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Parole en marche : la Parole de Dieu hors des murs de l’église

Parole en marche :
la Parole de Dieu hors des murs de l’église[1] [1]

Erwin OCHSENMEIER*

Introduction

L’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB) semble se réduire comme une peau de chagrin. Un sentiment d’impuissance, de découragement, d’inefficacité l’a conduite à mener un travail de réflexion réparti sur plusieurs années. Pris positivement, ce travail exprime le désir de ne pas en rester là, de sortir l’Evangile des murs de l’Eglise, d’être présent dans le monde. Il en émane une conviction que la situation actuelle n’est peut-être pas une fatalité. Les Groupes bibliques universitaires partagent ces appréhensions, ces interrogations et ces désirs.

Au début de cette réflexion, je tiens à signaler que je n’ai pas la prétention d’apporter une recette miracle, des nouvelles techniques qui vont tout changer. Je fais part ici de mon expérience et de mes recherches. Il s’agit d’un instantané, d’un compte rendu de l’état d’une réflexion en cours.

Mise en contexte

Puisque nous parlons de l’Eglise en Belgique, il faut d’abord contextualiser la situation. Les tendances qui nous interrogent, qui nous inquiètent, s’inscrivent dans une situation européenne globale. L’Eglise protestante belge n’est pas la seule en Europe à craindre l’avenir. De plus, si l’on fait abstraction des Eglises charismatiques et pentecôtistes, dont la croissance bénéficie grandement de phénomènes sociologiques bien précis, les Eglises évangéliques connaissent aussi, dans bien des cas, une situation qui n’est guère plus aisée que celles de l’EPUB. L’effritement ecclésiastique frappe également l’Eglise catholique, plus durement peut-être, puisqu’elle vient d’une position plus dominante. Le problème de l’annonce de la Parole et de la présence au monde est d’ailleurs abordé dans divers documents récents de l’Eglise catholique : dans « Parole de Dieu » (Verbum Domini), l’exhortation apostolique de Benoît XVI en 2010, et dans un long texte sur la « Nouvelle évangélisation » élaboré pour préparer la 13e Assemblée générale ordinaire de 2012 et disponible sur le site du Vatican[2] [2]. La situation de l’Eglise protestante en Belgique ne résulte donc pas uniquement de phénomènes qui lui soient propres. Cela peut peut-être nous consoler, mais cela n’en demeure pas moins difficile et parfois décourageant.

Précisions de vocabulaire

Avant d’aller plus loin, une précision de vocabulaire s’impose. Avec beaucoup d’autres aujourd’hui, j’entends par « évangélisation » la communication orale ou écrite, explicite du message qu’est l’Evangile dans le but de persuader les auditeurs de s’attacher à la foi chrétienne. La « mission », elle, est plus vaste. Elle inclut l’évangélisation, mais également d’autres modalités de présence chrétienne dans le monde, qui n’ont pas toujours pour but le rattachement à la foi chrétienne. Il s’agit, parfois, simplement d’être sel de la terre, quels que soient les résultats de ce salage[3] [3].

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Parole en marche : que vise-t-on ?

Le débat donc, le souci du travail de réflexion de l’EPUB est de savoir comment faire sortir la Parole des murs de l’Eglise, comment être présent au monde en tant que croyant, comment mettre la Parole en marche dans notre société. Le souci est légitime. Après tout, l’Ecriture nous appelle à être sel de la terre, lumière dans les ténèbres. Mais la question que beaucoup se posent est de savoir comment le faire. Comment pratiquement mettre la Parole en marche ?

Les propositions abondent. Il suffit de se rendre dans nombre de réunions, de librairies chrétiennes, de surfer sur l’internet pour se voir recommander toutes sortes de formules, de nouvelles méthodes. Ce n’est pas mon approche. Mon propos n’est pas d’évoquer des trucs et des ficelles, des techniques qui marcheraient à tous les coups. Pour être vraiment pratique, il faut être du terrain et sur le terrain.

