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La place des enfants dans la nouvelle alliance et dans l’Église

La place des enfants dans la nouvelle alliance et dans l’Église

Donald COBB*

La pratique que l’Eglise aura à l’égard des enfants vivant en son sein est en principe déterminée par le statut qu’elle leur reconnaît. De ce fait, il n’est pas possible – en théorie en tout cas – de s’interroger sur la place à accorder à l’enfant au niveau pratique sans d’abord parler de celle qui lui revient dans la théologie. En nous plaçant sur le terrain biblique, il s’agit de s’interroger sur la façon dont l’Ecriture considère les enfants des croyants et, plus particulièrement, les enfants des croyants dans la nouvelle alliance. Dans les développements qui suivent, nous allons tenter de dégager les lignes maîtresses à ce sujet, en passant en revue les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament qui en parlent le plus explicitement.

I. Quelques textes de l’Ancien Testament

A. Les promesses de l’alliance dans les Ecritures d’Israël

Dans l’Ancien Testament, l’aspect « transgénérationnel » de l’alliance est très prononcé. La vie humaine est tissée de relations, et si l’individu est bien responsable de ses choix comme de son positionnement personnel, ses actes et décisions trouvent néanmoins place dans le cadre d’une communauté, que ce soit la famille, la tribu ou le peuple. C’est pourquoi, lorsque Dieu s’attache à une personne précise, il établit une relation avec ses enfants aussi. On le voit déjà dans le récit du déluge. La Genèse précise que Noé « trouva grâce aux yeux de l’Eternel » (Gn 6.8, Seg) ; pourtant sa famille, avec ses enfants, est également mise au bénéfice de cette relation[1] [1]. De même, lorsque Dieu annonce son alliance avec Abraham, il l’étend à ses enfants : « J’établirai mon alliance avec toi et ta descendance après toi, dans toutes leurs générations : ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi. » (Gn 17.7-8)

Cette fidélité divine qui traverse les générations est une constante dans l’Ancien Testament. Nous la voyons dans des textes comme le Décalogue où Dieu, dit-il : « […] use de bienveillance jusqu’à mille générations envers ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. » (Ex 20.5-6) Elle s’aperçoit encore dans de nombreux psaumes : « La bienveillance de l’Eternel dure d’éternité en éternité pour ceux qui le craignent, et sa justice pour les fils de leurs fils, pour ceux qui gardent son alliance et se souviennent de ses préceptes, afin de les accomplir. » (Ps 103.17-18[2] [2])

La question se pose, toutefois, de savoir ce qu’il en sera dans l’alliance promise pour les temps eschatologiques, celle que Jérémie appelle « nouvelle » (Jr 31.31). Cette alliance concernera-t-elle encore les enfants des croyants ? On pourrait imaginer que le jour où Dieu accordera son salut et répandra son Esprit, le « collectivisme » de l’alliance cédera devant une disposition désormais individuelle. Pourtant, dans de nombreux passages, l’engagement que Dieu promet pour « les derniers jours » vise manifestement encore les enfants des fidèles. Ainsi, dans le Deutéronome, le Seigneur promet-il de circoncire, dit Moïse, « ton cœur et le cœur de ta descendance, pour que tu aimes l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme afin que tu vives » (Dt 30.6)[3] [3]. Esaïe 44.3-4 est lui aussi typique de cette perspective : « Je répandrai des eaux sur le sol altéré et des ruisseaux sur la terre desséchée ; je répandrai mon Esprit sur ta descendance et ma bénédiction sur ta progéniture. » On le voit, dans bon nombre de passages, la promesse pour les temps eschatologiques inclut explicitement dans l’alliance les enfants du peuple de Dieu[4] [4].

La raison n’en est pas difficile à trouver. L’Ancien Testament est rempli d’exhortations appelant Israël à confier la foi à la génération suivante[5] [5]. Un des drames de l’histoire biblique est précisément que cette transmission ne s’est faite que très rarement. Au lieu d’une fidélité communiquée de père en fils, c’est surtout l’infidélité qui s’est reproduite génération après génération[6] [6]. Or, selon le message prophétique, dans les temps à venir, Dieu fera lui-même don de la foi à son peuple ; mais il veillera en même temps à la susciter chez les enfants de ce dernier. La transmission de la foi qui faisait partie des objectifs de l’alliance dès le commencement (Ps 78.3-8)[7] [7] trouvera alors sa concrétisation parfaite. C’est pourquoi l’alliance pour la fin des temps peut être annoncée chez Esaïe de la façon suivante :

Quant à moi, voici mon alliance avec eux, dit l’Eternel : Mon Esprit, qui repose sur toi, et mes paroles, que j’ai mises dans ta bouche, ne se retireront pas de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants, ni de la bouche des enfants de tes enfants, dit l’Eternel, dès maintenant et à toujours. (Es 59.21) 

B. Le « déjà et du pas encore » de l’alliance nouvelle, une « réalité inchoative »

Avant d’aborder la question des enfants dans le Nouveau Testament, il faut rendre compte d’un élément supplémentaire : l’Ancien Testament n’établit pas de distinction claire entre l’alliance nouvelle telle qu’elle prend forme dans l’histoire présente en Christ et sa manifestation ultime, dans le royaume éternel. Les prophètes annoncent simplement qu’à la fin des temps, Dieu interviendra pour changer le sort de son peuple ; il établira alors son alliance, il répandra son Esprit et mettra fin à l’histoire présente. Le Nouveau Testament, en revanche, opère une distinction. Pour les auteurs néotestamentaires, l’alliance nouvelle a réellement été établie et elle a été scellée à la croix[8] [8]. Dieu a déversé son Esprit sur son peuple et accompli ses promesses. La fin des jours s’est approchée en Christ ![9] [9] Pourtant, si l’Eglise vit réellement « à la fin des temps », l’histoire chemine encore vers son achèvement. La théologie parle à ce sujet d’une eschatologie inchoative[10] [10] : la fin des âges a déjà fait irruption dans l’histoire en la personne et l’œuvre du Christ, mais puisque nous n’avons pas encore reçu la plénitude du salut, nous attendons toujours toute la richesse du royaume promis.

