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Sommaire N° 256 – 2010/5 – NOVEMBRE 2010 – TOME LXI

La théologie de la kénose
chez Frédéric Godet
(1812-1900)

David MARTORANA*

Introduction

I. Frédéric Godet, sa vie

II. La théologie de la kénose

III. La pensée de Frédéric Godet sur la kénose

A. Etudes Bibliques, Nouveau Testament

B. Survol des épîtres de Paul

C. La divinité de Jésus-Christ

D. La sainteté parfaite de Jésus-Christ

E. Commentaire sur l’évangile selon saint Jean

IV. Evaluation de la pensée de Frédéric Godet

A. Brèves considérations exégétiques sur Philippiens 2.6-7

B. Brèves considérations exégétiques sur Jean 1.14 et sur 2 Corinthiens 8.9

C. Considérations théologiques

D. Résumé

Conclusion

Bibliographie


Symbole de Chalcédoine

« Suivant donc les saints Pères, nous enseignons tous unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité, un seul même Christ, Fils du Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais en un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ. »


INTRODUCTION

« Le XVIe siècle demandait à Jésus : ‘Qu’as-tu fait ?’

Le XIXe siècle lui demande : ‘Qui es-tu ?’ »[1] [1]

(Frédéric Godet, lors d’une conférence donnée au Concile mondial des Eglises presbytériennes, Edimbourg, 1877) 

C’est par ces courtes questions rhétoriques que Frédéric Godet souligne avec justesse et concision combien l’intérêt théologique porté à la personne du Christ au XIXe siècle ne concerne plus particulièrement son œuvre mais sa personne.

La question théologique qui avait tant préoccupé les Réformateurs n’est maintenant plus la même. Le contexte historique et ecclésiastique du XVIe siècle, terreau dans lequel s’enracina la controverse au sujet de la justification par la foi seule, a lui-même changé. Ce qui, en effet, n’était alors qu’une « Eglise dissidente et naissante » a évolué, trois siècles plus tard, en une Eglise polymorphe où le débat théologique s’est fait plus dense et intense. Ainsi, les théologiens de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle, forts des nouvelles disciplines scientifiques telles que la critique textuelle et la psychologie moderne, entreprirent de réexaminer chaque élément doctrinal de la foi chrétienne à la lumière des nouvelles connaissances. Il s’ensuivit que la doctrine chalcédonienne de la personne du Christ, jusqu’ici confessée par l’ensemble de l’Eglise, commença à être rejetée par certains théologiens.

C’est ainsi que vit le jour une conception christologique soucieuse d’éviter certaines difficultés d’ordre psychologique relevées dans le texte de Chalcédoine : il s’agit de la doctrine de la kénose du Christ. Celle-ci désirait maintenir l’affirmation de la divinité essentielle du Christ, ainsi que celle de sa réelle humanité, mais souhaitait reprendre l’articulation de ces deux notions énoncées par les théologiens de Chalcédoine.

Le problème de Chalcédoine, selon les kénotistes, résidait dans l’affirmation de l’union simultanée des deux natures dans la personne du Christ. Celui-ci ne pouvant pas être à la fois vrai Dieu et vrai homme, ils crurent résoudre le problème christologique en considérant le Christ successivement Dieu, puis homme, et enfin homme-Dieu. Le mode de l’incarnation n’était donc plus, suivant le point de vue traditionnel, l’assomption de la nature humaine par le Logos divin, mais la kénose de ses attributs divins, en totalité ou en partie, pour devenir réellement homme.

Alors que la doctrine de la divinité essentielle du Christ était mise à mal[2] [2] à mesure que le libéralisme théologique se propageait, certains théologiens évangéliques réagirent et cherchèrent à lui rendre justice en adoptant la conception kénotiste de l’incarnation ; ils venaient de trouver, selon eux, la position doctrinale idéale qui, tout en affirmant la divinité ontologique du Christ, rendait véritablement compte de sa pleine et réelle humanité.

De ce nombre fut Frédéric Godet. Homme d’Eglise et homme public, dont l’ombre plana sur tout le XIXe siècle, il rayonna sur la Suisse et le monde francophone[3] [3]. Pasteur et professeur à la Faculté indépendante de théologie de Neuchâtel, exégète de renom et auteur de nombreux commentaires et articles, Frédéric Godet mit toute son érudition au service de l’Evangile et tenta, à la suite de Wolfgang Friedrich Gess, de maintenir une certaine orthodoxie évangélique, tout en tenant compte des arguments théologiques et psychologiques que l’on opposait à la doctrine christologique traditionnelle. Paul Lobstein écrivit à son sujet :

Parmi les théologiens des pays de langue française, c’est lui qui représente avec le plus d’autorité et de talent la théorie christologique, dont Thomasius et M. Gess sont en Allemagne les champions les plus éminents, et qui est connue sous le nom de doctrine de la kénose…[4] [4]

Ce ralliement du grand exégète à l’hypothèse kénotiste suscite un certain nombre d’interrogations.

Comment Frédéric Godet, auteur évangélique de grande envergure d’hier et d’aujourd’hui[5] [5], a-t-il pu adhérer à une doctrine qui, nous le verrons, renie les fondements mêmes de la christologie évangélique ? Quelles sont les raisons sous-jacentes de son adhésion à pareille hypothèse ? In fine, il nous faudra déterminer si la conception kénotique de l’incarnation a bel et bien résolu le problème christologique soulevé, si tant est, d’ailleurs, qu’elle l’ait correctement posé.

Dans cette étude, nous dresserons, tout d’abord, un portrait biographique succinct de Frédéric Godet afin de mieux saisir sa personnalité, le contexte dans lequel il vécut et l’influence qu’exercèrent ses professeurs en théologie sur sa pensée théologique et christologique.

Nous aborderons ensuite l’hypothèse de la doctrine de la kénose, rendant compte de son évolution depuis les successeurs de Martin Luther jusqu’au XIXe siècle. Nous exposerons la conception kénotique de la christologie de Frédéric Godet au travers de ses textes dans le chapitre trois, avant de les évaluer, d’un point de vue réformé évangélique, dans notre dernier chapitre.

Enfin, nous essaierons, en guise de conclusion, d’apporter un éclairage nouveau sur deux sujets fondamentaux de christologie, qui, développés, nous permettent de mieux appréhender le mystère de l’incarnation.

I. Une introduction à la vie de Frédéric Godet

Enfance et préparation aux études de théologie

C’est le 25 octobre 1812 que naquit Frédéric-Louis Godet, sixième et dernier enfant de la fratrie. Son père, Paul-Henri Godet (1767-1819) était un juriste audacieux qui, en raison de sa « nature essentiellement généreuse et désintéressée, devint l’avocat des petits et des humbles[6] [6] ». Il fut également maire de Travers, puis de Cortaillod en 1799 ; il exerça cette fonction jusqu’à sa mort. Malgré le cumul de ces deux emplois et l’excellente réputation dont jouissait Paul-Henri Godet, le foyer vécut dans un souci financier perpétuel dû, essentiellement, à la pauvreté de la clientèle qu’il représentait. Cependant, cette précarité certaine de la famille Godet n’était pas le trait dominant du foyer dans lequel grandit celui qui allait devenir l’un des plus influents pasteurs et théologiens évangéliques de son temps. « En dépit de cette situation matériellement précaire, il connut une enfance heureuse… »[7] [7]

 Frédéric Godet « a grandi dans l’atmosphère de simplicité, de droiture, de piété profonde qui était celle de son entourage »[8] [8]. Les qualités morales de son père étaient nourries par « une piété simple et forte[9] [9] ». Quant à sa mère, Eusébie-Jacqueline Gallot (1778-1866), elle était la fille du pasteur Gallot-Renaud, « homme à la fois spirituel et débonnaire »[10] [10]. C’est donc un foyer rempli d’amour, de générosité, et dont la foi chrétienne était ferme qui accueillit Frédéric Godet.

Agé d’à peine six ans et demi lorsque survint la mort de son père, Frédéric passa sa jeunesse auprès de sa mère à Neuchâtel, ses frères aînés étant partis à l’étranger. Doué d’un esprit vif et ayant à l’instar de son père le goût du travail acharné, Frédéric Godet se distingua dès son plus jeune âge à l’école ; en sont témoins les nombreux prix qu’il reçut du « magistrat de Neuchâtel » lors de sa scolarité. Cette intelligence exceptionnelle s’accompagnait d’une propension à l’introspection qui aiguisa en lui sa moralité. « Le milieu d’où est sorti Frédéric Godet, les influences religieuses qu’il a subies, expliquent la rigueur souvent excessive avec laquelle, dès l’adolescence, il eut l’habitude de juger ses sentiments et ses pensées. »[11] [11]

 Il reçut son éducation religieuse du pasteur Jacques-Auguste Du Pasquier (1794-1869), qui fut diacre (1827-1831) puis pasteur de la paroisse de Neuchâtel (1831-1868) ; celui-ci était, lors de ses études, « disciple à Berlin de Schleiermacher et de Neander »[12] [12].

 Il fut baptisé par le pasteur Du Pasquier à Noël 1828 et gardera tout au long de sa vie un mémorable souvenir de la forte expérience spirituelle qu’il fit ce jour-là. Le collège terminé, Frédéric Godet suivit certains cours de philosophie et de philologie dans les auditoires, enseignement supérieur de l’époque, auprès de maîtres reconnus : Abram-François Petavel et Alphonse Guillebert. Là encore, il s’y distingua par des travaux de qualité. Il passa l’année 1829 et la moitié de 1830 à préparer ses examens de proposant[13] [13], qu’il réussit avant l’âge réglementaire.

A cette époque, il n’y avait pas de faculté de théologie organisée ; les proposants, livrés à leur initiative, étaient, pour ainsi parler, responsables de leurs études. Chaque mercredi après-midi, un d’entre eux présentait, dans la salle du conclave, un travail sur un sujet donné. En fait de cours, ils n’avaient que les leçons d’hébreu qu’ils allaient prendre à Serrières, chez le pasteur Perrot.[14] [14]

Après avoir été au service du gouvernement durant quelques mois, lors de l’insurrection républicaine de septembre 1831, Frédéric Godet, tout en continuant ses études, se prépara à partir étudier la théologie à Berlin. Toutefois, quelques semaines avant son départ, il crut entendre une voix intérieure qui l’appelait à devenir missionnaire : très inquiet et angoissé, il remit en question ses futures études théologiques. Cependant, après avoir cherché conseil auprès de sa mère et du pasteur Du Pasquier, il se résolut à partir pour Berlin, plus par obéissance que par conviction.

Etudes de théologie à Berlin

Frédéric Godet arriva le 22 mars 1832 à Berlin pour y débuter ses études de théologie. Il y restera trois années avant de se rendre à Bonn, le 10 avril 1835, pour y suivre un semestre de cours. Ces études constituèrent dans sa vie le moment essentiel où sa pensée théologique et philosophique se trouva affinée et affermie. C’est ici qu’il y rencontra ceux qui devinrent « ses maîtres » et qui l’influencèrent durablement. A peine arrivé, il rendit visite aux professeurs Neander[15] [15] et Hengstenberg[16] [16]. Du premier, Frédéric Godet deviendra rapidement le disciple et lui vouera, pour le reste de sa vie, une grande admiration. Il s’attacha également au professeur Steffens. « Disciple de Neander et de Steffens, auditeur de Schleiermacher et de Schelling, c’est en allemand qu’il fut, en une certaine mesure, obligé de penser. »[17] [17] Ainsi, nous pouvons d’ores et déjà entrevoir l’impact qu’a eu la théologie du Réveil[18] [18] sur Frédéric Godet, ainsi que la philosophie spéculative de Schelling[19] [19] et de Hegel[20] [20].

Si ce temps passé à Berlin fut favorable à ses études théologiques, Frédéric Godet n’en connut pas moins un long temps de remise en question de sa foi ; effectivement, cette crise de vocation qu’il connut avant de se rendre à Berlin n’était pas terminée pour autant. Ce sera notamment par sa relation amicale avec le baron de Kottwitz (1757-1843), « dont l’influence sur lui devait être profonde[21] [21] », qu’il trouvera la force de surmonter cette épreuve longue de plusieurs années. Ce baron, probablement converti par les moraves, influença si profondément Frédéric Godet durant son séjour à Berlin que celui-ci en garda jusqu’à la fin de sa vie un portrait dans son bureau. L’influence des moraves sur Frédéric Godet s’exerça également par la lecture de la biographie du comte de Zinzendorf, La vie du comte de Zinzendorf d’Auguste Gottlieb Spangenberg[22] [22], que celui-ci fit pendant son temps de crise intérieure. « Durant ces années d’études berlinoises, la spiritualité dont vécut Frédéric Godet s’imprégna dès lors d’un romantisme nourri de piétisme morave. »[23] [23]

Durant ce temps d’études, il aura l’opportunité de suivre les cours de Gerlach[24] [24] et de Tholuck[25] [25]. Il s’intéressera également à Olhaussen[26] [26] et fera une rencontre importante avec Richard Rothe[27] [27] à Halle, ami de Tholuck. A Bonn, il suivra durant un semestre le cours de dogmatique de Nitzsch[28] [28] et celui de philosophie de Brandis.

Pasteur, précepteur et professeur

Frédéric Godet sera consacré au ministère pastoral le 7 septembre 1836. Il sera alors « subside[29] [29] » du Val-de-Ruz, c’est-à-dire pasteur auxiliaire itinérant, avant de devenir, de 1838 à 1844 à Berlin, précepteur du prince héritier de Prusse, le futur empereur Frédéric III. Il entretiendra avec lui une correspondance abondante jusqu’au décès de celui-ci, le 15 juin 1888, tant les liens qui les unirent étaient étroits. A son retour de Berlin, il épousera Caroline Vautravers, une parente, le 16 octobre 1844.

Quelques jours après que les républicains français eurent accédé au pouvoir le 24 février 1848 suite à l’insurrection parisienne, quelques centaines de montagnards suisses provoquèrent la révolution neuchâteloise et instituèrent la République le 1er mars 1848[30] [30]. L’Eglise neuchâteloise, qui, jusque-là, n’avait connu d’autre autorité que celle de la Compagnie des pasteurs, dût trouver sa place dans la nouvelle organisation politique du canton. Frédéric Godet, aidé par le pasteur et doyen Du Pasquier, fut chargé de rédiger les vœux de la Classe[31] [31] afin de les présenter au Conseil d’Etat[32] [32]. Le refus de l’instauration de la République par certains pasteurs allait ouvrir à Frédéric Godet de nouvelles opportunités pour son ministère : son professorat ainsi que son ministère pastoral à Neuchâtel.

En 1850, il commencera à donner quelques leçons d’exégèse à la Faculté de théologie, lorsque le professeur Perret-Gentil, n’ayant pas voulu reconnaître le nouvel ordre politique, suspendit son enseignement[33] [33]. Frédéric Godet, sollicité pour reprendre ce poste, le refusa, mais consentit néanmoins à donner « quelques leçons provisoires ».

De même, lorsque le pasteur Guillebert refusera d’assumer la charge pastorale de la paroisse de Neuchâtel, par allégeance à Sa Majesté, c’est à Frédéric Godet que celle-ci proposera le poste, laissé vacant. Il refusera à maintes reprises de se présenter à l’élection pastorale de la paroisse ; cependant, il sera disposé à accepter son élection s’il était nommé. Ainsi, il fut élu pasteur de Neuchâtel[34] [34] le 6 avril 1851 par 334 voix sur 352 votants, la différence de 18 voix étant due aux abstentions[35] [35], à une élection à laquelle il ne s’était pas présenté[36] [36]. Son ministère pastoral se caractérisera notamment par des visites quotidiennes aux pauvres[37] [37] et aux malades[38] [38], aux prisonniers, ainsi qu’à la cure d’âmes. Durant cette période, il donnera deux leçons hebdomadaires de religion au collège, entretiendra une abondante correspondance, assurera ses cours de théologie à la faculté et continuera d’écrire des articles[39] [39]. Il poursuivra également ses études bibliques du mercredi soir, qui connurent le même succès à Neuchâtel qu’au Val-de-Ruz, à savoir un auditoire toujours plus grand. « Il donnait en outre, pendant la semaine, des études bibliques dont plusieurs, et nous sommes du nombre, ont remporté des impressions ineffaçables. Ces méditations sont toujours demeurées pour nous comme le type d’une exégèse populaire et substantielle tout à la fois. »[40] [40] Quant à ses sermons, ils « avaient essentiellement pour objet la vie chrétienne ; il était avant tout le prédicateur de la sainteté »[41] [41].

 L’influence de Frédéric Godet grandissait à mesure que s’intensifiait son labeur[42] [42]. Cette période de travail acharné fut également accompagnée de douleur : son épouse bien-aimée, dont la santé déclinait depuis trois années, décéda le 13 février 1860. Il se mariera en secondes noces le 22 mai 1862 avec Mlle Caroline Alioth, « qui, depuis un certain temps déjà, dirigeait l’éducation de ses deux filles aînées »[43] [43].

