L’IDENTITÉ CHRÉTIENNE DANS UN MONDE PAÏEN
Le regard de l’apôtre Paul
Donald COBB*
Paul parle peu – du moins de façon explicite – de l’identité chrétienne. Il y a des raisons précises pour cela. Tout d’abord, l’interrogation sociologique sur la construction de l’identité personnelle est récente; elle est intimement liée à notre société actuelle, qui a tendance à faire de l’individu le point de départ de la réflexion pratique et théorique. Serait-il exagéré de dire que ce questionnement identitaire est, en grande partie, le produit d’une société obnubilée par le moi, prédisposée par conséquent à l’introspection? Paul, en tout cas, n’entre pas dans cette perspective. Paul est un homme qui se sait chargé d’une mission, et sa préoccupation n’est pas que les Eglises qu’il a fondées fassent de l’introspection, mais qu’elles soient, au contraire, prises dans une dynamique de témoignage et d’expansion.
Certes, Paul se préoccupe de la façon dont ces communautés et leurs membres se voient et se comprennent. On pourrait dire que, sans aucun doute, il est soucieux de leur donner une identité leur permettant d’avancer dans la foi malgré l’opposition qu’ils peuvent rencontrer. Seulement – et c’est là que les choses se compliquent singulièrement pour nous –, ce n’est jamais de cette façon qu’il le dit! Il en découle que poser la question de l’identité chrétienne chez Paul n’est pas chose simple. Pour être plus précis, ce qui préoccupe Paul dans ses relations avec les Eglises, ce n’est pas tant de leur forger une identité nouvelle que de tirer les conséquences d’une identité déjà donnée, d’établir une cohérence entre ce que font les chrétiens… et ce qu’ils sont.
En abordant ce sujet, une autre difficulté surgit, d’ordre plus général: qu’est-ce qui relève de notre identité? Plus exactement, qu’est-ce qui n’en relève pas? N’est-ce pas que tout ce que nous sommes définit et, en même temps, exprime une certaine réalité identitaire? De même, ne doit-on pas dire que tout ce que nous faisons définit et, en même temps, exprime ce que nous sommes? Mais c’est dire qu’en parlant de l’identité chrétienne, nous risquons de tout devoir dire… et, finalement, de ne rien dire du tout!
I. Pour préciser la démarche: quelques éléments de sociologie
A défaut de tout pouvoir dire sur le sujet, peut-on trouver des éléments permettant une première orientation à notre investigation? La sociologie moderne reconnaît plusieurs données essentielles contribuant à l’identité de la personne. J’en retiens ici quatre:
– L’importance de pouvoir se situer en continuité avec un passé, de se savoir lié à un héritage qui nous précède et fournit un enracinement dans le temps1.
– En même temps que l’héritage du passé, il y a un rapport avec l’avenir, ce que nous voulons devenir, ce vers quoi nous tendons2.
– De même, l’identité se construit dans le jeu entre la différence et la ressemblance. Différence à l’égard des uns, car je ne peux être moi-même qu’à condition de me distinguer des autres.
– Mais ressemblance, puisque, dans l’identité, il y a une connotation d’identification, voire d’identique3. Autant il faut pouvoir me distinguer des uns, autant j’ai besoin de voir dans d’autres une sorte de « miroir » de ce que je suis ou, en tout cas, de ce que je peux espérer être4.
Trouve-t-on ces quatre éléments dans les écrits de Paul? Si oui, de quelle façon? Voilà la question à laquelle je me propose de répondre dans le présent article. Cependant, en reprenant ces observations sociologiques, il faut préciser. S’il est vrai que la sociologie reconnaît l’importance de ces éléments (et d’autres encore), il s’agit là d’une reconnaissance. Mon propos n’est donc pas d’imposer des théories sociologiques sur l’Eglise du Nouveau Testament, mais bien de voir si ces données déjà constatées se trouvent aussi chez l’apôtre.
Avant de faire cela, il importe toutefois de voir, rapidement, à quelles situations les Eglises auxquelles Paul écrivait pouvaient être confrontées.
II. La situation des premiers chrétiens
Il faut d’abord se rendre compte de la diversité dans les Eglises que Paul a établies, diversité liée, en tout premier lieu, à des questions d’ethnicité: à la base des communautés pauliniennes se trouve presque invariablement l’évangélisation des Juifs ou prosélytes de la synagogue, des « craignant Dieu », et des membres non juifs de l’Empire romain. C’est dire que la plupart des Eglises avec lesquelles Paul était en relation étaient composées à la fois de judéo-chrétiens et d’helléno-chrétiens et, par conséquent, tiraillées entre deux entités différentes, n’appartenant pleinement ni à l’une ni à l’autre. Incontestablement, les premiers chrétiens, particulièrement ceux d’origine juive, pouvaient subir des hostilités de la part des Juifs non chrétiens, pour qui la foi chrétienne était une forme déviante du judaïsme (Ac 17.5-9)5.