Il est pourtant possible d’inverser cette proposition : bien que l’entière acquisition du royaume soit encore devant nous, la réalité de ce que Dieu s’est engagé à faire trouve déjà sa réalité – partielle – dans l’histoire présente. Les promesses de Dieu ont donc un réel retentissement dans la situation actuelle de l’Eglise, même si leur accomplissement reste encore incomplet. Ce point est important car il implique que les promesses de l’Ancien Testament, bien que visant la fin « ultime » de l’histoire, concernent directement l’Eglise et sa pratique dans les temps présents.

II. Les enfants dans le Nouveau Testament

Dans cette situation inchoative, comment le Nouveau Testament parle-t-il des enfants des croyants ? Regardons trois passages, ou groupes de passages, qui nous aideront à répondre à cette question.

A. « Laissez les enfants venir à moi » (Mc 10.13-16 et parallèles)

Les trois évangiles synoptiques rapportent l’épisode où Jésus bénit des enfants apportés par leurs parents[11] [11]. Ce texte sous-entend une vive tension : pour les disciples, Jésus ne doit s’intéresser qu’à ceux qui sont capables de recevoir son enseignement de façon consciente, réfléchie et volontaire. Ils cherchent, par conséquent, à écarter les petits pour laisser place à ceux qui sont « plus importants ». L’attitude de Jésus, elle, passe d’abord par l’accueil : « Laissez les petits enfants venir à moi. » Sans entrer dans une exégèse détaillée, faisons rapidement trois remarques sur ce passage :

Dans la perspective des évangiles, les enfants du peuple de Dieu – et plus précisément les enfants de l’Eglise[19] [19] – se trouvent donc dans une situation unique : ils sont objets de la bénédiction du Seigneur, destinataires à titre particulier du royaume de Dieu[20] [20].

B. « Vos enfants… sont saints » (1Co 7.14)

En 1 Corinthiens 7.10-16, Paul répond à une question posée par les chrétiens de Corinthe au sujet des mariages mixtes : faut-il, ou non, que la femme croyante (ou le mari croyant) quitte son conjoint resté dans le paganisme ? Clairement, certains membres de l’Eglise sont tentés de le faire, par peur de se souiller au contact de leur conjoint non chrétien. L’apôtre répond par la négative, mais c’est surtout la raison qu’il donne qui nous intéresse : « Car le mari non croyant est sanctifié par la femme (hêgiastai ho anêr ho apistos en tê gunaiki), et la femme non croyante est sanctifiée (hêgiastai) par le frère, autrement, vos enfants seraient impurs (epei ara ta tekna humôn akarthata estin), tandis qu’en fait ils sont saints (nun de hagia estin). » (1Co 7.14) Cette affirmation a posé problème aussi bien pour le lien entre la première partie du verset et la deuxième que pour la façon précise de comprendre la sainteté des enfants en question.

Digression : « saint » veut-il dire « légitime » ?

Une interprétation assez répandue voit dans les qualificatifs « pur » et « impur » des synonymes de « légitime » et « illégitime ». S’appuyant sur des catégories talmudiques, le chercheur allemand D. Daube et d’autres à sa suite ont avancé que, dans la perspective de Paul, le chrétien n’a pas à quitter son conjoint non croyant, car la nouveauté en Christ légitime un tel lien conjugal. Ce mariage n’étant pas rendu nul et non avenu grâce au Christ, les enfants qui en sont issus ne sont pas bâtards, mais « saints », c’est-à-dire légitimes[21] [21]. Cette interprétation se voit notamment dans la traduction proposée par la Bible du Semeur : « Autrement leurs enfants seraient des enfants naturels, alors qu’en réalité ils sont légitimes. » Dans un article publié dans la présente revue, J. Buchhold donne l’explication suivante : « […] L’apôtre emploie en 1 Corinthiens 7.14 le langage technique de la ‹sainteté› et de la ‹pureté›, non pour parler de la situation spirituelle du mari, de la femme et de leurs enfants face à Dieu mais, à la manière des Juifs de son temps, pour parler de la légitimité du mariage et des relations sexuelles entre un conjoint croyant et un conjoint non croyant, ainsi que de la légitimité des enfants qui naissent de cette union[22] [22]. »

