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De Calvin à Althusius — L’importance du modèle ecclésiologique réformé pour la pensée fédérale

De Calvin à Althusius
L’importance du modèle ecclésiologique réformé pour la pensée fédérale
1 [1]


Eric Kayayan
Pasteur, chercheur attaché à la Faculté de théologie et de religion, département de théologie historique et constructive, University of the Free State, Afrique du Sud


Résumé

Dans cet article, la relation entre la conception fédérale du gouvernement civil présentée par Johannes Althusius dans sa Politica methodice digesta et la conception du rôle et de la fonction des autorités civiles défendue par Jean Calvin est examinée à la lumière de trois sermons sur le chapitre 17 du Deutéronome prêchés par ce dernier en 1555. Est d’abord examiné le genre de connexion politico-théologique nié ou ignoré dans la France sécularisée d’aujourd’hui, avec une référence historique particulière au régime de la Terreur en 1793-1794. La question de l’influence que l’ecclésiologie de Calvin ainsi que les développements ecclésiologiques calvinistes ultérieurs aux Pays-Bas ont pu exercer sur la théorie althusienne du gouvernement et de la vie politique est ensuite soulevée à la lumière du fait qu’Althusius non seulement détenait un diplôme en droit civil, mais aussi en droit ecclésiastique (tous deux obtenus à Bâle la même année, sous une forte influence luthéro-calviniste). Si les éléments d’une relation apparaissent bel et bien, ils restent à établir avec plus de précision. De plus, dans leurs conceptions, Calvin et Althusius envisagent tous deux clairement une vision unifiée de la société sous la norme de la loi de Dieu. Avec Althusius, cette norme – résumée dans le Décalogue – se réfracte dans les diverses sphères constitutives de l’activité humaine associées les unes aux autres d’une manière fédérative, chacune gardant son propre mode de fonctionnement.

Une pensée politique informée théologiquement

Il peut paraître étrange aux yeux de nombre d’observateurs contemporains de l’histoire politique, voire d’acteurs de la vie politique, qu’on ait pu formuler il y a encore quatre ou cinq siècles des idées ou des théories politiques qui se réclament de notions chrétiennes, d’une vision du monde informée théologiquement, et non calquée sur le type de contrat social entre l’individu et l’Etat auquel une collectivité d’individus consent à se soumettre, sur le modèle des contrats hérités de Hobbes ou de Rousseau2 [2]. J’entends « étrange » au sens d’étranger, de déconnecté de la vision du monde qui est devenue dominante au sein de nos pays occidentaux largement sécularisés, du moins jusqu’à ce que nous soyons rattrapés par la réalité d’une connexion théologico-politique venant d’ailleurs, et que nous avons bien du mal à comprendre et à gérer alors qu’elle cherche progressivement à affirmer sa marque sur nos pays et nos sociétés.

Il semblera plus étrange encore à ces observateurs que l’on puisse discuter de la pertinence de telles idées ou théories aujourd’hui même, pertinence qui bien entendu n’est telle que dans la mesure où l’on sait retracer et évaluer le contexte qui les a vues naître et se développer. Cette étrangeté est d’autant plus grande que la doxa du jour prétend urbi et orbi que le seul véritable apport de Jésus de Nazareth en matière de politique est d’avoir été l’ancêtre lointain – en tout cas l’inspirateur bien inspiré – de la loi de 1905… En raison de quoi les héritiers des « Lumières » lui concéderont sans doute d’avoir un peu été la lumière du monde, si ce n’est sur d’autres sujets, du moins sur celui-ci. « Rendez à César ce qui appartient à César » (Mt 22.21) est sans doute la parole du Christ la plus citée pour étayer cette affirmation, car elle semble neutraliser toute mise en relation entre la dimension horizontale de l’existence – sociale et politique en particulier – et sa dimension verticale – celle qui recherche dans la Transcendance d’une Parole révélée des normes de justice, d’ordre et d’équité ainsi que leur application adaptée aux circonstances dans le droit positif. Or avec cette neutralisation, veut-on volontiers croire, la messe est dite, en tout cas là où la sécularisation l’a emporté.

Cependant, cette parole du Christ n’était pas inconnue des générations passées, en tout cas de celles qui nous occupent ici. Elles n’ont pas été moins confrontées à son exigence de délimitation des sphères temporelle et spirituelle, d’autant qu’elles lui accordaient justement une portée normative. A ceci près qu’elles n’omettaient pas ou n’occultaient pas volontairement la seconde partie de la phrase du Christ : « et à Dieu ce qui appartient à Dieu », acceptant naturellement que César lui-même n’est nullement exempté de rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu, sauf à se prendre lui-même pour Dieu (ou pour Jupiter…). Ces générations reconnaissaient le fait que sur la base de cette injonction du Christ, César est bel et bien mis lui aussi dans l’obligation de rendre à Dieu ce qui lui appartient, à savoir l’exercice et le maintien de la justice, de l’ordre et de l’équité en son nom, dans le cadre d’un droit positif qui trouve sa source dans une Parole transcendante. Ce qui en revanche ajoute considérablement à l’étrangeté évoquée, est sans nul doute le fait que pour ces générations une telle obligation ne devait pas être assimilée à une confusion entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel, donc à une mainmise des ministres de l’Eglise sur les affaires de l’Etat, et vice versa3 [3]. Est-il possible de démêler ce qui semble être un écheveau incompréhensible aux yeux de la majorité de nos contemporains ?4 [4]

Tâchons de franchir quelques années-lumière idéologiques afin de mieux cerner le mouvement d’une pensée informée bibliquement et théologiquement sur ces questions, pensée certes aux antipodes du cadre de réflexion politique dominant aujourd’hui, mais qui a bel et bien existé à un moment de l’histoire de notre civilisation, et dont on peut encore trouver quelques traces ici et là. Si les figures de Calvin et d’Althusius nous intéressent particulièrement, c’est en grande partie en raison du fait qu’ils étaient tous les deux juristes autant que théologiens, s’attachant à distinguer et délimiter les sphères de souveraineté, ainsi que leurs relations et articulations au sein d’un même monde, et que le second (Althusius) se situe décidément dans la lignée du premier (Calvin).

Calvin sur Deutéronome 17 : le triple nœud allianciel

Trois sermons de Calvin sur le chapitre 17 du livre du Deutéronome (versets 14-20), prononcés au temple Saint-Pierre de Genève durant la semaine du lundi 18 au vendredi 22 novembre 1555, permettent d’aborder de plain-pied le mouvement de cette pensée5 [5]. Nous en citerons, en les commentant, plusieurs extraits, ordonnés selon quelques thèmes qui nous intéressent particulièrement dans le cadre de cet article. Le texte biblique concerne l’établissement futur de la royauté en Israël et des prescriptions en vue de la limitation du pouvoir monarchique. Après la défense faite au futur roi de verser dans des dépenses somptuaires, de multiplier le nombre de ses épouses et d’accroître de manière démesurée sa puissance financière et militaire, ce passage énonce, toujours à propos du roi d’Israël (versets 18-20) :

Quand il s’assiéra sur son trône royal, il écrira pour lui, dans un livre, un double de cette loi, qu’il prendra auprès des sacrificateurs Lévites. Il devra l’avoir avec lui et y lire tous les jours de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre l’Eternel son Dieu, à observer toutes les paroles de cette loi et toutes ces prescriptions pour les mettre en pratique ; afin que son cœur ne s’élève pas au-dessus de ses frères, et qu’il ne s’écarte pas de ces commandements ni à droite ni à gauche ; afin qu’il prolonge ses jours dans son royaume, lui et ses fils, au milieu d’Israël.

