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COMMENT PRÊCHER SUR LE CHÂTIMENT ÉTERNEL ?

COMMENT PRÊCHER SUR LE CHÂTIMENT ÉTERNEL ?

 Jean-Philippe BRU*

Saviez-vous que le mot « gêne » vient du mot biblique « géhenne » et a, en vieux français, le sens de « tourment » ? Il est vrai que nous éprouvons une certaine gêne à prêcher sur la géhenne !

Dans un sermon sur les peines éternelles prêché en 1851, Athanase Coquerel, un des pères du libéralisme français, clame sa conviction que le dogme des peines éternelles est sur le point de mourir, faute de défenseurs, comme est déjà mort le dogme de la prédestination.

Il se trompait puisque, un siècle plus tard, Jean Cruvellier continuait d’affirmer qu’« à la base de la prédication de la plupart des prédicateurs évangéliques s’est trouvée la conviction que les pécheurs risquaient la perdition éternelle[1] [1] », et cette doctrine ne manque pas de défenseurs encore aujourd’hui[2] [2].

Mais force est de constater que, même chez les évangéliques, il existe une certaine réticence, pour ne pas dire répugnance, à prêcher sur ce sujet. Déjà, en 1955, Jean Cruvellier observait que « la place faite à l’heure actuelle à un tel sujet par les prédicateurs attachés à la doctrine traditionnelle eux-mêmes est la plupart du temps bien restreinte ; ce qui fait dire aux adversaires que l’on n’ose plus prêcher dans les termes employés par les prédicateurs d’autrefois[3] [3] ».

Je vais donc tenter de montrer :

‒  pourquoi nous sommes si réticents à prêcher sur ce sujet ;

‒  pourquoi il faut malgré tout s’efforcer de le faire ;

‒  comment aborder un tel sujet.

1. Pourquoi sommes-nous si réticents à prêcher sur ce sujet ?

Nous sommes réticents à prêcher sur ce sujet parce que, même si nous sommes convaincus que cette doctrine est biblique, nous serions soulagés si elle ne l’était pas, tant l’idée de châtiment éternel nous est désagréable. Nous ne souhaiterions pas un tel supplice même à notre pire ennemi. Alexandre Vinet traduit bien cette tension lorsqu’il dit que « celui qui réussirait à nous prouver que le salut universel est biblique nous apporterait un immense soulagement ». C’est d’ailleurs une des premières doctrines que ceux qui cessent de croire à la véracité des Ecritures ont tendance à abandonner.

Même le prédicateur qui parvient à surmonter cette tension reste tenté d’éviter d’aborder le sujet, car il sait que son enseignement rencontrera une certaine résistance chez ses auditeurs. Plus il cherchera, par conséquent, à plaire aux hommes, moins il abordera cette question délicate.

2. Pourquoi devrions-nous malgré tout nous efforcer de prêcher sur ce sujet ?

Pour des raisons historiques

Nos prédécesseurs n’ont pas hésité à en parler clairement :

–  Le symbole d’Athanase dit de ceux qui font le mal qu’« ils iront au feu éternel ».

–  La prédication dominicaine était connue pour puiser abondamment dans ce registre.

–  Les réformateurs et les prédicateurs du Réveil étaient moins réticents que nous à parler clairement de ces choses. Un des plus célèbres sermons de Jonathan Edwards s’intitule « Des pécheurs entre les mains d’un Dieu en colère ».

Dieu a utilisé ce genre de sermons pour réveiller les consciences et susciter un des plus grands réveils de l’histoire de l’Eglise au XVIIIe siècle en Nouvelle-Angleterre.

Pour des raisons théologiques

Jean Cruvellier dit, à juste titre : « Supprimez l’enfer éternel et vous ne comprenez plus rien aux autres dogmes, c’est comme une pierre fondamentale que vous enlevez, l’édifice tout entier en est ébranlé[4] [4]. » Une offense faite à un Dieu infini mérite un châtiment éternel, la perpétuité incompressible, assortie d’une période de sûreté sans limite. Limiter la durée de cette peine, ce serait faire offense à la justice de Dieu et ouvrir une autre voie de salut que celle qui passe par le Christ.

Pour des raisons exégétiques

Matthieu 25.46[5] [5] parle très clairement d’un châtiment éternel, même si certains ont tenté de donner à cette expression un sens atténué, celui d’un châtiment subi dans l’au-delà et non ici-bas, mais pas nécessairement éternel. Le parallèle entre le châtiment éternel et la vie éternelle, dans ce verset, ne laisse planer aucun doute quant au sens du terme « éternel » (aiônios). Jésus mentionne également « le feu éternel » au verset 41[6] [6].

John Blanchard estime que 13% des 1870 versets consacrés aux paroles de Jésus concernent le jugement et l’enfer. Il parle davantage de ces sujets que de l’amour[7] [7]. Il se sert de tout le vocabulaire connu de ses auditeurs pour décrire les tourments de l’enfer (la ruine, le feu, le ver, la géhenne, les ténèbres [du dehors]). On retrouve ces termes ainsi que d’autres dans le reste du Nouveau Testament.

Pour des raisons pastorales

Il semble évident que les non-croyants prendront davantage au sérieux l’appel qui leur est adressé si le sort des méchants leur est clairement présenté.

De plus, le fait que ceux qui marchent vers la perdition sont nombreux est un puissant encouragement à l’évangélisation et à la mission.

3. Comment prêcher sur les peines éternelles ?

Ne pas aller au-delà de ce que dit l’Ecriture

Certains prédicateurs d’autrefois se sont laissé aller à des exagérations dantesques, laissant penser que Dieu était vraiment un « bourreau ». Mais l’imagerie biblique est suffisamment riche pour que l’on n’ait pas besoin d’en rajouter.

Ne pas rester en deçà de ce que dit l’Ecriture

C’est la tendance actuelle. Le prédicateur qui choisit lui-même ses textes veillera à ne pas négliger ceux qui abordent cette question. La voie la plus sûre est, sans doute, de prêcher à partir d’un lectionnaire, qui offre généralement une grande diversité de sujets[8] [8], ou à travers un livre biblique, sans omettre les passages qui abordent cette question.

Même armé de ces précautions, la tentation demeure de ne couvrir qu’une partie des données du texte, celles qui rencontreront le moins de résistance chez les auditeurs. Il est important que le prédicateur s’astreigne à rendre compte de toutes les données, y compris celles qui nous dérangent, car « toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice » (2Tm 3.16). C’est ainsi qu’il sera « un ouvrier qui n’a pas à avoir honte, qui dispense avec droiture la parole de la vérité » (2Tm 2.15).


* J.-P. Bru est professeur-coordinateur de théologie pratique à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] [9] J. Cruvellier, « Le châtiment éternel », in Etudes évangéliques, 1955, n° 1-2, 82.

[2] [10] Voir, par exemple, H. Blocher, L’espérance chrétienne, Edifac-Excelsis, 2012, 124-142.

[3] [11] J. Cruvellier, op. cit.

[4] [12] Ibid., 85.

[5] [13] « Et ils s’en iront au châtiment éternel (aiônios). Tandis que les justes entreront dans la vie éternelle. »

[6] [14] « Retirez-vous loin de moi, vous que Dieu a maudits, et allez dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. »

[7] [15] J. Blanchard, Où donc est passé l’enfer ?, Europresse, 1993, 130.

[8] [16] Par exemple, l’avant-dernier dimanche de l’année liturgique a pour thème le jugement dernier.