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Du prix du pardon au don de la paix

Du prix du pardon au don de la paix

Yannick IMBERT *

Introduction

La réconciliation est un thème d’une brûlante actualité. Si nous en doutions encore, voici quelques éléments de réflexion. Pour commencer, même nos outils technologiques ont besoin de « réconciliation ». Des messages s’affichent régulièrement sur les iPhones et autres smartphones synchronisés les uns avec les autres : « réconcilier maintenant ». La réconciliation ! C’est une grande fonctionnalité technologique qui sert à synchroniser, à trouver une harmonie entre deux fichiers corrompus, entre deux listes d’adresses conflictuelles, entre deux fichiers essentiellement différents.

La réconciliation entre les peuples est aussi d’actualité comme en témoignent les commissions de réconciliation qui se forment dans beaucoup de pays à la suite d’affrontements politiques, ethniques et civils. Les rencontres politiques se préoccupent aussi, de plus en plus souvent, de réconciliation et de coopération, comme en témoigne la récente visite du président ivoirien Alassane Ouattara au président de la République française[1] [1]. C fest ainsi que l fancien directeur de rédaction du journal Réforme, Jean-Luc Mouton, vient d fêtre invité, par le gouvernement ivoirien, à se joindre à la Commission vérité et réconciliation dont la nomination traduit l fespoir que soient dépassées les tensions existantes entre les partisans des deux anciens candidats présidentiels. Ces commissions occupent une place d fimportance dans la résolution des conflits ainsi que dans la restauration de la société civile. La réconciliation, dans ces cas, cherche à dépasser les traumatismes, les divisions et à mettre en lumière, en formulant la vérité, les fautes et les abus commis[2] [2].

En théologie chrétienne aussi, la réconciliation est l’un des thèmes, avec la justice et la paix divine, les plus abordés dans les dernières décennies[3] [3]. Dans le monde, les œuvres chrétiennes se préoccupant de « réconciliations » sont nombreuses et s fintéressent à tous les conflits. Qu fils soient ethniques, religieux, sociaux ou autres, ils font tous l fobjet de l faction réconciliatrice de l fEglise, au risque, parfois, que soient confondues réconciliation et acceptation. Peu le connaissent, mais il existe un Cahier de la Réconciliation, publication de la branche française du Mouvement international de la réconciliation[4] [4].

L’importance du thème de la réconciliation suscite cependant une question : de quelle sorte de réconciliation s’agit-il ? La réponse à cette question est plus difficile à formuler qu’il n’y paraît. La réconciliation est-elle uniquement spirituelle ? Est-elle personnelle, communautaire ? Ou bien encore synonyme de réconciliation politique, conditionnée par la résolution politique des conflits ? Au Moyen-Orient, qui nous est si proche à cause de notre histoire biblique, une association affirme, par exemple, qu’œuvrer pour la réconciliation dans cette région demande une totale solidarité avec la société liant toute possibilité de réconciliation à la nature sociopolitique des conflits. D’autres associations œuvrent pour une réconciliation à l’intérieur du corps de Christ, entre chrétiens d’origine palestinienne ou juive.

Quoi qu’il en soit, on ne saurait réduire la réconciliation à son aspect social. En effet, si la réconciliation est tout aussi nécessaire socialement que spirituellement, il est impossiblede disjoindre toute action réconciliatrice de son fondement théologique. C’est ainsi que le thème de la réconciliation a pour origine le tragique de la condition humaine[5] [5]Ce thème occupe une place importante dans la théologie paulinienne, étant donné le contexte missionnaire de l fapôtre[6] [6]Dans ses lettres aux Corinthiens, par exemple, l faccent mis sur la réconciliation, terme à la solennité diplomatique[7] [7], prend une tonalité bien particulière si on se rappelle que la ville, rasée par le général et consul romain Mummius en 146 av. J.-C., a été re -ée, sur décret de Jules César en 44 av. J.-C., afin de se « re-concilier » avec les habitants de la région[8] [8]Même si, dans le langage néotestamentaire, le terme « réconciliation » n fest pas aussi fréquent que celui de justification, il est possible de dire que ce faible emploi est inversement proportionnel à l fimportance qu fil revêt[9] [9]La « réconciliation » est un thème si discuté dans les études pauliniennes qu fun auteur constate qu fétant donné la complexité du langage de la réconciliation ce thème est presque devenu le sujet d fune science à part[10] [10]

Ce thème est également important dans la littérature intertestamentaire. Howard Marshall a montré que le terme katallage est utilisé, dans certains passages deutérocanoniques, comme en 2 Macchabées 8.29[11] [11], pour désigner la réconciliation de Dieu avec son peuple ; il en est de même dans l futilisation qu fen font Philon d fAlexandrie ou l fhistorien Josèphe[12] [12]. Le thème de la réconciliation semble donc bien être incontournable, dans les contextes à la fois sociopolitique, religieux et biblique. En théologie chrétienne, il convient de ne pas se tromper sur la nature de la réconciliation. Deux écueils, en particulier, sont à éviter.

Deux écueils

Dans Le Diable boiteux, du romancier français Alain-René Lesage, le héros est transporté de toit en toit  par le Satan afin d’observer ce qui se passe dans chaque demeure de la ville. L’infortuné héros expose son aversion pour l’un de ses congénères et il en donne la raison : « On nous réconcilia ; nous nous embrassâmes et, depuis ce temps-là, nous sommes ennemis mortels[13] [13]. » De fait, une réconciliation superficielle peut avoir comme conséquence exactement l finverse de ce qui était espéré. A la différence d fune relation restaurée, réparée, d fune harmonie suscitée par la grâce divine, la réconciliation à bon marché peut n fêtre qu fune parodie de la paix essentielle à une vraie réconciliation.