A côté de cela, les Eglises pauliniennes rencontraient également des difficultés dans leurs rapports avec la société païenne (1Th 1.14; 2Th 1.4-6; Ph 1.27-30)6. La confession de l’unique Dieu, qui s’est fait connaître en Jésus-Christ, entraînait nécessairement un rejet des innombrables divinités qui constituaient le panthéon gréco-romain, ce qui suscitait des oppositions, parfois intenses, de la part de ceux qui y adhéraient. Rappelons-nous que, contrairement à nos sociétés occidentales, il n’existait dans l’Antiquité aucune séparation entre religion, culture et politique: on le sait, la stabilité de l’Empire romain était assurée par le dieu Jupiter et le culte officiel, dont l’empereur était, à partir de 12 après Jésus-Christ, le pontifex Maximus. En outre, César lui-même, de son vivant et après sa mort, était considéré (surtout dans les parties orientales de l’empire) comme divi filius, fils de dieu. Or, dans une telle situation, ne pas participer aux cultes païens ou, pire encore, refuser de confesser, avec l’ensemble de l’empire, Kaïsar Kyrios – « César est Seigneur » – équivalait à refuser l’allégeance à l’Etat et à s’élever contre la société elle-même7.
C’est ce qui explique non seulement les persécutions organisées à partir de Néron, mais encore l’accusation souvent lancée contre les chrétiens d’être « athées », ou encore « misanthropes »8. Les témoignages extrabibliques montrent que les auteurs païens n’ont pas hésité à qualifier la foi chrétienne de « superstition nouvelle et pernicieuse », de quelque chose de « honteux », voire de « dépravé »9. Comme l’Apocalypse le fait clairement comprendre, cette situation inconfortable avait même des répercussions sur le plan économique, puisque les chrétiens s’excluaient de fait des guildes des artisans, placées immanquablement sous l’égide de tel dieu patron.
Ce qui devait peser tout autant que cette hostilité sur les plans social, politique et professionnel, c’était les insultes, railleries et réflexes de discrimination portés régulièrement contre les croyants10.
Il va de soi que la situation de l’Eglise au Ier siècle a été variée; il faut sans doute se garder de noircir de façon caricaturale le tableau, trop rapide, que nous venons d’évoquer. Une chose, pourtant, demeure claire: les chrétiens, d’arrière-plans aussi bien juif que païen, ont dû supporter le rejet, non seulement de la religion qui avait donné naissance à leur foi, mais encore de la société dont ils avaient toujours fait partie. Leur nouvelle situation avait donc pour conséquence de les marginaliser par rapport à leurs origines sociales (leur passé) et aux aspirations de leur culture (leur avenir). De même, si les différences à l’égard de leurs concitoyens – différences avec lesquelles ils n’avaient peut-être pas compté en répondant à l’Evangile – n’étaient que trop évidentes, leur nouvelle foi pouvait donner l’impression de balayer toute ressemblance qu’ils avaient eue et qu’ils pouvaient encore avoir avec eux.
Sans doute la tentation la plus sournoise et la plus fréquente dans cette situation devait-elle être de chercher, consciemment ou inconsciemment, une identification retrouvée avec la société de laquelle ils avaient tout reçu, de recouvrer les assises de leur identité passée. C’est donc dans ce contexte que se pose, avec une acuité particulière, notre question d’identité chrétienne. Reprenons donc – en bousculant légèrement l’ordre – ces éléments identitaires que nous avons déjà repérés.
III. Eléments d’une identité chrétienne dans les épîtres de Paul
A) L’identité chrétienne dans la différence
Une première chose peut surprendre: Paul n’amoindrit pas, mais au contraire accentue la différence entre les chrétiens et la société où ils vivent. Dans ce qui est sans doute la plus ancienne lettre que nous possédons de sa part, Paul fait une opposition sous-entendue entre la société (1Th 5.3) et les croyants11: « Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur; vous êtes tous fils de la lumière et fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit ni des ténèbres. Ainsi donc, ne dormons pas comme les autres (hoi loipoi) (…). Nous qui sommes du jour, soyons sobres. » (Versets 4-8) On le voit, l’ensemble de ces versets s’articule autour d’une opposition entre « vous » et « les autres ». L’apôtre reprend ici une distinction connue par ailleurs dans le judaïsme, notamment dans les écrits de Qumrân, entre « les fils de lumière » et « les fils de ténèbres »12 et qui met en relief, de façon particulièrement nette, la différence entre l’Eglise et la société qui l’entoure; dire que l’on est « fils de lumière » ou « fils de ténèbres », c’est affirmer qu’il y a deux origines, deux orientations et deux situations fondamentalement divergentes.
Un autre passage (Ep 4.17-20) met en avant cette même opposition entre chrétiens et membres de la société; après avoir souligné la mentalité et le comportement déréglé de leurs contemporains, Paul dit aux croyants: « Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris à connaître le Christ. » (Verset 18)
Il convient sans doute de ne pas accorder une portée disproportionnée à ces passages; néanmoins, force est de constater que ce ne sont pas les seuls13, et que ces affirmations font partie d’une compréhension plus globale chez Paul des frontières identitaires qui délimitent les croyants des non-croyants – frontières que l’on voit d’ailleurs dans l’opposition entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors »14, ou encore entre « les saints » et « le monde » (1Co 6.1-2).
