Udo MIDDELMANN – La Revue réformée http://larevuereformee.net Sat, 11 Dec 2010 15:24:11 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.9 Comment éviter une confrontation entre civilisations ? http://larevuereformee.net/articlerr/n223/comment-eviter-une-confrontation-entre-civilisations Sat, 11 Dec 2010 17:20:44 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=394 Continuer la lecture ]]> Comment éviter une confrontation entre civilisations ?

Udo W. Middelmann*

Le débat sur les relations fragiles, sinon fracturées, entre les civilisations interpelle nombre de nos contemporains. La défaite du système soviétique, au début des années 1990, a laissé le monde unipolaire. L’espoir né d’une telle unification, stimulé par la globalisation des marchés et la libéralisation en vue d’un système de participation démocratique, laissait augurer la fin d’une histoire caractérisée par des conflits. Des perspectives nouvelles s’ouvraient: plus d’attention portée aux besoins matériels et sociaux des peuples, moins aux différences philosophiques et culturelles. Si la foi en un avenir lumineux triomphait, elle n’a pas pénétré les ténèbres de la réalité: la religion ne se limite pas à la sphère privée et elle n’est pas sans conséquences sur les attitudes, les valeurs et les orientations prioritaires des sociétés. Une religion scientifique et matérialiste – marxisme-léninisme -, les religions théistes – judaïsme, christianisme, islam -, les religions de détachement de l’Asie et du continent africain exercent toutes une influence considérable sur les lunettes que les gens, et leur société, choisiront pour regarder les détails de leur vie et de leur mort.

Il y a bel et bien différentes lunettes. L’importance de reconnaître une réalité définitive, raisonnable et vérifiable dans le contexte du monde réel n’est pas toujours comprise. On chausse les lunettes de la tradition, par obéissance, par crainte. A défaut de mettre les réalités de la vie et de la nature en perspective, ces verres les déforment et les éloignent souvent du vrai, sans offrir la compréhension nécessaire à un déroulement adéquat de l’existence. Ils devraient être corrigés: les responsabilités humaines dans l’histoire apparaîtraient plus clairement.

Craindre l’échange et le débat?

Le débat est relancé! Le conflit ne date pas d’aujourd’hui. Bien avant Oussama ben Laden, il y avait déjà confrontation entre les Grecs et la civilisation perse, entre Rome et Moscou, entre émigrés européens et peuples indigènes d’Amérique du Nord; et, de nos jours, entre l’Union européenne et la Turquie et, au sein même de cette Europe, entre esprit séculier moderne et poids historique des valeurs chrétiennes.

Cependant, la proximité des cultures a toujours été source d’enrichissement, grâce à l’échange des idées et la recherche de l’équilibre, avec le souci de limiter toute velléité de supériorité des grands centres cosmopolites du Caire, d’Athènes, de Venise et d’ailleurs. Avec ben Laden, c’est le renversement: le dialogue cède le pas au combat de l’islam contre toute sécularité, et contre le judaïsme et le christianisme, avec son appel aux populations des pays musulmans à se libérer de l’influence occidentale, américaine surtout.

La bataille est engagée contre toute évolution de l’islam et contre le moindre effort entrepris pour lui apporter, par l’influence occidentale, vision de la réalité, esprit d’ouverture et de réforme, culture scientifique. Il suffit de rappeler la lutte des Frères musulmans contre l’université du Caire (depuis 1922!), contre le programme de modernisation du shah et contre le Prix Nobel Naguib Mahfouz1. Il convient d’insister sur un point important: cette lutte ne se limite pas à des détails de foi religieuse, à des divergences sur la notion d’autorité, à des accusations sur la moralité des responsables de l’Etat, où elle aurait pu trouver ses justifications. Il s’agit essentiellement d’une opposition à toute pensée étrangère à la lettre du Coran et à l’enseignement traditionnel. Nous analyserons le pourquoi d’un tel mouvement de réaction au cœur d’une religion qui se considère comme universelle et vraie et qui ne devrait pas se laisser intimider par des points de vue exprimés au cours d’une discussion intellectuelle honnête!

Une réalité plus complexe et ouverte qu’il n’y paraît

Une civilisation est un ensemble de peuples soumis à des lois identiques et à une perception commune de la réalité qui les entoure. Ces lois, écrites, orales ou simplement suivies par la force de la tradition, sont transmises des parents aux enfants de génération en génération. Elles règlent le comportement réciproque des citoyens en vue de la paix dans la cité (la polis grecque), mais aussi les traditions sociales et la compréhension du lien entre la personne et son environnement, la nature, la vie et la mort, le travail et le temps, l’autorité et la responsabilité individuelle.

La civilisation? C’est encore l’ordre qui détermine la vie d’un peuple. Pourtant, dans les centres cosmopolites, le commerce et les voyages d’exploration ont favorisé l’ouverture et la tolérance, la découverte de valeurs communes comme l’hospitalité, l’honnêteté, la réflexion, le courage et le travail consciencieux. L’approche était souvent liée à des valeurs transcendantales, surtout parmi les peuples du livre ou de l’écrit, musulmans, juifs et chrétiens. A chaque époque, les échanges ont été propices à l’adaptation et à la flexibilité. J’exprime cette proposition après avoir observé que la réalité vécue est toujours plus complexe et ouverte qu’une simple définition religieuse de cette réalité.

En matière d’adaptation et de flexibilité, il est très intéressant de voir comment le Japon, après son ouverture au monde en 1851, a adopté le modèle britannique pour conquérir ses colonies. Première tentative, l’intérêt pour l’Ethiopie mais, « malheureusement », les Italiens étaient arrivés les premiers. Ensuite, l’effort s’est concentré sur la Mandchourie, la Chine et la Corée. Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement japonais a tourné les regards vers le militarisme allemand puis, après ce funeste modèle, vint le tour des Etats-Unis de servir d’exemple.

Chez les Européens, un appel à la tolérance est perceptible à partir de Lessing, au lendemain des guerres de Religion, et, dès la fin du XVIIIe siècle, l’Orient exercera une grande fascination. La religion musulmane a toujours entretenu un élément de mystère que le christianisme occidental rationaliste a largement occulté, sinon anéanti. Pour les musulmans, la science est au service de la contemplation de la complexité infinie de Dieu; chez nous, avec la révélation de Dieu dans la Bible, elle est avant tout moyen de découverte de la création et elle favorise l’amélioration des conditions de vie sur terre après la chute en Eden.

Un territoire devenu trop petit

Après 1991 et le collapsus de l’empire soviétique, Samuel Huntington provoque le débat: à ses yeux, l’histoire à venir ne sera pas exempte de conflits. Le point de vue est exprimé dans un article, matériau d’un livre2qui marquera le point de départ d’une longue suite d’échanges entre intellectuels, politiciens, hauts fonctionnaires et chefs d’entreprise. Visionnaire, ou réaliste, Huntington s’inscrit en faux contre le concept de la fin de l’histoire en montrant comment un second pôle de pouvoir va émerger et se dresser contre le libéralisme intellectuel et culturel, européen et américain.

L’islam et les pays islamiques sont au cœur de ce pôle. Dans le monde bipolaire de la guerre froide, les pays arabes vivaient de leur statut de non-alignés entre les deux grands blocs. Leurs dirigeants, rois ou dictateurs, musulmans ou athées, ont retiré de larges profits au jeu des amitiés variables, cherchant alternativement la faveur de l’une ou l’autre des superpuissances.

Depuis 1991, ils sont seuls à résister à la vie et aux idées de l’Occident, pouvoir dominant unique, et aux fruits de la perspective judéo-chrétienne sur la valeur de la personne, dans l’histoire, le travail, la pensée et l’esprit critique. Leur réaction à cette influence révèle une certaine panique. Le souvenir des Croisades du Moyen Age, le colonialisme des Anglais et des Français à partir de la fin de l’Empire ottoman, après 1918, réveillent l’esprit de confrontation militaire caractéristique, selon Huntington, du mouvement islamique dès ses origines: avance et conquête par des conflits, expansion par la force et non la persuasion. Mahomet lui-même a donné l’exemple dans sa lutte pour la prise de La Mecque. Mû par la conviction de la supériorité et de la finalité de la révélation de Dieu à Mahomet, l’islam doit soumettre des peuples, partout.