Le premier écueil

Dans les textes bibliques, surtout néotestamentaires, la réconciliation est intimement liée à la rédemption. Aussi est-il facile de les assimiler trop rapidement. Etre réconcilié avec Dieu, n’est-ce pas en fin de compte être sauvé par lui ? Question légitime, surtout au regard de passages comme Colossiens 1.19-20 :

Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix.

Dans ces deux versets, il semble bien en effet que l’apôtre lie étroitement réconciliation et rédemption. Cela fait dire au théologien allemand Albrecht Ritschl que l’expression « Dieu nous a réconciliés » signifie que Dieu a changé notre disposition et que nous devenons ainsi capables d’aimer Dieu et de lui être agréables[14] [14]. Pourtant, réconciliation et pardon ne sont pas identiques. Comme le résume parfaitement Henri Blocher,

réconcilier n’a pas (en Col 1 ) le sens de sauver et pardonner, mais de restaurer l’ordre où chacun a sa place selon la justice et la sagesse divine, de rétablir l’harmonie et dans l’harmonie, pour toutes les créatures (y compris les puissances et dominations célestes), de pacifier le territoire où la révolte a fait ses ravages[15] [15].

Les versets 21 et suivants du premier chapitre de l’épître aux Colossiens explicitent abondamment ce point :

Quant à vous qui étiez autrefois étrangers et ennemis, dans votre façon de penser et par vos œuvres mauvaises, il vous a maintenant réconciliés, par la mort, dans son corps de chair, pour vous faire paraître devant lui saints, sans défaut et sans reproche ; si vraiment vous demeurez, dans la foi, fondés et fermement établis, sans vous laisser emporter loin de l’espérance de la bonne nouvelle que vous avez entendue, qui a été proclamée à toute création sous le ciel et dont moi, Paul, je suis devenu ministre.

La réconciliation n’est pas ici premièrement suscitée par la rédemption, le rachat des fautes, mais par la restauration de la communion : d’ennemis et d’étrangers, Dieu a fait de nous, par l’intermédiaire de la rédemption – c’est-à-dire, comme le rappelle si bien Calvin, par le Médiateur – de nouvelles créatures, réconciliées[16] [16]. Il est même possible de lier plus étroitement « réconciliation » et « adoption », comme le langage de Romains 8 nous y invite. Un exégète anglican dit avec emphase : « Nulle part dans le Nouveau Testament nous ne trouvons de phrase plus profonde[17] [17]. »

Afin de nous garder de confondre « réconciliation » et « rédemption », et ainsi de réduire cette réconciliation à sa plus simple expression, il convient de bien distinguer les bénéfices de la rédemption de son rôle[18] [18]. A noter, ici, que pour un théologien comme le Néerlandais Herman Bavinck, la réconciliation n fest pas un fruit de l fœuvre de rédemption mais bien l finverse : c fest la rédemption qui est un fruit de la réconciliation acquise par Christ[19] [19]. Si nous suivons Bavinck, nous pouvons aller jusqu fà affirmer que l fœuvre du Médiateur est résumée autant par le terme « réconciliation » que par celui de rédemption.

Le second écueil

Un second écueil consiste à  supposer que, puisque rédemption et réconciliation sont distinctes, il est possible de penser l’une sans vivre l’autre. C’est là une erreur, car il est tout aussi impossible de penser la rédemption sans vivre la réconciliation que de penser la réconciliation sans vivre pleinement la rédemption. Pourtant, l’exhortation de Paul, en 2 Corinthiens 5.20-21, pourrait bien être lue dans cette perspective :

Nous sommes donc ambassadeurs pour le Christ ; c’est Dieu qui encourage par notre entremise ; au nom du Christ, nous supplions : Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait pour nous péché, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu.

A première vue, ce texte indique qu’il serait possible de vivre la rédemption offerte en Christ sans ressentir nécessairement le bénéfice de la réconciliation, sinon Paul n’appellerait pas les Corinthiens à être réconciliés avec Dieu ! Mais, une fois de plus, cette lecture serait superficielle et ferait abstraction de l’intégralité du chapitre 5 de cette même épître, notamment des versets précédents, 16 à 19 :

Ainsi, nous, dès maintenant, nous ne connaissons personne selon la chair ; même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière. Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle. Ce qui est ancien est passé : il y a là du nouveau. Et tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. Car Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui-même, sans tenir compte aux humains de leurs fautes, et mettant en nous la parole de la réconciliation.

Il n’y a nul doute que l’appel, l’exhortation vibrante que Paul adresse aux Corinthiens s’explique aussi par le contexte particulier de cet appel[20] [20]. Paul face aux Corinthiens, c fest une histoire pastorale de réconciliation. Dans l fexhortation que Paul adresse aux Corinthiens  d f« être réconciliés », il faut voir aussi un appel à comprendre et à vivre pleinement la rédemption et la réconciliation en Christ et à être réconciliés avec lui-même[21] [21]. Si Paul en appelle ainsi aux Corinthiens, c fest précisément parce qu fil estime impossible qu fils aient pu comprendre toute la portée du kerygme évangélique sans être réconciliés avec Dieu et, par conséquent, sans vivre la réconciliation les uns avec les autres.