Le contraste avec le fonctionnement des royaumes ou empires voisins d’Israël est patent. La nation choisie pour être la lumen gentium ne saurait verser dans l’idolâtrie d’un pouvoir s’attribuant une essence divine, idolâtrie incarnée très spécifiquement par le double rôle de prêtre et de roi dont étaient fréquemment revêtus les souverains des nations voisines païennes. Dans le premier de ces trois sermons (sur les versets 8-13), Calvin insiste sur le fait qu’en Israël, avant l’institution de la monarchie, aussi bien le sacrificateur que le juge se trouvaient placés devant la norme de la Loi divine, chacun selon son office particulier. Puis il se réfère à la dispensation nouvelle, celle de la nouvelle alliance, dans laquelle Jésus-Christ remplit à la fois l’office de juge suprême et de sacrificateur ultime au sacerdoce non transmissible. Ceci l’amène à distinguer et à délimiter les devoirs et prérogatives de ces deux offices en tant qu’ils sont représentés par des ministres, soit de la justice publique (rois, princes, magistrats), soit du culte. Calvin explique dans ce premier sermon :

Voilà donc ce que nous devons noter en ce passage, quand il est dit que les sacrificateurs, et le juge qui sera alors en place, jugeront selon la Loi de Dieu. Et de fait nous avons déjà mentionné qu’il faut que nous recevions Jésus-Christ tant comme juge, que comme sacrificateur. Car Jésus-Christ a un double office : outre qu’il est prophète et souverain, et que c’est de lui que nous devons tenir toute doctrine, et toute vérité : il est aussi notre souverain roi, et notre sacrificateur. Or en tant qu’ils ont représenté sa personne, étant comme ses ombrages et figures, il a fallu qu’ils aient suivi cette Loi. Maintenant il n’y a plus de tels ombrages et figures (comme nous avons dit) d’autant que le Fils de Dieu est apparu : la sacrificature ancienne a passé, le royaume a été aboli. Contentons-nous donc d’avoir un ordre inférieur, à savoir que la police soit gardée tellement, que la Loi de Dieu domine toujours par-dessus. Et cependant que chacun regarde à ce qui lui est licite : que les rois, les princes et les magistrats sachent quand ils doivent faire des lois, que s’ils les font de leur tête, c’est pour tout mêler, et pour mettre tout en confusion. Car Dieu dit : C’est par moi que les magistrats discernent ce qui est bon et expédient. Qu’ils invoquent donc l’Esprit de Dieu, afin qu’il leur donne sagesse et discrétion de faire des lois qui soient bonnes et propres. Et que ceux qui sont au siège de justice, se remettent à Dieu, et qu’ils demandent d’être gouvernés par son Saint-Esprit. Que ceux qui ont le régime spirituel sachent qu’il ne leur est licite sinon d’annoncer la parole de Dieu, et de parler comme de sa bouche, et d’exposer fidèlement la doctrine qui est en la Loi et en l’Evangile, et qu’ils se tiennent en ces bornes-là, et qu’ils n’attentent rien de plus. Voilà en somme comment nous avons à pratiquer ce passage6 [6].

Par rapport à cette distinction des offices de législateur, de juge et de ministre de la Parole, tous placés devant l’autorité de cette Parole, chacun selon sa vocation et son office respectifs, une digression historique s’impose. Le 8 juin 1794, lors de la fête de l’Etre suprême qui faisait partie du culte institué par Maximilien de Robespierre par le décret du 18 floréal de l’an II, ce fut Robespierre lui-même, l’homme à la tête du Comité du salut public et président de la Convention, qui mena la procession et accomplit les rites de la nouvelle religion officielle, vêtu d’un habit bleu céleste et ceint d’une écharpe tricolore, les signes donc de ce double office de prêtre et de souverain qu’il s’était attribué, renouant ainsi avec les pratiques des nations antiques païennes7 [7]. Il tenait à la main un bouquet de fleurs et d’épis, symboles d’une religion naturelle ressuscitée, du moins l’espace d’un mois et demi. Si tout rappel d’une expiation par le sang innocent versé pour les péchés du peuple était naturellement exclu de cette fête de l’Etre suprême, purement déiste, il n’est pas inutile de rappeler que la loi du 10 juin 1794, votée deux jours plus tard, inaugurait l’ère de la Grande Terreur, l’étape ultime de la purification de la nation par le sang, versé non pas sur la Croix mais sous la guillotine. Un sang impur, celui des ennemis de la République – ennemis non plus extérieurs, mais intérieurs cette fois – viendrait abondamment abreuver les sillons de la France8 [8]. Cette phase d’expiation aboutirait en apothéose finale à ce que le sang du grand-prêtre Robespierre lui-même, ainsi que de ses acolytes, soit versé lors des journées de Thermidor…

Mais, pour revenir aux sermons de Calvin, voici l’explication qu’il fournit de l’ordre donné au roi d’écrire une copie du livre de la Loi et de la lire tous les jours :

Ainsi notons qu’il a fallu qu’il y eût un livre spécialement dédié au roi, et que ce livre ici fût écrit d’une manière solennelle, et que les sacrificateurs et lévites en fussent témoins, et qu’il fût donné là comme par la main de Dieu. Car c’était autant comme si Dieu eût déclaré : Or donc, j’ai donné ma Loi à tout mon peuple, et je veux que tous les ans la mémoire en soit rafraîchie. Car le livre était là apporté, et on faisait aspersion du sang du sacrifice sur le livre, et puis sur tout le peuple, afin qu’il sache que nous sommes conjoints d’un lien inséparable avec la Loi de Dieu. Mais cela était-il fait ? Il y avait un livre second qui était apporté, et on le mettait entre les mains du roi, comme si on lui avait dit : Dieu t’oblige beaucoup plus que les personnes privées, afin que tu saches quel est ton devoir : c’est que tu sois mieux enseigné que tous les autres, et que tu dois leur montrer exemple, et que tu te maintiennes en telle sorte que le peuple te tienne pour son guide. Voilà donc ce que notre Seigneur a voulu en ce passage. Et de fait, regardons un peu combien la charge des princes est difficile : quand il n’y aura qu’une ville ou un village à gouverner, encore le juge s’y trouvera-t-il bien empêché. Que sera-ce donc d’un royaume ? Mais il faut que tous magistrats et gens de justice appliquent ceci à eux, qu’ils sachent que leur charge surpasse toute leur faculté et que jamais ils n’en pourront venir à bout, à moins que Dieu leur donne son Saint-Esprit9 [9].

Ce seul passage contient à lui seul toute la théologie alliancielle, ou fédérale, si l’on veut, de Calvin, celle sur laquelle bâtira notamment Althusius10 [10]. Il y a d’abord une alliance entre Dieu et son peuple par le biais de la Loi qu’il lui donne et qui fait reconnaître au peuple un lien, un nœud ou foedus (d’où nous vient le mot fédéral) : « Nous sommes conjoints d’un lien inséparable avec la Loi de Dieu. » De plus, cette alliance est scellée par l’aspersion du sang sur le Livre de la Loi, ce qui signifie que l’obéissance à cette Loi est vitale et ne saurait être rompue sans entraîner la mort. Vient ensuite un second nœud, cette fois-ci entre Dieu et le roi, qui ne repose pas sur un autre fondement que la Loi, mais le confirme spécialement afin qu’un troisième nœud, une troisième phase de l’alliance, puisse être réalisé : celle du peuple avec son roi. Ce dernier n’est jamais que le guide éclairé du peuple, éclairé par la Loi du souverain Législateur : « C’est que tu sois mieux enseigné que tous les autres, et que tu leur dois montrer exemple, et que tu te maintiennes en telle sorte que le peuple te tienne pour son guide. » La qualité de guide du peuple est donc proportionnelle à la capacité du roi d’obéir aux préceptes divins de la Loi, et le succès de ses entreprises en dépend tout autant.