Après les années de faiblesse politique et culturelle sous la tutelle européenne, la Syrie et l’Irak du Baath, l’Egypte de Nasser, la Libye de Kadhafi vont multiplier les efforts pour édifier un bloc arabe, en parallèle à l’émergence sur le marché des pays producteurs de pétrole. Mais ce bloc de 280 millions d’habitants, si tant est qu’il existe, connaît un degré de sous-développement qui le place à un rang à peine supérieur à la zone du Sahel. Les extrêmes entre l’étendue de la pauvreté et une richesse considérable trouvent leur parallèle dans le pouvoir de l’homme et la servitude des femmes, dont la moitié sont analphabètes.

La richesse pétrolière et l’importance de cette ressource pour le monde devraient consolider le pouvoir que l’islam revendique et lui permettre de s’opposer à toute nouvelle colonisation politique, intellectuelle, religieuse et sociale de la région. Malgré tout, des éléments externes s’infiltrent avec le commerce, les médias et tous les contacts avec le reste du monde. Même à ce niveau de « globalisation », l’influence étrangère est sensible et suscite la résistance par une inversion des causes de cette pauvreté économique et sociale. La défense devient l’attaque, ce qui est bien dans la nature d’une dictature politique, intellectuelle et sociale: l’étranger est responsable de tous les problèmes intérieurs de l’Etat ou de la société. Staline et ses successeurs après lui n’ont-ils pas justifié la pauvreté en Union soviétique en accusant les « impérialistes » de les acculer à investir dans le domaine militaire? Hitler incrimine les Juifs, Lénine les capitalistes bourgeois et les paysans. La faute, c’est toujours l’autre.

La levée de boucliers contre les Etats-Unis, en raison de leur influence culturelle, de leur pouvoir économique et de leur soutien à Israël, n’est donc pas surprenante. Les Juifs sont accusés d’avoir reçu une parcelle de Terre Sainte arrachée à l’islam, fait absolument intolérable. L’esprit démocratique de l’Europe, la société occidentale laïque et sa décadence trop largement tolérée sont mis en cause. Ces aspects de nos sociétés sont l’expression du respect du libre choix (dont certaines conséquences sont certes à revoir) et de la valorisation de la personne, qui n’est pas tenue à l’étroit dans le déroulement déterminé de l’histoire, de la volonté de Dieu ou du destin « écrit en haut » dans les étoiles.

Le marxisme: ni Dieu au ciel, ni la personne dans le corps, ni esprit ou idée

Une confrontation surgit toujours dans un territoire devenu trop petit, et le « territoire » du monde est revendiqué par des perspectives universelles. En parlant d’une « vérité », des « lois de la nature », du « global », d’une seule « race humaine » et des « droits de l’homme universels », on applique un même point de vue à toute la Terre. Les religions asiatiques s’adressent à l’individu dans sa poursuite d’un détachement en quête de la perfection, les religions africaines vénèrent des esprits selon leur traditions locales, à la différence du judaïsme, du christianisme, du marxisme et de l’islam, qui prétendent, eux, à l’universalité, à une seule vérité reconnue et acceptée par tout le monde. Mais leurs positions respectives sur la vie humaine, religieuse, intellectuelle, sociale et économique mènent plus au conflit qu’à l’harmonie. Evidemment, parvenir à relativiser son point de vue serait d’un grand avantage, mais il existe des réalités absolues et immuables, indépendantes de la religion ou du sexe, comme la naissance et la mort, le monde de cause et effet, les lois scientifiques et l’extraordinaire phénomène de l’être humain, homme et femme.

Donc, des certitudes et une vérité universelles sont là, incontournables. Les différences sont plutôt à chercher dans le regard que l’on pose sur elles, et leur compréhension.

Pour le marxiste, la philosophie matérialiste place en définitive toute réalité sous le contrôle de la matière. L’histoire est ultime, directrice du progrès, de la nature et du comportement des hommes. Elle suit les règles de la matière, de la nature, de la science. Elle est motrice, dieu, énergie et pouvoir. Elle réduit tous les événements à une complexe causalité et promet une unité de pensée et de vie sur le terrain de la matière. L’individu n’existe pas, il fait partie d’une énorme machinerie. Son choix est aussi illusion étant donné que, pour les marxistes, un choix est toujours le résultat d’un contexte matériel, économique et révolutionnaire. Tout est immanence. Rien hors des faits: ni dieu au ciel, ni la personne dans le corps, ni esprit ou idée. L’avantage de cette vision est la totalité déterminée, la soumission à une cause qui se veut scientifique, donc nécessaire; historique, donc progressive; universelle, donc victorieuse pour l’humanité. L’absence de l’individu et de la personne, c’est l’obligation, par nécessité, de penser et d’agir en collectivité, par répétition, à la poursuite de l’égalité. C’est la conformité à l’esprit fataliste, sauf quand le « territoire » doit être défendu contre tout opposant, les non-conformistes, les « impérialistes », les traîtres à la cause.

Dans le marxisme, l’unité immanente de tout être est fascinante: tout est bien, justifié, nécessaire. Plus d’incertitudes, de risque, mais la promesse d’un futur glorieux.

L’islam: un ordre collectif fait d’obéissance, de répétition et de conviction

L’islam est né d’un effort d’unification de tous les clans bédouins du territoire de la péninsule arabe, sous un seul dieu tout-puissant. Mahomet a reconnu la nécessité d’une telle perspective pour rassembler ces clans, en supplantant leurs multiples et faibles dieux par un seul, dans un même pays. Coincée entre l’expansion du commerce le long du Nil entre l’Ethiopie, christianisée dès le IIIe siècle, et Alexandrie en Egypte et la Perse au sud, d’une part, et le pouvoir de l’Empire romain à Byzance la chrétienne de l’autre, l’Arabie se veut une juridiction placée sous le Coran et la chariah, dictés à Mahomet entre 622 et 632.

Encore une perspective unitaire! Tout est réglé en détail. Le fidèle obéit, participe à la vie de la communauté, fait ses prières collectives aux temps prescrits. Le texte se lit exclusivement en arabe, dans le cadre de la seule vraie communauté universelle. Les traductions n’existent pas: elles exigeraient d’abord un esprit critique pour une bonne compréhension et présenteraient le risque d’allonger ou de raccourcir le texte. En conséquence, on retrouve tous les avantages d’un ordre collectif, fait d’obéissance, de répétition et de conviction profonde, mais cette dictée échappe à la dynamique de l’étude, à la critique, à toute créativité. Hors de la collectivité restent la peur, l’incertitude et la fatalité.

Faut-il dès lors s’étonner de l’absence quasi permanente de démocraties ouvertes dans les pays islamiques? Sous Allah, tout est déjà décidé, fait comme il faut, à sa propre place. Le fidèle ne fait qu’affirmer le bienfait de toute réalité.

Au cœur de leur philosophie, le marxisme et l’islam sont unitaires. Leur différence réside dans l’aspect immanent du marxisme et transcendantal de l’islam. Leur centre d’action, leur source d’énergie et leur façon de répondre sont identiques: la soumission collective aux énoncés de leurs textes, prêtres et prédications, fussent-ils séculiers ou d’ordre divin.

La Bible: discernement, volonté, responsabilité personnelle, courage honnête

La perspective biblique de l’Ancien et du Nouveau Testament propose aussi un seul Dieu, une seule vérité, une seule définition, là où elle est applicable. Mais, à l’inverse de l’orientation séculière du marxisme et de l’islam religieux, la Bible introduit, dès le début, un élément de dynamique, d’ouverture et de communication libre – élément d’incertitude non admis par les deux autres philosophies universelles!

Le Dieu créateur de la Bible est Dieu unique, mais il se révèle en trois personnes distinctes: Père, Fils et Saint Esprit, qui ne sont pas identiques. Ils s’aiment, communiquent, se mettent au travail pour œuvrer ensemble au cours des périodes de création bien définies. Pas de « tout à coup » mais une progression par étapes, une distinction de plus en plus nette entre la terre, les animaux et l’être humain, mâle et femelle, qui seul est fait à l’image de Dieu.

A l’évidence, la Bible parle d’ouverture, de communication, de créativité dans le temps par divers acteurs. Dieu créa hors de lui. Il y a une distance, qui fait que Dieu regarde sa création comme vis-à-vis et la juge très bonne. Il y a de l’amour, de la joie, du temps, de l’information donnée et comprise, un mandat d’imagination et de créativité en continuité, de mise en valeur des capacités pour ajouter de nouvelles réalités à la création. Le mariage d’Adam et Eve n’a pas lieu au ciel, il est un choix du couple. La loi de Dieu implique un simple commandement: aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence et de toute sa force, et son prochain comme soi-même. Les Dix Commandements ne sont qu’une répétition, par exposition, de la même loi à partir de laquelle les prophètes d’Israël annoncent le jugement lors des révoltes du peuple. L’histoire n’est pas une révélation de la volonté de Dieu (comme c’est le cas dans le marxisme et l’islam); elle n’est pas non plus toujours ordonnée. Elle se réalise à travers les efforts de l’homme et les interventions de Dieu. Le tout demande sagesse, réflexion et découverte continuelle, parce qu’il n’y a ni automatisme ni obéissance aveugle.