Une réconciliation conditionnelle ?

« Soyez réconciliés ! » exhorte l’apôtre Paul. Mais à quel prix ? A quelle condition ? Si une condition est liée à la réconciliation, quelles en sont les modalités ? C’est la première et grande question à se poser. En effet, si la rédemption et la réconciliation sont inextricablement liées, quelles conséquences ce lien a-t-il sur la réception et la pratique du pardon ? La rédemption a comme constituant central le pardon de l’homme pécheur, dans sa nature autant que dans ses actes. Faut-il alors considérer que ce pardon d’une ou de plusieurs offenses est en soi le « prix » de la réconciliation ? Autrement dit, le pardon, comme la réconciliation, sont-ils conditionnels ? Pour le philosophe Jacques Derrida, le pardon doit être absolument et entièrement inconditionnel :

Imaginez donc que je pardonne à la condition que le coupable se repente, s’amende, demande pardon et donc soit changé par un nouvel engagement, et que dès lors il ne soit plus tout à fait le même que celui qui s’est rendu coupable. Dans ce cas, peut-on encore parler d’un pardon ? Ce serait trop facile, des deux côtés : on pardonnerait un autre que le coupable même. Pour qu’il y ait pardon, ne faut-il pas au contraire pardonner et la faute et le coupable en tant que tels, là où l’une et l’autre demeurent, aussi irréversiblement que le mal, comme le mal même, et seraient encore capables de se répéter, « impardonnablement », sans transformation, sans amélioration, sans repentir ni promesse ?[22] [22]

Dans ces quelques lignes, Derrida s’exprime sans aucune ambiguïté sur la question de la conditionnalité du pardon et de la réconciliation : il n’y a pas de conditions. Dans cette optique : le pardon n’attend rien, ne demande rien à l’image de l’amour dans le chapitre bien connu de 1 Corinthiens 13. Notre pardon doit être tout aussi inconditionnellement extraordinaire et inattendu que celui que Dieu offre avec libéralité alors que nous « étions ennemis » (Rm 5.10). Tel est le pardon dans sa pureté, car si l’on pardonne seulement en vue d’une réconciliation, commente Derrida, le pardon n’est pas pur, il n’est pas vraiment don. Cependant, cette radicalité de Derrida doit être re-équilibrée par une exigeante approche biblique de la nature du pardon et de la manière dont il est « donné », comme l’ont montré de sérieuses exégèses portant sur ce terme.

En contraste avec cette première perspective existe celle qui considère que le pardon est toujours conditionnel comme la réconciliation. A ce sujet, il convient de citer, en référence toujours actuelle, le livre de Jacques Buchhold, Le pardon et l’oubli, qui montre de façon convaincante que l’acte du pardon est conditionné par la confession et la repentance de l’offenseur[23] [23]. Comme le résume, au XVIe siècle, le théologien luthérien Musculus :

La réconciliation ne peut avoir lieu sans la volonté des deux parties mais elle exige leur assentiment et leur consentement. Du point de vue de Dieu, notre réconciliation est accomplie (perfecta) dans la mort du Christ médiateur, mais en ce qui nous concerne, elle ne l’est pas encore à moins de nous soumettre sincèrement à ses exigences (conditionibus) pour que nous puissions la recevoir (capaces). Ces exigences sont la repentance et la foi en Christ[24] [24].

Ce que souligne Musculus est d’une importance capitale. Ce qu’il dit au sujet du pardon divin est tout aussi important dans la pratique du pardon humain. Pour bien le comprendre, il convient de s’arrêter sur une importante distinction, présente dans le livre de Paul Wells Du Notre Père à nos prières[25] [25]: la disposition à pardonner – attitude de changement, de transformation, voire de repentance de la part de l foffensé – et l facte même du pardon que tous ou presque s faccordent à définir comme un acte dirigé de l foffensé vers l foffenseur, visant à « passer au-dessus » de la faute confessée. C fest, à ce moment précis, que l foffensé porte dans son cœur les prémices de la réconciliation qui ne demande qu fà s fépanouir.

D’autres personnes ont voulu compléter cette perspective équilibrée en précisant que le pardon n’a pas premièrement comme objet l’offense mais l’offenseur[26] [26]. Ainsi le pardon n fest pas un « oubli » de l facte commis, mais une démarche, une déclaration, allant de l foffensé vers l foffenseur, acte qui signale que la faute n fest plus inscrite au débit de l foffenseur. Là où il y a oubli, le pardon est inutile. L factualité du pardon est toujours, dans le temps présent, une manifestation visible de la grâce. Cet acte qui, verbalement et spirituellement, « passe au-dessus » du péché, ne le considère plus comme un débit, dépend dans une large mesure de la confession de la faute. Ainsi la réconciliation ne consiste pas à « faire semblant » que rien ne s fest passé[27] [27].

Le fait que l’offensé accorde le pardon est capital, comme le note Gérard Courtois, professeur en anthropologie du droit[28] [28]. Dans le cadre de la communion fraternelle, il est même possible de distinguer le pardon de toutes les fautes, déjà acquis par Christ – y compris le pardon des fautes non confessées – de l facte même du pardon qui est tout aussi nécessaire. C.S. Lewis souligne bien que Dieu seul peut pardonner l facte même, c fest-à-dire qu fil a la capacité de « passer au-dessus » du péché. Prenant l fexemple de Christ, il rappelle que

[Jésus] affirma aux contrevenants que leurs péchés étaient pardonnés, mais sans jamais consulter ceux qui avaient été lésés. Il se conduisait sans la moindre hésitation comme s’il était concerné au premier chef, la personne principalement visée par toutes les offenses[29] [29].