Ce qui, en un sens, est tout aussi surprenant, c’est de voir que Paul étend cette différence au passé des chrétiens eux-mêmes; il y a une distinction entre les membres de la communauté et ce qu’ils étaient précédemment. Ainsi Paul fait, en Ephésiens 5.5-7, une énumération des vices qui caractérisent « les fils de la rébellion » (verset 6)15. Puis, en reprenant des termes qui rappellent 1Thessaloniciens 5, il dit: « Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Vivez comme des enfants de lumière. » D’ailleurs, cet « autrefois » (poté) séparant l’identité présente et passée des chrétiens revient dans les écrits de Paul comme un refrain16.
Dans la situation fortement laïcisée où nous vivons, ces différences peuvent gêner et nous serions peut-être tentés de les émousser dans l’affirmation de notre identité chrétienne; Paul les maintient. Et ce n’est pas pour rien. Dans un contexte d’hostilité, où les croyants représentaient une infime minorité, Paul savait que ces différences étaient essentielles pour maintenir une spécificité chrétienne17. Pourtant, là où, dans d’autres circonstances, cette même mise en avant des différences pouvait conduire à un mépris de ceux « du dehors » – pensons en particulier à Qumrân –, Paul veille à ce que ces distinctions ne deviennent jamais source d’exclusion18. Au contraire, ses lettres abondent en exhortations à manifester une attitude de sollicitude « envers tous », et à maintenir une pratique de bonté à l’égard de ceux « du dehors »19.
B) Un nouveau passé pour ceux qui sont « en Christ »
Si les chrétiens sont différenciés de leurs contemporains à cause de leur foi et, plus encore, arrachés à leur propre passé, comment peuvent-ils recouvrer un sens d’enracinement, d’appartenance à un héritage qui les précède? En fait, nous arrivons, avec cette question, à un point crucial. Pour Paul, les croyants ne sont pas sans passé puisque, en tant que membres de l’Eglise, ils sont intégrés au peuple de Dieu qui les a devancés. Le peuple du Seigneur, qui plonge ses racines dans l’Ancien Testament et remonte à l’élection d’Abraham, trouve son expression présente dans l’Eglise.
Paul donne l’explication théologique de cela en Romains 11.16-24, où il rappelle aux chrétiens d’origine païenne qu’ils ont été « greffés », comme des branches d’olivier sauvage, à un arbre qui trouve ses origines dans les patriarches. Mais cette conscience de l’enracinement dans le peuple de Dieu de l’Ancien Testament se voit encore à maintes reprises ailleurs. Ainsi, par exemple, Paul applique aux chrétiens les titres que l’Ancien Testament emploie pour désigner Israël: ceux qui appartiennent au Christ, dit-il, sont les vrais « appelés »20, les « saints »21 et les « élus »22, ou encore la « descendance d’Abraham », les « enfants de la promesse » (Ga 3.28, 4.28).
Paul met donc en évidence un nouveau passé auquel les chrétiens – notamment les chrétiens d’origine païenne – ont accédé et qui, à plus d’une reprise, frôle le paradoxe. On peut penser à sa manière d’employer le terme même de « païens » qui, dans l’Ancien Testament, désigne les nations et a souvent une forte connotation éthique: les païens sont ceux qui ne font pas partie de l’alliance de YHWH. Or, pour l’apôtre, les chrétiens, quel que soit leur passé vécu, ne sont justement plus des païens; cela ne fait plus partie de leur identité (cf. 1Co 12.2)23. L’expression la plus claire de cela se trouve, sans doute, en Ephésiens 2.11-22, où Paul rappelle que ses lecteurs, « autrefois (…) païens dans la chair », privés alors « du droit de cité en Israël (tês politeias tou Israêl), étrangers aux alliances de la promesse » (verset 12), sont désormais « concitoyens (sumpolitai) des saints, membres de la famille de Dieu » (verset 19). L’identité des chrétiens ne se trouve donc plus dans le passé « naturel » de ceux-ci, mais dans un autre passé, celui du peuple de Dieu qui, d’après Paul, est réellement devenu le leur24.
Il est important de noter, en passant, une implication concrète de cet héritage passé. Devenus membres d’une autre « société », les chrétiens doivent se considérer comme tels. Dans une situation d’opposition et d’hostilité croissante de la part de leurs concitoyens, Paul dit aux chrétiens de Philippes: « Conduisez-vous d’une manière digne de l’Evangile du Christ. » (Ph 1.27) Or, cette traduction ne rend pas pleinement compte de la pensée de l’apôtre, puisque le verbe politeuomai signifie plus exactement: « vivre en citoyen », « jouir des droits et exercer les devoirs d’un citoyen ». L’exhortation que Paul adresse aux chrétiens concerne donc les membres d’une société particulière, d’un peuple dont la citoyenneté (politeuma) est « dans les cieux » (Ph 3.20)25. L’apôtre appelle ses lecteurs à se comporter en fonction de leur appartenance à une autre société – celle du peuple de Dieu, destiné au royaume céleste – et, ainsi, à rechercher l’unité en combattant pour la foi de l’Evangile (Ph 1.27)26.
C) La perspective future des chrétiens
Pour les sociologues, l’identité de la personne se forge également dans un rapport avec l’avenir, dans le fait de se projeter vers un devenir auquel on s’identifie. Il y a, là encore, un point commun avec les écrits de Paul, car une des perspectives fondamentales de l’apôtre, voire du Nouveau Testament tout entier, est l’espérance à l’égard d’un avenir qui oriente l’existence présente. Pourtant, ce qui est étonnant chez Paul, ce n’est pas tant ce regard porté vers l’avenir que la fréquence avec laquelle il revient.