Cette proposition a le mérite d’offrir une solution apparemment simple à un texte tenu par beaucoup pour énigmatique à l’extrême. Elle n’est pourtant pas sans difficultés. S’il est évident que les chrétiens de Corinthe craignaient de se souiller au contact, sexuel notamment, de leur conjoint non croyant, rien n’indique qu’ils aient conclu de cette situation à l’illégitimité potentielle de leurs enfants. Une telle préoccupation de la part des Corinthiens, importante pour l’interprétation de Daube, est une spéculation qui ne vient pas du texte[23] [23]. De même, sans parler du risque d’anachronisme – la mise par écrit des passages talmudiques cités à l’appui est ultérieure au Nouveau Testament d’un siècle et demi en tout cas[24] [24] – le rapprochement avec ces textes reste délicat du fait que Paul écrivait à des chrétiens qui, dans leur grande majorité, étaient d’origine non juive. Il est des plus douteux qu’ils aient pu faire le lien entre un vocabulaire spécialisé venant de la législation juive et des notions de « légitimité » ou « illégitimité »[25] [25]. Notons d’ailleurs que des termes précis pour parler d’enfants « légitimes » ou « illégitimes » existaient et s’employaient couramment à l’époque (gnêsios et nothos respectivement) ; si l’on peine à voir comment les Corinthiens auraient pu deviner ces concepts à partir d’une terminologie talmudique, on imagine encore moins l’apôtre préférer au vocabulaire connu un langage technique, obscur, et cela sans chercher à donner à ses lecteurs les moyens de le déchiffrer[26] [26]. Tenter d’expliquer 1 Corinthiens 7.14 par une terminologie spécifiquement juive, potentiellement ultérieure, reste par conséquent hypothétique pour le moins et, en fin de compte, très peu satisfaisant.

Si, comme il apparaît, il faut maintenir le sens habituel des termes « saints » et « sanctifier », sur quoi Paul fonde-t-il son enseignement ? C’est à la notion biblique de sainteté qu’il importe de regarder. La sainteté dans l’Ecriture n’est pas d’abord une catégorie éthique mais positionnelle, en rapport avec l’alliance. Elle implique une mise à part pour Dieu[27] [27]. Dans le cas des personnes, la sainteté n’est pas nécessairement le résultat d’une démarche spirituelle ou d’une consécration personnelle ; suivant la situation, celles-ci peuvent plutôt en être la conséquence. On voit clairement cela dans l’Ancien Testament, où l’action de Dieu consistant à sanctifier Israël implique que ce dernier doit répondre par des attitudes et un comportement saints[28] [28]. Ainsi, en 1 Corinthiens 7.14, l’époux non croyant n’est pas introduit dans la communion avec Dieu par le conjoint chrétien ; il n’est pas davantage rendu « pur » sur le plan éthique ou moral. Mais le lien avec le conjoint croyant le fait accéder à une situation où l’Evangile peut faire ressentir ses effets, il est placé dans la sphère d’influence de la grâce. A cette affirmation centrale, Paul apporte, ensuite, la preuve ou la justification, à savoir le statut des enfants. Si les enfants du parent chrétien sont « saints » – ce qui ne posait pas de problème à Corinthe –, on peut déduire que l’époux non croyant est « sanctifié », lui aussi, par cette même situation[29] [29]. De la sorte, si le statut des enfants des croyants n’est pas au centre de ce texte, il donne néanmoins à l’argument sa force particulière.

Significativement, les termes « saint » et « sanctification », ainsi que le verbe « sanctifier », s’appliquent souvent chez Paul à l’Eglise et à ses membres[30] [30]. La notion d’« impureté », quant à elle, fait référence à ceux « du dehors »[31] [31]. Deux exemples suffisent à le montrer. En 1 Thessaloniciens 4.7, Paul s’exclame : « Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté (epi akatharsia), mais à la sanctification (en agiasmô). »[32] [32] De même, en Ephésiens 5.25-27, il écrit : « Maris, aimez chacun votre femme, comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l’avoir purifiée (hina autên hagiasê katharisas) par l’eau et la parole, pour faire paraître devant lui cette Eglise glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte (hagia) et sans défaut. » De fait, comme le remarque l’exégète pentecôtiste G. Fee, le langage de 1 Corinthiens 7.14 est bien un langage d’alliance : « Si vous avez raison, dit Paul, vos enfants sont en dehors de l’alliance ; mais, en réalité, par leur relation avec le croyant […] ils sont ‹saints » […][33] [33]. » Ce verset controversé se rapproche donc de ce que nous avons vu, dans l’Ancien Testament, au sujet de la place réservée aux enfants des croyants dans la nouvelle alliance[34] [34].

C. Les enfants dans la famille gréco-romaine et les Haustafeln (Ep 5-6 ; Col 3-4)

Deux passages dans les épîtres pauliniennes sont habituellement identifiés à ce que l’on appelle des « tables d’éthique familiale » (ou Haustafeln). Les origines et contours du genre littéraire sont discutés mais l’appellation rappelle utilement que ces textes de Paul doivent se situer dans la perspective de la « maisonnée », c’est-à-dire l’entité de base dans la société de l’Antiquité. Dans son livre sur la Politique (1,1253a), Aristote, s’appuyant sur des auteurs plus anciens, définit la « maisonnée » (oikos ou oikia) comme ceux qui, de façon permanente, « partagent la même table » et vivent sous le même toit. Concrètement, il s’agit de l’homme et de sa femme, avec leurs enfants et esclaves[35] [35]. Ce sont, en fait, là les mêmes catégories qu’on retrouve en Ephésiens 5.22 à 6.9[36] [36] et Colossiens 3.18 à 4.1[37] [37]. Dans ces passages, Paul met en avant les attitudes et le comportement à rechercher dans le cadre de la « maisonnée chrétienne », c’est-à-dire l’unité sociale autour de laquelle s’organisaient les premières communautés d’Eglises [38] [38].

