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Un livre à lire

Un livre à lire

Jean-Marc Berthoud : Création, Bible et science, Les fondements de la métaphysique, l’œuvre créatrice divine et l’ordre cosmique

(Lausanne, Editions de l’Age d’Homme, Collection messages, 2008)

Ce livre que Jean-Marc Berthoud donne au public n’est pas de ceux qui laissent indifférent tant le sujet traité soulève des polémiques incessantes. Le créationnisme, car il s’agit de cela, suscite des réactions passionnées à tous niveaux. J’en veux pour preuve le rapport de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation du Conseil de l’Europe, intitulé « Les dangers du créationnisme dans l’éducation ». Deux visions différentes du monde s’affrontent et il est de bon ton, dans les milieux universitaires et ecclésiastiques européens, de disqualifier le créationnisme en le taxant de littéralisme, de fondamentalisme, voire de grande naïveté. Dans un récent article paru dans Etudes théologiques et religieuses (2009/1), Christian Grappe soutient que les textes bibliques qui traitent de la création suffisent à eux seuls à démentir les thèses créationnistes, l’intention de ces textes n’étant pas d’expliquer le pourquoi et le comment de la création, mais de dévoiler le but et la vocation de cette création. L’évolutionnisme semble faire partie des vérités indiscutables et certains théologiens se font un point d’honneur de défendre la dignité de cette théorie.

En mettant, ensuite, en avant la notion de métaphysique, J.-M. Berthoud prête plus encore le flanc à la critique, tant ce mot est de nos jours pris en mauvaise part. Sully Prudhomme n’affirmait-il pas déjà : « La métaphysique commence où la clarté finit » ?

Dans la recension que je vous propose de cet ouvrage, je me suis efforcé d’en faire une lecture participante, c’est dire que j’ai lu celui-ci avec une certaine empathie. Je suis convaincu qu’il faut d’abord comprendre avant de faire des objections et que cela prend du temps d’entrer dans la cohérence interne déployée par une œuvre littéraire.

J.-M. Berthoud expose précisément son argumentation avec le souci d’une profonde cohérence. La métaphysique a pour objet l’être en tant qu’être, c’est-à-dire l’essence même des choses. Aristote donne la définition suivante : « La science qui se donne pour fin à soi-même, celle du connaissable par excellence, c’est-à-dire du primitif et de la cause, la science souveraine, celle du but et de la fin des êtres qui est le bien dans chaque chose et dans toute la nature, le bien absolu. » La Bible décrit l’établissement de l’ordre du cosmos et établit les distinctions premières inamovibles qui le structurent. La révélation biblique s’impose ainsi face à la théorie de l’évolution qui n’est rien d’autre, selon le mot de Jean Rostand, qu’« un conte de fées pour grandes personnes. » Il s’agit dès lors de remettre à jour la finalité divine du créé et le sens même de l’ordre stable de la création. « A la reformation, au retour aux formes anciennes, de nos Pères du XVIe siècle, le monde moderne a substitué la dissolution de ces formes créées par une méthode d’analyse structurelle (solve), puis cette dissolution fut suivie de la pseudo-création de nouvelles formes (coagula). » (p. 195)

De fait, on comprend mieux ainsi l’effort de J.-M. Berthoud – dans lequel il voit une des tâches capitales de l’homme régénéré : « restaurer le langage des hommes, c’est-à-dire rétablir le rapport vrai entre les pensées dévoyées de l’homme révolté, et celles de son Créateur d’une part, et de l’autre les ramener à l’ordre des choses telles que Dieu les a créées au commencement . » (p. 105) Une exégèse biblique sans présuppositions est impossible ; J.-M. Berthoud se réclame du « christianisme historique » qu’il définit en quatre points : 1°) autorité divine reconnue à l’Ecriture, 2°) caractère historique de la foi chrétienne, 3°) épistémologie réaliste de la foi chrétienne (le réalisme pose la réalité des idées comme une réalité certaine, les concepts qui définissent la foi ne sont pas que des mots), 4°) la foi n’est pas seulement une théorie, mais une façon de vivre, elle cherche à se conformer à la volonté de Dieu contenue dans l’Ecriture entière (cf. pp. 139-141). Dès lors pour l’homme, connaître la vérité n’est pas une œuvre novatrice ou originale, « mais simplement penser les pensées de Dieu après lui » (p. 268), et cela dans un cadre qui ne change pas. C’est dire aussi que le seul témoin de l’origine du cosmos est celui qui l’a appelé à l’existence ; l’information ne peut provenir que par voie d’une révélation divine spéciale. Telles sont, à mon sens, les thèses fondamentales qui rendent compte du déploiement des dix-neuf chapitres de l’ouvrage de J.-M. Berthoud qui comble une évidente lacune, dans le paysage théologique francophone, sur la question.

