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Le message de Jean Calvin pour notre vie spirituelle

Le message de Jean Calvin
pour notre vie spirituelle


Pierre-Sovann CHAUNY
Professeur de théologie systématique
Faculté Jean Calvin, Aix-en-Provence


Quel est le message de Jean Calvin pour notre vie spirituelle ? Le texte que j’ai choisi pour traiter cette question se situe dans le deuxième livre de l’œuvre majeure de Calvin, l’Institution de la religion chrétienne, au chapitre xvi, au paragraphe 19.

Dans le premier livre de l’Institution, Calvin s’est attaché à parler de « la connaissance de Dieu en titre et qualité de créateur et souverain gouverneur du monde ». Dans ces chapitres, Calvin établit sa doctrine de l’Ecriture, de la Trinité, de la création et de la providence.

Dans le deuxième livre de l’Institution, Calvin traite de « la connaissance de Dieu en tant qu’il s’est montré Rédempteur en Jésus-Christ : laquelle a été connue premièrement des Pères sous la Loi, et depuis nous a été manifestée en l’Evangile ». Ici, Calvin élabore sa doctrine de la chute, de la corruption de l’homme et du serf-arbitre, de la loi, du rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament, de la double nature du Christ et son office de médiateur entre Dieu et les hommes.

Le chapitre 16 examine « comment Jésus-Christ s’est acquitté de l’office de médiateur pour nous acquérir le salut » et, pour cela, Calvin suit l’ordre du Symbole des apôtres. Et c’est après avoir exposé les bienfaits de l’œuvre du Christ résumés par le symbole que Calvin conclut son chapitre avec notre texte :

Or puisque nous voyons que toute la somme et toutes les parties de notre salut sont comprises en Jésus-Christ, il nous faut garder d’en transférer la moindre portion qu’on saurait dire. Si nous cherchons salut : le seul nom de Jésus nous enseigne qu’il est en lui. Si nous désirons les dons du Saint-Esprit : nous les trouverons en son onction. Si nous cherchons force : elle est en sa seigneurie. Si nous voulons trouver douceur et bénignité : sa nativité nous la présente, par laquelle il a été fait semblable à nous, pour apprendre d’être pitoyable. Si nous demandons rédemption : sa passion nous la donne. Si nous désirons que la malédiction nous soit remise : nous obtenons ce bien-là en sa croix. La satisfaction, nous l’avons en son sacrifice ; l’expiation, en son sang […]. En somme, puisque les trésors de tous biens sont en lui, il nous les faut de là puiser pour être rassasiés, et non d’ailleurs1 [1].

Voici donc le message de Jean Calvin pour notre vie spirituelle : tous les trésors de tous les biens sont en lui. Tout ce dont nous avons besoin pour notre vie spirituelle est en lui. Et, pour cette raison, c’est en lui, et non ailleurs, que nous devons aller puiser pour être pleinement rassasiés.

J’aimerais expliquer l’importance de ce texte en posant trois questions :

  1. Pourquoi Calvin prend-il la peine de nous dire que tous les trésors de tous les biens sont en lui ?
  2. Comment pouvons-nous puiser toutes ces choses en Jésus-Christ ?
  3. Que trouvons-nous en lui ?

I. Pourquoi Calvin prend-il la peine de nous rappeler que tous les trésors de tous les biens sont en lui ?

Le premier élément de réponse à cette question que j’aimerais apporter, c’est la capacité que l’être humain a à se forger ses propres idoles. L’anthropologie calviniste est très pessimiste. Elle ne croit pas en l’homme. Pourquoi ? Parce que selon une formule très frappante de Calvin, « l’esprit de l’homme est une boutique perpétuelle et de tout temps pour forger idoles »2 [2]. L’homme déchu est, pour Calvin, naturellement idolâtre. Il cherche à être son propre Seigneur et son propre Sauveur et, au lieu de chercher tous les trésors de tous les biens dans le Christ, il les cherche ailleurs.

Il y a la crasse idolâtrie qui consiste à chercher explicitement en dehors du Christ ce qu’il nous faut pour notre vie spirituelle. Mais cela ne veut pas dire qu’en tant que chrétiens nous sommes indemnisés de cette tendance idolâtre. Au contraire, en tant que chrétiens, il nous arrive trop souvent de vouloir rechercher notre bien-être spirituel en dehors du Christ. Calvin avait au moins trois types d’adversaires :

  1. l’Eglise romaine ;
  2. ceux qu’il appelait les « enthousiastes » ou encore les « fantastiques » ;
  3. ceux qui, comme Michel Servet, se forgeaient un Christ selon leur imagination.

