Pierre BERTHOUD – La Revue réformée https://larevuereformee.net Wed, 08 Sep 2021 06:38:54 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.10 Sommaire N° 191 — 1996/5 — NOVEMBRE 1996 — TOME XLVII https://larevuereformee.net/articlerr/n191 Tue, 31 Aug 2021 18:49:08 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=1160 Continuer la lecture ]]> Carrefour théologique,
Aix-en-Provence, mars 1996
« Luther et/ou Calvin

Marc LIENHARD
L’humanité de Luther


Olivier MILLET
L’humanité de Calvin


Pierre METZGER
Religion, Église et société chez Martin Luther


Marc-François GONIN
Le couple et la vie de famille des Luther et des Calvin


Pierre BERTHOUD
La connaissance de Dieu chez Jean Calvin


Le livre…
 » L’Encyclopédie du protestantisme « 
(Paul Wells)


Réflexion théologique
Léopold SCHÜMMER,
L’homme, image de Dieu.
Le corps, temple du Saint-Esprit dans la synthèse biblique de Calvin

La Revue réformée, en texte intégral, en format pdf

]]>
Le Congrès et l’Engagement du Cap : l’impact de l’Evangile dans toutes les sphères de la société https://larevuereformee.net/articlerr/n286/le-congres-et-lengagement-du-cap-limpact-de-levangile-dans-toutes-les-spheres-de-la-societe Mon, 18 May 2020 16:50:37 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=1080 Continuer la lecture ]]> Le Congrès et l’Engagement du Cap : l’impact de l’Evangile
dans toutes les sphères de la société1

Pierre Berthoud
Professeur émérite
Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence


Nous avons eu le privilège, Danièle, mon épouse, et moi, d’assister au Congrès sur l’évangélisation, Lausanne III, qui s’est tenu en octobre 2010 au Cap. Danièle a rejoint l’équipe de traducteurs tandis que, moi-même, j’étais membre de la délégation française. J’ai aussi été invité à faire partie d’un think tank qui regroupait des politiciens, des hommes d’affaires et des universitaires (environ 80 personnes) venant du monde entier et qui avait pour objectif d’identifier de nouveaux courants et défis contemporains auxquels les chrétiens seraient appelés à faire face durant la prochaine décennie.

Ce fut une expérience unique de se retrouver au milieu d’une assemblée qui regroupait 4200 personnes venant de 198 pays (malheureusement la délégation chinoise, composée de 200 membres, n’a pu assister au congrès n’ayant pas reçu à la dernière minute l’autorisation de quitter la Chine).

En 1974, nous avons exercé un ministère passionnant dans le cadre d’une communauté d’études appelée L’Abri – fondée par Francis et Edith Schaeffer –, qui se trouvait dans les Alpes vaudoises, à une soixantaine de kilomètres de Lausanne. J’ai eu ainsi le privilège de participer au Congrès de Lausanne, dont les deux inspirateurs étaient Billy Graham et John Stott. Ce congrès a, sans aucun doute, été un événement majeur de l’histoire du mouvement évangélique mondial, qui lui a permis de prendre un tournant décisif dont l’impact se fait sentir encore aujourd’hui et se fera sentir encore longtemps. A l’époque, les évangéliques se divisaient plus ou moins en deux groupes distincts, les uns mettant essentiellement l’accent sur l’évangélisation, les autres prônant, avant tout, l’importance de l’action sociale dans l’annonce de l’Evangile, appelée par ailleurs la mission intégrale. Tout au long du congrès, la tension entre ces deux courants était palpable, étant donné la présence de conférenciers sud-américains comme René Padilla ou Samuel Escobar. Aussi le projet de rédiger une déclaration commune n’était-il pas du tout évident. Il a fallu de longues tractations et plusieurs rédactions (toute une nuit de travail) avant de parvenir à un texte définitif, la Déclaration de Lausanne. Le rôle de John Stott a été décisif dans la mise au point du texte définitif. En plus des personnes mentionnées plus haut, des participants tels que Francis A. Schaeffer, Os Guinness et Henri Blocher ont également contribué, de manière significative, aux travaux de l’assemblée. La synthèse finale a permis à ces deux courants de trouver un terrain d’entente résolument biblique, qui relevait à l’époque du miracle. En parlant de l’engagement social du chrétien, voici ce que dit la Déclaration :

Nous affirmons que Dieu est à la fois le Créateur et le Juge de tous les hommes ; nous devrions par conséquent désirer comme lui que la justice règne dans la société, que les hommes se réconcilient et qu’ils soient libérés de toutes sortes d’oppression. L’homme étant créé à l’image de Dieu, chaque personne humaine possède une dignité intrinsèque, quelle que soit sa religion ou la couleur de sa peau, sa culture, sa classe sociale, son sexe ou son âge ; c’est pourquoi chaque être humain devrait être respecté, servi et non exploité. Là aussi, nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre. La réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu ; l’action sociale n’est pas l’évangélisation et le salut n’est pas une libération politique. Néanmoins, nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien2.

Le fait d’avoir pu participer à ces deux Congrès (je n’ai pas assisté à Lausanne II qui s’est tenu à Manille aux Philippines) m’a permis de me rendre compte de l’évolution du Mouvement de Lausanne : la continuité et le développement de la vision, les domaines de réflexion et d’actions mises en œuvre. Le Congrès du Cap a fait franchir au Mouvement de Lausanne une nouvelle étape dans sa réflexion et son rayonnement en suscitant une prise de conscience capitale, celle de veiller à ce que l’Evangile ait un impact dans toutes les sphères de la société. L’étude qui suit est divisée en deux parties : le congrès lui-même et l’Engagement du Cap.

Le Congrès du Cap

Trois pôles

Tout d’abord, le congrès a mis l’accent sur trois aspects de la mission du Mouvement de Lausanne :

1) On a rappelé, une fois encore, la nécessité de poursuivre la tâche d’évangéliser les peuples qui n’ont pas encore eu l’occasion d’entendre l’Evangile. L’urgence de cette tâche implique de mettre les Ecritures à la disposition de ces populations non encore atteintes, sous forme soit de traduction écrite, soit de narration orale. Un appel a aussi été adressé aux Eglises afin qu’elles continuent et même intensifient la proclamation de la bonne nouvelle et l’implantation de nouvelles communautés.

2) Les œuvres de compassion, l’action sociale et la recherche de la justice ainsi que le respect de la dignité de la personne humaine ont été, encore une fois, au centre des débats. Le juste équilibre entre l’évangélisation et l’action sociale n’est pas toujours facile à atteindre. Lors d’une des études bibliques matinales, John Piper a souligné la prééminence de la proclamation de la Parole dans l’articulation de ces deux aspects du ministère chrétien. Plusieurs orateurs ont traité ce sujet, soulignant l’importance de former des disciples et d’incarner un style de vie caractérisé par l’humilité, l’intégrité et la simplicité, cela en réponse à l’Evangile de la prospérité et au matérialisme occidental galopant.

3) Le troisième sujet, abordé en particulier dans le think tank Gouvernement-Affaires-Académie3, a été la présentation de la foi chrétienne en tant que perspective globale qui éclaire tous les aspects de la pensée, de la vie et de l’action humaine. Pour de nombreux croyants, il n’est plus possible de limiter le témoignage évangélique aux seuls domaines de la vie privée et individuelle. La parole-sagesse de Dieu a également comme mission d’éclairer la vie publique, ses choix, ses buts et son éthique. Au sein d’une sécularisation croissante, face à l’essor de l’islam et des nouvelles formes de paganisme, comment communiquer la perspective chrétienne et les valeurs morales qui s’y rapportent afin d’irriguer et d’influencer les sphères culturelles, politiques et économiques ? Le fait que Lausanne III se soit penché sur les questions relatives à la présence et à l’action chrétiennes dans un monde qui vit à l’ombre de la mort constitue une démarche opportune et un sujet de reconnaissance. Cela a été, pour plusieurs, une incitation à contribuer au shalôm de la cité, à son bien-être. Pourtant il reste encore un long chemin à parcourir et bien des pièges à éviter, surtout celui de vouloir exercer une influence pertinente et appropriée sur la société sans se donner une base biblique suffisante à la réflexion et à l’action. Il importe de se souvenir que nous sommes dans le monde, mais pas du monde. L’espérance qui nous habite doit nous empêcher de créer une confusion entre le royaume de Dieu et une quelconque utopie humaine et terrestre, aussi attirante qu’elle puisse paraître. Ce troisième aspect est bien décrit dans la seconde partie de l’Engagement du Cap consacrée à la vérité du Christ au sein de ce monde divisé et brisé4. Le thème de la vérité est traité en lien avec le pluralisme, le monde du travail, les médias, les arts, les technologies et le monde de la cité. Il importe cependant d’aller encore plus loin, à savoir d’identifier de façon plus précise les maux à combattre5 tout en étudiant en profondeur et en définissant, de façon plus rigoureuse, les principes appelés à guider la réflexion et l’action du croyant alors qu’il proclame que le Christ règne sur toutes choses, ses pensées, ses actions et son existence même.

Autres thèmes

Les sujets suivants ont également été traités avec clarté, expertise et une perspective résolument biblique pendant les multiplexes : le pluralisme et la mondialisation, les nouvelles technologies de communication, les défis de la bioéthique et de l’environnement, le sida et le trafic humain, la formation d’une nouvelle génération de leaders et les partenariats dans l’action missionnaire de l’Eglise. Un très grand nombre de séminaires ont été proposés sur des sujets tels que le « discipulat » (la vie du disciple) ou la formation théologique, la libération sexuelle et l’homosexualité (une approche humaine, pastorale et équilibrée à la lumière d’un enseignement résolument biblique), l’impact de la foi dans l’histoire de l’architecture (excellent), le colonialisme et l’ethnicité (unilatéral, partial et ethnocentrique), et bien d’autres.

Les études bibliques sur l’épître aux Ephésiens, animées par des exégètes compétents, furent un des temps forts des sessions du matin. Elles étaient suivies par un moment stimulant et édifiant de partage, de discussion et de prière dans des groupes installés autour de tables (700 tables de six personnes chacune), dont l’objectif était d’explorer plus en profondeur le chapitre quotidien présenté en plénière et d’en déduire les implications pratiques individuelles et communautaires, y compris dans la cité.

Quelques critiques mineures

Les organisateurs ont cherché à encourager les contacts personnels et les relations en regroupant les participants autour de 700 tables (six personnes par table) pendant les sessions plénières. Excellente initiative. Lors de ces rassemblements publics, un effort a été fait pour trouver un bon équilibre entre les conférences, les témoignages et les performances (le théâtre et la musique, en particulier), mais, hélas, des orateurs tels qu’Os Guinness, Tim Keller ou Benjamin Kwasli n’ont eu que très peu de temps (dix à quinze minutes) pour présenter leurs exposés. Ce fut une faiblesse ! Comment imaginer traiter, de façon satisfaisante, des sujets tels que la vérité, la mission urbaine ou le témoignage auprès des musulmans en si peu de temps ? Pourtant, les témoignages ont été poignants, en particulier ceux qui venaient de chrétiens, membres d’Eglises vivant sous la croix, confrontés à la violence et aux persécutions, y compris le martyre. En ce qui concerne l’importance accordée aux arts (théâtre, musique, cinéma), nous ne pouvons que nous réjouir du rôle significatif qu’ils ont joué lors de ce congrès. Cependant, il est arrivé que les célébrations se soient apparentées davantage à des spectacles qu’à une invitation à l’adoration et à la prière. Il n’est pas douteux qu’une réflexion plus approfondie sur la créativité et sa relation à la Parole et au culte est nécessaire dans ce domaine.

La cérémonie finale, avec la sainte cène, a été un point culminant du congrès. La louange, la proclamation de la Parole, la prière et la communion en Christ ont trouvé un équilibre harmonieux dans une célébration qui pourrait bien être comparée avec celles du Temple de Jérusalem ! L’assemblée a chanté des hymnes modernes écrits par des compositeurs talentueux tels que Keith et Kristyn Getty ou Frank Houghton. La qualité et la profondeur aussi bien que la simplicité et la pertinence de la cérémonie de clôture ont été remarquables et touchantes. Le chant du Symbole de Nicée et les prières de pénitence et d’engagement ont été deux temps forts de cet événement6.

Un nouveau centre de gravité

Le centre de gravité de l’Eglise s’étant déplacé, il était normal de mettre en avant l’œuvre de Dieu en Amérique latine et aux Caraïbes, en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. Très peu d’attention a été accordée au monde occidental et, en particulier, à l’Europe. Pourtant, la sécularisation qui plonge ses racines dans l’humanisme européen représente, sans aucun doute, un défi majeur pour l’Eglise de Jésus-Christ – plus encore que l’islam ou le nouveau paganisme – parce qu’elle est présente, sous une forme ou sous une autre, partout dans le monde. Cela explique peut-être pourquoi on insiste si peu sur l’évangélisation des lycéens et des étudiants et pourquoi l’apologétique (à l’exception de certains séminaires) a tenu si peu de place dans la communication de l’Evangile au sein des cultures contemporaines.

Ces quelques critiques ne sous-estiment, en aucune manière, la qualité et le succès de ce grand rassemblement, qui a adressé un vibrant appel à la communauté chrétienne mondiale à renouveler son engagement dans la mission que le Seigneur a confiée à Son corps, l’Eglise. Il revient à celle-ci d’évangéliser, de mettre en place une action sociale cohérente, de témoigner d’un message éthique pertinent sur la place publique, d’œuvrer à la réconciliation et d’encourager les chrétiens à devenir des artisans d’une paix réelle à l’intérieur de nos communautés humaines brisées et souffrantes. Il est encore temps et il est même urgent de proclamer, avec clarté et enthousiasme, la Parole de vérité et de vie révélée dans les Ecritures et pleinement manifestée dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Sauveur et Seigneur.

L’Engagement du Cap

L’Engagement du Cap comprend deux parties (une déclaration/confession de foi et un engagement à l’action), toutes deux exprimées dans le langage de l’amour ; en d’autres termes, dans le langage de l’alliance. Il s’agit, de toute évidence, de l’alliance de grâce initiée par le Seigneur lui-même, qui correspond au motif biblique de base : création – chute – rédemption (auquel on pourrait ajouter :  restauration et glorification). Le style rafraîchissant du document, rédigé par Chris Wright et son équipe, n’entrave, en aucune manière, la richesse et la qualité de son contenu. En élaborant de nouveaux horizons de pensée et de témoignage et en ouvrant de nouvelles perspectives d’action, les auteurs de l’Engagement du Cap ont donné un outil de qualité à l’Eglise universelle de Jésus-Christ. Voici quelques-uns des aspects saillants de ce document.

La confession/déclaration de foi

La première partie de l’Engagement du Cap s’intitule « Au Dieu que nous aimons : la confession de foi du Cap ». Cet engagement de foi constitue la réponse du croyant et de l’Eglise à la grâce et à l’amour que Dieu a manifestés le premier. Ceci ne surprend pas si l’on considère la place centrale et l’importance de l’amour dans le Nouveau Testament ; en même temps, cette centralité est quelque peu téméraire et même provocante si l’on considère l’usage et l’abus de cette notion dans le monde contemporain, y compris à l’intérieur de l’Eglise chrétienne. L’amour, souvent dévalorisé, est employé comme un slogan ou comme un moyen de satisfaire ses propres désirs ou de justifier ses propres faiblesses, pour ne pas dire son propre péché ! Voilà pourquoi, dans la première section, l’Engagement prend soin de déclarer que la grâce et l’amour de Dieu sont intrinsèquement liés à l’obéissance et, par conséquent, à la volonté de Dieu. Il se poursuit en qualifiant cette notion : « Un tel amour signifie que nous soyons semblables au Christ en personne : fermes dans l’endurance, mais doux dans l’humilité ; tenaces pour résister au mal, mais tendres dans la compassion pour ceux qui souffrent ; courageux dans la souffrance et fidèles jusqu’à la mort. »7 En fait, lorsque l’on étudie l’ensemble de la première partie de l’Engagement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une exégèse de la doctrine de l’amour, à la fois divin et humain, formulée dans des termes personnels qui conviennent tout à fait à une relation d’alliance, laquelle englobe toute la création. A n’en pas douter, le Dieu trinitaire a entrepris de sauver l’humanité en Jésus-Christ afin d’inaugurer le renouvellement de toutes choses et la transfiguration finale des cieux et de la terre.

Dans la deuxième section, l’Engagement se concentre sur le caractère unique du Dieu vivant, digne de louange et de gloire. Dans cette section, on trouve une remarquable citation de John Stott sur la passion que le chrétien est appelé à manifester pour la gloire du Dieu vivant, « un zèle brûlant et passionné… pour la gloire de Jésus-Christ »8.

Les trois sections suivantes, dédiées à l’amour de la Trinité, proposent une synthèse complète et brillante de la doctrine du Dieu trinitaire, infini et personnel. Dans la section traitant de la première personne de la Trinité, Dieu le Père, la notion du Dieu créateur de toutes choses aurait peut-être pu être mieux mise en évidence (I, 3, A)9.

Quant à la troisième personne de la Trinité, si l’accent est placé, à juste titre, sur « la puissance du Saint-Esprit » (six références dans I, 5, A, B, C), aucune mention n’est faite de sa sagesse. Une des façons d’éviter « les abus et les mascarades » qui foisonnent « sous le couvert du Saint-Esprit » (I, 5, synthèse) consiste à souligner l’importance à la fois de la puissance et de la sagesse du Saint-Esprit.

Alors, et seulement alors, vient la sixième section sur l’amour de la Parole de Dieu. Ceci est tout à fait opportun, car l’accent est maintenant placé sur le Dieu vivant, trinitaire, qui a révélé et communiqué sa sagesse dans les catégories du langage humain. Dans ce passage, l’Engagement propose un bon équilibre entre la narration et la formulation conceptuelle, montrant que ces deux moyens de communiquer la vérité ne sont pas opposés mais complémentaires (6, B, C). Les Ecritures témoignent abondamment de ces deux manières de formuler la vérité.

La septième section traite d’un point important : celui de l’amour de Dieu pour le monde. La discussion se situe au niveau de l’amour pour la création, pour les nations, pour les pauvres, ceux qui souffrent et pour notre prochain. Les deux premiers paragraphes sont importants et pertinents pour l’ensemble des communautés humaines en traitant de la sauvegarde de la création (I, 7, A) et de la diversité ethnique (I, 7, B). En ce qui concerne le « dessein rédempteur de Dieu pour la création elle-même », la question se pose de savoir si la création, y compris la société, sont les bénéficiaires directs ou indirects de l’œuvre rédemptrice du Seigneur, comme Paul semble le sous-entendre dans son épître aux Romains : « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (8.19)10.

L’accent mis sur la diversité ethnique comme « un don de Dieu » et sur l’extension de la bénédiction du Seigneur en Jésus-Christ à toutes les nations est bienvenu dans un monde où les divisions, les rivalités, les discriminations et les racismes sont légion. Tout en soulignant l’importance d’avoir à « préserver les cultures indigènes et leurs langues », l’Engagement fait aussi appel au discernement critique : « Toutes les cultures ne mettent pas uniquement en évidence l’image positive de Dieu dans la vie humaine, mais également l’empreinte négative de Satan et du péché. » (I, 7, B) Bien évidemment, ceci est aussi valable pour les sociétés occidentales ! L’accent sur l’évaluation critique des cultures est de la plus haute importance, non seulement lorsque nous évangélisons et implantons de nouvelles Eglises, mais aussi lorsque nous cherchons à apporter des changements significatifs, à promouvoir des principes éthiques bibliques et un sens renouvelé de la dignité humaine sur la place publique. Une étude plus approfondie de la Parole de Dieu et de sa loi dans ces derniers domaines peut aider à développer une réflexion, une mentalité et un style de vie chrétiens proposant des perspectives nouvelles et enthousiasmantes à nos contemporains dans toutes les sphères de la société, qu’elles soient académique, politique, économique, culturelle et artistique. Notre attachement au Christ nous pousse à proposer à nos contemporains une pensée et une action créatives qui tirent une sève abondante de la révélation et de la sagesse divines. Nous avons à nous adapter tout en étant prophétiques. Telle est la condition pour avoir un impact décisif et contribuer ainsi, par la grâce de Dieu, à un changement significatif et durable dans la cité. Mais ne jamais oublier que c’est le Dieu trinitaire seul qui établit le Royaume de Dieu !

Les trois dernières sections se concentrent sur l’amour de l’Evangile de Dieu (I, 8), sur l’amour du peuple de Dieu (I, 9) et sur l’amour de la mission de Dieu (I, 10). Ces parties de l’Engagement recouvrent un territoire familier. L’appel à l’unité, à l’honnêteté et à la solidarité (I, 9, A, B, C), lorsqu’il est entendu, ouvre la voie à une vie communautaire sainte, mature et saine, qu’il s’agisse du mariage hétérosexuel, de la famille ou de l’Eglise. En ce qui concerne l’appel à l’unité, toutes les divisions ne proviennent pas seulement de « barrières de race, de couleur, d’appartenance sexuelle, de classe sociale, de privilèges économiques ou d’appartenance politique » (I, 9, A). Parfois, elles peuvent être causées par un attachement indéfectible à la vérité. Dans l’un de ses derniers livres (souvent considéré comme son testament), La foi évangélique, un défi pour l’unité11, J. Stott établit une distinction claire entre les doctrines essentielles de la foi évangélique, qui ne sont pas négociables, et les adiaphora, ces points de doctrine qui demeurent importants, mais qui permettent des différences d’interprétation, de compréhension et de pratique. Toutes les barrières charnelles sont des obstacles majeurs à l’unité mais, il ne faut pas l’oublier, la vérité appartient au cœur même de la véritable unité.

L’Engagement du Cap invite, à plusieurs reprises, les chrétiens et les Eglises à reconnaître leurs fautes et à renouveler sans cesse leur engagement envers le Seigneur. Il met également en garde contre les maux qui, si souvent, portent atteinte au témoignage évangélique. Il dénonce aussi les injustices, que ce soit dans l’Eglise ou dans la société, qui, tout en donnant libre cours à la violence, la souffrance, le chaos et la destruction, défigurent la dignité de l’homme et déshonorent ainsi le nom et la gloire de Dieu12.

Cet appel prend toute sa signification dans un document rédigé dans les termes mêmes d’une alliance engageant des êtres humains et des communautés dans une relation avec le Dieu vivant. Qui dit relation d’alliance implique donc de rendre compte de ses pensées et de ses actes à son ultime Vis-à-Vis (Rm 1). Une telle perspective donne à réfléchir, mais elle est aussi source d’encouragement, car elle est essentielle à la sanctification et à la maturité chrétiennes comme à l’engagement dans l’Eglise et dans la société. A la lumière de ces considérations, examinons maintenant la deuxième partie de l’Engagement du Cap.

Au monde que nous servons. L’appel à l’action du Cap

L’appel à l’action découle naturellement du fait que l’Engagement est formulé en termes d’alliance. Le croyant et l’Eglise sont invités à répondre au Dieu de la grâce et de l’amour en l’aimant en retour et en lui obéissant. L’introduction à la deuxième partie plante la scène pour un vibrant appel adressé à l’Eglise chrétienne universelle et à ses institutions : « Les six thèmes principaux de notre congrès servent de cadre pour discerner les difficultés que toute l’Eglise de Christ doit affronter dans le monde et nos priorités pour l’avenir. »

Cette deuxième partie présente une excellente synthèse de quelques-uns des défis les plus importants auxquels les chrétiens et les Eglises ont à faire face en ce début de xxie siècle. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité, elle ne nie pas non plus que les priorités peuvent varier selon les régions du monde ; elle balise bien cependant le terrain. La première partie de l’Engagement est formulée en des termes plus généraux ; la deuxième partie est beaucoup plus détaillée dans sa description des domaines nécessitant une attention spéciale et une action résolue. Ces défis requérant un engagement ferme se doivent de provoquer une réflexion créative débouchant sur des initiatives personnelles, communautaires, sociales et culturelles déterminantes et pertinentes. Il reste encore beaucoup à faire mais, d’ores et déjà, des consultations et des congrès internationaux, régionaux et locaux ont lieu pour promouvoir la cause de l’Evangile et ses implications pratiques à la fois dans l’Eglise et dans la cité. Permettre à l’Eglise de Jésus-Christ d’être la lumière et le sel de la terre, tel est l’objectif de cette démarche concrète et pratique !

Dans les lignes qui suivent, quelques-uns des six défis majeurs placés devant les chrétiens et leurs communautés seront brièvement évoqués. Cela éclairera un peu plus la manière dont le Mouvement de Lausanne comprend l’impact que la foi chrétienne peut avoir sur la cité.

1) Rendre témoignage à la vérité dans un monde pluraliste et globalisé

Dans cette première section, la vérité est décrite par rapport à la personne du Christ, au défi du pluralisme, au monde du travail, aux médias globalisés et aux arts dans la mission. L’accent est placé sur la vie et la proclamation de la vérité de l’Evangile « comme plan de Dieu pour l’univers entier en Jésus-Christ ». L’appel pressant pour une apologétique bien structurée et articulée est bienvenu en réponse aux défis du pluralisme relativiste et de l’ultramodernité, de la sécularisation et de l’athéisme militant. Les deux aspects principaux de l’apologétique sont mis en avant : la défense argumentée de la vérité biblique et la communication appropriée, pertinente et prophétique du conseil de Dieu. En contestant la séparation entre vie privée et vie publique, l’Engagement encourage tous les croyants actifs à s’engager dans la mission sur leur lieu de travail. L’importance du ministère qui se manifeste dans la vie tout entière du disciple, y compris dans celle de « faiseur de tentes », est grande. Le discernement critique, surtout dans les domaines des médias et des arts, ainsi que l’expertise professionnelle et la créativité sont vivement encouragés. Nous nous réjouissons de ces recommandations qui cherchent à encourager les disciples du Christ à mettre leurs dons et leurs compétences au service de la mission, mais il est important de se rappeler que la raison d’être principale du chrétien est « de glorifier le Dieu trinitaire et de trouver en lui son bonheur éternel ». Cette affirmation est clairement indiquée dans tout le document même si, par moments, lorsqu’il traite de sujets pratiques, l’Engagement donne l’impression que la mission est l’objectif principal de toute autre activité, telle que l’implication dans les arts ou dans la sphère publique. Bien que nous reconnaissions que « dans le monde de la mission, les arts soient une ressource inexploitée », la finalité première des arts est d’honorer et de glorifier le Seigneur (Ps 45). En d’autres termes, comme Dieu les a intégrés au mandat culturel lors de la création, les arts n’ont besoin d’aucune autre justification !

2) Construire la paix du Christ dans notre monde divisé et brisé

La deuxième section commence par un résumé très clair de l’enseignement biblique sur la réconciliation et ses implications pratiques. Ainsi, l’Engagement dit : « La réconciliation vraie et durable requiert la reconnaissance des péchés passés et présents, la repentance devant Dieu, la confession de sa faute à la personne blessée, et la recherche et la réception du pardon ! Il faut également un engagement de l’Eglise à chercher la justice et la réparation. »13

Cette section continue en traitant les aspects suivants d’une réconciliation centrée sur le Christ : la paix du Christ dans les conflits ethniques, pour les pauvres et les opprimés, pour les personnes handicapées ou pour la création souffrante. Dans les paragraphes qui traitent des conflits ethniques, de la pauvreté et de l’oppression, l’Engagement est spécifique dans son identification des maux et offre une argumentation cohérente (II, ii, 2 et 3). Il dénonce le silence et la complicité des chrétiens « dans des contextes de violence et d’oppression ethniques » et les appelle à la repentance. En ce qui concerne les actions à entreprendre, il serait utile de décrire la spécificité du rôle de l’Eglise et des œuvres par rapport à celui que l’Etat est appelé à jouer.

Un paragraphe est consacré à l’attention qu’il importe d’accorder aux personnes handicapées en reconnaissant leur place et leurs ministères dans le corps du Christ. Ce passage souligne aussi que leur déficience n’est pas causée « par un péché personnel, un manque de foi ou par l’absence de volonté de guérison »14.

L’appel à la responsabilité écologique et au plaidoyer pour une action environnementale efficace, y compris dans le domaine de la biodiversité, trouve tout naturellement sa place dans cette section. Il est crucial que des chrétiens s’engagent dans ce domaine afin de montrer comment une perspective chrétienne du monde peut éclairer toute cette sphère de préoccupation et d’action et prévenir, avec son souci de la vérité, les tentatives de manipulations idéologiques. Mais cette exhortation aurait été plus convaincante si elle était plus élaborée et présentait une approche plus critique.