Ce qui est moins souvent explicité, c’est le but qui est poursuivi, le retour espéré. Quand on parle de Parole en marche, que veut-on en fait ? Le but est-il de créer de nouvelles Eglises, de cesser de voir nos églises se vider ou de les remplir? Cela n’est pas la même chose. Veut-on sauver la culture chrétienne occidentale ? Telle est ma première interrogation. Il est clair que, selon l’objectif visé, les modalités et les actions choisies ne seront pas les mêmes. On ne mettra pas la Parole en marche de la même façon si l’on veut simplement aider les croyants à vivre leur foi pratiquement dans leur vie journalière, ou si l’on veut qu’en plus chacun tente d’amener de nouvelles personnes à l’église. Pratiquement, je conseille d’ailleurs de ne jamais mettre sur pied un projet d’Eglise sans être clairs sur les objectifs que l’on vise et sans mettre en place, dès le début, sur papier, une méthode et un calendrier d’évaluation à respecter.

Personnellement, en dernier lieu, je pense que l’on est présent au monde par la mission ; c’est, en effet, ce que Dieu veut, indépendamment des conséquences pour la croissance numérique de l’Eglise ou de notre Eglise locale. Cette présence est liée à la nature de la foi qui transforme tous les domaines de l’existence et n’est donc pas reléguée dans la vie privée.

Parole en marche : les défis

Au-delà des objectifs visés en mettant la Parole en marche hors des murs de l’Eglise, certaines remarques sur le thème de la présence au monde comme solution à l’atrophie, au marasme parfois, de l’Eglise sont nécessaires.

Présence au monde et attrait de la foi

Avant toutes choses, il faut renoncer à l’illusion d’un lien automatique entre une présence au monde, une parole hors des murs, un vécu chrétien authentique et un attrait de la foi, un retour des gens vers l’Eglise. On dit, parfois, que le problème principal de l’Eglise est la vie, l’hypocrisie dans certains cas, des chrétiens. J’ai lu dans un livre sur la mission, essentiellement consacré au témoignage des chrétiens par leur comportement, que si l’on vit vraiment sa foi au quotidien, les gens autour de nous seront frappés par notre vie et notre témoignage et en viendront à se poser des questions sur le christianisme. Si seulement cela était toujours vrai ! Mais, hélas, s’il arrive qu’une foi aboutisse parfois à une démarche de certains vers l’Eglise, c’est loin d’être toujours le cas.

L’histoire de l’Eglise, les égarements et les incohérences des croyants, même compréhensibles puisque nous demeurons tous faillibles, les scandales financiers et sexuels qui la jalonnent jusqu’à aujourd’hui nuisent assurément à l’attrait de l’Eglise. Nous y reviendrons. Mais penser que la vie chrétienne authentique aura automatiquement des conséquences positives pour l’Eglise revient à oublier deux mille ans d’histoire et à ignorer ce qui se passe dans le monde aujourd’hui encore. Après tout, Jésus, Paul, les apôtres, les premiers martyrs n’ont-ils pas été persécutés parfois justement parce que leur message et leur comportement dérangeaient ? Nombre de chrétiens ne sont-ils pas déjà présents hors des murs, même en Europe, par toutes sortes d’œuvres et d’actions publiques ou privées auxquelles les pousse leur foi ? Les hommes ne rejettent-ils pas, parfois, la lumière justement parce qu’elle est lumière et met au jour leur péché, pour paraphraser Jean (Jn 3.19) ? Les paroles de Pierre en 1 Pierre 3.15, souvent évoqué à ce sujet, n’évoquent-elles pas un contexte de persécution et d’oppression (1P 3.17) ? Trop miser sur la présence au monde pour restaurer l’Eglise ou augmenter son attrait ne peut que décevoir si l’on considère l’histoire.