Le premier volume de son commentaire sur l’évangile de saint Jean paraîtra en décembre 1863. « Le second volume de Saint Jean fut mené à terme avec l’année 1864, mais non sans une grande fatigue. »[44] [44] Ses commentaires connaîtront un grand succès, traduits immédiatement en allemand et en hollandais et, peu de temps après, en anglais et en suédois. Le désir d’écriture de Frédéric Godet ne s’arrête pas là ; malgré une charge de travail impressionnante, le pasteur exégète nourrit de nombreux projets : « J’aimerais pouvoir maintenant traiter un des synoptiques, Saint Luc en particulier, et puis rédiger une Introduction au Nouveau Testament. Quand je vois comme on égare notre jeunesse théologique française, cela me fait mal ! », écrit-il à son ami Guyot en 1865[45] [45]. Ayant refusé une invitation de la Faculté de théologie de Strasbourg[46] [46], pour laquelle il eût dû quitter son pays qui lui était si cher et obtenir un doctorat en théologie, Frédéric Godet mettra un terme à son mandat pastoral le 31 décembre 1866 pour se consacrer seulement au professorat à la Faculté de Neuchâtel.

Il sentait que le moment était venu pour lui de choisir entre la tâche du professeur, qu’il envisageait avec un si profond sérieux, et les fonctions du ministère évangélique… De l’avis de ses amis et collègues, il importait surtout à l’Eglise qu’il conservât son enseignement à la Faculté de théologie, par quoi il exerçait une influence toujours plus grande ; ils étaient unanimes à le presser d’opter pour le professorat[47] [47].

Poursuivant ses nombreuses tâches et engagements avec une régularité implacable, Frédéric Godet sera récompensé en se voyant décerner le grade de docteur honoris causa en théologie par l’Université de Bâle en novembre 1868 . « L’Allemagne elle-même lui a donné une place d’honneur parmi ses exégètes. »[48] [48] Cet hiver ne sera pas seulement empreint par la distinction académique que reçut Frédéric Godet, mais aussi par la brillante défense de la foi évangélique face au libéralisme montant dans sa propre ville de Neuchâtel. La première « attaque » ouverte survint lors de la conférence initiale que donna le professeur de philosophie et de littérature française à l’Académie de Neuchâtel, Ferdinand Buisson, attaque qui n’était rien moins qu’une « charge à fond contre l’Ancien Testament et l’enseignement de l’histoire sainte dans les écoles »[49] [49]

 Frédéric Godet y répondra en donnant, cinq jours plus tard, une conférence dont le titre fut : « La Sainteté de l’Ancien Testament »[50] [50]. S’ensuivirent six conférences apologétiques[51] [51], entre la fin 1868 et le début de l’année 1869, en réponse aux conférences tenues par des théologiens libéraux.

M. Godet, auquel l’Université de Bâle venait de conférer le titre de docteur en théologie, fut vraiment, à ce moment, le docteur de l’Eglise neuchâteloise, et ses conférences apologétiques furent remarquées dans tout le monde protestant. A peine un conférencier libéral avait-il traité un sujet que M. Godet se trouvait prêt à répondre, non point par une improvisation hâtive, mais par un travail sérieux et complet, non par des dissertations théologiques, mais par de vraies conférences, destinées au peuple de l’Eglise et portant sur toutes les questions vitales.[52] [52]

Cependant, au-delà des débats théologiques auxquels ces conférences souhaitent apporter leur contribution, ces disputes entre évangéliques et libres penseurs déclenchèrent, de part et d’autre, « un mouvement en faveur de la séparation de l’Eglise et de l’Etat »[53] [53].

 Les partisans de la libre-pensée estimaient qu’ils n’avaient pas à entretenir de leurs deniers propres la prédication de l’Eglise neuchâteloise ; celle-ci, quant à elle, se refusait de vivre aux frais des ennemis de l’Evangile. Frédéric Godet se trouva donc en accord « avec les libres-penseurs qui réclamaient la séparation, et avec le gouvernement qui la proposait au corps législatif »[54] [54].

 Il s’en fera ainsi l’apologète dans une conférence prononcée à Neuchâtel, le 13 décembre 1869, ayant pour titre « La séparation de l’Eglise et de l’Etat à Neuchâtel ». Toutefois, après maints revirements politiques, cette loi concernant la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne fut pas acceptée ; la loi ecclésiastique, quant à elle, qui ouvrait la porte à toutes les tendances théologiques, fut votée le 14 septembre 1873 dans des circonstances suspectes, avec une différence de 16 voix sur 14 000 votants. Moins d’une semaine après, le 20 septembre 1873, et sous l’impulsion, entre autres, de Frédéric Godet, naissait l’Eglise indépendante de Neuchâtel, dont l’acte de fondation fut signé par quarante chefs de famille. Il écrit le lendemain à son ami Louis Bonnet : « L’Eglise libre se constituera, ou… l’Evangile devra se voiler la face »[55] [55].

C’est à cette même période que parurent les recueils intitulés Etudes bibliques, Ancien Testament (1873) et Nouveau Testament (1874)[56] [56], à la suite du Commentaire sur l’Evangile de Saint Luc (2 volumes) qui, lui, parut à la fin de l’année 1870 et dont l’édition fut épuisée en à peine deux mois.

Le 18 octobre 1875 marque la réouverture de la Faculté indépendante de Neuchâtel. Frédéric Godet y retrouve son poste d’enseignement d’exégèse. Ces années-ci et les suivantes furent marquées, comme les précédentes, par un dur labeur (édition de la Bible annotée[57] [57], nombreuses conférences pour l’Alliance évangélique mondiale, etc.) mais aussi par de nombreux deuils : les plus anciens amis et collaborateurs de Frédéric Godet disparaissent les uns après les autres.

L’exégète neuchâtelois se verra décerner, en 1884, un second doctorat honoris causa par l’Université d’Edimbourg. Frédéric Godet prendra sa retraite, pour des raisons de santé, en 1887, à l’âge de soixante-quinze ans[58] [58] ; son fils Georges, qui fut l’un de ses plus fidèles collaborateurs dans l’édition de son œuvre monumentale[59] [59], lui succédera à la chaire de Nouveau Testament. Frédéric Godet conservera tout de même une heure de lecture cursive du Nouveau Testament jusqu’en 1894. Cette « retraite » sera à l’image de toute sa vie : très active. Il réécrira ses ouvrages, rédigera de nombreux articles, poursuivra sa correspondance, continuera de prêcher en paroisse ou devant l’assemblée des pasteurs, etc.

Après avoir connu quelques semaines de vives souffrances, il s’éteint le lundi 29 octobre 1900, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, laissant interrompue « [l’]Introduction au Nouveau Testament qui fut le rêve de sa jeunesse, le grand œuvre à la préparation duquel il avait consacré sa vie et auquel il a travaillé jusqu’à son dernier souffle »[60] [60].

Frédéric Godet marqua indéniablement la ville de Neuchâtel, son Eglise, et plusieurs générations de théologiens et de pasteurs, comme en témoigne cette adresse qu’il reçut le jour de son quatre-vingtième anniversaire, signée par 249 pasteurs, professeurs de théologie et laïcs :

« Nos Eglises vous doivent beaucoup : la vénération dont elles vous entourent et l’autorité que vous y possédez le démontrent mieux que nos paroles ne pourraient le faire.

Nous vous devons plus encore, nous qui avons pu recevoir directement vos enseignements : vous avez été pour nous plus qu’un docteur savant nous guidant dans l’étude des Ecritures et nous en dévoilant les trésors ; vous avez été un ami et un père toujours prêt à nous diriger, à nous relever, à nous encourager… Vous nous avez appris à aimer notre commun Maître en nous donnant en votre personne l’exemple d’une piété profonde unie à une science incontestée ; vous avez décidé de la carrière pastorale de quelques-uns d’entre nous et affermi la vocation des autres. »[61] [61]

II. La théologie de la kénose

« Qui dites-vous que je suis ? » demandait Jésus à ses disciples. Si pour Pierre la réponse allait de soi, « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », l’identité de Jésus-Christ a néanmoins embarrassé et divisé profondément non seulement ses contemporains, mais également la communauté chrétienne entière.

La doctrine de la personne du Christ fut, en effet, débattue plus qu’aucun autre dogme dans l’Eglise primitive. Les conciles de Nicée et de Chalcédoine posèrent les fondements doctrinaux de ce qui allait devenir la « norme christologique » confessée par l’Eglise chrétienne. « Les Réformateurs se sont très consciemment retenus d’innover en matière christologique, et ils ont protesté haut et fort de leur accord avec les Pères et les conciles œcuméniques. »[62] [62]

 Cependant, alors que la communicatio idiomatum n’était chez les Pères qu’une règle de langage, elle devint avec Luther une « réalité des natures »[63] [63]. Ainsi, la nature divine du Christ communique à la nature humaine ses propriétés et vice versa[64] [64]. C’est dans ce contexte du luthéranisme allemand que la doctrine de la kénose prendra sa source ; la conception de l’union des deux natures de Luther, proche du monophysisme (« Fantôme d’Eutychès », selon l’expression d’Henri Blocher[65] [65]), posera de nombreux problèmes aux théologiens luthériens. « Or comment Jésus de Nazareth peut-il être tout-puissant et tout-présent, tout en étant seulement homme ? »[66] [66]

La réaction du bon sens et la fidélité à la lettre de l’Evangile essayeront de corriger ces excès, en proposant une « atténuation » ou kénose de ces attributs « divins » de l’humanité, de façon à ne pas altérer leur caractère vraiment humain[67] [67]

Une controverse naîtra donc dans le milieu luthérien, aux XVIe et XVIIe siècles, pour tenter de résoudre ce problème christologique.

Pour Martin Chemnitz (1522-1586), « l’humanité [du Christ] possède la majesté divine, mais renonce habituellement à son usage »[68] [68]. Il s’agit d’un renoncement fonctionnelle (κένωσις τῆς χρήσεως). Pour Johann Brentz (1499-1570), plus radical dans sa conception christologique luthérienne, l’état d’exaltation est toujours simultané à l’état d’exinanition. Ainsi, le Christ a de sa majesté l’usage habituel, « mais cet usage demeure parfois caché »[69] [69]. Les deux adversaires s’accordaient sur la conservation de la plénitude de la divinité du Logos lors de son incarnation, ainsi que sur la communication des idiomes elle-même. Leur opposition portait uniquement sur l’utilisation des attributs divins par la nature humaine du Christ pendant son état d’exinanition ; il s’agissait, pour le premier, d’un renoncement alors que, pour le second, cela n’était qu’une dissimulation.

Deux écoles de pensée s’inspireront de ces théologiens : l’école de Giessen suivra Chemnitz tandis que celle de Tübingen suivra Brentz.

La Formule de concorde ne tranchait pas entre les deux conceptions, ses expressions penchaient alternativement vers l’une ou vers l’autre. La lutte reprit donc en 1619 autour de la question qui n’était pas encore éclaircie. Les théologiens de Giessen s’opposèrent à ceux de Tübingen… Le conflit s’acheva par la « decisio saxonica » de 1624 qui, pour l’essentiel, suivait la conception de Giessen ; elle rejetait par conséquent, en ce qui concerne la nature humaine de Jésus durant sa vie terrestre, une simple dissimulation (krypsis) de la possession et de l’usage des attributs de la Majesté divine et elle affirmait un véritable dépouillement (kenosis) de leur usage dans l’état d’abaissement.[70] [70]

Ainsi, au XVIIe siècle, la querelle sur la kénose du Christ ne concernait que l’abaissement et l’exaltation de sa nature humaine [71] [71]et non pas encore le dépouillement de soi du Fils de Dieu. La doctrine de la kénose telle qu’elle se développa au XIXe siècle enseigna, quant à elle, l’abandon, partiel ou total, des attributs divins lors de l’incarnation du Logos. La kénose ne concernera donc plus la nature humaine du Christ lors de son incarnation, mais la nature divine du Logos dans sa préexistence éternelle. Comme l’a fort bien décrit Dietrich Bonhoeffer,

le sujet de l’abaissement n’est plus vu dans le Dieu-homme fait homme, mais en arrière de celui-ci, dans le Logos lui-même. La chaîne des événements n’est plus : Logos-homme-abaissement, mais : Logos-abaissement-homme.[72] [72]

Ainsi, le sujet de la kénose change : ce n’est plus le Christ-Jésus homme qui subit la kénose mais le Logos divin. Le moment de la kénose change donc également : celle-ci ne se produit plus seulement ensarkos, comme cela était enseigné par Luther, mais commence asarkos[73] [73].

La doctrine de la kénose, revue et corrigée par les théologiens allemands du XIXe siècle, désirait éviter les écueils des deux écoles présentées ci-dessus, à savoir la compromission de la réalité de l’existence historique du Christ, pour l’école de Tübingen, et la compromission de l’unité vivante et vitale de la personne du Christ, pour l’école de Giessen.

Face à la montée de la théologie libérale et de la psychologie moderne, ils souhaitaient également réaffirmer la divinité du Christ[74] [74] tout en « escamotant » les difficultés soulevées par la formulation jugée maladroite de Chalcédoine[75] [75]. Cette hypothèse[76] [76] cherche donc à « résoudre le problème des deux natures » de Christ, à « faciliter singulièrement la solution du problème christologique »[77] [77]. Son objectif est de « simplifier le problème christologique, de sauvegarder pleinement l’humanité de Jésus-Christ[78] [78] et de ne plus briser l’unité de sa personne »[79] [79].

Pour ce faire, cette théorie « veut enlever les parties offensantes de la doctrine de la double nature[80] [80] » et les problèmes qu’elle pose, notamment le dyothélisme, qui n’est en « aucune façon psychologiquement crédible », écrit Peter Taylor Forsyth[81] [81]. La formulation de Chalcédoine étant incompréhensible, on préfère choisir une vérité empirique plutôt que celle de l’Ecriture : la foi est sacrifiée au profit de la psychologie moderne[82] [82].

Cette théorie se présente comme une sorte de rivale de la thèse scolastique sur l’union hypostatique. Ses auteurs ont comme but principal de sauvegarder l’unité personnelle stricte du Christ et de s’opposer ainsi au nestorianisme, mais ils entendent aussi sauvegarder la concrète et non feinte humanité du Christ, ce qui est le souci dominant des nestoriens. Ils veulent en particulier expliquer le développement progressif réel et les limitations humaines du Christ, ainsi que l’unité de sa conscience psychologique, tels que les décrivent les récits évangéliques.[83] [83]

Nous pouvons donc souscrire à l’assertion selon laquelle la christologie de la kénose « n’est qu’une christologie transitoire entre la christologie traditionnelle et la christologie de la théologie nouvelle »[84] [84].

Fondée essentiellement sur le passage de Philippiens 2.6-11[85] [85] et, plus particulièrement, le verset 7 (s’est dépouillé lui-même, ἑαυτὸν ἐκένωσεν), la théologie de la kénose rend compte du mode de l’incarnation du Fils par la soustraction de ses attributs divins, tout ou en partie, à sa personne divine, là où la doctrine traditionnelle de l’Eglise considérait l’incarnation du Fils éternel de Dieu par l’assomption de la nature humaine. Les deux autres passages bibliques servant de fondement à cette doctrine sont Jean 1.14 et 2 Corinthiens 8.9. Par la kénose, Dieu le Fils devient homme ; par la glorification, l’homme-Jésus redevient Dieu.

Les premiers artisans de cette théologie furent Sartori (1831), Thomasius (1844, 1857) et Gess (1856, 1870). Elle fut reprise et propagée dans le monde théologique francophone essentiellement par Frédéric Godet, « pour les pays de langue française, défenseur et champion attitré de la kénose[86] [86] », son collègue Augustin Gretillat[87] [87], tous deux professeurs à Neuchâtel, et par François Bonifas[88] [88], professeur à Montauban, plus modéré. Elle fut relayée chez les anglicans, avec certains changements, par Charles Gore[89] [89], et chez les orthodoxes par Serge Boulgakof[90] [90]. Notre attention se portera particulièrement sur Gottfried Thomasius, qui contribua au premier développement de cette doctrine, et sur W.-F. Gess, qui influença directement notre théologien suisse.

Pour Thomasius[91] [91], « la kénose est l’échange d’une forme d’existence en une autre »[92] [92]. Le sujet de la kénose n’est plus le Christ incarné mais le Logos préexistant. Celui-ci, pour devenir homme, a dû abandonner une manière d’être divine[93] [93] ; ainsi, il délaisse ses attributs relatifs, tels l’omniscience, l’omnipotence et l’omniprésence. Le Logos se restreint lui-même, s’autolimite volontairement. Cette kénose est rendue possible par la volonté libre dont dispose Dieu, ainsi que par son amour. Quant à la conscience du Logos incarné, « il semble que Thomasius maintienne dans le Christ, à côté d’une conscience humaine et donc limitée, une vie du Verbe également limitée »[94] [94].