La première partie touchant la création divine est une lecture commentée des premiers chapitres fondamentaux de la Genèse. Notons l’importance accordée à la doctrine chrétienne classique, mais souvent contestée, de la creatio ex nihilo. Ayant tiré par sa seule parole les cieux et la terre du néant, l’Eternel Dieu façonne par étape ce qui est encore informe : J.-M. Berthoud combat cette idée, très marquée dans le monde francophone, qui veut que la forme littéraire de la poésie ne puisse que renvoyer à une fiction et non à une réalité historique. Pour lui, le texte de Genèse 1 ressortit d’ailleurs au genre de la prose ; ce texte met en place les catégories fondamentales et, quand il évoque la succession des jours, il en va de jours ordinaires. J.-M. Berthoud s’en tient strictement au texte qu’il interprète selon l’analogie de la foi. Il relève que l’image et la ressemblance de Dieu est constitutive de l’essence de l’homme : « Cela veut dire que si l’homme peut très certainement obscurcir, souiller et profaner cette image par son péché, il ne pourra, par contre, jamais s’en défaire. La nature humaine a un caractère stable et fixe. Cette essence est inamovible. » (p. 73)

La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse à l’ordre de la création, avec un accent particulier sur la famille qui a « le caractère d’une forme substantielle permanente (comme les espèces biologiques ou les éléments chimiques) » (p. 141) ; cette structure ne pourra donc jamais être détruite par l’homme. Toutefois, cet élément fondateur de la société est ébranlé jusque dans ces fondements et ressemble, en Occident du moins, à une coquille vide, l’Etat ayant pris le relais. J.-M. Berthoud s’en prend à la confusion d’esprit qui menace notre société apostate et il cherche à rendre toute leur force aux notions de discernement, de distinction et même de discrimination. Je n’ai pu m’empêcher, à la lecture de cet ouvrage, de penser au panneau qu’on voyait autrefois dans les établissements bien ordonnés : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place ». Le plus grand danger est le retour à l’informe et au chaos : l’homosexualité symbolisant, entre autres, le renversement de l’ordre de la création. Le phénomène n’est pas nouveau, ce qui l’est, c’est « une fossilisation, un durcissement, pour tout dire une véritable institutionalisation du mal, qui était inconnue de nos pères, ceci même dans les périodes les plus corrompues de l’histoire humaine. » (p. 191) Je relève un chapitre passionnant, et pour moi très nouveau, touchant la chronologie biblique face aux chronologies profanes, dans lequel J.-M. Berthoud attire l’attention de ses lecteurs sur certains choix méthodologiques – et surtout idéologiques – de la chronologie officiellement reçue, constituée d’après des documents divers du IIIe siècle avant Jésus-Christ par le prêtre égyptien Manéthon.

La troisième partie de l’ouvrage consiste en une défense de la doctrine de la création divine, véritable pivot autour duquel s’articulent les doctrines fondamentales du christianisme. Cela permet à J.-M. Berthoud d’analyser les grandes étapes de la sécularisation de la pensée scientifique et de reprendre, à nouveaux frais, le procès de Galilée – en rappelant que celui-ci ne tournait pas autour d’hypothèses scientifiques, mais de la véracité et de l’autorité universelle de la Bible. L’auteur met à jour les présupposés – les a priori – souvent inconscients ou du moins dissimulés des argumentations et des théories ; c’est précisément à ce niveau que le lecteur assiste à une passe d’armes, dans la dernière partie de l’ouvrage, avec Henri Blocher. Cette correspondance laisse entrevoir des tensions apparemment irréductibles au sein même de l’aile évangélique ; J.-M. Berthoud revient sans cesse sur l’importance d’être au clair sur ses présupposés de travail, car on peut être victime des orientations dominantes de la culture environnante et cautionner des hypothèses dont les conséquences pratiques seraient effrayantes si elles étaient tirées.

En conclusion, J.-M. Berthoud s’oppose, à juste titre, à un monde sans Dieu et sans respect de la dignité de l’homme, partenaire de l’alliance. En rejetant le darwinisme, il refuse la loi de la jungle et le retour programmé au chaos et donc à l’indifférence ; ce faisant, il rejette l’idée que l’homme se définisse uniquement par son animalité. Le problème théologique est posé ; que les lecteurs prennent connaissance des thèses proposées par J.-M. Berthoud ; qu’ils analysent la pertinence de ses développements et de ses a priori. L’entreprise est d’un intérêt capital, car elle revisite les bases philosophiques et théologiques de notre civilisation occidentale.

Yves Bourquin

Pasteur de l’Eglise Réformée Evangélique de Suisse