Avant de s’interroger sur la place de l’enfant dans ces passages, notons rapidement deux choses : premièrement, dans l’Antiquité, le chef de la maisonnée, ce que le langage juridique romain appelait le pater familias, avait des droits extrêmement étendus. Aristote le remarque bien, le père de famille « gouverne en maître ses enfants et ses femmes[39] [39] ». Le pater familias avait même, dans certains cas, le droit de vie et de mort sur ses enfants[40] [40]. Deuxièmement, l’influence du chef de famille s’exerçait non seulement sur les aspects pratiques de la vie de famille, mais encore sur son orientation spirituelle. En règle générale, la conversion du pater familias impliquait l’adoption de la religion par toute la maisonnée[41] [41]. L’organisation spatiale de la maison se concevait d’ailleurs en conséquence ; dans la maisonnée païenne, l’autel du dieu familial occupait une place importante et les esclaves, comme les autres membres de la famille, y adoraient au même titre que le chef de famille[42] [42]. Cela aide, accessoirement, à mieux comprendre les baptêmes de maisonnées dont il est question dans le livre des Actes et ailleurs, et qui devaient faire partie des pratiques habituelles de l’Eglise primitive.

Ces précisions sont d’ordre surtout sociologique. Elles rejoignent toutefois la perspective de l’alliance qui nous occupe ici, car elles appuient ce que Paul dit sur les enfants dans les Haustafeln sur le plan théologique. S’adressant aux enfants de parents chrétiens – enfants qui sont donc intégrés à l’Eglise et font partie des « saints » mentionnés au début des épîtres[43] [43] –, il les exhorte à obéir à leurs parents « dans le Seigneur (en kuriô) » (Ep 6.1), c’est-à-dire comme il convient de le faire pour ceux qui sont « en Christ »[44] [44]. Colossiens 3.20 va dans le même sens : « Enfants, obéissez en tout à vos parents, car cela est agréable dans le Seigneur (touto gar euareston estin en kuriô). » Dans les deux cas, la précision sous-entend que les enfants, au même titre que les autres membres de la maisonnée, sont placés dans la sphère de seigneurie du Christ : ils sont « dans le Seigneur »[45] [45]. Faut-il penser que ces textes supposent une capacité de compréhension chez les lecteurs, ce qui impliquerait des enfants d’un certain âge seulement, susceptibles d’obéir de leur plein gré ? Cette distinction est parfois proposée, mais elle est, à notre sens, artificielle[46] [46]. C’est à l’oikos, à la « maisonnée » dans son ensemble, que Paul s’adresse. L’exhortation implique plutôt, comme l’écrit M. Bouttier, « […] que le message d’Ephésiens est destiné à toutes les classes d’âge de la communauté. L’épître entend s’adresser aussi aux enfants, ignorant les compartimentements [sic] de notre société[47] [47]. »

Ces textes soulignent, parmi d’autres choses, que les liens reliant les enfants à leurs parents chrétiens ne se situent pas uniquement sur le plan physique ou affectif. Dans le cadre du corps du Christ, ils prennent encore un aspect d’ordre spirituel : les enfants sont intégrés, avec leurs parents, à une même réalité d’alliance et à l’Eglise. Bien sûr, ils doivent se positionner personnellement par rapport au Seigneur de l’alliance. Mais avant même de parler de la réponse que ces enfants sont appelés à donner, Paul évoque leur statut dans le Seigneur, statut qui leur permet d’entendre l’Evangile, d’y goûter de façon intime et, l’ayant expérimenté, de le recevoir pleinement.

III. D’une théologie de l’alliance à une pratique d’Eglise

Les points essentiels de cette étude peuvent se résumer aisément. L’Ancien Testament prévoyait pour la fin des temps une alliance où Dieu susciterait un peuple obéissant ; mais ce serait une alliance où les enfants seraient encore bénéficiaires de la grâce et de l’action divines. Le Nouveau Testament parle relativement peu des enfants mais, quand il le fait, c’est dans cette même perspective : les enfants des croyants, comme leurs parents, sont destinataires de la promesse du royaume, ils sont saints, « dans le Seigneur », appelés de ce fait à agir et à vivre en conséquence.

Il est important de le préciser : affirmer cette perspective ne permet pas de conclure que les enfants des croyants sont ou seront automatiquement sauvés. L’alliance est bien un lien relationnel ; pour autant, elle n’est pas cause indéfectible de salut. C’est dans une démarche de foi que ce salut – qui se situe au cœur de l’alliance comme son contenu et sa visée ultimes – se laisse saisir[48] [48]. En revanche, l’alliance implique que les enfants de parents chrétiens font réellement partie de l’Eglise dès leur plus jeune âge. Bibliquement parlant, il faut rejeter l’idée que de tels enfants seraient en tous points semblables à d’autres enfants, se situant à l’extérieur du peuple de Dieu jusqu’à ce que, par une décision consciente, responsable et délibérée, ils fassent le choix d’y entrer.

Cela change-t-il – ou devrait-il changer – notre pratique en ce qui concerne les enfants dans l’Eglise ? Il faut répondre par l’affirmative. Dans le cadre du culte en famille, comme dans les activités de nos communautés ecclésiales, nous n’avons pas à donner l’impression à nos enfants et à nos jeunes qu’ils doivent se joindre à l’Eglise. Il convient plutôt de faire comprendre qu’ils en font réellement partie, dès à présent, et que, dans le cadre de cette communauté qui est la leur, ils sont appelés à saisir l’Evangile, à le saisir toujours à nouveau et à construire leur vie, ainsi que leur témoignage, en conséquence.