Cela est particulièrement manifeste dans les épîtres à l’Eglise de Thessalonique, où Paul rappelle que ses lecteurs se sont détournés des idoles pour servir le Dieu véritable et « pour attendre des cieux son Fils, qu’il a ressuscité d’entre les morts, Jésus, qui nous délivre de la colère à venir » (1Th 1.10). L’orientation fondamentale du chrétien – ce qui détermine son agir et son être – est fournie, d’après ce passage, par l’attente de l’apparition du Christ. D’ailleurs, cette insistance sur l’« avènement du Seigneur » ou le « jour du Seigneur » revient dans pratiquement tous les chapitres de la correspondance aux Thessaloniciens27.
En même temps, ce regard fixé sur l’avenir n’est pas limité aux débuts du ministère de Paul, comme un élément de l’apocalyptique juive dont l’apôtre se serait progressivement débarrassé; il constitue, au contraire, une véritable assise de la prédication. On en trouve une expression typique (et en même temps révélatrice) dans l’enseignement sur la justification par la foi. En raison de certaines affirmations, on pourrait penser que cette justification est entièrement une réalité présente: « Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu. » (Rm 5.1) Ou encore: « Nous sommes maintenant déclarés justes [= justifiés] grâce à son sacrifice. » (Verset 9, Semeur). Pourtant, comme certaines recherches récentes l’ont souligné à nouveau, cette déclaration présente, fondée sur l’œuvre passée du Christ, anticipe sur la déclaration divine qui sera faite au sujet des croyants au dernier jour28. Aussi Paul peut-il affirmer dans un autre passage: « Pour nous, c’est de la foi que nous attendons, par l’Esprit, l’espérance de la justice. » (Ga 5.5)29 Ici comme ailleurs, c’est l’avenir qui détermine, pour le chrétien, l’orientation et le comportement présents.
Enfin, cette perspective future ressort dans tout ce que Paul dit au sujet de l’espérance. En effet, si déjà nous jouissons d’un salut obtenu en Christ, nous ne le possédons de fait qu’en espérance (Rm 8.23-25). Ce dont « nous nous glorifions » (kauchômetha), c’est-à-dire les assises de notre identité, c’est l’« espérance de la gloire » – gloire dont l’acquisition totale reste future (Rm 5.2). C’est pourquoi l’espérance fait partie, avec la foi et l’amour, « de ce qui demeure » (1Co 13.13); elle constitue une orientation fondamentale qui doit marquer de son empreinte la totalité de la vie chrétienne30. Ce que nous sommes, dit Paul, ce qui doit dicter notre façon de nous regarder, est ce qui reste encore devant nous.
D) Une double identification: « verticale » et horizontale »
Nous l’avons vu, l’identité ne s’établit pas dans la différenciation seulement; elle se construit aussi dans l’identification. Là encore, les écrits de Paul ne sont pas en reste. Cette identification est de plusieurs sortes. D’abord, sur le plan horizontal, avec d’autres croyants. Ainsi, pour l’Eglise de Thessalonique confrontée à une opposition potentiellement déstabilisatrice et à une marginalisation sur le plan social, Paul souligne que ses membres sont « devenus un modèle pour tous les croyants en Macédoine et en Achaïe » (1Th 1.7). Loin de se cantonner dans l’isolement, leur foi se raconte dans les Eglises sœurs « à tel point, dit Paul, que nous n’avons pas besoin d’en parler » (verset 8). Or, comme le souligne D. DeSilva, cet encouragement de l’apôtre n’a rien d’un compliment gratuit; dans une situation où les anciens réseaux d’amitié se rétrécissent, Paul met en évidence de nouveaux liens, une nouvelle communauté avec laquelle les croyants peuvent s’identifier31.
La même démarche se rencontre lorsque Paul présente la conduite d’autres chrétiens comme autant d’exemples à imiter (cf. 2Co 8.1-5; 1Th 2.14), ou encore – chose peut-être surprenante pour nous, mais qui se comprend dans cette perspective de construction d’une nouvelle identité – lorsque l’apôtre se met lui-même en avant comme un modèle pour ses lecteurs. Comme il le dit en Philippiens 3.17: « Soyez tous mes imitateurs, frères, et portez les regards sur ceux qui marchent selon le modèle que vous avez en nous. »32 Pour affermir l’identité chrétienne, Paul propose une identification concrète.
Ayant dit cela, nous n’avons pas encore vu l’essentiel: avec ce point, nous touchons en fait du doigt un des éléments les plus essentiels de la pensée de Paul, à savoir notre identification – verticale – avec le Christ lui-même. On peut penser à des passages comme Philippiens 2.1-11, où Paul encourage ses lecteurs à avoir « en eux la même pensée qui était en Christ-Jésus », lui qui n’a pas cherché son propre intérêt, mais s’est abaissé, allant jusqu’à la croix pour les autres. Le Christ est ici le « miroir » des attitudes et du comportement auxquels les chrétiens doivent aspirer33.