Il est indéniable que le problème du réchauffement climatique lié aux activités industrielles et technologiques de nos sociétés (et ce dès le xixe siècle) est réel et qu’il nous faut le traiter afin d’en réduire les effets néfastes lorsqu’ils relèvent de notre responsabilité. Diminuer l’énorme gaspillage des ressources naturelles est d’une importance capitale, de même pour la biodiversité qui a été particulièrement malmenée. Il nous faut militer pour une gestion plus responsable et respectueuse des biens de la création que Dieu nous a confiée. Cependant trois remarques s’imposent :

a) La question du réchauffement climatique n’est pas seulement liée aux activités humaines. Elle est plus complexe et touche à des domaines qui dépassent largement la maîtrise et l’action du Terrien. L’histoire du climat révèle des évolutions climatiques considérables, indépendantes de la révolution industrielle, dues en particulier à des phénomènes cosmiques liés aux activités solaires. Il faudrait donc distinguer entre ce qui relève de la responsabilité humaine et ce qui la dépasse. Or, on entend dire peu de choses à ce sujet, y compris chez les chrétiens. Une démarche plus humble et une analyse plus poussée de ce phénomène particulièrement complexe seraient très appréciables. Cela pourrait être une contribution spécifique de chrétiens ayant des compétences scientifiques. Au lieu de simplement suivre le mouvement, ne pourraient-ils pas faire preuve de plus d’analyse critique et d’originalité créative dans ce domaine ?

b) Le catastrophisme idéologique de certains courants écologistes est à prendre avec précaution. Il ne s’agit pas de contester leurs compétences, mais plutôt de s’interroger sur ce qui les inspire. Au-delà des faits et des comportements qui entraînent des conséquences néfastes pour notre environnement, il importe de comprendre quelle est la perspective globale qui sous-tend leurs démarches. Cette perspective me semble s’apparenter davantage à une idéologie immanente essentiellement horizontale et prônant, du moins en théorie, un retour à la nature… Il y a, sans aucun doute, un enjeu philosophico-théologique important. La perspective eschatologique biblique apporte un autre regard sur la résolution de la crise que nous vivons actuellement. Dans ce domaine, les chrétiens ont une contribution importante et pertinente à apporter. Quel éclairage significatif et original la sagesse et la loi divines apportent-elles à ces questions ?

c) A ce sujet, A Rocha (une association environnementale chrétienne fondée par Peter Harris et inspirée par le pasteur et théologien anglican John Stott) a adopté une démarche, dans le cadre d’une théologie de la création, qui maintient un bon équilibre entre les notions de développement durable et de sauvegarde de l’environnement naturel. Ses acteurs entreprennent des actions concrètes et pratiques à partir d’une perspective et d’une réflexion chrétiennes tout en collaborant avec d’autres organisations, y compris non chrétiennes. Cobelligérants, ils ne sont pas pour autant alliés ! Ils insistent sur l’importance de la compétence scientifique et de l’instruction scolaire. L’engagement sur le terrain suscite le respect des partenaires mais, parfois aussi, l’opposition de ceux qui cherchent à défendre leurs intérêts (y compris avec l’appui des politiques), sans se soucier du bien-être de la création ! Cela dit, il peut arriver qu’on ait l’impression que certains équipiers sont tentés de céder trop facilement aux sirènes du catastrophisme ambiant. Celui-ci va jusqu’à prétendre que l’homme peut tout contrôler et tient entièrement son destin entre ses mains. Hélas, la moindre remise en cause du discours consensuel du moment constitue un exercice redoutable ayant des conséquences parfois dramatiques15. La souveraineté du Christ nous invite à exercer la domination et la gérance des biens de la création avec le plus grand soin et un respect réel pour l’œuvre divine. Nous sommes donc entièrement d’accord avec l’Engagement quand il nous invite « à nous repentir de notre rôle dans la destruction, le gaspillage et la pollution des ressources de la terre » et à inventer un style de vie qui nous débarrasse de « l’idolâtrie du consumérisme » (I, 7) et trouve son inspiration dans la volonté et la sagesse du Seigneur. Pour des questions aussi complexes, le débat, même contradictoire, est essentiel à une réflexion saine et à la mise en place d’une action pertinente.

3) Vivre l’amour du Christ auprès de ceux qui confessent d’autres religions

Cette troisième section de l’Engagement est de la plus haute importance ; elle touche, en effet, à l’un des aspects les plus sensibles que suscite la diversité culturelle planétaire : le pluralisme religieux et le relativisme ultramoderne. Elle argumente que l’amour du prochain inclut les peuples de foi différente et que l’amour du Christ appelle les chrétiens à souffrir et, parfois, à endurer le martyre par fidélité au Seigneur ; l’amour incarne l’Evangile de la grâce et plaide en sa faveur, il respecte la diversité parmi les disciples du Christ, il s’efforce d’atteindre les peuples dispersés et travaille en vue de la liberté religieuse pour tous. La déclaration trouve un juste équilibre entre l’injonction d’évangéliser et le rejet de conversions forcées, entre le maintien de la vérité et le respect de la liberté de conscience, entre la conviction que Christ est unique tout en prenant part à des débats contradictoires. L’attention toute particulière et bienveillante pour les personnes déplacées a bien sa place dans cette section si l’on considère l’étendue des flux migratoires dans le monde aujourd’hui. Néanmoins, quelques commentaires se dégagent de la lecture de cette section :

–  Tout en désapprouvant un prosélytisme déplacé et coercitif, il est intéressant de remarquer que Jésus et Paul ont, tous les deux, pressé le non-croyant de répondre, de façon positive, à l’Evangile. Ainsi, par exemple, dans la parabole du festin, le maître de la maison dit à son serviteur : « Va par les chemins et le long des haies et contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie. » (Lc 14.23, NBS) La TOB traduit même « force-les d’entrer ». C’est un cas d’urgence et une question de vie ou de mort ! (II, iii, 1, A) Nous n’habitons pas un univers neutre mais dans celui que le Seigneur lui-même a créé. Nous, les humains, croyants et incroyants, nous aurons tous des comptes à rendre lors de l’ultime rendez-vous avec le Seigneur (Rm 1) !

–  La notion de « dialogue » dans les courants culturels et religieux contemporains est ambiguë, car elle sous-entend habituellement l’égalité et la concordance de toutes les religions, dont la conséquence est de diluer implicitement le caractère unique et exclusif de l’Evangile. Il est vrai cependant que l’Engagement définit le « dialogue » plutôt comme une « discussion-débat ».

–  Alors qu’il est impératif de persévérer, avec l’aide de Dieu, dans l’obéissance fidèle et dans l’amour au sein des persécutions et peut-être même du martyre, le croyant peut également demander à Dieu de manifester sa justice en temps opportun (Ps 84). Etant donné le caractère de Dieu, le croyant est certain d’habiter dans un univers moral (II, iii, 2, 3). Amour et justice ne s’excluent pas (Ps 85). Lorsque nous prenons le temps de lire les évangiles attentivement, nous sommes frappés de constater le grand nombre de malédictions prononcées par Jésus à l’encontre des adversaires de la bonne nouvelle du Royaume. Confrontée à l’intolérable, la tolérance peut être une forme de faiblesse et même de complaisance. Il nous faut résister en suivant l’exemple que Jésus-Christ nous donne, où justice et amour s’embrassent.

De plus, la souffrance n’a pas de valeur en elle-même. Elle ne porte des fruits que si elle conduit à une saine réflexion, à une prise en compte de la sagesse et de l’action de Dieu et qu’elle suscite une foi sincère et confiante en lui (Ec 7.14).

–  Dieu demeure souverain dans sa quête de l’homme égaré, créé à son image. Il est totalement libre d’agir selon son bon plaisir au sein des cultures de ce monde. L’appel au respect de la diversité culturelle dans la manière dont le disciple vit sa foi donne à penser, est intéressant et même souhaitable, mais il faudrait bien l’articuler avec l’unité du peuple de l’alliance qui plonge ses racines dans la vérité de la parole de Dieu, écrite et incarnée. La question de l’inculturation mériterait d’être approfondie afin d’en bien préciser les limites. Plus surprenant est la discrétion de l’Engagement vis-à-vis du Insider’s Movement, que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs religions. Cette apparente « neutralité » est, à l’évidence, liée à la description fortement christocentrique qu’il donne de ce mouvement, mais cela n’est malheureusement pas toujours le cas. Sans aucun doute, le syncrétisme est une menace qui se trouve chez tous les chrétiens, y compris en Occident, mais, dans un monde pluriculturel, où le pluralisme, le relativisme et le néopaganisme sont rampants, on aurait aimé une mise en garde plus ferme face aux dangers réels inhérents à l’Insider’s Movement !

4) Discerner la volonté du Christ pour l’évangélisation du monde

Cette quatrième section se concentre sur le thème majeur des trois congrès de Lausanne : « L’évangélisation est le cœur d’une approche pleinement intégrée de notre vocation, dans la mesure où l’Evangile lui-même est la source, le contenu et l’autorité de toute mission valable bibliquement. » (II, iv, 1, E) Une importance particulière est donnée au défi de partager la bonne nouvelle avec les peuples qui n’ont pas encore été atteints ou prospectés, de communiquer l’Evangile aux cultures orales traditionnelles qui représentent la majorité de la population mondiale, de former des disciples afin de mettre en place une nouvelle génération de leaders dans l’Eglise ; à la stratégie et au développement des missions urbaines16 afin d’atteindre les jeunes, les populations migrantes, ceux qui façonnent la culture et « les plus pauvres parmi les pauvres » ; à l’évangélisation des enfants, en encourageant ces derniers ainsi que les adolescents à devenir des instruments de la mission de Dieu. Pour cela, il importe de fournir des ressources qui correspondent réellement aux besoins des jeunes et les protègent de toutes sortes d’abus. L’Engagement a, sur cette question, une précision qui le rend encore plus percutant et pertinent. Il mentionne, en particulier, « la violence, l’exploitation, l’esclavage, le trafic (sexuel), la prostitution, la discrimination sexuelle et ethnique, le ciblage commercial ou la négligence délibérée » (II, iv, 5, C). On peut aussi relever la nouvelle idéologie du genre qui argumente que les différences sexuelles sont essentiellement déterminées par des facteurs culturels et sociaux. Cette théorie a des conséquences dévastatrices sur l’éducation des enfants et sur l’élaboration d’une structure familiale saine et solide.

Un appel poignant à « prier de manière unie, précise, persistante et avec une clarté nourrie bibliquement » clôt cette section. Celle-ci nous rappelle avec justesse que nous sommes collaborateurs dans la mission globale que le Seigneur a initiée. C’est Dieu lui-même qui envoie les ouvriers, transforme le cœur de ceux qui n’ont plus de raison d’être par le moyen de la vérité de l’Evangile. C’est le Seigneur lui-même qui manifeste sa gloire en Jésus-Christ par la puissance et la sagesse de l’Esprit et qui prend l’initiative de l’expansion de son royaume. C’est bien le changement de mentalité que provoque l’irruption de la grâce dans une existence humaine qui porte l’espérance de la transformation durable de la société et de la cité.

5) Appeler l’Eglise du Christ à revenir à l’humilité, à l’intégrité et à la simplicité

L’appel de cette cinquième section « à revenir à l’humilité, à l’intégrité et à la simplicité »17 a fortement marqué le Congrès du Cap, sans doute parce qu’il met le doigt sur certaines des causes de la crise mondiale que nous traversons, mais surtout parce qu’il lance un défi aux chrétiens : celui d’adopter un style de vie qui soit en adéquation avec leur engagement envers Jésus-Christ. Cette section invite l’Eglise, en tant que nouvelle humanité, à incarner un comportement et un style de vie distinctifs. L’amour en lieu et place de l’idolâtrie du désordre sexuel, l’humilité en tant que renoncement à l’idolâtrie de la puissance, l’intégrité comme le rejet de l’idolâtrie du succès et la simplicité incompatible avec l’idolâtrie de la cupidité sont caractéristiques de la nouvelle humanité en Christ, ses composants essentiels. Tout en nous ramenant à la réalité, ces paragraphes nous motivent et nous encouragent à utiliser notre créativité et notre imagination inspirée afin de développer un style de vie et un témoignage qui glorifient Dieu et suscitent la surprise et l’intérêt de nos contemporains. Dans cette section, l’Engagement revient avec clarté, sensibilité et courage sur deux autres thèmes majeurs que sont la pratique désordonnée de la sexualité et la doctrine de « l’évangile de la prospérité ».

6) Etre partenaire dans le Corps du Christ, expression de l’unité dans la mission

Le thème abordé dans cette sixième section a déjà été fortement souligné dans le Manifeste de Manille18. En fait, Lausanne II ayant « donné naissance à plus de 300 partenariats stratégiques dans l’évangélisation du monde »19, il n’est pas surprenant de retrouver cette insistance dans la section finale de l’Engagement, la crédibilité et l’efficacité de l’Eglise en dépendant largement. L’accent y est mis sur l’unité de l’Eglise, le partenariat dans l’action missionnaire, la collaboration des hommes et des femmes dans le ministère et le besoin de donner une dimension « missionnelle » à l’enseignement théologique. Celui-ci, dont l’objectif est de présenter une perspective globale qui éclaire tous les aspects du monde et de l’existence humaine, est d’une importance cruciale pour la croissance en maturité du chrétien et de l’Eglise.

Dans le paragraphe qui traite du partenariat des hommes et des femmes, nous avons apprécié que l’égalité de toutes les créatures devant Dieu soit soulignée, que le sacerdoce de tous les croyants et le don des charismes de l’Esprit à tous, aux hommes comme aux femmes, soient mis en évidence. L’Engagement reconnaît la diversité des points de vue sur les ministères des femmes dans l’Eglise et recommande un respect mutuel, une étude de l’Ecriture plus approfondie de cette question importante et la repentance lorsque « l’œuvre évidente du Saint-Esprit dans une sœur ou un frère » a été étouffée. La phraséologie de ce paragraphe a été soigneusement choisie et vise à argumenter en faveur, à la fois, de l’unité et de la diversité des modèles de ministères qui « reflètent le caractère de serviteur de Jésus-Christ ». A l’intérieur d’un environnement culturel qui préconise une uniformité quasi systématique et l’interchangeabilité des rôles, il serait crucial de reprendre la question de la complémentarité des ministères masculins et féminins à la lumière des Ecritures, non seulement dans la famille, mais aussi dans l’Eglise. Une telle compréhension et pratique renouvelées contribuerait à enrichir la vie et l’édification de l’Eglise et à mettre en valeur son témoignage alors qu’elle cherche à parler prophétiquement à ses contemporains. Quant à l’importance « missionnelle » d’un enseignement solide, biblique et théologique, il est indispensable à la croissance, à la persévérance et à la pertinence de l’Eglise.

En conclusion de la deuxième partie, l’Engagement rappelle avec force deux thèmes majeurs : l’obéissance radicale du disciple et le caractère impératif de la réconciliation centrée sur la croix. La vie de disciple et l’amour du prochain se trouvent au cœur de la vie et du ministère de la vraie Eglise du Christ.

Conclusion

Lors de la cérémonie de clôture de Lausanne III au Cap, Lindsay Brown a prononcé l’allocution finale dans laquelle il a présenté « la quadruple vision et l’espérance » du congrès. Ses quatre points représentent une conclusion appropriée à cette étude :

« Premièrement, la réaffirmation retentissante du caractère unique du Christ et de la vérité de l’Evangile ainsi qu’un énoncé clair de la mission de l’Eglise – le tout enraciné dans l’Ecriture. »

« Deuxièmement, identifier les questions clés que l’Eglise se doit de traiter dans la prochaine décennie. »

« Troisièmement, faciliter des amitiés et des partenariats nombreux et fructueux au sein de l’Eglise universelle. »

« Quatrièmement, permettre de nombreuses nouvelles initiatives » évangéliques ayant un impact sur les populations non atteintes de notre époque, en particulier au sein de la cité20.

Parmi celles-ci, Lindsay Brown espérait voir surgir « une énergie nouvelle dans la communication de la vérité biblique dans le domaine public par l’intermédiaire des médias, des arts, du monde des affaires, de l’université et du gouvernement. Toutes ces sphères façonnent les systèmes de valeurs dans les nations et exigent un témoignage chrétien hardi, clair et cohérent. »21 En s’exprimant ainsi, Lindsay Brown pensait à la contribution que la perspective biblique du monde et de l’homme pouvait apporter à l’avènement du shalôm dans la société civile. Comme la foi réformée est particulièrement bien équipée dans ce domaine, n’y a-t-il pas là un défi qu’elle se doit de relever alors que nous traversons, en Europe, une des plus graves crises de civilisation de notre histoire ?

Le Congrès et l’Engagement du Cap rendent tous deux un éloquent témoignage à la réalisation initiale de cette vision et de cette espérance qui porte déjà des fruits. Ils ont ouvert de nouveaux lieux de réflexion et de ministère. Ils sont source de motivation et incitent à l’action ! Puissent les communautés chrétiennes les recevoir avec des cœurs reconnaissants, accueillir leurs défis et contribuer ainsi à l’avancement de la gloire et du royaume du Dieu trinitaire dans les années à venir !


  1.  Cet article est la reprise et l’adaptation d’un article que j’ai rédigé en anglais : “Africa Welcomes the Universal Church. The Lausanne III Congress in Cape Town”, European Journal of Theology, XXI/1, 2012, p. 60-68.↩

  2.  Déclaration de Lausanne, section 5, « La responsabilité sociale du chrétien », in Jean-Paul Rempp, sous dir., Evangéliser, témoigner, s’engager. Les documents de référence du Mouvement de Lausanne, Excelsis, Charols, 2017, p. 22.↩

  3.  Dans le think tank, les sujets suivants ont été présentés et débattus : la sécularisation et le nouvel athéisme ; la politique d’information et les nouvelles technologies ; comment la foi chrétienne peut éclairer le débat et l’action ; la sauvegarde de la création et la politique de santé ; être lumière et sel dans le monde des affaires ; la corruption dans la cité ; le développement de l’islam ; la Seigneurie du Christ dans un environnement musulman/chrétien, et ainsi de suite.↩

  4. II, i.↩

  5.  Le paragraphe intitulé « Le monde que nous n’aimons pas » est très court et par trop succinct (I, 7).↩

  6.  Cf. la brochure Closing Ceremony. A New Musical Setting of the Kenyan Service of Holy Communion, pour les paroles des différentes parties de la célébration. Tout le culte a été une invitation pressante à la prière, à la louange et à l’adoration du Dieu trinitaire. Au sein de cette grande assemblée, il a éveillé un sens profond de la majesté de Dieu, de la communion fraternelle et de l’appartenance au corps universel du Christ.↩

  7.  I, 1, D.↩

  8.  A part J. Stott, l’Engagement cite la Déclaration de Lausanne (deux fois), le Manifeste de Manille (une fois) et la Déclaration de Michée sur la Mission intégrale (une fois) mettant en évidence que le document de 2010 suppose les deux précédentes déclarations de Lausanne et bâtit sur elles. D’ailleurs une étude comparative attentive de ces trois documents fondamentaux révèle leur profonde cohésion, leur diversité et, pour le dernier en particulier, un élargissement de l’horizon.↩

  9.  Dieu le Père est employé dans l’Ancien Testament pour parler de la rédemption d’Israël en tant que nation, mais, dans certains passages, c’est l’activité créatrice de Dieu qui est soulignée (Dt 32.6 ; Es 64.8 et Mal 2.10). La créativité de Dieu n’est pas limitée à la création. La rédemption est aussi conçue comme un acte créateur.↩

  10.  Cette question mérite, du moins dans sa formulation, un développement supplémentaire afin que soit précisé comment la création et la société sont incluses dans l’œuvre de la rédemption divine. Ceci est également visible dans la dernière section où l’on peut lire : « Dieu transformera la création brisée par le péché et le mal en une création nouvelle dans laquelle il n’y aura plus ni péché ni malédiction. » (10 Introduction, 43) Nous sommes fondamentalement d’accord, mais l’expression « transformer… en une création nouvelle » est quelque peu ambiguë. Les Ecritures parlent de la création présente (le ciel et la terre) qui disparaît et de Dieu qui crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre. Il semblerait plus juste de parler d’une transfiguration de la création (cf. 1Co 15), cf. la deuxième partie de cet exposé.↩

  11.  J. Stott, The Evangelical Truth, Personal Plea for Unity, Integrity and Faithfulness, IVP Leicester, 1999 (2013 par Langham Global Library, Carlisle, UK). Edition française, La foi évangélique, un défi pour l’unité, LLB, Valence, 2000.↩

  12.  On retrouve, dans toutes ces dix sections, des appels à la confession, à la repentance et au réengagement aussi bien que des avertissements et des condamnations sous une forme ou sous une autre. La plupart des injustices qui sont rapportées sont exprimées en termes généraux, ce qui correspond bien à ce genre de document. Par exemple, la section I, 7, le dernier paragraphe intitulé « Le monde que nous n’aimons pas », contient une brève description du « monde de la rébellion humaine et satanique contre Dieu ». Seuls « les mauvais désirs, la convoitise et l’orgueil humain » sont mentionnés. On aurait pu s’attendre à une description plus complète du « monde que nous n’aimons pas ». En outre, à plusieurs occasions, l’Engagement nomme des maux et des injustices spécifiques (cf. nos commentaires sur la deuxième partie, un « Appel à l’action »).↩

  13.  II, ii, 1.↩

  14.  II, ii, 4, C.↩

  15.  Cf. le livre de l’ex-météorologue d’Antenne 2 dont les propos ont suscité de vives réactions : Philippe Verdier, Climat investigation, Ed. Ring, 2015. Disponible en Livre de Poche 2016.↩

  16.  La moitié de la population mondiale vit maintenant dans des villes.↩

  17.  Déjà mentionné dans la première partie de cet exposé.↩

  18.  Le Manifeste de Manille, section 9.↩

  19.  L’Engagement du Cap, Préambule.↩

  20.  Lindsay Brown, Nous avons un Evangile à proclamer : Le Cap 2010, p. 95-96.↩

  21.  Ibid.↩

]]>
Pertinence et actualité de la foi réformée à la fin du 20e siècle https://larevuereformee.net/articlerr/n274/pertinence-et-actualite-de-la-foi-reformee-a-la-fin-du-20e-siecle Sun, 18 Sep 2016 16:57:41 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=952 Continuer la lecture ]]> Pertinence et actualité de la foi réformée
à la fin du 20e siècle

Pierre BERTHOUD[1]

Introduction

La formulation classique de la foi réformée telle qu’elle est définie dans les confessions de foi de la Réforme est-elle encore d’actualité sur la scène contemporaine ? Cette question a souvent été posée aux acteurs de la Faculté Jean Calvin depuis son inauguration en 1974. Pour y répondre, il faut prendre en considération ce qu’elle recèle implicitement :

  1. Elle nous conduit à réfléchir aux présuppositions qui orientent la vision du monde de tout un chacun. En effet, la pensée et le style de vie de nos contemporains sont influencés par des présupposés philosophiques plus ou moins explicites. Dans ce domaine, il n’existe pas de neutralité. Nous posons tous des axiomes qui sous-tendent la perspective globale du monde et de l’homme à laquelle nous adhérons. La vraie question est celle de la cohérence de notre vision et de son rapport à la réalité. Notre vision rend-elle compte de la réalité si riche et complexe qui nous entoure ? Ainsi, par exemple, la méthode historico-critique, dans la mesure où elle jette le doute sur le caractère surnaturel des écrits bibliques, étant tributaire du rationalisme issu des lumières, occulte tout un aspect de la révélation biblique. Elle est, par conséquent, incapable de rendre compte de l’unité et de la diversité de la pensée et de l’action divines telles qu’elles se dévoilent progressivement dans l’Ancien et le Nouveau Testaments.
  2. Il s’ensuit que la question initialement posée, implicitement tributaire de présupposés philosophiques, relève d’une discipline particulière du cursus théologique, à savoir l’apologétique dont l’enseignement occupe une place essentielle à la Faculté Jean Calvin. Si la vérité que Dieu nous dévoile et nous communique dans les Écritures ne change pas, elle s’adresse cependant à chaque nouvelle génération selon les préoccupations de celle-ci et les questions qu’elle se pose. Tant que la foi réformée demeure à l’écoute des Écritures et reste attachée à la doctrine des apôtres, elle est en mesure, avec l’aide du Saint-Esprit, de faire preuve de créativité dans son effort de mettre en évidence toute la pertinence de la Parole et de la Sagesse divines. Dans les lignes qui suivent, nous allons aborder trois aspects de l’apologétique : sa vocation, son défi ultime et son déploiement, qui nous aideront à mieux cerner la question.

I. Une vocation

Cette vocation présente deux facettes :

  1.  L’apologétique est d’abord défense de la foi, de la vérité de l’Évangile. La perspective chrétienne globale ne se présente pas comme un discours religieux qui serait déconnecté de la réalité. Bien au contraire, elle éclaire tous les aspects du monde, de la condition humaine et de la cité. Elle suppose un champ unifié de la connaissance qui refuse la dichotomie si chère à nos contemporains entre la réalité mesurable et l’illusion religieuse. Cette vérité est accessible à l’intelligence sans pour autant donner une connaissance exhaustive. Tout en soulignant son caractère personnel, elle se démarque du relativisme et du subjectivisme du consensus ultramoderne. Il s’ensuit que l’une des tâches de l’apologétique est de défendre l’Évangile contre les attaques dont il est l’objet et d’établir sa crédibilité philosophico-religieuse, historique et rationnelle. Cette approche ne met nullement en cause une démarche de foi authentique. Elle lui donne, au contraire, une assise solide.
  2. L’apologétique présente un autre aspect significatif, celui d’une communication qui rend l’Évangile compréhensible par nos contemporains. Cela implique écoute et connaissance de l’environnement culturel, et créativité dans la manière de transmettre la vision et le message bibliques. Tout en étant porteurs d’une vérité qui dépasse l’horizon de notre monde, il est essentiel que nous rejoignions notre prochain au cœur même de son existence, de ses débats et de ses questionnements afin qu’il puisse saisir toute l’actualité et la pertinence de la sagesse divine dans un langage qui lui soit familier. Sans cette sensibilité et cette imagination créative, il est à craindre que le chrétien demeure inaudible au sein d’un monde qui ne partage ni sa vision, ni ses repères, ni ses valeurs !

II. Un défi ultime

Quant au défi ultime, il touche à l’existence et au caractère de Dieu :

  1. La pensée contemporaine postule l’existence de l’être plutôt que du non-être. Ainsi, par exemple, l’exposition de vitraux contemporains consacrés au thème de la Genèse qui s’est déroulée en 2000 à Aix-en-Provence. Sur l’affiche de l’exposition composée à partir d’un vitrail créé par Dominique Masset intitulé « Préambule de la Genèse », on pouvait lire cette phrase des plus significatives : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » Cette question suppose l’existence de quelque chose et nous invite, en même temps, à réfléchir au « pourquoi » de ce quelque chose, c’est-à-dire à l’origine de cette réalité et au sens qu’il faut tenter de lui donner. Cette interrogation en rejoint une autre, celle que l’on retrouve sur le célèbre tableau de Paul Gauguin intitulé « Que sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? ». Cette fois-ci, l’artiste pose la question de l’origine de la destinée humaine, laquelle est très étroitement associée à celle du sens et de la finalité de l’existence.
  2. Si quelque chose existe, quelle en est la nature ? La perspective humaniste et matérialiste de bon nombre de nos contemporains les conduit à postuler que l’ultime réalité est infinie et impersonnelle et se définit, essentiellement, en termes de matière ou d’énergie. Elle présente une approche foncièrement autonome et horizontale. Mais, à partir d’un tel présupposé, comment rendre compte de la complexité de l’univers qui ruisselle d’intelligence et du caractère unique du terrien ? En revanche, la perspective biblique postule que l’ultime réalité est l’Être infini et personnel. C’est le point de départ de toute philosophie qui est à l’écoute des Écritures et du contenu qu’elles véhiculent. Cette perspective globale offre une réponse à la question des origines, qui tient compte de l’unité et de la diversité du réel et qui met en lumière une conception originale de l’être humain, qualitativement différent de l’ensemble du monde vivant.
  3. Face au silence de l’univers et à la solitude que nos contemporains éprouvent si douloureusement, l’Évangile affirme avec force que le Créateur est l’ultime vis-à-vis de la créature humaine et, surtout, qu’il n’a pas gardé le silence, mais qu’il a choisi de s’exprimer selon les catégories du langage humain, de telle sorte que les fils d’Adam peuvent comprendre réellement sa Parole de vérité et de vie. Cette sagesse divine éclaire les questions de l’origine, du mal et de la condition humaine tout en focalisant l’attention sur la personne de Jésus le Christ, source de sens, de réconciliation et d’espérance[2].

III. Un déploiement

Après avoir évoqué la vocation et le défi de l’apologétique, il nous faut aborder son déploiement. Nous en distinguons trois étapes :

  1. Grâce à la révélation écrite et incarnée, l’être humain a accès à la pensée divine. Cela signifie que le Seigneur ne laisse aucun aspect fondamental de l’univers et de la condition humaine dans l’obscurité. Toute question honnête mérite une réponse honnête. La communication que cet Être infini et personnel transmet est donc vraie et fiable. Elle s’adresse à l’intelligence en vue de provoquer un changement de mentalité qui touche à tous les aspects de la personne humaine, y compris sa volonté et ses affections. C’est ce que nous appelons la conversion.
  2. Le Dieu de la Bible n’est pas celui des philosophes, distant et inactif. C’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob… le Dieu de Jésus-Christ ! En tant que chrétiens, nous avons à manifester son existence en menant notre vie terrestre sous son regard, en sa présence et en lui faisant confiance à chaque instant. Le Dieu vivant agit encore aujourd’hui dans l’espace et le temps, au cœur de l’histoire, de notre histoire. Il n’est pas une illusion, nous sommes témoins des traces qu’il a laissées dans l’histoire, dans nos vies, dans nos communautés et dans nos cités.
  3. Aimer le Seigneur ne va pas sans aimer le prochain et cela sans compter. Dieu a fait renaître le chrétien à la vie afin qu’il vive pleinement sa vocation humaine. La relation de celui-ci avec le Christ le libère de lui-même et du péché qui l’attire et le ronge. Elle lui permet de reconnaître et de voir son prochain comme son vis-à-vis, d’aller au-devant de lui, de reconnaître sa dignité et de lui manifester une compassion sincère. Cette qualité relationnelle authentique et vraie constitue un argument déterminant dont le Saint-Esprit se sert pour conduire nos contemporains à se réconcilier avec Dieu le Père qui s’est révélé en Jésus de Nazareth.

Conclusion

Toute théologie qui est à la fois à l’écoute de la Sagesse que le Seigneur nous a communiquée et attentive au monde et à la culture environnante, demeure actuelle, pertinente et perspicace. C’est vrai, en particulier, pour la foi réformée qui s’enracine dans la doctrine des apôtres et reste attachée à la foi chrétienne historique. Plus encore, une étude rigoureuse et une méditation approfondie des Écritures permettent de constater à quel point la sagesse divine éclaire et transforme le moindre recoin de l’existence humaine lorsqu’elle s’ouvre à sa lumière. La Parole incarnée est, sans nul doute, le chemin, la vérité et la vie. C’est ainsi que l’apologétique est un moyen fort efficace dont le Dieu trinitaire se sert pour conduire l’être humain au cœur du mystère de la foi ! Puisse-t-elle continuer à jouer ce rôle essentiel dans la formation que la Faculté Jean Calvin offre à ses étudiants.