Jésus pardonne donc, mais il pardonne à un homme qui n’a pas confessé ou fait acte de repentance pour les fautes commises. Jésus se comporte comme si lui-même était le premier offensé par la faute commise, et non la personne offensée, montrant ainsi que notre pardon n’est jamais ce qui, à proprement parler, « couvre » le péché. Notre acte de pardon est, plutôt, l’expression de la disposition de notre cœur – l’offenseur ayant reconnu sa faute – à ne plus rappeler l’acte en question pour accuser celui qui nous a offensés.

Cependant, il ne faudrait pas tirer de l’exemple du pardon accordé par le Christ dans les évangiles la règle d’une amnistie automatique pour les offenses que nous commettons les uns envers les autres. Le pardon acquis pour nous par le Christ nous rappelle l’amour et la grâce de Dieu et constitue, pour nous, un archétype du pardon. Nous comprenons ainsi que la faute de mon frère, repentant ou non, étant déjà couverte en Christ, je peux, moi aussi, pardonner. Ainsi le pardon acquis en et par Christ n’exclut ni l’acte de repentance, ni celui du pardon. Ainsi le pardon ouvre sur un à-venir : la réconciliation finale. 

Du pardon à la réconciliation

Après avoir rappelé ce qui fonde la réconciliation, nous allons évoquer quelques étapes nécessaires vers la réconciliation, en indiquant, chemin faisant, ce que la vraie réconciliation n’est pas.

Premièrement, le cheminement vers la réconciliation commence par la double étape de la confession et de la repentance de l’offenseur et, du côté de l’offensé, par une disposition, suscitée par l’Esprit de sanctification, à pardonner, ce qui, nous l’avons vu, peut parfois se confondre subjectivement chez l’offensé avec l’acte du pardon. Confession et disposition à pardonner, repentance et déclaration du pardon de la faute : tels sont les deux premiers éléments de la réconciliation.

Il serait facile de brûler les étapes et de prétendre que le pardon est déjà une réconciliation engagée. En réalité, la réconciliation elle-même n’a pas encore commencé. Si le processus de pardon a été correctement suivi par les deux parties ou par celui/ceux qui les accompagne/nt, l’offenseur et l’offensé auront déjà commencé à entrevoir l’importance de la compréhension mutuelle dans cette « conversion », ce retournement de leurs positions. Derrida, que nous avons déjà mentionné, soutient par exemple : « Même si je dis ‹je ne te pardonne pas› à quelqu’un qui me demande pardon, mais que je le comprenne et qu’il me comprenne, un processus de réconciliation a alors commencé, le tiers est intervenu[30] [30].Rien n fest plus dramatique qu fune telle gestion des conflits dans l fEglise, rien de plus superficiel qu fune réconciliation sans pardon. Etre réconcilié est bien plus que simplement comprendre les motivations de l fautre. La réconciliation commence par le pardon, car le fondement de la réconciliation, c fest que la faute n fest plus inscrite au débit. Si la faute est toujours présente, mise de côté par l foffensé qui la rappellera à la moindre occasion, il est impossible de parler d fune vraie réconciliation. Plus encore, l fabsence de pardon peut être dramatique pour l foffensé lui-même, comme l fa indiqué Thomas Chalmers avec beaucoup de lucidité lorsqu fil dit : « L fabsence de pardon est le poison que nous buvons, dans l fespoir que quelqu fun d fautre en mourra[31] [31]. »Il est aisé de passer de l fexpression « nous sommes réconciliés » à l fexpression « nous sommes ennemis mortels » tant que la faute n fest pas « remise ». Il ne faut pas oublier que la faute pardonnée n fest pas oubliée : elle est remise.

En effet, la réconciliation commence, à l’exemple de celle que Dieu a accordée à son peuple, par l’élimination des obstacles qui l’empêchaient. En ce sens, la réconciliation est intimement liée à la notion de « propitiation », ce qui explique que, pour la théologie réformée, la propitiation soit le fondement « conceptuel » de l’idée paulinienne de réconciliation. Le premier pas vers la réconciliation consiste à « rendre propice » l’offensé et ainsi à supprimer la cause de l’inimitié. Par le pardon accordé, ce premier pas est franchi : offenseur et offensé peuvent désormais évaluer plus objectivement les priorités à fixer dans le processus de réconciliation[32] [32].

La faute n’étant plus comptée comme débit – la compréhension mutuelle de l’offensé et de l’offenseur est devenue la base nécessaire de la restauration à venir –, le processus de réconciliation en arrive à une seconde étape qui vient sceller la démarche entreprise : celle de la réparation qui aboutit à la restauration[33] [33]. Certains pourraient demander pourquoi, s fil y a eu pardon, la « réparation » serait nécessaire : ne serait-ce pas tomber dans une théologie des œuvres pour laquelle ne sont réconciliés que ceux qui œuvrent pour cette réconciliation ? La réconciliation, objectera-t-on, n fest-elle pas pure grâce ? En réalité, c fest tout l finverse que le processus biblique de la réconciliation présente. Répétons-le, il ne faut pas confondre pardon et réconciliation : si le pardon ne se monnaie pas, la réconciliation entre offenseur et offensé a un prix. La grâce est celle du pardon vécu comme une promesse permanente. Une réconciliation qui n finclurait aucune réparation se résumerait, pour reprendre les mots du missiologue David Bosch, à un « replâtrage superficiel appliqué à des divergences profondes » ; ce serait dramatiquement dissocier foi et justice[34] [34]

[35] [35]omme l findiquent la plupart des auteurs traitant de la réconciliation, celle-ci est liée à la « justice réparatrice[36] [36] ». Si le pardon, en tant qu facte, va de l foffensé vers l foffenseur, la réparation à l finverse va de l foffenseur vers l foffensé.