La Bible décrit aussi une distance possible entre Dieu et l’homme révolté. La grâce de Dieu n’est pas une affirmation verbale, elle est une réalité historique. Dieu court après Adam et l’appelle; il s’engage ensuite à reprendre le travail pour une nouvelle création par le Christ. Cette séparation est inconnue dans l’islam, qui ne parle ni de chute, ni de culpabilité morale, ni de mort du Fils de Dieu en substitution pour l’homme. Obéissance et désobéissance sont les seules positions de l’homme devant Dieu, et un simple pardon règle tout.

L’islam débute avec un Dieu unitaire. La Bible du juif et du chrétien parle du Dieu unique en trois personnes: au commencement, une pluralité divine s’exprime par la communication en éternité, un amour vrai, des rencontres entre personnes; une dynamique divine qui se prolonge dans la création. Pour la Bible, l’obéissance n’est pas le but de la vie humaine. L’homme existe pour aimer, penser, créer, pour s’engager et servir le prochain. Et c’est justement cette dynamique, y compris l’ouverture à d’autres actes successifs de créativité dans l’histoire, et la sagesse de savoir distinguer entre le bien et le mal présent après la chute qui invitent le croyant biblique, juif et chrétien, à approcher chaque aspect de la vie avec un discernement, une volonté, une responsabilité personnelle, avec le courage honnête de critiquer le mal à partir des standards élevés de la Parole de Dieu.

Mieux que les observations tirées de la géographie et de l’histoire

Un Dieu unitaire implique la dictature. Le polythéisme produit la bagarre, la rivalité entre autorités et la confusion permanente. Depuis la création, la proposition biblique est unique dans sa relation à notre réalité vécue dans l’affirmation à la fois de l’unité et de la complexité. Seul le Dieu de la Bible explique une telle réalité quotidienne.

Mais ce qui est admis comme point de départ et base de l’existence a des conséquences dans la vie personnelle et publique. C’est là que les différences culturelles, économiques et sociales s’expliquent mieux que les observations tirées de la géographie et de l’histoire. Si l’homme se sait dans un monde où tout est déjà ordonné et où toute réalité est considérée comme l’expression d’un décret divin, il ne se verra jamais appelé à créer lui-même une alternative et une amélioration dans l’histoire, pour lui-même ou au sein des autorités religieuses et politiques, ni à critiquer la pénibilité de la condition du mal. Allah se manifeste dans le mystère de l’histoire, il est partout présent: pas d’activité, pas de place hors de lui. L’infidèle doit se convertir ou mourir.

Répétons: l’absence de démocratie véritable en pays musulman n’étonne guère. Pas d’apprentissage pour l’individu, la vie se déroule largement en collectivité et selon un programme déterminé. Les affirmations religieuses, les prières, le rôle de la femme, tout est répétitif. Les savants, l’architecture magnifique, les sciences exactes et la richesse de la littérature des grands siècles de l’islam s’expliquent par le contact avec les philosophes et les mathématiciens grecs, les communautés juives et chrétiennes, et le commerce avec Venise par la mer et, avec l’intérieur de l’Asie, par les caravanes de terre.

Le système marxiste du socialisme international ne pouvait pas s’exposer à la compétition d’idées à l’intérieur ou à l’extérieur de sa région d’influence. Pendant les années de guerre froide, il prétendait détenir la seule explication scientifique, le chemin incontournable vers le progrès, le salut en vue d’un monde parfait à la fin de l’histoire. Ses textes révolutionnaires, ses prophètes du parti communiste, ses célébrations de masse ont donné à cette religion athée une exclusivité qui ne laissait aucun espace au doute, à la discussion, à l’ouverture. Le système s’est écroulé seulement après que les citoyens eurent accès à des informations plus exactes venant de l’extérieur.

Dans le même esprit et pour se maintenir, l’islam doit se préserver des influences de l’Europe et de l’Amérique qui lui apportent les bénéfices de la liberté de pensée dans les domaines économique, social et intellectuel. Même l’incertitude passagère entourant la rencontre entre un homme et une femme lui semble trop dangereuse; la femme doit être voilée en public.

Coca-Cola, les touristes, les soldates et leur chewing-gum, l’Etat d’Israël et ses débats démocratiques à la Knesset, son économie et sa volonté d’imposer à la nature un meilleur rendement, l’accès de la jeunesse à l’Internet: autant de situations qu’une mentalité unitaire et collective est incapable de gérer. Si l’on ajoute à cela la jalousie des sociétés riches en pétrole et en puissance mais faibles dans l’utilisation des cerveaux, de l’imagination et de la créativité de leurs citoyens face au succès des gens d’ailleurs, la porte est ouverte à l’enseignement de la haine de l’autre. Au lieu de développer le savoir-faire, les doctrinaires d’un islam privé de dynamique créative accusent les étrangers, les Juifs et les sociétés occidentales de tous les problèmes et du désespoir de leur jeunesse.

Dans une confrontation, deux parties s’affrontent et résistent. Dans les sociétés ouvertes, le choix de la direction fait l’objet d’un débat. Dans une société fermée, l’usage de la force assure l’obéissance de tous. Nous devons admettre notre lenteur à reconnaître la frustration des pays islamiques et la lenteur de nos propositions pour remédier à cette situation. Dès lors, les racines de cette situation pénible sur le plan économique, social et politique, avec la pratique de la corruption, les ont ancrés dans une mauvaise orientation philosophique. Leur conception de la vie, de l’individu, de l’histoire, du bien et du mal ne correspond pas à la réalité de l’existence dans un contexte du bien et du mal.

Pour l’amour de l’homme et de la vérité raisonnable et accessible

Le refus, à partir des Lumières, d’aborder publiquement et en privé les différences considérables entre les cultures, lors des négociations commerciales et diplomatiques, dans les écoles et les foyers, a généré une ignorance des autres civilisations qui n’est pas sans conséquences. A côté de la science et de l’économie existe une vie intellectuelle, où le point de vue sur l’existence détermine les actions, les attitudes et les pratiques des croyants de toutes religions, athées ou spirituelles. Là se mesure l’énorme différence entre l’islam et le marxisme d’un côté, le judaïsme et le christianisme de l’autre.

Je ne crois pas qu’on pourra éviter une confrontation entre civilisations, surtout quand l’une des parties revendique l’autorité universelle et refuse tout réexamen. Mais, pour l’amour de l’homme et de la vérité raisonnable et accessible, nous sommes obligés d’opposer à toute dictature la force de l’intelligence, de l’humanité et de meilleurs arguments. Evidemment, une confrontation est toujours l’occasion de revoir les déficits dans notre société occidentale et dans l’Eglise. Nous devons, d’une part, nous distancier du mal, du matérialisme, de la pornographie et, d’autre part, donner une explication plus satisfaisante de la liberté de l’homme, de sa valorisation sur la base spirituelle, intellectuelle et culturelle de la société judéo-chrétienne. Dans l’affirmation du Dieu différent qui, en lui-même, est déjà l’amour entre Père, Fils et Saint-Esprit, nous comprenons la pratique de la persuasion, de l’amour, du respect et du pardon, en lieu et place de la dictature sur l’esprit et l’âme de l’homme, de la force de négation de la personne que représente la religion matérialiste du marxisme et de la spiritualité irrationnelle de l’islam.

Le Dieu de la Bible est autorité parce qu’il est l’auteur de la création. Le Dieu de l’islam est autoritaire parce qu’il ne tolère rien hors de lui ou vis-à-vis de lui. La compréhension, l’adoration et la participation font partie de la vie du juif et du chrétien. Chez les musulmans, tout service est obéissance aveugle, collective et répétitive. Le parallèle avec les religions d’Asie est saisissant. Elles aussi demandent l’abandon de la personne dans l’immense unité de l’Etre parfait. Qui ne veut pas en faire partie, ou ne le peut pas, doit être anéanti. Le chrétien se permet de prendre le temps, par grâce. Il n’est pas lié par une obligation utopiste. Il sait que le jugement viendra de Dieu. Sa résistance au mal – vrai et réel hors de la volonté de Dieu – tire sa force d’un raisonnement plus élaboré, d’une liberté de critique et de la confiance que la vérité se manifestera dans l’histoire à venir. Il vit par l’espoir et non par l’épée.