[1] Pierre Berthoud est professeur émérite de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence et l’actuel président du Conseil de Faculté.

[2] Pour une étude plus approfondie de la question, cf. Pierre Berthoud, En quête des origines. Les premières étapes de la Révélation : Genèse 1-11, Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2008, p. 177 ss.

]]>
Les livres sacrés ont une histoire https://larevuereformee.net/articlerr/n272/les-livres-sacres-ont-une-histoire Sun, 29 Nov 2015 18:45:45 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=931 Continuer la lecture ]]> Les livres sacrés ont une histoire

Pierre BERTHOUD*

Introduction

Depuis maintenant plusieurs années, la question de la formation du ou des canons bibliques fait l’objet d’un débat particulièrement intense. Jusqu’à un passé récent, il était admis que nous avions pour les écrits bibliques des canons clos, c’est-à-dire bien délimités. Leur date de clôture les différencie les uns des autres.

Ainsi, par exemple, en ce qui concerne l’Ancien Testament, les auteurs qui défendent la perspective classique traditionnelle situent la clôture du canon entre le Ve et le IIIe siècle av. J.-C., tandis que les auteurs critiques, fortement marqués par le rationalisme ambiant, situent la clôture du canon à la fin du Ier siècle ap. J.-C. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, la question de la formation du canon de l’Ancien Testament est dominée par le consensus critique selon lequel la loi a été fixée vers 400 av. J.-C., les prophètes à la fin du VIIIe siècle et les écrits à la fin du Ier siècle av. J.-C., lors du Concile juif de Jamnia. Cependant, ce consensus, qui s’était élaboré à partir de la structure tripartite de l’Ancien Testament (loi, prophètes, écrits/sagesse), a été remis en question, en particulier l’idée que, lors du Concile de Jamnia, la clôture du canon avait été prononcée. Or, des études récentes ont établi qu’il n’y a pas eu de concile à Jamnia aux environs de 90 ap. J.-C. Des rabbins se sont bien réunis, mais uniquement pour s’interroger sur le maintien ou non dans le canon de certains livres dans le canon, l’Ecclésiaste, Esther et le Cantique des cantiques[1]. En fait, le consensus critique n’a été que partiellement remis en cause. La formation des deux premières divisions (loi et prophètes) du canon est généralement maintenue[2], tandis que la clôture de la troisième partie est maintenant située plus tardivement, au IIe, voire au IIIe siècle ap. J.-C. Selon cette hypothèse, la troisième partie du canon (les écrits) aurait plus en commun avec le judaïsme des premiers siècles de notre ère : en particulier, la division tripartite de la Bible hébraïque est bien attestée dans le Talmud[3].

A côté de cette perspective majoritaire qualifiée de « minimaliste », il existe, dit S.G. Dempster, une perspective minoritaire qu’il dénomme « maximaliste ». Selon cette école, le canon tripartite aurait été mis en place « bien plus tôt, avant l’ère chrétienne, à l’époque des Maccabées au plus tard ». En plus de l’évidence biblique interne, ces savants soulignent l’importance des données fournies par la tradition, que ce soit, par exemple, les témoignages de Josèphe ou de Ben Sira dans son prologue, qui mentionnent les trois divisions de la Bible hébraïque[4].

Ce débat n’est pas sans poser d’importantes questions quant à la fixation du canon et l’existence supposée d’un canon ouvert ou de canons ouverts. S’il est vrai que les livres sacrés ont une histoire, y compris la Bible, Ancien et Nouveau Testaments, il importe de tenir compte de l’ensemble de l’évidence, interne et externe, lors de l’étude de la formation du canon. Je me propose dans les réflexions qui suivent de me limiter à deux aspects de la problématique mentionnée ci-dessus :

  • La question du canon ouvert telle que la présente Philip R. Davies et ses implications théologiques[5].
  • La critique textuelle, en particulier la diversité des familles de manuscrits et la formation du canon à la lumière de l’étude comparative de Keith E. Small consacrée à l’histoire textuelle du Nouveau Testament et du Coran[6]. La réflexion proposée suppose une perspective résolument biblique qui considère que les données de la révélation divine offrent une dimension essentielle à la discussion de ces questions. Dans un champ unifié de la connaissance, histoire et théologie étant complémentaires, elles sont appelées à travailler ensemble.

I. La question du canon ouvert et les implications théologiques

1. Canon ouvert

Dans un article consacré à la formation de la Bible hébraïque, P.R. Davies (de l’Université de Sheffield)[7] aborde la question du canon en essayant d’élucider comment le canon s’est élaboré progressivement. Son analyse est uniquement horizontale. Comment, du point de vue humain, le processus canonique s’est-il mis en place ? Ce processus implique plusieurs étapes : rédiger/composer, éditer, archiver (sur un rouleau ou parchemin), collecter/rassembler un ensemble de rouleaux. L’auteur refuse l’idée d’une trajectoire unique, d’un « mécanisme canonique ». Il y a plutôt plusieurs processus qui entrent en jeu dans la formation du canon, qui se manifestent dans la mise en forme d’un rouleau et dans le regroupement de rouleaux. En d’autres termes, l’établissement d’une liste définitive de livres canoniques n’est que la fin d’un processus et non sa finalité. Tant que cette fin n’est pas atteinte, le processus se poursuit et demeure même ouvert à d’autres agencements possibles. Un livre exclu à un moment précis du processus peut, par la suite, être intégré au canon et vice versa. Plutôt qu’un développement inévitable, l’auteur pense que le canon résulte de décisions historiques discrètes.

Davies procède de façon inductive dans sa tentative de démontrer que l’établissement progressif d’un canon est une activité essentiellement humaine. Il évoque à ce sujet plusieurs exemples : l’existence de canons ouverts dans le monde grec et hellénique regroupant des ouvrages d’art, de médecine, de technologie ou de philosophie (cf. Homère, Hérodote, Thucydide). Le même phénomène est attesté en Mésopotamie et en Egypte. Il s’agit en réalité de corpus littéraires plus ou moins fluctuants.

Ce processus de « canonisation » est le propre de cultures ayant une tradition littéraire et se déroule en deux temps :

  • Copier et préserver un texte qui finira par devenir un classique. Il sera ainsi répertorié et intégré à une collection dont il fera désormais partie.
  • Une classification implique des choix qui permettent d’établir une bibliothèque ou un cursus scolaire ou encore un certain type d’ouvrages académiques authentiques. Les artisans de ces « canons » littéraires sont les scribes, dont la tâche est d’accompagner ce processus. Notons, enfin, qu’il existe une hiérarchie à l’intérieur des canons. Dans le cas de la littérature grecque, Homère vient en tête, suivi d’Hérodote et, pour finir, de Thucydide (cf. la Torah pour l’Ancien Testament et l’Evangile pour le Nouveau Testament).

Davies étudie, ensuite, la question à l’intérieur de la tradition juive de l’époque et avance que ce processus relève essentiellement de l’activité des scribes, c’est-à-dire des intellectuels, des sages pour emprunter le langage biblique. A l’époque biblique, ces scribes, ces sages sont plutôt rattachés à une cour royale. Par la suite, à l’époque hellénique (à partir du IIIe siècle av. J.-C.), il est possible de parler d’écoles rabbiniques (cf. Ben Sira 51.23 et la référence à l’« école des scribes » – bêt midrash) ayant une audience plus large et plus ouverte sur la société civile, qui restent attachées cependant à l’héritage transmis par les sages de l’époque monarchique (l’auteur mentionne le livre de l’Ecclésiaste/Qohélet[8]). Ce processus de canonisation s’enclenche, selon Davies, à l’époque du second temple, pendant la domination perse et grecque. L’auteur cite plusieurs exemples bibliques pour illustrer son hypothèse selon laquelle la canonisation des écrits correspond à un processus. Ce processus comprend le travail d’édition, d’archivage (rassemblements d’écrits sur un rouleau) et le regroupement de rouleaux en unités littéraires plus importantes. Les exemples cités sont le Psautier, le livre des Proverbes, Esaïe, Jérémie et les douze petits prophètes. Dans les cas du Psautier et du livre des Proverbes, il est, en effet, possible d’identifier un tel processus ; dans celui des livres d’Esaïe et de Jérémie, la démonstration est moins probante. Personnellement, je pense que ces deux livres s’apparentent davantage à des anthologies regroupant les écrits des deux prophètes en question. Quant aux douze petits prophètes, si leurs écrits sont rassemblés sur le même rouleau, chaque livre est rattaché à un prophète – auteur particulier. C’est dire l’importance du prophète/auteur individuel dans la composition de chaque livre !

2. Quelques remarques critiques

Aussi intéressante que soit cette hypothèse qui met à juste titre l’accent sur le processus humain de l’élaboration du canon, quelques commentaires s’imposent :

a. Force est de constater l’absence de toute référence à la transcendance dans les propos de P.R. Davies. Or, selon le témoignage biblique, les notions de révélation, de communication et d’inspiration divines ne peuvent pas être ignorées dans ce débat. C’est ce qui permet de distinguer entre un corpus littéraire (Mésopotamie, Egypte, Grèce) et une collection de livres canoniques étroitement associée aux notions capitales de révélation et d’inspiration. L’ultime référence, dans ce débat, n’est pas le processus, ni la tradition, ni tel ou tel concile, mais un être humain, à savoir un prophète, à qui Dieu, infini et personnel, a choisi de communiquer sa pensée dans les catégories du langage humain. Le prophète est, à la fois, témoin et porte-parole, il vit une expérience intense avec Dieu et il communique un message à un individu, à un groupe, le peuple de l’alliance, et même à une nation étrangère.

b. Selon cette dernière perspective, la norme est par conséquent liée au fait que Dieu se révèle dans le contexte des alliances, celle de Noé (renouvellement de l’alliance que Dieu a conclue avec les hommes lors de la création, mais cette fois-ci dans un monde marqué par la présence dynamique du mal) ; celle d’Abraham, porteur de la promesse de salut ; celle de Moïse, qui donne une identité religieuse, culturelle et politique au peuple d’Israël et à laquelle sont  rattachés tout le mouvement, toute la lignée prophétique. Le Dieu de la Bible ne s’enrobe pas de silence, il ne se réfugie pas dans le silence. Il communique, il parle, il s’adresse aux hommes. C’est poussés par le Saint-Esprit que des êtres humains ont transmis à leurs contemporains une parole qui, en fait, avait Dieu lui-même comme origine. D’ailleurs, cette approche qui situe la clef du processus en Dieu, cet ultime vis-à-vis de l’homme, est aussi admise et reconnue par la tradition juive classique. Dans ce processus, à la fois humain et divin, les deux acteurs jouent chacun un rôle essentiel. Dieu communique réellement aux êtres humains selon les catégories du langage humain, et ces derniers sont ses porte-parole, sans pour autant renoncer à leur humanité. Leurs œuvres nous dévoilent des êtres de chair et de sang aux prises avec la réalité, sensibles, passionnés, audacieux, créatifs… Le prophète Jérémie en est un exemple particulièrement éloquent et émouvant. Ce dialogue et ce « partage » des responsabilités sont le propre de la relation d’alliance. Comme le fondement de l’autorité des livres bibliques est en Dieu lui-même, il s’ensuit que, dans ce processus de canonisation, de reconnaissance/réception des livres sacrés, la notion d’auto-attestation des écrits qui s’impose à la communauté des croyants est primordiale, pour ne pas dire décisive, quel que soit le rôle, certes important, du scribe/sage par ailleurs. Il est donc important de mettre en évidence le processus humain de canonisation, mais il est essentiel de l’intégrer dans un processus dont la clef est le Dieu infini et personnel. La mise en place du canon biblique n’est pas un simple jeu de hasard, mais correspond à un projet du Seigneur de l’alliance.

c. Un juste équilibre entre un processus humain conduit par l’Esprit et initié par Dieu rend le mieux compte de la nature particulière des écrits bibliques. C’est dans ce genre de discussion que nous pouvons discerner l’importance des présupposés philosophiques sous-jacents à une telle démarche. Ne prendre en considération que l’aspect humain du processus de canonisation conduit à ignorer un aspect essentiel des données à notre disposition et nous en donne une compréhension partielle, pour ne pas dire tronquée.

En résumé, on peut identifier avec Keith E. Small cinq étapes dans le processus humain de mise par écrit et de regroupement des textes bibliques :

  • Les sources orales ou écrites en vue de la rédaction d’un texte.
  • Le texte rédigé par un auteur en vue d’une publication et de la diffusion.
  • La(les) version(s) officielle(s) ayant un statut officiel dans une région géographique particulière.
  • La version canonique ayant un statut officiel dans une région géographique plus importante (avec une population plus étendue).
  • Les versions révisées des versions canoniques officielles[9].

3. La formation du canon de l’Ancien Testament

Avec ces éléments de réflexion à l’esprit, le moment est venu de revenir à l’article stimulant de S.G. Dempster, qui estime que l’origine de la Bible hébraïque est liée à « l’émergence d’une structure tripartite » avec une stabilisation progressive du texte canonique : d’abord la Torah et les prophètes pendant la période postexilique, ensuite « les autres écrits » sans doute à l’époque des Maccabées et, au plus tard, au Ier siècle ap. J.-C.[10] Dans son étude, l’auteur prend en considération aussi bien l’évidence interne qu’externe.

Dans la première partie de son article[11], Dempster commence par souligner la priorité de la révélation en tant que parole de Dieu dans la vision globale et l’existence d’Israël. Cette communication divine, qui s’adresse aussi bien au peuple de l’alliance qu’à l’humanité tout entière, est véhiculée essentiellement par la loi, la prophétie et la sagesse. Dès les origines, l’évidence biblique interne souligne l’importance de la mise par écrit de la parole du Recteur de l’univers. S’appuyant sur de nombreux ouvrages bibliques, l’auteur démontre la prééminence de la Torah donnée dans le cadre de l’alliance conclue avec Moïse. Les acteurs de l’histoire d’Israël sont invités à y revenir et à la méditer sans cesse, afin qu’elle éclaire leur pensée et leur style de vie. D’ailleurs, le message prophétique suppose un enracinement et manifeste une continuité avec la révélation qui le précède, en particulier la loi mosaïque[12]. Même la sagesse qui intègre l’observation, l’expérience et la réflexion humaines est tributaire de la parole divine telle qu’elle a été transmise à Moïse[13]. Cette révélation se déploie de manière cohérente et son développement est comparable à une croissance organique qui permet d’articuler l’unité et la diversité de la communication divine, comme d’ailleurs son caractère à la fois transcendant et immanent.

Cette première partie permet à Dempster d’estimer qu’il existait bien une conscience canonique pendant la période biblique. Il conclut son propos en disant :

L’évidence interne suggère l’organisation des divers écrits sacrés israélites en un tout cohérent qui indique la primauté de la Torah, mais aussi une impulsion eschatologique et des préoccupations pratiques. Le fait que l’étude de la Torah soit importante pourrait aussi être indicatif de l’influence de la sagesse. Le moment précis de la mise en place de cette organisation reste incertain. Elle a probablement commencé à l’époque de l’exil quand ces diverses collections d’écrits faisant autorité ont été rassemblées en un ensemble littéraire[14].

Il faut sans doute distinguer entre le processus de canonisation qui a commencé bien avant l’exil, selon le témoignage biblique, et la stabilisation ou clôture du canon, qui est plus tardive.

Dans la deuxième partie de son article, S.G. Dempster s’attaque à l’évidence externe, extrabiblique, qui témoigne de cette même conscience canonique. Son étude précise et rigoureuse du judaïsme intertestamentaire et du christianisme primitif le conduit à dire que les différents auteurs extrabibliques désignent l’ensemble des écrits bibliques en faisant référence à une entité unique[15], à une entité composée de deux[16] et même de trois parties[17]. Dans plusieurs passages, lorsque la formule « la loi et les prophètes » est employée, celle-ci inclut aussi des livres généralement attribués à la troisième partie de l’Ancien Testament[18]. Quant à la division tripartite des Ecritures, Dempster passe en revue l’ensemble des textes juifs[19] et chrétiens de l’Antiquité concernés et conclut que cette structuration qui souligne la prééminence de la loi, laquelle, loin d’être tardive, est déjà bien attestée dans la littérature du judaïsme préchrétien. Son argumentation est d’ailleurs plutôt convaincante et lui permet de conclure cette deuxième partie en disant :

La forme de la Bible hébraïque avec sa structure tripartite souligne que la source de la vie est en Dieu et qu’elle [la Bible hébraïque] est un appel récurrent à revenir à la Torah, Torah, Torah et, par conséquent, à développer une mentalité centrée sur la Torah. La parole qui a donné la vie au commencement en créant la lumière et en insufflant dans les narines d’Adam est maintenant disponible dans la Torah ; en méditant celle-ci jour et nuit, il est possible de connaître la vie dans sa plénitude[20].

II. La critique textuelle et la formation du canon

K.E. Small, dans une étude bien documentée[21], aborde ce sujet de manière originale en comparant l’histoire textuelle du Nouveau Testament avec celle du Coran. Pourquoi cette étude comparative ? L’auteur a fait deux constats : d’une part, la grande diversité textuelle apparente dans les manuscrits anciens de la Bible ; d’autre part, le Coran justifie son avènement par l’existence supposée de nombreuses erreurs dans la Bible. Ce qui nécessite donc une nouvelle révélation, qui, elle, est parfaite dans sa rédaction comme dans sa transmission. Small consulte une vingtaine de manuscrits différents de deux textes tirés de la Bible et du Coran. Dans la Bible, il choisit un texte du Nouveau Testament, Actes 7.1-8[22], le début du discours d’Etienne devant les autorités juives. Dans le Coran, il choisit la Surate 14.35-41, qui évoque les figures d’Abraham, d’Ismaël et d’Isaac. L’étude de l’histoire de la formation des écrits canoniques du Nouveau Testament et du Coran permettra à l’auteur de parvenir à la conclusion suivante : certes, les écrits bibliques n’ont pas connu une transmission parfaite mais, contrairement au Coran, le canon biblique, en particulier le Nouveau Testament, s’est formé progressivement sans que, pour autant, la diversité des manuscrits, des familles de manuscrits disparaissent. Ce qui constitue un argument en faveur de l’intégrité et de la fiabilité des livres bibliques[23].

L’étude de Small permet de dire que « les deux traditions textuelles démontrent que leurs scribes respectifs ont travaillé soigneusement afin de transmettre de façon exacte les textes dont ils disposaient. Leur travail met en évidence une précision de très haut niveau et fait preuve d’une fidélité remarquable tout au long de l’histoire de leurs traditions respectives. Cependant, ils étaient humains et donc susceptibles de commettre des erreurs et d’être influencés par les développements linguistiques, politiques et religieux de leur temps[24]. »

Des démarches différentes

Cela dit, Small remarque des différences dans la démarche qui cherche à éclairer aussi bien l’origine des textes que leur histoire :

a. Alors que, pour le Nouveau Testament, il y a abondance de manuscrits et de familles de manuscrits qui nourrissent la critique textuelle, celle-ci est peu développée pour le Coran, en particulier pour la période qui précède sa dernière standardisation (Xe siècle ap. J.-C.). D’autre part, la présence d’une tradition orale parallèle qui influence la ponctuation, l’interprétation et la récitation des textes coraniques rend la question encore plus complexe. Sans exclure une étape orale dans l’élaboration des textes canoniques, il n’existe pas de tradition orale parallèle aux textes écrits du Nouveau Testament[25].

b. A la différence du Nouveau Testament, le Coran a un processus de standardisation qui commence dès le Ier siècle de l’ère islamique. Dès la mort de Mohammed, plusieurs collections du Coran apparaissent parmi les compagnons du prophète. On peut les qualifier de versions officielles régionales, mais elles diffèrent les unes par rapport aux autres et, de ce fait, provoquent des divisions qui menacent l’unité du mouvement et de l’empire islamique. Pour couper court à cette menace, Uthman, le troisième calife, impose une seule version, celle d’Umar, qu’il a obtenue de sa fille. Cette version deviendra la version canonique à l’exclusion des autres versions régionales ainsi que d’autres collections de l’époque[26]. En plus de cette première normalisation, deux autres ont eu lieu, la première initiée par al-Hajjaj au VIIIe  siècle ap. J.-C., la seconde étant l’œuvre d’Ibn Mujahid au Xe siècle ap. J.-C.[27]. Ce processus de standardisation n’est pas attesté pour les collections de manuscrits du Nouveau Testament. Une destruction des écrits bibliques a bien eu lieu sous la persécution initiée par l’empereur Dioclétien, mais elle a heureusement été sans conséquences majeures sur le nombre et la diversité des manuscrits disponibles.

c. Dans l’histoire de la canonisation du Coran, l’autorité religieuse centralisée joue un rôle décisif pour l’établissement d’un texte normatif. En revanche, en ce qui concerne le Nouveau Testament, la standardisation se fait de manière plus informelle et peut se comparer à une croissance organique. La forme originale d’un texte se développe progressivement sans intervention externe manifeste. Les variantes textuelles sont essentiellement dues à la responsabilité des scribes individuels. L’autorité ecclésiale  n’intervient, semble-t-il, que pour se prononcer sur le maintien ou non d’un livre dans le canon[28].

d. C’est ainsi que le double rôle de la critique textuelle diffère dans les deux traditions religieuses que nous avons brièvement évoquées :

  • Dans le cas des textes bibliques, il s’agit de se rapprocher le plus possible du texte original tandis que, dans le cas du Coran, il s’agit de standardiser une version (une famille de manuscrits) au détriment des autres.
  • Quant au développement des textes qui conduit à l’établissement d’un texte formel et canonique dans le cas du Nouveau Testament, il faut parler d’un processus informel qui s’apparente plutôt à une croissance organique tandis que, dans le cas du Coran, il s’agit d’un processus contrôlé par une autorité religieuse centrale.

Ce constat laisse ouverte, pour ne pas dire remet en cause, la question de la réception et de la transmission parfaites du Coran. En revanche, en ce qui concerne l’apport de la critique textuelle néotestamentaire, nous pouvons dire avec K.E. Small, qui cite l’évêque Michael Nazir-Ali :

L’existence d’une diversité de manuscrits et de variantes est perçue comme un atout par les exégètes chrétiens dans l’élaboration d’un texte critique du Nouveau Testament. Les variantes ne donnent pas l’impression de compromettre sérieusement ni l’intégrité historique du Nouveau Testament ni sa fiabilité en tant que canon de la doctrine chrétienne. L’existence de nombreux manuscrits, rédigés dans des langues anciennes différentes et originaires d’Eglises séparées dispersées, mais pour l’essentiel en accord entre eux, est un argument en faveur de l’intégrité des Ecritures[29].

III. Un regard théologique

Pour ne laisser planer aucune ambiguïté, il importe d’ajouter à cette réflexion que suggère la critique textuelle une dimension théologique qui s’inspire des textes du Nouveau Testament. Lors de la même table ronde à laquelle participait Gilles Dorival[30], Donald Cobb, s’étant interrogé sur la nature des textes canoniques – un ensemble de livres inspirés, une anthologie de témoignages spirituels, un recueil d’ouvrages porteurs d’une parole divine dans des vases d’argile –, a poursuivi sa présentation en abordant la question de la formation du canon.

Par contraste avec l’approche qui avance que le canon n’était pas prévu et qu’il résulte essentiellement d’une reconnaissance ultérieure, habituellement située au IVe siècle, par les autorités de l’Eglise, Cobb estime qu’une logique canonique est opératoire déjà dans le Nouveau Testament. Cette logique devait d’ailleurs aboutir à l’établissement de notre canon actuel.

1. Les indices

         Sa démonstration s’appuie essentiellement sur les travaux de Gerhardsson[31] repris ultérieurement par des auteurs tel R. Bauckham[32]. Le judaïsme ancien et le christianisme primitif fournissent cinq indices en faveur de cette thèse :

  • le rôle primordial de l’apprentissage par cœur, en particulier de l’enseignement du maître ;
  • la distinction entre le « texte » mémorisé et le « commentaire » des disciples ;
  • la pratique de la mise par écrit de l’enseignement du maître par les disciples ;
  • la transmission à la fois fidèle pour le contenu essentiel et créative sur le plan des détails. Gerhardsson parle d’« innovation créative » en corrélation avec la préservation de « textes fixes » ;
  • l’apprentissage, l’enseignement du  maître par le disciple en vue d’en devenir plus tard le porte-parole attitré.

2. Le témoignage du Nouveau Testament

Dans le Nouveau Testament, la démarche suggérée par ces indices est au service de l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ et comprend une double référence au dire et au faire. On peut penser que c’est Jésus, le Christ, qui a initié ce processus de canonisation.

Cette logique canonique exprime la volonté de transmettre un enseignement et de lancer un mouvement durable, y compris par la diffusion d’écrits. Très vite, les livres du Nouveau Testament sont diffusés, les évangiles, les lettres de Paul… L’Apocalypse joue, en quelque sorte, un rôle normatif en mettant en garde contre toute modification du livre (Ap 22.18 et 19).

3. Le témoignage des Pères apostoliques

Le témoignage des Pères de l’Eglise est intéressant à ce sujet. Entre la fin du Ier siècle et la fin du IIe siècle, plusieurs auteurs (Clément de Rome, Polycarpe, Ignace d’Antioche, Irénée de Lyon, Justin Martyre, entre autres) laissent entendre qu’un noyau de livres apostoliques est révéré et même considéré comme normatif. Ces témoignages attestent de manière substantielle que cette logique canonique est inhérente au Nouveau Testament.  Celle-ci permet de recevoir comme faisant autorité les livres issus du cercle apostolique et de garantir, par conséquent, la transmission sûre de l’Evangile.

Conclusion

Comme pour l’Ancien Testament, il n’est pas possible d’introduire une dichotomie entre l’apport de la critique textuelle et une perspective théologique qui s’enracine dans les textes du Nouveau Testament dans l’étude du processus de canonisation. Certes, les livres sacrés ont une histoire, y compris les écrits bibliques, mais, tout en mettant en évidence les données historiques et textuelles, il faut être à l’écoute de la logique théologique opératoire dans les Ecritures, que ce soit l’Ancien Testament ou le Nouveau Testament.


* P. Berthoud est président du conseil de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence, après en avoir été le doyen et y avoir enseigné l’Ancien Testament et l’apologétique.

[1] J.P. Lewis, « Jamnia Revisited », in M. McDonald & J.A. Sanders, The Canon Debate, Peabody, MA, Hendrickson, 2002, 146-162.

[2] G. Dorival, lors d’une table ronde organisée par l’Association Bible et culture à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence), a argumenté sur le fait qu’il ne fallait pas séparer les deux premières divisions de la Bible hébraïque, car elles ont été canonisées ensemble (cf. table ronde : la formation des écrits et du canon biblique, le 20 février 2014). Le nouveau consensus est loin d’être établi !

[3] C’est le point de vue de G. Dorival (table ronde du 20 février 2014).

[4] S.G. Dempster, « Torah, Torah, Torah. The Emergence of the Tripartite Canon », in C.A. Evans & E. Tov, editors, Exploring the Origins of  the Bible. Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2008, 27 à 91, en particulier 90 et 91.

[5] P.R. Davies, « Loose Canons. Reflexions on the Formation of the Hebrew Bible », 1997. https://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/jhs/article/viewFile/6 (13 pages).  

[6] K.E. Small, Holy Books have a History. Textual Histories of the New Testament and the Qur’an, Monument, CO, Snowfall Press, 2008.

[7] Cette section présente un bref résumé de l’article de P.R. Davies.

[8] Davies s’appuie sur les travaux de E.W. Heaton, The School Tradition of the Old Testament, Oxford, Oxford University Press, 1994, art. cit., 7, 13.

[9] K.E. Small, op. cit., 23 et 24.

[10] S.G. Dempster, art. cit., 89,104 (cf. note 94).

[11] Ibid., 91 à 104.

[12] Le prophète Amos, par exemple, enracine ses oracles aussi bien dans l’alliance conclue avec Noé que dans celle qui a été établie avec Moïse.

[13] Si la sagesse suppose la révélation générale qui s’adresse à tous les hommes, elle n’est pas pour autant autonome de la révélation spéciale. Une étude détaillée du livre des Proverbes démontre à l’évidence une correspondance entre les sentences sapientiales et les stipulations législatives de la Torah. La sagesse humaine sans l’apport de la révélation spéciale est incapable de percer le mystère de l’existence humaine et de définir un style de vie cohérent.

[14] S.G. Dempster, art. cit., 104.

[15] Ainsi, par exemple, « la loi », les écrits sacrés, les Ecritures, les Saints Livres… Ibid., 104.

[16] La division bipartite des Ecritures est généralement exprimée par la formule « la loi et les prophètes » ou des expressions analogues. Cf. ibid., 105 à 107.

[17] Ibid., 107 à 125.

[18] Ibid., 106 et 107.

[19] L’auteur mentionne les passages pertinents de Ben Sira et de son petit-fils, de Qumran, de 2 Maccabées, de Philon, de Josèphe, du Nouveau Testament ainsi que de plusieurs listes de livres datant de la fin du IIe siècle apr. J.-C. Cf. note 17.

[20] Ibid., 125.

[21] K.E. Small, op.cit., note 6 ; cf. aussi Textual Criticism and the Qur’an manuscripts, Landom, MD, Lexington Books, 2011. Cette étude est informée essentiellement par le premier de ces deux ouvrages, Sacred Books have a History.

[22] Ce passage évoque la vocation d’Abraham, sa descendance, le séjour en Egypte et la libération de l’Egypte.