En outre, supposer que l’engagement de l’Eglise dans la société suffira, c’est oublier que certains refusent de croire parce que la foi chrétienne leur semble insensée, tout bonnement incroyable. C’est oublier que certains se posent des questions auxquelles ils demandent des réponses. Si l’on peut avoir de bonnes raisons intellectuelles de croire, on peut également en avoir de ne pas croire. Certains respectent les chrétiens, leur engagement auprès des pauvres et des opprimés. Ils admirent les enseignements de Jésus, mais leurs questions relatives au problème du mal et de la souffrance, aux enseignements des Ecritures qui leur semblent en contradiction avec ceux de la Science, aux questions éthiques et morales leur posent tant de problèmes qu’ils leur est impossible d’adhérer à la foi chrétienne. Nous y reviendrons.

Il est difficile de formuler un diagnostic sur la société

Une autre difficulté surgit. S’il est justifié, normal même, pour l’Eglise de se préoccuper de sa présence parmi nos contemporains, il est risqué de trop miser sa mission, son salut, sur une adaptation au monde, à ses tendances et ses besoins.

Il est, en effet, très difficile de formuler un diagnostic sur la société dans laquelle nous vivons, d’en faire l’état des lieux et, ensuite, de déterminer la mission de l’Eglise, la meilleure forme de sa présence. Chercher la bonne méthode, la bonne manière de mettre la Parole en marche est louable et nécessaire, mais a ses limites. Elle suppose qu’on ne se contente pas de généralisations ou d’approximations sur la société contemporaine alors que celle-ci présente une multitude de configurations. Il importe pour les chrétiens d’être au courant des tendances de notre société. Il faut lire ce qui est publié : les recherches sur la religion en Belgique et en Europe, les enquêtes sur les croyances de nos contemporains, notamment. Mais tout cela ne suffit pas.

Faire l’état des lieux d’une culture, discerner les tendances de la société n’est pas chose aisée, ne serait-ce que parce que les professionnels de l’analyse des courants modernes ne sont pas d’accord entre eux. On le sait, l’Occident délaisse le religieux institutionnalisé, mais pour quelles raisons ? Différentes explications sont proposées : la sécularisation, la modernité, l’individualisme, et ainsi de suite. Ce faisant, le risque est de ne voir qu’une partie du puzzle, de n’avoir qu’une vue partielle du monde, de ses défis, et cela d’autant plus que cette appréciation dépend, pour une part, du vécu, de l’expérience et du cadre théorique explicite ou implicite de pensée de l’analyste. L’erreur fréquente est de penser que le défi ou le problème sociétal que l’on a identifié est LE problème que l’Eglise doit résoudre en mettant au point des stratégies[4] [4]. Il importe de ne pas se tromper en simplifiant trop le problème.

Il est difficile de formuler un diagnostic sur l’état du christianisme

L’Eglise a également à formuler un diagnostic sur son état, sur sa situation propre. On acquiert une idée de celle-ci à partir des études qui évaluent, en Belgique par exemple, le nombre des chrétiens entre 0,5 et 15% de la population. A cela s’ajoute le problème de ce qu’on entend par foi chrétienne et Eglise.

Il convient de reconnaître que l’effondrement des pratiques religieuses, celui de certaines Eglises locales et de mouvements n’implique pas nécessairement la fin du christianisme. Sont en cause l’effondrement de certaines pratiques communautaires, la distance qui existe entre ce qui est cru et ce qu’il faut pratiquer, l’institutionnalisation de ce qu’il faut croire, de certaines modalités d’être une Eglise. Christianisme et « devoir d’Eglise » ne doivent pas être confondus. La religion ne disparaît pas complètement d’Europe. C’est la manière de l’incarner qui se modifie. Et si l’on estime que l’Eglise doit sortir de ses murs, mettre la Parole en marche, c’est admettre à l’évidence qu’elle ne le fait pas assez. Mais est-ce vraiment le cas ? Sur quels travaux historiques, sociologiques et théologiques ce diagnostic repose-t-il ?

Durant les vingt dernières années, un renouvellement important des études historiques et exégétiques sur la mission et l’évangélisation a été enregistré. Ces études sont importantes pour alimenter notre réflexion. Trop de discours sur l’évangélisation et la mission reposent, en effet, sur des généralités aux fondements parfois fragiles, sur des études historiques, exégétiques et sociologiques dépassées, sur lesquelles on bâtit encore des stratégies de mission et d’évangélisation.