Dire que ces enfants sont de l’Eglise implique donc une visée double : d’une part, la responsabilité du parent chrétien et de l’Eglise n’est pas seulement de conduire l’enfant au Christ. C’est aussi de l’aider à s’approprier et à forger une identité chrétienne, à se reconnaître disciple du Christ. D’autre part, une des tâches primordiales de l’Eglise dans ce domaine est de faire comprendre que, par l’alliance, les enfants et les jeunes qui se trouvent en son sein sont au bénéfice d’un privilège inestimable qui n’est pas donné à tout le monde. C’est de ce privilège, précisément, que découle aussi l’exigence d’une réponse personnelle et d’un engagement permanent : « A qui l’on a beaucoup donné, on redemandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » (Lc 12.48, TOB)


* D. Cobb est professeur de Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] [49] Gn 7.1 et 7 ; 9.1,9 ; cf. 1P 3.20. Que cette réalité transgénérationnelle soit prise en compte dans la période précédant l’alliance avec Israël, voilà qui suggère que la solidarité familiale, élément clé de l’alliance dans l’Ancien Testament, plonge ses racines dans le cadre plus englobant de la création. Elle reflète la manière dont Dieu agit envers l’homme dans son humanité et ne se limite pas à la seule période s’étendant d’Abraham au Christ. Nous pouvons donc nous attendre à la retrouver dans le Nouveau Testament aussi, car la rédemption biblique n’est pas la négation de la création mais son rétablissement et sa glorification.

[2] [50] Cf. Ps 22.31-32, 100.5, 102.19,29, 105.8, etc.

[3] [51] La portée précise de ce texte est discutée : s’agit-il d’une promesse conditionnelle (Dieu agira ainsi si le peuple se repent) ou inconditionnelle (à l’avenir Dieu circoncira le cœur de son peuple parce que cela fait partie de ses engagements en tant que Suzerain de l’alliance) ? Les deux interprétations ont été avancées. Nous nous rallions à la deuxième position, avec des commentateurs comme P.C. Craigie, The Book of Deuteronomy, Grand Rapids, Eerdmans, 19832, 364, P. Buis et J. Leclercq, Le Deutéronome, Paris, Gabalda, 1963, 185-187, N. Lohfink, « Der Neue Bund im Deuteronomium », Studien zum Deuteronomium und zur deuteronomistischen Literatur V, Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2005, 9-36, et d’autres. Selon P. Buis, Le Deutéronome, Paris, Beauchesne, 1969, 394, la comparaison de ces versets avec « les prophéties de la nouvelle alliance […] s’impose ».

[4] [52] Cf. aussi Jr 32.39 ; Es 54.10-13, 61.8-9, 62.5, 65.23.

[5] [53] Cf. Ex 12.24-28 ; Dt 6.20-25 ; Jos 4.6-7, etc.

[6] [54] Le début du livre des Juges fournit à ce sujet un exemple saisissant, en expliquant sommairement les causes de l’apostasie qui le traverse : « Toute cette génération fut, elle aussi, réunie à ses ancêtres décédés, et il s’éleva après elle une autre génération, qui ne connaissait pas l’Eternel, ni l’œuvre qu’il avait accomplie pour Israël. » (Jg 2.10)

[7] [55] Cf. Ps 48.14, 71.18, 78.3-4, etc.

[8] [56] Cf. Lc 22.19-20 ; 1Co 11.25 ; 2Co 3.4-11 ; Hé 8.6, 9.15, 11.9-17, 12.24.

[9] [57] Cf. 1Co 10.11 ; Hé 1.2 ; 1P 1.20 ; 1Jn 2.18, etc.

[10] [58] L’adjectif « inchoatif » (du latin inchoare, « commencer ») désigne une action envisagée dans son commencement ou sa progression, c’est-à-dire une activité qui a commencé mais n’est pas (encore) achevée.

[11] [59] Mt 19.13-15 ; Mc 10.13-16 ; Lc 18.15-17.

[12] [60] Selon W. Arndt, F.W. Danker et W. Bauer, A Greek-English Lexicon of the New Testament and other Early Christian Literature, Chicago, University of Chicago Press, 20003 (BDAG dans la suite), le paidion, c’est l’enfant qui n’a pas encore atteint l’âge de la puberté. Cela peut correspondre à un nouveau-né, comme le montre Mt 2.8-9 et Jn 16.21. Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, 1.105, suivant Hippocrate, considère qu’un paidion désigne l’enfant qui a moins de sept ans (l’âge où l’on perd ses dents de lait, d’après lui).

[13] [61] BDAG définit brephos comme « 1. Enfant encore à naître ou fœtus » et « 2. Tout petit enfant, nouveau-né ».

[14] [62] C’est ce qu’implique la conclusion de D.A. Hagner, Matthew 14-28, Waco, Word Books Publisher, 1995, 553 : les enfants « […] sont eux aussi, à leur manière, membres de la communauté de foi ».

[15] [63] Ainsi, par exemple, C. Focant, L’Evangile selon Marc, Paris, Cerf, 2004, 380, et R.T. France, The Gospel of Mark, Grand Rapids-Cambridge-Carlisle, Eerdmans-Paternoster, 2002, 396-397.

[16] [64] Cf. aussi le passage parallèle en Lc 18.17. Chose intéressante, le récit de Matthieu ne contient pas ce dire de Jésus (on en trouve un autre, proche, mais en Mt 18.3, dans un contexte légèrement différent).

[17] [65] Ainsi, correctement, la NBS. L’adjectif corrélatif toioutos avec l’article (comme ici) peut se traduire : « une telle personne [ou chose] » ou « celui-ci » (cf., dans le NT : Ac 22.22 ; 1Co 5.5,11 ; 2Co 10.11, 12.2-3,5 ; Ga 6.1 ; Tt 3.11 ; Hé 12.3) et, au pluriel, par « de tels [personnes, etc.] » (Mc 6.2, 9.37 ; Jn 8.5 ; Ac 19.25 ; Rm 1.32, 2.2-3, 16.18, 7.15, 7.28, 16.16,18 ; 2Co 2.6-7, 11.13 ; Ga 5.21,23 ; Ep 5.27 ; Ph 2.9 ; 2Th 3.12 ; 3Jn 8). L’expression connote une comparaison incluant la personne ou les personnes en question. Il faudrait donc paraphraser ainsi, pour rendre compte de la nuance précise : « ceux-là et ceux qui sont dans la même catégorie qu’eux ». Cette nuance peut d’ailleurs être présente même sans l’article (cf. Mt 9.8, 18.5 ; Lc 9.9 ; Jn 4.23, Jn 9.16 ; 2Co 3.4,12 ; Hé 11.14).