Ce que dit Calvin ici n’est au fond rien d’autre que ce qu’il écrivait avec une très grande audace au roi François Ier vingt ans plus tôt, en août 1535, dans la lettre qu’il lui adressait et qui servait de préface à son Institution de la religion chrétienne (cette lettre figurera d’ailleurs dans toutes les éditions latines ou françaises ultérieures, jusqu’à l’édition finale de 1560) :

Or c’est votre office, Sire, de ne détourner ni vos oreilles ni votre courage d’une si juste défense, principalement quand il est question de si grande chose : c’est à savoir, comment la gloire de Dieu sera maintenue sur terre ; comment sa vérité retiendra son honneur et dignité ; comment le règne de Christ demeurera en son entier. O matière digne de vos oreilles, digne de votre juridiction, digne de votre trône royal ! Car cette pensée fait un vrai Roi, s’il se reconnaît être vrai ministre de Dieu au gouvernement de son royaume ; et au contraire, celui qui ne règne point à cette fin de servir à la gloire de Dieu, n’exerce pas règne, mais brigandage. Or on s’abuse si on attend longue prospérité en un règne qui n’est point gouverné du sceptre de Dieu, c’est-à-dire sa sainte parole. Car l’édit céleste ne peut mentir, par lequel il est dénoncé, que le peuple sera dissipé quand la Prophétie défaudra11 [11].

Certes il s’agissait davantage, dans cette lettre, d’un appel lancé au roi afin qu’il défende la pure doctrine de l’Evangile contre ses ennemis ou ses détracteurs. Le jeune Calvin se faisait le défenseur d’un parti qui était déjà persécuté, surtout après l’Affaire des placards. Plus encore, il entendait exposer la doctrine évangélique de manière suivie, avec « modération et gravité judiciaire », et non tel qu’il jugeait que cette cause avait été « démenée » avant lui, « confusément » et « sans nul ordre de droit »12 [12]. Cela dit, au fil des années, Calvin en est venu à être très critique vis-à-vis du système monarchique, en raison des abus qu’il y voyait partout, même s’il ne saurait lui-même être qualifié de monarchomaque13 [13]. De fait, le régime d’Israël sous les Juges lui semble le moins mauvais de tous. Au cours du second des trois sermons sur le passage du Deutéronome que nous considérons, il s’exprime comme suit à ce propos :

Ainsi donc il nous faut conclure que Dieu, quand il a ordonné des juges, du commencement a montré que c’est une chose désirable qu’un peuple soit gouverné en public, que les lois dominent et qu’il n’y ait point héritage14 [14], et que même ceux qui sont élus soient tenus à rendre compte, et qu’ils n’aient point une licence infinie pour dire : Je veux cela, il me plaît ainsi. Donc il a déclaré cela, quand il a gouverné son peuple par la main des juges. Et voilà pourquoi aussi il reproche aux Juifs d’avoir demandé un roi pour chef, et qui régnât sur eux15 [15].

Un peu plus loin, Calvin précise bien de nouveau que l’établissement de la monarchie en Israël n’a été que pour servir d’ombre, ou de figure à l’établissement de la monarchie du Christ, sous le régime duquel le monde entier est appelé à vivre, le roi David étant le type même du Messie à venir. Mais ce rôle en quelque sorte prophétique de la lignée monarchique en Israël, dont le Messie attendu sera lui-même issu par la lignée de David, ne fait pas de la monarchie un régime idéal, puisqu’il est nécessaire de mettre nommément le peuple en garde contre les abus auxquels il peut s’attendre de la part des rois qu’il cherche à se donner :

Maintenant donc nous avons une déclaration sommaire, comme Dieu a voulu établir un royaume en son peuple : mais cela est au regard de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais quant à la police, que l’état meilleur et le plus désirable, c’était d’avoir des juges : c’est-à-dire, d’être en liberté, et que les lois cependant dominassent. Or de là nous sommes admonestés, bien que toute police terrienne mérite d’être prisée comme chose sainte et utile pour maintenir l’état humain, que quand il plaît à Dieu de nous donner un gouvernement ainsi moyen, et qu’il n’y ait point de tyrannie, et qu’il y ait des magistrats qui gouvernent en telle sorte que les lois ont leur cours, que c’est un privilège spécial, et qu’alors nous devons sentir que Dieu nous est prochain, et qu’il a pitié de nous comme de ses domestiques et de son troupeau ou héritage16 [16].

Maintenir le peuple en liberté par des lois qui le régissent tout en étant inspirées de la Loi divine, voilà pour Calvin la meilleure des polices terriennes. Pour lui, la pluralité des magistrats, ou juges, est un gage d’équilibre, pour peu qu’ils soient tous gouvernés par la même Loi, dont doivent s’inspirer les lois positives.

Le fondement christologique du principe fédératif dans l’ecclésiologie calvinienne

Or chez lui cette pluralité de services se retrouve dans le gouvernement spirituel, celui de l’Eglise, dans la mesure où la royauté et la sacrificature perpétuelles du Christ élevé en gloire au moment de son Ascension annulent toute prétention d’un gouvernement ecclésiastique centralisé ici-bas, qui prétendrait tout régenter, se substituant d’une manière ou d’une autre au gouvernement céleste du Christ. Pour Calvin, il n’est pas davantage possible d’avoir un siège ecclésiastique centralisé qu’une monarchie ou une gouvernance mondiale centralisée, alors que c’est le Christ auquel la royauté universelle a été remise, et que son office de sacrificateur, quant à lui, n’est pas transmissible17 [17]. D’où, l’on s’en doute, le rejet de l’institution papale :

Or, maintenant, si on veut conclure qu’en tout le monde il y faille un souverain sacrificateur, il faudra qu’il y ait un souverain roi, et toutes polices seront abattues, et l’ordre qui est à présent distingué entre les royaumes, principautés et villes franches, tout cela soit une confusion maudite par Dieu. Et où en serions-nous ? Mais il nous en faut venir au principal : c’est que notre Seigneur Jésus serait dépouillé de son droit. Car puisqu’il est apparu, voilà le royaume perpétuel qui est établi en sa personne, il est constitué par-dessus tous les empires et royaumes de ce monde. Il a pris aussi la sacrificature éternelle par-dessus tout l’ordre, et tout le régime de l’Eglise ; non pas qu’aujourd’hui il n’y ait des évêques, et des pasteurs, comme l’Ecriture en parle, mais il faut que Jésus-Christ soit le chef unique, et que les autres ne soient sinon membres inférieurs, et que le corps se gouverne en telle sorte que le tout se rapporte à celui duquel il est prononcé : Voici mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! Et ainsi, nous voyons que le Pape est un sacrilège, qui dépouille Jésus-Christ de sa dignité souveraine, quand il se constitue souverain sacrificateur en l’Eglise de Dieu. Or cependant qu’il allègue, qu’il faut néanmoins qu’il y ait quelque fin aux querelles et controverses qui pourraient advenir de la religion, la réponse est à cela : moyennant qu’il y ait ordre dressé, qu’il ne faudra point qu’un seul homme domine, mais on s’assemblera d’un commun accord, comme nous voyons que le temps passé il en est advenu. […] Ainsi donc, notons que comme il est dit qu’il faut quelque arrêt pour accorder les querelles civiles et pour définir les causes criminelles, c’est bien raison, quand il y aura quelque débat et contention pour la doctrine, qu’il y ait quelque arrêt souverain. Mais ce n’est pas à dire qu’un seul homme doive présider sur tout le monde : cela (comme nous l’avons montré) est entièrement contraire à nature. Que reste-t-il donc ? Qu’on s’assemble, et que Jésus-Christ préside au milieu18 [18].