[23] K.E. Small, op. cit., III à XI. Dans la suite de son livre, l’auteur aborde les thèmes suivants : « Les livres saints ont une histoire », « La critique textuelle relative à la Bible et au Coran », « Les variantes dans la Bible et le Coran », « Comparaisons et conclusions résultant de la critique textuelle ». Small ajoute deux appendices dans lesquels il traite de « La critique textuelle et l’inspiration des Ecritures » et des questions qui reviennent souvent à propos de l’histoire de la formation du canon.

[24] K.E. Small, op. cit., 51.

[25] Ibid., 25 à 27.

[26] Ibid., 24 et 25.

[27] Ibid., 24 et 69. Cependant, il est important de préciser qu’un début de travail de critique textuelle est en cours et permet d’entrevoir des variantes plus importantes que le texte standard du Coran laisse apparaître. En plus, il existe quatre palimpsestes qui permettent de constater des variantes plus importantes et comparables à celles qui sont attestées dans le Nouveau Testament. Le palimpseste est un parchemin manuscrit dont on efface la première écriture (plus ou moins bien) pour pouvoir écrire un nouveau texte sur le support (cf. 68).

[28] Ibid., 57 à 59, 64ss, 49 et 50.

[29] M. Nazir-Ali, Frontiers in Muslim-Christian Encounter. Oxford, Regnum Books, 1987, 48, cité par K.E. Small, op. cit., 11, 12.

[30] Cf. note 2.

[31] B. Gerhardsson, Memory and Manuscript and Tradition and Transmission, Grand Rapids, Eerdmans 1998 (1961 et 1964).

[32] R. Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses. The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids, Eerdmans, 2006. Pour ceux qui souhaitent poursuivre une réflexion sur la question du canon du Nouveau Testament, cf. le livre récent de S. Romerowski, Qui a décidé du canon du Nouveau Testament ?, Charols/Nogent-sur-Marne, Excelsis/Editions de l’Institut Biblique, 2013.

]]>
La Bible au prisme des idéologies, hier et aujourd’hui https://larevuereformee.net/articlerr/n268/la-bible-au-prisme-des-ideologies-hier-et-aujourdhui Sun, 12 Oct 2014 15:17:03 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=874 Continuer la lecture ]]> La Bible au prisme des idéologies,
hier et aujourd’hui

P. Berthoud*

Introduction

Le XXe siècle est le siècle des idéologies, que ce soit le nazisme ou le communisme que certains ont qualifié d’hérésie chrétienne. Il fut aussi le témoin de chrétiens qui ont cherché à justifier la ségrégation raciale à partir des textes bibliques. En 1967, alors étudiant aux Etats-Unis, j’ai entendu un théologien sud-africain argumenter en faveur de l’idéologie de l’apartheid à partir du célèbre passage de la Genèse qui relate la malédiction de Canaan (descendant de Cham) et la bénédiction de Sem et de Japhet (Gn 9.20-27). Il justifiait ainsi la discrimination raciale de son pays au détriment de la composante noire majoritaire de la société sud-africaine en disant que celle-ci était issue de la lignée de Canaan. Ce faisant, il s’appuyait sur un texte particulier au détriment d’autres passages de la Bible, qui affirment l’unité fondamentale de la race humaine et des peuples de la terre (Gn 1.26-28 ; Ac 17.24-29a), et il ne tenait pas compte de l’histoire de la révélation et du caractère universel du salut que le Seigneur devait accomplir en Jésus-Christ. En voulant justifier une idéologie à partir d’un passage biblique, ce théologien pratiquait une forme d’idolâtrie. En réalité, idéologie et idolâtrie sont, en quelque sorte, associées. Un auteur juif contemporain a défini l’idolâtrie ainsi : « L’idolâtrie, c’est une importance disproportionnée accordée à l’une des composantes de la vérité. »

Discussion

A la lumière de ces remarques, nous allons évoquer trois exemples : un tiré de l’Antiquité, du livre de Job (le troisième discours d’Eliphaz de Téman), un autre tiré de l’histoire du protestantisme avec une illustration contemporaine et un dernier touchant à l’ultramodernité. Ces trois exemples mettront en évidence le lien qui existe entre idéologie et idolâtrie.

1. Le discours d’Eliphaz

Eliphaz de Téman, dans son troisième discours, intensifie son apologie de la doctrine de la rétribution : la souffrance de Job est liée aux crimes divers et graves qu’il a commis. Les propos du sage sont d’une rare violence et même contraires à la vérité, tellement il est aveuglé par sa lecture idéologique (22.5-11).

Cette manière de rendre compte de l’expérience humaine peut, certes, s’avérer juste dans certains cas, mais elle ne correspond pas au drame que vit Job, à la réalité que le patriarche expérimente ; la réalité n’est pas simple, elle est complexe et il importe d’en tenir compte. Eliphaz, comme ses amis, a voulu, devant l’horreur des malheurs de Job dont il était témoin, apporter une réponse raisonnable et rassurante. Il a voulu apprivoiser le mal et le rendre plus tolérable alors qu’il demeure profondément scandaleux, en particulier lorsque l’homme intègre en est la victime !

2. L’histoire du protestantisme

Pendant plus de deux siècles, les protestants français ont vécu plus ou moins en marge de la cité, opprimés qu’ils étaient par l’absolutisme royal catholique. A la suite de la Renaissance (XVIe siècle), de l’Age classique (XVIIe siècle) et de l’ère des Lumières (XVIIIe siècle), on a vu se développer la résistance humaniste à ce régime autoritaire, laquelle n’a cessé de progresser pour, enfin, s’imposer définitivement aux XIXe et XXe siècles. Il s’avère que, pendant cette période de l’histoire, protestants et humanistes avaient le même adversaire, l’absolutisme royal catholique. Ils sont devenus cobelligérants et, même plus, alliés. C’est ainsi que les protestants ont peu à peu épousé la philosophie humaniste essentiellement horizontale, pensant pouvoir la concilier avec la théologie chrétienne issue de la Réforme. Considérant les circonstances – les protestants étaient une minorité menacée d’extinction – il est aisé de comprendre cette démarche ; cependant, elle était vouée à l’échec et devait contribuer à l’affaiblissement du protestantisme français et, éventuellement, à sa sécularisation. Certes, il existe des points de rencontre entre protestants et humanistes ; ils partagent certaines valeurs humaines et s’engagent quelquefois dans les mêmes combats, mais ils professent deux philosophies, deux visions du monde, qui ne sont pas conciliables puisque la foi chrétienne part du postulat que Dieu existe, qu’il n’a pas gardé le silence et qu’il a communiqué sa pensée dans les catégories du langage humain, de telle sorte qu’il est possible de réellement comprendre son sage conseil et d’agir en conséquence.

Ce phénomène et la démarche qu’elle entraîne sont bien illustrés par un article de Thomas Römer « ‹Le Livre› des monothéismes », paru dans le numéro spécial du Point[1]. Dans cette étude, l’auteur reprend l’hypothèse, chère à la critique, selon laquelle l’histoire d’Israël a été réécrite à partir de la crise qu’a constituée l’invasion babylonienne. Certes, l’auteur ne nie pas la valeur canonique et théologique de l’Ancien Testament, mais elle est déconnectée de tout enracinement historique réel. Cette approche représente une tentative pour allier une approche philosophique humaniste, qui prône l’autonomie de la raison, avec une démarche théologique tributaire exclusivement de la foi. Cette manière d’aborder la littérature biblique a comme conséquence l’affaiblissement de la perspective globale que nous dévoilent les Ecritures ainsi que la relativisation de son contenu et de sa cohérence doctrinaux, puisque l’enracinement historique et la véracité du discours théologique ne sont plus d’actualité ! Or, pour la foi chrétienne, dans sa formulation biblique et classique, l’historicité et la vérité de la révélation divine ne sont pas négociables.

3. L’ultramodernité

Dans un article, Jerram Barrs définit ainsi l’ultramodernité : « Il s’agit d’une pensée qui traverse les barrières culturelles et sociales. Parmi les symptômes qui caractérisent cette philosophie, il nous faut mentionner une absence d’idéalisme, une réticence vis-à-vis d’un quelconque engagement, un irrespect envers toute autorité et tout ce qui est sacré[2]. » L’auteur poursuit, ensuite, sa réflexion en relevant les conséquences culturelles et sociales de cette vision du monde. Barrs en identifie cinq qui constitueront l’armature de la réflexion qui suit[3] :

a) Le rejet de la vérité. Comme la raison est incapable de nous faire connaître quoi que ce soit avec certitude, la vérité objective n’existe pas. Dans le contexte d’un environnement pluraliste, seule la vérité personnelle a droit de cité. Dans un tel climat culturel, prétendre et argumenter que la foi chrétienne est la vérité est perçu comme de l’arrogance et de l’intolérance, pour ne pas dire comme un fondamentalisme primaire.

b) Le rejet de l’autorité sous toutes ses formes. « Ni livre, ni idée, ni personne, ni organisation sociale ne peuvent appeler ni mériter le respect[4]. » Nous vivons dans un climat social dont une des « valeurs sûres » est l’irrévérence. Mais, sans la reconnaissance d’une autorité compétente, tout est égal et l’idée même d’une évaluation critique perd tout son sens.

c) L’acceptation du relativisme moral. Comme « il n’existe plus de norme objective qui nous permette d’évaluer et de juger de tout[5] », personne n’a le droit de dicter à un autre ce qu’il doit ou ne doit pas faire. Comme le Dieu, à la fois transcendant et immanent, n’est plus la référence ultime au sein de la civilisation occidentale, l’homme est désormais seul à décider du bien et du mal, que ce soit par le vote de la majorité, la prise du pouvoir d’une oligarchie ou l’avènement d’une dictature molle ou dure !

d) La pratique de l’idolâtrie. L’être humain est ainsi fait qu’il ne peut pas vivre sans un point de référence ultime. Lorsque le terrien ne croit plus en Dieu, ce n’est pas qu’il croit en rien, mais qu’il croit en autre chose. Afin de se situer dans l’univers et de trouver un sens à son existence, ne fût-ce que momentanément, il a besoin de trouver le nord. C’est la porte ouverte à l’idolâtrie. Comme le ciel s’avère vide ou, tout au moins, garde le silence, les fils d’Adam n’ont plus d’autre option que de chercher à se fabriquer de faux dieux, tels le pouvoir, le sexe ou la richesse sous toutes ses formes (Dt 17.14-20).

e) L’adhésion au néopaganisme postchrétien. L’homme est un être religieux. L’idolâtrie se conjugue sous une forme religieuse essentiellement immanente qui prône une forme de spiritualité s’apparentant à la matière ou, mieux encore, à l’énergie qui traverse l’univers. Elle est, malgré les apparences, impersonnelle et invite à la fusion mystique plutôt qu’à la communication intime avec l’être infini et personnel et qu’à l’union mystique respectueuse de la relation personnelle que suppose l’alliance, y compris avec le divin. Ayant écarté la recherche de la vérité, le néopaganisme offre une forme de spiritualité dont la finalité est de susciter une sensation de bien-être.

La citation suivante de J.-A. Miller, tirée d’une interview consacrée au désir chez Lacan, résume bien les caractéristiques de l’ère nouvelle, celle de la « participation », que nous avons essayé de présenter à grands traits : « Un autre discours est en voie de supplanter le discours unique de jadis (le discours patriarcal). L’innovation à la place de la tradition. L’attrait de l’avenir là où le poids du passé enchaînait. Plutôt que la hiérarchie (verticale), le réseau (horizontal), le féminin prenant le pas sur le viril. On ne conserve plus un ordre dans ses limites immuables ; on s’inscrit dans des flux transformationnels repoussant incessamment leurs limites[6]. » Tel est le défi que nous avons à relever en ce début de XXIe siècle.

Conclusion

En conclusion, il nous semble important de mettre en œuvre une triple démarche :

–  Dans la cité humaine, l’Eglise (le chrétien, en particulier) a un rôle d’une importance primordiale. Son action ne sera efficace que si elle persévère dans la fidélité. Suscitée par le Dieu trine, l’Eglise reste néanmoins fragile et vulnérable. Sa vocation prophétique l’incite à une vigilance de tous les instants, qui inclut, lorsque cela s’impose, d’avoir à s’interroger sur sa propre fidélité, quels que soient les domaines : doctrine, spiritualité, style de vie. Démêler le message biblique des idéologies qui guettent l’Eglise et la paralyse est essentiel à la santé du corps du Christ comme à la crédibilité de son témoignage de vérité et de vie.

–  Fidèle à la vision globale que nous présente la révélation biblique, l’Eglise (le chrétien, en particulier) sera d’autant plus en mesure de contester les dérives de pensées, d’actions socioculturelles et de styles de vie dont la référence ultime est l’homme, lesquelles portent atteinte à la dignité humaine et déshonorent Dieu, le Créateur de l’univers et de l’être humain à son image. Partageant la même humanité, il nous est possible d’avoir, avec celui qui ne partage pas la perspective chrétienne, des terrains d’entente et même d’être cobelligérant par rapport à certaines causes ; mais, quant à la philosophie de l’existence, la vision globale, aucun compromis n’est possible, car le style de vie de chacun est l’expression de ce qu’il pense.

–  Enfin, faisant preuve d’une imagination créative éclairée par la sagesse divine, l’Eglise (le chrétien en particulier) se doit d’être, en ces temps de crise, de confusion et de détresses, une force de proposition. Comme Joseph en Egypte et Daniel en Babylonie qui, face aux impasses de leur temps, ont contribué au déblocage et au bien-être des sociétés où la Providence les avait placés, de même, en cette période d’incertitudes et d’opportunités, nous devons avoir le courage et l’audace de baliser de nouvelles voies, qui contribuent au bien, à la prospérité et à la paix des communautés humaines dont nous faisons partie et des pays dont nous sommes citoyens et solidaires (Jr 29.4-7).

Ce carrefour aura atteint son objectif s’il nous permet de mieux cerner cette triple démarche et d’avancer dans sa mise en œuvre.

 


* P. Berthoud est Président du Conseil de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence, après en avoir été le Doyen et y avoir enseigné l’Ancien Testament et l’apologétique.

[1] Le Point, Références, janvier-février 2013.

[2] J. Barrs, « Post Modernity : Understanding our Generation’s Thought Life » (Part 2), Covenant Magazine, December 1997, 160.

[3] J. Barrs, ibid., 16, 17.

[4] J. Barrs, ibid., 17.

[5] Ibid.

[6] Interview de J.-A. Miller intitulée « Lacan, professeur de désir », Le Point, n° 2125, 2013, 120-122.

]]>
Vérité et foi https://larevuereformee.net/articlerr/n193/verite-et-foi Sat, 27 Aug 2011 18:58:51 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=709 Continuer la lecture ]]> Vérité et foi

Pierre BERTHOUD*

Lectures bibliques: Ephésiens 4: l’unité de la foi et la vie nouvelle
Jean 14:5-7, 15-17; 16:12-15; 18:33-38 ; Esaïe 7:1-9

La notion de vérité a perdu au sein de notre culture de sa vigueur et de sa substance. En effet, on n’en parle plus guère au sens objectif, et encore moins au sens absolu. Lorsqu’on parle de vérité, on lui reconnaît le droit de cité dans le domaine des sciences mais on insiste aussitôt sur sa relativité. L’homme seul, fini, c’est-à-dire créé, ne peut avoir qu’une conception partielle et limitée de la vérité. Cette approche plus humble est saine dans la mesure où elle ne débouche pas sur le scepticisme. Qui peut prétendre à une connaissance exhaustive de la vérité?

Lorsqu’on parle de vérité aujourd’hui, on pense aussi au consensus, à l’opinion publique. Est vrai ce que croit la majorité de la société, d’un groupe, d’une communauté – que ce soit dans le domaine de la pensée ou des mœurs. C’est le consensus sociologique qui détermine la réflexion et le comportement de nos contemporains. Et comme les hommes ont soif d’infini, ils absolutisent très vite cette opinion publique!

Dans le domaine religieux, la vérité est essentiellement du domaine relatif et subjectif. Tout est vérité, quelle que soit l’opinion avancée, quel que soit le point de vue. Toute discussion objective, cohérente et intellectuelle de la vérité est mal vue. « Selon la bonne doctrine d’aujourd’hui, l’erreur a droit à sa part de représentation proportionnelle au sein de la vérité. Plus vous vous trompez, plus vous êtes dans le vrai. » Il s’ensuit deux manières de la concevoir:

  • soit la vérité est une réalité qui constamment vous échappe. Elle suppose alors une quête sans fin, une recherche jamais assouvie;
  • soit elle s’identifie à l’expérience personnelle. Elle a alors une valeur subjective, individuelle mais sans fondement rationnel et objectif.

A plus d’un point de vue, notre époque partage le scepticisme de Pilate, qui, lorsque Jésus lui parle de vérité, répond: « Qu’est-ce que la vérité? » Elle recherche bien quelque chose, à tâtons, dans la nuit. Elle a soif d’absolu mais elle ne pense pas vraiment qu’il y ait une réponse. Bien souvent notre génération choisit d’être aveugle, « de réprimer, d’étouffer la vérité (de ce qui est) et de la retenir captive de l’injustice » (Rm 1:18)1.

I. La vérité de Dieu

Dans son épître aux Ephésiens, Paul revient sur cette notion à plusieurs reprises. C’est un des thèmes centraux de son épître. C’est la vérité qui apporte solidité à la pensée, stabilité mentale et cohérence dans le comportement humain, comportement qui correspond d’ailleurs à l’attente divine.

i) Une vérité exclusive

« La vérité est le monopole de la connaissance infinie, de l’omniscience. » C’est ce qui ressort de la conversation que Thomas a avec Jésus et dans laquelle le Seigneur fait cette déclaration bouleversante: « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » (Jn 14:5-7) L’exclusivisme biblique repose sur le fait que Dieu s’est fait connaître, que Jésus est le Messie, la deuxième personne de la Trinité, Dieu lui-même. En tant que tel, il est la vérité. Il nous communique et nous manifeste la pensée de Dieu. C’est ce que Paul évoque lorsqu’il dit: « En lui (Jésus-Christ), encore, vous avez entendu la parole de vérité, l’Evangile qui vous sauve… » (Ep 1:13) C’est une parole à propos d’une personne. Elle dévoile sa pensée et son œuvre, et correspond à ce qui est. Elle est vraiment bonne nouvelle!

Et l’apôtre de continuer: « Pour vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ, si du moins c’est bien lui que vous avez écouté, si c’est lui qui vous a été enseigné, conformément à la vérité qui est en Jésus… » (Ep 4:20-21) Ce message s’adresse à notre intelligence, on l’entend, il est l’objet d’enseignement puisqu’on l’apprend. Le Christ qu’enseigne l’Eglise est conforme à la vérité qui est en Jésus. Il n’y a pas de distance entre le Christ de l’Eglise et le Jésus de l’histoire. Il n’y a aucune place dans la pensée de l’apôtre pour la gnose ancienne ou moderne! Il s’agit donc d’une bonne nouvelle, ayant un contenu rationnel et précis, un contenu qui se communique. Elle ne se réduit pas à une expérience supra-rationnelle, subjective qui se partage on ne sait comment. L’homme peut l’examiner et même l’évaluer à la lumière des faibles capacités de son intelligence. C’est une parole ayant une dimension objective tout en étant profondément personnelle et ayant des implications pratiques.

ii) La vérité qui renouvelle

Cependant, Paul poursuit sa pensée: « …il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité. » (Ep 4:22-24) L’homme tout entier, pensées, sentiments, volonté, est appelé au renouvellement dont le fondement et la source sont la vérité qui est en Christ-Jésus. Cette vérité qui me saisit éclaire mon intelligence obscurcie et répond non seulement au dilemme de l’homme, mais aussi à la question de son existence. Jésus n’est-il pas à la fois Créateur et Sauveur? N’est-ce pas lui qui donne son sens à la vie et fait naître à une espérance qui ne trompe pas?

Ainsi, ayant saisi cet enseignement, ou ayant été saisis par celui qui le donne, nous sommes au bénéfice de la stabilité dans nos pensées et de la constance dans notre vie. Ecoutons l’apôtre à nouveau:

Ainsi, nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive, à tout vent de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais confessant la vérité dans l’amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, Christ. (Ep 4:14-15)

iii) Vérité et amour

En Christ, nous avons accès à la vérité. C’est d’ailleurs une des tâches du Saint-Esprit, qui « sonde même les profondeurs de Dieu », que de nous révéler la pensée divine (I Co 2:10-16). Mais la connaissance que nous recevons ainsi n’est pas exhaustive, elle demeure partielle. C’est pour cela que Paul introduit la notion d’amour dans le passage que nous venons de citer (cf. 4:14-17). L’amour brûlant de Dieu et du prochain n’exige pas que l’on renonce à tout attachement à la vérité. Mais la vérité confessée sans un amour profond de Dieu et de notre semblable n’est qu’une caricature de la révélation de Dieu en Jésus-Christ où justice et bonté se sont embrassées, où vérité et amour se sont associés. Sous prétexte d’avoir accès à la pensée même de Dieu nous ne pouvons nous permettre d’écraser notre prochain. Mais sans une connaissance de la bonne nouvelle, il n’y a pas de salut et encore moins de sanctification. Nous l’avons évoqué en passant tout à l’heure, cette vérité qui nous réconcilie avec Dieu agit en nous pour nous transformer, pour créer en nous l’homme nouveau, selon Dieu, dans la justice et la sainteté2. Il n’y a pas de vie renouvelée sans conversion. Mais ce changement de mentalité que provoque la vérité produit des fruits de bonté, de justice et d’intégrité (Ep 5:9). Paul précise même très concrètement quels sont ces fruits de l’Esprit:

  • les rapports de confiance et de vérité (4:25);
  • la maîtrise de la colère injuste et rancunière (4:26);
  • la pratique d’une authentique éthique du travail et du partage (4:28);
  • la communication d’une Parole qui vivifie et renouvelle (4:29);
  • la manifestation concrète de bonté, de sensibilité accrue et de pardon (4:32).

Ainsi, au cœur de la révélation biblique se trouve la vérité. Elle est le point de vue de Dieu conforme en toutes choses à ce qui est. Puisqu’elle s’est incarnée en Jésus-Christ (Créateur et Sauveur), il s’agit d’une vérité personnelle, qui nous interpelle, qui nous appelle à la conversion, conversion de notre être tout entier et qui nous invite à manifester dans le cercle de notre vie l’homme nouveau créé à l’image du Christ.

II. Vérité et foi

Si j’ai évoqué cette question, c’est parce qu’il est fondamental pour nous, professeurs, théologiens, étudiants en théologie, simples fidèles, d’établir notre foi sur une juste compréhension de la vérité, de cette vérité que Dieu nous donne dans sa création3, mais qu’il nous communique plus spécifiquement par la Parole écrite et incarnée; vérité qui émane du « cœur » de Dieu et que nous pouvons connaître, comprendre réellement sans prétendre la saisir exhaustivement. Car il n’y a pas de vraie foi sans connaissance, sans compréhension. C’est précisément pour cela que les notions de vérité et de foi sont rattachées à la même racine en hébreu4. Lorsque foi, connaissance et vérité se conjuguent, elles donnent au croyant stabilité et assurance. Prenons comme exemple la parole du prophète Esaïe à Ahaz lorsqu’il tremble devant la menace de la Syrie (Aram) et d’Israël (Retsin et Pekah). Le prophète dit à Ahaz et au peuple: « Si vous ne croyez5 pas (en Dieu et dans ses promesses), vous ne serez pas solides, fermes, établis. »6 (Es 7:9)

Cette vérité, nous pouvons la méditer, l’approfondir sans jamais nous lasser. Elle nous ouvre les yeux sur nos erreurs, sur le monde, sa détresse, sa soif… Cette vérité nous bouleverse dans nos habitudes de pensée et de vie… Elle nous invite à vivre toujours plus dans l’intimité de Dieu, notre Père. Cette vérité-là se nomme Jésus-Christ.

En conclusion de cette méditation, je voudrais vous laisser la réponse que Martin Luther donne dans son Catéchisme à la question « Que signifient les mots je crois en Dieu ? »:
Les mots je crois en Dieu signifient :

1) Je sais ce que l’Ecriture sainte dit de Dieu (connaissance);
2) je le reconnais pour vrai (assentiment);
3) je mets mon entière confiance dans sa Parole (confiance)7.

Si nous voulons connaître la maturité dans nos vies et dans nos institutions diverses, il nous faut, comme Luther, ne pas craindre d’articuler connaissance, assentiment et confiance. Si nous voulons participer à la réforme et au réveil de nos Eglises, il nous faut retrouver toute la richesse et la vigueur de cette Vérité venue de Dieu qui suscite la foi et qui purifie et renouvelle le peuple qui a l’audace et le courage de se confier en elle.


1Soljenitsyne analyse fort bien cette perspective dans son ouvrage: Les pluralistes (Paris: Fayard, 1983), 9 ss.
2 = la piété, la vertu, c’est-à-dire un comportement conforme aux exigences de Dieu.
3 Il s’agit de la révélation générale que Dieu nous communique par la nature, par l’homme, être moral et personnel, et par l’histoire.
4 Emet (vérité) et emuna (fidélité, foi, fermeté) sont rattachés à la racine aman (être solide, digne de confiance; avoir confiance, croire); cf. amen: en vérité, ainsi soit-il.
5 Causatif (hiphil) de la racine aman: « avoir confiance, croire ».
6 Passif (riphal) de la même racine: « être solide, ferme, digne de confiance ».
7 M. Luther: Petit Catéchisme, édité par l’Eglise Evangélique Luthérienne (s.d.), 98.

]]>
Existe-t-il une spiritualité spécifiquement réformée ? https://larevuereformee.net/articlerr/n205/existe-t-il-une-spiritualite-specifiquement-reformee Thu, 18 Aug 2011 15:56:43 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=572 Continuer la lecture ]]> Existe-t-il une spiritualité spécifiquement réformée ?

 

Pierre BERTHOUD*

Quelle est la nature de la spiritualité chrétienne? Est-elle essentiellement subjective, ainsi que l’affirme la psychologie moderne dans son ensemble? Subjective dans ce sens qu’elle n’a pas d’objet, qu’elle est le produit de l’esprit et de l’effort humain, de l’éveil des sentiments ou de l’imagination. Dans ce cas, la spiritualité s’apparente à une démarche psychologique, sans contenu précis puisque sans objet extérieur à elle-même. Elle est de nature personnelle, relative à chaque individu, au-delà de toute vérification. Elle offre tout au plus une illusion de raison d’être.

Si, en revanche, la spiritualité n’est pas uniquement subjective, mais repose sur un fondement objectif sûr, ayant un contenu précis, quelle en est sa nature, comment la définir, l’identifier? Quel type de rapport, de relation propose-t-elle? La réponse à ces questions est essentielle, car nous vivons au sein d’une culture et trop souvent d’Eglises qui ont brouillé les cartes. La confusion des esprits est grande face au supermarché des spiritualités nombreuses et variées qui, pour l’essentiel, apportent une sensation d’être d’un instant. Une fois « le voyage » terminé la déception s’installe, le désespoir et l’angoisse, face à une réalité cruelle, reprennent leurs droits.

La spiritualité a pour objet, d’une part, le Dieu infini et personnel qui œuvre dans le monde et dans la vie de sa créature, le croyant en particulier et, d’autre part, l’homme qui cherche au-delà de lui-même un point de référence qui donnera sens à sa vie, le bonheur et une communion profonde avec son ultime vis-à-vis!

I. L’objet de la spiritualité chrétienne

i) L’importance de l’objet

Dans la démarche spirituelle moderne, humaniste, rationaliste, romantique et mystique1, la difficulté réside soit dans le fait qu’elle n’a pas d’objet, soit dans la confusion entre « contemplation » d’un objet et « jouissance » de la vision de l’objet. Nous ne pouvons à la fois « jouir » de nos activités intérieures et les « contempler ».

Par exemple, lorsque vous voyez une table, vous « jouissez » de sa vision et vous « contemplez » une table. Ensuite, si vous réfléchissez à la vision, vous contemplez la vision et vous jouissez de la pensée. C. S. Lewis dit à ce sujet:

Il me semblait parfaitement évident que le caractère essentiel de l’amour, de la haine, de la peur, de l’espérance, du désir consiste dans l’attention portée envers leur objet. Cesser de penser à une femme ou de s’occuper d’elle, c’est aussitôt cesser d’aimer; cesser de penser à l’objet qu’on redoute, ou de s’en occuper, c’est, dans ce cas-là, cesser d’avoir peur, mais vous occuper de votre amour, ou de votre crainte, c’est cesser de vous occuper de l’objet aimé ou redouté2.