En même temps, cette identification avec le Christ va infiniment plus loin qu’une simple question d’imitation. Dans une perspective qui reste difficile à cerner totalement, Paul rappelle dans maints passages qu’en raison de l’identification des chrétiens avec le Christ, ce qui est vrai pour lui vaut aussi pour eux. En d’autres termes, l’œuvre du Christ fournit la détermination décisive de l’existence présente et future de ceux qui sont « en lui ».
Aussi peut-il affirmer en 2Corinthiens 5.17: « Si quelqu’un est en Christ – nouvelle création! Les choses anciennes sont passées; voici, de nouvelles choses sont advenues. »34 Ce n’est pas que, d’un simple revers de la main, la vie concrète soit transformée de fond en comble; mais unis à celui qui, dans son existence de Ressuscité, incarne la nouvelle création, nous devons, dit Paul, comprendre notre existence présente à la lumière de ce qui est vrai en Christ. De la même façon, il dira, quelques versets plus loin: « Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (Verset 21) L’identité des croyants ne se construit pas en rapport avec les seules situations qu’ils vivent ici et maintenant; au contraire, définis par leur nouveau statut « en Christ », ils doivent se considérer dans l’optique précise de ce qu’est leur Seigneur: non pas justifiés seulement, mais « justice de Dieu ».
Dans un passage remarquable, Paul dit aux chrétiens de Colosses: « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. (…) Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. » Encore une fois, ce n’est pas que l’immortalité physique soit déjà le partage des chrétiens. Paul précise ailleurs que notre existence physique et psychique (« notre homme extérieur ») « se détruit » encore35. Pourtant, en raison de celui auquel ils appartiennent, la destinée ultime des chrétiens – le miroir de ce qu’ils seront – trouve son expression parfaite et sa réalité présente en celui qui siège à la droite du Père. Leur identité véritable est « cachée », contenue entièrement en lui. Voilà pourquoi l’apôtre poursuit en disant: « Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire. »36 Notre identité, dit Paul, ce que nous sommes, est indissociablement lié à notre identification avec le Christ.
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Bien que n’employant pas l’expression, Paul fait donc de l’identité chrétienne un élément essentiel de son enseignement; non pas – nous l’avons vu – en forgeant une nouvelle identité pour ses communautés, mais en mettant en relief les richesses qui leur sont données en raison de leur appartenance au Christ.
IV. Quelques applications pour une Eglise confrontée au « néopaganisme »
Il ne faudrait pas, cela va de soi, faire un « placage » trop facile du contexte des Eglises pauliniennes sur nos situations ecclésiales du début du XXIe siècle. Il n’empêche que les points de rapprochements avec l’époque de Paul sont, à certains égards, réels et même nombreux. On peut se demander, en outre, si nous n’allons pas aujourd’hui, pour reprendre le propos de Monseigneur Hyppolyte Simon, « vers une France païenne » ou, plus globalement, vers une situation où régnera, en Occident, un nouveau paganisme37. Les sociologues du religieux soulignent pour qui veut l’entendre que nous assistons peut-être dans nos pays à un évidement ultime du christianisme du sein de la société38. Point n’est besoin de partager ce pronostic jusqu’au bout pour prendre conscience de la situation largement minoritaire, fragile, que l’Eglise occupe aujourd’hui et, donc, de la nécessité de nous poser la question de son identité au sein d’une société dite « postchrétienne »39.
En rapport avec les quatre points que nous avons évoqués, comment l’enseignement de Paul peut-il éclairer nos situations actuelles d’Eglises? J’offre aux lecteurs, dans les lignes qui suivent, quelques réflexions personnelles sur le sujet.
Tout d’abord, en tant qu’évangéliques, nous avons, me semble-t-il, été longtemps préoccupés essentiellement par un salut personnel et non par ce que nous sommes, ici et maintenant, en tant que peuple de Dieu, placés dans le monde avec une identité et une responsabilité propres. Ce n’est pas que nous ayons à délaisser l’attitude d’espérance dont il est si souvent question chez Paul; mais si une chose est abondamment claire, c’est que l’Evangile paulinien ne concerne pas seulement le salut futur. Il touche directement la vie présente et notre façon de nous comprendre au sein de la société. Si nous n’avions besoin que d’être sauvés, nous pourrions peut-être nous passer d’une identité particulière. Or, assurément, les écrits de Paul sont remplis de repères identitaires.
Parallèlement à cela, on peut se demander si nous ne cédons pas, parfois, à la tentation de ne voir les différences d’avec nos contemporains que dans le domaine très restreint de la foi personnelle: comme si la seule distinction réelle entre nous et nos concitoyens résidait sur le plan des convictions intimes. Or, l’idée que le chrétien serait comme les autres, sauf au niveau de sa foi, n’a rien de paulinien. L’insistance de l’apôtre porte constamment sur ce qui nous distingue – sans que cela nous sépare pour autant – de nos contemporains, aussi bien dans le domaine de la foi que du comportement, des valeurs fondamentales, des aspirations, des priorités et des perspectives globales. Il y a là, bien évidemment, toute la question de savoir de quelle façon – et pour quelles raisons – nous sommes, en tant que chrétiens, « dans le monde » sans être « du monde ».