On peut donc dire que la préséance, la présidence et le gouvernement directs de Jésus-Christ, manifestés par sa Parole et son Esprit, sur toutes les réunions ou conciles ecclésiastiques, constituent la pierre de touche de l’ecclésiologie calvinienne, se fondant sur cette parole de l’Evangile (Mt 18.20) : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » Ce n’est qu’à partir de ce fondement-là que l’on peut saisir l’importance du modèle ecclésiologique réformé pour la pensée fédérale, que Johannes Althusius développera deux générations plus tard pour l’appliquer à la société humaine dans son ensemble. Car, dans cette ecclésiologie, toute assemblée réunie autour de l’enseignement du Christ, sa parole et les sacrements qu’il a institués, est pleinement et entièrement Eglise. Si une telle assemblée porte en elle et vit les marques de sa fidélité à l’enseignement de son Maître, il ne lui manque rien pour être Eglise de plein droit et de plain-pied. Elle ne dépend nullement pour l’être d’une hiérarchie ecclésiastique supérieure située à Antioche, Rome ou Constantinople. Elle n’est même pas une branche locale parmi d’autres d’un quelconque organisme institutionnel à la structure pyramidale. Mais ce qui est vrai pour l’une est dans le même temps entièrement vrai pour l’autre, ou les autres, en quelque lieu qu’elles se trouvent.

Il y a donc bien une Eglise universelle, constituée d’Eglises locales qui se reconnaissent comme Eglises à part entière au vu des marques de fidélité qu’elles manifestent. Et sur le fondement de cette reconnaissance mutuelle, elles ne peuvent qu’entrer en contact les unes avec les autres et vivre en communion de foi, de pensée et d’action, puisqu’elles sont toutes organiquement liées à leur Sauveur, comme des sarments greffés sur le même cep. Encore une fois, lorsqu’elles se placent sous la même houlette, vivent sous la même Loi, qu’elles professent la même confession de foi, toutes les Eglises locales se reconnaissent comme véritables Eglises et – davantage encore qu’une association ou une fédération d’Eglises – elles forment ensemble une communion d’Eglises. Elles ne sont donc ni indépendantes, ni même autonomes (ce qui signifierait que chacune est une loi à elle-même), mais bien autosuffisantes (selbständig en allemand, selfstandig en néerlandais). Leurs relations mutuelles se déroulent non pas au sein d’une structure institutionnelle pyramidale, chapeautée par un homme ou un collège réduit, mais au sein de sphères concentriques dont l’étendue et les limites sont déterminées par les intérêts communs qu’elles développent, par exemple dans l’action diaconale, l’évangélisation ou le partage des ressources théologiques19 [19]. Les facteurs linguistiques ou nationaux joueront un rôle certain dans la détermination des sphères concentriques où s’initient et se déroulent les actions communes, dans la mesure de la proximité géographique qui permet à ces actions communes d’être entreprises. En même temps la souveraineté universelle du Christ confessée par toutes ces Eglises leur impose de rechercher l’extension des sphères concentriques partout où elles sont en mesure de reconnaître les mêmes signes de fidélité à l’Evangile qui les caractérisent, jusqu’à l’autre bout du monde. Ainsi expriment-elles la catholicité (c’est-à-dire au sens propre l’universalité) et l’unité de l’Eglise, qui, comme on sait, sont comptées, depuis les Conciles de Nicée-Constantinople au ive siècle, comme deux des quatre attributs de l’Eglise (les deux autres étant la sainteté et l’apostolicité).

Mais, demandera-t-on, quelle exégèse fonde et autorise donc ce modèle ecclésiologique ? Le simple fait que dans tout le Nouveau Testament il n’existe que deux acceptions du mot « Eglise » (ekklesia, assemblée de ceux qui ont été appelés) :

  1. Une Eglise locale ou des Eglises locales, qui ont chacune leur adresse physique, là où se réunissent les fidèles autour de la prédication de la Parole et l’administration des sacrements, desservies par les ministères institués, en particulier celui de l’ancien ou presbytre.

  2. L’Eglise comme corps universel du Christ, qui n’a, elle, aucune adresse sur terre, mais dont la seule adresse est au ciel, dans la personne même du Christ ressuscité, vivant éternellement à la droite du Père.

Ceci est particulièrement évident dans les épîtres de saint Paul, lesquelles, dans leur salutation initiale, sont adressées soit à une Eglise particulière : celle qui est à Corinthe (litt. « à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe »), celle qui est à Thessalonique (« à l’Eglise des Thessaloniciens en Dieu le Père et le Seigneur Jésus-Christ »), celle qui est à Rome (« à tous ceux qui sont à Rome, aimés de Dieu »), etc. ; soit à une pluralité d’Eglises locales, dans le cas de celles qui étaient situées dans la province de Galatie (« aux Eglises de la Galatie »). Les lettres adressées par Jean de Patmos à sept Eglises locales au début de l’Apocalypse (Ephèse, Smyrne, Pergame…) ne témoignent pas d’une autre réalité ecclésiale et par conséquent ecclésiologique. Il est symptomatique à cet égard de noter qu’aucune lettre de Calvin aux réformés en France n’est adressée à l’Eglise de France. Ce sont toujours des lettres écrites à des Eglises particulières, ou bien aux Eglises en France. Du reste jusqu’en 1659, date du dernier synode réformé avant la révocation de l’Edit de Nantes, celui de Loudun, les synodes seront tous synodes des Eglises – au pluriel donc – de France.

Le parcours calviniste de Johannes Althusius

Il nous faut garder à l’esprit ces éléments lorsque l’on aborde la pensée de Johannes Althusius, dont quelques étapes du parcours personnel méritent d’être soulignées, afin de ne pas verser dans une appréciation réductrice de son engagement au service de la Cité.

Rappelons tout d’abord qu’Althusius appartient à la quatrième génération de la Réforme, étant né aux alentours de 1560 (Calvin, qui appartient à la seconde génération, meurt en 1564). Il est le fils d’un prédicateur à la cour calviniste de Diedenshausen dans le comté de Sayn-Wittgenstein, en Westphalie. S’il a d’abord étudié Aristote à Cologne, puis le droit romain à Genève, sous Denis Godefroy, il a également étudié la théologie : à Bâle il reçoit en 1586 un doctorat aussi bien en droit civil qu’en droit ecclésiastique20 [20]. Notons qu’à cette époque, la faculté de droit de Bâle, jouissant d’une renommée considérable, offrait un clair profil évangélique, les influences luthériennes et calvinistes jouant un rôle à peu près égal. Le juriste français François Hotman, propagandiste calviniste de premier ordre en France avant la persécution de 1572, y avait fait un séjour de 1578 à 1584, y donnant des cours privés, et y retournant fin 1589 pour y mourir six mois plus tard.

Nommé en 1604 syndic de la ville d’Emden, en Frise orientale, Althusius sera également, à partir de 1616 et jusqu’à sa mort en 1638, ancien dans son Eglise, participant notamment de manière active au grand synode réformé de Dordrecht (1618-1619), provoqué par la controverse avec les disciples de Jacob Arminius sur la question de la grâce et de la synergie avec la volonté humaine dans l’obtention du salut. Althusius y maintiendra une position calviniste fermement opposée aux Remonstrants.