De même, ce qui caractérise la spiritualité chrétienne, c’est son objet: Dieu. Nous ne pouvons à la fois « jouir » de nos activités intérieures et les « contempler ». Lorsque nous le faisons, nous interrompons aussitôt notre relation avec Dieu, notre interaction avec lui, nous nous coupons de l’objet qui fonde notre expérience spirituelle.

ii) Le Dieu infini et personnel

Ainsi, ce qui fonde et donne son caractère spécifique à la spiritualité biblique, c’est son objet, à savoir un être infini et personnel. L’un des postulats sous-jacents aux courants théologiques modernes, c’est « le Dieu tout autre », qui se situe au-delà du concept et du langage. L’hindouisme, lui, met en valeur plutôt la nature impersonnelle du divin, tandis que l’islam insiste sur un Dieu transcendant et lointain. La perspective biblique, elle, reconnaît, en effet, que Dieu, en tant que Créateur, est tout autre et transcendant, mais affirme dans la même foulée qu’il est un être personnel qui pense, qui aime et qui agit. L’unité et la diversité du Dieu trinitaire ne fait que confirmer le caractère infini et personnel de l’absolu de l’univers. La communication et l’amour sont au cœur même de la divinité. Or, ce Dieu a créé l’homme à son image. La créature, elle aussi, comme son ultime vis-à-vis, est un être personnel, qui pense, qui aime et qui agit. Sa vocation première est précisément de vivre une relation interpersonnelle, une intimité réciproque sur le plan vertical comme sur le plan horizontal.

iii) Vérité et spiritualité

Qui dit relation réciproque dit communication et donc connaissance. Mais cette connaissance est de nature personnelle, objective et subjective à la fois. Elle engage toutes les facultés de l’homme. Elle refuse donc la fragmentation puisqu’elle n’établit pas de dichotomie entre connaissance et foi, ou vérité et foi. La foi, la confiance reposent sur ce qui est digne de foi: la vérité communiquée par Dieu que l’homme peut réellement comprendre même s’il ne l’appréhende pas exhaustivement. C’est cette vérité de Dieu qui fonde la spiritualité biblique, celle qui s’est dévoilée tout au long de l’histoire de la rédemption pour, enfin, s’incarner en Jésus le Christ. Elle ne donne pas seulement sens à notre vie; elle nous invite à la communication constitutive de toute vraie communion.

iv) La communion avec Dieu

Etre en communion avec le Dieu de Jésus-Christ, notre ultime vis-à-vis, telle est donc la nature de la spiritualité biblique. On peut cependant choisir d’autres angles d’attaque pour la définir. Elle consiste à:

– marcher avec Dieu (Gn 5:24; Gn 6:9)

– être l’ami de Dieu (Jc 2:23)

– un avec le Père et le Fils (Jn 17:21)

– glorifier Dieu et trouver en lui son bonheur éternel3.

L’intimité réciproque du Créateur avec la créature est au cœur de la spiritualité chrétienne. C’est la nature de l’objet, Dieu, qui en détermine le profil et qui en donne le contenu, car le Père n’a pas gardé le silence, il a réellement parlé, il s’est fait connaître dans les catégories de communication propres à l’homme. Ainsi, c’est la foi s’appuyant sur une vérité personnelle et intelligible qui me permet de connaître et rencontrer Dieu. L’instrument en est l’Esprit qui éclaire, illumine et renouvelle mon intelligence, ranime et remet en mouvement ma vie. Enfin, la marque distinctive de cette spiritualité, ce n’est pas l’intensité de l’expérience, mais les fruits qu’elle produit dans l’Eglise comme dans la cité. Ces fruits s’expriment dans l’amour du prochain qui n’est rien d’autre qu’une mise en pratique de la deuxième partie des dix Paroles que Dieu a révélées à Moïse (Ex 20; Dt 5).

v) Une spiritualité incarnée

Mais voilà, nous vivons à l’ombre de la mort, la vie n’est qu’une vallée de larmes, nous sommes confrontés à la souffrance et au mal. La solitude qui a envahi nos vies, la frustration de nos aspirations spirituelles, nous en savons aussi quelque chose. C’est précisément à cet endroit que le motif « création-chute-rédemption » intervient. La révélation biblique nous donne la clef de l’énigme du mal. Elle nous rappelle que le mal n’est pas ontologique, à l’être, mais moral. Il résulte de l’usage ultérieur de la liberté et se définit en termes de révolte contre Dieu. Toute l’histoire de la révélation a pour tâche de nous faire découvrir la rédemption que Dieu a entrepris de mettre en œuvre pour nous réconcilier avec lui-même, pour rétablir une relation rompue, une relation de communication et d’amour. Dire que la faute est morale est d’une importance capitale. Cela permet:

– De déclarer que Dieu est bon.

– De dédoubler l’origine de l’être et du mal.

– D’attendre une réponse sûre à notre dilemme. Celle-ci nous est pleinement dévoilée en Jésus-Christ. En mourant sur la croix, il prend sur lui la mort que nous méritions et il nous revêt de sa justice. Sa résurrection corporelle atteste la vérité et l’authenticité de cette œuvre expiatoire inouïe!

– De lutter contre le mal et l’injustice sous toutes ses formes, individuelles et collectives, sans lutter contre Dieu.

Nous sommes là au cœur de la spiritualité telle qu’elle nous est signifiée dans la Parole écrite et incarnée de Dieu. Elle n’est pas une fuite hors du monde, ni une évasion hors de la réalité trop douloureuse. Elle nous est offerte au sein même de la création, de notre condition humaine fragile et au cœur même de notre misère. Notre existence tout entière est renouvelée dans l’attente de la transfiguration qui nous est promise lors de l’avènement en gloire de Jésus-Christ. En attendant, Dieu nous appelle à vaquer à notre tâche dans la fidélité à sa sagesse et dans l’union avec le Christ qui fonde, oriente et nourrit notre existence.

II. Les accentuations de la spiritualité réformée

A force de souligner, d’ailleurs à juste titre, les dimensions théologiques et culturelles de la Réforme, on a parfois oublié son caractère spirituel. Or la Réforme est aussi, et peut-être même d’abord, un temps de réveil et de renouveau spirituel. N’a-t-on pas dit de L’Institution chrétienne que c’était une théologie de l’Esprit! Dans les réflexions qui suivent, nous chercherons à mettre en valeur quelques accentuations de la spiritualité réformée.

A) A la fois juste et pécheur

i) Une anthropologie sobre:

– Elle suppose une anthropologie bien précise. L’homme est une créature unique puisque créée à l’image de Dieu. Etre personnel et revêtu de dignité, son identité, non fragmentée, est une. Sa relation avec Dieu l’implique tout entier et dans tous les domaines de l’existence. Cela suppose un champ unifié de la connaissance.

– Créature limitée, le Terrien est fragile. Mais cette fragilité est liée avant tout à sa condition de pécheur et non à sa finitude. Les effets du péché, comme un cancer, affectent tous les aspects de sa personne, y compris sa volonté et son intelligence.

Par conséquent, l’homme ne peut en aucune manière contribuer à son salut. La distance que le péché introduit entre Dieu et l’homme est infranchissable sans intervention extérieure. Le terrien est entièrement dépendant de la grâce et du bon vouloir divins. Révélation et rédemption sont indispensables à la réconciliation de la créature avec le Créateur. Dans le domaine de la connaissance, Dieu, par le moyen de la révélation, éclaire son intelligence obscurcie tandis que, dans le domaine de l’être, il corrige les conséquences destructrices du péché par son œuvre rédemptrice. Révélation et rédemption se rencontrent pleinement en Jésus-Christ, médiateur unique et suffisant; il est le chemin, la vérité et la vie (Jn 14:6).

ii) La justification par la foi seule

Sans pour autant occulter la dimension communautaire et sociale de la spiritualité, la Réforme insiste dans un premier temps sur la responsabilité individuelle de l’homme devant Dieu. Ce dernier, comme Job (Jb 40:3-5) ne peut que reconnaître son indignité et sa misère. C’est pour cette raison que la doctrine de la justification par la foi seule est au centre de cette piété. Celui qui croit en Christ et en son œuvre rédemptrice, Dieu le déclare juste. Etant au bénéfice de cette justice, il est réconcilié avec Dieu, son ultime vis-à-vis, qui le rétablit dans sa dignité et son humanité. Mais comme le dit si bien Jean Calvin, c’est le Saint-Esprit qui imprime ce salut au plus profond de l’existence du croyant. C’est là le fondement de son assurance, qui appelle par ailleurs la persévérance dans la communication et la communion avec Dieu le Père. J. Calvin dit même que le Saint-Esprit est à l’origine de cette « union mystique » avec le Christ, source de vitalité et de fruits dans la vie de tout croyant4.

B) Six caractéristiques

Cette spiritualité va revêtir certaines caractéristiques, qui tout en n’étant pas l’apanage exclusif de la Réforme, reçoivent des infléchissements particuliers. Nous en évoquerons brièvement six5:

i) La spiritualité de la Parole

Cette piété sapientale a pour objet la Parole de Dieu écrite et incarnée6. Pour les Eglises protestantes, c’est le moyen de grâce par excellence. Dès l’époque de la Réforme, la prédication joue un rôle important dans l’éveil de la foi et la croissance spirituelle des croyants. Les Réformateurs tels Zwingli, Bucer, Calvin et Knox vont insister sur la lectio continua. L’interprétation continue et systématique des livres bibliques est l’élément central du culte. L’accent porte sur l’explication de la Parole de Dieu, qui est la seule autorité infaillible en matière de doctrine et de vie. La catéchèse des enfants et des adultes joue aussi un rôle important. On cherche à promouvoir la méditation de la Parole, la lecture des sermons et on encourage l’échange et la discussion autour des Ecritures, qui ont lieu le plus souvent le dimanche après le culte, lors du repas familial.

ii) Spiritualité du psautier

Le psautier est le livre de prière de l’Eglise de tous les temps (Ac 4:23-31).

Prier les psaumes, chanter les psaumes, méditer les psaumes est un trait spécifique de la spiritualité réformée. Cette triple démarche a lieu dans le cadre de la communauté ecclésiale. Elle est aussi mise en œuvre au sein de la cellule familiale chaque jour de la semaine. Ces exercices édifiants ont pour objectif de contribuer à la croissance du fidèle et par conséquent à la fortification de sa foi. Le Psautier huguenot est une des contributions majeures à la spiritualité chrétienne comme à la littérature française7.

iii) Spiritualité du jour du Seigneur

Le jour du Seigneur, premier jour de la nouvelle création (Jn 20:1, 19 et 26) fut institué par Jésus-Christ (Jn 20:19 et 26). C’est un jour béni de paix, de repos et de quiétude, un jour consacré à la prière et aux œuvres de charité (Lc 13:16; 1 Co 16:2; Ac 6:1-6). Le culte dominical donne un avant-goût de la célébration céleste (Hé 4:9; Ap 1:10). Compris à la lumière de la résurrection, il est appelé à être une célébration joyeuse et festive, une célébration événement qui annonce le temps de l’accomplissement, de la plénitude.

iv) Spiritualité de la sainte Cène

La sainte Cène est un signe et un sceau de la grâce divine. Elle est une invitation à renouveler et à consolider la relation d’alliance entre Dieu et la communauté des croyants. C’est un signe de communion et d’appartenance à la communauté chrétienne. Comme la sainte Cène n’est pas pratiquée régulièrement, il importe de bien s’y préparer. A l’époque de la Réforme, le cycle de prédications pendant la semaine qui précède la célébration de la Cène joue ce rôle pédagogique. Cette pratique existe encore dans certaines Eglises contemporaines.

v) La spiritualité de l’intendance

L’activité familiale, professionnelle, quotidienne est perçue comme une vocation divine. La vie ordinaire révèle une dimension sacrée (Lc 12:42-48; Mt 25:14-30). La peinture hollandaise du XVIIe siècle met en relief cette démarche spirituelle. De même, les chroniques de la famille Schönberg-Cotta qui rendent témoignage à la manière dont l’Evangile de Jésus-Christ rejoint le croyant au cœur même de son existence et de ses activités quotidiennes. Ce fut une libération extraordinaire pour beaucoup! L’élaboration d’une éthique du travail dans la tradition protestante est conçue comme une protection contre la pauvreté. Cette approche invite à reconsidérer la manière dont on gère les biens et les dons que Dieu a confiés à chaque croyant. Cela va bien au-delà de la pratique de quelques bonnes œuvres (Mc 12:42; Lc 21:2).

vi) La spiritualité de la providence divine

Il s’agit de la méditation sur le mystère de la providence divine en conjonction avec l’existence du croyant. L’homme de foi considère ce que la providence a suscité dans sa vie tout en écoutant la Parole de Dieu afin d’y discerner la volonté du Seigneur (cf. Ec 7:14). Le fidèle est convaincu que sa vie a un sens, donné par Dieu, et qu’elle est conduite par lui. Il est habité par l’assurance du salut mais sait qu’il est aussi appelé à la persévérance dans la foi. Comme le dit si bien J. Calvin:

La foi nous dit au contraire que seule la main de Dieu conduit et gouverne notre vie dans les bons et les mauvais jours. Dieu n’agit pas envers nous de façon arbitraire, mais dispense tant le bien que mal, selon une justice parfaitement ordonnée8.

+
+ +

En résumé, on peut définir la spiritualité réformée selon les trois axes suivants:

– une spiritualité de l’alliance qui englobe l’individu, le couple, la famille, l’Eglise, et même la cité implicitement;

– une spiritualité incarnée qui permet au fidèle de vivre le concret de la vie avec ses peines et ses joies sous le regard du Dieu trinitaire et en communion avec lui;

– une spiritualité de la foi qui relie connaissance, assentiment, confiance. A la question « Que signifie croire en Dieu? », le catéchisme de Martin Luther répond:

Les mots « je crois en Dieu » signifient:

1) je sais ce que l’Ecriture dit de Dieu (connaissance),

2) je le reconnais pour vrai (assentiment)

3) je mets mon entière confiance dans sa Parole (confiance)9.


* P. Berthoud est doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence où il enseigne l’Ancien Testament et l’apologétique.

1 Une brochure, à paraître, des Editions Kerygma développera ces différents aspects de la démarche spirituelle.

2 C. S. Lewis, Surprised by Joy (Londres: Fontana Books); dans l’édition française (Le Mont-Pélerin, Raphaël, 1998), 279.

3 Le Petit Catéchisme de Westminster, réponse à la première question (Aix-en-Provence: Ed. Kerygma, 1988), 65.

4 Pour une synthèse classique de la spiritualité réformée en français moderne, cf. J. Calvin, Une spiritualité à visage humain (Aix-en-Provence, Cléon d’Andran: Kerygma, Excelsis, 1999). Tiré à part d’extraits de L’Institution chrétienne (Marne-la-Vallée, Aix-en-Provence : Farel, Kerygma, 1975), III, vi, X.

5 Ces quelques réflexions sont en partie le fruit de la lecture de deux articles de H. O. Old, qui a eu l’amabilité de me les communiquer :

– « What is Reformed Spiritualité ? Played Over Again lLghtly ».

– « Matthew Henry and the Puritan Discipline of Family Prayer ».

– (Archives & Special collections, Princeton Theological Seminary.)

Cf. aussi C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante (Paris, Genève : Cerf, Labor & Fides 1998), 17-53.

Ce chapitre est consacré aux spécificités de la spiritualité protestante. Après l’évocation de quelques aspects historiques, on mentionne: la conversion, la parole dynamisante, la prière, le rôle de la communauté, la direction spirituelle, la quête de la perfection et la vie en Dieu. L’approche est sensiblement différente malgré les recoupements avec la présente étude.

6 C’est le témoignage global de la Bible tout entière; cf. par exemple la littérature sapientiale; Ja 1: 1-18; Ac 6:4. C’est vrai aussi pour le judaïsme (l’enseignement des rabbins, en particulier dans la synagogue) et pour les Pères de l’Eglise primitive (Origène, Jérôme, Augustin, Chrysostome, etc.).

7 Les Psaumes de David mis en rime françoise par C. Marot et Th. de Bèze. Adaptation en français actuel par M.-F. Gonin (Nîmes: Vida, 1998).

8 J. Calvin, op. cit., 62.

9 M. Luther, Le Petit Catéchisme, édité par l’Eglise évangélique luthérienne, 98.

]]>
La vie et l’éternité dans l’Ancien Testament en particulier dans les psaumes https://larevuereformee.net/articlerr/n206/la-vie-et-l%e2%80%99eternite-dans-l%e2%80%99ancien-testament-en-particulier-dans-les-psaumes Thu, 18 Aug 2011 15:03:46 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=560 Continuer la lecture ]]>

La vie et l’éternité dans l’Ancien Testament en particulier dans les psaumes

Pierre BERTHOUD*

Aborder cette question, c’est poser la question de l’immortalité et de la résurrection, non seulement dans l’ensemble de l’Ancien Testament, mais en particulier dans le Psautier. C’est aussi soulever la question de l’histoire de l’interprétation de ces doctrines.

I. Quelques jalons de l’histoire de l’interprétation

En effet, jusqu’aux XVIIe-XVIIIe siècles, on pensait généralement que les auteurs de l’Ancien Testament avaient les mêmes idées sur la vie après la mort que les croyants de la nouvelle alliance et que les Juifs de la période rabbinique. «Longtemps, les théologiens ont admis comme axiome que l’Ancien Testament renferme sur la vie future les mêmes doctrines que le Nouveau.»1 Mais avec la naissance et le développement du rationalisme et de la critique rationaliste, les choses changèrent et un nouveau consensus se fit jour, surtout au XIXe siècle. En effet, les notions telles que la résurrection du corps, l’immortalité de l’âme et le jugement étaient considérés dans la nouvelle optique comme relativement récentes, datant de l’époque du judaïsme tardif (après l’exil). Avant cette période, les Israélites n’avaient qu’une vision rudimentaire de l’au-delà. Vers la fin du siècle passé, «on était unanime à soutenir qu’au début, les Israélites croyaient la mort suivie du néant à peu près complet.»2 E. Renan, par exemple, allait jusqu’à dire que c’était une des caractéristiques du génie sémitique face au spiritisme environnant et primitif: «Quand le souffle remonte vers Dieu il ne reste plus qu’un peu de terre.»3 Mais il fallait bien expliquer l’avènement des idées et croyances aussi importantes que la résurrection et l’immortalité. Aussi a-t-on proposé diverses solutions:

– ces idées existaient en germe dans le judaïsme tardif et se développèrent grâce à des influences externes: grecques, persanes ou même égyptiennes.

– Certains ont argumenté que la crise de l’exil, qui avait remis en cause l’existence physique du peuple de l’alliance, fut la matrice qui donna naissance à ces idées en Israël.

– D’autres enfin ont souligné l’apport de la littérature apocalyptique et son insistance sur l’eschatologie comme le facteur décisif dans l’avènement de croyances tels l’immortalité et la résurrection4.

Mais les théologiens ne devaient pas tarder à rectifier cette position extrême. En effet, tout à la fin du siècle, il se fit jour, sous l’influence de l’épigraphie5 sémitique, de l’histoire des religions et de l’anthropologie, de nouvelles perspectives quant à la mort et l’au-delà chez les Sémites. Avant l’avènement du monothéisme, l’Israël primitif partageait les mêmes croyances que la mentalité primitive générale. Israël primitif était animiste et pratiquait le culte des morts. Un des plus célèbre représentant de cette école, A. Lods, résume très bien la question lorsqu’il dit:

Il reste solidement établi selon nous, 1) que les Israélites jusque vers l’époque de l’exil, ont admis une survivance réelle de la personne après la mort; 2) que, avant le Yahvisme et encore, sous le règne de la religion de Yahvé, dans les couches populaires, les morts étaient tenus pour des êtres doués d’un pouvoir et d’un savoir surhumains, pour des elohim; 3) que, à une époque reculée, les Hébreux ont dû rendre un véritable culte, régulièrement organisé, à certains morts, spécialement aux ancêtres6.

Cette perspective suppose une conception évolutionniste de la religion selon laquelle les croyances des tribus hébraïques ont passé par plusieurs stades:

– Le stade du dynamisme: les puissances surnaturelles sont conçues comme des forces impersonnelles.

– Le stade de l’animisme7: les puissances invisibles sont des esprits analogues au principe dont l’homme admet l’existence en lui-même et qui le fait vivre, analogues à l’âme. Ce sont des êtres capables de vouloir, de penser, de sentir comme lui. L’animisme prend la forme du polydémonisme8 plutôt que du polythéisme.

– Le stade du monothéisme qui passe d’abord par l’étape de la monolâtrie – monothéisme primitif et nationaliste limité et partial – pour aboutir à son expression la plus pure et universelle chez les prophètes du VIIIe siècle. Ce monothéisme a réagi très vigoureusement contre les notions de la survivance de l’individu et du culte des morts propre à l’animisme lesquels ont continué à se manifester tout au long de l’histoire de la religion d’Israël; depuis l’époque prémosaïque jusqu’à l’époque où les notions de résurrection, d’immortalité et de jugement s’imposèrent9. Selon cette perspective, ces idées ne devaient se manifester qu’à une époque récente, entre le IVe et le IIe siècle avant Jésus-Christ.

II. Changement dans la continuité

Aujourd’hui, cette conception évolutionniste de la religion est, sinon abandonnée, du moins relativisée. On reconnaît volontiers qu’elle est étrangère à la révélation biblique. Elle trouve son origine plutôt dans les philosophies religieuses du XIXe siècle qui, elles, sont tributaires de la pensée grecque. Modifiée, cette perspective demeure cependant influente. Voici quelques facteurs qui ont permis ce changement de perspective:

1) Le caractère primitif du monothéisme universel

Le monothéisme universel est de plus en plus considéré comme primitif. En Allemagne, W. Schmidt, dans un ouvrage monumental, défendait ce point de vue au début de ce siècle. De même en France, le père M. J. Lagrange et aux Etats-Unis, le célèbre archéologue W. F. Albright10. Ainsi, dès son origine, la religion d’Israël est monothéiste au sens fort de ce terme, et par conséquent, le témoignage biblique quant à l’existence d’une révélation divine dès le début de l’histoire de l’humanité et du peuple d’Israël en particulier, devient tout-à-fait crédible. Les implications sont grandes et ce même au niveau de la survie de l’âme. Certes Israël fut entouré par des peuples pratiquant le culte des ancêtres et a même souvent succombé aux croyances avoisinantes, mais ces réalités païennes demeuraient étrangères à la religion d’Israël. Parlant de la mort et des rites funéraires, R. de Vaux refuse de voir dans ces pratiques l’expression d’un culte des ancêtres. Ces rites exprimaient à la fois la douleur devant la réalité de la mort et le respect dû aux trépassés. «On honorait donc les morts dans un esprit religieux, mais on ne leur rendait pas un culte»11 et von Rad va jusqu’à dire que le culte des ancêtres était en contradiction totale avec le premier commandement: «Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi.»12

2) La question des antécédents

On aborde volontiers la question des antécédents de la notion de la survie dans l’Ancien Testament. On voit dans certaines pratiques, événements et conceptions théologiques les conditions favorables à l’éclosion d’idées telles l’immortalité et la résurrection. On évoque en particulier:

a) L’importance accordée à un ensevelissement normal, expression du respect dû à celui qui vient de mourir (2 S 2:5; Jr 22:18; Ps 79:3; Ec 6:3).

b) La pratique de la nécromancie et de la divination (Dt 18:9-12; 1 S 28:7-19).

c) Le fait de rejoindre ses ancêtres morts (Gn 25:8; 49:29).

d) Les exemples de revivifications: Elie et Elisée (1 R 17:17-24; 2 R 4:31-37). Le Seigneur n’a-t-il pas autorité sur la mort et la vie (Dt 32:39; 1 S 2:6). On peut aussi prendre en considération Osée 6:1-3 dont l’exégèse est cependant problématique.

e) Dans Ezéchiel 37, la résurrection de la nation qui suppose une conception individuelle de la résurrection. La terminologie employée l’indique très clairement.

Ces facteurs ont conduit les exégètes à reconnaître l’existence de croyances populaires sur l’au-delà en ancien Israël. Le débat tourne désormais autour de

l’articulation entre ces croyances populaires et le monothéisme biblique13. Sous l’impulsion, sans doute, des travaux de M. Dahood, certains savants argumentent que l’Israël primitif avait déjà une doctrine de l’au-delà élaborée14 et d’autres encore soulignent la présence de l’immortalité dans des textes de la tradition sapientielle15.

3) Statu quo de la perspective critique

Malgré cela, le consensus critique quant à l’apparition de ces notions eschatologiques, et en particulier de la résurrection, n’a guère changé. W. H. Schmidt affirme, dans un ouvrage paru dans sa quatrième édition allemande en 1982, que l’espérance de la résurrection est étrangère, dans l’ensemble, à l’Ancien Testament16, et R. Martin-Achard, tout en reconnaissant la pluralité des points de vue, dit de son côté que l’espérance relative à une vie au-delà de la mort n’est que rarement attestée dans l’Ancien Testament: « Un seul texte, en définitive, et parmi les plus récents de la tradition vétérotestamentaire, Daniel 12, v. 2-3, annonce clairement que les morts ressusciteront.»17

III. La survie dans les psaumes

1) De l’immortalité

Ainsi, selon la perspective critique classique, ce n’est que graduellement que la croyance en la résurrection s’est développée. C’est une notion qui ne vit le jour que tardivement. Par ailleurs, dans le Psautier (mais aussi dans le livre de Job), une autre conception se développe, celle de l’immortalité. Cette notion est à distinguer de l’immortalité telle que nous la présente l’animisme (qui parle de survie de l’âme dans l’au-delà, survie bien réduite, il faut le dire) et de la résurrection d’autre part (qui implique un retour de la mort à la vie). Elle est liée à la relation de l’individu avec le Dieu vivant. Relation qui, une fois établie, est indestructible. Cependant, disons-le tout de suite, cette notion d’immortalité demeure souvent imprécise dans l’esprit de bien des théologiens qui l’emploient. Elle est même niée par un nombre important de commentateurs. C’est l’avis du savant scandinave S. Mowinckel qui arrive à la conclusion que l’idée «d’un salut dans l’au-delà, après la mort» est totalement absente des psaumes. La vie, pour l’Israélite, signifie une pleine et heureuse vie, au niveau de la santé et du bien-être sur la terre des vivants18. D’autres sont un peu plus nuancés. R. Martin-Achard affirme qu’il n’y a pas d’allusion directe à la résurrection ni à l’immortalité dans les psaumes (il pense en particulier aux psaumes 16, 49, 73). Tout l’accent porte sur la relation qui est établie avec Dieu dans cette vie… «les fidèles vivent de Dieu et en Dieu». Cependant, il ajoute que «les psalmistes, semble-t-il, n’imaginent pas que cette communion puisse un jour être brisée même par la mort.» Ainsi, permettent-ils (les psalmistes) une future affirmation d’une vie dans l’au-delà puisque la relation présente avec Dieu est «incassable»! Cette relation avec Dieu, cette communion est donc à distinguer de la résurrection, mais aussi de l’immortalité de l’âme19. Enfin, d’autres théologiens, tout en poursuivant cette ligne de pensée, sont plus affirmatifs. E. Jacob voit dans les psaumes 16, 17, 49, 73 la foi en une communion perpétuelle. En particulier, le psaume 73 présente une communion du fidèle avec Dieu, si forte, qu’elle ne peut être détruite par la mort. Mais il ne s’arrête pas là. Dans le psaume 22, v. 30: «Ceux qui dorment dans la terre adoreront Yahweh (le Seigneur) et ceux qui sont descendus dans la poussière se prosterneront devant lui.» E. Jacob «voit l’espérance de la résurrection poindre comme une lueur», mais sans plus20.

2) De la résurrection?

Notre étude panoramique serait incomplète si nous ne mentionnions pas le point de vue de ceux qui affirment la présence de la croyance en la résurrection sur une large échelle dans le Psautier. Il s’agit en particulier de deux théologiens, T. K. Cheyne et de M. Dahood.

Le premier, qui a écrit à la fin du siècle passé et au début de ce siècle, considérait que la plupart des psaumes étaient post-exiliques. Leurs auteurs furent influencés par les idées religieuses perses qui avaient un grand rayonnement à cette époque dans le Proche Orient Ancien. En fait, l’influence perse aurait joué le rôle de catalyseur selon cet auteur. Il pense

qu’aucune croyance importante de l’ «église» juive fut à proprement parlé empruntée. Cependant, sans une influence étrangère, certaines de ces croyances fondamentales n’auraient pas eu l’occasion, pour autant que nous puissions le voir, de se développer pleinement.

Cheyne introduit donc une relecture des psaumes à la lumière de l’eschatologie perse. Il y voit de nombreuses références à la résurrection: environ une douzaine21. Par exemple, lorsque le psaume 11, v. 7 parle de «l’homme droit qui contemple la face de Dieu» il évoque la «plénitude de communion» c’est-à-dire de «vie éternelle». Lorsque qu’il est dit au psaume 36, v. 10: car auprès de toi est la source de vie; par ta lumière nous voyons la lumière», il emploie des expressions qui symbolisent l’éternité. Enfin, le célèbre psaume 16 dit:

Car tu n’abandonneras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien-aimé voit le gouffre (la corruption). Tu me feras connaître le sentier de la vie; Il y a abondance de joies devant ta face, Des délices éternels à ta droite. (v. 10 et 11)

il parle de l’âme qui passe directement de ce monde à «la vision béatifique» (cf. aussi Ps 73:24-27)22.

Mais aujourd’hui, cette lecture est dépassée; d’abord, parce que la majorité des psaumes est considérée comme pré-exilique et, ensuite, parce que la doctrine de la résurrection dans l’Avesta (cf. Mazdésime) ne remonte pas au-delà du IVe. siècle23.

