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Faiblesse et force de la prédication

Faiblesse et force de la prédication

Daniel BERGÈSE*

« Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent (…)
personne ne les arrachera de ma main. »
(Jean 10.27-30 ; Actes 13.14 et 43-48 ; Apocalypse 7.9-17)

 

Cette affirmation du Seigneur arrive peu après la parabole du berger et des brebis, où le Christ, venu pour sauver son peuple, se compare à un berger s’approchant de l’enclos et appelant les brebis qui lui appartiennent. Ses brebis, alors, écoutent sa voix, reconnaissent celle de leur maître et sortent de l’enclos. Ensuite, le berger conduit son troupeau vers les sources d’eau vive et les bons pâturages.

Cette illustration de la manière avec laquelle Dieu vient sauver les hommes, chercher son peuple, est intéressante à plus d’un point de vue :

Mais ce qui m’a frappé tout particulièrement et ce que j’aimerais développer ce matin, c’est la faiblesse apparente des moyens utilisés par le Christ pour opérer ce tri fondamental et amener à lui le peuple qu’il a choisi/que le Père a choisi. « Mes brebis écoutent ma voix (…) et elles me suivent. » C’est tout !

C’est seulement à la voix du maître que s’opère ce tri (ce jugement dans le langage de l’évangile de Jean). Au fond, tout se joue à l’écoute d’une parole… et pas plus.Me vient alors en mémoire ce verset de l’épître de Paul aux Corinthiens : « Il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. »

Quand on compare, par exemple, les moyens extraordinaires que Dieu a utilisés pour sortir son peuple d’Egypte… on est frappé par la différence ! Cette comparaison peut être faite à juste titre car, de part et d’autre, il s’agit de l’intervention de Dieu venant appeler son peuple, afin qu’il sorte d’un lieu où il est en quelque sorte retenu prisonnier (la bergerie/l’Egypte), pour être conduit sur des chemins de liberté, vers un salut, un monde nouveau.

En effet, comme chacun le sait, la Pâque juive préfigure la Pâques chrétienne, cette grande libération, ce grand départ, ce passage vers la vie du monde à venir. Mais d’un côté on a toute une série de miracles fabuleux (les dix plaies) – miracles nécessaires pour casser l’entêtement du pharaon – puis, finalement, le très célèbre retrait de la mer Rouge qui sauve in extremis les Israélites de l’armée égyptienne… Et, de l’autre, on a simplement cette (douce) image du berger se présentant à la porte de l’enclos et appelant son troupeau. Quelle disproportion, n’est-ce pas ? Le Christ compte sur sa seule voix, sur sa seule parole, pour obtenir un résultat semblable à celui de la sortie d’Egypte !

Et encore faut-il ajouter – ce qui d’un point de vue de pure sagesse humaine va encore fragiliser le système – que le Christ ressuscité va laisser le soin à ses disciples de porter sa parole et de faire cet appel en son nom ! Déjà, on pouvait se demander si la voix du Christ allait être entendue au sein des multiples paroles humaines, si elle allait franchir tous les obstacles de la communication ? A combien plus forte raison peut-on émettre des doutes lorsqu’il s’agira de la voix du Christ à travers les disciples !

Et pourtant, nous sommes confrontés à cette tranquille assurance de Jésus : « Mes brebis écoutent ma voix, je les connais, et elles me suivent. » A cette tranquille assurance correspond, dans les faits, un événement tel que celui qui nous est raconté en Actes 13.

En effet, nous avons là un récit qui montre bien, dans une situation donnée, le caractère attractif de la Parole du Seigneur.

Paul et Barnabas arrivent à Antioche de Pisidie, une ville qui n’a jamais encore entendu le moindre bout d’Evangile. Les deux envoyés se rendent immédiatement à la synagogue (Paul, jusque-là, considère que les Juifs ont une priorité pour recevoir l’Evangile), et là, à la synagogue, ils annoncent la grâce de Dieu et le pardon des péchés en Jésus-Christ.Dès le premier sabbat, le message commence à porter du fruit, puisque plusieurs Juifs acceptent/croient à la parole des apôtres. Et, la semaine suivante, grâce sans doute à l’efficacité du « téléphone antiochien », c’est presque toute la population de la ville (majoritairement non juive) qui se trouve rassemblée pour écouter Paul et Barnabas.

C’est extraordinaire ! Il y a déjà là un miracle. Il ne s’agit pas d’une action spectaculaire sur les forces de la nature, mais d’une action dans les cœurs, dans les esprits de cette population. Quelque chose les attire. Alors ils se rassemblent. Tous n’ont pas les mêmes motifs, comme cela peut apparaître dans la suite du texte… Les uns, sans doute, veulent surtout s’informer ; d’autres, aux échos qu’ils ont eus dans la semaine, ont un cœur déjà ouvert ; mais d’autres, c’est certain, viennent pour s’opposer.

Et le tri se fait entre ceux qui rejettent le message de l’Evangile – avec violence ou par indifférence – et ceux qui se convertissent ; ceux qui saisissent à ce moment-là le salut qui leur est proposé. Et, surprise : la plupart ne sont pas Juifs !