[18] [66] Cf. Mt 8.11-12 : « Je vous le déclare, plusieurs viendront de l’Orient et de l’Occident, et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. »

[19] [67] En effet, si ce logion a été retenu et reproduit dans les trois évangiles synoptiques, c’est que l’on était convaincu de sa pertinence pour les enfants de l’Eglise !

[20] [68] Dans la perspective de Matthieu, ce récit semble prévenir un potentiel déséquilibre dans la notion du disciple (mathêtês, littéralement « apprenant », « élève », ou « étudiant »). Il est, en effet, encadré, d’un côté, par un dire présentant le célibat dans une lumière étonnamment positive (Jésus y parle de ceux « qui se sont rendus eunuques, à cause du royaume », vv. 11-12) et, de l’autre, par la rencontre du jeune homme riche à qui Jésus conseille de vendre ce qu’il possède et de le suivre (v. 21). Ce dernier récit introduit, d’autre part, l’affirmation de Pierre, qui dit « avoir tout quitté » pour suivre Jésus (v. 27). Dans cet agencement mettant l’insistance sur la radicalité de la vie du disciple, le dire sur les petits enfants à qui appartient le royaume vient souligner que l’appel de Jésus n’est pourtant pas la négation des structures familiales et que la perspective du « discipulat » reste avant tout celle de la grâce.

[21] [69] D. Daube, « Pauline Contributions to a Pluralistic Culture : Recreation and Beyond », in D.G. Miller & D.Y. Hadidian (éd.), Jesus and Man’s Hope, Pittsburgh, Pittsburgh Theological Seminary, 1971, 232-241. Daube revient sur la question in id., « Conversion to Judaism and Early Christianity », Ancient Jewish Law. Three Inaugural Lectures, Leyde, Brill, 1981, 14-32. L’interprétation est toutefois bien plus ancienne ; elle était connue de Calvin qui en discute dans son commentaire datant de 1546. Cf. Commentaires de Jean Calvin sur le Nouveau Testament. Première épître aux Corinthiens, Aix-en-Provence/Marne-la-Vallée, Editions Kerygma/Editions Farel, 1996, 121s. R. Somerville, La première épître de Paul aux Corinthiens, Vaux-sur-Seine, Editions de la Faculté libre de théologie évangélique, 2001, 218, mentionne d’autres exégètes plus anciens encore. Le rapprochement avec les textes talmudiques est également fait, avec des variations, par Y.M. Gillihan, « Jewish Laws on Illicit Marriage, the Defilement of Offspring, and the Holiness of the Temple : A New Halakic Interpretation of 1 Corinthians 7.14 », JBL 121 (2002), 711-744.

[22] [70] J. Buchhold, « L’apôtre Paul et la sexualité. Un conflit d’échelles des valeurs », LRR, 229-230 (2004/4-5), 43 (italiques dans le texte).

[23] [71] Comme le souligne C.K. Barrett, A Commentary on the First Epistle to the Corinthians, Londres, Adam & Charles Black, 19712, 165, la mention des enfants vient plutôt appuyer l’affirmation au sujet de la position « sanctifiée » de l’époux non chrétien. De fait, Paul semble si peu préoccupé de résoudre une difficulté concernant la légitimité des enfants qu’il peut dire au verset suivant, sans même que cette question ait besoin d’être reprise ou envisagée : « Si le non-croyant se sépare, qu’il se sépare ; le frère ou la sœur n’est pas lié en pareil cas. » (V. 15 !)

[24] [72] Les passages généralement allégués (cf., par exemple, Y.M. Gillehan, « Jewish Laws on Illicit Marriage », 717-719, qui cite Qidushîn 2.1 et 3.12) proviennent de la Mishna, dont la rédaction ne remonte qu’au IIIe siècle de notre ère.

[25] [73] Selon G. Fee, The First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 1987, 300, un emploi des termes « saints » et « impurs » avec le sens de « légitime » et « illégitime » aurait été incompréhensible pour les chrétiens de Corinthe. Cf. aussi R. Somerville, La première épître de Paul aux Corinthiens, 218. Il est intéressant de noter que Y.M. Gillehan, « Jewish Laws on Illicit Marriage », 741, qui fait ce rapprochement avec le Talmud, note pourtant : « Il n’est pas évident du tout que les Corinthiens aient compris l’argumentation de Paul en 7.14. […] Pour ceux qui ne possédaient pas une connaissance suffisante de la législation juive, la logique de l’apôtre aurait été inintelligible ; nous pouvons présumer, sans risque de nous tromper, que ceux qui ont pleinement saisi cet argument à l’époque étaient, comme aujourd’hui, dans la minorité – si tant est que quiconque puisse prétendre avoir réellement compris ! » Un tel aveu, qui fait reposer la difficulté de l’interprétation sur les explications de l’auteur qu’on cherche à comprendre, ne fait que confirmer l’extrême fragilité de l’hypothèse.