W.-F. Gess[95] [95], rejetant la distinction que fait Thomasius au sein des attributs de la Trinité, va beaucoup plus loin et « pousse jusqu’au bout la logique de la dédivinisation »[96] [96].

Le Logos préexistant renonce donc à la totalité de ses attributs divins pour pouvoir s’incarner. De plus, le Logos perd sa conscience éternelle[97] [97], cesse ses fonctions cosmiques ainsi que sa génération éternelle. Les conséquences trinitaires de la conception de Gess sont considérables :

1. Incarné, le Fils cesse de procéder du Père. – 2. L’Esprit Saint ne procède plus du Fils. – 3. Le monde n’est plus gouverné par le Fils, auquel le Père se substitue dans ses fonctions cosmiques. – 4. Puisque le Fils glorifié demeure homme et récupère ses attributs divins, un homme est introduit, à l’égal des autres personnes, dans la Vie trinitaire.[98] [98]

C’est donc à raison que l’on parle d’incarnation par « suicide divin »[99] [99]. Gess développe également, ou plutôt réduit (!), la conception de l’âme humaine du Christ incarné. Le Fils éternel de Dieu se vide de ses attributs jusqu’à « la taille de l’homme pour prendre la place de l’âme humaine de Jésus (néo-apollinarisme) »[100] [100].

Le Logos a pris en Jésus la place qu’occupe en nous l’âme humaine. Non que Gess prétende revenir à l’apollinarisme, duquel, au contraire, il prend soin de se défendre, et dont le point de vue est en effet tout différent. D’après Apollinaire, c’est le Logos divin, immuable, éternel, qui a fonctionné comme « esprit » (nous) chez le Sauveur, tandis que Gess admet un Verbe dépouillé de sa divinité, apte à progresser et devenant principe personnel du Messie. Donc Jésus a bien eu, selon lui, une âme humaine authentique, mais celle-ci n’est autre que le Fils abaissé et se ressaisissant lui-même, c’est-à-dire que, si Christ nous apparaît vraiment homme, il est aussi réellement Dieu.[101] [101]

Ce qui demeure en fait du Logos après son « videment » de ses attributs divins et de sa perte de conscience est son « moi »[102] [102], le sujet de sa personne : en cela, selon les kénotistes, Jésus-Christ possède donc la divinité essentielle bien qu’il en ait déposé toutes les caractéristiques. Le « moi » est justement « la partie permanente de [notre] personne »[103] [103].

 Si celle-ci peut connaître des changements, internes et externes, la seule chose qui ne change pas est notre « moi ». C’est pourquoi, il est impossible de voir dans la théorie de la kénose un changement dans la personne même du Logos : « Un moi privé momentanément de toute sa science, de toute son expérience, de toute sa mémoire, se trouverait-il ‘changé’ par le fait même en un autre moi ? Evidemment non. »[104] [104]

On le voit donc : au point de vue de la kénose, le Logos n’a aucunement eu à changer son moi pour descendre du ciel sur la terre, pas plus que pour remonter de la terre dans le ciel[105] [105].

Ainsi, « Jésus réalisa le bien non par nécessité, mais librement (potuit peccare), et il s’éleva ainsi à la parfaite sainteté »[106] [106].

En considérant la théologie de W.-F. Gess, il ressort que le fondement de sa conception kénotique est son subordinationisme ontologique du Fils au Père et sa conception de l’engendrement éternel du Fils qui ne serait pas l’affaire d’une nécessité mais d’un acte d’amour[107] [107] ; ainsi, selon le théologien allemand, ce qui distinguerait les hypostases du Père et du Fils serait l’aséité : le Fils ne la possède pas. Il peut donc renoncer librement, et par amour, à ses attributs divins, chose que le Père n’aurait pas pu faire[108] [108].

Toutefois, si le Fils éternel de Dieu renonça pour un moment à ses attributs divins, celui-ci les retrouva lors de sa glorification.

Cet état d’inanitionis a eu pour terme la glorification, laquelle a eu pour point de départ la résurrection suivie de l’ascension, qui a été comme le pendant et la récompense de son anéantissement. Cette glorification ne consiste pas dans l’abandon de son humanité, mais au contraire dans la participation de la nature humaine à la gloire divine.[109] [109]

La pensée de W.-F. Gess, et de la théologie de la kénose, est donc limpide : le Fils incarné, ne pouvant être à la fois vrai Dieu et vrai homme, est successivement Dieu, homme puis homme-Dieu[110] [110]. « La solution kénosiste consiste, au lieu d’affirmer la coexistence de ces deux natures irréductibles [divine et humaine], à les faire se succéder l’une à l’autre. »[111] [111]

Comme nous le verrons par l’examen des textes de Frédéric Godet lui-même, le théologien de Neuchâtel s’approprie sans réserve la christologie de W.-F. Gess[112] [112].

Le vrai père de la conception moderne de la Kénosis est M. Gess (…) C’est de cet ouvrage, sous sa première forme, que M. le professeur Godet, de Neuchâtel, a donné un compte rendu détaillé et très remarqué dans une série d’articles insérés dans la Revue chrétienne en 1857 et 1858. Ce compte rendu est d’autant plus intéressant que M. Godet, dont les travaux exégétiques sont si appréciés dans les pays de langue française, s’est constitué le champion des doctrines du livre qu’il recommande et, en particulier, de la doctrine de la préexistence éternelle et personnelle du Fils de Dieu et de son dépouillement par l’incarnation. Cette idée qui lui est si chère, l’éminent professeur de Neuchâtel l’a défendue et propagée avec cette chaleur d’émotion religieuse qui le distingue, dans les diverses publications depuis lors sorties de sa plume…[113] [113]

De nos jours, il est possible de distinguer plusieurs courants théologiques de la kénose. Ainsi, Oliver Crisp[114] [114] distingue la kénose ontologique de la kénose fonctionnelle. Pour les partisans de la première école, le Logos a volontairement abandonné ses attributs pour s’incarner[115] [115], alors que, pour les partisans de la seconde, le Logos ne put exercer certains de ses attributs. Enfin, d’autres théologiens, dont Oliver Crisp, à la suite de Donald Macleod[116] [116], envisagent la kénose d’un point de vue kryptique : le Logos, durant l’incarnation, aurait décidé volontairement de ne pas communiquer certaines de ses propriétés divines à sa nature humaine.

III. La pensée de Frédéric Godet sur la kénose

Matthieu Gétaz, dans la brève exposition qu’il fait de la théologie de la kénose chez Frédéric Godet[117] [117], affirme que ce dernier « a cru devoir abandonner le dogme des deux natures pour mieux expliquer la divinité du Christ et rendre cette doctrine plus acceptable à ses contemporains »[118] [118].

 A cette raison, il convient, bien sûr, d’ajouter l’influence qu’ont exercée certains théologiens sur Frédéric Godet, tel W.-F. Gess, ou certains hommes de foi, tel le comte Zinzendorf[119] [119]. Assurément, ce n’est pas indemne que Frédéric Godet est ressorti de ses études théologiques en Allemagne.

Cependant, en adoptant une christologie kénotique tandis que se développaient la critique textuelle et la théologie libérale [120] [120], Frédéric Godet désirait également « rendre justice » aux évangiles, qu’une certaine dérive rationaliste dressait les uns contre les autres sous prétexte qu’ils présentaient des points de vue christologiques complètement différents. Par cette doctrine, notre exégète souhaitait démontrer qu’il n’y avait pas de contradiction entre les évangiles synoptiques, qui auraient présenté un Christ purement humain, et le quatrième évangile qui, quant à lui, nous présenterait le Logos dans sa forme divine avant son incarnation[121] [121].

Ainsi, cette hypothèse semblait pouvoir expliquer le mystère de l’incarnation du Logos, tout en lui conservant sa divinité essentielle, et harmoniser, d’une certaine manière, les données christologiques contenues dans les évangiles.

A l’inverse de son élève devenu collègue, Augustin Gretillat, Frédéric Godet n’était pas un systématicien et n’a pas écrit de livre de christologie ; c’est donc dans plusieurs de ses écrits et interventions orales que nous recueillerons, de manière éparse, sa pensée à ce sujet.

A. Etudes bibliques, Nouveau Testament

Dans son livre Etudes bibliques[122] [122], recueil de cinq articles[123] [123], qui a paru, pour la quatrième et dernière édition revue et corrigée par l’auteur, en 1889, Frédéric Godet présente la personne de Jésus-Christ dans son deuxième article[124] [124]. Celui-ci se divise en trois parties : le Fils de l’Homme, le Fils de Dieu et l’homme-Dieu, où notre exégète développera sa pensée sur la théologie de la kénose, qui n’est restée, dans les deux premières parties, qu’embryonnaire[125] [125].

Sa première partie[126] [126], sur le Fils de l’homme, se subdivise elle-même en « trois séries » :

La première comprend sa naissance, son développement comme enfant et comme jeune homme, son baptême à l’âge de 30 ans et sa tentation au désert. C’est l’époque de la préparation. La seconde série renferme … sa sainteté, ses enseignements et ses miracles, trois ordres de faits qui sont les éléments essentiels de son ministère actif et dont le couronnement mystérieux est la Transfiguration … La troisième série comprend les derniers événements de son histoire, sa mort, sa résurrection et, enfin, l’ascension qui est le terme de cette série en même temps que celui de sa vie entière[127] [127].

Dans cet exposé, notre auteur décrit chacune des étapes de la vie et du ministère du Christ et explique leurs significations théologiques.

Sa deuxième partie[128] [128], la plus courte, sur le Fils de Dieu, met en lumière toute une série de traits distinctifs concernant la personne de Jésus-Christ, qui trahissent une « origine surhumaine »[129] [129]. En effet, le trait unique qui distingue la vie et la piété de Jésus-Christ est la relation exclusive qui l’unit au Père céleste. Le Fils l’est dans un sens absolu et se sait être le Fils éternel du Père, objet de son amour. Frédéric Godet insistera dans cette partie, comme nous le verrons plus loin, sur la conscience divine qu’avait le Fils de son identité.

Enfin, dans la troisième partie de son article[130] [130], le théologien de Neuchâtel souhaite franchir le domaine de la foi pour entrer dans celui de la théologie afin de tenter de concilier les conclusions apparemment contradictoires auxquelles il est arrivé dans ses deux premières parties.

Il pose donc les questions suivantes : « Si Jésus-Christ est un être de nature divine, comment peut-il être en même temps l’homme accompli, ce qui suppose qu’il soit vrai homme ? Et s’il est réellement homme, comment peut-il être d’origine et d’essence divines ? »[131] [131]

Pour Godet, il est important de rappeler, à nouveau, que l’essai de solution qu’il propose appartient au domaine de la théologie et non à celui de la foi[132] [132]. Comment donc franchir cet abîme infranchissable entre Dieu et l’homme ? Avant de répondre à cette question, Godet rappelle les deux grands principes du monothéisme biblique[133] [133] : le premier est l’absolue liberté de Dieu ; le second est la perfectibilité absolue de l’homme. L’emblème de la vie est une spirale et non un cercle. Une fois que ces

deux principes sont admis, le problème en face duquel nous nous trouvons ne paraît plus insoluble. Il comprend deux questions : 1° Comment un être divin, le Fils, a-t-il pu, sans cesser d’être Dieu, se faire homme et vivre comme homme ? 2° Comment le Fils de l’homme a-t-il pu, sans cesser d’être homme, être élevé à la perfection de l’état divin ?[134] [134]

Pour Frédéric Godet, les prémisses posées répondent à ces questions. En effet, « si Dieu est absolument libre, il n’est pas lié indissolublement à l’état divin »[135] [135].

S’il ne précise pas immédiatement ce qu’il entend par l’état divin, l’exégète neuchâtelois n’en demeure pas moins clair dans la description du dépouillement qu’a vécu Jésus. Le dépouillement du Fils de son état divin revient à abandonner, ni plus ni moins, la totalité de ses attributs divins, éthiques et essentiels. C’est ainsi qu’il laisse son omnipotence :

Il jouissait de la toute-puissance divine − et il entre dans une forme d’existence où, au lieu de commander et de donner, il doit recevoir, prier et obéir ; et ce n’est qu’au terme de cette existence terrestre qu’il proclame, comme tout récent, ce fait : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. »[136] [136]

 Dieu le Fils laisse également son omniscience. « Il participait à la toute-science divine, et il accepte un état où il doit sans cesse interroger, constamment apprendre, souvent ignorer ; ainsi quand il dit : ‘quant à ce jour, personne ne le connaît, ni les anges, ni même le Fils. »[137] [137]

Le Fils de Dieu, lors de son incarnation, laisse également son omniprésence : « Il remplissait toutes choses, participant à l’omniprésence de Dieu même, et il s’enferme dans un corps humain, localisé de telle sorte qu’on pouvait lui dire : ‘Si tu eusses été ici’, telle chose ne serait point arrivée. »[138] [138]

Non content d’avoir dépouillé le Christ de ses attributs essentiels, Frédéric Godet lui ôte également ses attributs moraux. Ainsi, sa sainteté souffre également de sa théologie kénotique : « En lui résidait la sainteté immuable, et il accepte une existence dont l’une des lois fondamentales est la liberté de choix, la possibilité d’être sérieusement tenté et par conséquent la faculté de pécher. »[139] [139]

L’amour, qui, en Dieu, est soumis à la sainteté[140] [140], qui était autrefois parfait et infini, a été « échangé contre une autre [manière d’aimer] qui comporte le progrès et en intensité et en extension »[141] [141]. C’est cet amour grandissant, qui commence par sa famille, se poursuit par Israël et se répand ensuite pour l’humanité déchue qui permettra au Fils de s’offrir, ultimement, en sacrifice au Père[142] [142].

Cependant, tous ces dépouillements ne dépendent que d’un seul : celui de sa conscience de Fils. Ainsi, « cette conscience de Fils, qui était sa lumière, il la laisse s’éteindre au-dedans de lui pour ne conserver que son inaliénable personnalité, son moi doué de liberté et d’intelligence comme tout moi humain[143] [143]. »

Selon Frédéric Godet, la kénose du Christ est le fruit prodigieux de l’amour de Dieu pour nous ; il eût été impossible que le Christ ne laissât pas son état divin en raison de son amour illimité et de sa liberté totale. Toutefois, s’il abandonna ses attributs divins durant l’incarnation, Christ les retrouva lors de son ascension, sans laisser pour autant son humanité.

La seconde question, celle de l’élévation du Fils de l’homme à l’état divin, sans qu’il soit porté atteinte à son humanité, trouve, si nous ne nous trompons, sa solution dans l’autre principe que nous a fourni le théisme biblique : la perfectibilité de l’homme jusqu’au bien absolu, en vertu de l’image de Dieu imprimée en sa nature[144] [144].

Le Fils s’étant fait homme, il se sent et se reconnaît Fils (durant son baptême), avant de le redevenir dans son état sans laisser sa nature humaine[145] [145]. Poursuivant son raisonnement, Godet arrivera à la conclusion que la nature humaine a été destinée « dès l’abord à devenir l’organe libre de la vie de Dieu… L’homme-Dieu est dans ce cas l’homme vrai, c’est-à-dire l’homme tel que Dieu l’avait éternellement conçu et voulu. »[146] [146]

La conclusion théologique s’impose d’elle-même : si nous sommes unis à Christ et que celui-ci est venu « imprimer le caractère filial à notre vie humaine », alors, tout comme le Christ fut élevé, nous le serons aussi ; Dieu fera ainsi de « chacun de nous un autre lui-même, un représentant de ce type sublime : l’Homme-Dieu »[147] [147].

 Toutefois, comme le rappelle notre professeur dans sa conclusion, avant de faire la glorieuse expérience du mont des Oliviers, il faut passer par le jardin de Gethsémané et le mont Golgotha.

B. Survol des épîtres de Paul 

Dans son livre Survol des Epîtres de Paul[148] [148], qui est une partie de son Introduction au Nouveau Testament restée malheureusement inachevée, Frédéric Godet aborde le texte servant de base à la théologie de la kénose et en donne quelques explications[149] [149]. Puisque « l’union est pour l’Eglise la condition de la victoire »[150] [150] et que cette union découle de l’humilité et de l’abnégation, le seul « moyen pour le chrétien de remporter cette double victoire sur son moi égoïste et vain, c’est de substituer à ses sentiments naturels l’esprit d’abnégation dont Christ nous a donné le sublime exemple »[151] [151].

Ce texte nous permet de connaître la pensée de Frédéric Godet et de répondre aux questions suivantes :

– Quelle est la nature du dépouillement du Christ ? S’agit-il, au verset 6, de l’état préexistant du Christ ou de son état terrestre ?

– Que signifie le terme morphê ?

