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Quelle spiritualité ?

Quelle spiritualité ?

Yannick IMBERT*

Il est paradoxal de constater que, dans un monde où, nous dit-on, la religion a disparu, tout soit devenu spirituel. Dans un monde qui est dit « matérialiste », tout est une affaire spirituelle. Tel musicien vous « transportera » et touchera votre âme. Telle œuvre d’art communiquera une « vision intense » du monde ou la découverte de votre « vrai moi ». De même la technologie et son corollaire social, la politique, « ouvriront de nouveaux espaces » conduisant vers une « destinée plus humaine » ! Votre pop-star ou pop-politicien préféré est devenu, plus qu’une simple idole, votre guide spirituel. Le monde redécouvre que l’activité humaine est essentiellement spirituelle !

Au milieu de tout cela, il semblerait bien difficile pour les disciples de Christ d’avoir quelque chose de pertinent à apporter sur le marché de la spiritualité. Quelle est la spécificité de la spiritualité chrétienne ? Dans un monde où la spiritualité est censée transcender les « dogmes » et unir les croyants de toutes les religions, avons-nous quelque chose d’unique à affirmer ? Pour notre courte méditation, je vous propose de comparer la spiritualité contemporaine avec la spiritualité des disciples de Christ.

Spiritualité individuelle ou personnelle ?

La première caractéristique de la spiritualité contemporaine est l’accent mis sur ce qui est individuel. Chacun d’entre nous entreprend une quête spirituelle par laquelle il espère entrer en communion, non pas avec Dieu, mais avec (le) Soi, la Conscience, ou encore l’Ame, voire le Monde, ou même encore le (lire « mon ») Devenir. Le but de la spiritualité, c’est « Moi ».

Remarquez qu’il ne s’agit plus de trouver sa propre spiritualité au milieu de celles qui sont disponibles. Nous sommes passés au stade supérieur. Nous sommes passés à la « spiritualité Google ». Nous recherchons et construisons une spiritualité qui nous est propre, celle qui nous correspond. Et, bien sûr, au détour d’une rencontre spirituelle, nous pourrons rencontrer l’amour ou la paix. Paradoxal : dans une spiritualité individuelle, nous voulons trouver des valeurs universelles. Un problème se pose à nous : si notre spiritualité n’a de base que notre préférence personnelle, comment pourrait-elle nous conduire vers ces « valeurs universelles » ? Si la spiritualité n’est pas affaire de révélation, comment pourrions-nous arriver à une communion autre qu’avec nous-mêmes ?

C’est ici que la spiritualité chrétienne dévoile tout son incroyable mystère : elle affirme que nous sommes faits pour vivre spirituellement, mais pas individuellement. Elle affirme que la vie spirituelle est une vie de communion personnelle qui va au-delà de la communion avec « Moi ». La spiritualité chrétienne est personnelle, car elle est communion « initiée » et nourrie par une personne : Dieu incarné. Elle renonce à une individualité destructive pour se fonder sur Christ. Comme nous le rappelle Paul : « J’ai renoncé à tout, et je regarde tout comme de la paille, afin de gagner Christ, et de trouver toutes choses en lui. » (Ph 3.8) Mais la spiritualité chrétienne est aussi universelle, car la vraie vie, la vraie spiritualité, se trouve en Christ, lui qui nous a « saisis » (Ph 3.12) et en qui nous sommes tous unis. C’est lui notre fondation universelle.

Une spiritualité spiritualiste ou matérielle ?

La deuxième caractéristique des spiritualités contemporaines est la radicale séparation entre le spirituel et le matériel : il ne peut y avoir de spiritualité que « spiritualiste » ou « matérialiste ». Dans le premier cas, la spiritualité prône le rejet de la personnalité par l’abandon de soi dans un grand Tout spiritualiste que nous ne pouvons pas connaître[1] [1]. Paradoxe, une fois encore : dans une société obsédée par l’individuel, nous sommes attirés par des spiritualités qui ne font aucun cas de la personnalité. A vouloir gagner notre individualité, nous perdons notre personnalité. Au contraire, en Christ, nous perdons l’individualisme contemporain pour gagner notre personnalité.

D’autres choisiront une spiritualité « matérielle » qui affirme qu’il n’y a qu’une vie, « moi, la mienne, à moi »[2] [2] et que j’en suis le maître. Une spiritualité à la Dawkins en quelque sorte. Oui, quelle libération : pas de deuxième chance. Et pour tous ceux qui ne sont ni des Dawkins ni des étudiants à Sciences-Po, alors l’espoir est mince. La spiritualité matérielle est une spiritualité élitiste qui ne laisse de choix qu’entre un succès très relatif et aléatoire et un échec dont le désespoir ne sera ni relatif ni aléatoire.

Face à ce choix, notre spiritualité va unir notre vie « spirituelle » et notre vie « matérielle ». Nous ne considérons pas n’être que des êtres spirituels ! Ni spiritualistes, ni matérialistes, nous voulons comme Paul avoir toutes choses en Christ. Nous voulons, dans un monde matériel, vivre une spiritualité qui donne sens à ce monde. Nous voulons, dans un monde spirituel, vivre une spiritualité en relation avec quelqu’un que nous pouvons connaître ; avec une personne qui nous connaît et en qui nous vivons, comme le laisse entendre Christ lui-même en Jean 14.19.

Que ce soit le « matériel » ou le « spirituel », nous trouvons tout en Christ. Ainsi tous les aspects de notre vie nourrissent notre spiritualité parce que c’est là que se trouve Christ. Une fois encore, « j’ai renoncé à tout, et je regarde tout comme de la paille, afin de gagner Christ, et de trouver toutes choses en lui » (Ph 3.8). Pas de séparation du spirituel et du matériel pour le croyant, mais unité de notre vie en Christ, car en toutes choses, par notre foi, nous pouvons et voulons connaître et trouver « Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances », comme le note Paul en Philippiens 3.10.