[26] [74] Paul emploie gnêsios en 1Tm 1.2 et Tt 1.4 (dans un sens métaphorique). Le terme nothos ne se trouve pas chez lui mais il est usité ailleurs dans le Nouveau Testament (Hé 12.8) et la LXX (Sa 4.3). On le trouve aussi, à plusieurs reprises, chez Flavius Josèphe, historien juif du Ier siècle, originaire de la Palestine (AJ 2.5 ; 5.233 ; GJ 1.521 ; 2.89 ; 5.443), et le Juif de la Diaspora Philon d’Alexandrie (plus de cinquante fois !) ; il est également fréquent dans toute la littérature classique et dans celle de la koinè. On ne peut donc arguer que Paul, qui possédait une double culture, juive et hellénistique, et qui avait vraisemblablement bénéficié d’une formation scolastique plutôt poussée, ait ignoré un terme à ce point courant.

[27] [75] Cf. Ex 19.6, 31.13 ; Lv 11.45, 20.8,26 , 21.8,15, 22.32, etc.

[28] [76] Cf. Lv 11.44-45, 19.2, 20.26, etc. Il est souvent affirmé que cette sainteté « positionnelle » est propre à l’Ancien Testament. Dans le Nouveau, et notamment chez Paul, « saint » deviendrait synonyme de « croyant ». L’insuffisance de cette perspective se voit dans l’enseignement que l’apôtre donne sur Israël en Romains 11 : « Si les prémices sont saintes (hagia), la pâte l’est aussi ; et si la racine est sainte (hagia), les branches le sont aussi. » La sainteté ici n’est pas liée à une démarche spirituelle – dans l’optique de Paul, l’Israël de son temps est apostat ! – mais positionnelle ; les Israélites de l’époque (les branches) restent, d’une certaine manière, « mis à part » pour Dieu en raison de l’alliance avec Abraham, Isaac et Jacob (= la racine).

[29] [77] Y.M. Gillihan, « Jewish Laws on Illicit Marriage », JBL 121 (2002), 714-715, reconnaît que la mention des enfants fonde l’enseignement sur l’époux non croyant : « En 7.14, Paul énonce le principe qui justifie la règle : l’époux non croyant est sanctifié par son partenaire croyant. Comme preuve de la justesse de ce principe, il met en avant le fait que les enfants sont non impurs, mais saints. La sainteté présente des enfants prouve que le non-croyant est déjà sanctifié […]. » (Italiques dans le texte.)

[30] [78] L’adjectif hagios (« saint ») employé comme substantif figure une quarantaine de fois chez Paul pour désigner ceux qui font partie de l’Eglise. Cf. Rm 1.7, 8.27, 12.13, 15.25-26, 15.31, 16.2,15 ; 1Co 1.2, 3.17, 6.1-2, 14.33, 16.1,15, etc. Pour hagiazô (« sanctifier »), cf. Rm 15.16 ; 1Co 1.2, 6.11.

[31] [79] Cf. 2Co 6.17 ; Ep 4.19, 5.3,5.

[32] [80] Cf., pour cette traduction, M. Zerwick, Biblical Greek Illustrated by Examples, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 20017, § 99 (p. 123), F. Blass et A. Debrunner, A Greek Grammar of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago-London, The University of Chicago Press, 1961, § 235.4 (p. 123).

[33] [81] The First Epistle to the Corinthians, 301. Fee (ibid., 302, n. 29) rapproche ce verset de « […] la notion juive que les enfants des prosélytes sont eux-mêmes membres d’Israël à part entière (m. Ketub. 4.3 ; m. Yeb. 11.2) ». Cf. aussi sur ce passage S.-W. Son, Corporate Elements in Pauline Anthropology : A Study of the Selected Terms, Idioms and Concepts in The Light of Paul’s Usage and Background, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 2001, 158-159. S.J. Kistemaker, Exposition of the First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Baker, 1993, 225, discerne une différence entre le verbe « sanctifier », appliqué ici à l’époux incroyant, et l’adjectif « saint », qui décrit les enfants : « Tandis que l’épouse ou l’époux est sanctifié par le croyant, les enfants de ce dernier jouissent d’une relation d’alliance. » (C’est nous qui soulignons.)

[34] [82] 1 Co 7.14 pose une autre question, souvent débattue : présuppose-t-il le baptême des enfants ? A notre sens, la réponse doit être nuancée, en raison du contexte social du monde gréco-romain. Etant donné la place du pater familias (cf. infra), la conversion du chef de famille entraînait en principe l’adhésion de toute la famille à la religion adoptée, ce qui aurait impliqué le baptême de la « maisonnée » (oikos, l’unité familiale ; cf. Ac 16.31,34). Cependant, cela n’aurait pas été le cas si seule l’épouse se convertissait. De la sorte, stricto sensu, l’argument de Paul ici ne peut s’appuyer sur le seul baptême puisque la question se pose dans le cas des couples mixtes et, surtout, lorsque la femme se convertissait sans que le mari – le pater familias – fasse la même démarche (comme le remarquent S.J. Kistemaker, Exposition of the First Epistle to the Corinthians, 224, et E.J. Schnabel, Early Christian Mission. Paul and the Early Church, t. 2, Downers Grove-Leicester, InterVarsity Press-Apollos, 2004, 1302-1303, la situation à Corinthe devait concerner en priorité les épouses croyantes dont le mari n’était pas chrétien). Toutefois, si la sainteté des enfants dans le cadre de l’alliance ne posait pas problème à Corinthe mais avait le caractère d’une évidence, on peut présumer que c’est en raison, précisément, de la pratique du baptême des enfants qui, à la fois, se fondait sur cette notion de sainteté dans l’alliance et la manifestait de façon tangible.