Et cela aussi est extraordinaire ! Cela veut dire que l’appel du Christ va franchir les barrières raciales/culturelles, qui d’habitude sont un frein considérable à la communication. Ces hommes de culture grecque et païenne se sentent immédiatement concernés par le discours de ces deux Juifs pétris d’Ancien Testament. Ils comprennent fort bien, et répondent à l’appel du Christ. Cette situation saute aux yeux de Paul, qui en tire une conséquence importante pour son ministère : « Nous irons maintenant vers ceux qui ne sont pas Juifs. »

Et, en ce jour, nous dit encore le livre des Actes : « Tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. » Autrement dit, cette méthode apparemment si fragile, si aléatoire, qu’est la prédication a parfaitement fonctionné ici. « Mes brebis écoutent ma voix, je les connais, et elles me suivent. »

Ainsi, lorsque Jean contemple, dans ses visions apocalyptiques, la multitude de ceux qui ont accueilli le Christ dans leur vie, c’est-à-dire ceux qui ont la robe blanche de la purification et la branche de palmier de la victoire dans les mains… il constate qu’il y a, dans cette foule, des gens originaires de toutes les nations. Cela signifie que cette parole de l’Evangile, porteuse du salut en Jésus-Christ, a parcouru toute la terre, qu’elle a été véhiculée par des centaines, des milliers, de bouches différentes, qu’elle a été exposée à tous les vents des idéologies et des philosophies, et que, parvenue au bout du monde, des siècles et des siècles plus tard, lorsqu’elle a été prononcée… au moment où elle a été prononcée, elle a encore et à nouveau, comme au premier jour, attiré les brebis du Seigneur !

Et ceux qui étaient destinés à la vie éternelle ont été, à leur tour, sauvés, et ils ont rejoint la foule des rachetés.

Voilà donc, à la fin de l’histoire, le résultat de ce travail de l’Evangile dans le monde, travail de la Parole de Dieu. C’est un résultat encore plus spectaculaire que celui qui a suivi la libération d’Egypte : il y avait alors 600 000 Hébreux libérés de l’esclavage… Jean, dans sa vision, avoue que la foule qu’il contemple est tellement immense que personne ne peut s’essayer à la dénombrer !

Ainsi, que ce soit par l’exemple d’Antioche, que ce soit grâce à la vision de l’Apocalypse, nous pouvons (devons) être rassurés et convaincus : cette méthode apparemment si faible que le Christ utilise pour constituer son peuple va parvenir exactement au résultat attendu… et, au bout du chemin, il n’y aura pas de laissé-pour-compte de la communication, c’est-à-dire de perdus qui seraient perdus parce qu’on leur aurait mal expliqué… parce qu’ils n’avaient pas bien compris… parce qu’on ne leur aurait pas parlé au bon moment…

Toutes les brebis du Seigneur entendront l’appel du Maître, reconnaîtront sa voix et hériteront la vie éternelle. Il n’y a pas d’aléatoire. Le salut d’un homme n’est pas lié à une question de qualité de communication ! Ou, peut-être, tout en admettant qu’il faut bien certaines conditions pour que cet appel soit entendu et reçu… il nous faut affirmer, en même temps, que Dieu, dans sa souveraineté, réunira ces conditions, d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, pour chacune des brebis du Seigneur !

C’est bien ce qu’il nous faut comprendre, en effet, lorsque le Christ ajoute : « Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous. » Il est donc bien au-dessus de tous les obstacles circonstanciels qui freineraient l’efficace d’une communication. Là réside d’ailleurs la secrète force du ministère de Jésus lui-même.

Certes, il y avait ses actes, ses miracles, ses signes qui venaient confirmer sa parole… mais n’imaginons pas le souverain berger comme un prestidigitateur qui ferait sortir ses brebis en les fascinant par des prodiges et en les conduisant à la baguette… magique… sur les chemins de la vie !

Cette présentation-là de Jésus et de son autorité ne correspond pas à ce que nous enseignent les évangiles. Jésus n’a jamais compris les miracles autrement que comme des paroles en actes. Et s’il est arrivé, et c’était inévitable, que ces manifestations de puissance suscitent une certaine popularité, Jésus ne s’est jamais fié à ces « suiveurs de miracles » dont il savait pertinemment qu’ils l’abandonneraient aussi vite qu’ils étaient venus vers lui.

… Mais les vraies brebis du Seigneur entendront sa voix… elles sortiront… et rien ne pourra les en empêcher, car le Père veille. Plus même : le Père attire à Jésus tous ceux qui sont destinés à la vie éternelle. Ainsi s’explique la tranquille assurance de notre Seigneur.

Qu’avons-nous pour convaincre le monde de l’excellence de notre foi ? Peu de choses… mais le Seigneur nous a donné sa Parole… alors ayons cette même tranquille assurance : grâce à cette Parole, le Père attirera lui-même ceux qui sont destinés à la vie éternelle.

Amen.


* D. Bergèse est pasteur de l’Union nationale des Eglises Protestantes Réformées Evangéliques de France à Plan-de-Cuques (13). Prédication du dimanche 22 mai 2011 à Montauban.