* Conférence donnée par le professeur Udo W. Middelmann, directeur de la Fondation Francis A. Schaeffer, à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, le 21 novembre 2002.

1 Naguib Mahfouz, écrivain égyptien né au Caire en 1912. Ses romans et nouvelles décrivent la vie des quartiers populaires de sa ville natale. Il est l’auteur d’une trilogie évoquant une petite famille bourgeoise du Caire entre 1917 et 1945. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1988.

2 Samuel P. Huntington, professeur à l’université Harvard, a publié Le choc des civilisations (Editions Odile Jacob, 1997).

]]>
Le regard des religions sur la question de la pauvreté et du développement http://larevuereformee.net/articlerr/n247/le-regard-des-religions-sur-la-question-de-la-pauvrete-et-du-developpement Thu, 28 Oct 2010 16:20:53 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=179 Continuer la lecture ]]> LE REGARD DES RELIGIONS SUR LA QUESTION
DE LA PAUVRETÉ ET DU DÉVELOPPEMENT

Udo MIDDELMANN*

Mon propos est de vous encourager, de vous inciter peut-être à réfléchir sur ce thème assez important de la relation qui existe entre les religions à la pauvreté. Comment voyons-nous les problèmes d’aujourd’hui dans ce domaine de la pauvreté, quelles sont les attitudes et les propositions de la Bible, du christianisme, du judaïsme pour la condition humaine, dont la pauvreté fait partie?

Aujourd’hui, bien des gens sont troublés par la pauvreté, mais pour des raisons très différentes. Il y a ceux qui sont gênés par le fait que des inégalités existent, par la souffrance réelle d’une grande partie de l’humanité. Il y a ceux qui ont des idées de partage en raison de leur compassion, de l’amour pour le prochain. Certains sont influencés par l’enseignement biblique et s’appuient sur des textes bibliques, comme la parabole du bon Samaritain, pour inciter à l’action. On a proposé une action sociale…

Je me souviens très bien de l’ancien président de la République française François Mitterrand, qui a souhaité, en même temps, que les industries et les banques soient nationalisées pour qu’il y ait des choses à partager, mais qu’il y ait, d’abord, une société, un système capitaliste pour avoir quelque chose à partager. Son gouvernement a duré quelques années jusqu’à ce que, tout étant partagé, il faille créer de nouvelles ressources… Nombreux sont ceux, aujourd’hui, qui fuient la réalité pour chercher dans d’autres religions une façon de voir autrement la situation des gens pauvres.

On admire beaucoup, parfois, la vie sociale entre familles et tribus du continent africain. Un des cinq piliers de la foi de l’islam consiste à pratiquer l’accueil de l’étranger, du prochain. J’ai moi-même profité, plusieurs fois, de cet accueil lorsque nous avons vécu au Liban: être admis parmi des gens qu’on ne connaît pas du tout, mais qui nous ont acceptés pour un repas, pour partager tout ce qu’ils avaient. C’est là quelque chose qui est admiré dans notre société où les distances créées sont maintenues et où la règle est la non-intervention dans la vie des autres. On s’attend à ce que l’Etat fasse quelque chose et, ainsi, le problème sera peut-être résolu.

En Suisse, où j’habite à présent, on admire beaucoup la mentalité bouddhiste, la sérénité envers la pauvreté, c’est-à-dire la volonté de vivre avec rien ou très très peu. Les bouddhistes arrivent à être contents dans un désengagement de la réalité avec toutes ses difficultés, les déséquilibres, la pauvreté, la maladie, et ainsi de suite. Ils éprouvent, semble-t-il, une sorte de sérénité face aux situations présentes. Nous connaissons la parole de Jésus: «Vous aurez toujours les pauvres avec vous.»

Ma première question est la suivante: voyez-vous l’existence des pauvres comme quelque chose de normal ou d’anormal? Vous souhaitez évidemment traiter ce thème dans une perspective influencée par le message de la Bible, pour qui la pauvreté est une réalité terrible. On peut s’imaginer en situation de pauvreté, on peut voir, lire, vivre afin de bien mesurer et comprendre ce qu’il y a à traiter, à réparer, à corriger parce qu’on la regarde dans une perspective de normalité. La vie a besoin d’un certain nombre de calories tous les jours. Notre existence exige la sécurité. L’air que l’on respire doit être pur… Nous regardons la situation de tout le monde, y compris celle des pauvres, comme anormale. Mais cette appréciation est rare, car elle est influencée par la mentalité biblique qui existe parmi les juifs et parmi les chrétiens.

Afin de prolonger la question, examinez-vous la situation dans une perspective de normalité ou d’anormalité dans d’autres domaines? Dieu dirige-t-il toutes choses? Ou bien y a-t-il une déchirure entre ce que Dieu a voulu et la réalité vécue aujourd’hui? Est-ce que la pauvreté est méritée, ou appelle-t-elle une action? Est-elle le destin de certains, ou est-elle un défi? Est-elle justifiée ou est-elle une cause d’embarras qu’il convient de corriger? Est-ce qu’on laisse aller ou bien intervient-on pour corriger? La façon de répondre à ces questions différencie les religions. Mais il en existe d’autres, comme la mort, l’injustice, notamment.

La pauvreté considérée comme normale, comme voulue par Dieu, comme bien méritée, comme étant la destinée de certains, et donc qui n’appelle aucune modification… tout cela est la perspective que l’on trouve dans presque toutes les religions du monde. Telle est la réalité qui, en définitive, est bonne, parce qu’elle est voulue, inévitable, méritée. Cela est illustré par la mentalité des religions africaines. Il existe plusieurs livres qui décrivent l’attitude de beaucoup d’Africains face au malheur, à leurs politiciens, à la mort, à la justice, à la souffrance, comme si toutes ces choses arrivent seulement parce qu’elles sont justifiées, disons méritées sur le plan personnel.

C’est aussi la perspective du bouddhiste, en Thaïlande, qui accepte que sa situation dans la vie soit telle et telle, qu’il est impossible d’intervenir sauf au travers de quelques pratiques religieuses, comme donner de la nourriture aux esprits qui nous entourent, partager la vodka avec les esprits dans les parties mongoles de la Russie, afin de ne pas troubler encore plus la situation. Donc, on accepte avec sérénité, on se soumet à la situation.

Il existe différentes causes à la pauvreté, ou au malheur, à l’injustice. Il y a, d’abord, la pauvreté naturelle. On habite quelque part où il fait trop froid, ou trop sec, où la géographie impose certaines limites à l’existence, où il est impossible d’espérer ou d’attendre certaines choses de la vie. C’est là une pauvreté naturelle. Il y a un manque de ressources naturelles. La Suisse, par exemple, est un pays pauvre du point de vue de la nature. Elle n’a qu’une ressource naturelle, la neige, et, jusqu’au milieu de XIXe siècle, on ne savait pas que faire avec tant de neige! Il n’y avait pas de barrages pour produire de l’électricité, il n’y avait pas de touristes pour venir skier, il était donc difficile de vivre en Suisse. C’était un pays pauvre qui est devenu riche, à cause du comportement des gens, de leur façon d’organiser la société, de regarder la vie, de leur créativité, sans ressources naturelles, ni pétrole, ni charbon, ni or, ni quoi que ce soit. A part le paysage, qui est très beau, il n’y avait pas grand-chose en Suisse.

Mais à partir du moment où les Anglais ont pu remplacer le travail des mains humaines, d’abord par des ânes et des chevaux, puis par la machine à vapeur, l’électricité et, à la fin, par le moteur à explosion, ils ont pu récolter plus d’argent qu’ils n’en ont utilisé pour leur survie; et avec un peu plus d’argent, à partir de l’industrialisation, et un peu plus de temps, parce que les machines ont travaillé pour eux, ils ont été les premiers touristes en Suisse. Ils ont été à l’origine du tourisme, qui est aujourd’hui la troisième industrie suisse. C’était là une situation de pauvreté de circonstance, une pauvreté naturelle à cause du climat, de la géographie, du manque de ressources connues alors. Il y en a peut-être encore, mais elles sont inconnues pour le moment.

On trouve aussi une pauvreté sociale, là où le pouvoir règne, où tous n’ont pas les mêmes obligations et les mêmes droits, où quelques personnes seulement, dans une tribu, dans une société, ont accès au droit, bénéficient de la protection du droit. Dans ce type de pauvreté, la vie est totalement imprévisible, on est exposé au pouvoir seul, à l’imagination plus ou moins mauvaise de mon prochain, parce que aucune règle n’ordonne, ne décrit les relations entre les êtres humains. Cette pauvreté sociale se manifeste aussi dans les relations hommes-femmes, pouvoirs publics et citoyens, vieux et jeunes… Telle est la pauvreté sociale.