Le fait qu’il ait passé environ trente-cinq ans de sa vie dans la ville d’Emden est également significatif en raison d’un autre synode réformé d’importance majeure qui s’y est déroulé en 1571, et qui a largement contribué à formuler les principes ecclésiologiques qui viennent d’être présentés succinctement. L’ordre ecclésiastique réformé mis en place cinquante ans plus tard, lors du synode de Dordrecht (et qui fut ratifié par les Eglises réformées françaises réunies elles-mêmes en synode en 1620 à Alès), insiste sur le fait qu’aucun ministre du culte, ou aucune Eglise locale, n’a le droit ou le pouvoir de prendre le contrôle d’une autre Eglise locale ou de s’immiscer dans ses décisions, qui ne relèvent que de la compétence du conseil des anciens de la seconde, puisqu’elles sont toutes « Eglises » à part entière, étant localement la manifestation visible du corps du Christ, sans avoir besoin d’une quelconque béquille extérieure21 [21]. Si, sur un point de doctrine ou de discipline, l’une d’entre elles contrevient à l’ordre et à la discipline déterminés ensemble au cours des assemblées ecclésiastiques (dans le cadre d’une sphère concentrique de prise décisionnelle par consensus, autant que possible), c’est de manière ordonnée et après des enquêtes menées par des délégués accrédités d’Eglises sœurs que l’affaire doit être réglée, avec toujours la possibilité d’un appel fait à la réunion ecclésiastique plus large, au sein du cercle concentrique. Le principe est qu’en toutes choses la Parole de Dieu et les confessions de foi adoptées communément ont seules l’autorité ultime pour déterminer l’issue à donner au contentieux. Nous sommes là tout à fait dans l’esprit de ce que Calvin expliquait dans l’extrait du sermon CIV sur Deutéronome 17 cité plus haut. Plus encore, c’est tout l’argument qu’il développe de manière très fournie dans le quatrième livre de l’Institution chrétienne de 1559-1560 (notamment au chapitre ix).

A la suite d’autres synodes tenus à la fin du xvie siècle, le synode de Dordrecht (1618-1619) exprime clairement aussi le principe de subsidiarité qui doit à tout moment être respecté dans les assemblées ecclésiastiques : à savoir que dans les assemblées majeures ne doivent se traiter d’une part que les affaires ou causes émergeant des assemblées mineures mais que celles-ci n’ont pas pu résoudre, et d’autre part seulement des affaires ou des causes qui ressortissent directement des assemblées majeures car, par leur nature et leur portée, elles concernent d’emblée un cercle concentrique d’Eglises plus large. De plus, dans toute assemblée ecclésiastique, qu’elle soit mineure ou majeure, ne doivent être traitées que des questions ecclésiales, et selon le droit ecclésiastique adopté en commun : c’est l’article 30 de l’ordre ecclésiastique de Dordrecht.

Depuis sa naissance, toute la vie d’Althusius a été marquée par cet héritage, par cette réflexion et ces préoccupations concernant la vie de l’Eglise. On l’a vu, il en a été imprégné et s’y est abondamment impliqué. Comment donc imaginer qu’ils n’aient pu influencer d’une manière ou d’une autre sa théorie politique et la pratique qu’il lui a donnée en tant que syndic de la ville d’Emden ? On notera pourtant avec intérêt le fait que le synode de Dordrecht est postérieur de quatre ans à la troisième édition, augmentée et définitive, de la Politica par Althusius, ce qui pose la question de l’inversion (ou de la réciprocité) de l’influence que les deux sphères ont pu avoir l’une sur l’autre.

Dans le même ordre d’idées on ne saurait non plus ignorer le fait que la structure politique d’une ville comme Emden, jouissant d’une large autonomie en tant que ville impériale libre après 1595, représentait une sorte de versant séculier consonnant avec l’organisation ecclésiastique réformée. Bien qu’Emden ne fît pas partie de la ligue hanséatique du Nord, elle se trouvait sur l’axe géographique de cette confederatio économique née vers le xiiie siècle avec l’accession de la bourgeoisie aux commandes des villes en bordure de la mer Baltique et de la mer du Nord. Aux Pays-Bas voisins en train de se constituer, la position juridique des consistoires locaux était, mutatis mutandis, celle des municipalités vis-à-vis des Provinces et des Etats-Généraux des Provinces-Unies (Staaten Generaal) créées par l’Union d’Utrecht de 157922 [22]. Et, pour mémoire, la Confédération helvétique était formée dès 1291.

Déterminer en détail les influences mutuelles qui ont pu jouer dépasse le cadre de cette étude, d’autant qu’il faudrait y inclure l’ancien droit germanique23 [23] ainsi que les écoles de Salamanque et de Coïmbre, abondamment citées – avec de multiples autres auteurs – par Althusius dans la Politica24 [24].

Association universelle symbiotique et subsidiarité chez Althusius

Pour Althusius, la matière du sujet de la politique, c’est l’association, la famille constituant l’association de base. Le premier paragraphe de la Politica définit celle-ci comme suit :

La politique est l’art d’établir, de cultiver et de conserver entre les hommes la vie sociale qui doit les unir. Ce que l’on appelle la symbiotique. Le sujet de la politique est donc la consociation, par pacte exprès ou tacite, par laquelle les symbiotes s’obligent les uns les autres réciproquement à la communication mutuelle des choses qui sont utiles et nécessaires à l’usage et à la participation de la vie sociale. La fin de la politique symbiotique développée par les hommes est la symbiose sacrée, juste, appropriée et heureuse, et d’assurer qu’il ne manque aucune chose nécessaire ou utile à la vie25 [25].

Sous la bannière d’une association universelle et majeure, Althusius nous présente une communion universelle symbiotique qui peut être soit ecclésiastique, soit séculière. Dans le schéma qu’il en a lui-même donné, il comprend, sous l’aspect ecclésiastique : a) l’établissement et la conservation de la religion sincère ; b) l’ouverture d’écoles ; c) l’exercice public du culte chrétien. A la base de toute association se trouve la notion de communicatio, c’est-à-dire l’acte de mettre en commun et de gérer en commun l’objet partagé26 [26].

Afin de mieux cerner les ressorts présidant à la formation de la consociatio universalis prise comme un ensemble d’associations ayant à chaque fois pur but de promouvoir l’objet qui les a justifiées, développant par là une certaine forme de richesse27 [27], il convient ici de laisser largement la parole à G. Demelemestre, qui les a étudiés en détail. Elle note tout d’abord qu’Althusius suit l’intuition d’Aristote considérant l’homme comme un animal naturellement politique. Cependant, chez Althusius cette aspiration politique doit se manifester sous forme (ou formalisation) de pacte, compris comme reconnaissance réciproque de la forme de vie associée, ce qui implique la reconnaissance d’une humanité en chaque homme, et le respect de son intégrité physique et morale, de sa vie et de sa réputation28 [28]. Mais contrairement à la compréhension moderne et individualiste du contrat, Althusius considère que l’homme tend nécessairement à la vie symbiotique parce qu’il est créature de Dieu, et que c’est pour lui le seul moyen de pouvoir réaliser son humanité29 [29]. Althusius distinguera alors dans chaque constitution juridique ce qui relève de la lex naturalis communis, commune à tous les hommes, et ce qui est propre à chaque communauté ou regroupement humain, la lex civilis propria30 [30].