L’Eglise romaine ajoutait ses traditions au Christ, ne cherchant pas en lui tous les trésors de tous les biens, et se rendait ainsi coupable d’idolâtrie.

Les « enthousiastes » recherchaient des révélations privées et des expériences qu’ils attribuaient à l’Esprit de Dieu, mais qui n’étaient que le produit de leur imagination, et se rendaient ainsi coupables d’idolâtrie.

Enfin, ceux qui se forgeaient un Christ selon leur imagination vidaient le Christ biblique de la substance pour lui substituer un Christ chimérique.

Qu’en est-il de nous ? Est-ce que, par légalisme, nous n’ajoutons pas au Christ en espérant obtenir certains trésors par notre obéissance servile à des lois que nous avons forgées ? Ou est-ce que, par un noble souci d’ouverture, nous nous laissons aller à un relativisme religieux qui fait du Christ une voie parmi d’autres, mais certainement pas le lieu où l’on trouve tous les trésors de tous les biens ? Est-ce que, comme les « enthousiastes », nous cherchons le sensationnel et attribuons à l’Esprit de Dieu ce qui n’est que le produit de notre imagination, en oubliant que l’Esprit est la personne discrète de la Trinité dont l’objectif est, non pas de se glorifier lui-même, mais de glorifier Jésus ? Ou est-ce que nous n’avons pas parfois tendance à nous forger un Christ à notre image, à vider le Jésus biblique de sa substance ? Nous ne devons pas oublier que notre esprit est une « boutique perpétuelle pour forger idoles » et prendre garde à cette tendance naturelle.

Le deuxième élément pour lequel Calvin doit nous rappeler que nous devons chercher tous les trésors de tous les biens en Christ, c’est parce que nous avons besoin d’un médiateur. Parce que l’homme est pécheur, la relation d’alliance qu’il avait au commencement avec Dieu est rompue. L’homme ne peut plus venir à Dieu de lui-même et aucune relation « en direct » n’est possible. Pour Calvin, « la majesté de Dieu est trop haute, pour que les hommes mortels y puissent parvenir »3 [3]. Il faut que Dieu vienne jusqu’à nous pour que nous le connaissions réellement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune connaissance intuitive de Dieu, car nous sommes créés en son image, mais parce que nous sommes idolâtres, nous corrompons toujours cette connaissance naturelle que nous avons de Dieu en superstition. Ainsi Calvin explique à propos des païens et des musulmans : « Bien qu’ils se vantent à pleine bouche que le souverain créateur est leur Dieu, néanmoins ils substituent une idole à sa place, d’autant qu’ils réprouvent Jésus-Christ. »4 [4]

L’homme est incapable par lui-même d’aller à Dieu et de puiser en lui tous les trésors de tous les biens. Il a donc besoin d’un médiateur qui soit vrai Dieu et qui soit vrai homme. Une fois cela établi, la prochaine question est :

II. Comment pouvons-nous puiser toutes ces choses en Jésus-Christ ?

Le problème, c’est que le Christ est au ciel et que nous, nous sommes sur la terre. C’est pour résoudre ce problème que Calvin développe sa doctrine de l’union avec le Christ. Ainsi, pour Calvin,

tant que nous sommes hors de Christ et séparés de lui, tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut du genre humain nous est inutile et de nulle importance. Il faut donc, pour nous communiquer les biens dont le Père l’a enrichi et rempli, qu’il soit fait nôtre et habite en nous5 [5].

Le croyant ne peut posséder les biens qui sont en Christ qu’en étant uni à lui par une relation vivante avec un Christ vivant. Le soi-disant Jésus historique qui n’est ressuscité que métaphoriquement ne nous est ici d’aucune utilité. Il nous faut un Christ vivant, un Christ ressuscité et glorifié, un Christ auquel nous pouvons véritablement être unis. Cette union avec le Christ, à quoi ressemble-t-elle ? Les images que Calvin utilise constamment, à la suite de la Bible, sont celles de la greffe, du vêtement et du mariage. Il faut être greffé sur le Christ comme un serment sur son cep. Commentant Jean 15.1, Calvin nous enseigne que

le Christ s’arrête principalement sur ceci : que le suc vital, c’est-à-dire toute la vie ou la vigueur, procède de lui seul. Il s’en ensuit que la nature de tous les hommes est infructueuse, stérile et vide de tout bien ; parce que nul ne tient de la nature de la vigne, jusqu’à ce qu’il soit enté en Christ6 [6].