Une troisième pauvreté est celle du marché, celle qui découle de l’accès au marché. Au Moyen Age, en Europe, les juifs ne pouvaient pas participer à la vie économique, aux échanges sur le marché. L’Eglise avait décidé que seuls les catholiques le pouvaient. Elle a fait quelque chose de tout à fait positif en veillant à ce que les poids soient corrects, comme cela est ordonné dans la Bible. Parfois, on est allé un peu trop loin en fixant le prix des choses. En effet, le prix dépend de l’offre et de la demande. Mais les poids et mesures étaient exacts, ce qui était tout à fait positif. Le côté négatif était justement l’accès au marché, la circulation des marchandises, qui demande la protection du droit, la possibilité d’avoir des prêts, de telle sorte que ce qui était acheté à Venise puisse être vendu à Cologne.

Je suis convaincu que, en Afrique, il y a des éléments de pauvreté dus justement au fait que l’accès au marché est empêché par la distance entre villes, par le manque de protection pour ceux qui voyagent d’une ville à une autre, et par l’impossibilité de pouvoir anticiper ce qui sera demandé sur le marché le lendemain: on vit au jour le jour, on n’anticipe pas, on ne sait pas ce qui arrivera demain, ce qui peut se vendre demain. Lorsque j‘ai travaillé avec une œuvre de développement en Amérique du Sud, j’ai remarqué qu’au marché il y avait toutes les femmes du village, chacune avec son petit sac de blé à vendre. C’était un magnifique lieu d’intégration sociale, parce que là toutes les informations passaient d’une oreille à l’autre mais, en même temps, quelle énorme perte de temps! Il faut surveiller son sac, par crainte de vol; d’où une multitude de gens ayant chacun un petit sac plein des choses à vendre. Pendant ce temps, à la maison, rien ne se fait.

Il existe aussi une pauvreté liée au marché tel que nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire un certain déterminisme de l’échange entre l’offre et la demande; le prix, la participation au profit, notamment, tout est déterminé seulement par l’échange, et pas par des considérations d’ordre social à l’égard de mon prochain. Aujourd’hui, on emploie les gens en fonction des lois du marché, sans considération du prochain, ce qui peut entraîner une énorme pauvreté, car quelqu’un d’autre est toujours prêt à travailler pour le salaire minime que vous offrez.

En dehors de ces pauvretés naturelles, de circonstances climatiques, géographiques, des pauvretés sociales, des relations entre les membres de la société, et de la pauvreté causée par le marché, l’ignorance, la maladie, il existe aussi une pauvreté qui se base sur la compréhension, une pauvreté spirituelle, intellectuelle, de connaissance, de vie. Si on vit simplement d’un moment à l’autre, d’un jour à l’autre, on regarde ce qui arrive comme étant mérité, comme «mon destin». Dieu ou l’histoire veut qu’il en soit ainsi à ce moment-là et on ne réfléchit pas plus loin. Comment pourrait-on éviter la répétition d’hier ce matin ou demain matin? En tant que chrétiens, nous devons avoir une relation particulière avec la pauvreté et l’injustice.

+

Je me propose maintenant de comparer l’attitude des différentes religions avec l’enseignement biblique. Avant de citer des versets bibliques, que nous connaissons bien, il faut avoir, d’abord, une perspective biblique globale. Il faut lire toute la Bible avant de savoir de quoi parle Paul ici et là. Il faut comparer les phrases, les versets car, à mon avis, la Bible ne nous est pas donnée uniquement comme un livre religieux, mais plutôt comme un ouvrage qui va nous éduquer. De quel Dieu parlons-nous? Qui est ce Dieu? Comment a-t-il créé le monde? Qu’en pense-t-il? Comment veut-il que nous nous y comportions? Il nous faut apprendre comment vivre en créatures de Dieu dans la réalité qui nous entoure.

Toutes les religions du monde, comme un ami hindou me l’a expliqué un jour, à New Delhi, sont un effort pour nous aider à échapper à la douleur. Telle est la fonction de la religion: non pas nous permettre de comprendre la réalité, mais plutôt éviter la douleur. Telle serait la caractéristique de toutes les religions, en dehors de la prédication biblique, de la Parole de Dieu, qui n’invite pas à éviter ou à éliminer la douleur, mais plutôt à la reconnaître, et à comprendre que, malheureusement, nous vivons aujourd’hui dans un monde qui est dans une situation anormale, tout sauf normale. Eliminer la douleur, c’est nier que la douleur existe, c’est découvrir un moyen pour éviter notre réaction devant la douleur, c’est-à-dire, si on parle de la pauvreté, donner un moyen au pauvre afin qu’il ne dise plus: «C’est comme ça, c’est voulu, c’est mérité, c’est la volonté de Dieu, il en a toujours été ainsi.»

L’écrivain V.P. Naipaul évoque dans ses livres les racines de sa famille hindoue. Il raconte comment il est rentré en Inde pour découvrir un peu le contexte culturel de ses parents, lui-même étant né dans les îles américaines. Il décrit un contexte dans lequel on est toujours entouré par la mort, par la souffrance et par la boue: comment pourrait-on échapper à la répétition de toutes ces choses? Sur quelle base avoir une espérance, une espérance qui permette d’éviter ce qui est jugé normal, qui arrive à tous, qui est mérité car, au travers des réincarnations, il y a toujours la justice. Vous souffrez, vous l’avez mérité; vous vous plaignez, ce sera pire la prochaine fois. Donc, acceptez la situation dans laquelle vous vous trouvez. Il ne faut rien changer, il faut savoir vivre avec la souffrance, éliminer la douleur, en se disant: «C’est mérité, ça doit être comme ça, ça va m’aider dans une vie ultérieure après une réincarnation.»

Toutes les religions font un effort pour éliminer la douleur et la souffrance de la vie. Cette opposition entre la vie et la mort, entre l’espérance et la déception, entre l’imagination et la réalité vécue… les religions aident à éliminer la souffrance née de cette tension. Elles vous attirent vers une plus longue durée, l’éternité si l’on veut, vers une plus grande réalité que votre petite vie… Les religions proposent cette attache au travers d’une vision de quelque chose de plus grand, qui explique pourquoi vous êtes dans cette situation. C’est ce que fait l’enfant avec ses parents; il découvre le monde, la pensée et même le langage de ses parents afin de s’adapter, de s’accrocher à ce qui est là. Les religions proposent de vous accrocher à quelque chose de plus grand, d’une durée plus longue.

Cela peut être Dieu, un dieu; cela peut être des traditions, comme dans la culture africaine. Cela peut être un passé qui vous a formé, ou quelque chose qui doit être approuvé, et répété tous les jours. Dans les religions africaines, les morts vous regardent entre vos épaules, pour voir si vous faites exactement comme ils ont fait, eux. Vous n’osez donc pas faire autrement, parce que le monde dans lequel nous vivons est dangereux, et vous ne voulez pas risquer de troubler les esprits de vos ancêtres. Donc vous répétez, vous participez à une société de répétition, vous faites la même chose. Cela a toujours été ainsi.

Lorsque j’ai enseigné en Russie, il n’y avait pas d’Africains, pas de religion, c’était le matérialisme… pourtant, philosophiquement, c’était exactement la même chose. Il n’y avait pas un dieu ou des esprits, mais il y avait l’histoire, ou la matière, ou les étoiles qui dirigent votre vie. Ce que vous vivez est mérité. Ce que vous vivez doit être vécu. Ce que vous vivez s’inscrit dans un processus d’amélioration. Comme Hegel propose, Marx l’a annoncé de façon révolutionnaire, pour arriver à un objectif qui réclame votre sacrifice, de ne plus penser à vous-même, de ne plus discuter la nécessité des événements, de travailler, de voyager au travers de ce développement historique dans la collectivité où l’on répète les mêmes phrases, les mêmes «cantiques», qui a les mêmes drapeaux que la génération précédente. Donc, de nouveau, la vie est contrôlée, on s’attache, on a l’espoir qu’un jour il y aura une humanité juste, égalitaire, glorieuse. Mais, pour le présent, il n’y a rien à changer. Chacun fait comme tout le monde.