– Comment comprendre l’élévation du Christ ?

a) La nature du dépouillement du Christ et l’état préexistant

Christ, « qui jouissait d’un état divin » et qui pouvait « par conséquent paraître ici-bas dans une gloire semblable à celle de Dieu, n’a pas jugé que ce fût une chose bonne à faire que de s’approprier spontanément un tel honneur »[152] [152]. Son dépouillement, il le fit « en entrant dans l’état de serviteur, venant ici-bas tel qu’un simple homme et vivant en tout à la manière humaine »[153] [153].

 Cependant, cette kénose ne s’acheva pas lors de l’incarnation mais continua jusqu’à la mort du Christ, sa mort sur la croix. Si Godet reconnaît bien que la vie de Christ fut vécue comme un chemin le conduisant toujours plus bas, il s’oppose néanmoins aux théologiens qui considèrent le dépouillement et le renoncement du Christ exclusivement vécus lors de sa vie terrestre. Pour Frédéric Godet, le verset 6 fait référence au Christ dans son état préexistant[154] [154]. Celui-ci s’est dépouillé de son état divin « pour paraître à nos yeux dans l’état d’abaissement et de dépendance vraiment humaine où Christ a vécu et dont il voulait faire le moyen de notre salut »[155] [155].

b) La définition du terme morphê

Pour notre exégète, le terme morphê désigne « non une forme quelconque dont un être peut se revêtir, mais la forme organique dans laquelle l’essence, la vie intime de cet être se manifeste au dehors, en opposition à skêma, qui désigne une tenue extérieure, une manière d’être résultant de circonstances plus ou moins accidentelles »[156] [156]. Et d’ajouter que « l’apôtre veut donc désigner par là un état divin répondant à la nature même de la personne qui le possède »[157] [157].

c) L’élévation du Christ 

Pour le théologien neuchâtelois, « l’élévation du Christ fait homme à la dignité de Seigneur », dont Paul parle dans les versets 9 à 11, n’est « nullement l’élévation du Christ préexistant à un état supérieur à sa forme de Dieu primitive »[158] [158]. Pour Godet,

c’est la rétribution légitime accordée à celui qui, en apparaissant ici-bas, aurait pu le faire de manière à obtenir sans combat l’obéissance et l’adoration des hommes, mais qui, ne consultant que nos intérêts éternels, a préféré venir obéir, adorer lui-même avec nous, et enfin donner pour nous cette vie humaine qu’il n’avait prise que pour nous.[159] [159]

C. La divinité de Jésus-Christ

Dans sa sixième et dernière Conférence apologétique[160] [160], Frédéric Godet s’attelle à la tâche de présenter la personne du Christ ; il y étudie quatre questions[161] [161] :

– Le témoignage de Jésus sur sa personne est-il un témoignage valable ?

– Quel est le contenu réel de ce témoignage ? En d’autres termes : Jésus a-t-il vraiment affirmé sa divinité ?

– A supposer qu’il l’ait fait, ce caractère divin qu’il s’attribue est-il compatible avec sa nature humaine, constatée par les faits et attestée aussi par lui-même ?

– Au point de vue pratique : en voulant trouver en Jésus un Dieu, ne perdons-nous pas un frère ? Et le mieux n’est-il pas, ici encore, l’ennemi du bien ?

Pour Frédéric Godet, la validité du témoignage de Jésus-Christ repose sur sa sainteté[162] [162] et sa résurrection[163] [163], « sceau extérieur et plus lisible encore pour le grand nombre »[164] [164].

 Quant au contenu de son témoignage, il est compris dans les deux titres que Jésus s’attribue, à savoir « le Fils de l’homme et le Fils de Dieu »[165] [165].

 Le premier titre, Fils de l’homme, est « un témoignage rendu à son humanité dans ce qu’elle a de commun avec la nôtre, mais aussi dans ce qu’elle a eu d’exceptionnel »[166] [166]. En effet, Godet remarquera avec justesse que Jésus s’est appelé le Fils de l’homme ; « par là, il se pose comme le représentant normal de toute cette race humaine à laquelle il s’est voué, le vrai homme »[167] [167].

Quant au titre de Fils de Dieu, bien qu’il puisse désigner une « relation personnelle mystérieuse entre le Dieu invisible et l’être visible qui le porte »[168] [168], il faut remarquer que Jésus s’est appelé le Fils de Dieu, et même le Fils tout court. Ainsi, dans plusieurs de ses propos, Jésus affirme sa position supérieure à celle des anges, allant même jusqu’à commander à ses disciples d’associer son nom à celui de son Père dans la formule baptismale. Le terme de Fils ne désigne pas un office quelconque, comme c’est le cas pour le nom de Christ ; « le titre de Fils se rapporte à sa personne ; il désigne sa relation spéciale, personnelle avec Dieu, qui est la base sur laquelle repose sa qualité de Messie »[169] [169].

Pour Frédéric Godet, la divinité de Jésus-Christ est donc prouvée non seulement par ses déclarations, parce qu’il « ne cesse de réclamer pour sa personne des sentiments qui, d’après toute l’Ecriture, ne doivent s’adresser qu’à Dieu seul »[170] [170], et aussi par les fonctions qu’il s’attribue[171] [171] et qui ne devraient revenir qu’à Dieu. A ces preuves qui se rapportent à la vie même de Jésus-Christ, Frédéric Godet va ajouter le témoignage apostolique et patristique pour démontrer la conception christologique qu’avaient les apôtres et les Pères de l’Eglise[172] [172].

Il commence dès lors à préciser sa pensée kénotique : « Avant de paraître ici-bas, il existait en forme de Dieu, c’est-à-dire dans un état divin ; c’est volontairement qu’il est devenu homme, après s’être anéanti lui-même pour prendre la forme de serviteur. »[173] [173] D’ailleurs, pour les apôtres,

le souvenir de la vie terrestre de Jésus, de sa carrière comme simple serviteur de l’Eternel, était encore chez eux si présent et si vif, que la pensée de sa divinité ne se détachait pas encore distinctement pour eux de celle de son apparition terrestre, et se présentait plutôt à leur esprit sous la forme de la glorification divine accordée à sa personne humaine.[174] [174]

Il développe dans sa troisième partie :

Mais un prodige tel que celui de l’union de la nature divine et de la nature humaine en une seule personne, est-il possible ? Les perfections divines peuvent-elles cohabiter dans une même vie avec l’imperfection humaine ? La toute-science de l’esprit infini avec l’ignorance attachée à l’être fini ; la toute-puissance avec la faiblesse ; la toute-présence avec cette localisation en vertu de laquelle tout ce qui est corporel ne peut occuper qu’un seul lieu à la fois ?

L’état divin, je crois devoir le reconnaître, n’est pas compatible avec notre mode d’existence humaine actuel. Mais c’est précisément pourquoi l’Ecriture enseigne deux choses : que Jésus a dû déposer l’état divin, sa forme de Dieu, afin de se faire homme ; que pour recouvrer son état divin, il s’est opéré dans son humanité une glorieuse transformation par l’ascension.[175] [175]

Se dépouiller de son état divin a pour Frédéric Godet un sens très clair ; il s’agit de l’abandon volontaire par le Christ de la totalité de ses attributs divins. Ainsi, le professeur écrit : « Nulle part il n’est dit que, pendant son existence terrestre, Jésus ait possédé la toute-science. »[176] [176] Si Frédéric Godet lui reconnaît bien un savoir surnaturel, supérieur à celui des prophètes, Christ ne revendiquait pas l’omniscience et cela se démontre par les questions qu’il a posées au cours de son ministère ainsi que son ignorance concernant le jour de sa venue[177] [177].

Or, la toute-science ne se partage pas. Ou on l’a, et, dans ce cas, on l’a tout entière ; ou on ne l’a pas. Le savoir surnaturel que possédait Jésus était donc spécifiquement différent de la toute-science. Ce pouvait bien être un savoir divin, en ce sens qu’il était constamment et librement puisé en Dieu ; mais ce n’était pas l’attribut divin de l’omniscience.[178] [178]

De même, son pouvoir surnaturel miraculeux reconnu à Jésus pendant son ministère terrestre, « quoique supérieur à celui des prophètes, ne paraît pas avoir été la toute-puissance »[179] [179].

Aussi, pendant sa vie terrestre, bien que le Christ pût agir à distance, « il ne possédait pas pour cela la toute-présence »[180] [180].

L’on peut même étendre ce que nous disons ici à ses qualités morales, sa sagesse, sa sainteté, son amour. Les perfections divines ne croissent ni ne diminuent. Mais Jésus a crû en sagesse, aussi bien qu’en stature. (…) Ce n’est pas là la sagesse, la sainteté, l’amour immuables de Dieu ; c’est la sagesse, la sainteté, la charité croissantes d’un homme pur, qui grandit par la lutte et marche à la perfection.

Tout en maintenant l’identité de sa personnalité, Jésus s’est tellement dépouillé de son état divin qu’il a même dû, pour faire place à une vie humaine réelle, perdre, pendant la première portion de son existence terrestre, la conscience de son existence divine et, si j’ose ainsi dire, de son glorieux passé. (…) Mais, si l’on pèse avec soin les expressions de l’Ecriture, on est conduit à penser que ce n’est qu’à l’heure de son baptême que, par une communication divine, la conscience de son origine éternelle et de sa relation personnelle avec Dieu lui a été rendue. (…) Il est rentré, dès ce moment, quant à sa conscience personnelle, dans le sein de son Père. Il n’a pas recouvré encore l’état divin, sans doute. Mais il a compris distinctement ce qu’il était pour Dieu, comme objet éternel de son amour, et comment Dieu était pour lui le Père, dans un sens unique.[181] [181]

Ainsi, selon Frédéric Godet, si le Logos ne renonce pas à sa personnalité (son « moi », le sujet de sa personne), il abandonne son état d’existence divin : pour devenir homme, il doit laisser l’intégralité de ses attributs divins. Sa conscience divine, quant à elle, ne se développera qu’au fil de sa croissance. Cependant, cet état d’abaissement, de kénose, n’était pas permanent et définitif.

Mais ce dépouillement de son état divin ne devait pas durer à toujours. Destiné à faire place à une existence humaine réelle, il devait cesser, dès que celle-ci serait arrivée à sa perfection. Car cette humanité, accomplie en la personne de Jésus, devenait apte à être élevée en lui à la possession de la gloire dont il avait joui avant de se faire homme. (…) Ce retour, nous le contemplons dans l’ascension.[182] [182]

Cette glorification aurait pu avoir lieu avant l’ascension du Christ, lors de l’expérience glorieuse de la transfiguration, si le Christ n’eût pas eu égard à la situation désespérée de l’humanité qui nécessitait son salut ; celui-ci accepta de laisser temporairement la gloire qu’il était en droit de recevoir pour aller au bout de sa mission et s’offrir en sacrifice sur la croix de Golgotha.

Déjà au moment de la transfiguration, l’élévation de Jésus à la gloire était près de se consommer. Il n’y consentit point. Il y avait encore pour lui une tâche à remplir, celle dont il s’entretenait avec Moïse et Elie sur la montagne. Il voulait bien remonter, mais non pas en laissant l’humanité derrière lui, comme cela serait arrivé s’il fût rentré dans le ciel à ce moment-là.

Il redescendit pour aller mourir à Jérusalem, ainsi qu’il le disait aux deux messagers célestes. Cette nécessité douloureuse a interrompu momentanément le cours de sa glorification commencée ; mais une fois cette condition de notre salut remplie, la marche ascendante a repris son cours. La résurrection et l’ascension en ont été les deux moments décisifs. Jésus a été réintégré dans l’état divin qu’il avait quitté. C’est ce qu’il avait demandé en ces termes : « Père, rends-moi la gloire que j’ai eue auprès de toi, avant que le monde fût fait. »[183] [183]

Ce fut lors de la glorification de Christ que fut rendu possible ce qui ne l’était pas lors de son incarnation : l’union des deux natures en sa personne. Une fois sa mission accomplie, Christ ne déposa pas sa nature humaine ; bien au contraire, par l’exaltation de celle-ci, le Fils de Dieu retrouva sa nature divine.

Mais ne croyez pas que, pour recouvrer l’état divin, il ait dû déposer sa nature humaine. Plutôt que de se séparer d’elle, il l’a exaltée et rendue capable d’être élevée en sa propre personne sur le trône.[184] [184]

Et si cela le fut pour le Christ, le vrai homme, qu’en sera-t-il de nous qui lui sommes unis ? Est-il possible que nous connaissions la même destinée que le Christ ? La conception christologique de Frédéric Godet l’amène à répondre par l’affirmative à cette dernière question. Selon lui, nous serons associés à l’état divin du Christ.

Comment notre existence humaine peut-elle être ainsi élevée en Christ à la dignité d’organe de la perfection divine ? Derrière le voile de cette nuée dont Dieu a enveloppé Jésus au moment de son élévation s’est accomplie en lui une transformation en vertu de laquelle son humanité a pu être associée à la gloire divine. A cette heure seulement la création de l’humanité a été achevée, et le plan de Dieu envers l’homme réalisé.

Il l’avait créé sans doute à son image ; mais ce premier homme n’était qu’une ébauche. Le vrai homme, celui qu’il voulait définitivement, est né à Bethléem, a grandi à la stature morale parfaite jusqu’à la croix, et a été consommé par l’ascension. « Vous serez comme des Dieux », avait dit le tentateur. C’était bien le but ; mais il ne le montrait que pour faire dévier l’homme du chemin. Jésus a retrouvé le vrai chemin, l’obéissance, et en le suivant fidèlement, a réalisé pour nous le but. La sainteté était la condition de la gloire.

Le plan de Dieu une fois réalisé en un, que reste-t-il maintenant, si ce n’est que ce qui s’est fait en Un s’accomplisse en tous ? Or, c’est précisément là l’œuvre qui commence immédiatement à la suite de l’élévation de Jésus. Elle s’ouvre le jour de la Pentecôte et dure pendant toute l’économie où nous vivons, qui n’est, dans l’intention de Dieu, qu’une permanente Pentecôte. L’Esprit de Jésus nous associe à sa sainteté, et par là nous prépare à la possession de sa gloire. Il communique à chaque croyant cette humanité sanctifiée et glorifiée, réalisée en la personne de Jésus, et la substitue à la nôtre, infirme et souillée. L’Esprit crée ainsi à Jésus, sur la terre, un corps spirituel, un ensemble de vivants organes, l’Eglise. Et quand ce corps aura atteint le degré de croissance spirituelle proportionné à la taille céleste de son Chef, qu’il sera parvenu, comme dit saint Paul, à la stature complète de Christ, alors ce Chef l’élèvera à lui, et l’associera à son état divin. C’est pour cela que Christ doit revenir. Son avènement sera pour l’Eglise ce que l’ascension a été pour sa personne.[185] [185]

Son argumentation lui paraît solide : « Qu’on nous montre les contradictions que renferme un tel plan ! Qu’on nous dise quelles incompatibilités internes entre les éléments qu’il combine le rendent inconcevable ! »[186] [186]

Pour Frédéric Godet, si Dieu s’est fait homme, c’est pour que « par la foi en cet Un, tous puissent être élevés à l’union la plus étroite et la plus immédiate avec Dieu lui-même »[187] [187] !

Le but de la création de l’homme à l’image de Dieu et de l’incarnation de Jésus-Christ n’est donc plus un mystère. Le Fils de Dieu est devenu homme afin de vivre la vie parfaite de sainteté et d’obéissance qu’Adam aurait dû vivre. Ce faisant, sa nature humaine fut exaltée et glorifiée à l’état divin qu’il possédait auparavant, ouvrant ainsi le chemin de la gloire et de la déification à tous ceux qui lui sont unis dans la foi.

