Compte rendu du COLLOQUE DE L’AFETE 2006
L’Association francophone européenne de théologiens évangéliques (AFETE) a tenu son colloque les 4 et 5 septembre 2006, à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, avec, pour thème, la violence de Dieu.
« Nous atteignons un rythme de croisière », affirmait Jacques Buchhold, le président de l’AFETE, lors de l’ouverture de ce colloque. Il s’est aussitôt rendu compte de son audace: après tout, l’AFETE n’existe que depuis 2004 et en est, ainsi, à son deuxième colloque. La remarque démontrait, en tout cas, l’optimisme résolu avec lequel la jeune association envisage son rôle et son avenir; à part les colloques, on a évoqué un site web et la possibilité, à terme, d’une revue. Pour l’instant, les actes du colloque 2006 devraient paraître dans un numéro de la revue Hokhma. Nous offrons, ici, un bref résumé du contenu des interventions.
Le colloque s’est ouvert par une étude de Paul Wells, qui s’interrogeait sur le caractère de l’hospitalité de Dieu: est-elle inconditionnelle ou peut-on déceler des conditions? Puis, le thème de la violence de Dieu a été principalement traité par Philip Johnston, directeur du Wycliffe Hall, à Oxford, et spécialiste de l’Ancien Testament.
En traitant, le premier jour, des « manifestations historiques de la violence de Dieu dans l’Ancien Testament », Philip Johnston distinguait la catégorie souvent négligée de la « violence » contre le monde (la malédiction de Genèse 3, le déluge et le châtiment qui a suivi la construction de la tour de Babel), de la « violence » contre les nations, à coup sûr le problème le plus connu. Les guerres de Yahvé sont motivées par trois types de considérations, suivant les cas: elles constituent un châtiment du péché (Dt 9.5); l’extermination des Cananéens est aussi présentée comme une « mesure préventive » pour éviter la contamination des Israélites par l’idolâtrie (Dt 7.2-4); enfin, elles apparaissent comme une anticipation du jugement dernier. Ensuite, il a été question de la « violence » contre Israël (l’exil, notamment, qui pose moins de problèmes dans la mesure où il est clairement défini comme une sanction méritée pour les péchés du peuple) et de la « violence » contre des individus (Gn 22, 32; Ex 4; Job…).
Dans une intervention en réponse à celle de l’orateur principal, Emile Nicole a posé la question de la définition de la violence: peut-on parler de violence quand il s’agit d’usage légitime de la force? Des débats animés qui ont suivi ressortait le souhait de distinguer entre fureur de Dieu, colère de Dieu et violence: cette dernière est action, alors que la colère est une disposition. De même, ceux qui prônent la non-violence (cette désignation est utilisée ici à défaut de mieux, sans aucune connotation négative!) devront trouver une réponse au fait que le peuple de Dieu engage des actions armées contre les sept peuples de Canaan sur ordre de Dieu lui-même.
Dans une étude sur le Nouveau Testament, Christophe Paya se demandait quel portrait le Nouveau Testament donne de Dieu: un Dieu plutôt démissionnaire ou un Dieu plutôt actif? Si les évangiles synoptiques soulignent la présence active et immédiate de Dieu, il y a aussi des moments d’absence (en particulier lors de la Passion du Seigneur), mais sur un fond de présence souveraine englobante. Le corpus johannique souligne davantage la présence du Père et du Fils qui viendra: l’absence (certains diraient la « non-mention ») de Dieu n’est qu’apparente, Dieu se manifestant en Jésus-Christ.
Le lendemain, Philip Johnston a repris le thème de l’absence de Dieu dans l’Ancien Testament. C’est du célèbre texte d’Esaïe 45.15 (« Tu es un Dieu qui te caches ») qu’est issue l’expression Deus absconditus en théologie; en fait, il est loin d’être le seul à énoncer l’idée de l’absence divine! En effet, après avoir rappelé que Dieu est, de toute façon, absent dans deux sens qu’on a tendance à oublier (il est au ciel et il ne peut être représenté par des images), l’orateur principal du colloque a apporté un survol impressionnant d’un nombre important de textes présentant Dieu comme absent, invisible ou silencieux. En survolant ensuite les différentes interprétations de ces textes, il a repéré six tendances:
a) minimiser les textes, en soulignant ce qu’ils ont de positif (« très évangélique »);
b) les expliquer par le péché;
c) y voir un malentendu humain: Dieu semble loin seulement (position intenable pour Esaïe 54.7-8 cependant!);
d) une approche dialectique (Terrien et al.) consistant à affirmer la présence de Dieu dans son absence: cette approche paraît très éloignée de la pensée hébraïque;
e) invoquer l’idée d’une évolution de la pensée religieuse, où la présence de Dieu s’affirme de plus en plus: on se heurte alors aux problèmes de datation des textes d’une part, et à l’absence de tout texte « critiquant l’ancienne idée » d’autre part;
f) une approche nuancée qui accepte que Dieu est parfois absent.
Dans sa réponse, Henri Blocher a souligné la difficulté de connaître Dieu (avec le symbolisme des ténèbres qui entourent sa présence), mais a récusé l’approche dialectique. La manifestation de Dieu sur terre n’est pas une contradiction comme le soutient Barth (qui oppose forme et contenu), mais une condescendance: l’incarnation pousse à son comble l’humilité de l’amour de Dieu! De plus, bien entendu, le mystère opaque du mal demeure. Dans le débat qui a suivi, on a pu souligner la nécessité d’intégrer les interrogations, les doutes et les plaintes dans notre piété, tout en gardant une attitude juste envers Dieu (« davantage comme dans Habaquq 3 que dans Job, à qui Dieu reproche d’être allé trop loin »). Une fois de plus, le colloque a montré que, pour les théologiens évangéliques francophones, la réflexion théologique, y compris sur des thèmes très ardus, ne va jamais sans une réflexion vive et soutenue quant à la vie de piété du théologien.
La dernière contribution, apportée par Neal Blough, portait sur le thème de la violence de Dieu durant l’histoire du christianisme. Elle rappelait que les premiers Pères ne justifiaient certainement pas la violence des chrétiens par un appel à la justice divine. L’orateur a, ensuite, présenté la thèse de James Russel selon laquelle l’Eglise se serait progressivement germanisée: la christianisation des tribus germaines aurait entraîné une germanisation de la théologie chrétienne. Parmi les conséquences de ce phénomène, on constate une influence croissante de l’élément magico-religieux (culte des morts, influence des objets, messes privées…) et de l’élément politico-religieux, notamment par l’incorporation de la caste des guerriers dans la structure théologique, ce qui posait les bases de la chevalerie médiévale et des Croisades! Dans un tel schéma, la violence de Dieu sert, bien entendu, de justification à celle des hommes… La situation après la Réforme est plus nuancée, mais les réformateurs, se mettant sous la protection des princes, ont justifié en général leur pouvoir (à l’exception notable, bien entendu, de la Réforme radicale). Le dernier débat qui a suivi cette intervention remarquée tournait surtout autour de la question de l’usage de la force. Il s’est terminé par un rappel, touchant là encore à la piété: notre Seigneur a donné l’exemple du Serviteur souffrant, et non pas du soldat combattant…
Martin Slabbekoorn, pour l’AFETE