C’est la même chose dans l’islam. Vous obéissez, vous récitez le Coran. Vous honorez et respectez les cinq piliers qui expriment la foi du musulman. Vous ne discutez pas le texte. Vous le répétez dans la langue sainte d’Allah, qui n’est probablement pas la vôtre. On ne peut pas traduire le Coran. Une traduction, c’est une sorte de trahison des paroles. Est-ce que je comprends correctement? Traduire dans mes termes pour comprendre mieux, mais peut-être faussement… On trouve beaucoup de musulmans influencés par leur propre humanité, par la souffrance de leur propre vie et, peut-être encore, par l’enseignement du Siècle des lumières européen, qui réfléchissent par eux-mêmes: ce sont des personnes très sympathiques, tout à fait comme nous! Pourtant, dans le contexte islamique, il y a une parole qui est la vérité, elle est comme ça, il faut la répéter, en collectivité, cinq fois par jour, tournés dans la même direction, de la même façon.

Qu’il s’agisse de religion spirituelle, surnaturelle, comme l’islam, ou de religion traditionnelle comme les religions africaines, ou de la religion de l’athée matérialiste marxiste, ou du naturaliste – qui voit la nature comme cette grande idée ou réalité à laquelle il faut s’accrocher –, ce qui est commun à toutes ces philosophies, à toutes ces perspectives, c’est leur conception de la normalité: ce n’est pas anormal, c’est normal.

C’est ce que disent aussi les hindous, avec leur enseignement sur le karma, mais ce qui est aussi, malheureusement, enseigné sous certaines formes extrêmes du calvinisme, dans nos contextes chrétiens. Tout est la volonté de Dieu. Dieu l’a voulu. Sous l’enseignement de la souveraineté de Dieu, on entend souvent dire, aujourd’hui, que, quoi que ce soit qui arrive dans notre vie, c’était en définitive la volonté de Dieu. Cela n’est pas le christianisme!

J’ai écrit un livre à ce sujet, L’innocence de Dieu, afin de libérer Dieu de l’accusation qu’il est derrière toutes les choses qui nous arrivent et pour montrer que, selon la Bible, il y a plusieurs acteurs: il y a Dieu, il y a l’homme, il y a les anges, il y a le diable, et nous avons des voisins qui nous maltraitent, des gouvernements qu’il faut remplacer, des pasteurs qui ne parlent pas toujours, et même pas souvent, de la vérité. La Bible nous apprend que nous ne pouvons pas accepter ce qui nous arrive comme étant nécessairement la volonté de Dieu. C’est pourquoi nous prions que la volonté de Dieu soit faite, parce qu’elle n’est pas toujours faite sur terre de la même façon qu’elle était déjà faite au ciel. C’est pourquoi, d’ailleurs, les prophètes sont venus pour corriger le comportement d’Israël.

C’est pourquoi Abraham et Isaac ont creusé un puits pour avoir plus d’eau, après la chute, en Genèse 26, afin d’améliorer leur situation, et non pour répéter ce qui est naturel, pour accepter ce était imputable à la géographie. Et Abimelek le fou devient jaloux, il chasse Isaac loin de là. Il dit: «Si tu ne pars pas, il y aura des bagarres.» Et Isaac, sage comme il l’est déjà, part – il n’est pas toujours sage, mais à ce moment-là, il l’est – et le roi, Abimelek le fou, remplit le puits; il rétablit la situation dans un état naturel pour endurer les conséquences de la nature déchirée par la chute.

«Chaque situation a sa justification», telle était la phrase que l’on entendait toujours sous l’enseignement marxiste, c’est-à-dire il n’y a pas de critique morale. Toutes les situations observées, les prétendus camps de travail, d’extermination, de Staline, de Lénine et des autres ont été nécessaires pour raison d’Etat. Et on s’est accroché à cela en ne se plaignant pas, en n’accusant pas, puisque, si le parti l’a demandé, c’était nécessaire. Il faut rapprocher cela de l’attitude d’Elie, qui vient vers le roi et lui dit: «Tu as péché, tu seras puni, il ne pleuvra pas pendant trois ans.»

Dire que chaque situation a sa justification n’est pas la perspective biblique, mais la perspective des religions. Tout est mérité, tout est déjà bon, tout est déjà résolu, tout est déjà voulu, tout est finalement nécessité. Tel est l’effort des différentes religions pour résoudre les problèmes de la souffrance, de la pauvreté, de l’injustice. Rien n’est fautif à l’extérieur dans la création, dans l’histoire, dans le comportement du prochain, du gouvernement, du roi, du prêtre, du prophète.

L’enseignement biblique est totalement le contraire de ce que les religions enseignent, les religions spirituelles, les religions matérielles et même les religions idéologiques, comme le fascisme, le communisme, le culte de la démocratie – comme si la démocratie garantissait un bon gouvernement! C’est à travers la démocratie qu’on voit si un gouvernement est bon et on teste cela à plusieurs niveaux, car on n’accepte pas la situation dans laquelle on se trouve. On va chez un deuxième médecin, on s’instruit ailleurs, on va à la bibliothèque, on écoute ici et là, on discute, on parle de politique et des idées philosophiques. On écrit des romans pour envisager des alternatives à notre vie, et cela parce qu’on refuse d’accepter comme définitives les situations de notre vie.

Tout cela est nourri, encouragé, semé par la prédication de la bonne nouvelle du royaume de Dieu, Dieu au ciel, pas dans la nature, Dieu qui dirige l’histoire, qui intervient dans l’histoire, mais qui souffre aussi l’histoire créée, influencée par le péché de l’homme, qui s’engage à bouleverser la normalité en indiquant clairement que beaucoup de choses qui arrivent sont tout à fait inacceptables. Voilà pourquoi Jésus guérit les malades, il discute avec les pharisiens; voilà pourquoi il n’accepte pas l’invitation du roi Hérode à manger avec lui, à faire un petit miracle pour amuser ses hôtes. Voilà pourquoi il prend ses amis pour leur dire la parole de Dieu. Et là, vous vous souvenez, Jean, chapitre 6, il leur donne à manger, et quand ils reviennent le jour suivant, le lendemain, il ne leur donne pas à manger, et dit: «Je ne suis pas venu pour apporter un nouveau système de distribution sociale, mais vous devez manger du vrai pain qui est venu du ciel et c’est moi.»

Manger le pain qui est le Christ, ce n’est pas seulement le repas du Seigneur, ni seulement croire en Christ pour son salut, le pardon, qui nous est offert, mais c’est aussi comprendre qui est ce Dieu qui a créé le monde et quelle est sa pensée, se demander de quoi il parle, comment il nous incite à réagir autrement, pas sur un plan religieux, pour savoir comment accepter, éliminer la douleur en se disant «ce n’est pas si grave que ça», ou bien «c’est mérité», ou bien «tout le monde souffre comme ça», mais pour être informés sur le plan de notre compréhension, dans le sens où nous avons une révélation de l’Esprit de Dieu, qui connaît l’Esprit de Dieu, la mentalité de Dieu, la réflexion de Dieu, qu’il nous a communiqué pour que nous sachions comment comprendre la vie dans laquelle nous vivons.

Donc, la prédication de la bonne nouvelle du royaume du Christ se centre sur la proclamation: «Ecoutez, ce n’est pas la nature qui nous a créés, il y a un Dieu qui est bon, qui est spécifique, qui a un caractère, qui aime, qui pense, qui réfléchit et qui réagit, qui est furieux et qui vous aime.» Ce n’est pas que je me sens bien avec «mon Jésus», mais nous vivons dans un monde où il y a un Dieu qui est troublé par ce que le péché a créé, qui n’accepte pas la finalité des choses, mais qui s’engage à intervenir. Regardez, tout au début, lors de la création, la chute arrive, Adam se rebelle, Adam et Eve, et puis, tout de suite, ce n’est pas Dieu qui tourne le dos à sa création et, de temps en temps, décide d’agir avec la grâce.

Mais c’est un Dieu plein de grâce qui, immédiatement, court après Adam et qui dit: «Toi, tu as honte maintenant. Pourquoi te caches-tu? Sors, il y a encore du travail à faire. Mets tes mains dans la boue. Arrête de te bagarrer avec ta femme.» Parce que Adam, vous vous souvenez, accuse immédiatement Dieu d’avoir créé la femme qui, elle, lui a donné le fruit de l’arbre. Et Dieu lui dit: «Arrête tout ça, il vous faut travailler ensemble maintenant. Il faut avoir des bébés, parce que, autrement, il n’y aura pas de femme pour donner naissance au Messie.» Il faut lutter contre la mort, ce qui est exprimé à travers toute l’œuvre de Dieu dans l’enseignement prophétique de l’Ancien Testament, dans les miracles, dans son Fils qui est venu pour nous montrer l’existence réelle de Dieu et qui s’engage à payer pour notre culpabilité, qui nous délivre de la mort en nous proposant la réalité de la résurrection. Cela commence avant même la chute.