Dans l’acte de réparation fraternel[37] [37], les deux parties découvrent que la vraie réconciliation a souvent une dimension sacrificielle car, comme le souligne Augustin, le sacrifice a toujours une dominante conciliatrice[38] [38]. Pour l foffenseur, de toute évidence, ce fait est le plus manifeste. Quant à l foffensé, il est conduit à re-évaluer, à la lumière du pardon et de la compréhension fraternelle maintenant obtenus, les conditions de la réparation demandée. Telle est la dimension de la grâce au sein de la réconciliation : l foffensé a la liberté de la demander ou non. D fabord le pardon, ensuite la paix et la guérison, tel est le chemin de la réconciliation dans le Corps de Christ. Le pardon suppose la réparation qui, elle-même, ouvre la porte à une restauration morale, spirituelle, voire financière.

Conclusion : réconciliés pour la paix

L’objectif de la réconciliation, initiée par le pardon, est la paix. L’offensé ne revenant plus sur la faute, ne l’utilisant plus comme une « arme de culpabilisation massive » et l’offenseur ayant entrepris la nécessaire réparation – morale, physique, financière, ou autre – , telle est la dernière étape de la réconciliation qui parachève le processus fraternel de restauration complète de la communion[39] [39]. Jean Calvin, pour sa part, indique

[qu’] en ce qui concerne la réparation des offenses et la réconciliation avec le prochain, la méthode est différente. Bien que cela tende aussi à apaiser les consciences, le but principal est le rétablissement de la paix dans les cœurs, après la résolution d’un conflit (Ephésiens 4.3)[40] [40].

Avec raison, Calvin souligne ainsi que la paix peut difficilement être séparée de la rédemption et, donc, de la réconciliation. La paix est, dans cette perspective, le résumé et l’anticipation de la plénitude de la réconciliation à venir dans le royaume de Dieu. La paix et la réconciliation actualisées sont  annonciatrices d’une eschatologie glorieuse déjà commencée, déjà réalisée. Aussi Jean Jaurès avait-il bien tort lorsqu’il concluait : « La paix n’est qu’une forme, un aspect de la guerre : la guerre n’est qu’une forme, un aspect de la paix. Il ne faut pas opposer l’une à l’autre ; ce qui lutte aujourd’hui est le commencement de la réconciliation de demain[41] [41]. »La paix n fest pas une autre forme de la guerre. La paix est plénitude du royaume de Dieu, plénitude de la réconciliation[42] [42].

L’importance de la paix dans le cadre de la réconciliation évangélique est  immense. La conjonction entre langage de paix et celui de réconciliation est constante dans la littérature paulinienne (cf. Rm 16-20), comme elle l’est déjà dans la littérature prophétique – particulièrement dans le livre d’Esaïe (cf. Es 52.7, 61.1-2). Cependant, cerner avec précision la signification du terme « paix » demeure complexe et va bien au-delà de la signification que nous lui donnons en français[43] [43]. Considérée comme l fobjectif du pardon, la paix ne peut pas simplement être réduite à la fin de l finimitié entre offensé et offenseur.

De plus, l’absence de conceptualisation ou de définition abstraite de la paix est une grande difficulté[44] [44]. Deux emphases émergent de la diversité sémantique du terme « paix » : la plénitude et l fharmonie communautaire[45] [45] La paix, la shalom, de Dieu est la plénitude d fharmonie communautaire qui régnera dans le royaume à venir et qui caractérise déjà le Corps de Christ. La paix, conséquence finale de la réconciliation, a trois dimensions : personnelle, interpersonnelle (entre personnes) et intercommunautaire (entre groupes ou communautés de tous types). Leur point commun est que toutes nécessitent la réconciliation avec Dieu ou avec le prochain.

La réconciliation n’est donc pas l’un des nombreux accessoires d’une panoplie chrétienne modulable à souhait. Au sein de la communauté de foi, elle est une démonstration visible de conformité à l’image de Christ, Médiateur et réconciliateur de Dieu avec les hommes, dont nous avons à être les ambassadeurs[46] [46].


* Y. Imbert est professeur d’apologétique et d’histoire à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] [47] « France-Côte d’Ivoire : Ouattara et Sarkozy signent le retour de la Françafrique », Le Point, 27 janvier 2012, publié en ligne .

[2] [48] En ce sens, le travail de réconciliation apparaît donc premièrement comme un dévoilement de la gravité des actes ayant été perpétrés. A. Martin, La mémoire et le pardon : les commissions de la vérité et de la réconciliation en Amérique latine, Paris, L’Harmattan, 2009, 26.

[3] [49] Arthur Pink note cependant que ce thème avait été longtemps négligé et fait l’objet de nombreuses erreurs d’interprétation, notamment concernant le sujet de la réconciliation. A. Pink, The Doctrine of Reconciliation, Jay P. Green, 2006, 2.