La question de la norme suivie par le législateur et la place du Décalogue dans le système althusien est posée d’emblée dans la présentation donnée par G. Demelemestre à la Politica methodice digesta. Son explication mérite d’être citée ici de manière extensive :

Mais quelle norme suivra le législateur pour obliger les citoyens ? Peut-on abstraire l’activité législative de tout cadre de référence ? La volonté souveraine a-t-elle assez de substance pour nourrir, seule, la formation de la loi ? Althusius répond par la négative : la puissance normative de la loi ne peut lui venir que d’un fondement transcendant, en l’occurrence le Décalogue, car « la loi vivante (regula vivendi), obligeant et administrant, est la seule volonté de Dieu, qui est la voie de la vie, et la loi des choses qui doivent être faites ou auxquelles on doit renoncer […] »31 [31] La Loi divine exprimée dans le Décalogue est la source de tout acte législatif, dans la mesure où la loi est avant tout la règle de vie des hommes. On retrouve l’idée aristotélicienne que la loi régule les relations entre les hommes, qu’elle équilibre leurs rapports en donnant à chacun ce qui lui est dû. Mais l’observation de la nature n’est pas la source du juste ; c’est la regula vivendi qui en formule les principes essentiels. La première table du Décalogue pose ainsi le commandement de l’amour de Dieu, inscrivant par là l’existence humaine dans une attitude de travail sur soi pour se rapprocher de Dieu, tandis que la seconde commande à l’amour du prochain, conditionnant la relation que les hommes entretiendront les uns avec les autres. Elles sont décrites par Althusius, de nombreuses fois, comme les fondements de la politique, ce qui ressort de la désignation qu’il leur donne, puisque l’expression « loi vivante » traduisait, pendant l’époque médiévale, ce qui reliait le monarque à Dieu […] Althusius conservera, comme fondement de tout commandement politique, l’axiologie Loi divine – loi positive, ou droit divin – droit naturel. Ils sont ici compris comme ce qui permet à la communauté de remplir au mieux sa fonction […] Ce qui engendre la communauté de vie et sera au fondement des droits de souveraineté est donc la regula vivendi, dont les lois humaines sont le prolongement. Le droit naturel ne rend pas les lois positives superflues, parce que le commandement doit s’adapter à la spécificité des collectivités auxquelles il s’adresse. Mais il en est le fondement pour qu’elles puissent déterminer plus précisément ces sagesses qu’il comprend et auxquelles il destine l’humanité. Le droit naturel n’est qu’une forme du droit divin, et il est inscrit ans le cœur des hommes pour leur permettre de concevoir le droit positif32 [32].

Or c’est uniquement à partir de la lex vivendi que la notion d’autorité humaine peut être proprement établie. L’autorité et la puissance sont voulues par Dieu pour être mises au service du prochain, « car aucun pouvoir n’est en soi mauvais ou dommageable, s’il sert le bien et l’utile, et s’il est mis au service de l’utilité et du salut de ceux qui le respectent »33 [33]. Au plus haut niveau de la pyramide constituée par une association progressive d’associations34 [34] de complexité croissante telles que la ville-cité ou la province – associations de groupes dont il faut rappeler qu’elles retiennent toutes une certaine part des droits de souveraineté – le jus regni est détenu par un corps gouvernemental ultime. Il détient un droit supérieur à chacune des associations, lesquelles doivent le lui reconnaître, et est chargé de veiller à l’harmonie de l’ensemble35 [35]. Demelemestre poursuit ainsi sur les niveaux de droit distingués et hiérarchisés au sein des associations publiques composées par les villes et les provinces :

[…] on voit Althusius s’engager […] dans une discussion sur les différentes fonctions respectivement accomplies par les membres du collège des sénateurs et par le préfet. Plusieurs niveaux de droit sont alors distingués et hiérarchisés, ce qui permet de comprendre comment l’architecture juridique de la consociatio universalis peut reconnaître l’autonomie de ses membres sans imploser. Le pouvoir, consécutif à la reconnaissance de ces droits, opère ainsi de façon subsidiaire : les attributions de l’échelon supérieur doivent toujours être limitées de façon telle qu’il n’ait à intervenir qu’en cas de défaillance des échelons inférieurs.

Si nous retrouvons ici le principe de subsidiarité tel que le synode de Dordrecht l’édicte pour les réunions d’Eglises réunies en assemblées majeures ou mineures, il faut cependant insister sur le fait que dans la sphère publique, ce principe s’exprime par un jus regni placé en haut d’une hiérarchie pyramidale par les degrés d’associations formant la consociatio, qui en sont les mandataires (et qui, en tant que tels, retiennent partie de la souveraineté). La communion universelle symbiotique concernant la sphère ecclésiastique relève, dans sa spécificité et son gouvernement propres, du seul jus divinum exprimé dans la Parole normative, Parole à la fois écrite (Ecriture sainte) et incarnée (Jésus-Christ). Or c’est justement ce jus divinum qui détermine la structure concentrique de la consociatio ecclésiastique. Ceci n’exclut certes pas son exposition au jus regni mais qualifie la nature et le degré de son interaction avec la strate ultime du gouvernement humain.

Au cours de son long mandat de syndic de la ville d’Emden, et en tant qu’ancien (elder) de l’Eglise, Althusius aura eu l’occasion de mesurer, voire de conjuguer cette exposition en respectant les différentes sphères de souveraineté, prérogative dont ne pouvait disposer Calvin au même titre, puisque le simple statut de citoyen de la ville de Genève ne lui fut octroyé par le Conseil de la ville qu’à la Noël 1559 soit moins de cinq ans avant sa mort octroi motivé par les services exceptionnels qu’on lui reconnut alors avoir rendus à la cité par son œuvre et son influence.

Conclusion

En pointant en direction de l’ecclésiologie calvinienne j’ai souhaité mettre en évidence quelques éléments de la filiation qui existe entre Calvin et Althusius, éléments qu’il faudrait certes analyser plus en profondeur, à l’aide de sources concrètes, pour établir plus en détail ce qui en fait la spécificité. Cette filiation par le biais de l’ecclésiologie tend à passer inaperçue au profit de remarques générales sur les idées politiques de Calvin, transmises à Althusius soit durant son séjour genevois, soit par l’intermédiaire de F. Hotman lors de ses études à Bâle. J’espère au moins avoir rendu visibles quelques liens supplémentaires qui témoignent chez l’un comme chez l’autre d’une recherche de cohésion dans la société humaine, au sein d’une vision du monde unifiée par et sous une même souveraineté d’ordre transcendant, garante des libertés et des équilibres communautaires.


  1.  Ce texte a été présenté par son auteur lors d’un colloque organisé par Foi et Vie réformées (www.foietviereformees.org), qui s’est tenu à Paris le 8 juillet 2017 et portait sur le thème « Calvin – Althusius, racines et pertinence de la pensée politique protestante ». Il reflète dans le ton et le style adoptés les préoccupations du contexte dans lequel il a été donné, contenant certaines allusions à des tendances culturelles, religieuses ou idéologiques actuelles. Les vidéos des exposés présentés durant ce colloque peuvent être consultés sur :

    Colloque Calvin / Althusius [36]

    Publié avec l’aimable autorisation de KOERS, Bulletin for Christian Scholarship, 2017, 82(2). Le texte original de l’article peut être consulté sur :

    https://doi.org/10.19108/KOERS.82.2.2355↩︎ [37]

  2.  Dans le paragraphe d’introduction de son article « La théorie politique ‹réformationnelle› et le pacte social » (La Revue réformée 244, 2007/5, p. 41), Paul Wells qualifie comme suit la nature de ce contrat social fondé sur l’individualisme moderne : « Une des caractéristiques de la modernité en Occident est la montée de l’individualisme et son corrélat – la relation entre l’individu et la communauté. La séparation radicale entre l’individu et l’Etat a été considérée, dans le meilleur des mondes possibles, comme le moyen de garantir la liberté de l’individu, ses droits, ses croyances et sa vie privée, mais elle a été aussi un outil pour remodeler la société humaine au moyen de programmes imaginés par des ‹ingénieurs› sociaux. L’Etat est aussi considéré comme le bienfaiteur omniprésent et omnipotent qui prend en main les intérêts des citoyens. »↩︎ [38]