Les religions enseignent de faire avec, d’accepter cela, de tolérer et de se soumettre à tout ce qui est normal maintenant. Seulement la Bible nous dit des choses totalement différentes. On peut commencer par parler du Dieu de la Bible, qui est différent d’Allah. Ce n’est pas le même Dieu, l’islam n’est pas le christianisme sans Jésus. Il faut justement ajouter Jésus, c’est un Dieu qui est totalement différent par son caractère, sa volonté, son existence même.

La création, selon la Bible, se déroule pendant sept jours, six jours de création, dont j’ignore la longueur. Mais il y a ces six périodes de création avec un début et une fin, un soir et un matin, le premier jour. Donc il y a la création à partir de rien, de rien à quelque chose. Dieu existe toujours. Il crée quelque chose à l’origine. Cette création devient de plus en plus différenciée. D’abord, c’était le tohu-bohu, le chaos, c’est-à-dire la contradiction, quelque chose qui n’a pas de définition plus précise, mais c’est quelque chose. Et la définition devient plus précise dans la différentiation entre nuit et jour, eau et terre, êtres organiques et inorganiques, des êtres humains qui sont tout à fait différents, parce qu’ils sont faits à l’image de Dieu. Ce qui est important, c’est de voir que Dieu a pris son temps pour créer. Et cela ne doit pas être changé.

Dieu lui-même crée quelque chose et il le change. Il intervient pour définir plus précisément, pour différencier et, après avoir fait l’homme et la femme, Adam et Eve, il leur confie des mandats: créer, différencier davantage, faire des choses que Dieu ne peut pas faire, des bébés par exemple, ou se marier. Il les faits homme et femme et leur laisse définir leur relation, leur mariage. Il n’est pas dit comment cela doit se passer, qui gagne l’argent, qui lave le linge, ou qui fait la cuisine ou le ménage. Cela n’est pas décrit, c’est à vous de créer: création de vie, création de ressources, création de situations pour lesquelles Dieu nous donne la liberté, et même un mandat. Exercer le pouvoir sur la terre, ne pas la détruire, mais ordonner, commander les choses. C’était avant la chute.

Dieu donne à l’homme cette responsabilité d’être à son image par laquelle il a été créé, afin de créer lui-même des situations. Et, après la chute, il y a un mandat supplémentaire, un mandat de réparation: «Faites quelque chose contre ce qui est maintenant déchiré, contre la mort, contre la pauvreté, contre la sécheresse, contre l’injustice, contre les mauvais rois. Discernez les mauvais prophètes, ne croyez pas que parce que quelqu’un est roi, il dit la vérité. Soyez sages, différenciez-vous!» Car, ce que l’homme et les anges, le diable, peuvent créer, c’est le désordre, le péché, la rupture, le noir, le désordre…

Dans tout le débat sur le chrétien et la pauvreté, beaucoup de chrétiens se basent sur certaines phrases, certains versets du Nouveau Testament ou de l’Ancien Testament, sur l’année du jubilé, où il faut rendre. Evidemment, il faut partager, il faut donner, il faut marcher avec l’autre un kilomètre ou deux, lui donner son deuxième vêtement! Il arrive même que des gens soient tout à fait prêts à prendre votre vêtement sous forme d’impôts et d’en redistribuer le produit ailleurs: tel n’est pas le commandement biblique.

Mais il est exact qu’il faut faire des choses et, en même temps, créer des richesses. On ne doit pas se borner à les trouver, il faut les créer. Et si j’ose revenir à la Suisse, ce pays est devenu riche non pas seulement par les dépôts de «mauvais argent» venant d’Afrique, mais aussi par une façon de vivre, de régler la vie, de gérer la politique, la civilisation, la culture, qui, à présent, est en voie de disparition; une nouvelle génération apparaît qui ne se rend pas compte de ce qui a été fait au début. La préoccupation de créer quelque chose fait partie de l’attitude biblique.

Cet après-midi, on nous a rappelé l’exemple magnifique (Actes des apôtres 2 et 4) de la vie de l’Eglise primitive, dont les membres ont tout partagé; par amour, ils se sont rassemblés et ont partagé. Ce n’était pas l’idéal non plus, si l’on pense à Ananias et Saphira, mais ils étaient tellement heureux qu’ils ont distribué tout ce qu’ils avaient. Peut-être la collecte que Paul a faite ailleurs, dans d’autres Eglises, a-t-elle été nécessaire, parce que ceux de Jérusalem ont distribué, et pas recréé de nouvelles ressources à distribuer l’année suivante. La Parole de Dieu ne dit pas seulement comment être bon dans l’amour et le partage, mais aussi dans le travail de création de ressources, dans le domaine du gouvernement, dans le secteur social, dans le domaine de la formation et de l’éducation.

Il manque souvent aujourd’hui la connaissance, «le grand narratif» dans lequel nous nous trouvons. Toute la prédication, souvent, est centrée sur moi et mon besoin d’être sauvé, au lieu de mettre la lumière sur la continuité de la création, la chute, cette désastreuse rupture avec ce que Dieu avait fait bon, et qui, maintenant, est mauvais, mal, malsain. Tels sont les nombreux problèmes à la résolution desquels nous devons travailler pour limiter le mal, pour contredire le naturel, pour créer le culturel, c’est-à-dire quelque chose qui rende la vie humaine un peu plus facile, un peu plus belle, un peu plus consistante.

Je veux aussi vous apporter, en dehors de mes idées personnelles, ce que l’on trouve, par exemple, dans la première lettre de Paul à l’Eglise de Thessalonique. Tout y est. Lisez le chapitre 17 des Actes: Paul a été à Thessalonique pendant trois sabbats. C’est tout. Après cela, il a été chassé de la ville, parce que les juifs se sont plaints qu’il y ait là une atteinte contre les Romains. Paul a dû quitter la ville et a écrit une lettre à cette Eglise. Il dit que les membres de l’Eglise ont compris quelque chose qui a changé leur vie. Il y a eu, en effet, une transformation culturelle – ce qui est politiquement incorrect aujourd’hui –, mais cela est arrivé à la suite de la prédication de la bonne nouvelle: il y a un Dieu, il y a l’homme qui a de la valeur, il y a la chute, qui est très triste, mais tout n’est pas sans espoir, il faut travailler pour le bien. Cela ne vient pas automatiquement. Si toi, tu ne le fais pas, qui le fera? Si tu ne le fais pas aujourd’hui, quand le feras-tu?

Il faut faire quelque chose, parce que la vie compte. C’est par obéissance à ce trésor de la vie que tu fais quelque chose, pour toi-même, pour ton prochain, pour la société. Paul évoque ce changement culturel qui a eu lieu à Thessalonique, après trois sabbats de prédication. Imaginez-vous ce changement: abandon des idoles, et maintenant foi en un Dieu vivant et vrai! Plus de dieux, d’idoles, de ce qui ne peut créer que du chaos, parce qu’on ne sait pas ce qu’il faut faire pour pacifier toutes les autres idoles, les autres esprits. Les Grecs ne savaient jamais qui était contre eux. On parle souvent de l’influence grecque sur la science. Aristote voulait découvrir le monde, mais cette découverte des certitudes scientifiques sur le monde n’a jamais eu de conséquences sur la vie des Grecs. Pour tout le monde, c’était une sorte de jeu intellectuel, parce qu’on ne savait pas si cela serait encore vrai demain.

C’est le même problème avec l’hindouisme et ses 3000 dieux. C’est le grand chaos. A qui se confier? Imaginez que vous les ayez. J’ai lu récemment qu’il y avait une déesse appelée Echo. Elle a été jugée parce qu’elle était mauvaise: elle n’a pu dire que la deuxième partie de la phrase prononcée par quelqu’un. Cette déesse est toujours là, si vous allez dans les montagnes. Les Grecs voyaient des esprits derrière toutes les choses, comme c’est le cas dans les religions africaines aujourd’hui. Il y a quelqu’un derrière chaque événement: le tonnerre, la chaleur… En abandonnant cette incertitude, cette angoisse, cette ignorance, vous vous êtes confié à un Dieu. Quel soulagement de savoir qu’il y a un Dieu!