La vérité est bien plutôt qu’en constatant ce fait de la divinité de notre Sauveur, nous obtenons Dieu lui-même pour notre frère, et que, par l’union à ce frère, nous devenons aptes à partager l’état divin.[188] [188]

Pourquoi Dieu a-t-il voulu la nature ? Pour arriver à l’être libre, l’homme. Pourquoi a-t-il voulu l’homme ? Parce qu’il voulait aboutir à l’être saint, capable de soutenir une relation morale avec lui, de devenir son organe, son représentant visible, son libre et glorieux agent. Et ce but-là, en faveur de qui l’a-t-il conçu ? En faveur d’un seul ? Non, de tous. Il y a eu un Dieu-homme, afin qu’en lui nous tous, devenant ses frères par son incarnation, puissions être transformés en une famille de créatures en qui éclate l’amour paternel de Dieu − en un certain sens, en une famille d’hommes-Dieux. Je n’oserais m’exprimer de la sorte, si saint Paul lui-même ne disait du Fils : « Afin qu’il soit comme un premier-né entre plusieurs frères. »[189] [189]

D. La sainteté parfaite de Jésus-Christ[190] [190]

Dans sa cinquième conférence apologétique, Frédéric Godet établit que le Christ n’a pas péché (et non pas qu’il ne pouvait pas pécher) par l’argumentation suivante : il est concédé par l’un des adversaires les plus déterminés de l’Evangile (référence à Ernest Renan) que Jésus a été un homme éminemment bon ; or, plus un homme est saint et mieux il discerne le mal.[191] [191]

De ces déductions, Godet établit la sainteté de Jésus-Christ à partir de ses propres paroles qui le montrent conscient d’être séparé des pécheurs. Pour Godet,

la sainteté, c’est le bien moral lui-même dans son apparition la plus sublime. (…) La sainteté de Dieu lui-même, c’est sa volonté inébranlable de maintenir intact l’ordre qui doit régner entre les êtres et de les amener tous à réaliser la relation qui doit les unir ; (…) La sainteté ainsi comprise renferme deux choses : la communication de toutes les richesses de sa vie divine à chaque être libre qui consent à reconnaître la position souveraine de Dieu, et qui y acquiesce sincèrement ; le refus ou le retrait de cette vie parfaite à tout être qui attaque ou nie cette position et cherche à rompre le lien de dépendance qui doit l’unir à Dieu.[192] [192]

Du point de vue humain, pour Godet, « l’homme qui devant lui [Dieu] s’abat volontairement dans le sentiment de son néant, et cherche à entraîner tous ses semblables dans le même anéantissement volontaire, revêt le caractère de la sainteté »[193] [193]

 Bien qu’il ne parle pas directement de la kénose dans cette conférence apologétique, nous pouvons discerner que sa vision particulière de la sainteté est l’un des principes qui sous-tendent sa conception christologique de la kénose. Ainsi, Godet écrit, concernant la sainteté qui n’a pas été réalisée parfaitement en Israël, sous l’Ancienne Alliance :

Mais elle [la sainteté parfaite] n’a été réalisée qu’en Jésus-Christ, et ce n’est même que de sa personne et de son histoire que nous tirons l’idéal de la sainteté. C’est en Jésus que l’humanité voit comment l’homme peut affirmer Dieu et tout ce que Dieu affirme, non seulement humblement, mais joyeusement et filialement, de toutes les puissances de son être, et jusqu’au sacrifice complet de lui-même.[194] [194]

Dans cette conférence, nous apprenons également que si Jésus a refusé le titre de bon, c’est qu’il était encore au milieu du combat de la vie, car le

mot bon, dans son plein sens, s’applique non pas à l’être qui n’a pas encore péché, mais à celui qui ne peut pas pécher. Or, Jésus, selon l’expression de l’épître aux Hébreux, n’a été consommé que par ses dernières souffrances. […] Sa sainteté, toute d’humilité, toute saturée de vigilance, a donc repoussé un titre qu’elle ne pouvait pas encore accepter pleinement et sûrement.[195] [195]

Pour Godet justement, la sainteté de Jésus ne peut être qu’humaine « non seulement parce qu’elle a été soumise à la loi du progrès, mais encore parce qu’elle a subi la loi bien autrement sérieuse de la tentation et de la lutte »[196] [196].

Effectivement, nous constatons que le Christ a grandi dans l’amour, dans la sainteté et dans la consécration et cela ne fait que renforcer le caractère réellement humain de sa sainteté :

La sainteté de Dieu est immuable, elle ne peut s’accroître. Comme Dieu lui-même, elle est. Celle de Jésus s’est élevée par degrés jusqu’à la perfection finale. […] Ce développement n’était pas une simple apparence, mais une profonde réalité morale, puisqu’il est dit que ce progrès s’accomplissait non seulement aux yeux des hommes, mais à ceux de Dieu.[197] [197]

Si, cependant, il y a eu progrès, cela ne signifie pas qu’il y ait eu péché. Non, la croissance n’implique pas la souillure, mais sous-entend la perfectibilité. Ainsi, l’amour que Jésus vouait à sa famille, à sa nation et au monde a grandi à mesure que se développait sa consécration[198] [198].

Quant à la tentation et aux luttes, quoi de plus humain ? « La lutte n’existe pas en Dieu. ‘Dieu ne peut être tenté par aucun mal.’ Jésus a dû lutter. Le désert et Gethsémané. »[199] [199] On ne peut pas être plus clair. « Le progrès, la lutte, ne sont-ce pas là les signes d’une sainteté vraiment humaine ? Au désert, à Gethsémané, on peut bien être dans les parvis du ciel, on n’est assurément pas encore dans le ciel même. »[200] [200]

Toutefois, la sainteté de Jésus-Christ, aussi humaine soit-elle, lui permit d’être élevé à la droite de Dieu, conséquemment à sa vie et sa mort parfaites, et de retrouver ainsi son état divin qu’il avait laissé pour pouvoir s’incarner.

Par son élévation à la droite de Dieu, ce qui signifie : au mode d’existence de Dieu même, à la toute-présence, à la toute-science, à la toute-puissance, Jésus a reçu le pouvoir de descendre lui-même dans le cœur des croyants, d’y venir vivre et de réaliser en eux cette même humanité parfaite qu’il a réalisée en sa personne.[201] [201]

Nous sommes donc nous aussi assurés de connaître la même élévation que le Christ puisque sa sainteté, qui lui permit de vivre cette vie parfaite, s’accomplit en nous par la puissance de l’Esprit de Christ qui habite dans nos cœurs et qui nous transforme de gloire en gloire.

Ainsi par la puissance de l’Esprit, Christ se reproduit lui-même dans le cœur et la vie des croyants. (…) Dans ces conditions-là, il est possible de commencer avec succès le grand travail de notre renouvellement moral, et de nous élancer sur la voie de la sanctification qui monte au ciel, sans crainte de succomber au milieu et même déjà au plus bas de la pente.[202] [202]

Christ a donc réalisé pour ses bien-aimés ce que l’humanité aurait dû devenir sans la chute, car « en soi et sans notre chute, tout homme aurait pu se développer de la même manière »[203] [203].

E. Commentaire sur l’évangile selon saint Jean[204] [204]

Le commentaire de notre exégète, dont le premier volume, paru pour la première fois en 1863, fournit nombre d’informations sur sa conception christologique.

Pour notre auteur, le premier verset du premier chapitre contient trois propositions : la première (« au commencement était la Parole ») indique l’éternité de la Parole ; la deuxième (« la Parole était avec Dieu ») met en lumière la personnalité du Logos et sa communion intime avec Dieu. « Mais ainsi se trouve posée dans l’existence divine une mystérieuse dualité. C’est cette dualité que la troisième proposition est destinée à résoudre. »[205] [205]

 Quant à la troisième proposition (« la Parole était Dieu »), notre exégète suisse affirme :

Le Logos est autre chose que le plus parfait des hommes ou le plus élevé des anges ; il participe à la θεότης (déité). (…) L’idée renfermée dans la troisième proposition est donc celle de la divinité essentielle de la Parole.

A la plénitude de la vie divine appartient donc l’existence d’un être éternel comme Dieu, personnel comme lui, Dieu comme lui ; mais dépendant de lui, aspirant à lui, ne vivant que pour lui. C’est cet être que Jean a reconnu dans ce Jésus qu’il a connu comme le Christ, et qui sera l’objet de la narration subséquente (v. 14).[206] [206]

Ainsi, en quelques lignes, notre auteur affirme la divinité essentielle du Logos[207] [207], comprenant ainsi sa préexistence éternelle, sa personnalité propre (sa distinction du Père) mais aussi un certain subordinationisme ontologique[208] [208]. Il poursuit :

A l’essence divine appartient donc un être qui est à Dieu ce que la parole est à la pensée, ce que le visage est à l’âme. Reflet vivant de Dieu au-dedans, c’est lui qui le révèle en dehors. Cette relation implique à la fois la communion personnelle la plus intime et la subordination la plus parfaite. Comment ces deux faits peuvent-ils se concilier ? A une seule condition : c’est que cette existence éternelle du Logos soit affaire, non de nécessité métaphysique, mais de libre amour. « Dieu est amour. » Or ce qu’il est, il l’est librement et essentiellement tout ensemble. Il en est de même du Logos. Son existence est affaire d’éternelle essence et de libre volonté divine, ou, ce qui réunit ces deux notions, de nécessité morale.[209] [209]

Commentant le verset 14 du premier chapitre, notre auteur va commencer à développer sa pensée sur le sujet de la kénose. Il balaie tout d’abord le docétisme et l’apollinarisme en définissant le mot chair.

L’expression : est devenue chair, signifie donc, d’abord, que la Parole a quitté l’état immatériel de l’être divin pour prendre un corps et s’enfermer, comme la créature, dans les limites du temps et de l’espace. (…) Nous venons de constater que le mot chair désigne souvent la personne humaine tout entière. C’est certainement le cas dans ce passage… Tout cela suppose que le Logos ne joue nullement le rôle de l’esprit dans la personne de Jésus. L’esprit, en Jésus, est, comme chez tout homme, l’un des éléments de la nature humaine, aussi bien que l’âme et le corps. Il résulte de là que la chair désigne dans notre passage la nature humaine complète.[210] [210]

Ce mot, chair, désigne donc « la réalité et l’intégrité du mode d’être humain dans lequel est entré le Logos. En vertu de cette incarnation, il a pu souffrir, jouir, être tenté, lutter, apprendre, progresser, aimer, prier, exactement comme nous. »[211] [211]

 Christ a donc réellement partagé la même humanité que nous. « L’expression de chair, qui n’indique que l’état, le mode d’existence, affirme plus clairement l’homogénéité complète entre son état et le nôtre. »[212] [212]

Cependant, cette incarnation a eu un coût pour le Logos. Il n’est pas devenu homme sans subir une transformation profonde de son être : bien que son identité subsiste, il a dû laisser la totalité de ses attributs divins. Il recouvre toutefois son état divin, sans renoncer à sa nature humaine, lors de son exaltation :

Le mot qui comble l’intervalle entre le sujet, la Parole, et l’attribut, chair, est le verbe ἐγένετο, est devenue. Le terme devenir, lorsqu’il a pour attribut un substantif, implique une transformation profonde dans le mode d’être du sujet. (…) Que s’il s’agit d’une personne, ce mot devenir, sans compromettre son identité, indique qu’elle a changé d’état. (…) Le mot devenir en effet montre que ce changement a atteint le fond même de l’existence de Logos.[213] [213]

Le sujet personnel dans le Logos est resté le même dans son passage de l’état divin à l’état humain, mais avec l’abandon complet de tous les attributs divins, dont la possession eût été incompatible avec la réalité du mode d’existence humain. Et si jamais il recouvre l’état divin, ce ne sera pas en renonçant à sa personnalité humaine, mais en exaltant celle-ci jusqu’au point où elle peut devenir l’organe de l’état divin. Voilà, ce nous semble, la vraie conception christologique telle qu’elle ressort des Ecritures en général, de notre passage en particulier.

(…) un sujet unique passant d’un mode d’être à un autre ; pour recouvrer le premier en réalisant parfaitement le second.

(…) Ces passages [Ph 2.6-8 et 2 Co 8.9] expriment, sous une forme complètement indépendante de celle de Jean, une conception identique : l’incarnation par le dépouillement (κένοσις).[214] [214]

A propos de la gloire du Logos contemplée par les hommes, l’exégète de Neuchâtel s’empresse de souligner et de développer qu’il ne s’agit pas de la gloire divine du Logos préexistant mais plutôt de sa relation unique, filiale, avec le Père.

L’objet de la contemplation a été la gloire de la Parole. La gloire de Dieu, c’est le rayonnement de ses perfections aux yeux des créatures. Cette gloire-là est réellement l’unique ; toute gloire que possède un être quelconque n’est que la participation, en une mesure quelconque, à l’éclat que jette la perfection de Dieu même. – La gloire que les témoins de la vie terrestre du Logos ont contemplée en lui, n’a pu être la splendeur dont il jouissait dans son état de préexistence. Car cette gloire, Jésus la redemande, XVII, 5 : « Et maintenant, glorifie-moi, toi Père, auprès de toi, de la gloire que j’ai eue auprès de toi avant que le monde fût. » On ne redemande pas ce que l’on possède encore. (…) Mais cette harmonistique[215] [215], c’est Jean lui-même qui nous la suggère par la prière de Jésus que nous venons de citer, et cela en plein accord avec Paul (Phil. II, 6 et suiv.). Que faut-il donc entendre par cette gloire de Jésus dont parle ici Jean et qui n’est pas celle du Logos préexistant ? (…) Le caractère essentiel de cette gloire terrestre du Logos a été, me paraît-il, le sceau filial imprimé à toute la vie humaine de Jésus, la communion intime avec le Père, qui a distingué si profondément cette vie de toute autre. (…) La gloire du Logos incarné était donc une gloire plus humble sans doute que celle de son état de préexistence, mais qui le signalait comme uni à Dieu par le lien d’une intimité filiale sans exemple.[216] [216]

Cette notion d’intimité filiale, de relation privilégiée entre le Fils unique et le Père, que signifie l’expression « dans le sein du Père », est le fondement même de la révélation que le Fils apporte au monde ; toutefois, la question de la « connaissance de Dieu » dans la vie de Jésus-Christ soulève la question suivante : d’où provient-elle ? Provient-elle de la conscience de son existence antérieure ou présente ? La réponse de Godet à ce sujet n’est pas des plus limpides ; toutefois, son schéma christologique, quant à lui, l’est.

La qualité de révélateur parfait, attribuée ici à Jésus, est expliquée par sa relation intime et personnelle avec Dieu lui-même, telle qu’elle est décrite dans les mots suivants : qui est dans le sein du Père. Ce participe qui est (ὁ ὤν), se rattache par une relation logique très étroite au verbe suivant : il a fait connaître. Il équivaut, comme dit Baeumlein, à en tant qu’étant (ἃτε ὤν), c’est là-dessus que repose sa compétence pour révéler. (…) Ou bien Jean penserait-il spécialement à l’état divin du Logos avant sa venue sur la terre ? Mais ce serait dire que la connaissance de Dieu que Jésus a communiquée aux hommes a été puisée dans les réminiscences de son existence antérieure. C’est ce que nous ne saurions admettre. En effet, c’est par la conscience humaine de Jésus qu’a passé tout ce qu’il a révélé de Dieu à la Terre… Je pense donc plutôt avec Lücke que ce participe présent se rapporte à la relation permanente du Fils avec le Père à travers toutes les phases de son existence divine, humaine et divine-humaine.[217] [217]

Notre auteur, exégète réputé, se risquera sur le domaine de la théologie dogmatique dans la quatrième partie des considérations générales sur le prologue[218] [218]. Dans cette partie, tout comme dans celle concernant l’Homme-Dieu[219] [219], Frédéric Godet cherche « l’accord de l’Ecriture avec elle-même »[220] [220] et non avec une quelconque orthodoxie.

Dans cette section de son ouvrage, l’exégète de Neuchâtel s’exprime très clairement sur sa conception de la kénose ; s’il restait quelques doutes, les voici ôtés. En affirmant que Christ n’a pas seulement renoncé à l’usage de ses attributs divins mais à leur possession, Frédéric Godet se range résolument dans la catégorie des théologiens de la kénose ontologique.

L’Ecriture, tout en enseignant l’existence éternelle du Verbe, n’enseigne nullement la présence de l’état et des attributs divins en Jésus pendant le cours de sa vie terrestre. Elle enseigne au contraire le renoncement complet de Jésus à cet état par le fait de son entrée dans l’état humain. L’expression : « La Parole a été faite chair » (I, 14), ne parle du sujet divin en lui que comme réduit à l’état humain ; elle ne suppose donc point les deux états, divin et humain, coexistant chez lui. L’appauvrissement du Christ dont parle Paul en 2 Cor. VIII, 9, son dépouillement volontaire décrit en Phil. II, 6.7 n’ont de sens que si l’on voit dans le renoncement à l’état divin et dans l’entrée dans le mode d’être humain deux faits corrélatifs. L’histoire évangélique confirme ces déclarations. Jésus ne possède plus sur la terre les attributs qui constituent l’état divin. La toute-science, il ne l’a pas. Il déclare lui-même sur un point particulier son ignorance (Marc XIII, 32). (…) En général chaque question adressée par lui n’aurait été qu’un faux-semblant, s’il eût encore joui de la toute-science. Il a possédé une vue prophétique supérieure sans doute… ; mais cette vue n’était pas l’omni-science. (…) Il ne possède pas non plus la toute-puissance. (…) Il est également privé de la toute-présence. (…) Son amour, si parfait qu’il soit, n’est pourtant pas l’amour divin. Celui-ci est immuable ; mais qui prétendra que Jésus au berceau aimât comme à l’âge de douze ans, et à l’âge de douze ans, comme sur la croix ? (…) C’était donc un amour vraiment humain. (…) Sa sainteté a été aussi une sainteté humaine ; car elle ne s’est réalisée à chaque instant qu’au prix de la lutte… Tous ces textes prouvent clairement que Jésus ne possédait point, sur la terre, les attributs qui constituent l’état divin. Et autrement, en effet, comment pourrait-il terminer sa carrière terrestre en redemandant la gloire qu’il avait avant son incarnation (XVII, 5) ? (…) Quoi qu’il en soit, l’Ecriture n’enseigne nullement qu’il soit venu ici-bas avec ses attributs divins ; ce qui suppose qu’il avait renoncé non seulement à leur usage, mais aussi à leur possession. La conscience même de son existence antérieure, comme sujet divin, eût été incompatible avec l’état d’un véritable enfant et avec un développement réellement humain.[221] [221]

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Parvenus au terme de notre exposition des textes de Frédéric Godet abordant directement ou indirectement la question de la théologie de la kénose, il nous paraît opportun de synthétiser ces nombreuses données, qui se recoupent pour la plupart d’entre elles, sous forme de tableau. D’une manière volontaire, afin de ne pas surcharger inutilement les notes de bas de page, nous ne citerons pas les textes déjà étudiés.

