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40 ans après

Marie de VÉDRINES[1] [1]

40 ans après, il est juste de le reconnaître : l’acte de foi des promoteurs de la Faculté d’Aix tenait de la sainte folie !

Il me plaît d’autant plus de le reconnaître qu’à l’époque, dans les années 70 du xxe siècle, je faisais partie de ceux qui considéraient leur projet comme totalement déraisonnable.

Dans la région parisienne, où j’habitais depuis plus de dix ans, les Églises réformées unies, que je fréquentais alors, étaient secouées, déconcertées, leurs membres se sentant, le plus souvent, surpris et dépassés par la théologie nouvelle qui tenait alors le haut du pavé… les événements de mai 68 en ayant favorisé la diffusion ecclésiale.

En dépit de signes positifs, bien trop discrets, perceptibles, notamment, à Vaux-sur-Seine et dans les colonnes de la revue Ichthus, la théologie en vogue dans les milieux réformés parisiens, offrait le spectacle d’un dérapage non contrôlé. Aussi affirmer, à haute voix, croire ce que dit formellement Jean 3.16 provoquait-il, de plus en plus souvent, dérision et sarcasmes.

Vous l’avez compris, devant ces constatations, mon moral était plutôt en berne car, à l’évidence, la vague humaniste avait également de la vigueur dans les Églises réformées où elle exerçait une forte séduction… séduction qui, hélas, débordait largement le Quartier latin, la Sorbonne !

Pourtant, me parvenaient du Midi de la France des nouvelles très étonnantes. Certains, quelques-uns et non des moindres, rêvaient, paraît-il, d’ouvrir une nouvelle Faculté de théologie à… Aix-en-Provence ! Projet ahurissant, incompréhensible, du moins pour moi qui suivais, pourtant, d’assez près la vie des Églises réformées évangéliques, celles qui avaient refusé la démarche unitaire en 1938 !

C’est alors qu’Eugène Boyer que je connaissais de réputation – un Américain ayant un pied de chaque côté de l’Atlantique – et Paul Wells, un Anglais surgi, lui aussi, des États-Unis se sont annoncés dans la capitale. Ils venaient pour solliciter le pasteur Pierre Courthial. Ce pasteur de l’ERF, bien connu dans le Midi réformé évangélique, était, en effet, une des pièces maîtresses, déterminantes, du projet aixois. Ces deux messieurs, Boyer et Wells, ont bien voulu, en cette occasion, prendre un moment, le temps d’un repas, pour m’expliquer le projet.

Selon ses promoteurs, la théologie nouvelle – distillée par les théologiens barthiens 2e manière et par leurs disciples, ô combien remuants ! – pouvait et devait être combattue par celle de théologiens s’affirmant, eux, de fidèles héritiers de la Réforme.

En bref, allumer et entretenir un contre feu théologique vigoureux ne pouvait manquer, estimait-on, de redonner de l’espoir à beaucoup dans toutes les Églises réformées, unies ou non, en France.

D’abord, sceptique, pour ne pas dire plus, j’ai tout à coup discerné comme une lumière au bout de la sorte de tunnel dans lequel je cheminais.

Et alors, ce projet aixois m’a plu, m’a réjouie et, même, n’ayons pas peur du mot, enthousiasmée. C’est donc de tout cœur que j’ai accueilli de façon positive et accompagné, tout d’abord de loin géographiquement, la réalisation du projet herculéen qu’a représenté la Maison dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

En repensant à ce qui a été vécu il y a quatre décennies, je me demande si la situation du protestantisme, pour se limiter à lui, n’appelle pas, de nouveau, une action aussi dérangeante que celle qui a été initiée alors.

Dans les années 70, un renouveau évangélique s’est produit dans un paysage religieux post soixante-huitard. Les Facultés de Vaux-sur-Seine (celle-ci dès avant les événements), puis d’Aix-en-Provence ainsi que le Congrès mondial de Lausanne ont éclairé l’actualité de façon positive ; nous en sommes toujours les bénéficiaires, comme en témoigne, aujourd’hui, le récent C.N.E.F. (Conseil National des Évangéliques de France). Pourtant, depuis lors, l’Occident chrétien n’a pas cessé de se renier, d’oublier le fondement sur lequel il s’est construit… Et aujourd’hui, bien des chrétiens – même, je le crains, dans la mouvance évangélique – se refusent à voir l’aiguille de leur boussole, non seulement théologique, mais également et peut-être surtout éthique, s’affoler… rappelant la fameuse grenouille inconsciente que la température de l’eau dans laquelle elle évolue s’élève de façon dangereuse pour sa survie.

Aussi mon vœu et ma prière sont-ils que Dieu fasse la grâce à la Faculté Jean Calvin de contribuer, avec toujours la même fidélité lucide, active et innovante qu’en 1974, à éclairer la route du peuple de Dieu, francophone mais pas seulement, où qu’il se trouve dans le monde.


[1] [2] Marie de Védrines a été membre du Conseil de Faculté de 1974 à 2000, secrétaire académique de 1981 à 1993 et secrétaire de rédaction de La Revue réformée jusqu’en 2014.