[4] [50] Mouvement international de la réconciliation, http://www.mirfrance.org/, accédé le 5 juin 2012.

[5] [51] Ralph Martin commente : « Dès que nous concédons au moins la possibilité que dans la tradition paulinienne le concept de réconciliation a joué un rôle substantiel – supposée la compréhension que Paul a de la condition humaine comme désordre cosmique  et aliénation humaine résultant de l’inimitié avec Dieu conduisant à la peur de la mort et l’aliénation sociale – alors il est possible de construire une trajectoire expliquant le développement paulinien. » R.P. Martin, Reconciliation : A Study of Paul’s Theology, John Knox Press, 1981, 80-81.

[6] [52] « La justification acquitte le pécheur de la culpabilité de ses péchés ; la réconciliation rétablit la communion entre l’homme justifié et Dieu. Si Paul n’a pas consacré beaucoup de place à cette seconde doctrine, elle n’en joue pas moins un rôle essentiel dans l’ensemble de sa théologie et dans l’articulation de sa réflexion. » G.E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament, Cléon d’Andran, Excelsis, 1999, 495.

[7] [53] S. Kim, « The Origin of Paul’s Concept of Reconciliation », in R.N. Longenecker, ed., Road to Damascus. The Impact of Paul’s Conversion on his Life, Thought, and Ministry, Grand Rapids, Eerdmans, 1997,  102-124, 104.

[8] [54] Voir D.W. Engels, Roman Corinth : An Alternative Model for the Classical City, Chicago, University of Chicago Press, 1990, 16 ss. Concernant l’arrière-plan corinthien des épîtres pauliniennes, on lira avec profit J. Murphy-o’Connor, St. Paul’s Corinth : Text and Archaeology, Liturgical Press, 2002, ainsi que l’introduction de B. Witherington III, Conflict and Community in Corinth : A Socio-Rhetorical Commentary on 1 and 2 Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 1995, 1-34.

[9] [55] Sœur Anne-Etienne « Réconciliation. Un aspect de la théologie paulinienne », Foi et Vie, LXXXIV, 1-2, 1985, 49-57.

[10] [56] C. Stenschke, « The Death of Jesus and the New Testament Doctrine of Reconciliation in Recent Discussion », European Journal of Theology, IX, 2000, 131-158, 132.

[11] [57] « Après le sabbat, ils distribuèrent une part du butin aux victimes de la persécution, aux veuves et aux orphelins, et partagèrent le reste entre eux et leurs enfants. Ayant disposé ainsi du butin, ils firent une supplication commune, priant le Seigneur miséricordieux de se réconcilier entièrement avec ses serviteurs. » Traduction œcuménique de la Bible. 

[12] [58] H. Marshall, « The Meaning of Reconciliation », in R. Guelich, ed., Unity and Diversity in New Testament Theology : Essays in Honor of G.E. Ladd, Grand Rapids : Eerdmans, 1978, 117-132. Un complément utile à cette discussion de Marshall est, du même auteur, « A New Understanding of the Present and the Future : Paul and Eschatology », in Longenecker, Road to Damascus, 43-61.

[13] [59] A.-R. Lesage, Le Diable boiteux, vol. 1, Paris, Bureaux de la Publication, 1870, 26. Les deux tentateurs se battaient afin de déterminer l’avenir d’un jeune homme.

[14] [60] Si Ritschl lie étroitement réconciliation et disposition du cœur, il a été tenté de séparer « justification » et « réconciliation » et de rendre la deuxième contingente de la première, c’est-à-dire non nécessaire. Ritschl conclut, par la suite, à une présence subjective de la réconciliation dans la conscience personnelle, la déconnectant ainsi de la réalité historique de la réconciliation par la mort de Christ. Ritschl nota, cependant, avec justesse que la réconciliation chez Paul n’avait pas comme seul objectif la justification de l’homme mais qu’elle embrassait une dimension cosmique. Voir aussi C.E. Gunton, The Theology of Reconciliation, London, T&T Clark, 2003, 26-31.

Contre la dissociation histoire-conscience, John Murray souligne l’importance objective, pour notre réconciliation, de l’accomplissement historique de celle-ci par la mort de Christ : « Présenté en termes exégétiques, cela signifie que les passages dans lesquels la mort de Christ est clairement une œuvre de réconciliation, en tant qu’événement accompli et historique, les auditeurs sont considérés comme étant les bénéficiaires de cette réconciliation. En d’autres termes, ils sont vus comme ayant reçu la réconciliation, comme étant possesseurs de la réconciliation et comme étant scellés par la réconciliation. » J. Murray, « Reconciliation », Westminster Theological Journal 29/1 (novembre 1966),  21.

[15] [61] H. Blocher, « Les peines éternelles », La Revue réformée 206 (janvier 2000), 21-38, 29.

Paraphrase de F.F. Bruce, The Epistles to the Colossians, to Philemon, and to the Ephesians, Grand Rapids, Eerdmans, 1984, 76.

[16] [62] J. Calvin, Commentaires bibliques. Epîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Aix-en-Provence, Kerygma, 1978, 335.

[17] [63] P.E. Hughes, Paul’s Second Epistle to the Corinthians, Londres, Marshall, Morgan & Scott, 1962, 211. Un autre auteur remarque que, dans cette réconciliation, Dieu n’est jamais l’objet de la réconciliation et que, par conséquent, « nous ne lisons jamais que Dieu a été réconcilié ». J. Denney, The Death of Christ, London, The Tyndale Press, 1952, 85. Si l’observation de Denney est acceptable dans le contexte de l’épître aux Colossiens (voir aussi M.J. Harris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 2005, 440-441), la négation ne peut pas s’étendre à une affirmation systématique.