Eternité : Le Logos existe de toute éternité ; il participe à la déité de Dieu et possède l’état divin (tous les attributs de Dieu). Sa divinité est essentielle. Il est subordonné au Père de qui il tire sa vie et son existence ; celle-ci n’est pas due à la nécessité mais provient de l’amour de Dieu.[222] [222]

Incarnation : Le Logos devient chair. Il devient réellement homme par la kénose, en se dépouillant de son état divin : il ne renonce pas seulement à utiliser les attributs divins (moraux et essentiels) mais les abandonne complètement, ainsi que sa gloire. Il passe donc de l’état divin à l’état humain[223] [223]. La kénose se fait non seulement asarkos[224] [224], mais également ensarkos[225] [225]. De plus, sa conscience de Fils s’éteint « en lui au moment de son incarnation, comme le soir, en nous livrant au sommeil, nous perdons la conscience du moi »[226] [226].

Enfance et préparation au ministère : Durant cette période, Jésus accomplit la tâche de recommencer à développer l’humanité qui avait été, jusque-là, faussée par le péché. L’homme ayant été créé à l’origine « innocent, mais non pas saint »[227] [227], il fallait que le Christ atteignît la perfection morale afin de pouvoir mener « la vie humaine au but que Dieu lui avait assigné et réparer le tort causé par notre chute »[228] [228]. Ainsi, « il élève en lui-même l’humanité, par son obéissance parfaite et le sacrifice constant de son moi, de l’innocence à la sainteté »[229] [229].

Baptême : C’est lors du baptême que sa conscience de Fils lui est rendue[230] [230] ; en effet, la conscience de cette filiation, de cette identité, n’est pas contradictoire avec la mission qui lui est assignée ; bien au contraire ! « (…) Pour témoigner de Dieu comme Père il doit nécessairement se connaître lui-même comme Fils. »[231] [231] Cependant, si le baptême a rendu à Jésus sa conscience de Fils, il « ne lui a point rendu son état de Fils, sa forme de Dieu. Entre ce qu’il se sait être et ce qu’il est réellement, il y a encore une immense disproportion. »[232] [232] C’est lors du baptême que Jésus reçoit donc sa mission de salut pour l’humanité.

Tentation : La tentation est pour Jésus l’occasion d’apprendre « à consacrer à Dieu seul les dons qu’il a reçus »[233] [233]. Le fait que le Christ ait été tenté est une preuve supplémentaire de sa vraie humanité (et donc de sa kénose) : « Etre au-dessus de la tentation n’appartient qu’à Dieu, tenter est le propre du diable ; être tenté, voilà la position de l’homme. »[234] [234] La tentation est le moment où le Père l’instruit sur ce qu’il ne faut pas faire.[235] [235]

Ministère terrestre : Les actes surnaturels accomplis par le Christ ne sont pas le fait de sa nature divine, ayant laissé l’état divin (ses attributs) pour devenir homme, mais proviennent de sa sainteté. Les miracles, par exemple, « sont à la fois humains et divins ; divins, quant à leur cause première ; humains, quant à l’agent à qui Dieu trouve bon de confier sa force »[236] [236].

Transfiguration : Il s’agit de l’apogée du ministère de Jésus-Christ. En raison de sa sainteté parfaite (et parfaitement éprouvée), Jésus eût pu accepter « la transformation glorieuse destinée à l’homme non séparé de Dieu. Jésus pouvait accepter ce départ et Dieu devait le lui offrir. »[237] [237] Jésus, cependant, choisit de renoncer à un tel départ glorieux et y préfère la croix dans le but de sauver l’humanité.

Mort : S’il a accompli la tâche de l’homme normal durant sa vie, « il accomplissait dans sa mort celle de l’homme pécheur »[238] [238]. Dans sa mort, Christ « offrit à Dieu, au nom de ses frères, la réparation qui lui était due et rendit de fait hommage à ce droit divin de juger le mal, dont Dieu lui-même ne peut se dessaisir que lorsque la conscience humaine a consenti à y acquiescer sans réserve »[239] [239].

Résurrection : Sa résurrection est le pendant de sa mort[240] [240]. Nous contemplons dans le Christ ressuscité l’humanité justifiée. « Jésus ressuscité personnifie donc l’humanité réhabilitée. »[241] [241] En ressuscitant, Christ vainc la mort et reprend le sceptre de la domination. Ce n’est qu’à partir de ce moment que Jésus « redevient Fils quant à ses conditions d’existence »[242] [242].

Ascension : L’ascension est l’achèvement de la transformation céleste qui avait commencé lors de la transfiguration et qui s’était interrompue. « Ce qu’il avait généreusement refusé sur la montagne de la transfiguration, Dieu le lui rend par l’ascension sur le mont des Oliviers. »[243] [243] C’est lors de l’ascension que Jésus-Christ retrouve tous les attributs divins[244] [244] qu’il avait laissés en s’incarnant. Toutefois, « il ne dépouille nullement son humanité »[245] [245]. Le vrai homme devient donc vrai Dieu : « Voilà donc la nature humaine élevée en son représentant normal à la possession de la vie divine… Voilà l’abîme entre le fini et l’infini comblé dans un membre de notre race. »[246] [246]

Pentecôte : Jésus-Christ commence dès la Pentecôte à « associer les croyants à son état de Fils ». Il prépare ainsi sa seconde venue. Tout comme la résurrection et son ascension, la Pentecôte est la conséquence directe de sa sainteté. C’est en répandant le don de Son Esprit que le Christ reproduit « tous les traits de sa physionomie morale chez les croyants »[247] [247]. Ainsi, par la sanctification que produit en nous l’Esprit, le Christ nous rend aptes à partager sa nature divine[248] [248].

Parousie : C’est lors de sa parousie que le Christ « consommera extérieurement leur participation [aux croyants] à sa gloire, après avoir rétabli en eux la sainteté parfaite qui a été la base de sa propre élévation. Images vivantes du Logos dès notre création, nous réaliserons alors, au terme du développement, ce type d’existence divine-humaine que nous contemplons actuellement en lui »[249] [249].

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Nous voici arrivés à la fin de cette partie fondamentale de notre étude. Pour reprendre la terminologie d’Oliver Crisp, nous constatons que Frédéric Godet, à la suite de W.-F. Gess, envisage la kénose d’un point de vue ontologique fort. Les données christologiques que Frédéric Godet parsema dans toute son œuvre avaient pour but de résoudre le problème des deux natures du Christ, posé par la formulation de Chalcédoine.

Le problème de l’accord entre la double nature humaine et divine de Jésus ne serait-il pas résolu ? Quelle contradiction y a-t-il entre la divinité et l’humanité de Jésus-Christ, s’il est établi que l’homme que Dieu avait en vue dès le commencement, l’homme idéal, c’était l’homme-Dieu ?[250] [250]

Et cela nous sera-t-il difficile, si nous pensons bien qu’il n’a voulu rien moins, en venant à nous, que de faire de chacun de nous un autre lui-même, un représentant de ce type sublime : l’Homme-Dieu ?[251] [251]

Cependant, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, loin d’avoir apporté des réponses satisfaisantes à ces questions, la théologie de la kénose, telle que l’adopta Frédéric Godet, pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout.

III. Evaluation de la pensée de Frédéric Godet

Comme nous l’avons relevé en introduction, l’une des motivations principales de l’adhésion à la conception kénotique était la volonté de concilier la préexistence éternelle du Christ, qui implique sa divinité essentielle, avec une humanité parfaitement réelle. C’est précisément cet objectif que poursuivait Frédéric Godet. C’est ainsi que Charles Porret écrit à son sujet que

s’il a défendu avec décision la préexistence du Christ, s’il a, d’autre part, pris tellement au sérieux la pleine humanité du Sauveur que les partisans de l’orthodoxie s’en effrayaient, (…) c’est qu’il voyait dans l’une et l’autre de ces doctrines une partie intégrante de l’Evangile et une condition essentielle de l’œuvre rédemptrice sérieusement acceptée.[252] [252]

Cependant, comme nous allons nous y appliquer dans le présent chapitre de notre étude, bien loin d’avoir rendu justice à la divinité essentielle du Christ et à sa réelle humanité, la théologie de la kénose s’expose aux critiques exégétiques et théologiques les plus redoutables tant les problèmes qu’elle pose sont nombreux.

Avant d’entreprendre l’examen de ces objections, il nous faut étudier brièvement certains mots clés de l’hymne christologique de Philippiens 2.6-11, sur lesquels cette théorie croit pouvoir trouver son appui principal. Pour les kénotistes, ce passage démontre la divinité de Christ (forme de Dieu/égal à Dieu) et implique le renoncement à celle-ci (s’est dépouillé lui-même) pour pouvoir s’incarner (prenant la forme d’esclave) – l’accent principal portant sur l’expression s’est dépouillé lui-même (ἑαυτὸν ἐκένωσεν).

Le cadre limité de la présente étude ne nous permettant pas d’aborder en détail l’ensemble de l’hymne christologique[253] [253], nous nous pencherons uniquement sur ses deux premiers versets, qui renferment les expressions mentionnées ci-dessus.

A. Brèves considérations exégétiques sur Philippiens 2.6-7

La lettre de Paul aux Philippiens, « la plus épistolaire entre les épîtres »[254] [254], selon la formule reprise par Frédéric Godet, est un écrit de captivité[255] [255], rédigé pour une communauté fondée par l’apôtre lui-même dans des circonstances particulièrement difficiles. Bien avant d’être un traité doctrinal, et christologique en particulier[256] [256], cette lettre a pour objectif de remercier les Philippiens de leur offrande, de les exhorter à l’unité en Christ et de leur donner des nouvelles d’Epaphrodite, leur frère en Christ, gravement malade. C’est donc dans un contexte parénétique que s’inscrit l’hymne christologique utilisé par Paul. Comme l’a remarqué Paul Henry, « il y a sans doute peu de textes qui donnent lieu à des interprétations plus contradictoires »[257] [257].

 En effet, « si les uns, avec les Pères, voient dans ce texte l’affirmation de la divinité du Christ, d’autres y lisent une négation tout aussi emphatique du même fait »[258] [258]. Ces compréhensions diamétralement opposées proviennent essentiellement du caractère singulier, parfois unique, des constructions grammaticales et du vocabulaire employé ; effectivement, « peu de péricopes contiennent un aussi grand nombre d’expressions rares, ou dont le sens ou l’emploi sont insolites »[259] [259].

a) Des difficultés sémantiques de taille

Le mot forme (μορφὴ) ne se trouve chez Paul que dans ce texte[260] [260]. Proie (Ἁρπαγμὸς) est un hapax, que l’on ne trouvera qu’ultérieurement chez Plutarque[261] [261] ; élever (ὑπερυψόω) est, quant à lui, un hapax néotestamentaire. De même, le verbe se dépouiller (κενοῦν), dans le sens de « rendre vain », « détruire », n’est utilisé que par Paul dans le Nouveau Testament, la plupart du temps au passif (1Co 1.17 ; 2Co 9.3) ; il a ici une acception unique, « se priver de » ou « se vider de », et a normalement pour complément une chose ; c’est donc la seule fois que nous le retrouvons employé avec un pronom réflexif (ἑαυτὸν ἐκένωσεν), dans le Nouveau Testament. Le mot situation (Σκῆμα) n’est utilisé dans le Nouveau Testament qu’une autre fois par Paul et dans un autre contexte, en 1 Corinthiens 7.31, à propos du monde, mais avec le même sens fondamental qu’ici. Quant à la forme « être semblable à Dieu » εἶναι ἴσα θεῷ, elle n’a, dans le Nouveau Testament, qu’un seul parallèle mais de structure bien différente en Jean 5.18 (ἴσος θεῷ).

La question préalable à toute exploration ultérieure est de savoir si l’hymne christologique commence, au verset 6, avec la préexistence du Christ ou avec sa vie terrestre[262] [262]. L’utilisation des participes aoristes devenant et se trouvant (γενόμενος et εὑρεθεὶς) nous conduit à penser qu’il s’agit de la situation antérieure à l’incarnation de la deuxième personne de la Trinité. Le participe présent « étant en forme de Dieu » (ὑπάρχων), quant à lui, indique qu’il s’agit d’un état qui se prolonge et qui exclut que ce mode de subsistance ait été interrompu lorsqu’il a pris la forme d’un serviteur[263] [263]. Ainsi, Paul Henry d’écrire :

Conformément à l’usage en grec classique, le participe présent, employé avec l’aoriste, est en réalité un imparfait et peut marquer la continuation indéfinie de l’action ou de l’état. (…) Nous pouvons, semble-t-il, affirmer que ὑπάρχων décrit une condition d’existence originelle et stable, un état du Christ qui le caractérise dans sa préexistence et se prolonge dans son incarnation.[264] [264]

Ces quelques considérations terminologiques confirment la difficulté d’interprétation de ce passage. Il nous faut tout de même affirmer d’emblée que le texte ne dit pas que Christ s’est vidé de ses attributs, essentiels ou relatifs. Il n’est pas dit qu’il se soit « vidé » de sa « forme »[265] [265], ce qui d’ailleurs poserait un problème de compréhension linguistique.

La forme, Μορφὴ

Il nous faut à présent définir le terme « forme » morphe, dont la signification est un des pivots de la construction kénotiste. Nous avons vu que, chez Frédéric Godet, ce mot renvoyait à l’état divin[266] [266]. Comment comprendre ce terme qui n’apparaît sous la plume de l’apôtre Paul qu’ici ?

Ce mot a été interprété essentiellement de trois manières différentes[267] [267], avec quelques variantes. Pour certains théologiens[268] [268], le terme signifie l’aspect, l’apparence ou la ressemblance. Leur argumentation repose essentiellement sur son utilisation dans les LXX. Le mot serait donc un équivalent d’image (eikon)[269] [269]. Leur conclusion est claire : « Les textes que nous venons de citer [Col 1.15 ; 3.10 ; 2Co 3.18 ; 4.4 ; Rm 8.29 ; 1Co 15.49] montrent donc que l’expression morphe désigne cette ressemblance avec Dieu et doit être comprise dans le sens de l’hébreu tselem et demuth. »[270] [270]

Plusieurs observations peuvent être formulées à la suite de ce rapprochement. Premièrement, morphe est utilisé à quatre reprises dans les LXX (Jg 8.18 ; Jb 4.16 ; Es 43.13 ; Dn 3.19[271] [271]) mais pour traduire un mot différent chaque fois[272] [272]. De plus, si morphe signifie image (ou gloire), cela pose un problème avec le parallèle qui est établi dans la suite de l’hymne avec l’expression forme d’esclave (morphe doulou)[273] [273]. Le parallélisme des deux expressions ne saurait être respecté selon cette interprétation : Christ n’a pas pris seulement l’image ou l’apparence d’un esclave mais l’est réellement devenu.

D’autres commentateurs ont vu en morphe la signification de nature ou d’essence (ousia), comme chez Platon ou Aristote. Lightfoot a appliqué toute son érudition à démontrer cette lecture. « Ainsi morphê fait référence aux attributs divins. »[274] [274]

 F.F. Bruce[275] [275] suit également cette interprétation. L’une des difficultés réside dans le sens que prend morphe dans plusieurs verbes composés du Nouveau Testament. Ils signifient respectivement « devenir semblable » (Ph 3.10) et « transformer » (Rm 12.2). Dans ces cas, il y a bien un changement mais non un changement de nature ou d’attributs essentiels. De même, Christ, lors de sa « métamorphose » (transfiguration), n’a pas changé d’essence mais a certainement manifesté l’essence sous-jacente à sa personne.

Cette remarque nous amène à considérer une troisième voie, médiane des deux voies précédentes, et qui nous semble la plus adaptée. Défendue par Käsemann, elle est préférée de nombreux exégètes. Selon cette interprétation, morphe signifierait « le mode d’existence, la manière d’être et non point l’essence elle-même »[276] [276].