L’état du christianisme manifeste aussi deux grandes faiblesses liées au statut reconnu à la Parole et au rôle de l’Eglise.

La Parole

Quelle Parole ?

L’une des faiblesses de l’Eglise, surtout peut-être du protestantisme dans son ensemble, est due aux diverses conceptions que l’on a de la Parole. On ne sait plus très bien quelle est la Parole à annoncer. Cela tient sans doute à l’histoire et à l’organisation très souple du protestantisme. Quand il n’y a pas de roi, chacun fait ce qui lui plaît. La Parole qu’on annonce modèle le discours et suggère la pratique et les modalités de la mise en marche. Or, j’ai pu observer en de nombreuses occasions où les sujets traités, les thèmes de réflexion étaient la mission, l’évangélisation, que l’on discutait beaucoup de méthodes, de pratiques, de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire pour mieux évangéliser sans jamais aborder la question de la Parole à annoncer. Il était supposé qu’on était tous d’accord sur ce point. C’est ainsi, par exemple, qu’entre Pâques et Pentecôte, une mise en marche de la Parole sans accord préalable sur la résurrection et sa signification théologique différera selon qu’on considère la résurrection comme un événement historique ou comme une appropriation subjective d’un événement qui n’aurait pas eu lieu. Impossible d’avancer ensemble sans accord préalable sur un certain nombre de points. C’est ce qu’a fait l’Eglise à ses débuts, comme l’indique le concile d’Actes 15 ou les nombreuses précisions doctrinales de Paul dans ses épîtres. Il était alors précisé ce qui devait être cru et annoncé en paroles.

Evangéliser, c’est parler

Il est courant aujourd’hui d’affirmer que la mission, l’évangélisation, ce n’est pas que la parole. On va même parfois jusqu’à penser à une mission par le silence, où les actes parleraient parfois plus que la parole. Pourtant, sans accompagnement de paroles, les actes peuvent manquer de clarté, être mal compris et mal interprétés. Les actes quotidiens sont rarement explicites.

Il n’y a pas de véritable évangélisation si elle ne s’accompagne pas d’une explicitation de la Parole. C’est ce que souligne également le pape Benoît XVI dans « Parole de Dieu[5] [5] ». L’Evangile est d’abord un message, une parole qui, en se répandant, crée l’Eglise, renouvelle l’intelligence (Rm 10.14-18, 12.1-2) pour susciter la foi et vivre autrement. Dans la majorité des cas présentés dans les Actes, par exemple, c’est la Parole qui suscite la foi, comme en témoigne, dans le récit de Luc, l’envoi de nombreuses personnes chargées de dire la Parole. On le voit nettement dans le discours de Pierre à la Pentecôte (Ac 2) ou lors de l’explicitation du texte d’Esaïe par Philippe (Ac 8.26-40), en dehors des multiples annonces de la Parole faites par Paul. L’importance de cette annonce est soulignée en Actes 6.1-7. Alors que se pose un problème légitime, celui de l’aide à apporter aux veuves, Pierre affirme clairement : il ne serait pas convenable, c’est-à-dire pour plaire au Seigneur, que les apôtres délaissent le service de la Parole pour lequel ils ont été choisis (cf. Ac 10.41-42), qu’ils négligent l’enseignement et la proclamation de la Parole qui a fait naître l’Eglise et continuera de la faire grandir. Le problème résolu, Luc souligne que la Parole a pu continuer de se répandre et que le nombre des disciples a augmenté (Ac 6.7). La Parole peut encore agir aujourd’hui, si du moins il s’agit bien de la Parole de Dieu.

Quelle formation ?