Deuxièmement, s’il est vrai que la préoccupation évangélique d’un salut individuel dans l’au-delà (ce qui, soulignons-le, n’est pas synonyme de l’espérance eschatologique de Paul, loin s’en faut!) s’estompe de nos jours en faveur d’une plus grande insistance sur les émotions ou l’expérience immédiate, je crains que nous n’ayons pas là, non plus, des éléments propres à forger une identité chrétienne telle que le Nouveau Testament la conçoit. Pour Paul, un des éléments centraux de ce que nous sommes aujourd’hui, ce n’est pas l’immédiateté ou l’intensité de nos expériences, mais ce que nous serons, ce qui nous oriente par rapport à l’avenir ultime. Or, ces accents proprement eschatologiques de l’Evangile ne sont-ils pas fréquemment mis en sourdine dans notre prédication actuelle? L’Eglise du XXIe siècle, pour retrouver une identité forte dans la situation qui est la sienne, aurait tout avantage, me semble-t-il, à redécouvrir que la vie chrétienne se définit non seulement par l’amour et la foi, mais aussi par l’espérance.
Puis, enfin, si l’Eglise n’a pas aujourd’hui une notion claire de son identité propre, c’est peut-être parce qu’elle a trop souvent perdu de vue la détermination fondamentale et décisive que lui fournit le Christ lui-même. Dans la perspective du Nouveau Testament, notre identité se construit d’abord non en rapport avec des considérations sociologiques ou dénominationnelles, mais à l’égard de celui auquel nous appartenons. Ces éléments sociologiques et ecclésiaux ont, certes, une importance réelle. Mais ils ne peuvent qu’être secondaires, complémentaires, dans ce qui détermine notre identité de « chrétiens » – c’est-à-dire de ceux sur qui le nom du Christ a été invoqué.
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Terminons en disant ceci: c’est uniquement dans la conscience, d’une part, de notre différence par rapport à la société où nous vivons et, d’autre part, du fait que cette identité ne dépend pas, ultimement, de ce que nous sommes mais de ce qui nous est donné, que nous aurons un témoignage à rendre dans le monde; car ce témoignage, loin de se situer par rapport à nous-mêmes, renvoie, en effet, à celui à qui nous appartenons et de qui nous avons tout reçu.
En ce sens, clarifier la question de notre identité chrétienne, ce n’est pas nécessairement verser dans l’introspection. C’est plutôt un premier pas nécessaire pour comprendre, non seulement ce que nous sommes au sein de la société actuelle, mais encore la mission que nous sommes appelés à y accomplir.
1* D. Cobb est professeur à Aix-en-Provence.
Cf. A. Muxel, « La mémoire familiale », in C. Halpern et J.-C. Ruano-Borbalan (éd.) Identité(s), L’individu, le groupe, la société (Auxerre: Editions Sciences Humaines, 2004), 161.
2 G. Vinsonneau, « Socialisation et identité », ibid., 66.
3 Comme le dit très justement E. Marc: « Phénomène complexe, l’identité est aussi paradoxale. En effet, dans sa signification même, elle désigne ce qui est unique, et donc le fait de se distinguer et de se différencier irréductiblement des autres. Mais elle qualifie également ce qui est identique, c’est-à-dire ce qui est parfaitement semblable tout en restant distinct. Cette ambiguïté sémantique a un sens profond: elle suggère que l’identité oscille entre la similitude et la différence, entre ce qui fait de nous une individualité singulière et qui dans le même temps nous rend semblables aux autres. » « La construction identitaire de l’individu », ibid., 34.
4 Cf., sur l’importance du « soi-miroir » pour la construction de l’identité, D. Martinot, « Le soi en psychologie sociale », ibid., 46.
5 D. DeSilva attire l’attention sur Ga 6.12-13 et souligne que, d’après Paul, l’insistance des enseignants judéo-chrétiens qui voulaient que les pagano-chrétiens de Galatie se fassent circoncire provenait, du moins partiellement, du désir de ne pas subir des persécutions de la part des Juifs non chrétiens. An Introduction to the New Testament (Leicester/Downers Grove: InterVarsity Press, 2004), 105.
6 Cf., pour toute cette partie, E. et W. Stegemann, The Jesus Movement, A Social History of Its First Century (Edimbourg, T&T Clark, 1999), 317ss.
7 Cf. N.T. Wright, The New Testament and the People of God (Minneapolis: Fortress, 1992), 347ss. Il n’est pas sans intérêt de noter que Pline le Jeune, dans sa célèbre lettre à Trajan (110 apr. J.-C.), qualifie les chrétiens de « société politique ». M. Green rappelle avec raison qu’« il n’était pas indispensable que les gens croient aux dieux de l’Antiquité. La foi était une affaire personnelle et privée. Mais on attendait d’eux qu’ils participent au culte de l’Etat; c’était une obligation civique dont dépendait la sécurité de tous. » L’évangélisation dans l’Eglise primitive (Saint-Légier: Emmaüs, 1981), 36.
8 Tacite soulignera que la persécution sous Néron sera la conséquence de la perception que l’on avait des chrétiens, animés, pensait-on, d’un odium humani generis, d’une « haine contre le genre humain ». D. DeSilva, Introduction, 106.
9 Ibid.
10 Comme le souligne D. DeSilva, « un tel point de vue négatif visait à ramener les chrétiens déviants à leur juste place au sein de la société et, en leur faisant honte, de les obliger à réintégrer les valeurs de piété, de loyauté et d’unité civique qu’ils avaient abandonnées ». Ibid., 107.