[35] [83] Ibid. Notons qu’à partir du moment où les enfants quittent la maison pour fonder un foyer, ils ne sont plus considérés comme appartenant à la « maisonnée ». Comme l’écrit Aristote (ibid., 7) : « L’association première de plusieurs familles (hê d’ek pleionôn oikiôn koinônia), mais formée en vue de rapports qui ne sont plus quotidiens, c’est le village, qu’on pourrait bien justement nommer une colonie naturelle de la famille ; car les individus qui composent le village ont, comme s’expriment d’autres auteurs, ‹sucé le lait de la famille› ; ce sont ses enfants et ‹les enfants de ses enfants. »

[36] [84] Mari et femme (Ep 5.22-33), enfants (6.1-4), esclaves (6.5-9).

[37] [85] Mari et femme (Col 3.18-19), enfants (3.20-21), esclaves (3.22-4.1).

[38] [86] L.M. White, « Paul and Pater Familias », Paul in the Greco-Roman World : A Handbook (éd. J.P. Sampley), Harrisburg, Trinity Press International, 2003, 466, et J. Becker, « Paulus und seine Gemeinden », in J. Becker (éd.), Die Anfänge des Christentums : Alte Welt und neue Hoffnung, Stuttgart, Kolhammer, 1987, 125-126, soulignent, à juste titre, qu’une partie importante de la stratégie missionnaire de Paul a été d’organiser ses communautés d’Eglise autour des maisonnées (oikoi).

[39] [87] Themisteuei de hekastos paidôn hd’aloxôn. La politique 1.1253a.7 (Aristote cite ici Homère).

[40] [88] T.J. Burke, Adopted into God’s Family. Exploring a Pauline Metaphor, Nottingham-Downers Grove, Apollos-InterVarsity, 2006, 64. Burke cite, entre autres, E. Eyben : « Le pater familias avait le droit de dénoncer son enfant, de le fouetter, de le vendre, de le troquer, de l’emprisonner et, dans des cas extrêmes, de le mettre à mort. » Cf. aussi L.M. White, « Paul and Pater Familias », 458.

[41] [89] Cf. aussi J. Becker, « Paulus und seine Gemeinden », 126, P. Davids, The First Epistle of Peter, Grand Rapids, Eerdmans, 1990, 122, et R. Michaels, 1 Peter, Waco, Word, 1988, 122. Plutarque, Préceptes conjugaux, 19, par exemple, dit ceci : « […] Il convient que les dieux auxquels croit l’époux soient également les seuls que révère et connaisse la femme. A des dévotions minutieuses, à des superstitions étrangères, elle fermera la porte de son logis : car aucun dieu ne saurait agréer les hommages offerts à la dérobée par une femme et en cachette de son mari. »

[42] [90] D.L. Balch, « Paul, Families and Households », Paul in the Greco-Roman World, 258.

[43] [91] Cf. Ep 1.1 ; Col 1.2.

[44] [92] L’expresion en kuriô, souvent mise entre crochets dans les traductions modernes, manque dans B (Vaticanus) et des manuscrits de type occidental (D* F G). Elle est néanmoins présente dans P46 Sin., A, D2, 1739, 1881, ainsi que dans la tradition byzantine. Le témoignage de B pourrait sembler décisif mais il faut rappeler, avec B. Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart, 20024, 456, que dans les épîtres pauliniennes, lorsque ses leçons suivent celles de D F et G, leur poids est « très considérablement amoindri ». H.H. Hoener, Ephesians, An Exegetical Commentary, Grand Rapids, Baker Academic, 2002, 785-786, considère que l’argument pour l’inclusion des mots en kuriô, du point de vue du témoignage manuscrit, est fort.

[45] [93] E.J. Schnabel, Early Christian Mission. Paul and the Early Church, 1305.

[46] [94] Selon E. Best, A Critical and Exegetical Commentary on Ephesians, Edimbourg, T&T Clark, 1998, 563, et A.T. Lincoln, Ephesians, Nashville, Thomas Nelson Publishers, 1990, 403, Paul viserait une catégorie précise d’enfants, non pas tous les enfants de la communauté, mais ceux-là seuls qui sont en mesure de comprendre et qui ont déjà pris une décision personnelle par rapport à l’Evangile.

[47] [95] M. Bouttier, L’épître de Saint Paul aux Ephésiens, Genève, Labor et Fides, 1991, 252 (italiques dans le texte). Notons que, de façon générale, Paul n’attache pas la capacité de comprendre ou d’apprendre à un âge particulier. Preuve en est sa remarque à Timothée : « Depuis ton enfance (apo brephous !) tu connais les Ecritures saintes. » (2Tm 3.15)

[48] [96] La distinction est importante, car une relation revêt de multiples aspects. Pour citer un exemple moderne, dans l’alliance qu’est le mariage, la relation va au-delà de la seule affectivité qui peut, ou non, exister entre les partenaires à un moment donné. Même en cas d’adultère, l’époux infidèle demeure juridiquement lié à son épouse ; c’est d’ailleurs précisément la réalité du lien juridique qui permet d’établir qu’il y a eu adultère ! De la même façon, l’alliance biblique est une réalité relationnelle de nature « juridique ». Elle fournit un cadre de vie destiné à favoriser ou à affermir la communion entre Dieu et les membres de son peuple. Cependant, de même qu’il faut distinguer entre mariage et amour conjugal – sans qu’il y ait opposition entre les deux –, il faut distinguer entre alliance et salut, ce dernier étant reçu dans le cadre de la relation avec Dieu qu’est l’alliance.