Le deuxième savant que j’ai mentionné, M. Dahood, a écrit un demi-siècle plus tard. Pour lui, les psaumes sont, dans l’ensemble, pré-exiliques; il faut les étudier à la lumière de la littérature sémitique de l’ouest constituée de textes ugaritiques et phoéniciens qui remontent au deuxième millénaire avant Jésus-Christ. A partir d’une étude comparative, il cherche à démontrer que bon nombre d’expressions dans les psaumes se réfèrent à l’au-delà. Ainsi, selon cet auteur, non seulement la résurrection et l’immortalité sont présents dans le Psautier, mais ce sont des croyances déjà attestées dans la période pré-exilique et pourquoi pas même à l’époque davidique. Dans son commentaire sur les Psaumes en trois volumes et de nombreux articles, il énumère une quarantaine de passages qui affirment ou impliquent une croyance en l’immortalité. Ces passages, il les regroupe en plusieurs sections24:

a) Ceux qui contiennent «vie» (hayyim) et qu’il faut traduire «vie éternelle» comme dans Daniel 12:2 (Ps 16:11; 21:5 ; 27:13; 30:6:; 36:10; 56:14; 69:29; 116: 8, 9; 133:3; 142:6 (Pr 4:22; 8:35-36; 12:28; 15:24). Par exemple, le psaume 36, v. 10 «Car auprès de toi est la source de la vie éternelle

b) Ceux qui évoquent «l’avenir» ou la «vie à venir» (aharit). Psaume 37, v. 37b, 38:

Il y a un avenir pour l’homme de paix Mais les rebelles sont tous détruits L’avenir des méchants est retranché.

c) Ceux qui décrivent la vie dans l’au-delà en termes d’un banquet céleste (Ps 23:4ss; 43:3-4; 91:15-16). Dans le psaume 23, on retrouve l’image du berger, mais aussi celle du festin:

Tu dresseras devant moi une table, en face de mes adversaires; Tu oindras d’huile ma tête et ma coupe débordera… Or ce festin est le festin céleste que le psalmiste confiant en la fidélité divine entrevoit déjà sur terre.

d) Ceux qui évoquent la vision béatifique, la contemplation de Dieu dans l’éternité (Ps 11:7; 17:15; 21:7; 27:4, 13; 61:8; 63:3; 140:14). Ainsi, par exemple, psaume 11v. 7:

Car l’Eternel est juste, il aime les actes justes; Notre visage contemplera celui qui est droit.

e) Ceux qui emploient le verbe, la racine «conduire» (nahah) dans le sens de «conduire en paradis» (Ps 5:9; 23:3; 61:3; 73:24; 139:24b; 143:10b). Ainsi, psaume 5, v. 9:

Conduis-moi, ô Eternel, dans ton pâturage à cause de mes détracteurs, mes rivaux.

f) Ceux qui emploient le verbe «se réveiller, se lever» (qist) pour parler de résurrection (Ps 139:18; Es 26:19; Dn 12:2; Pr 6:24). Ainsi, psaume 139, v. 18

Quand je me réveille, je suis encore avec toi…

g) Ceux qui emploient le verbe «prendre» (laqah) avec Dieu comme sujet (Ps 49:16; 73:24 [Gn 5 24; 2 R 2:3, 5, 9]). Ainsi, le psaume 49, v.16:

Mais Dieu libérera mon âme du séjour des morts, Car il me prendra.

h) Et enfin, ceux qui évoquent «une récompense, une rétribution après la mort» (Ps 103: 4-5; Ps 119:112). Par exemple, le psaume 103, v. 4-5

Mon âme bénis l’Eternel… qui rachètera ta vie du gouffre, Qui te couronnera de bienveillance et de compassion, Qui rassasiera de biens tes désirs, Qui te fera rajeunir comme l’aigle.

Une telle perspective ne peut que remettre en cause un certain nombre de lieux communs de la critique rationaliste, en particulier celui d’une origine tardive de la croyance en l’immortalité et plus encore celle de la résurrection. La confirmation d’une telle lecture demanderait même à repenser tout un aspect de la théologie biblique. Ce n’est donc pas étonnant que les positions de M. Dahood aient été très controversées.

3) Une évaluation

Cependant, face à cet éventail d’interprétations qui s’étendent de la lecture horizontale d’un Mowinckel jusqu’à la lecture verticale d’un Dahood, comment se situer? Si la perspective de Mowinckel est trop courte, celle de Dahood est «trop longue». Bien souvent, ce dernier projette des usages propres à l’ugaritique dans le texte biblique, d’autres fois, il y réintroduit des motifs mythologiques qui lui sont étrangers et, enfin, il ne situe pas suffisamment son exégèse dans un cadre théologique solide. Il lui manque la cohérence d’une théologie biblique, d’une histoire de la révélation pour y enraciner son exégèse! Cela n’empêche pas pour autant qu’il ait profondément renouvelé l’exégèse des Psaumes et ouvert des pistes d’études stimulantes. Mais comment nous situer dans ce débat et ces positions souvent contradictoires? Peut-on parler de vie et de résurrection, d’éternité dans l’Ancien Testament, en particulier dans les Psaumes? Ou comment en parler? Quelle est l’articulation entre les deux dans la mesure où on admet leur existence dans le premier Testament? Nous allons essayer de clarifier la question en abordant les quatre notions suivantes : La nature de l’homme ; la mort; la vie; le Dieu vivant25.

IV. Quatre notions clefs 

1) La nature de l’homme

Les études relatives à l’anthropologie biblique ont fortement souligné, ces dernières années, l’unité de l’homme, son unité «psychophysique». Elles ont réagi contre toute idée de dualité et en particulier contre l’idéalisme du XIXe siècle. Ainsi, l’homme n’a pas un corps, il est un corps. Il est nécessaire de réaffirmer cet aspect de l’enseignement biblique. On évite ainsi la notion de l’immortalité de l’âme telle que nous la présente l’animisme ou la pensée platonicienne, par exemple. Mais il existe un autre piège dans lequel il ne faut pas se laisser prendre: celui de la mentalité moderne qui réduit l’homme à une dimension purement horizontale, à ses composantes biologiques, chimiques neurologiques ou psychologiques. Il est essentiel de maintenir un équilibre entre l’unité et la dualité de la nature de l’homme car la dualité est, elle aussi, présente dans les récits de la Genèse. L’expression “créé à l’image de Dieu” souligne la spécificité de l’être humain (Gn 1:27). Certes, l’homme est un «terrien», il s’apparente aux êtres vivants en général, mais il s’en distingue par ailleurs. Le souffle qui l’anime est à la fois vital et personnel. Cet être vivant est un être personnel (Gn 2:7). Les mots et les concepts ont des sens variés et ils ne sont pas toujours employés avec précision. Déjà au début de ce siècle, A. Vacant remarquait que l’identité spirituelle de l’homme qui transcende la mort est désignée en hébreu “par différents noms qui ont des acceptions assez diverses; âme (néfèsh, neshma, la vie du corps), esprit (rouah, l’homme doté de pouvoir), cœur (léb, l’homme doué de raison)26. Quand «esprit» ne signifie pas souffle, il s’applique uniquement à Dieu ou à l’homme; La métaphore «cœur» n’est pas utilisée pour l’animal. En revanche, on parle du «cœur de Dieu», lieu de sa vigilance et de sa délibération, de sa volonté de justice et de bienveillance. La mentalité biblique affirme donc aussi la dimension verticale de l’homme. C’est un être spirituel capable de vivre une relation consciente avec Dieu qui transcende son corps sans dévaloriser ce dernier pour autant. Comme le dit avec beaucoup d’à propos H. Blocher, «l’esprit de l’homme est ‘terrien’» et «le corps de l’homme est l’expression de son esprit»27. J. W. Cooper, dans une étude remarquable, parle de «dualisme holistique»28.

2) La mort

La mort telle qu’on la perçoit et telle que l’ont perçue les personnages bibliques est ambivalente. Elle appartient à l’ordre des choses telle que nous les connaissons sur terre; elle est une menace, une épreuve et même un défi pour l’homme qui a le goût et le bonheur de vivre. Elle est à la fois naturelle et anormale, pour ne pas dire scandaleuse! On a souvent opposé ces deux perspectives au point de les considérer comme contradictoires. Pour le fidèle de la Bible, «en tant que fin normale d’une existence parvenue à son terme, la mort n’était ni un problème ni un scandale; rien n’était plus normal que de s’en aller âgé et rassasié de jours, rejoindre les ancêtres» dit E. Jacob29. Certes l’Hébreu souhaite mourir «rassasié de jours», mais cela signifie-t-il pour autant qu’il soit résigné devant la réalité de la mort inévitable? En fait, si le fidèle est en paix et aborde la mort avec assurance, c’est parce qu’il se sait dans la main de Dieu lorsqu’il aborde cette ultime épreuve. Ce n’est pas par résignation que le fidèle connaît la sérénité devant la mort inévitable et naturelle, mais par la foi et la confiance qu’il manifeste envers le Dieu vivant et ses promesses.

Certes, la mort appartient à l’ordre des choses dans le monde actuel, mais elle demeure anormale et scandaleuse parce que conséquence du péché. Elle est liée à un drame qui s’est joué à l’aube de l’histoire de l’humanité. Le récit de la Genèse est particulièrement clair à ce sujet. La présence de la mort est liée à une faute historique. Avant même les événements tragiques d’Eden, Dieu avertit Adam: «Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras tu mourras (= mourir tu mourras)» (Gn 2:17). Par ce commandement, Dieu souligne que la mort humaine n’appartient pas à l’ordre créationnel. «Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants (Lc 20:38). la mort est alors une possibilité réelle, mais rien en l’homme ne peut la provoquer.

Après la faute, lorsque retentit le jugement divin: «C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans le sol, d’où tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière» (Gn 3.19), ce n’est pas non plus pour affirmer le caractère naturel de la mort. Ce verset souligne que la mort est une conséquence de la révolte, de la désobéissance; plus encore, elle est la conséquence du labeur pénible de l’homme. La peine de son travail le vaincra30. Quant à la dernière phrase, «Car tu es…» elle nous parle du premier couple, l’homme est sujet à la mort, l’homme devient mortel. Par cet acte impensable, le principe de la mort entre en œuvre; la mort devient «normale» dans un monde marqué par le péché.

Aussi importants que soient les aspects extérieurs de la mort, il ne faut pas négliger sa signification profonde. En effet, la mort physique symbolise notre mort spirituelle. Elle est séparation de Dieu. La faute a entraîné la rupture de communion avec notre ultime vis-à-vis. Chassés du jardin d’Eden, Adam et Eve se voient fermer l’accès de l’arbre de vie, afin que cette nouvelle condition ne soit pas scellée pour toujours (Gn 3:23). Dans l’optique de la Genèse, le dilemme de l’homme est donc moral et non ontologique. Le mal n’est pas à l’être, il ne fait pas partie de l’«ingrédient de l’univers»; il est lié à un choix qui a des conséquences désastreuses pour la création tout entière. L’aliénation31 se situe non seulement sur le plan vertical – rupture de l’homme avec Dieu – mais aussi sur le plan horizontal. L’aliénation de l’homme est avec lui-même: il est étranger à lui-même, il est son propre ennemi; l’aliénation de l’homme est avec son vis-à-vis, son semblable : la discorde, l’animosité sont à l’intérieur même des communautés humaines; l’aliénation de l’homme est avec son environnement naturel, avec la création animale, végétale et géophysique. Cette hostilité s’allie à la méfiance qui se manifeste dans la peur et la terreur que les créatures éprouvent envers leur Père (Gn 3:10), et les uns envers les autres (Gn 4:14; 9:2). Par cet acte prométhéen, le premier couple bouleverse le cours de l’histoire. La mort s’installe pour longtemps dans le domaine du réel.

Ainsi celle-ci signifie ténèbres et, plus particulièrement, tout affaiblissement de la vie au sens large. La mort est déjà présente dans les dangers de la vie, dans la manifestation du mal, dans les persécutions, dans la souffrance et la maladie, dans tout ce qui menace la vie humaine. Notre existence s’écoule à l’ombre de la mort; plus encore, elle est pénétrée par le principe de la mort qui est agissant en nous. La souffrance (quelle qu’en soit la cause) et la maladie en sont des manifestations. Dans de nombreux textes, en particulier dans les psaumes, le croyant implore la délivrance des griffes de la mort. Or, c’est de toute atteinte à la vie terrestre qu’il demande à être libéré (Ps 16; 49). Mais si la souffrance, la maladie sont les prolongements de la mort, il s’en suit logiquement que les fidèles de l’Ancien Testament devaient envisager et attendre aussi une réponse à la mort elle-même.

c) La vie

Selon le point de vue biblique, la vie n’a de valeur et de dignité que parce qu’elle émane de Dieu. Elle est don du Seigneur. Si on reprend le début de la Genèse, l’arbre de vie qui se trouve au milieu d’Eden symbolise le principe de vie (2:9). Cet arbre est plus qu’une simple figure. Il a une valeur sacramentelle et souligne que le Dieu vivant est la source de toute vie. Calvin le fait très bien ressortir lorsqu’il dit dans son commentaire:

Or il a imposé le nom à l’arbre de vie non pas qu’il donnât vie à l’homme qui l’avait certes obtenue auparavant, mais afin que ce fût une enseigne et un mémorial de la vie qu’il avait reçue de Dieu.

L’arbre de vie a été la figure du Christ en tant qu’il est la Parole éternelle de Dieu et même un arbre n’a pu être autrement le signe de la vie qu’en le figurant….

Adam a donc été averti par ce signe de ne s’attribuer rien comme propre, afin qu’il dépendit totalement du fils de Dieu et ne cherchât la vie qu’en lui32.

En attribuant la source de la vie au Christ, J. Calvin met en relief la double dimension de celle-ci: créationnelle et rédemptrice.

Le Dieu trinitaire est à l’origine de la vie créationnelle tout entière et de la vie humaine en particulier (Gn 1:1 – 2:4; Jn 1:1; Ps 8). Comme le remarque judicieusement E. Dhorme, selon la mentalité biblique «la dignité du corps était due au fait que Dieu n’était pas seulement l’auteur du premier homme, mais encore celui de chaque individu.»33 Non seulement Dieu «donne conception» (Rm 4:13), mais il forme le fœtus dans le sein de la mère (Jb 10:10-12; Ps 139:13-16). L’activité créatrice de Dieu est comparée à celle d’un tisserand: «Tu me tissais dans le ventre de ma mère» (Ps 139.13). Dans d’autres passages, elle est assimilée au travail du potier. De même que le potier façonne l’argile, Dieu façonne l’enfant dans le sein de sa mère (Jb 10:8, 9; Jr 1:5). La Genèse, d’ailleurs, parle en des termes semblables de la création de l’homme (Gn 2:7)34. Ce n’est pas autre chose que Paul dit lorsqu’il déclare aux Athéniens: «En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être» (Ac 17:18).

Mais ce Dieu trinitaire est aussi à l’origine de la vie, associée à la rédemption. L’homme régénéré, étant immunisé en Christ contre le péché, est immunisé contre la mort. Certes il est toujours mortel, mais au cœur de son être, le principe de vie est à l’œuvre. L’apôtre Paul ne déclare-t-il pas: “La loi de l’esprit de vie en Christ Jésus m’a libéré de la loi du péché et la mort»? (Rm 8:2; 6:1-12) Et Jésus lui-même ne s’est-il pas écrié: Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14:6) et «Je suis le pain de vie»? (6:35-48) Il est créateur de la vie nouvelle. D’ailleurs les prophètes qui annoncent l’œuvre de restauration emploient l’image du potier fabriquant un vase pour évoquer la création d’un peuple selon le cœur de Dieu (Es 4:5, 9; 64:7; Jr 18:2; 19)35.

En fait, on distingue trois dimensions à la vie: terrestre, spirituelle et éternelle.

Toute la pensée biblique souligne l’importance de l’existence terrestre. Il est capital de la vivre dans toute sa plénitude. C’est l’intime conviction du sage (Pr 5:15-19) ou de l’Ecclésiaste (11:9ss). L’essentiel, c’est la vie les biens d’ici-bas, dons de Dieu, reçus dans la foi et la joie, et mis en valeur dans la justice et l’amour. Siméon «était un homme juste et pieux», nous dit Luc (2:25). Cependant, face à la présence du mal dans le monde, la justice divine ne se manifeste que partiellement dans la conception de la rétribution terrestre. En effet, une longue vie, une abondante postérité et la réussite (la prospérité) peuvent être des signes de la fidélité de Dieu envers les justes. La mort prématurée, l’absence de descendance et la misère peuvent être des signes du jugement de Dieu sur l’impie. Mais les données de l’expérience humaine et de la révélation divine obligent à relativiser les notions de vie et de rétribution terrestres. L’histoire de Job en est un exemple frappant.

Aussi la vie est-elle conçue comme félicité spirituelle. Le bonheur suprême, la récompense ultime face aux injustices – le méchant qui prospère (Ps 73) – et aux épreuves (Ps 27:1-3), c’est de connaître l’amitié de Dieu. Cette béatitude se réalise dans la participation au culte (Ps 27:4-6; Ac 2:46), dans l’intimité avec Dieu qui s’accompagne de l’obéissance à ses commandements (Ps 1:1-3; Jn 15:1-17). Cette relation avec Dieu engloutit tout ce qui contrarie ou blesse, tout ce qui s’impose à l’homme et l’abat: ennemis, vilenies, pauvreté, épreuves, souffrance et maladies. Ces réalités peuvent même devenir, sous le regard de Dieu, des moyens de purification (Za 13:9; 1 P 1:6-7). Cette dimension spirituelle de la vie n’est pas en rupture avec la dimension terrestre. Au contraire, elle la nourrit, la fortifie et permet au fidèle de la recevoir et de l’affirmer pleinement.

d) Le Dieu vivant

Mais comment imaginer que cette intimité, cette communion puisse un jour cesser? Que la mort puisse avoir le dernier mot? Aussi la vie dans la Bible a-t-elle une troisième dimension, eschatologique ; elle est permanence et durée (Ps 16:11; Dn 12:1-3). A l’aspiration du fidèle de prolonger indéfiniment sa communion avec Dieu, au-delà de la mort, Dieu répond par la fidélité, la permanence et la durée, il est le Dieu vivant et le Dieu des vivants. N’est-ce pas la réponse de Jésus aux Sadducéens qui rejetaient la résurrection: «Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.» (Mt 22:32).

V. Une élaboration progressive

L’Ancien Testament devait élaborer progressivement les doctrines de l’au-delà, de l’immortalité, de la résurrection et de la rétribution; mais d’entrée, la justice et la vie, même éternelles, s’enracinent dans la nature de Dieu. Le Seigneur n’était pas seulement le Dieu des vivants, des habitants de la terre. La mort et le Shéol ne pouvant échapper à son autorité souveraine, le croyant de la première alliance était habité par une espérance dont l’aboutissement était la vie éternelle. Cette espérance, nous l’avons vu, certains l’exprimaient en terme d’immortalité d’une relation du fidèle avec Dieu que rien ne pouvait rompre y compris la mort – d’autres en terme de résurrection (Es 25:8; 26:19; Ez 37:11-12; Dn 12:1-3)36. Ajoutons qu’il n’est pas nécessaire de choisir car la communion en Dieu et la restauration corporelle sont étroitement liées. Tout ce qui était nécessaire à la plénitude de la révélation donnée en Jésus-Christ était contenu dans l’ancienne alliance. Aussi le Messie, puisqu’il en est l’accomplissement, proclame-t-il avec audace et assurance: «Je suis la résurrection et la vie» (Jn 11:25). C’est le cœur de la prédication apostolique. L’enlever, c’est réduire la foi chrétienne à néant, nous dit Paul (1 Co 15). Aussi n’est-il pas étonnant que les apôtres aient vu dans le psaume 16, par exemple, une référence précise à sa résurrection:

Car tu n’abandonneras pas mon âme au séjour des morts Tu ne permettras pas que ton bien-aimé voit le gouffre (la corruption) Tu me feras connaître le sentier de la vie; Il y a abondance de joies devant ta face, Des délices éternelles à ta droite.

Certes la terre des vivants est le lieu privilégié de la louange et de l’adoration; certes, c’est là que l’homme est appelé à être un témoin parmi ses contemporains; certes, c’est là encore qu’il doit affirmer la qualité et la plénitude de la vie (Es 38:9-20), mais que serait son existence terrestre si son horizon était fermé? N’est-ce pas faute de cette ouverture que nos contemporains n’ont plus le goût de vivre et ne savent plus faire face à la fin de la vie avec sérénité? Le croyant, lui, conserve l’espérance malgré le grand déchirement que constitue la mort et ce dès la première alliance!


* P. Berthoud est doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence où il enseigne l’Ancien Testament et l’apologétique

1 A. Lods, La croyance à la vie future et le culte des morts dans l’antiquité israélite (Paris: Fischbacher, 1906), I, 1

2 Ibid., 2.

3 E. Renan, Histoire du peuple d’Israël (Paris: Lévy, 1887), I, 41 42.

4 Ces solutions étaient souvent regroupées dans l’esprit des spécialistes.

5 Science qui a pour objet l’étude et la connaissance des inscriptions.

6 A. Lods, Israël des origines au milieu du 8e. siècle (Paris: Renaissance du Livre, 1930), 251.

7 Croyance qui attribue une âme aux phénomènes naturels et qui cherche à les rendre favorables par

des pratiques magiques.

8 Doctrine qui admet l’existence de puissances mystérieuses dont la personnalité est mal définie.

9 Notons les différences d’anthropologie entre l’animisme et le monothéisme:

  • pour le premier, l’âme anime l’homme et lui survit.
  • pour le second, à la mort, l’esprit retourne à Dieu tandis que l’âme et le corps se désintègrent sans laisser de traces. Ce retour de l’esprit à Dieu se fait sans fusion.

10 W. Schmidt, The Origin and Growth of Religion, Facts and Theories, traduit de l’allemand par H. J. Rose (Londres: Methuen & Co., Ltd., 1955), 219-290 ; M. J. Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques (Paris: Le Coffre, 1905), 314-351 ; W. F. Albright, From Stone Age to Christianity (Baltimore: The John Hopkins Press, 1957), 272.

11 R. de Vaux, Les Institutions de l’Ancien Testament (Paris: Cerf, 1976), I, 100. Cf. A. Heidel, The Gilgamesh Epic and the Old Testament Parallels (Chicago: University of Chicago Press, 1970), 150,-170.

12 G. von Rad, Théologie de l’Ancien Testament. traduit de l’allemand par A. Goy (Genève: Labor & Fides, 1972), T. I, 183, 184.

13 On peut envisager plusieurs cas de figures:

  • oppositon totale (W. Bruggemann)
  • développement progressif (H. C. Brichto et W. F. Albright)
  • tension dialectique (K. Spronk)
  • un processus créatif interne (L. J. Greenspoon)
Cf. thèse de P. Berthoud: Resurrection and Immortality in the Psalms with Special Reference to the Concept of Life. The Significance of M. Dahood’s Hypothesis Twenty Years after the Publication of his Commentary. Covenant Seminary, St. Louis, Mo., U.S.A., 1991, 38-48.

14 L. T. Brodie, L. Bronner. Ibid., 48-50.

15 J. Pedersen, M. Dahood, A. Niccacci, M. S. Moore. Ibid., 50-54.

16 W. H. Schmidt, The Faith of the Old Testament (Oxford: Basil Blackwell, 1983), 267, 276.

17 R. Martin-Achard, «Résurrection dans l’Ancien Testament et le judaïsme» S.D.B., vol. 10 (Paris: Letouzey et Ané, 1981) Col 437-487 (= R.A.T.S.): «Trois remarques sur la résurrection des morts selon l’Ancien Testament» La revue de théologie et de philosophie, cahier 11 (1984), 170-184 (= T.R.R.M.A.T.); La mort en face (Genève: Labor & Fides, 1988 (= L.M.F).

18 S. Mowinckel, The Psalms in Israel’s Worship (Oxford: Basil Blackwell, 1962) I, 240.

19 R. Martin-Achard, R.A.T.J., col. 466, 467; T.R.R.M.A.T., 176-178; L.M.F., 106-113.

20 E. Jacob, Théologie de l’Ancien Testament (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé), 240-253, en particulier 248, 249; “Immortality” The Interpreter’s Dictionary of the Bible, editor G. A. Buttrick (New York: Abingdon Press, 1962), vol. II, 689.

21 Ps 7; 16:10; 17:5; 36:10; 42:13bc; 49:15, 16; 63: 9-10; 72:5; 73:24-27; [79:2]; 118:17.

22 T. K. Cheyne, The Origin of the Psalter (London: Kegan Paul, Trench, Trübner & Co., Ltd., 1981), 402.

23 E. Jacob, cf. note 17.

24 M. Dahood, Psalms, (New York: Doubleday, 1970), III, XLV. Les trois volumes de son commentaire et de nombreux articles défendent cette hypothèse. Cf. la thèse de P. Berthoud : Bibliography. Cf. note 13.

25 Ces notions ont été discutées dans mon article: «L’homme, la mort et la vie: perspectives bibliques», La revue réformée, 149, 1987, 15, 18-22.

26 A. Vacant: «L’âme» Dictionnaire de la Bible, E. Vigouroux éd. (Paris: Letouzey et Ané, 1912), tome 1, col. 453-73.

27 H. Blocher, Révélation des origines (Lausanne: Presses Bibliques Universitaires, 1988), 82.

28 J. W. Cooper, Body, Soul and Life everlasting (Grand Rapids: Eerdmans, 1989), 36-80.

29 E. Jacob, Théologie de l’Ancien Testament (Neuchâtel: Delachaux & Niestlé, 1955), 252.

30 Cf. H. Blocher, Révélation, 168ss.

31 Aliénation: le fait d’être étranger, hostile, éloigné: A ne pas confondre avec l’emploi marxiste et hégélien: état de l’individu que, par la suite, des conditions extérieures (économiques, politiques, religieuses) cesse de s’appartenir, est traité comme une chose, devient esclave des choses et des conquêtes même de l’humanité qui se retournent contre lui. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de dimension ou des conséquences sociales, économiques et politiques à cette aliénation.

32 J. Calvin, Le livre de la Genèse (Paris-Aix-en-Provence: Farel-Kerygma, 19), 49.

33 E. Dhorme, L’emploi métaphorique des noms de parties du corps en hébreu et en akkadien (Paris: Paul Geuthner, 1963), 4.

34 Pour la création dans le sein maternel, cf. encore 2 Macc 7:22, 23.

35 E. Dhorme, op. cit., 5.

36 En plus de M. Dahood, op. cit., III, XXVIII à LII et de K. Spronk, Beatific afterlife in Ancient Israel and in the Ancient Near East (Neukirchen-Veuyn: Butzon & Bercker Kevelaer, 1986), plusieurs théologiens évangéliques, tout en soulignant la discrétion de l’Ancien Testament, pensent que les doctrines touchant à la survie sont anciennes: J. Orr «Immortality in the Old Testament», Classical Evangelical Essays in Old Testament Interpretation, éd. W. C. Kaiser (Grand Rapids: Baker Book House, 1972), 253-264; N. H. Ridderbos, «De opstanding in het oude Testament», Gereformeerd Theologisch tijdschrift 68 (1968), 3-14; D. Alexander, «The Old Testament view of Life after Deat», Themelios 11:2 (1986), 41-46; «The Psalms and the Afterlife», Irish Biblical Studies 9 (1987), 2-17, etc.

Nous n’ignorons pas la dimension collective de la restauration d’Israël, par exemple dans Ezéchiel 37 et, peut-être, dans Esaïe 26, mais c’est la résurrection de l’individu qui est utilisée pour évoquer la renaissance collective. D’autre part, il y a de bonnes raisons pour maintenir l’unité d’Esaïe et pour considérer que le livre de Daniel date du VIe siècle. Cela signifie que les trois passages cités sont pré-exiliques! Cf. par exemple R. B. Dillard, T. Longman III, An Introduction to the Old Testament (Grand Rapids: Zondervan, 1994).

]]>
La faculté libre de théologie réformée – Rétrospective et prospective https://larevuereformee.net/articlerr/n208/la-faculte-libre-de-theologie-reformee-retrospective-et-prospective Thu, 18 Aug 2011 13:47:59 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=544 Continuer la lecture ]]> La faculté libre de théologie réformée
Rétrospective et prospective

Pierre BERTHOUD*

Introduction: un peu d’histoire

i) Conception et gestation de la faculté

Née en 1974, la conception de la faculté est bien antérieure et sa gestation s’étend sur plusieurs années, de 1962 (1967)1 à 1974; période pendant laquelle se sont mises en place deux idées essentielles:

– celle d’une faculté de théologie autonome/libre de toute union d’Eglises;

– celle d’une faculté de théologie chrétienne, résolument réformée, dont la base doctrinale était la Confession de foi de La Rochelle (et la Déclaration de foi de l’Alliance évangélique française). Cette identité se retrouve dans le nom que le conseil de faculté lui a donné: Faculté libre de théologie réformée (FLTR).

ii) La FLTR, si elle est tributaire de l’ancienne Faculté de théologie protestante (FTP), est cependant une institution nouvelle.

a) Elle est tributaire puisqu’elle a hérité de ce qui restait de la bibliothèque et du statut administratif accordé par le rectorat à l’ancienne FTP. Les EREI2 ont également mis gracieusement à la disposition de la FLTR les locaux et jardins qu’elle occupe actuellement.

b) C’est une institution nouvelle puisqu’elle est libre par rapport à toute union d’Eglises – c’est le conseil de faculté qui définit la politique générale de la faculté – et qu’elle a adopté une identité théologique spécifiquement réformée: les professeurs adhèrent à la Confession de foi de La Rochelle.

Pour résumer ces quelques remarques introductives, nous pouvons dire avec P. Courthial que

ce sera de la part des EREI une preuve de désintéressement, de foi et de sain réalisme que d’accepter finalement l’autonomie de la future faculté réformée, tout en la laissant disposer, gratuitement, des lieux dont « l’Association cultuelle pour l’entretien de la faculté » (association faisant partie des EREI) était propriétaire3.

A) Vision et développement

• C’est alors que les Eglises historiques traversent une crise profonde que la Faculté libre de théologie réformée a été inaugurée le 14 octobre 1974. Sur le plan théologique, la diversité des courants, des écoles est telle que la vérité de l’Evangile est contestée et parfois même remplacée par des discours qui s’inspirent des modes de pensées qui doivent l’essentiel de leur contenu à l’humanisme ambiant.