Et ce Dieu n’est pas un dieu ignoré, ignorant, qu’on ignore, c’est un Dieu vrai et vivant. Vrai, parce qu’on peut parler avec lui comme Moïse l’a fait, Jérémie, Job, Jésus-Christ même, on peut lui demander: «Est-ce que tu es vrai, est-ce que tu es bon? Comment peux-tu dire que tu es bon vu la situation dans laquelle nous nous trouvons? Explique-toi.» Comme Job l’a fait, avec ses amis qui, à la fin, sont vraiment ses ennemis. Avec des amis comme ça, qui a besoin d’ennemis? Vous voyez, c’est un Dieu vrai, et non parce que je le crois. Mais je le crois, parce qu’il se manifeste comme vrai. Il est vivant parce qu’il nous a donné la vie; il nous a créés êtres humains. Il se manifeste à travers les prophètes. Il est venu en chair en Jésus-Christ. Il est vivant, ce n’est pas une abstraction.

Et Paul ajoute: «Vous attendiez Jésus, vous vous êtes convertis à Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai. Vous attendiez des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus, et qui vous délivre de la colère à venir.» (1Th 1.9-10) Paul mentionne aussi, comme confirmation de ce qu’il a enseigné, que dans les contextes religieux païen, grec, l’histoire est circulaire. Toutes les choses se répètent: vous êtes nés, vous allez mourir. C’est normal. Les eaux de la mer montent et redescendent. De même pour les saisons de l’année. Tout est circulaire. Votre vie ne mène nulle part. Vous êtes condamnés à vivre les expériences des dieux, à souffrir les expériences des dieux. Et, à la mort, c’est fini. Et Paul dit: «Ecoutez, vous avez changé de perspective. Maintenant, vous savez que l’histoire est linéaire, elle mène quelque part. Dieu l’a créée et elle va quelque part. Et chaque événement, chaque choix que vous faites a des conséquences éternelles. Il est donc important de vivre, de ne pas supporter les situations dans lesquelles vous êtes. Vous attendez son Fils, Jésus, qu’il a ressuscité des morts. Révolution!»

Dans la perspective grecque, il n’y a pas de résurrection de l’être humain. Les dieux existent depuis toujours, mais l’homme, à sa mort, n’existe plus. J’ai assisté récemment aux funérailles de mon oncle, décédé à 101 ans en Allemagne. On l’a incinéré. Pas un mot sur Dieu, ni d’espoir, ni de vie… Quand il était vivant, il avait une immense capacité intellectuelle, une énorme joie de vivre, mais la matière est décédée, et c’est tout. Eh bien, non! Nous aurons une vie éternelle parce que Jésus est ressuscité. Vous pouvez demander où cela est arrivé et à quelle époque, a dit Paul. Et vous avez cette confiance en lui qu’il va vous délivrer de la colère à venir. Il y aura, dans l’histoire, un jugement. Il y a une morale absolue. Tout ce que vous pensez ou faites, tout ce que vos dictateurs font… tout sera jugé un jour. C’est sur cette idée que toutes les sociétés influencées par le christianisme et la pensée juive ont basé la nécessité d’un droit égal pour tout le monde, afin d’éliminer cette pauvreté sociale dont j’ai parlé.

La Genèse nous invite à la différenciation. Dieu a créé une création ouverte, pas terminée mais en situation eschatologique. A la différence, Allah a créé quelque chose, et maintenant, cela doit se maintenir, par l’obéissance, par la répétition, tout le monde se soumettant à cette répétition, à la différence du chrétien et du juif, qui savent qu’ils sont faits à l’image de Dieu, qu’ils sont sortis de la nature par la parole de Dieu qui leur est adressée, qui nourrit leur pensée, leur réflexion. Cette parole nous apprend que nous vivons dans un monde qui n’était pas voulu ainsi par Dieu. Nous sommes après la chute. Par cette parole, nous savons que Dieu s’est engagé à réparer ce monde, qui lui est précieux. Cela prendra du temps. Dans mon livre, j’indique que l’idée selon laquelle «Dieu est hors du temps» est une idée grecque, pas du tout juive, pas du tout biblique. Ce Dieu s’est engagé à restaurer, et il veut que nous participions à ce redressement du monde après la chute, que nous fassions des études de médecine, de droit, de n’importe quoi, de géologie… afin d’accomplir le mandat qu’il nous a confié d’être créatifs à l’image du Créateur.

Ceux parmi nous qui parlent de la nécessité du partage en disant que vous mangez trop et qu’il en reste peu pour les autres, n’ont pas compris que l’enseignement biblique est plutôt: «Si vous n’avez pas assez à manger, créez des choses à manger! Cherchez, imaginez, essayez, risquez, créez des situations où votre travail sera protégé par la loi, où votre gouvernement sera en danger s’il est corrompu, où l’éducation doit vous amener à une plus grande connaissance de la réalité, qui n’a pas été créée par une multiplication de dieux qui se contredisent toujours, mais par un Dieu qui, par son caractère, est consistant, qui a créé quelque chose à découvrir, qui reste vrai et vivant!»

Le chrétien est celui qui admet la réalité de la pauvreté, de l’injustice, de la cruauté de l’homme envers l’autre, de l’égoïsme, de la négligence… Il sait aussi qu’il y a la volonté de ne pas savoir, de ne pas vouloir voir les problèmes qui existent, de se couvrir par des idéologies, par des religions, par des perspectives tout à fait personnelles… Mais la réalité est, en conséquence, que, depuis la chute, il y a la souffrance. Il faut s’engager, il faut faire des choses. On ne peut pas, comme les idéologues le proposaient, nettoyer la terre une fois pour toutes, en éliminant tous les Juifs, ou tous les Roumains, ou tous les bourgeois, ou tous ceux qui, comme sous Pol Pot, portent des lunettes… parce que ceux-là pensent par eux-mêmes, parce qu’ils veulent connaître précisément le texte. Il faut donc les éliminer. Non, car ce sont des solutions utopiques dont le prix est une énorme cruauté.

Il faut faire quelque chose et ce n’est pas seulement apporter de l’aide, nécessaire certes, au jour le jour, parce que l’homme doit manger, dormir dans une situation assez sécurisée, mais, à la longue, il faut transformer l’homme, sa perspective. Il faut lui dire: «Ecoutez, on vous a trompés, on vous a menti, on ne vous a pas dit la vérité sur la réalité. Vous vous êtes cachés dans votre religion, tel est votre problème. Vous croyez des choses irrationnelles et inhumaines finalement: accepter la situation telle qu’elle est en disant qu’elle est tout à fait normale, que cela a toujours été comme cela, que c’est voulu, que c’est la volonté de Dieu…» Tout cela n’est pas seulement malhonnête envers le Dieu de la Bible, c’est malhonnête envers notre prochain, laissé dans sa croyance et dans son malheur.

Le développement de l’homme était à la racine de la prédication de la bonne nouvelle. C’est ce qui a transformé le continent européen en quelque chose d’un peu plus humain. C’est pourquoi il ne s’y trouve plus les Lombards, les Saxons, les Goths. En France, on trouve encore quelques Mérovingiens… Mais, à part cela, grâce à la prédication, avec ses hauts et ses bas, ses conséquences, l’Europe n’est plus ce champ de fouilles où l’on recherche la brève vie des Lombards… Tout a été transformé par la prédication qui a commencé avec Paul lorsqu’il est venu à Thessalonique.

Et, si vous poursuivez la lecture de sa lettre, il dit: «J’ai essayé de vous apporter toutes ces paroles avec tous les moyens psychologiques, comme votre père, comme votre frère, comme votre mère… mais, à la fin, vous avez conclu que ce n’est pas la parole d’un homme, c’est la parole de Dieu. Telle est votre confiance.» Et plus loin, il ne dit pas que le Saint-Esprit les enseignera… Non, il dit: «Le Saint-Esprit nous a déjà enseignés que la relation intime entre un homme et une femme doit être protégée, parce que c’est précieux. Dieu nous a créés pour être humains, privés, au sens intime. Et le niveau suivant de la relation sociale concerne le prochain. Comportez-vous selon la Parole de Dieu!» Et le troisième niveau est la façon de vivre. Le quatrième est: «Examinez tout ce que vous entendez, et gardez ce qui est bon. Ne soyez pas comme ceux qui vivent juste comme ça, avec légèreté, ou sous la pression idéologique, mais soyez sages, vigilants…»

Nous vivons dans un monde triste. Nous allons tous mourir, nous devons pleurer parce que tout n’est pas comme Dieu le veut, mais nous ne pleurons pas sans espoir. Il n’en sera pas toujours ainsi. Et chaque étape de l’accomplissement de notre mission, aider les pauvres, éduquer les ignorants, aider les faibles, lutter pour la justice, exprimera ce que nous avons compris de l’Evangile, en attendant que le Seigneur fasse infiniment mieux.

* U. Middelmann est conférencier et écrivain; directeur de la Fondation F.A. Schaeffer, à Gryon (Suisse); ancien membre de l’International Institute for Relief and Development.

]]>