[18] [64] « La justification est le verdict par lequel Dieu acquitte le pécheur. Elle entraîne la réconciliation qui rétablit la communion entre eux. La justification, condition éthique de la réconciliation, est un don conférant au pécheur le seul statut qui lui permette de se réintégrer dans la communion avec Dieu. Une fois rétablie, cette relation donne lieu à des conséquences merveilleuses et, avant tout, à la paix avec Dieu. » G.E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament, 500.

[19] [65] Les bénéfices de la réconciliation, pour Bavinck, sont juridiques, incluant le pardon (Mc 14.24 ; Hé 9.22), la justification (Rm 3.24 ; 1Co 1.30), l’adoption (Gal 3.26, 4.5-6) ; la relation mystique (crucifié et ressuscité en Christ) ; éthiques (régénération, cf. Jn 1.12-13 ; 1Co 1.30,  6.11 ; 1P 1.2 ; 1Th 5.23) ; moraux (l’imitation de Christ, cf. Mt 10.38 ; 2Co 8.9 ; Ph 2.5) ; économiques (accomplissement en plénitude de l’Ancien Testament) ; et physiques (victoire sur la mort, cf. 2Tm 1.10). Bavinck, Reformed Dogmatics, vol. 3, Grand Rapids, Baker, 2006, 451.

[20] [66] L’exégèse attentive de ces versets indique, elle aussi, que cet appel à la réconciliation se situe plus dans l’ordre de l’exhortation que dans l’ordre de la prescription. Cette « plaidoirie » de l’apôtre ‒ « soyez réconciliés ! » ‒ résonne comme un ferme encouragement, mais aussi comme une demande de persévérance, soulignant la nécessité de vivre le plein accomplissement de cette réconciliation (Ridderbos, Paul, 255). De plus, comme le rappelle Martin dans son commentaire, l’insistance et la répétition font de cet appel paulinien un réel rappel à l’ordre. D’autres, et c’est la conclusion de Martin, ont vu dans la structure de ces versets un semblant de confession (versets 18 à 21). R.P. Martin, 2 Corinthians, Waco, Word Books Publisher, 1986, 138-140. Ernst Käsemann voit plutôt en 2Co 5.18-21 un fragment hymnologique prépaulinien et non un élément confessionnel (cité par Martin, The Theology of Reconciliation, 94-95).

[21] [67] « Le mécanisme de la réconciliation sous-entend l’activité d’intermédiaires ; dans leur refus de Paul, l’ambassadeur de Dieu et du Christ, les Corinthiens portent atteinte à leur propre rapport avec Dieu. » P. Jones, La deuxième épître de Paul aux Corinthiens, Edifac, Vaux-sur-Seine, Editions de la Faculté libre de théologie évangélique, 1992, p. 115.

[22] [68] J. Derrida, « Le siècle et le pardon », Le Monde des débats, décembre 1999, , accédé le 5 juin 2012.

[23] [69] 

[24] [70] Cité de Musculus, Loci communes in D. Wright, « The Atonement in Reformation Theology », European Journal of Theology 8/1 (1999), 37-48, 43. Louis Schweitzer ajoute : « La vraie réconciliation avec Dieu suppose la repentance. De même une vraie réconciliation entre des hommes suppose la reconnaissance de la faute et le pardon. Mais, dans les situations de ce monde, la faute est rarement exclusivement d’un côté. » L. Schweitzer, « Artisans de réconciliation », Cahiers de l’Ecole pastorale 32 (juin 1999), 3-10, 9.

[25] [71] 

[26] [72] Le théologien puritain John Owen note : « Les péchés ne peuvent être l’objet immédiat de la réconciliation ; mais est réconcilié celui seul qui a été offensé par ces fautes et par lequel, grâce à cette réconciliation, les fautes sont pardonnées et le pécheur acquitté. » J. Owen, An Exposition of the Epistle to the Hebrews, vol. 2, Edinburgh, Ogle, 1812, 151.

[27] [73] P. Wells, Du Notre Père à nos prières, op. cit., 110.

[28] [74] Gérard Courtois indique bien à propos : « Le pardon a deux présupposés. Le premier est que le sujet n’est pas tout entier dans son acte. Sa capacité d’agir n’est pas épuisée par l’acte terrible qu’il a pu perpétrer. Le pardon ne porte pas sur l’acte, mais sur le sujet qu’il délie de ce qu’il a commis pour lui permettre de s’engager vers les autres possibles qu’il porte en lui. Le deuxième présupposé est qu’une zone d’ombre entoure tout acte humain. Jésus, dans cette voie, disait : ‹Pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font.› Le ‹pardonneur› est celui qui a contrebalancé sa colère par une pensée de la finitude de tout sujet et il pardonne au nom de cette fragilité qui lui est commune avec son agresseur. » Droit et cultures 50 (2005), , consulté le 1er juin 2012.

[29] [75] C.S. Lewis, Fondements du christianisme, Guebwiller, Ligue pour la Lecture de la Bible, 1979, 65.

[30] [76] J. Derrida, « Le siècle et le pardon », art. cit.

[31] [77] T. Chalmers, The Selected Works of Thomas Chalmers, vol. 3, New York, Robert Carter & Bros., 1850, 402. Chalmers reprend ici un thème classique de la théologie chrétienne : l’hypocrisie comme poison de l’âme.