  3.  Calvin exprime ainsi cette distinction dans l’Institution chrétienne (Kerygma-Farel, 1978, IV, xi, 3) : « Quand certains imaginent que ç’a été un ordre temporaire que celui-là, pour le temps où les princes et seigneurs et les gens de justice étaient encore contraires à la chrétienté, ils s’abusent en ce qu’ils ne considèrent point combien il y a de différence, et quelle est la diversité entre la puissance ecclésiastique et la puissance terrestre. Car l’Eglise n’a point de glaive pour punir les malfaiteurs, ni commandement pour les contraindre, ni prisons, ni amendes, ni les autres punitions dont les magistrats ont accoutumé d’user. Davantage elle n’est point destinée à cela, que celui qui a péché soit puni malgré soi, mais que, par un châtiment volontaire, il fasse profession de sa pénitence. Il y a donc une grande différence, d’autant que l’Eglise n’attente ni n’usurpe rien de ce qui est propre au magistrat, et le magistrat ne peut faire ce qui est fait par l’Eglise. »↩︎ [39]

  4.  On trouve une bonne illustration de la confusion qui règne à ce sujet dans les appréciations divergentes concernant la prétendue théocratie calvinienne établie à Genève. Ainsi, au chapitre consacré à Althusius par A. de Benoist au début de la seconde partie de son recueil d’essais Critiques/Théoriques (Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, p. 299), on peut lire le passage suivant sur la filiation entre Calvin et Althusius, dénuée de sources précises ou de tout argumentaire sur les notions invoquées : « Althusius s’inspire visiblement de Calvin quand il affirme que chaque consociatio doit remplir la fonction à laquelle elle est destinée par ses capacités. Il s’en sépare en revanche nettement quand il s’écarte du droit naturel subjectif, qui lui paraît incapable de rendre compte du caractère organiquement structuré des sociétés humaines, et surtout quand il expose sa façon d’envisager les rapports entre la politique et la théologie. Loin de prôner la théocratie, à la manière de Calvin, ou de tirer de la Bible, qu’il cite pourtant abondamment, les principes essentiels de sa doctrine, il se refuse en effet à placer la science politique dans la dépendance de la théologie, dénonce toute censure cléricale de ses travaux et affirme la nécessité de soumettre étroitement les affaires religieuses au contrôle de la puissance publique. Cette dernière devant veiller ‹à ce que Dieu soit véritablement reconnu et honoré en privé et en public dans toute l’étendue de l’Etat› (XXVIII, 15), le clergé se trouve confiné dans l’exercice de son ministère, son pouvoir ne dépassant guère les censures et les admonitions. » Manifestement, de Benoist n’a pas lu le quatrième livre de l’Institution chrétienne (cf. note 3 ci-dessus). De son côté, l’historien catholique Yves Krumenacker, dans l’avant-dernier chapitre (« Bilan ») de sa biographie consacrée à Calvin (Calvin, au-delà des légendes, biographie, Paris, Fayard, 2009, p. 518-519), rejette cette notion de théocratie couramment attribuée à Calvin, tout en soulignant avec beaucoup plus de justesse la nature essentiellement religieuse de la pensée calvinienne, dans les affaires ecclésiales comme civiles : « Calvin, évidemment, n’a pas cherché à préparer des temps nouveaux – ou alors, le Royaume de Dieu. Son principal souci était que toute vie soit soumise à la volonté de Dieu, à commencer par la sienne. Même s’il tient fermement à la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, s’il refuse toute théocratie, sa pensée est totalement religieuse. L’avenir des sociétés, du monde, ne l’intéresse pas. Seuls comptent le plan de Dieu pour l’humanité et le salut des croyants. »↩︎ [40]

  5.  CO 27, p. 445-481. CO est l’abréviation de Ioannis Calvini Opera quae supersunt omnia, Wilhelm Baum, Eduard Cunitz et Eduard Reuss éd., 59 vol., Brunschwick, C.A. Schwetschke et Fils, 1863-1900 (Corpus Reformatorum, vol. 29-87).↩︎ [41]

  6.  Sermon CIV du mardi 19 novembre 1555, CO 27, p. 453-454. Pour un plus grand confort de lecture, nous avons modernisé l’orthographe des sermons de Calvin, corrigé la ponctuation, harmonisé les majuscules et supprimé certains archaïsmes.↩︎ [42]

  7.  Cf. Furet & Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 1973, p. 248 : « Le 20 prairial (8 juin) David ordonne la grande fête de l’Etre suprême et de la Nature ; un bouquet d’épis à la main, Robespierre la préside, entouré d’un long cortège qui se déroule des Tuileries au Champ-de-Mars. De l’étranger, de France, des adresses de félicitations lui parviennent : est-ce le prélude d’une restauration religieuse ? C’est en fait une cause supplémentaire d’isolement. »↩︎ [43]

  8.  Purification idéologique déjà entreprise par la Convention dans les régions françaises rebelles au nouveau régime. Cf. J.-F. Revel, La connaissance inutile, Paris, Grasset, 1988, p. 71 : « De même, sous la Révolution française, pendant la guerre civile de Vendée, la Convention proclama son ferme propos d’‹exterminer les brigands de la Vendée›, y compris la population civile, pour ‹purger entièrement le sol de la liberté de cette race maudite›. On appréciera la logique du raisonnement qui prône le génocide au nom de la liberté. »↩︎ [44]

  9.  Sermon CV sur le Deutéronome du mercredi 19 novembre 1555, CO 27, p. 468.↩︎ [45]

  10.  Il importe néanmoins de souligner que Calvin n’est pas le père de la théologie alliancielle ou fédérale protestante au xvie siècle. C’est Heinrich Bullinger, le successeur de Zwingli à Zurich, à qui en revient la primeur, avec son ouvrage Du Testament ou Alliance Une et Eternelle de Dieu datant de 1534. Cf. note 13 ci-dessous.↩︎ [46]

  11.  L’Institution chrétienne, Kerygma-Farel, 1978, p. XXIII.↩︎ [47]

  12.  Ibid., p. XXII.↩︎ [48]

  13.  C. Malandrino (“The Calvinistic Covenant’s Theology and Federalism : the Experience of Althusius”, in Reformierte Staatslehre in der Frühen Neuzeit, ed. H. De Wall, Historische Forschungen, vol. 102, Duncker & Humblot, Berlin, 2014, p. 99) offre un aperçu historique utile de l’origine et de la diffusion de la pensée fédérale à partir du xvie siècle en insistant sur son point de départ dans la théologie réformée. Sans être nommé, Althusius s’inscrit évidemment dans ce courant lancé par les investigations des théologiens et juristes qui se situent dans la période allant du milieu du xvie siècle au début du xviie : « La critique [de la théorie de l’absolutisme royal énoncée notamment par Jean Bodin] a revêtu diverses formes, enracinées dans différentes doctrines et positions politiques, dont une reformulation du constitutionalisme médiéval fondée sur la scolastique thomiste ou sur la tradition républicaine ou, alternativement, sur la tradition qui dans les œuvres de beaucoup d’auteurs était connue sous le nom de fédéralisme ; d’autres formes d’attitudes critiques ont été produites par la pensée anti-tyrannique, appelée monarchomachisme par William Barclay à la fin du xviie siècle, et par les mouvements liés à la Réforme, les éléments démocratisants de ces mouvements provenant surtout d’un arrière-plan calviniste, qui sont à l’origine des conflits qui ont entraîné de longues guerres sur fond religieux, mais à la base de nature essentiellement politique. C’est dans ce contexte qu’une re-méditation théologico-politique avec une orientation fédéralisante a commencé à prendre forme, adaptant aux temps nouveaux les thèmes caractéristiques du fédéralisme, c’est-à-dire, du pacte établi entre Dieu et l’homme, et entre le peuple et le souverain. Ce courant de pensée, qui s’est développé dans le cadre de catégories politiques qui étaient encore, dans une large mesure, prémodernes et liées à l’idée de société divisée en domaines, visait à établir l’origine divine et « populaire » de la souveraineté, ainsi que la constitution intrinsèquement pluraliste et complexe de la société et de l’Etat. Connue des théologiens sous le nom de « théologie fédérale », elle est le fruit des recherches de théologiens et de spécialistes du droit qui, entre le milieu du xvie et le début du xviie siècle, ont puisé leur inspiration principalement dans les enseignements de Jean Calvin, Ulrich Zwingli et son successeur à Zurich, Heinrich Bullinger, qui en 1534 a publié un pamphlet qui s’est révélé d’une importance fondamentale pour le développement et la propagation de la théologie fédérale, intitulé De testament seu foedere Dei unico et aeterno. »↩︎ [49]