 Cette position a l’avantage de rendre compte du parallélisme avec le verset 7, morphe doulou. La condition d’esclave contraste avec la condition divine. « Nous voyons donc dans l’expression étant en forme de Dieu la mention d’une préexistence et d’une divinité, présentée non dans sa nature mais dans sa condition. »[277] [277]

Ravir, arracher, Ἁρπαγμὸς

Le mot harpagmos (ἁρπαγμὸς), qui provient du verbe ravir, d’un usage rare en grec classique, a toujours eu le sens actif de « vol », « mainmise » ou « rapt ». Cependant, cette interprétation pose problème. Premièrement, cela ne s’accorde pas avec le contexte de l’hymne « dont l’objet est non une action mais un état »[278] [278].

 Deuxièmement, « on a fait valoir qu’en grec postclassique les noms comportant le suffixe -mos équivalaient aux noms en -ma et prenaient de ce fait un sens passif. Harpagmos devient alors un objet. »[279] [279]

D’autre part, cet « objet », volé ou de valeur, est-il ou non en possession du sujet ?[280] [280]

 Ainsi, harpagmos peut avoir le sens de res rapta (Christ ne retint pas jalousement son égalité avec Dieu), de res rapienda[281] [281] (Christ n’a pas regardé cette égalité comme une proie à saisir), de res pretiosa retinenda (Christ n’a pas considéré son égalité avec Dieu comme quelque chose dont il pouvait se servir à son avantage) ou encore de res prestiosa arripienda (Christ n’a pas regardé l’égalité avec Dieu comme un trésor à acquérir).

Le contexte parénétique de l’hymne ainsi que son contenu ont conduit la majorité des exégètes à choisir l’interprétation de la res retinenda. Existant déjà dans la « forme » de Dieu, « ‘l’égalité avec Dieu’ est le bien, possédé, que le Christ renonce à exploiter »[282] [282].

Devrait-on ne rien savoir autrement sur le sens du mot harpagmos, on ne pourrait, en suivant la dynamique même de nos versets, pas comprendre autrement qu’ainsi : le Christ n’a pas exercé les pouvoirs de Seigneurie attachés à son égalité avec Dieu, il ne s’est pas manifesté comme Seigneur, il n’a pas profité, égoïstement et despotiquement, de ce qu’il était. (…) C’est donc bien de cela qu’il s’agit en 6b : de la manière dont le Christ a été perçu par Dieu et par la création, mais cette fois-ci dans son état divin.[283] [283]

Nous appuyant sur les conclusions de Roy W. Hoover[284] [284], nous concluons avec Henri Blocher :

Il n’y a aucune raison de s’écarter de cette compréhension en Philippiens 2.6 : le Christ préexistant, qui possédait le caractère essentiel de la divinité, n’a pas voulu traiter son égalité avec Dieu comme une aubaine dont on profite pour soi seul. C’est l’exploitation de son rang qui paraît l’objet du renoncement, plutôt que le rang lui-même.[285] [285]

« Au contraire, il a saisi cette occasion pour renoncer à tout avantage et à tout privilège qu’il aurait pu en retirer, pour s’appauvrir lui-même et s’offrir dans un sacrifice sans réserve. »[286] [286]

Ainsi, « le verset ne dit pas que le Christ a perdu (ou voulu perdre) son égalité avec Dieu, mais qu’il n’a pas voulu l’exploiter ou en profiter »[287] [287].

 Un exemple que, in fine, Paul invite les Philippiens à suivre.

Etre égal de Dieu, Τὸ εἶναι ἴσα θεῷ 

Cette expression servant d’objet à harpagmos compris comme res retinenda, « renvoie à étant en la forme de Dieu (ἐν μορφῇ θεοῦ ὑπάρχων) et lui est sémantiquement équivalente »[288] [288].

Selon Henry, c’est justement l’article (τὸ) qui indiquerait l’identité des expressions[289] [289]. L’emploi du pluriel neutre adverbial (ἴσα) à la place de l’adjectif qualificatif (ἴσος) porte l’accent sur « la condition concrète du Christ comme Dieu, plutôt que sur l’essence de cette égalité »[290] [290] et « donne à l’expression une valeur plus juridique : il s’agit de l’équivalence de deux pouvoirs, de deux fonctions. Ainsi le Christ n’a pas utilisé ce pouvoir qui était sien pour ‘mettre la main’ sur la création. »[291] [291]

S’est dépouillé lui-même, Ἑαυτὸν ἐκένωσεν

L’édifice de la théorie kénotiste a pour unique fondement le verbe kenoun, traduit de manière littérale par vider, justifiant ainsi la perte des attributs divins du Logos. Cependant, nulle part dans le Nouveau Testament ce verbe ne possède ce sens : « Il y revêt toujours un sens figuré et moral. »[292] [292]

 De plus, il s’agit du seul passage néotestamentaire où le verbe est construit avec un pronom réflexif. Son sens est donc plutôt se rendre vain, sans aucune signification[293] [293]. D’autre part, le verbe ekenesen ne se rapporte pas à la forme de Dieu mais à être égal de Dieu[294] [294]; l’incarnation elle-même est le « contenu réel, essentiel de la kénose »[295] [295] : « prenant la forme d’un serviteur »; deux aoristes (ἐκένωσεν/λαβὼν) marquent la simultanéité des deux actes.

De plus, nous constatons un parallélisme avec le verbe « s’est humilié » (ἐταπείνωσεν)[296] [296] du verset 8. « Le fait qu’il prenne la forme d’un serviteur n’implique pas qu’il laisse la forme de Dieu. »[297] [297]

 Il s’est « vidé » en prenant la forme d’un serviteur[298] [298] et non pas en laissant quelques attributs. La vraie kénose se situe « dans le fait même de prendre la condition humaine et humiliée et de la vivre comme telle sans tricher »[299] [299].

 « Dans l’humble condition humaine, il reste entièrement ce qu’il était dans la condition divine ; seulement, il assume maintenant tous les risques historiques d’une condition menacée par Dieu et par les hommes. »[300] [300]

Ainsi, après avoir esquissé sommairement les concepts clés problématiques de la première partie de l’hymne aux Philippiens, nous concluons que ce passage, loin de laisser entendre que le Logos préexistant se serait « vidé » de ses attributs divins, nous le présente dans une position égale à celle de Dieu. Sa kénose consista à ne pas tirer profit des privilèges et des honneurs dus à ce statut d’égalité avec Dieu ; à l’opposé, il s’humilia lui-même, volontairement, pour notre salut, laissant ainsi le plus bel exemple d’abnégation, d’humilité, d’amour et d’obéissance, seuls garants de l’unité tant voulue par l’apôtre Paul pour l’Eglise de Philippes.

Comme l’a écrit Jean Calvin :

Il est d’ailleurs aisé de comprendre, au fil du texte, que Jésus-Christ s’est anéanti en revêtant la vraie nature humaine. Car, que signifient ces mots : il a été vu sous la forme d’un homme, si ce n’est que pour un temps sa gloire divine n’a pas brillé ? Seule a été visible sa forme humaine placée dans une condition dure et humble.[301] [301]

B. Brèves considérations exégétiques sur Jean 1.14 et sur 2 Corinthiens 8.9

 Jean 1.14, ho logos sarx egeneto (ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο)

Comme nous l’avons vu par les écrits de Frédéric Godet, le verset 14 du premier chapitre de l’évangile selon Jean sert d’appui à la théorie kénotiste. Le verbe devenir (ἐγένετο) serait la preuve de la transformation ontologique à laquelle aurait consenti le Logos pour s’incarner. Bien plus forte que la description de Paul en 1 Timothée 3.16 (il est apparu dans la chair) cette expression de l’apôtre Jean est à replacer dans le contexte du prologue de son évangile.

Tout d’abord, comme Henri Blocher l’a fort bien remarqué :

Jean 1,14 affirme que le Logos est devenu homme… ; il ne dit pas que le Logos ait cessé de posséder la divinité. L’usage de ginomaï ne requiert pas de soi une telle privation : il est fréquent que des sujets « deviennent » quelque chose de nouveau sans cesser d’être ce qu’ils étaient ! Le verset suggère la permanence de la divinité, nous l’avons vu, puisque la gloire de Fils Unique s’est laissé contempler à travers le « tabernacle » (skènè) de la chair, avec les attributs de la divinité selon Exode 34,6.[302] [302]

Après avoir mis en exergue au premier verset que le logos est un principe personnel, se démarquant ainsi de la philosophie grecque, Jean, en utilisant à nouveau le mot logos[303] [303], associé maintenant au mot sarx, s’attaque au docétisme. Prenant l’image même du Tabernacle (eskenosen)[304] [304], l’apôtre n’est pas en train de décrire le mode de l’incarnation mais plutôt sa réalité : Dieu réside dorénavant parmi les hommes en la personne de Jésus-Christ, dont la venue fut préparée par le prophète Jean-Baptiste.[305] [305]

2 Corinthiens 8.9, « s’est fait pauvre de riche qu’il était… » 

Situé dans un contexte dans lequel Paul appelle la communauté chrétienne de Corinthe à honorer sa promesse de participer à la collecte en faveur de l’Eglise de Jérusalem, ce verset est souvent utilisé par les kénotistes pour imager la dédivinisation du Fils : l’appauvrissement du Fils ne serait autre que la perte de sa divinité.

Avant même d’aborder l’interprétation du texte, il faut relever qu’en suivant la stricte logique kénotiste et la symétrie de ce verset, si l’appauvrissement de Christ était sa dédivinisation, notre enrichissement serait, quant à lui, notre divinisation immédiate.

Il est certain, en effet, que le Seigneur s’est défait de sa richesse initiale pour se faire pauvre en notre faveur, mais non moins que la richesse en cause ne peut pas être la nature divine. La symétrie du passage exigerait que notre enrichissement en Christ soit la substitution de la nature divine (la divinité métaphysique au sens strict) à la nature humaine ![306] [306]

Interpréter ce verset à la manière kénotiste est faire violence au texte et à la vérité biblique.

Tout d’abord, lorsque Paul parle de la générosité de Christ, il aborde le sujet d’un point de vue éthique et non ontologique. Les Corinthiens, qui s’étaient engagés eux-mêmes à participer à la collecte, n’y avaient toujours pas contribué. Les chrétiens de Macédoine, quant à eux, d’une pauvreté extrême, ont exercé leur générosité envers les frères de Jérusalem, manifestant ainsi la grâce de Dieu (v. 1). Celle-ci s’est également exprimée, envers les Corinthiens, par le don du Christ lui-même (v. 9)[307] [307] : celui-ci s’est appauvri, en renonçant à ses droits divins, « après s’être humilié et en vivant dans un grand dépouillement matériel (Mt 8.20 ; Lc 9.58 ; Ph 2.7), il a supporté l’état de pauvreté le plus extrême, la mort sur la croix (Ph 2.8), devenant péché pour nous (5.21) »[308] [308].

 Par cet appel à suivre l’exemple de Christ, Paul rappelle tout simplement que la générosité trouve son origine en Dieu lui-même, dans le don de son Fils.

Ainsi, quand Paul en appelle à la générosité des Corinthiens, il prend le temps de leur expliquer, des versets 10 à 13, qu’il leur faut donner selon leurs moyens, et que le but de la collecte n’est pas d’enrichir (dans le sens de rendre riches) les chrétiens de Jérusalem, au détriment des Corinthiens, mais de pourvoir à leur nécessité présente. De fait, à l’instar des Macédoniens qui furent généreux dans leur extrême pauvreté, ou du Seigneur Jésus-Christ qui le fut dans son extrême richesse, les Corinthiens sont exhortés à mettre en œuvre cette générosité qui caractérise Dieu lui-même et sa propre famille.[309] [309]

C. Considérations théologiques

Comme nous venons de le constater, la théorie kénotiste ne trouve pas d’appui solide sur l’exégèse des textes bibliques cités. Nous allons maintenant examiner ses conceptions théologiques, christologiques, anthropologiques et sa compréhension de la nature des relations Créateur-créature. Précisons toutefois que si, dans le cadre de cette étude, nous avons été amenés à isoler et à traiter un certain nombre de difficultés soulevées par cette théorie, les sujets théologiques auxquels ils se réfèrent sont interdépendants.

a) Le suicide de Dieu

Il convient tout d’abord d’observer que la christologie kénotiste ne porte pas seulement atteinte au Logos, mais aussi, par voie de conséquence, à l’être même de Dieu. « Kénoser » le Fils de sa divinité, fût-ce seulement le temps de l’incarnation, c’est en fin de compte priver la Trinité entière de toute consistance, parce que cette éviction de la divinité du Logos ne peut pas ne pas s’accompagner, comme nous le verrons, d’une redistribution des fonctions et des attributions de chacune des personnes de la Trinité, le Père devant pallier, par exemple, l’abandon des fonctions cosmiques du Fils.

Le Dieu professé par les chrétiens, faut-il le rappeler, est un Dieu trinitaire. Ce n’est pas le lieu, ici, d’exposer les raisons scripturaires de cette conception. Affirmons simplement que Dieu est trinitaire dans son essence, de toute éternité. Comme le confesse l’Eglise :

Il n’est qu’un seul, vivant et vrai Dieu, infini en son être et en sa perfection, (…) Dans l’unité divine, il est trois personnes d’une seule et même substance, puissance et éternité : Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit. Le Père n’est engendré par personne et ne procède de personne. Le Fils est éternellement engendré du Père. Le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils.[310] [310]

Dans la Trinité, chacune des trois personnes divines possède des caractéristiques propres : l’engendrement caractérise le Père ; la filiation caractérise le Fils ; la procession le Saint-Esprit. Toutes ces caractéristiques sont non seulement éternelles mais unies et dépendantes les unes des autres, s’exprimant dans une relation éternelle d’amour[311] [311]. « Dédiviniser » le Fils et porter ainsi atteinte à sa filiation éternelle, c’est également impliquer, de facto, la cessation de l’engendrement éternel du Père et de la procession éternelle de l’Esprit Saint. Mais si le Père n’engendre plus le Fils, celui-ci, alors, ne peut plus être considéré comme Père. Pour paraphraser Cyrille d’Alexandrie, nous pourrions dire que s’il fut un temps où le Fils n’existait pas, il fut également un temps où le Père n’était pas Père. Le simple fait de parler de Père présuppose l’engendrement et la filiation d’un Fils. Or, si le Père et le Fils sont indissociablement liés l’un à l’autre dans la conception trinitaire traditionnelle[312] [312], il n’en est pas ainsi selon la théorie kénotiste où le Père peut exister sans le Fils, et rester toutefois Père.

Ce problème théologique se retrouve également sur le plan des relations entre le Fils et l’Esprit. En effet, la caractéristique propre de l’Esprit, le spiré, est d’être l’Envoyé du Père et du Fils[313] [313]. Cependant, si l’Esprit ne procède plus du Père et du Fils, en raison de la dédivinisation de ce dernier et donc de l’arrêt des relations intratrinitaires éternelles, l’Esprit cesse d’être le spiré, l’Envoyé, celui qui procède[314] [314]. Ainsi, affirmer l’interruption durant le temps de l’incarnation de la caractéristique propre du Fils, sa filiation éternelle liée à sa divinité, revient également à révoquer les caractéristiques des deux autres personnes de la Trinité. Cela pose un problème supplémentaire. En effet, si l’on développe jusqu’au bout la logique kénotiste, en admettant que le Fils puisse délaisser son état divin sans porter atteinte aux autres personnes de la Trinité, la distinction éternelle et personnelle entre le Fils et l’Esprit est rendue caduque durant le temps de l’incarnation. Ce qui différencie l’Esprit et le Fils, de toute éternité, est que le premier procède du Père et du Fils. Si, selon la théorie kénotiste, le Fils n’est plus Dieu durant l’incarnation, le Saint-Esprit ne procède plus que du Père seul. Or, quelle est la caractéristique essentielle du Fils, si ce n’est d’être engendré, de procéder, du Père seul[315] [315]. Ainsi, d’un point de vue ontologique, durant l’incarnation du Logos, l’Esprit se voit attribuer la distinction personnelle du Fils au sein de la Trinité, sans toutefois en assumer les fonctions cosmiques. Les relations éternelles, les caractéristiques propres aux personnes de la Trinité et l’altérité entre le Fils et l’Esprit se trouvent donc remises en question par la théorie de la kénose.

Si Frédéric Godet reconnaît la création du monde par le Logos, de même que sa conservation[316] [316], il n’a, toutefois, aucune difficulté à envisager la cessation des fonctions cosmiques du Christ ; c’est ainsi qu’il peut écrire :

Nous ne pensons pas avoir à traiter ici les questions que soulève, quant aux relations internes des personnes divines, le point de vue que nous venons d’exposer touchant le fait de l’incarnation. Précisément parce que l’existence du Fils est affaire d’amour et non point de nécessité (comme chez Philon), rien n’empêche que, lorsque la Parole descend dans le monde pour y devenir elle-même l’un des êtres de l’univers, le Père ne puisse entrer directement en rapport avec le monde et y exercer les fonctions de créateur et de conservateur qu’il exerce régulièrement par l’intermédiaire de la Parole.[317] [317]

Le Logos, selon l’enseignement du Nouveau Testament, est celui par qui toutes choses ont été créées (Jn 1.3, 10), qui soutient toutes choses (Hé 1.3) et en qui tout subsiste (Col 1.17). Il est surprenant qu’après avoir reconnu en Christ le conservateur du monde créé, Frédéric Godet attribue ses prérogatives au Père sans que rien dans la Bible ne puisse le guider vers cette affirmation.