Se pose alors une question toute pratique à laquelle nous sommes souvent confrontés dans les GBU. Pour annoncer la Parole, la mettre en marche hors des murs de l’Eglise, quelle formation, quelles qualités les annonceurs de la Parole doivent-ils avoir ? Quel type de messagers de la Parole faut-il pour faire une annonce qui incite à croire, qui porte du fruit ? Comme nous l’avons déjà dit, certains rejettent la foi parce qu’elle leur semble tout simplement incroyable ou parce qu’elle ne leur apporte pas de réponse aux questions qui les accablent. Jésus demande que l’on prie pour que des ouvriers soient envoyés dans la moisson (Mt 9.38 ; Lc 10.2). Mais quels ouvriers ? Et, juste après avoir prononcé ces paroles, Jésus envoie ses disciples dans la moisson (Mt 10.5) ; ce sont des gens qu’il est en train de former. Quand il les enverra après sa résurrection (Mt 28.19-20), c’est-à-dire après leur avoir expliqué ses enseignements durant trois ans, ils auront reçu une formation. Et après la Pentecôte, les apôtres deviennent eux-mêmes capables de faire des disciples. Ce même schéma de formation fonde les paroles de Paul à Timothée en 2 Timothée 2.2.

Un épisode intéressant se trouve en Actes 18.24-28. Apollos, un homme présenté comme instruit dans la Parole, se rend à Ephèse. Il se met à y annoncer le Christ dans la synagogue. Priscilla et Aquilas le remarquent et estiment que ses connaissances ne sont pas suffisantes et assez précises. Ils le prennent en charge pour l’instruire avec plus d’exactitude. C’est ensuite, seulement, que Luc présente Apollos argumentant par les Ecritures et convainquant les Juifs à Corinthe que Christ est le Messie (Ac 18.28). Mettre la Parole en marche, c’est dire la Parole. Pour cela, il convient, comme l’ont fait les apôtres, de former des personnes capables de le faire, à savoir dire l’Evangile tout en répondant aux questions légitimes de nos contemporains.

Selon mon expérience, une des faiblesses de nombre d’efforts accomplis pour annoncer la Parole tient à l’insuffisance de ce qui est dit dans l’Eglise, et donc hors d’elle. Trop souvent, l’annonce de l’Evangile est celle d’une expérience subjective personnelle, et non de la Parole et de ses enseignements. On parle de soi, pas forcément du Christ ; on raconte son expérience personnelle, pas le message du Royaume de Dieu. Trop peu de personnes aujourd’hui sont capables, comme les apôtres, de convaincre, de réfuter, de dialoguer avec nos contemporains. Forme-t-on encore des Pierre, des Paul, des Apollos, des Philippe, des Timothée ? Bien souvent certains se lancent dans l’évangélisation et se découvrent, non sans grand désarroi, incapables de répondre à des questions auxquelles ils n’avaient jamais pensé et pour lesquelles ils n’étaient tout simplement pas équipés. Si la Parole que l’on met en marche se limite à un partage d’expériences, on s’aventure sur la piste glissante du subjectivisme.

L’Eglise

Avant de se préoccuper de l’annonce de la Parole à l’extérieur de l’Eglise, il importe de vérifier la qualité de ce qui est fait au sein de l’Eglise.

Si l’Eglise se vide, dit-on, la faute en incombe à la société, à la modernité, au postmodernisme, aux réseaux sociaux virtuels, aux crises de l’Eglise catholique, à la montée de l’islam, entre autres. On ne pointe jamais ou rarement le doigt vers notre Eglise, vers ce qui se passe en son sein. Trop souvent, on s’active à l’extérieur de la communauté avec le désir d’être plus présent sur le terrain comme si, à l’intérieur de l’Eglise, tout allait bien.

Or, la réalité est que parfois le problème à résoudre se trouve dans l’Eglise et concerne sa vie, ses formes et son discours.  Bien des jeunes ou des adultes aimeraient aller ou continuer d’aller au culte, mais ils y renoncent avec regret, car l’Eglise n’est plus vue comme un lieu de développement et de cheminement de la foi. La responsabilité de l’Eglise n’est-elle pas de prendre soin d’abord de ceux qui la composent ou lui sont proches avant de s’occuper de ceux que l’on aimerait y voir ? Nous voulons que la Parole soit mise en marche hors des murs, mais l’est-elle assez dans les murs ? Comme l’a dit quelqu’un, il faudrait peut-être moins y parler de l’évangélisation et plus de l’Eglise pour que l’évangélisation soit plus efficace[6] [6].