  14.  Le mot héritage doit ici être compris comme « succession héréditaire ».↩︎ [50]

  15.  Sermon CV, CO 27, p. 459.↩︎ [51]

  16.  Ibid., p. 459-460.↩︎ [52]

  17.  Hébreux 7.24-25 : « Mais lui [Jésus], parce qu’il demeure éternellement, possède le sacerdoce non transmissible. C’est pour cela aussi qu’il peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur. » Cf. B. Spoelstra, Gereformeerde Kerkreg en Kerkregering, Handboek by die Kerkorde, Die Hammanskraalse Teologiese Skool van die Gereformeerde Kerke in Suid-Afrika, Hammanskraal, 1989, p. 169, sur l’ordre ecclésiastique de Dordrecht : « Le droit ecclésiastique prend en compte en tout premier lieu le gouvernement du Christ à travers les dons ou offices (charismata) par lesquels l’Eglise locale est entretenue, gouvernée et édifiée […] En second lieu il n’existe dans l’Ecriture aucune indication selon laquelle le Christ aurait institué à la place des apôtres une hiérarchie, un office de superintendant ou un synode-institut au-dessus de la congrégation locale. »↩︎ [53]

  18.  Sermon CIV, CO 27, p. 450-451.↩︎ [54]

  19.  Cf. Spoelstra (op. cit., p. 30), sur l’article 30 de l’ordre ecclésiastique de Dordrecht : « Les Eglises ne peuvent déléguer ou remettre à d’autres structures ecclésiastiques les mandats que le Christ a donnés aux offices dans les Eglises locales. Elles ne peuvent non plus former de nouvelles unités, s’intégrer ou se dissoudre dans d’autres corps ou structures. Elles peuvent néanmoins, à condition de conserver leur autosuffisance, entrer en combinaison avec d’autres Eglises afin d’accomplir tout ce qui tend à l’unité, le bon ordre et le meilleur intérêt de chaque Eglise. Afin de rendre possible cette démarche, les Eglises autosuffisantes contractent entre elles un ordre ecclésiastique en vertu du lien qu’elles entretiennent en Christ, ordre qui devrait respecter le droit ecclésial scripturaire. »↩︎ [55]

  20.  Sa thèse en droit civil était intitulée : De arte jurisprudentiæ Romanæ methodice digestæ libri. Le sujet de sa thèse en droit ecclésiastique ne nous est pas connu.↩︎ [56]

  21.  Cf. Spoelstra, op. cit., p. 464 : « L’Eglise une du Christ est présente en une multitude de lieux là où les croyants se rassemblent dans l’unité de la vraie foi autour de la Parole et des sacrements, étant gouvernés par cette Parole et par l’Esprit. […] Par conséquent chaque Eglise locale est une manifestation autosuffisante du corps du Christ dans la mesure où elle manifeste les marques du corps du Christ […] Ainsi aucune Eglise ne peut faire état d’un droit de regard sur une autre Eglise. Dans le droit ecclésiastique réformé néerlandais, l’autosuffisance de l’Eglise locale est prise comme point de départ. […] Dès le xvie siècle est apparue l’insistance sur le fait que chaque Eglise doit se tenir à l’intérieur des frontières de sa propre sphère d’autorité. […] Une ou plusieurs Eglises n’obtiennent donc jamais – en vertu du lien ecclésiastique contracté entre elles ou du droit ecclésiastique – un droit de regard impérial sur une autre Eglise. »↩︎ [57]

  22.  Cf. Spoelstra, op. cit., p. 180 : « La position juridique des conseils presbytéraux se trouve généralement en accord avec celle des municipalités néerlandaises, qui disposaient d’une autosuffisance et de leur propre responsabilité par rapport aux provinces et aux Etats généraux. »↩︎ [58]

  23.  Cf. Gaëlle Demelemestre, Les deux souverainetés et leur destin. Le tournant Bodin – Althusius, Cerf, Paris, 2011, p. 132 : « La position d’Althusius à la fois dans l’histoire, dans la pensée politique et dans la pensée des idées, est singulière, puisqu’il raisonne dans les cadres du droit germanique, qui est très différent du droit romain utilisé par Bodin, et qu’il réécrit son ouvrage lorsqu’il aura à assumer la charge de syndic et de conseiller du Conseil à la ville d’Emden. »↩︎ [59]

  24.  A cet égard il convient de mentionner de manière générale les travaux publiés par la Althusius Gesellschaft (www.althusius.de).↩︎ [60]

  25.  Demelemestre, op. cit., p. 51, Politica 1, par. 1. Les citations par Demelemestre sont traduites par elle-même en français à partir de l’édition de la Politica de 1979 par Arno Press, qui est une reprise de celle de C.J. Friedrich de 1932.↩︎ [61]

  26.  Cf. Demelemestre, op. cit., p. 179 : « La communicatio, soit la base de cette aptitude à l’association organisée – et donc de toute la vie sociéto-politique pour Althusius – se distingue en mise en commun de biens (communicatio rerum), de fonctions (communicatio operarum) et des droits (communicatio juris), dont les modalités varient en fonction de la nature de l’association. La capacité à mettre en commun et à bien gérer en commun les objets partagés est le nœud problématique de toute la vie collective, et donc de la politique, car ‹qu’est-ce que la République sans communion et communication des biens et des services nécessaires à la vie ?› [Politica, préface à la troisième édition]. L’acte de communiquer est en conséquence la condition de possibilité de la politique, puisqu’il permet à la sociabilité de se réaliser pragmatiquement. »↩︎ [62]

  27.  Demelemestre, op. cit., p. 16.↩︎ [63]

  28. Ibid., p. 13-14.↩︎ [64]

  29. Ibid., p. 14.↩︎ [65]

  30. Ibid., p. 22.↩︎ [66]

  31. Ibid., p. 20, Politica XXI, 16, p. 189.↩︎ [67]

  32.  Ibid., p. 20-21.↩︎ [68]

  33.  Ibid., p. 15, Politica XIX, 37, p. 166.↩︎ [69]

  34.  Consociatio consociationum.↩︎ [70]

  35.  Demelemestre, op. cit., p. 16. Quelle est la place de la communicatio dans la sphère du gouvernement (jus regni) ? Demelemestre répond comme suit (p. 179) : « Il [l’acte de communiquer] rend compte de toute la finalité de l’organisation politique, puisque le gouvernement (jus regni) est lui-même le lieu d’une communicatio, et qu’il doit veiller à ce que les autres associations possédant leurs modes propres de mise en commun respectent la loi universelle (lex universalis) c’est-à-dire qu’elles n’interagissent pas injustement les unes avec les autres. »↩︎ [71]