Perçue par les uns comme un signe d’espérance, de renouveau, et par d’autres comme un signe de division, la faculté peut être comprise comme une manière d’incarner l’unité, une des préoccupations majeures des Eglises chrétiennes en ce siècle. Dans la prière sacerdotale, le Seigneur prie pour ses disciples afin qu’ils soient un comme le Père et le Fils sont un. Cette unité se tisse dans la communion avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Elle ne se fait pas au détriment de la vérité. La vérité, la parole de vérité du Seigneur, en accomplissant son œuvre de sanctification dans la communauté des croyants, produit le fruit de l’unité. Cette mise en œuvre de l’unité se distingue de certaines démarches contemporaines de nature institutionnelle ou consensuelle. La faculté, en mettant l’accent sur la Confession de foi de La Rochelle, a voulu souligner l’importance de l’unité qui tire toute sa substance de la vérité révélée. Dans la mise en œuvre de son projet de formation théologique et pastorale, elle se présente comme un signe d’une unité vécue à l’intérieur même du protestantisme, en particulier réformé. Comme le dit Pierre Courthial:

C’est la prise de conscience de l’antithèse entre la Confession de la foi et le dogme pluraliste qui a conduit les réformés confessants des Eglises réformées et réformées évangéliques à imaginer, puis à établir, la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence, d’abord pour glorifier le Dieu trinitaire en suivant Sa Parole, ensuite pour travailler au progrès de la foi réformée, en particulier dans les pays francophones, enfin pour préparer des pasteurs et, s’ils le veulent, des fidèles, joyeux dans la liberté de confesser « la foi transmise aux saints une fois pour toutes ».

A vue humaine, la création de la faculté était une folie. Elle répondait cependant à un besoin. L’élan et l’enthousiasme qu’elle a suscités a surpris et réjoui beaucoup de pasteurs et de fidèles. Elle en a heurté d’autres par le jugement qu’elle portait en elle et provoqué même incompréhension et réprobation. Cela n’aurait guère été possible autrement. Une institution de formation pastorale surgissait dans le paysage du protestantisme français dont l’identité confessionnelle et théologique était soit ignorée, soit systématiquement écartée!

• Quoi qu’il en soit, la Faculté d’Aix-en-Provence fut d’emblée crédible. Les trois professeurs formant alors le conseil des professeurs: Pierre Courthial, Peter Jones et Paul Wells étaient secondés par des professeurs associés de qualité et souvent connus au-delà des cercles protestants. Je pense à Frank Michaeli (Ancien Testament), Olivier Prunet (patristique), J.-M. Hornus (histoire des religions), à E. Boyer (évangélisation), F. Gonin et P. Chaunu (histoire), J. Brun (philosophie), sans oublier P. Marcel, A. Kayayan et D. Beaune-Gray. Chacun a porté sa pierre à l’édifice et contribué à la réussite de ce projet insensé et pourtant habité par une étincelle de sagesse divine. Je voudrais évoquer la mémoire de ceux qui ont déjà rejoint la maison du Père et remercier les autres.

• Il y a aussi les étudiants. Quatorze la première année, tous issus d’Eglises réformées. C’était la confirmation de la pertinence de l’analyse de la conjoncture et de la mise en œuvre du projet.

• Enfin, il y eut la réponse du peuple des Eglises, qui s’est reconnu dans l’identité confessante de la faculté et qui se rallia à son projet de former des pasteurs évangéliques. Sans la prière et le soutien des fidèles des paroisses essentiellement réformées, la faculté n’aurait jamais pu accomplir son ministère. Je pense en particulier à M. Silhol, président de l’association des amis de Paris, au pasteur Barilier de Lausanne (association des amis suisses), au professeur Dengerink (IARFA), au Dr Kolijn (Vrienden van Aix) des Pays-Bas et à Ed. Clowney, des Etats-Unis (Huguenot Fellowship), qui, dès la première heure, offrirent généreusement leur aide et soutien.

• La faculté devait se développer rapidement. De nouveaux professeurs rejoignirent l’équipe sur place, P. Berthoud, J.-M. Daumas, W. Edgar, Gérald et Eleanor Boyer. Puis il y eut, comme il se doit, des départs: P. Courthial, P. Jones, les Boyer et W. Edgar, qui furent suivis par l’arrivée du professeur A.-G. Martin, Ch. Rouvière et J.-C. Thienpont. Après le départ successif de ces trois derniers, l’équipe devait à nouveau s’étoffer avec la venue de M. Johner, H. Lea (chargé de cours) et Gordon Campbell. La bibliothécaire, A. Dieleman, devait s’intégrer à l’équipe à partir de 1980. Sur le plan administratif, Mlle de Védrines assuma les fonctions de secrétaire académique à partir de 1981 et Anthony Lewin devait occuper le poste de secrétaire général, nouvellement créé en 1994. Quant aux amis de la faculté, ils se développèrent surtout à l’étranger: aux Etats-Unis, les missions de la Presbyterian Church in America (MTW) et de la Christian Reformed Church (WM), aux Pays-Bas, l’association Kampen-Aix4 ainsi que plusieurs organisations ecclésiales qui manifestèrent un intérêt grandissant pour le ministère de la faculté5.

Enfin, l’Eglise presbytérienne en Irlande est le dernier de nos partenaires à nous avoir tendu la main d’association. Qu’il me soit permis d’exprimer auprès de toutes ces associations, Eglises et organisations missionnaires notre profonde reconnaissance pour l’intérêt et le soutien si évidents et fraternels qu’elles portent à la faculté et à sa mission.

B) Quelques chiffres

Afin de mieux visualiser le développement de la FLTR, voici quelques chiffres:

a) Budget 1975: 220 000 francs français; budget 1999: 3 200 000 francs (soutien France: 50%; soutien des amis étrangers: 50%). Pour 90% de son budget, la FLTR dépend de ses amis.

b) En 1974-1975: trois professeurs à plein temps; en 1999-2000: sept professeurs, un chargé de cours, une bibliothécaire, un secrétaire général et une secrétaire à plein temps, un comptable à mi-temps, sans compter les bénévoles.

c) En 1974-1975: 14 étudiants; en 1999-2000: 80 étudiants (un sommet en 1995-1996: 91).

d) Depuis 1974, la faculté a décerné quelque 306 diplômes (un même étudiant en ayant parfois reçu deux), dont 224 licences, 75 maîtrises et 7 doctorats; 180 étudiants exercent un ministère pastoral, dont une centaine dans les Eglises de la Fédération protestante de France (plus de 50 dans l’ERF, 35 EREI)6.

e) En 1974, l’action de la faculté était dirigée essentiellement en direction des Eglises réformées en France. Si on considère le paysage ecclésiastique, la faculté se situe à la croisée des chemins que représentent les Eglises historiques et « évangéliques ». Les premières sont multitudinistes et plutôt pluralistes, les secondes sont professantes et plus ou moins typées. C’est dans cet environnement ecclésial que la faculté exerce son ministère, tout en affirmant son identité résolument confessante. Si on considère le paysage géographique, il a incité la faculté à développer des relations avec les pays latins d’Europe et avec l’Afrique francophone. Des contacts ont aussi été établis avec des pays d’Europe de l’Est.

A titre indicatif, voici les effectifs de l’année 1999-2000: 80 étudiants sont régulièrement inscrits, dont 29 nouveaux, 34 célibataires, 46 mariés et 16 femmes7.

En résumé, la faculté a été amenée, tout au long de ces années, à préciser sa vocation. Aujourd’hui, plus que jamais, elle est appelée à être un lieu de passerelle, de ralliement, de réflexion, de prière et d’encouragement.

C) Une institution fragile

Comme une plante qui surgit de la terre, la faculté s’est levée, consolidée et développée. Elle fait partie du paysage protestant.

Cependant, elle demeure fragile:

• Elle est libre par rapport à l’Etat, mais aussi par rapport à toute union d’Eglises. Si cela lui permet d’être au service d’Eglises diverses, cela signifie aussi que personne ne lui doit rien. Le ralliement que la faculté peut susciter est l’expression d’un choix qui résulte d’une conviction acquise.

• Le courant théologique réformé confessant que la faculté représente et cherche à promouvoir est jeune. Il est encore peu connu et ses ressources sont faibles. Je pense à ses réseaux d’amis, en particulier en France, à son rayonnement dans les Eglises et à la relève de son personnel, plus précisément des professeurs. On ne s’improvise pas théologien. C’est une vocation, un apprentissage dont les fruits sont le produit d’une maturation que l’Esprit met en œuvre au sein de l’expérience humaine.

• Elle a aussi connu des épreuves, internes et externes. Si elles font partie de la vie quotidienne, il ne faut pas s’étonner de les rencontrer dans la vie de nos institutions. Comme le dit si bien Jacques, « l’épreuve de votre foi produit la patience ou la persévérance » (Jc 1:3), et Pierre nous rappelle que « le Seigneur sait délivrer de l’épreuve les hommes pieux » (2 P 2:9). C’est au sein des épreuves que se forge le caractère, que se confirme une vocation et que se consolide un ministère.

La FLTR a pu devenir prisonnière de ses habitudes; se laisser gagner par l’usure, perdre de sa pertinence en cessant d’être suffisamment attentive à son environnement ecclésial et culturel ou en se laissant piéger par lui. Il importe alors de s’ouvrir à un regard extérieur. Pour ce faire, le conseil de faculté a nommé un comité international d’évaluation de sept membres (CIE). Après une évaluation générale de la faculté (recherche, pédagogie et administration), le comité a rédigé un rapport dans lequel il a fait des recommandations qui, pour l’essentiel, ont été retenues (1998)8. Plus encore, il s’agit, pour la faculté, de préciser à nouveau sa vocation, sa mission et sa stratégie en fonction d’un climat général qui a évolué quelque peu et nous serre de toutes parts. Il importe de faire preuve à la fois de discernement par rapport au temps présent et d’audace assaisonnée d’humilité dans l’exercice de ce ministère de formation.

D) Un climat complexe et flou

A bien des égards, dans les années soixante-dix, le rapport avec les différents courants de pensée qui traversaient la société et les Eglises était plus aisé. On croyait encore au débat d’idées, et une pensée cohérente semblait toujours possible. Bref, l’intelligence de la vérité était encore envisagée, malgré les fissures apparentes dans les systèmes de pensée qui s’appuyaient sur les seules lumières de la raison.

Aujourd’hui, la situation est plus complexe et plus floue. Elle correspond, en quelque sorte, à une période de transition dans laquelle l’opinion personnelle prime sur le souci de vérité. Chacun a droit à sa vérité et il ne faut surtout pas la remettre en cause ou même la questionner. Toute pensée considérée comme trop typée, c’est-à-dire fondée, cohérente et morale, est objet de soupçon pour ne pas dire d’emblée écartée. Dans ses Mémoires, Jean Sérisé, collaborateur de Mendès France et conseiller écouté de Valéry Giscard d’Estaing,

débusque aimablement une France sans convictions et sans règles du jeu, sans projets collectifs et sans éthique individuelle…9

Le constat peut sembler sévère et on peut soupçonner J. Sérisé d’être nostalgique d’une France révolue. Mais il n’est pas le seul à nous faire part de son « pessimisme tranquille et de son inquiétude sobre ». Je pense, en particulier, à l’analyse surprenante et stimulante que Jean-Claude Guillebaud livre dans son tout dernier livre, La refondation du monde. Dans ses « Questions préalables », il dépeint, à coups de pinceau incisifs, la génération à laquelle nous appartenons et dont nous ne pouvons pas nous empêcher d’être solidaires. Il parle de « performances quantifiées », de « complaisances pour le relativisme », de « fétichisation de l’individu désaffilié », de « la fin des pensées totalisantes », du « règne versatile de la démocratisation d’opinion », des « pesanteurs du tout-marché et de la technoscience », de « la raideur du droit substitué aux croyances collectives » et à « l’évanouissement définitif des utopies et de l’espérance ». Dans le discours quotidien, qu’on ne cesse de nous répéter sur tous les tons, « quelque chose sonne dramatiquement faux » et nous empêche l’accès aux questions fondatrices pourtant si essentielles à la mise en œuvre de la vie dans la cité des hommes. Afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, Guillebaud précise sa pensée en ces termes:

Nous, citoyens modernes, répugnons désormais aux interrogations trop directes sur les questions essentielles, nous préférons les débats de procédures, fussent-ils byzantins; nous privilégions d’instinct les questions de méthodes plutôt que les urgences de fond. Pour ces dernières, et assez extraordinairement, nous faisons comme si les choses allaient de soi ou, au pire, pouvaient toujours être renvoyées à plus tard. Il existe, en d’autres termes, une désinvolture de bon ton, un déni ontologique qui pèsent sur chacun de nous comme une injonction. On ne se risque plus beaucoup par les temps qui courent à aborder de front ce qui touche à l’essentiel10.

E) Les fondements d’une réflexion panoramique

Guillebaud ne s’arrête pas là. Malgré les ricanements de la modernité « cancanière et finaude », il invite, non sans courage, à s’intéresser aux questions fondatrices sans tomber dans le piège de la nostalgie du passé. En effet, moraliser et légiférer ne suffisent pas pour reconstruire la société civile11. Il ne s’agit pas de restaurer un passé idéal ni un âge d’or qui n’a jamais existé, mais de revenir aux sources de notre civilisation12, afin de poser des fondements, pour le présent comme pour l’avenir, à notre vision du monde. « Plus que jamais s’impose le besoin de perspective, de remise en cohérence, de réflexion panoramique… »13

Nous voilà au cœur même de la théologie, tout au moins de la théologie chrétienne historique qui s’enracine dans le terreau biblique et, en particulier, dans la doctrine des Apôtres. C’est un aspect essentiel de la théologie réformée que d’offrir une vision globale, une réflexion panoramique de Dieu, du monde, de l’homme, du mal et du salut qui éclaire la réalité en vérité. Lorsque la créature se place dans ce cadre, elle peut assumer pleinement sa vocation et sa destinée humaine avec sérénité et joie.

Malgré les apparences et l’évolution des mentalités de notre monde, les enjeux n’ont guère changé. Lorsque nous prenons le temps de la réflexion ou lorsque les circonstances nous y poussent, nous butons toujours à nouveau contre les mêmes questions fondamentales: « D’où viens-je, que suis-je, où vais-je? »14

F) Vocation et mission

La vocation de la faculté est de promouvoir le rayonnement de la théologie réformée confessante au sein du protestantisme francophone.

Pour ce faire, la faculté s’attache, et par ordre de priorités:

• à la formation des pasteurs et autres ministres;

• au rayonnement de la théologie réformée au sein du peuple de l’Eglise, dans le monde universitaire et la société civile.

Se situant dans un contexte d’indifférence et souvent à contre-courant, la faculté conçoit son travail comme un effort missionnaire: un investissement à fonds perdus auquel ne correspondent pas de critères de rentabilité immédiate. Elle s’adresse à un public (étudiants, membres ou non des Eglises, universitaires) pour lequel la théologie réformée reste largement inconnue.

G) La théologie réformée confessante

C’est la théologie protestante de tradition calvinienne telle qu’elle est définie dans les confessions et catéchismes de la Réforme. Celle-ci s’enracine dans la doctrine des Apôtres et se reconnaît dans les symboles de l’Eglise primitive.

Dans une conjoncture marquée par la sécularisation de la société et de l’Eglise, par le relativisme de la pensée et de l’éthique, par les dialogues interreligieux diffus, la théologie réformée confessante se caractérise par son attachement à:

• la doctrine de l’inspiration verbale des Ecritures telle qu’elle a été définie dans la Confession de foi de La Rochelle;

• un modèle cohérent de formation théologique et pastorale dont la tâche est de repréciser la spécificité des fondements, des méthodes, de la pédagogie et des finalités de la théologie chrétienne réformée, et par là de se donner les moyens d’un témoignage fidèle et pertinent.

C’est donc une théologie de conviction fondée sur la vérité objective de la révélation et du message biblique que les professeurs souhaitent promouvoir. Dans une lettre qu’il a envoyée à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire, A.-G. Martin a écrit:

Dans une société gagnée par l’émotif, les chrétiens ne doivent pas mépriser l’intelligence comme don de Dieu. La tâche de la théologie demeure, tout à la fois ferme dans ses convictions et humble dans son discours; exigeante dans sa recherche intellectuelle et claire dans sa formulation; obéissante à son Seigneur et libre de toute mode de pensée.

H) Défis et projets

Lors de conversations que j’ai pu avoir avec des responsables et fidèles d’Eglises cet été, voici quelques-uns des défis qu’ils ont mentionnés comme devant être relevés par la théologie dans les toutes prochaines années:

• Le dialogue interreligieux: comment être à l’écoute des différentes religions tout en affirmant que Jésus est le chemin, la vérité et la vie?

• L’avènement d’une spiritualité à la dimension de l’homme, qui refuse toute référence à Dieu. Pourtant, seul le Dieu infini et personnel peut répondre durablement aux aspirations humaines les plus profondes. Comment le communiquer et en rendre compte?

• La redécouverte de la loi de l’Alliance et de son actualité; de sa capacité à éclairer le comportement individuel et collectif de nos contemporains sans renoncer pour autant à la liberté qui nous est offerte en Jésus-Christ.

• L’importance de reprendre en profondeur la question de l’Eglise, de sa vocation, de sa mission en tant que corps du Christ et de ses ministères.

• L’œcuménisme. Non pas tant l’institutionnel, mais celui qui est vécu de plus en plus au niveau de la base et qui se manifeste par exemple dans la pratique des mariages mixtes. Comment rechercher l’unité sans pour autant sacrifier la vérité et ses exigences?

• Le développement de la formation théologique des laïcs, de l’accompagnement pastoral et de l’éducation chrétienne face à l’érosion de la société civile, de la famille et de l’école.

Cela dit, la tâche prioritaire de la faculté est de former des pasteurs; et à côté de cette formation pastorale, de satisfaire une demande de plus en plus pressante: celle de la formation à l’évangélisation et à l’implantation de nouvelles Eglises. Il s’agit aussi d’intensifier la recherche et les publications, de consolider et redéployer le cursus, de recruter de nouveaux étudiants et amis, de développer les relations avec l’université (homologation des diplômes) et d’autres institutions théologiques et de réaménager certains aspects de l’administration.

Les chantiers ne manquent donc pas et la tâche est vaste, mais nous sommes habités par un enthousiasme certain, étant convaincus que la petite institution que représente la faculté fait partie du plus grand projet, celui qui trouve son origine dans le cœur de Dieu, c’est-à-dire dans sa pensée.

C’est par la sagesse qu’une maison se construit,

Et par l’intelligence (le discernement) qu’elle s’affermit;

C’est par la connaissance que les chambres se remplissent

De tous les biens précieux et agréables. (Pr 24: 3-4)

Que la faculté soit une telle maison, remplie des trésors de la sagesse divine en vue de l’édification de l’Eglise et du renouveau de la cité des hommes!


* P. Berthoud est doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Ce texte présente l’essentiel de son intervention, le 10 octobre 1999, lors de la célébration du vingt-cinquième anniversaire de la faculté.

1 M. Longeiret, D’une Faculté de théologie à l’autre (1962- 1974). En 1962, on évoque la création d’une faculté « évangélique »; l’année 1966-1967 est la dernière de la Faculté de théologie protestante.

2 Union nationale des Eglises réformées évangéliques indépendantes (UNEREI).

3 La Foi réformée en France (Aix en Provence: Ed. Kerygma, 1995), 20.

4 Stichting Kampen Aix-en-Provence.

5 Il s’agit de l’Eglise chrétienne réformée aux Pays-Bas (Christelijke Gereformeerde Kerken in Nederland), l’Alliance réformée dans l’Eglise réformée hollandaise (Gereformeerde Bond in de NHK; Nederlands Hervormde Kerk) et la Mission des communautés réformées (Zending der Gereformeerde Gemeenten).

6 Au nombre d’étudiants diplômés, il convient d’ajouter un certain nombre d’étudiants qui, après une ou deux années d’études de la théologie, ne se sont pas sentis appelés à exercer un ministère spécialisé dans l’Eglise et ont suivi une autre voie, leur activité et leur témoignage bénéficiant de l’acquis obtenu pendant leur séjour à Aix.

7 Licence: 39, dont 16 en première année; sur place: 24, dont 11 en première année à distance; 15, dont 5 en première année. Maîtrise: 16, dont 6 en première année et 3 nouveaux. Doctorat: 24, dont 5 nouveaux.

Il y a 51 Français et 29 étrangers: 8 Européens (Belgique: 1; Espagne: 1; Pays-Bas: 2; Royaune-Uni: 1; Suisse: 3), 10 Africains (Algérie: 2; Burkina-Faso: 1; Cameroun: 1; Congo: 1; République démocratique du Congo, ex-Zaïre: 1; Côte d’Ivoire: 1; Gabon: 1; Guinée: 2), 4 de Madagascar, 1 de l’île Maurice, 2 de Corée du Sud et 4 Américains (Etats-Unis).

Appartenance ecclésiastique: 32 réformés (EREI: 14; ERF: 9; autres: 9), 34 évangéliques, 9 pentecôtistes, 1 luthérien, 2 adventistes, 1 nazaréen et 1 catholique romain.

8 Les domaines concernés sont les suivants: la recherche, le cursus académique, l’accompagnement des étudiants, le recrutement des étudiants et de nouveaux amis, l’organigramme et les rapports de la FLTR avec l’université et d’autres institutions théologiques.

9 Mémoires d’un autre (Editions de Fallois, 1999). Compte rendu par Alain Duhamel, Le Point n° 1411, 1er octobre 1999, 21.

10 J.-C. Guillebaud, La refondation du monde (Paris: Seuil, 1999), 9 et 10.

11 Civisme, conscience professionnelle minimale, respect des interdits fondateurs (cf. pages 13 et 14).

12 Pour Guillebaud, il s’agit de la pensée grecque, du judaïsme et du christianisme.

13 Ibid., 24.

14 F. A. Schaeffer, L’héritage du christianisme face au XXIe siècle (How Should We Then Live?). Ecrit en 1976, cet ouvrage reste d’une remarquable actualité. A paraîtra en 2000, édité par la Maison de la Bible.

]]>
Richesse et pauvreté dans la Bible https://larevuereformee.net/articlerr/n214/richesse-et-pauvrete-dans-la-bible Wed, 17 Aug 2011 16:02:50 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=470 Continuer la lecture ]]> Richesse et pauvreté dans la Bible

Pierre BERTHOUD*

I. L’alliance, une notion clef

L’alliance est un des éléments essentiels de la théologie réformée. En mettant en valeur la nature de l’alliance que Dieu avait conclue avec Adam, les théologiens réformés de la première génération ont rompu avec le motif nature-grâce propre à la scolastique médiévale.

En redécouvrant cette notion clef de la perspective biblique, ils ont renouvelé la compréhension de la vocation de l’être humain au sein de la création. L’alliance est un traité que Dieu, le suzerain, a conclu avec l’homme, le vassal. Elle établit d’entrée la non-autonomie de la créature et implique que celle-ci n’a d’autre point de référence ultime que le Créateur lui-même. Elle est responsable devant celui qui «donne à tous la vie, le souffle et toutes choses» (Ac 17:25).

A) L’alliance de vie

Plusieurs théologiens ont décelé, dans le début de la Genèse (Gn 1-3), des éléments constitutifs de l’alliance de vie. Celle-ci fut conclue avec Adam, la tête de la race humaine, le représentant de l’humanité (Rm 5:12-21). Elle a donc une dimension universelle. Si le premier couple fut créé afin de jouir de la vie et de la communication avec Dieu, il lui fallait cependant choisir à chaque instant de dépendre de la justice et de l’amour divins. Cette persévérance dans l’obéissance active au Seigneur lui garantissait l’accès à un bonheur terrestre sans cesse renouvelé et débouchant, comme semble le suggérer Paul, sur la vie éternelle (1 Co 15).

i) L’homme à l’image de Dieu

L’idée centrale selon laquelle l’homme est créé à l’image de Dieu (Gn 1:26-27; Ps 8:5-9) retiendra plus particulièrement notre attention. Cette notion a une double dimension: elle évoque la nature ou l’essence de la créature, et la position ou le mandat de celle-ci au sein de la création. Sans entrer dans les détails de l’exégèse, nous pouvons dire que l’homme, tout comme Dieu, est un être personnel qui pense, aime et agit. Comme le dit un théologien contemporain: «L’image est un don et de nature immuable, une réalité ontologique propre à l’être humain.» Cela signifie que l’homme est appelé à vivre une relation consciente avec son ultime vis-à-vis qui transcende son corps sans pour autant le dévaluer. D’autre part, cet être unique a reçu du Seigneur un mandat particulier au sein de la création. Genèse 1 met l’accent sur la domination que l’homme a pour vocation d’exercer sur l’ensemble de la réalité. Tandis que Genèse 2 souligne que la gestion de la création et la mise en valeur de ses ressources doivent se faire dans le respect de Dieu, dans un esprit de service et avec bienveillance comme pour prévenir les excès et les abus liés au péché à venir. Notons, enfin, que cette manière de présenter la vocation humaine suppose une conception positive et valorisante du travail, par contraste avec la mentalité proche-orientale qui suggère que l’homme a été créé afin de soulager les dieux du travail pénible, astreignant et harassant qui leur incombait1. En fait, les croissances numérique et économique sont toutes deux implicitement contenues dans l’injonction de la Genèse: «Dieu les bénit et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la  » (Gn 1:28) Cette manière de concevoir la vocation humaine laisse aussi entrevoir que la propriété et la possession de biens matériels sont légitimes, mais qu’elles restent subordonnées à Dieu à qui, en fin de compte, tout appartient.

L’homme créé à l’image de Dieu a donc pour tâche de gérer avec bienveillance la création que le Créateur lui a confiée. L’accomplissement fidèle de son travail-service est un moyen d’honorer Dieu, mais il n’est que gérant. Cela signifie qu’il a des comptes à rendre pour la manière dont il met en oeuvre le mandat culturel, il exploite et met en valeur les ressources de la terre et administre ses biens. Il se doit de faire valoir la seigneurie de Dieu dans tous les domaines de son existence tout en assumant pleinement la responsabilité qui lui revient.

Cependant, la Genèse nous rappelle aussi que, depuis la faute en Eden, le travail des humains est pénible et ce à cause de la malédiction. Cette malédiction, qui se manifeste dans la sphère de vie et d’activité de la femme comme dans celle de l’homme, est la conséquence du péché2. L’auteur de la Genèse est, en effet, parfaitement conscient des retombées cosmiques de la rébellion du premier couple. Les conséquences se manifestent aussi bien sur le plan vertical qu’horizontal. La rupture de la faute affecte tous les aspects de la vie humaine. C’est l’aliénation (le fait d’être étranger) de l’homme avec Dieu, de l’homme avec lui-même, de l’homme avec son prochain et de l’homme avec la création tout entière animale, végétale et géophysique. L’homme vit désormais à l’ombre de la mort. La mort physique symbolise désormais la mort spirituelle, c’est-à-dire la rupture d’alliance avec Dieu et donc de communion avec lui. On comprend dès lors pourquoi la vie des êtres humains, dans un monde où la puissance du péché a libre cours, est marquée par la peine et la douleur. Mais dans un monde devenu anormal à cause de la faute en Eden, cette peine qui surgit au coeur de l’existence humaine peut être perçue comme un «bien» et donc porteuse d’espérance. Elle invite au dénuement, condition essentielle à la réception de la grâce divine. Désormais, «c’est la bénédiction du Seigneur qui enrichit sans que l’effort n’y ajoute rien» (Pr 10:22; cf. aussi Pr 5:10; 14:23; 15:1 et Ps 127:2).

ii) Le mandat culturel et l’homme dans un monde anormal

Lorsque nous examinons les chapitres suivants de la Genèse (Gn 4:1 à 6:8) qui traitent du développement de la race humaine (plutôt que de l’histoire de la rédemption), nous voyons comment le mandat culturel fut mis en pratique. Abel et Caïn s’occupent d’agriculture; le premier est berger, le second cultive la terre (Gn 4:1); il est également dit de Caïn qu’il a construit une installation permanente3; Jabal est le père d’éleveurs semi-nomades (Gn 4:20); Jubal, son frère, est le père des musiciens et par conséquent de la culture dans son ensemble (Gn 4:21); Tubal-Caïn, le demi-frère de Jabal et de Jubal, est le père de la technologie et de l’industrie (Gn 4:22). Les voisins d’Israël attribuent l’organisation de la civilisation aux dieux4, mais la Genèse nous enseigne ici que la civilisation et la culture sont forgées par des êtres humains ordinaires et mortels. La dignité et la valeur de l’homme, capable d’imagination créatrice, sont une nouvelle fois soulignées. Le fait que le développement de ces activités soit situé dans la lignée de Caïn n’est pas sans importance, mais on ne peut en déduire pour autant une condamnation pure et simple de l’action civilisatrice de l’homme5. Il est vrai que la rébellion d’Adam et Eve a introduit une ambiguïté au coeur des entreprises humaines. Quelle est la signification de l’action civilisatrice et de la culture pour la créature qui est devenue sa propre finalité? Ne risquent-elle pas de servir ses propres intérêts et de promouvoir son désir d’autonomie? Le coeur du dilemme n’est pas lié à l’ingéniosité créatrice de l’homme, ni au travail, ni à l’industrie, mais à la folie de son arrogance6.

B) L’alliance noahique

Dans un monde marqué par la présence du mal depuis la faute en Eden, comment l’homme va-t-il mettre en oeuvre le mandat culturel?C’est l’alliance conclue avec Noé (Gn 9) qui apporte la réponse. Au sein d’un monde où le mal est une réalité dynamique, la perspective est quelque peu différente:

– La domination sur les créatures inférieures éveille «crainte et terreur» (Gn 9:2).

– En plus des végétaux, l’homme peut se nourrir de «tout ce qui rampe et vit» (Gn 9:3).

Soulignons trois aspects de cette alliance:

– Elle est conclue avec Noé et ses fils en tant qu’ancêtres de l’humanité entière. Genèse 9:1: «toutes les races sont parentes» (Gn 10:1); elle a donc une portée universelle (Gn 9:9-11, 13).