11 La plupart des traductions suppléent le sujet du v. 3: « quand les hommes diront: paix et sécurité… » (ou « les gens »). Le grec est plus dépouillé: « quand ils diront (hotan legôsin) ».
12 L’exemple le mieux connu est le Règlement de la guerre, décrivant avec force détails « la conquête des fils de lumière… contre le lot des fils de ténèbres, contre l’armée de Bélial » (1QM 1.1). Cf. La Bible, Ecrits intertestamentaires (Paris: Gallimard, 1987), 191ss.
13 Cf. aussi 2Th 1.5-9; 1Co 6.9-11; Ph 1.28.
14 Cf. 1Th 4.12; 1Co 5.12-13; Col 4.5; 1Tm 3.7.
15 Le v. 7 est d’ailleurs frappant dans sa radicalité: « N’ayez donc aucune part avec eux! » Cf. aussi vv. 11-14.
16 Cf. Rm 11.30; Col 1.21, 3.7; Ep 2.2-3, 11, 13; Tt 3.3. Bien que le terme fasse défaut, l’idée est encore présente en 1Co 6.11, où Paul, après avoir passé en revue ceux qui ne peuvent prétendre au Royaume, souligne que l’identité des chrétiens est maintenant autre. P. Tachau a démontré que cette opposition entre « autrefois » et « maintenant » reflète un contraste régulier dans la littérature paulinienne entre le passé païen et le présent chrétien des lecteurs, contraste qui, d’après lui, n’a aucun antécédent clair dans l’Ancien Testament, ni dans le judaïsme intertestamentaire; ‹Einst› und ‹Jetzt› im Neuen Testament (Göttingen: Vandenhoek & Ruprecht, 1972), 52ss et passim.
17 Cette question d’identité que Paul cherche à approfondir chez ses lecteurs est longuement développée dans le contexte de l’Eglise de Rome par P. Esler, Conflict and Identity in Romans, The Social Setting of Paul’s Letter (Minneapolis: Fortress, 2003).
18 La différence entre l’Eglise et la communauté de Qumrân est, à ce sujet, particulièrement saisissante, puisque l’enseignement de celle-ci est communiqué à ceux qui en deviennent membres, « (…) afin qu’ils aiment tous les fils de lumière, chacun selon son lot, dans le Conseil de Dieu, et afin qu’ils haïssent tous les fils de ténèbres, chacun selon sa faute, dans la Vengeance de Dieu » (1QS 1.9 ss). La Bible, Ecrits intertestamentaires, 10 (c’est nous qui soulignons).
19 Cf., par ex., 1Th 3.12, 4.12, 5.15; Ga 6.10; Ph 2.15s, 4.5; Col 4.5s; 1Tm 2.1-6.
20 1Co 1.2, 24; Rm 1.6-7, 8.28.
21 Rm 1.7, 8.27, 12.13, 16.2, 15; 1Co 1.2; 6.1-2; 7.14; 14.33; 16.15.
22 Rm 8.33, 16.13; Col 3.12; 2Tm 2.10; Tt 1.1. Cf. H.N. Ridderbos, Paul, An Outline of His Theology (Grand Rapids: Eerdmans, 1975), 330ss. Comme le dit Ridderbos, pour Paul, l’Eglise « en tant que communion des ‹saints›, est le vrai peuple de Dieu, l’Israël eschatologique, qui peut s’approprier les promesses de Dieu en raison du salut qui s’est manifesté en Christ. De la sorte, l’Eglise est, d’une part, identifiée avec Israël comme le peuple de Dieu mais, d’autre part, distinguée de l’Israël empirique »; ibid., 331s.
23 Comme il le précise en Ep 4.17, puisque les chrétiens ne sont plus des païens, ils ne doivent plus se comporter « comme se comportent les païens (kathos kai ethnê peripatei) ». Cf. aussi 1Th 4.5 et Ga 4.8.
24 Dans un autre passage, non moins paradoxal, Paul se range au côtés des Corinthiens et leur rappelle: « Nos pères ont tous passé au travers de la mer… » (1Co 10.1-5), mettant ainsi en évidence l’enracinement profond de l’identité chrétienne dans celle de l’Israël de l’Ancien Testament. La remarque de G. Fee est ici appropriée: « En appelant Israël ‹nos pères›, [Paul] souligne d’entrée de jeu la continuité entre les Corinthiens et l’action de Dieu dans le passé. » The First Epistle to the Corinthians (Grand Rapids: Eerdmans, 1987), 444. Cf. aussi Rm 4.16 où Paul, dans la discussion des différences entre circoncis et incirconcis, appelle Abraham « notre père à tous ».
25 Cf., par exemple, J.-F. Collange, pour qui cette nuance précise de politeuomai doit être maintenue; L’épître de saint Paul aux Philippiens (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1973), 68s. On peut se demander si Paul ne pense pas d’abord, dans ces deux passages des Philippiens, à la citoyenneté céleste (voire à l’appartenance au royaume « des cieux »), plutôt qu’au peuple de Dieu. Il y a là, nous semble-t-il, une fausse opposition. Pour Paul, les véritables descendants d’Abraham, ceux qui font partie de l’Israël de Dieu, sont membres de « la Jérusalem céleste » (Ga 4.22-31); le royaume éternel est le partage du peuple de Dieu. Mais le lien entre les deux notions est peut-être plus explicite encore, dans la mesure où les seuls autres emplois chez Paul de verbes ou de substantifs formés sur polis/politeia (cité/citoyenneté) se trouvent en Ephésiens 2, en rapport avec l’appartenance au peuple de Dieu. Cf. aussi, dans les évangiles, l’affirmation de Jésus que ses interlocuteurs Israélites étaient, en tant que membres du peuple de Dieu, « les fils du royaume » (Mt 8.12).
