’Israël ethnique, sont élus. Ce sont ceux à qui Dieu s’est attaché afin de les sauver et qui constituent «son peuple qu’il a connu d’avance (proegnô)» (11.2). En rapport avec la discussion du chapitre 9, il s’agit d’Israël «selon la promesse» (9.6), la vraie descendance d’Abraham, caractérisée par la foi en Christ.
39 S. Légasse écrit à juste titre, au sujet du terme eklogê («élection») qu’«avec le verbe correspondant, eklegesthai, et l’adjectif eklektos, il exprime un concept central de la théologie paulinienne». Les épîtres de Paul aux Thessaloniciens (coll. Lectio Divina, comm. 7, Paris: Cerf, 1999), 84. Cf. aussi W.A. Elwell: «Les idées d’élection et de prédestination, intimement liées entre elles, sont des éléments cruciaux dans la structure théologique de la pensée de Paul. Si l’apôtre ne les développe nulle part en tant que thématiques à part, s’il n’en utilise pas souvent les termes, c’est parce qu’ils faisaient partie des soubassements mêmes de sa pensée.» «Election and Predestination», Dictionary of Paul and His Letters (éd. G.F. Hawthorne, R.P. Martin, D.G. Reid, Leicester: InterVarsity Press, 1993), 225.