La mission et l’évangélisation sont condamnées à l’échec sans Eglises saines et fortes, au message clair, bien organisées, où les chrétiens eux-mêmes ont envie de se rendre. Il est intéressant de remarquer, avec des spécialistes, combien Paul parle peu, dans ses lettres, de la responsabilité de l’Eglise locale en ce qui concerne l’évangélisation et à quel point il insiste sur la vie de l’Eglise elle-même : sa sanctification, sa croissance dans la Parole[7] [7].

La tâche de l’Eglise est plutôt de soutenir et d’aider ceux qui, comme Paul et ses collaborateurs, annoncent l’Evangile, de les encourager, de prier pour eux (Rm 15.30-32 ; Ph 4.10-20 ; 1Th 5.25 ; 2Th 3.1-2).

Conclusion

        A ces quelques pistes de réflexion lorsque l’on parle de mettre la Parole en marche, il faudrait ajouter le rôle de la prière, de l’Esprit. Parler de la Parole en marche, c’est donner à la Parole de Dieu le rôle qu’elle devrait avoir hors et dans l’Eglise. Si le découragement, la fatigue sont là, croyons de tout notre cœur que le Seigneur marche devant nous et que l’Esprit agit !


* E. Ochsenmeier est secrétaire général des Groupes bibliques universitaires de Belgique, docteur en théologie.

[1] [8] Ce texte est celui d’une conférence donnée le 7 mai 2011 lors du rassemblement national de l’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB). La conférence s’inscrivait dans un cycle entamé les années précédentes qui visait à réfléchir à la situation de l’EPUB en Belgique.

[2] [9] Voir le texte sur http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20110202_lineamenta-xiii-assembly_fr.html.

[3] [10] Voir les débats au sein du Conseil œcuménique des Eglises et du mouvement de Lausanne dans D. Werner, « Evangelism from a WCC Perspective – a Recollection of an Important Ecumenical Memory, and the Unfolding of a Holistic Vision », International Review of Mission 96 (2007), 183-203, et T. Engelsviken, « Mission, Evangelism and Evangelization – from the Perspective of the Lausanne Movement », ibid., 204-209.

[4] [11] Voir J.D. Hunter, To Change the World : The Irony, Tragedy and Possibility of Christianity in the Late Modern World, New York, Oxford University Press, 2010, 199, et Ochsenmeier, « Parler d’Evangile en Europe : Entre discours et réalité »,  et les références qui y sont mentionnées.

[5] [12] Voir Verbum Domini, § 95, 98.

[6] [13] Voir G. Tomlin, The Provocative Church, 2e éd., Londres, SPCK, 2004, 103.

[7] [14] Deux citations parmi de nombreux exemples. Comme le reconnaît Schnabel, professeur à la Faculté évangélique de Trinity (Deerfield, IL), dans son ouvrage massif sur la mission : « Il est frappant de constater que parmi les exhortations nombreuses et parfois très spécifiques de Paul dans ses lettres aux Eglises qu’il a établies ou connaît, on ne trouve pas d’appels à s’engager activement dans la mission et l’évangélisation ou à tenter de gagner d’autres habitants des villes ou villages avoisinants à la foi en Christ. Ce silence a reçu des explications diverses. » (E.J. Schnabel, Early Christian Mission. Downers Grove, IL, InterVarsity Press: 2004, 1452). De même, selon Jacques Buchhold, doyen de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, « … les épîtres du Nouveau Testament adressées à des Eglises ne contiennent aucune exhortation à évangéliser ». (J. Buchhold, « La croissance de l’Eglise selon le Nouveau Testament », Fac-Réflexion 45 (1998), 9.