26 Cf. aussi Ga 3.28: l’appartenance au Christ – où « il n’y a plus ni Juif ni Grec, (…) ni esclave ni libre, (…) ni homme ni femme » – est indissociablement liée au fait d’être, ensemble, « la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse ». Les différences sur les plans racial, socio-économique, sexuel, sans disparaître, perdent néanmoins leur importance pour la formation de l’identité et la manière de vivre avec les autres membres de la communauté, qui partagent cette même identité (cf. aussi 1Co 12.13; Col 3.11; 1Tm 6.2).
27 Cf. 1Th 2.19, 3.13, 4.13-5.11, 5.23; 2Th 1.10, 2.1-12. On peut également penser à l’affirmation de Ph 3.20-21, proche pour la forme comme pour le fond de 1Th 1.10: « Quant à nous, notre citoyenneté est dans les cieux; de là nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps humilié, en le configurant à son corps glorieux par l’opération qui le rend capable de tout s’assujettir. » (NBS)
28 Nous pensons, par exemple, aux travaux de N.T. Wright, qui souligne, dans plusieurs ouvrages, la compréhension juridique de la justification chez Paul: celle-ci se réfère à la déclaration du Juge céleste dans le procès qui aura lieu au dernier jour. Cf. The Letter to the Romans (Nashville: Abingdon, 2002), 398s et passim. L’élément juridique de la justification est également une constante dans les ouvrages tentant d’apporter des correctifs aux « nouvelles perspectives sur Paul », associées aux noms de E.P. Sanders, J.D.G. Dunn et d’autres.
29 La perspective future de la justification ressort clairement en Rm 2.13, 3.20, 30; 2Tm 4.8.
30 Cf. aussi Rm 5.5, 12.12, 15.4, 13; 2Co 3.12; Ep 1.18, 2.12, 4.4; Col 1.5, 23, 27; 1Th 1.3, 5.8, etc.
31 Introduction, 537. Cf. Col 1.3-8 et Ph 1.3-8.
32 1Co 4.6; 11.1; 1Th 1.6; 2Th 3.7, 9. Cf. aussi Ga 6.14; Ph 1.12-24, 30; 3.4-14; 1Tm 1.16; 2Tm 1.8; 2.2; 3.10-12, où, de façon explicite ou implicite, Paul se donne en exemple de la conduite ou des attitudes à adopter.
33 Cf. Ep 5.2; 1Th 1.6.
34 Notre traduction. On peut relever que la traduction habituelle – « les choses anciennes sont passées; voici: toutes choses sont devenues nouvelles » (Col, etc.) – repose sur une addition secondaire au texte de Paul (les mots ta panta se trouvent dans D2, 33, et plusieurs onciaux et minuscules tardifs; en revanche, il est omis dans p46, Sinaiticus, B, C, D*, F, G et un nombre important de minuscules).
35 2Co 4.16; cf. Rm 8.10.
36 Dans cette même perspective, Paul affirme, dans sa lettre aux Ephésiens, que Dieu « nous a rendus à la vie avec Christ (…), il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ » (Ep 2.5-6). Il va de soi que, dans la pensée de Paul, celui qui est ressuscité et qui siège « dans les lieux célestes », c’est le Christ lui-même. Mais les conséquences de l’association intime entre le Christ – la « tête » de l’Eglise, qui « remplit tout en tous » (1.22-23; cf. 4.15; 5.23) – et ceux qui lui appartiennent commencent à se faire sentir, dès à présent, dans la façon dont ceux-ci se comprennent… et se comportent (cf. v. 10). Comme le dit A.T. Lincoln, les lecteurs de cette épître, « (…) en se rappelant l’intervention de Dieu en leur faveur, ainsi que la plénitude du salut dont ils jouissent à présent et qui fait contraste avec leur état passé de mort spirituelle, se rendent compte inévitablement de la réorientation radicale affectant l’ensemble de leur identité »; Ephesians (Nashville: Thomas Nelson Publishers, 1990), 91 (c’est nous qui soulignons).
37 H. Simon, Vers une France païenne? (Paris: Cana, 1999). Cf. aussi F. Lenoir, Les métamorphoses de Dieu (Paris: Plon, 2003), 305 ss.
38 Cf. ibid., 214, ainsi que D. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde (Paris: Bayard, 2003), 20 et passim. D. Hervieu-Léger avance la thèse, extrêmement bien étayée d’ailleurs, que « dans le temps de l’ultramodernité, la société ‹sortie de la religion› élimine jusqu’aux empreintes que celle-ci avait laissées dans la culture »; ibid., 268.
39 Cf., par exemple, l’analyse et les propositions de S. Murray, Post-Christendom, Church and Mission in a Strange New World (Carlisle: Paternoster Press, 2004).