– Le «code» noahique (Gn 9:1-7) ne contient que des articles de morale pratique. Il affirme la valeur de la personne humaine (v. 5) et rattache le droit criminel à des considérations théologiques (v. 6). Les institutions humaines, en particulier judiciaires, ont pour tâche de limiter la progression du mal et par conséquent d’encourager le bien. Une vieille tradition juive parle des sept commandements de Noé. Ils défendent l’idolâtrie, le mépris du nom de Dieu, l’effusion de sang, l’adultère, le vol, de manger le sang avec la chair des animaux et prévoit l’institution de l’autorité civile (B. Sanh. 105 a).

– Elle tend à l’apaisement des forces de la nature; l’arc-en-ciel garantit la stabilité cosmique (Gn 9:8-19).

L’homme avait pensé pouvoir s’émanciper de son ultime vis-à-vis et voilà que le motif Créateur-créature est toujours d’actualité. Il doit toujours répondre de ses actes devant Dieu (cf. aussi Ac 17:31). Si le mal et la misère sont désormais au coeur de son existence, il ne perd pas pour autant son identité propre. Certes, il vit à l’ombre de la mort, mais il porte toujours en lui l’image de Dieu. Le terrien est devenu un être fragile, menacé par son environnement et son semblable. Dans sa bienveillance, Dieu cherche à la protéger! Le monde est devenu un lieu dangereux. L’homme n’est-il pas un loup pour l’homme? En d’autres termes, l’alliance en création est renouvelée dans un monde où le mal, la haine et la violence ont libre cours. Si Dieu s’adapte, il ne se résigne pas pour autant. Il s’engage résolument en faveur de sa création et pose les jalons qui lui permettront de mettre en oeuvre son projet de salut en faveur de l’humanité égarée (Gn 8:21b; Rm 3:25).

C) La promesse faite à Abraham et l’alliance mosaïque

Le thème du Pentateuque s’articule autour des trois promesses faites à Abraham. Elles ont une portée universelle et un caractère rédemptionnel. Les voici:

– susciter une postérité à Abraham qui deviendra le peuple de l’alliance;

– octroyer Canaan à Israël-Juda: l’héritage éternel;

– être source de bénédiction auprès de toutes les nations du monde (Gn 12:1-3; 15; 17:7-8).

La bénédiction de Dieu qui résonne lors de la création (Gn 1:28) sera réalisée par l’intermédiaire d’Abraham, sa descendance et, en particulier, par sa semence messianique. L’alliance mosaïque constitue un des moments de cette histoire de la révélation. Lors de ce traité que Dieu initie avec son peuple, celui-ci devient une nation (un peuple organisé politiquement) ayant sa propre constitution enracinée dans la volonté divine. Il faut noter que cette alliance s’enracine dans l’histoire, car Dieu a délivré son peuple de l’esclavage en Egypte. C’est en réponse à la fidélité de Dieu que le peuple est appelé à être fidèle. En effet, Israël est parmi les nations comme «le trésor» (1 Ch 29:3) du Seigneur, un «royaume de prêtres», une «nation sainte» (Ex 19:5-6) et ce afin de rendre gloire à Dieu et de faire connaître ses oracles à la surface de la terre, aussi bien par sa parole que par ses actes.

i) Les dix paroles

Aussi peut-on dire que les «dix paroles» constituent le condensé, le résumé de l’alliance et révèlent, non seulement, la bienveillance du Seigneur, mais aussi ses exigences dans les trois sphères suivantes:

– celle de la relation de l’homme avec Dieu (Ex 20:2-7);

– celle de l’attitude de l’homme dans le culte (Ex 20:8-11);

– celle du comportement de l’homme dans la cité, la société civile (Ex 20:12-17).

Le Dieu de l’alliance étant la norme dernière, Israël a pour vocation de manifester un style de vie qui soit le reflet du caractère divin. La loi, expression de la volonté de Dieu, permet, par conséquent, à cet être unique de structurer aussi ses relations avec ses semblables. Cette manière de baliser la vie de la communauté est propre à Israël. Elle a une portée considérable dans les trois domaines suivants:

a) La vie humaine est sacrée. Non pas en elle-même mais en tant que don de Dieu. Celui qui porte atteinte à la vie humaine doit répondre de son crime (Ex 24:12). Aucune réparation ne peut être faite par le moyen d’une compensation monétaire ou d’un arrangement foncier. En effet, les valeurs religieuses et métaphysiques précèdent les considérations économiques. Le corollaire est également de mise: la peine de mort n’est pas autorisée en cas d’infractions contre la propriété ou le bien d’autrui.

b) Tous les hommes sont égaux devant Dieu. En principe, il n’existe pas de justice de classe en Israël7. La célèbre loi du talion, si souvent confondue avec l’esprit de vengeance, énonce en réalité le principe d’équité: la peine infligée se limite à la personne responsable de la faute et doit correspondre au crime commis. Les inégalités dans l’exercice de la justice sont donc absentes en Israël8, de même que les mutilations9.

c) Il est impératif de protéger et de défendre les intérêts des membres plus faibles et fragiles de la communauté de l’alliance. Parmi ceux qui sont l’objet d’une attention toute particulière, on trouve l’aveugle et le sourd (Dt 27:18), la veuve et l’orphelin (Dt 27:17-22), l’étranger (Dt 27:17; Ex 23:6), le pauvre (Dt 15:7-11; Ex 23:12). La législation précise qu’ils doivent être protégés de l’oppression et de l’exploitation. Même leurs droits sont indiqués (Dt 14:29).

La loi de l’alliance a donc comme finalité d’introduire une dimension profondément humaine au sein des relations de la communauté d’Israël. Les commandements divins correspondent à la nature et aux aspirations fondamentales de la créature. Dans son amour, Dieu a donné la loi pour le bien de l’être humain. La respecter, c’est vivre!

ii) Une ouverture messianique

La promesse abrahamique devait trouver son ultime accomplissement lors de l’avènement de Jésus de Nazareth, le Messie divin attendu. Par son incarnation et sa mort à la croix, sa résurrection corporelle l’atteste, la réconciliation avec Dieu prenait une nouvelle dimension. Elle était désormais offerte à tous – juifs et païens –, tous ceux qui mettaient leur confiance en Jésus-Christ et en son oeuvre de salut. La nouvelle communauté de l’alliance, issue du peuple d’Israël et pourtant distincte de lui, était née. Elle avait pour mission d’annoncer l’Evangile jusqu’aux extrémités de la terre et de contribuer ainsi à l’avancement du règne de Dieu en attendant le retour du Christ et le renouvellement des cieux et de la terre. Désormais, la loi du Christ, c’est-à-dire la loi de l’amour, va déterminer la vie de cette communauté nouvelle, et ce sans contredire pour autant la loi morale de la première alliance. En effet, en prenant à son compte le sommaire de la loi – tu aimerais Dieu et ton prochain – Jésus-Christ y adhère résolument (Mc 12:28-34). Il en intensifie cependant la portée dans le Sermon sur la montagne, en mettant l’accent sur l’attitude intérieure du croyant et en appelant à un comportement en conséquence (Mt 5:21-6:18). Enfin, le Seigneur est «venu non pour abolir la loi mais pour l’accomplir» (Mt 5:17ss.).

Cette perspective, en mettant en relief la souveraineté de Dieu et le motif fondamental création-faute-rédemption, permet de mieux comprendre la manière dont la Bible aborde les notions de richesse et de pauvreté. Je me propose de mettre en relief les aspects principaux de l’enseignement biblique à partir d’une synthèse des données que le livre des Proverbes nous offre sur ce double thème. Cette approche nous conduira à évoquer d’autres textes bibliques et, en particulier, de souligner la spécificité de l’accentuation de l’Evangile et, par conséquent, des écrits du Nouveau Testament.

II. Un regard sur la richesse et la pauvreté à partir du livre des Proverbes

A) La richesse

i) Dans le cadre de la création bonne de Dieu, le travail est une activité noble. Il s’ensuit que la richesse est perçue positivement, comme une manière responsable de mettre en valeur ses dons et talents.

a) La richesse, fruit du labeur humain:

«Le travail (= le produit du travail) du juste est pour la vie.» (Pr 10:16a)

«Celui qui amasse peu à peu (= sur la main) augmente ses biens.» (Pr 13:11b)

«Celui qui cultive son sol est rassasié de pain.» (Pr 28:19a et 12:11a)10

«Les justes s’épanouiront comme le feuillage.» (Pr 11:28b)

b) Ce labeur, source de richesse, suppose l’intégrité et la droiture:

«Celui qui a de la haine pour les présents (les pots de vin) vivra.» (Pr 15:27b)

c) Deux des passages que nous avons cités mentionnent le «juste». Cette référence n’est pas innocente.

Le juste, c’est l’homme (ou la femme) qui craint Dieu, c’est-à-dire le respecte et écoute sa parole-loi. Il (ou elle) a compris qu’il y a des choses dans la vie qui sont plus importantes que les richesses:

– «L’acquisition de la sagesse (intelligence) est préférable à l’or et l’argent.» (Pr 16:16)11

– «La renommée (= le nom) est préférable à de grandes richesses,

– «La grâce (= l’estime, la faveur) vaut mieux que l’argent et l’or.» (Pr 22:1)

Le juste, c’est celui (ou celle) qui a compris le sens des priorités et quelle est sa position devant le Dieu de la création. Il sait que son attitude devant Dieu a des conséquences très concrètes quant à son bien-être sur terre:

– «La conséquence (= la récompense) de l’humilité12, de la crainte de Dieu, c’est la richesse, la gloire et la vie.» (Pr 22:4)

• Enfin,le juste, c’est l’homme (ou la femme) qui se montre libéral. Il a compris que c’est dans son propre intérêt de se montrer généreux:

– «Pour celui qui donne au pauvre, point de disette.» (Pr 28:27a)

– «Celui qui augmente ses biens par l’intérêt et l’usure (intérêts exorbitants)13 les amasse pour celui qui a pitié du pauvre.»

d) En outre, la richesse est aussi source de sécurité, mais elle (la sécurité) n’est pas sans ambiguïté:

– «La fortune du riche est une ville forte.» (Cf. aussi Pr 10:15a)

«Dans son imagination, c’est une muraille qui est hors d’atteinte.» (Pr 18:11)

Dans la deuxième partie du verset, on a nettement l’impression que la fortune est l’ultime sécurité. La parabole du riche insensé met bien en lumière la fausse sécurité que peuvent représenter les richesses accumulées (Lc 12:16-21).

e) Prolongements bibliques:

Nous trouvons dans l’Ancien Testament de nombreux exemples qui illustrent cette appréciation positive de la richesse. On peut penser aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob, à Joseph qui fit la richesse de l’Egypte lors de la famine qu’il a gérée avec tant de sagesse, ou encore à David et à Salomon à qui Dieu a donné, en plus de la sagesse, la richesse. Un exemple frappant est celui de Job. Il craignait Dieu, était juste et intègre, et était riche. Il avait l’estime et le respect de tous et il était généreux. Le chapitre 29, en particulier, évoque magistralement sa prospérité, son intégrité et sa bienveillance avant que ne s’abatte sur lui la terrible épreuve qui devait le conduire à la porte de la mort.

Dans le Nouveau Testament, je ne retiendrai que cette exhortation de Paul à Timothée: «Recommande aux riches du présent siècle de ne pas être orgueilleux et de ne pas mettre leur espérance dans des richesses incertaines, mais de la mettre en Dieu qui nous donne tout avec abondance, pour que nous en jouissions. Qu’ils fassent le bien, qu’ils soient riches en oeuvres bonnes, qu’ils aient de la libéralité, de la générosité et qu’ils s’amassent ainsi un beau et solide trésor pour l’avenir, afin de saisir la vraie vie.» (1 Tm 6:17-19)

ii) Cependant, dans un monde où la puissance du péché est à l’oeuvre, dans lequel nous vivons à l’ombre de la mort, les richesses sont aussi perçues négativement, comme l’occasion de s’émanciper de Dieu et comme tributaire de l’injustice et de la violence.

a) Il est facile d’idolâtrer l’argent.

– «Celui qui se confie dans ses richesses tombera.» (Pr 11:28a)

– «L’homme riche est sage à ses propres yeux.» (Pr 28:11a)

Le riche prétend même pouvoir acheter la sagesse avec l’argent:

– «A quoi sert une somme d’argent dans la main de l’insensé? Pour acheter la sagesse? C’est vraiment un insensé (il n’a point de coeur = d’intelligence)! (Pr 17:16)

Le riche joue avec les apparences (comme le pauvre d’ailleurs) et recherche l’adulation:

– «Tel fait le riche et n’a rien,

tel fait le pauvre et a de grands biens.» (Pr 13:7)

«Ceux qui aiment le riche sont nombreux.» (Pr 14:20)

b) De nombreux proverbes évoquent l’enrichissement facile et malhonnête. Il est éphémère, à l’origine de divisions et source de ruine et de mort:

– «Le revenu du méchant est pour le péché.» (Pr 10:16b; 16:18b)

– «Celui qui se hâte de s’enrichir ne sera pas tenu pour innocent.» (Pr 28:20b)

– «Des trésors acquis par une langue fausse sont une vanité fugitive de gens qui recherchent la mort.» (Pr 21:6; 13:11a; 23:4 et 5)

– «Celui qui est avide de gain illicite (pots de vin, présents) trouble sa maison.» (15:27a)

c) Le riche fait preuve de désinvolture irresponsable. Il risque la privation:

– «Celui qui est rassasié foule aux pieds le rayon de miel.» (Pr 27:7a)

– «Celui qui aime la joie (les plaisirs faciles) connaîtra la privation.»

– «Celui qui aime le vin et l’huile (= une vie luxueuse) ne s’enrichit pas.» (Pr 21:17)

d) Le riche expose sa vie sans toujours s’en rendre compte:

– «La rançon de la vie d’un homme, c’est la richesse.» (13:8a)

e) Le riche n’est pas bienveillant et généreux:

– «Le riche répond avec dureté (à la supplication du pauvre).» (Pr 18:23)

– «Pour celui (le riche) qui se bouche les yeux beaucoup de malédictions.» (Pr 28:27b)

f) Enfin, le riche opprime le pauvre et s’enrichit sur son dos:

– «Le riche domine (mashal) sur les pauvres,

Et celui qui emprunte est l’esclave de celui qui prête.» (Pr 22:7)

– «Celui qui opprime (‘ashaq) le pauvre s’enrichit,

Celui qui donne14 au riche s’appauvrit assurément.» (Pr 22:16)

Celui qui se livre à une exploitation éhontée du pauvre s’expose au jugement de Dieu.

– «Ne dépouille pas l’indigent (dal) parce qu’il est indigent

Et n’opprime pas le malheureux (‘ani) à la porte;

Car le Seigneur défendra leur cause

et privera de la vie (l’âme) ceux qui les auront privés.» (Pr 22:22-23)

g) Prolongements bibliques:

• Cette appréciation négative de la richesse est amplement illustrée dans l’Ancien Testament:

– Il suffit de penser à Achab et Jézabel en Israël15, en particulier le récit relatif à la vigne de Naboth. La saisie des biens ou l’expropriation étaient formellement interdites par la loi (Lv 25:23)16. Mais le couple royal, au mépris du droit et de la justice, décident de s’emparer quand même de la terre de Naboth qu’ils convoitent. Ils lui intentent un faux procès en l’accusant de blasphème et d’outrage au roi.

– A l’époque d’Amos (VIIIe siècle), la société civile connaît une fracture profonde entre les nantis et les défavorisés. Les royautés de Jéroboam II et d’Osias représentent une période de paix et de prospérité qui permet la naissance d’une classe opulente constituée de nobles, d’officiers et de négociants (2 Ch 26:10). Ils bâtissent de somptueuses maisons, investissent dans l’ameublement le plus cher. Ils se livrent au faste et à la pompe, organisent de grands banquets où le vin coule au rythme des chants et mélodies (Am 3:12). Seulement, cette opulence allie injustice et impiété. Elle se nourrit de la corruption des tribunaux, de l’exploitation éhontée des plus faibles et du mépris du débiteur (Am 2: 6-8).

– La richesse, fruit de l’injustice et de la violence, a souvent retenu l’attention des fidèles et provoqué des crises profondes. Dans le Psaume 49, le sage exprime sa frustration, son amertume et son indignation. Il finit cependant par comprendre que, dans un monde où Dieu a le dernier mot, il vaut la peine de lutter contre le péché et l’injustice et son cortège de misères et de malheur. A y regarder de plus près, en mourant le riche n’emporte rien avec lui. C’est au contraire le sage, celui qui attend tout de Dieu qui a un avenir.

Quant au Nouveau Testament, à nouveau je ne retiendrai qu’un passage. Il s’agit d’un nouvel extrait de l’épître de Paul à Timothée:

– «Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège et dans une foule de désirs insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. Car l’amour de l’argent est la cause de toutes sortes de maux, et quelques-uns, pour s’y être adonnés, se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes bien des tourments.» (1 Tm 6:9-10)

B) La pauvreté

i) Le dernier passage que nous avons cité laisse entrevoir que Dieu a égard au pauvre, qui a une valeur à ses yeux. La pauvreté aurait-elle quelque mérite? Dans la mesure où la richesse ne fait pas le bonheur, qu’il faut autre chose pour être heureux sur terre, on peut répondre affirmativement à cette question. D’ailleurs, certains textes le suggèrent.

a) Un pauvre intègre vaut mieux qu’un riche sans vergogne:

– «Mieux vaut peu avec justice

que d’abondants revenus sans droiture (droit).» (Pr 16:8)

– «Mieux vaut un pauvre qu’un menteur.» (Pr 19:22b)

b) La première partie du verset souligne bien l’importance d’une vie de qualité:

– «Ce qui suscite l’envie (chez un homme), c’est sa bienveillante loyauté.» (19:22a)

c) Dans certains cas, le pauvre est même avantagé. Il n’est pas menacé de rapt, il sait apprécier le peu qu’il a et vit dans la tranquillité:

– «Le pauvre n’entend pas cette menace (on ne lui demande pas de rançon pour sa vie).» (Pr 13:8b)

– «Celui qui est affamé (l’âme affamée) trouve doux tout ce qui est amer.» (Pr 27:7b)

– «Mieux vaut un morceau de pain sec avec la tranquillité17 (la paix) qu’une maison pleine de viandes avec la discorde.» (Pr 17:1)

d) Enfin, comme nous l’avons dit, le Seigneur est la source de son bien-être:

– «Le Seigneur consolide la propriété (la limite, la borne) de la veuve.» (Pr 15:25b)

ii) Notre analyse serait incomplète si nous devions nous arrêter avec ce regard favorable de l’état du pauvre. Certes, il peut être l’objet de bienveillance (Pr 28:27a) et au bénéfice du droit (Pr 29:14), mais sa condition fragile et vulnérable l’expose à toutes les intempéries de la vie. Sa situation est loin d’être enviable.

a) Il est lui aussi victime des apparences:

– «Tel fait le riche et n’a rien.» (Pr 13:7)

b) Le pauvre mesure tout le tragique de son état précaire:

– «La ruine des indigents, c’est leur pauvreté.» (Pr 10:15b)

– «Le pauvre est haï même par son proche.» (Pr 14:20a)

c) Il n’est pas à l’abri d’un comportement qui reflète l’irresponsabilité et l’injustice. Lui aussi est pécheur. Il est souvent réduit à quémander au détriment même de sa dignité :

– «Celui qui poursuit des futilités est rassasié de pauvreté.» (Pr 28:19b; 12:11)

– «Un homme pauvre (resh) qui opprime les indigents (dal) est une pluie torrentielle (un désastre). Après son passage, il n’y a plus de pain.» (Pr 28:3)

– «Le pauvre parle en suppliant.» (Pr 18:23a)

d) Enfin, il est l’objet de violences inimaginables qui le réduisent à néant:

«Il y a des gens (= une génération) dont les dents sont des épées et les mâchoires des couteaux pour dévorer (et faire disparaître) de la terre les malheureux et de l’humanité les pauvres (‘aniim et abionim).» (Pr 30:14)

e) Sa condition humaine est si pitoyable qu’il est tenté de trouver des consolations éphémères mais qui lui permettent d’oublier un instant son malheur:

– «Donnez des boissons fortes à celui qui périt,

Et du vin à celui qui a de l’amertume dans l’âme;

Qu’il boive et oublie sa pauvreté,

Et qu’il ne se souvienne plus de sa peine.» (Pr 31:6-7)

Le réalisme des Proverbes est éloquent!

iii) Prolongements bibliques:

Dans les Psaumes, le pauvre, conscient de son extrême fragilité et de son dénuement, attend tout de Dieu. Dans le Psaume 10, le poète décrit la décadence de son époque. Ses contemporains n’ont ni foi ni loi. Ils défient Dieu, le Seigneur de l’alliance, et se moquent impunément de ses lois. Les pauvres en sont les victimes assurées (vv. 1-11). Cependant, le psalmiste ne cesse d’invoquer Dieu et de le supplier d’agir. Il est pleinement convaincu que le Seigneur lui-même brisera l’oppression et qu’il défendra la cause de ceux qui attendent tout de lui.

Le réquisitoire qu’Amos prononce contre ses contemporains nous éclaire sur la violence de l’exploitation à son époque:

«Ecoutez ceci, vous qui engloutissez le pauvre et qui supprimez les malheureux du pays! Vous dites: Quand la nouvelle lune sera-t-elle passée, afin que nous vendions nos denrées? Quand finira le sabbat, afin que nous ouvrions les greniers? Nous diminuerons la mesure, nous augmenterons le prix, nous falsifierons les balances pour tromper; nous achèterons les indigents pour de l’argent, le pauvre pour une paire de sandales, et nous vendrons le déchet du blé. Le Seigneur l’a juré par l’orgueil de Jacob: Je n’oublierai jamais aucune de leurs actions.» (Am 8:4-7)

Dans le Nouveau Testament, Jacques, dans son épître, s’en prend, lui aussi, aux riches et à leurs complices qui, tout en pratiquant la discrimination, affichent le mépris le plus total pour les pauvres (2:1-13). Mais il ne s’arrête pas là. Avec des accents qui rappellent les discours d’Amos, il s’en prend aux riches qui ont amassé des trésors au détriment de leurs ouvriers en les frustrant de leurs salaires (5:1-6).

Conclusion

Pour terminer cet exposé, je voudrais évoquer encore deux passages.

Le premier décrit la condition commune du riche et du pauvre: elle est connue de Dieu lui-même:

– «Le riche et le pauvre ont quelque chose en commun:

C’est le Seigneur qui les a fait tous les deux.» (Pr 22:2)

Ou, selon une variante de la deuxième partie du verset, «qui éclaire les yeux de tous les deux» (Pr 29:13b).

Le deuxième passage est une prière qui demande à être protégé des tentations que richesse et pauvreté peuvent occasionner:

– «Ne me donne ni pauvreté ni richesse,

Accorde-moi le pain qui m’est nécessaire,

De peur qu’étant rassasié, je ne te renie et ne dise: Qui est le Seigneur?

Ou qu’étant dans la pauvreté, je ne commette un vol et ne porte atteinte au nom de mon Dieu.» (Pr 30:8-9)

Ce passage a dû capter l’attention du Seigneur Jésus lorsqu’il a composé le Notre Père. Deux des requêtes semblent faire écho à cette prière sapientiale:

«Donne-nous notre pain quotidien.»

«Ne nous laisse pas entrer dans la tentation,

mais délivre-nous du mal, ou du Malin.» (Mt 3:11 et 13)

La réponse à cette prière nous est déjà donnée dans ce que le premier Testament appelle la «crainte de Dieu ou du Seigneur». Elle est le commencement de la Sagesse (Pr 1:7)18. La Sagesse était auprès de Dieu, elle était en Dieu, elle était Dieu. Elle s’est incarnée en Jésus, le Messie. Lui seul a le pouvoir de nous délivrer du mal (du Malin) et d’opérer en nous un changement radical de mentalité et de vie. Pour cela, il nous faut renoncer à nos idoles, en particulier à toutes nos richesses qui, comme pour le jeune homme riche, peuvent nous empêcher d’entrer dans le royaume de Dieu (Lc 18:18-27). Oui, il nous faut renoncer à toutes nos richesses afin de devenir pauvres. Le dénuement nous donne accès à ce trésor inestimable qui nous est réservé dans les cieux (Mt 6:19-20 et Lc 18:22). Aussi n’est-il pas étonnant que Jésus commence les Béatitudes en proclamant: «Heureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous!» (Lc 6:20) Matthieu ajoute une précision «les pauvres en esprit» (5:3), comme pour mieux souligner que le vrai pauvre est celui qui attend tout de Dieu. Lui seul peut entrer dans le royaume et connaître un jour toute sa plénitude et richesse.

Mais notre pauvreté est bien peu de choses lorsque nous la comparons à celle de Jésus-Christ. Comme le dit avec tant de justesse l’apôtre Paul, «Il s’est dépouillé lui-même… en devenant semblable aux hommes» et «Il s’est humilié en devenant obéissant jusqu’à la mort» (Ph 2:5-11). Luc, dans l’histoire qu’il raconte de l’homme riche et du pauvre Lazare, nous le suggère déjà. En effet, il est difficile de ne pas voir en Lazare une figure du Christ Jésus (Lc 16:19-31). Or, c’est dans la pauvreté du Messie de Nazareth que réside notre richesse. Sa pauvreté extrême nous permet de porter un nouveau regard sur le monde et sur notre destinée. Il est désormais possible de vivre pleinement notre vocation terrestre en présence du Seigneur et de vivre chaque jour, quelles que soient les circonstances de la vie, des richesses que Dieu nous accorde en son Fils Jésus-Christ. Voilà pourquoi nous avons sans cesse besoin de tout recevoir de Dieu afin de toujours mieux partager avec notre prochain les richesses qui nous ont été confiées.


*P. Berthoud est professeur d’Ancien Testament et d’apologétique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 Atrahasis, Tablette I. Les religions du Proche-Orient asiatique (Paris: Fayard/Denoël, 1970), 26. Dans la Genèse, le travail n’est pas non plus présenté comme dégradant pour Dieu. L’activité créatrice de Dieu est une oeuvre qui lui fournit une satisfaction et une joie profondes. L’importance du sabbat en est une indication Gn 2:2-3 (cf. aussi Pr 8).

2 D’Eve, il est dit: «Je vais multiplier tes souffrances et tes grossesses. C’est dans la souffrance que tu enfanteras des fils. Ton élan sera vers ton mari, et lui, il te dominera.» (Gn 3:16, Bible de la Pléiade) Si la peine de la femme surgit au sein de son activité essentielle, en tant qu’épouse et mère, elle touche néanmoins l’ensemble de son existence. D’Adam, il est dit: «Le sol sera maudit à cause de toi; c’est avec peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie…» (Gn 3:17b)

3 La NIV (New International Version) traduit «ville». En Jos 13:23, ce mot est employé en conjonction avec un autre mot signifiant une «installation permanente» sans mur, ferme ou village. Il est, par conséquent préférable de parler d’ «installation permanente».

4 A Ugarit, l’habileté et le sens artistique du forgeron étaient attribués à la divinité Ktrwhss.

5 Comme semble, par exemple, le soutenir J.L. McKenzie dans «Reflexions on Wisdom», Journal of Biblical Literature 86 (1967), 1-9.

6 En Genèse 2 et 3, «l’arbre de la connaissance du bien et du mal» représente la connaissance autonome de l’homme qui rejette la souveraineté de Dieu. En choisissant l’autonomie, l’homme recherche sa propre finalité. il cherche à établir la connaissance, les valeurs et le bonheur selon une perspective purement horizontale. C’est le commencement de l’idolâtrie: la créature devient le point de référence. En fait, l’homme se situe devant deux attitudes (différentes) par rapport à la vie, deux conceptions (différentes) du monde et de la vie, deux (différentes) formes de connaissance (non pas entre la foi et la connaissance), une dont le fondement est Dieu, et l’autre l’homme. La première apporte la sagesse, l’intégrité et la vie, la seconde apporte la folie, la ruine et la mort. Tel est le choix fondamental devant lequel tout homme doit se situer.

7 La justice de classe est clairement énoncée dans le Code de Hammurabi (Mésopotamie).

8 Il y a une exception à la loi du talion, le jugement de l’esclave. Mais la législation ayant rapport à cette question cherche à protéger l’esclave et à préserver sa dignité. Son état est temporaire, il ne doit pas être l’objet d’un traitement arbitraire et abusif. Bien au contraire, il faut agir à son égard avec humanité (Dt 23:15).

9 Il y a une seule exception, Dt 25:11-12.

10 Dans ces deux versets par contraste «celui qui poursuit des futilités est dépourvu de sens» et «rassasié de pauvreté». Etre dépourvu de sens conduit assurément à être rassasié de pauvreté.

11 Il s’ensuit que l’argent ne peut acheter la sagesse (17:16).

12 Le mot «humilité» (cenawah) appartient à la même racine que l’un des mots pour désigner le pauvre (cani, pauvre, opprimé).

13 Ex 22:25; Lv 25:35-37; Dt 23:19-20; Ez 22:12. Enseignement sur l’usure. Cf. Pr 25:21-22 pour la générosité même envers l’ennemi.

14 Parce qu’il ne peut pas faire autrement.

15 1 R 16:29 à 22:40.

16 Pour Naboth, la terre appartenait au Seigneur qui avait alloué à chaque famille en héritage perpétuel une parcelle de la terre promise. Celle-ci ne devait en aucun cas quitter la famille qui l’avait reçue.

17 La traduction grecque des LXX lit «la paix».

18 La crainte de Dieu, c’est reconnaître que Dieu est l’ultime réalité – être infini et personnel –, l’absolu, la norme dans l’univers. Il n’a pas gardé le silence, mais a communiqué sa parole de vérité et de vie aux hommes. La crainte de Dieu, c’est aussi le respecter, écouter sa parole et obéir à sa volonté. Enfin, la crainte de Dieu, c’est aimer le Seigneur et vivre une relation d’alliance qui féconde tous les aspects de la pensée et de l’existence. L’expression équivalente dans le Nouveau Testament, c’est «la piété».

]]>