Il nous dit aussi qu’il nous faut revêtir le Christ et devenir la chair de sa chair et l’os de ses os. L’union avec le Christ que Calvin a en vue est une union intime comme le mariage. Mais comment pouvons-nous être ainsi unis à lui alors qu’il est au ciel et que nous sommes sur la terre ? Calvin rejette vigoureusement les spéculations du mysticisme qui énonçaient que, par l’union avec le Christ, la nature divine était infusée en l’homme. Un tel mysticisme qui cherche la rédemption en dehors de l’œuvre du médiateur par l’infusion de la nature divine est une fois encore une chimère de l’esprit de l’homme, car alors on cherche finalement hors du médiateur notre salut, dans la nature divine elle-même.

Si l’union avec le Christ n’est pas celle que propose la mystique, alors de quoi s’agit-il ? Calvin nous apprend qu’il s’agit d’une union spirituelle, c’est-à-dire une union créée par le Saint-Esprit. Ainsi, pour Calvin, le Christ

ne s’unit avec nous que par son Esprit, et par la grâce et vertu de cet Esprit il nous fait ses membres pour nous retenir à soi et pour être à son tour possédé de nous7 [7].

Autrement, sans le Saint-Esprit, nous ne pouvons profiter d’aucun des trésors de tous les biens qui sont en Christ : nous ne pouvons pas venir y puiser. A moins d’avoir le don du Saint-Esprit, nous sommes aveugles et sourds, incapables même de vraiment comprendre la Bible. Sans lui, nous ne comprenons pas l’Evangile, nous ne venons pas au Christ. Pourquoi ? Parce que sans l’Esprit, il n’y a pas de foi réelle. C’est pourquoi Calvin peut dire :

Ainsi donc, comme nous avons dit que toute perfection de salut se trouve en Jésus-Christ, aussi lui, afin de nous en faire participants, nous baptise du Saint-Esprit et de feu, nous illuminant en la foi de son Evangile, et nous régénérant, de telle sorte que nous soyons nouvelles créatures8 [8].

L’union avec le Christ est une union spirituelle, par l’Esprit. Le Christ est au ciel, et nous, nous sommes sur la terre, mais l’Esprit œuvre ici-bas pour nous unir au Christ qui est là-haut. La compagnie de ceux qui sont ainsi unis au Christ forme l’Eglise qui est le corps spirituel du Christ. Pour cette raison, le corps du Christ, l’Eglise invisible, n’est pas l’œuvre des hommes mais de Dieu seulement. Pourquoi ? Parce que la foi en Christ qui rassemble les élus est, pour Calvin,

le chef-d’œuvre du Saint-Esprit […] c’est un don céleste et surnaturel, que les élus reçoivent Jésus-Christ par la foi, qui autrement demeureraient adonnés à leur incrédulité9 [9].

Calvin appelle donc le Saint-Esprit « la clef, par laquelle les trésors du royaume des cieux nous sont ouverts »10 [10]. Cette clef, l’homme déchu, idolâtre et rebelle par nature, ne peut la tourner lui-même. C’est Dieu seul qui sauve dans sa grâce, c’est lui qui accorde avec son Esprit la foi aux élus.

En résumé, Dieu, en nous illuminant en la foi par son Esprit, nous greffe au corps du Christ pour nous faire participants de tous ses biens. C’est de cette manière que nous pouvons puiser tous les trésors de tous les biens en Jésus. Cela m’amène à ma dernière question :

III. Que trouvons-nous comme trésors en Jésus ?

Les bienfaits que nous pouvons retirer de notre union avec le Christ sont très nombreux. En voici quelques-uns sur lesquels Calvin met le doigt.

Avant toute autre chose, l’union avec le Christ est ce qui permet la justification par la foi. Sans l’union avec lui, la justification serait impossible. Je cite Calvin :

Or nous exposons que cette justice est telle : c’est que le pécheur, étant reçu en la communion du Christ, est par sa grâce réconcilié avec Dieu, d’autant qu’étant purifié par son sang, il obtient la rémission de ses péchés, et étant vêtu de la justice du Christ, comme de la sienne propre, il peut subsister devant le tribunal de Dieu. Après que la rémission des péchés est mise, les œuvres qui s’ensuivent sont estimées d’ailleurs que de leur mérite. Car tout ce qui y est imparfait est couvert par la perfection du Christ ; tout ce qui y est d’ordures et de taches est nettoyé par sa pureté pour ne point venir en compte11 [11].