Spiritualité du renoncement ou du sacrifice ?

Nous venons de le lire, notre spiritualité est une spiritualité de communion aux souffrances de Christ. Cela pourra surprendre, choquer, révulser. Ne sommes-nous pas assez opprimés ? Pourquoi ne pas chercher à échapper à ces souffrances humaines au travers d’une spiritualité du contentement personnel ? Tout simplement parce que notre spiritualité changerait alors selon les humeurs et les désespoirs de notre âme : notre spiritualité ne nous serait d’aucun secours ! Peut-être choisirions-nous une spiritualité du renoncement à soi afin d’échapper à toute souffrance.

Mais la spiritualité chrétienne n’est pas une échappatoire mais un sacrifice volontaire, une conviction et un désir de porter sa croix en étant unis à Christ ! La spiritualité chrétienne est celle du sacrifice de soi, mais pas dans le sens d’un rejet de notre personne ou du monde, bien au contraire. Notre spiritualité affirme que, par la vie de Christ, nous sommes pour la première fois nous-mêmes. En renonçant à notre quête individuelle, nous découvrons notre personnalité, transformée de jour en jour à l’image de la personne parfaite, la stature de Christ. Seulement alors, nous sommes humains : en Christ !

Mais notre spiritualité est aussi sacrifice de soi : sacrifice de ce que notre nature pécheresse désire et idolâtre. C’est ainsi que nous devons « mortifier » le péché et édifier notre foi, redisons-le, « afin de connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances » (Ph 3.10). Si notre spiritualité est sacrifice du monde et de soi, c’est nous inviter à nous défaire du monde en tant que principe de vie spirituelle. Cependant, notez bien que nous ne renonçons pas au monde créé par Dieu, mais que nous sacrifions notre idole du monde : notre vie spirituelle se fonde sur Christ et veut trouver toutes choses en lui. Une fois Christ établi comme Seigneur et maître, le monde s’efface comme ombre au soleil. Nous gagnons toutes choses en Christ car, en lui, se trouvent toutes choses. Ce n’est donc pas un renoncement au sens où les spiritualités contemporaines l’entendent. Le monde, notre guide spirituel, s’efface devant notre spiritualité qui nous fait « connaître Christ, et la puissance de sa résurrection ». Ainsi, ce n’est pas le monde créé par Dieu que nous sacrifions, mais l’attitude, l’orgueil et l’idolâtrie de notre cœur.

En ce sens-là, la spiritualité chrétienne est une spiritualité de plénitude qui transforme les désirs du cœur en contentement divin et en vie sanctifiée. En nous détournant des désirs de notre cœur, nous trouvons ce que Dieu lui-même nous donne : la vie en plénitude. Je trouve tout en Christ, car Christ est ma vie, et je vis en lui (Jn 14.19) ! Notre spiritualité est une spiritualité de transformation radicale, et non pas de renoncement ! Nous sacrifions notre idole du monde pour gagner le monde tel qu’il est : en suivant Christ et son commandement (Jn 14.21). Nous proclamons une spiritualité de « transformation » (ou de « sanctification ») qui est beaucoup plus difficile qu’une spiritualité du « renoncement » !

Conclusion : spiritualité d’espérance

Notre spiritualité, fondée sur Christ, ayant le contenu de la foi en le Maître de la vie, est personnelle et réellement spirituelle. Elle est vie, elle est union, communion. Mais elle est aussi porteuse d’espérance. C’est ce que nous croyons et ainsi nous vivons. Notre spiritualité a une finalité et seulement une : la connaissance de Dieu et de son Christ par l’Esprit. Si pèlerinage spirituel il y a pour le peuple de Dieu, c’est un pèlerinage personnel qui, cependant, nous rassemble tous : le pèlerinage d’un peuple dans le désert, uni au Capitaine de notre foi.

Notre spiritualité est une spiritualité d’espérance, car elle n’est pas fondée sur ce que nous voulons, contrairement aux spiritualités contemporaines. Nous espérons fermement ce qui nous est déjà donné : la connaissance de Dieu en Christ, la vie de résurrection et la communion éternelle avec Christ, avec sa vie, ses souffrances et sa glorification. Nous devenons « conformes à lui dans sa mort » pour parvenir ensuite « à la résurrection d’entre les morts ».

En cela, la spiritualité chrétienne, seule, fait face au réalisme de la vie humaine en étant espérance dans l’adversité : « Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit, pendant qu’on me dit sans cesse: Où est ton Dieu ? » (Ps 42.4) Elle est aussi une spiritualité d’espérance qui répond : « Il est mon salut et mon Dieu. » (Ps 42.6) Lorsque notre vie dégénère, nous ne nous tournons pas vers le renoncement de soi. Nous disons alors : « Pourquoi t’abats-tu, mon âme, et gémis-tu au dedans de moi ? Espère en Dieu, car je le louerai encore ; Il est mon salut et mon Dieu. » (Ps 42.6) Chantons comme le psalmiste notre spiritualité !

* Y. Imbert est professeur d’apologétique et d’histoire à la Faculté Jean-Calvin d’Aix-en-Provence.


* Y. Imbert est professeur d’apologétique et d’histoire à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] [3] Ceci est flagrant dans le film Avatar, dans lequel notre devenir consistera à nous perdre dans le Tout, le Vivant. James Cameron, Avatar. 20th Century Fox, 2009.

[2] [4] The Beatles, « I Me Mine » sur l’album Let It Be. Apple (Parlophone), 1970.