[32] [78] En ce sens, les priorités établies annoncent une restauration eschatologique de l’offenseur et de l’offensé. Le théologien hollandais Herman Ridderbos souligne : « La réconciliation constitue le fondement de la nouvelle création, de ce constat que ce qui est vieux est passé et ce qui est nouveau est arrivé (2Co 5.17, 18)… » H. Ridderbos, Paul. An Outline of his Theology, Grand Rapids, Eerdmans, 1975, 183.

[33] [79] Par contraste avec la position de Buchhold, nous dirions que l’« oubli » de la faute est plus proche de l’acte du pardon que de la réconciliation. J. Buchhold, Le pardon et l’oubli, op. cit., 242.

[34] [80] D. Bosch, « Processus de réconciliation : douze thèses sur les exigences de l’obéissance », Perspectives missionnaires 18 (1989), 19-37, 21.

[35] [81] Il est utile de rappeler, par exemple, que la justice, ou plutôt son absence, est la cause première qui a conduit l’Eglise naissante de Jérusalem à mettre en place le ministère diaconal. En Actes 6, c’est l’injustice envers les veuves hellènes, et non le besoin matériel, qui est la cause de la première élection diaconale. Sans nul doute, l’Eglise aurait pu atteindre la réconciliation entre les parties juives et grecques par l’exercice de la justice.

[36] [82] Afin de déterminer la réparation nécessaire, les deux parties pourront avoir recours à une troisième partie, à un médiateur.

[37] [83] Il n’est pas accessoire de souligner le lien entre « réconciliation » et « fraternité » (ou amitié au sens le plus fort du terme). J. Owen, dans son Vindicae Evangelicae (ou Mystery of the Gospel Vindicated and Socinianism Examined), a défini ainsi la réconciliation entre Dieu et l’être humain : « La réconciliation est de manière générale le renouvellement d’une amitié et d’une paix perdues entre deux personnes opposées. » J. Owen, The Works of John Owen, vol. 12, London, The Banner of Truth Trust, 1966, 531.

[38] [84] H. Bavinck, Reformed Dogmatics, III.328.

[39] [85] C’est, à mon sens, le seul manque de l’étude, mentionnée plus haut, de Buchhold. Celui-ci mentionne certes, très rapidement, la réconciliation comme « fin de l’inimitié », mais la shalom ne fait pas partie intégrante du processus de réconciliation tel qu’il est envisagé. C’est pourtant, à l’image de la réconciliation divine, la dimension eschatologique inhérente à toute vraie réconciliation qui conduit offensé et offenseur vers la paix. Il faut noter, cependant, que cette paix se trouvera souvent être la dimension eschatologique de la réconciliation : la paix est donc parfois l’attente de la pleine réalisation, dans l’éon glorifié, de la réconciliation.

[40] [86] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, III.iv.14, Aix-en-Provence, Kerygma, 2009, 573.

[41] [87] J. Jaurès, L’esprit du socialisme: six études et discours, Paris, Gonthier, 1964, 16. Jaurès se réfère ici à une citation dont il attribue la paternité à Héraclite par la filiation de Marx. Le fragment d’Héraclite en question est vraisemblablement le fragment 67 : « Le dieu est jour-nuit, hiver-été, guerre-paix, satiété-faim. Il se change comme quand on y mêle des parfums ; alors on le nomme suivant leur odeur. » http://philoctetes.free.fr/heraclitefraneng.htm, accédé le 5 juin 2012.

[42] [88] La relation entre Evangile du royaume et Evangile de la croix – pour peu qu’on y voie un réel contraste – est établie, souligne Guelich, par l’accomplissement de la paix, de la shalom de Dieu. R.A. Guelich, « What is the Gospel », in R.A. Guelich, ed., Unity and Diversity in New Testament Theology 7. Voir aussi W.M. Swartley, Covenant of Peace : The Missing Piece in New Testament Theology and Ethics, Grand Rapids, Eerdmans, 2006, 23.

[43] [89] Ceci peut expliquer que W. Swartley ait pu documenter un manque d’accentuation du thème de la paix dans les études néotestamentaires – y compris pour celles portant sur l’éthique du Nouveau Testament. Swartley, Covenant of Peace 5 ss. De plus, la « paix » a, en français, plus la connotation de « calme » que de restauration harmonieuse – même si l’apaisement a comme origine étymologique la venue de la paix (du latin : ad pax).

[44] [90] S. Talmon, « The Signification of Shalom and its Semantic Field », in Craig A. Evans et S. Talmon, eds., The Quest for Context and Meaning : Studies in Biblical Intertextuality in Honor of James A. Sanders, Leiden, Brill, 1997, 76.

[45] [91] L’accentuation sur la paix comme « plénitude » aurait probablement une origine ougaritique selon l’étude de Talmon. Voir Talmon, « The Signification of shalom and its Semantic Field », 81.

[46] [92] Thomas d’Aquin le résume de très belle manière : « Voici comment il nous a confié le ministère de la réconciliation, c’est qu’il a mis en nous la parole de réconciliation, c’est-à-dire nous a donné la force et il a soufflé dans nos cœurs, afin que nous annoncions au monde que cette réconciliation a été opérée par le Christ. » Thomas d’Aquin, Commentaire de la deuxième épître aux Corinthiens, Paris, Le Cerf, 2005, 155.