La justification est un concept juridique : nous sommes déclarés justes aux yeux de Dieu, parce que nous sommes unis au Christ. Mais il ne s’agit pas là d’une fiction juridique. Au contraire, celui qui est uni au Christ est non seulement déclaré juste, mais à ce moment-là est aussi implantée en lui la semence de la sainteté. Dixit Calvin :

Nous confessons bien, quand Dieu nous réconcilie avec soi par le moyen de la justice de Jésus-Christ, et nous ayant fait la rémission gratuite de nos péchés nous répute pour justes, qu’avec cette miséricorde est conjoint un autre bienfait : c’est que par son Saint-Esprit il habite en nous, par la vertu duquel les concupiscences de notre chair sont de jour en jour plus mortifiées ; et ainsi sommes-nous sanctifiés, c’est-à-dire consacrés à Dieu en vraie pureté de voie, en tant que nos cœurs sont formés en l’obéissance de la Loi, afin que notre principale volonté soit de servir sa volonté, et avancer sa gloire en toutes sortes12 [12].

La conséquence est donc que l’union avec le Christ développe en notre cœur une vraie piété qui consiste, pour Calvin, en la mortification de notre chair et du vieil homme et en la vivification de l’Esprit13 [13].

De cette manière, nous devenons capables de souffrir patiemment dans cette vie, car si nous sommes unis au Christ, lui qui a souffert avant de goûter à la gloire, nous qui ne sommes pas plus grands que le maître, nous devrons suivre le même chemin…

Mais c’est avec une grande espérance que nous le faisons, parce que dans l’union avec le Christ sont scellées les promesses de Dieu, et notamment la promesse que nous sommes devenus enfants de Dieu.

Et cette vie d’espérance n’est pas vécue de façon autonome, dans la solitude, mais dans la communauté de l’Eglise, car c’est au corps du Christ que nous sommes unis par son Esprit.

Il faudrait bien du temps pour développer les thèmes de la justification, de la sanctification, des bonnes œuvres et de la vraie piété, de la patience dans l’épreuve et de l’espérance, de l’assurance du salut et de la vie de l’Eglise qui sont les fruits de l’union avec le Christ. Mais le plus important, c’est de comprendre que nous avons tout en Christ, si nous sommes unis à lui, et que nous ne devons rien chercher ailleurs.

Je laisserai le mot de la fin à Calvin, qui nous présente dans son enseignement sur la cène un résumé de sa doctrine de l’union du croyant avec le Christ. Voici ce qu’il écrit :

Nos âmes peuvent prendre et recueillir de ce sacrement une grande douceur et fruit de confiance ; c’est que nous reconnaissions Jésus-Christ être tellement incorporé en nous, et nous aussi en lui, que tout ce qui est sien, nous le pouvons appeler nôtre et tout ce qui est nôtre, nous le pouvons nommer sien14 [14].

C’est ici que Calvin résume la nature de l’échange que le Christ a entrepris pour nous unir à lui. Ce résumé me servira de conclusion :

C’est l’échange admirable que de sa bonté infinie il a voulu faire avec nous, qu’en recevant notre pauvreté, il nous a transféré ses richesses ; en portant notre débilité sur soi, il nous a confirmés de sa vertu ; en prenant notre mortalité, il a fait son immortalité nôtre ; qu’en recevant le fardeau de nos iniquités, duquel nous étions oppressés, il nous a donné sa justice pour nous appuyer sur elle ; en descendant sur terre, il nous a fait voie au ciel ; en se faisant fils d’homme, il nous a faits enfants de Dieu15 [15].


  1. Institution de la religion chrétienne, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, 1978, II, xvi, 19, p. 281.↩︎ [16]

  2. IRC, I, xi, 8, p. 67.↩︎ [17]

  3. IRC, II, vi, 4, p. 103.↩︎ [18]

  4. IRC, II, vi, 4, p. 103.↩︎ [19]

  5. IRC, III, i, 1, p. 9.↩︎ [20]

  6. Commentaires bibliques sur l’évangile selon Jean, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, 1978, p. 413.↩︎ [21]

  7. IRC, III, i, 3, p. 13.↩︎ [22]

  8. IRC, III, i, 4, p. 14.↩︎ [23]

  9. Ibid., p. 13.↩︎ [24]

  10. Ibid.↩︎ [25]

  11. IRC, III, xvii, 8, p. 277-278.↩︎ [26]

  12. IRC, III, xiv, 9, p. 241.↩︎ [27]

  13. Cf. IRC, III, iii, 5, p. 72-73.↩︎ [28]

  14. IRC, IV, xvii, 2, p. 350.↩︎ [29]

  15. Ibid.↩︎ [30]