Le raisonnement de Frédéric Godet, dans ce cas, part du principe que si le Logos est sur terre, il ne peut être ailleurs ; le Logos est, en quelque sorte, soumis lui aussi aux propriétés de l’espace-temps. Cependant, la conception christologique qu’avaient les premiers chrétiens est que la divinité n’est ni limitée ni dépendante de l’humanité, mais réside en celle-ci[318] [318]. Ainsi, par exemple, pour Athanase, « l’incarnation ne paraît avoir modifié en rien la condition transcendante du Verbe, car ‘en prenant chair il ne devient pas différent, mais reste le même’. En effet, alors qu’il est revêtu d’un corps humain, il continue à exercer la souveraineté sur l’univers… »[319] [319]

 C’est ainsi que l’évangéliste pourra parler, durant l’incarnation, du Fils unique qui est dans le sein du Père (Jn 1.18) et qui nous révèle la gloire de Dieu lors de son ministère terrestre (Jn 1.14), ou encore du Fils de l’Homme qui est dans le ciel (Jn 3.13)[320] [320] tandis que, sur terre, Jésus-Christ s’adresse à Nicodème. Dans son incarnation, Jésus est pleinement divin et c’est pour cette raison qu’il peut nous révéler parfaitement le Père. Rien de sa divinité n’est mis de côté lorsque le Logos est devenu chair en s’incarnant, tout en étant totalement en dehors d’elle (extra-catholicum). Dans la personne du médiateur, le divin ne subit aucune mutation mais il entre seulement dans une nouvelle relation avec l’humanité.

De plus, les répercussions de la théologie kénotique n’affectent pas seulement l’ontologie de la Trinité mais également son économie. L’ordre existant au sein de la Trinité ontologique se manifeste par ses opera ad extra[321] [321]. La place du Fils, dans celle-ci, est, comme nous l’avons vu, la création et la conservation du monde, mais également la médiation entre Dieu et la création entière[322] [322]. Frédéric Godet, qui, comme nous l’avons déjà mentionné, n’était pas un systématicien, a essentiellement abordé la personne et l’œuvre de Jésus-Christ par les textes des évangiles. Cependant, dans les conférences et articles où il traitait de la personne de Jésus-Christ et de son œuvre, et où il conserva son approche d’exégète, il ne parlait pas de médiation mais de réconciliation. L’intérêt de Frédéric Godet portait essentiellement sur l’œuvre de Jésus-Christ durant son ministère terrestre, rapportant presque exclusivement son action au champ de la rédemption. Ce faisant, il négligea l’œuvre de médiation du Logos dans le cadre créationnel car, s’il est vrai que la réconciliation fait partie de la médiation, l’œuvre médiatrice de Christ ne saurait y être circonscrite. Comme l’a écrit Paul Wells, « la relation entre Dieu et le monde n’est pas immédiate. Elle est médiatisée, et cette médiation est accomplie de façon unique par la personne de Jésus-Christ. »[323] [323]

 En ayant restreint l’œuvre de Christ à la rédemption et spéculé sur l’union des deux natures sans avoir considéré la personne du Médiateur, la théologie de la kénose a fait fausse route. Admettre la cessation de l’œuvre de médiation du Logos et de ses fonctions cosmiques rejaillit sur l’ensemble de la Trinité et ne peut être envisagé d’un point de vue biblique.

Enfin, comme nous l’avons déjà relevé[324] [324], l’hypothèse kénotiste trouve appui sur le subordinationisme ontologique du Fils par rapport au Père et à l’Esprit. Selon les kénotistes, c’est parce que le Fils est subordonné au Père dans son être même qu’il ne possède pas l’aséité, contrairement au Père, et qu’il peut donc se dévêtir de son état divin. Rejeté par les Pères de l’Eglise[325] [325] et par les réformateurs[326] [326], le subordinationisme introduit une distinction dans l’essence de Dieu et fait de la divinité du Fils une divinité dérivée et inférieure à celle du Père. C’est pour cela que Jean Calvin le rejeta avec force et maintint la distinction entre l’essence divine et les personnes divines[327] [327]. Puisque l’essence est commune aux trois personnes divines, qu’elle existe par elle-même et à égalité dans chacune des personnes, cela implique que le Père ne donne sa divinité ni au Fils ni à l’Esprit. Il nous faut donc reconnaître que si le Fils est autre que le Père, cela ne provient pas d’une différence de nature mais de la « distinction des personnes, dans l’unité d’un être unique »[328] [328].

 Cela dit, il convient de reconnaître qu’un certain langage « subordinationiste » peut être utilisé dans la Bible, à propos de la relation du Père avec le Fils[329] [329], mais il nous faut, avec Henri Blocher, prendre en compte trois considérations :[330] [330]

a) qu’il existe un ordre au sein de la Trinité mais que cela ne nuit pas « à l’égalité dans l’unité de l’essence commune aux Trois (Jn 5.19) »[331] [331] ;

b) que Jésus peut être en cause selon sa nature humaine[332] [332] ;

c) quand l’état d’humiliation est en vue[333] [333].

Nous touchons là au cœur de l’impasse kénotiste : en admettant la « dédivinisation » du Logos divin et sa subordination ontologique au Père, la théologie de la kénose ne peut plus se réclamer d’inspiration trinitaire sans s’exposer à de graves incohérences métaphysiques.

Le problème de celle-ci, au moins durant le temps de l’incarnation, est qu’elle conduit au « binitarisme »[334] [334] et nie par cela même l’existence trinitaire de Dieu : le Dieu kénotiste passe successivement d’une existence trinitaire à une existence binitaire, pour enfin redevenir trinitaire, mais avec un changement considérable : la divinisation des rachetés[335] [335]. De toute évidence, le Dieu des kénotistes est non seulement un Dieu mutilé mais aussi en pleine mutation. Mutilé car durant l’incarnation la Trinité n’est plus, la seconde personne en ayant été éclipsée ; Gretillat n’hésite pas à écrire : « Le mystère de la piété est grand : Dieu manifesté en chair ! La Parole éternelle éclipsée du sein de la Trinité ! »[336] [336]

 En pleine mutation, car la personne du Fils de Dieu connaît un profond changement, pour le moins surprenant : de Dieu qu’il était, il deviendra homme, par la soustraction de ses attributs divins, pour finalement devenir l’homme-Dieu[337] [337]. Assurément, le mystère des affirmations kénotistes, lui aussi, est grand…

 De plus, non contente d’avoir exclu la nature trine du Dieu de la Bible, la théorie de la kénose rend également caduque son unité : Dieu n’est plus un de toute éternité, son absolue simplicité et unité d’essence qui unissait le Père au Fils dans l’Esprit, la périchôrèse[338] [338], ayant été détruite. Fondée sur les affirmations de Jésus, à propos de son union avec son Père[339] [339], la notion de périchôrèse est « une tentative de combinaison à la fois de l’unité d’essence et de la distinction des personnes en une synthèse compréhensible. Au sein de l’unique divinité, les trois personnes habitent les unes dans les autres et se compénètrent. »[340] [340]

 Les implications de cette vérité biblique portent jusque dans les rapports entre Dieu et sa création. Au niveau de l’espace-temps, la périchôrèse signifie que le Père, le Fils et l’Esprit remplissent le même temps et le même espace et que « chacun conditionne le mode d’existence de l’autre. Aucun, pas même le Père, ne serait ce qu’il est sans les autres. »[341] [341]

 Cela entraîne également que les actions d’une des personnes divines impliquent également les deux autres, que les œuvres externes du Dieu trine sont indivises[342] [342]. « Eclipser la Parole éternelle du sein de la Trinité » revient donc, comme nous l’avons déjà relevé, à détruire la tri-unité divine, qui n’en est plus une, et porte atteinte à l’immuabilité de Dieu.

Finalement, comme l’a affirmé G. Berkouwer, « tous les efforts qui essaient de transcender la dualité du Christ mènent inévitablement à la mutabilité de Dieu »[343] [343].

 L’immuabilité de Dieu est remise en question par la théorie kénotiste alors qu’indéniablement, Il s’est révélé avec force comme étant celui qui ne change pas (Jc 1.17 ; Ml 3.6 ; 2 P 3.8). Celui-ci, s’il n’est pas immobile, ne peut connaître ni changement ni « ombre de variation » dans sa nature. C’est précisément parce qu’il est d’une stabilité inébranlable que l’homme est appelé à placer sa foi en Lui[344] [344]. Loin d’être un concept abstrait, théorique et purement rationnel, l’immuabilité de Dieu est le fondement même de notre salut et de notre « expérience » chrétienne, chère à Frédéric Godet.

De plus, cette mutation au sein de l’être même de Dieu s’inscrit en faux face à la simplicité absolue de Dieu ; le Seigneur est « Un » comme cela est confessé par le peuple de Dieu depuis l’Ancienne Alliance (Dt 6.4). S’il est vrai que le mot met l’accent dans ce passage sur l’unité singulière de Dieu, l’unité simple fait également partie intégrante de sa signification[345] [345]. Cette simplicité, qui est l’un des aspects de l’unité de Dieu, et qui signifie entre autres choses que chaque attribut de Dieu est complètement vrai à propos de Dieu et vrai à propos du caractère de Dieu[346] [346], est également dévastée par l’hypothétique kénose du Fils de Dieu : celle-ci sous-entend qu’une « partie » de Dieu lui-même est sujette au changement dans sa propre nature.

Enfin, cette mutation entache également la perfection infinie de Dieu. Dieu étant « la plénitude de l’être à quoi rien ne peut être ajouté »[347] [347], toute mutation de sa part impliquerait « une perte ou une acquisition »[348] [348].

 En conséquence, par ce mouvement de kénose, le Dieu parfait de la Bible ne l’est plus durant le temps de l’incarnation.

Indéniablement, la kénose du Fils touche la Trinité au plus profond de son être et conduit à l’impasse.

b) Un théisme non biblique

La doctrine de la création des théologiens kénotistes est erronée, comme leur conception de la nature des relations entre le Créateur et ses créatures.

La première des raisons fondamentales à ce quiproquo théologique est le contexte du romantisme et du libéralisme théologique dans lequel évoluèrent les kénotistes. A l’instar des théologiens libéraux, eux aussi désiraient porter l’accent sur l’immanence de Dieu et sa proximité avec la création ; les questions métaphysiques étant reléguées au second plan[349] [349], la prédominance fut donnée à l’expérience. Ainsi, les partisans de la théologie kénotiste essayèrent de conserver certaines données bibliques traditionnelles tout en les accommodant aux questions de l’époque.

Comme l’a constaté Matthieu Gétaz :

Ils ont été impressionnés par les critiques de leurs adversaires, par l’accusation de docétisme qu’ils portaient contre la christologie traditionnelle et qui était devenue un des lieux communs de la critique libérale. Ils ont admis l’exigence fondamentale des libéraux : pour que le Christ puisse nous servir vraiment de modèle, il faut qu’il ait été placé dans des conditions semblables aux nôtres.[350] [350]

Derrière cette volonté d’accommodation se profile une conception philosophique panthéiste : ce n’est que parce que Dieu et l’homme ne sont pas fondamentalement et absolument différents et distincts l’un de l’autre que l’un peut se transformer, muter, en l’autre. L’incarnation présentée par la théologie de la kénose est vue comme une descente graduelle du divin à l’humain[351] [351]. En effet, il n’existe pas, selon leur point de vue, de séparation « radicale » entre l’homme, créature, et Dieu, son Créateur[352] [352]. Ainsi, Dieu, en délaissant sa nature divine, peut devenir homme. L’homme, quant à lui, par sa perfectibilité inhérente à sa nature, peut atteindre la divinité grâce à sa sainteté, consécutive à ses choix. C’est par ce postulat de base, à savoir que le Dieu créateur et l’homme ne sont pas radicalement séparés, que le Logos divin peut « se kénoser » pour s’incarner avant de pouvoir retrouver sa pleine divinité.

Comme l’ont souligné Louis Berkhof [353] [353] et Emilio Brito[354] [354], le projet kénotiste est en réalité une synthèse hégélienne. Le schéma philosophique est plutôt clair : Dieu est considéré comme la thèse alors que l’homme, lui, est son antithèse. Pour que le premier devienne le second, celui-ci doit se vider de tous ses attributs qui le caractérisent et s’anéantir réellement, preuve suprême d’existence et d’amour. Cette kénose, « par laquelle Dieu s’est pour ainsi dire ‘vidé’ de lui-même en devenant homme, est une sorte d’aliénation de Dieu (qui est devenu autre que lui-même), et en même temps la preuve du plus grand amour »[355] [355].

 La synthèse s’opère après la résurrection, où l’homme-Jésus, glorifié, devient l’homme-Dieu, entraînant à sa suite tous ceux qui lui sont unis dans la foi.

Cependant, s’il est vrai que l’homme fut créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, il n’en demeure pas moins radicalement différent de son Créateur et ne saurait être confondu avec Lui. De la Genèse à l’Apocalypse, l’homme reste créature et s’il est appelé à vivre en communion avec Dieu, il ne lui est jamais permis de partager le trône[356] [356] de sa seigneurie. Etre créé, l’homme ne saurait se comparer à Celui qui vit aux siècles des siècles ; et c’est une tentation diabolique, qui a causé la chute de beaucoup d’hommes, que de croire qu’il pourrait en être ainsi. Seul l’Agneau a le privilège de s’asseoir à la droite de Dieu sur le trône (Apocalypse 22.1), en raison de ce qu’Il est et de ce qu’Il a fait. Ce verset à connotation trinitaire, qui met également en lumière la double procession de l’Esprit, nous rappelle le prologue de l’évangile de Jean où nous constatons l’unité de la Parole avec Dieu, un seul et même trône, tout en percevant la distinction en son sein, Dieu et l’Agneau. L’unité et la distinction du Fils par rapport au Père n’ont jamais été interrompues au cours de l’histoire de la rédemption. C’est pour cette raison que le Logos, créateur et médiateur de toutes choses, est présenté comme l’Agneau de Dieu immolé avant la fondation du monde (Ap 13.8). Christ assure donc en sa personne, divine et humaine, la continuité entre la création et la rédemption faisant de lui le seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le seul autorisé à s’asseoir sur le trône.

Quant à l’être même de Dieu, point n’est besoin de se nier, de se vider, ou même de créer pour exister. Dieu est : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3.14) L’aséité est en corrélation avec sa nature : Dieu se suffit à Lui-même, de toute éternité[357] [357].

De plus, comme l’a écrit Henri Blocher :

Aimer, selon l’Ecriture, ce n’est jamais nier sa propre essence : c’est renoncer à son avantage au service des autres, c’est payer de sa vie (non de son être métaphysique) le bien de ceux qu’on aime (…) le sens biblique de l’amour est tout autre. Et il n’implique aucunement non plus la nécessité « dialectique » de l’autonégation pour l’accomplissement de soi.[358] [358]

Effectivement, Dieu est amour (1 Jn 4.8) et son amour se manifeste de toute éternité dans les relations intradivines ; cet amour fait partie de l’être même de Dieu. Ainsi, l’obéissance du Fils au Père, lors de son ministère terrestre, n’était pas consécutive à l’incarnation, mais n’était que la manifestation dans l’espace et dans le temps de cet amour éternel ; de même, l’approbation du Père envers le Fils, dans l’espace et le temps de l’incarnation, n’était pas consécutive à sa sainteté et à son obéissance mais reflétait l’amour du Père envers le Fils. Enfin, l’amour de Dieu envers sa création ne s’est pas manifesté dans une kénose ontologique mais dans le don de son Fils unique (Jn 3.16), qui s’est offert lui-même pour les péchés de son peuple (Mt 1.21 ; Rm 5.8) par l’Esprit éternel (Hé 9.14).

c) Une christologie et une anthropologie déficientes

Dans cette partie, nous verrons que l’hypothèse de la kénose paie le prix d’une prémisse fautive, à savoir que le Logos ne peut pas s’incarner sans se dépouiller de sa divinité. Par conséquent, et pour que le Logos retrouve finalement sa divinité, cette théorie en est réduite à affirmer la nécessaire divinisation de l’homme.

La distinction entre la nature et la personnalité du Logos

La Bible nous rappelle que Jésus-Christ « est le même hier, aujourd’hui et pour l’éternité » (Hé 13.8). Une affirmation qui, nous l’avons vu, ne semble pas vraiment aller de soi dans la perspective kénotiste. Comme l’a bien exprimé Jules Bovon :

Que reste-t-il de la seconde partie de la Trinité divine ? Rien de ce qui la composait, pas même celle des perfections qu’on déclare d’autre part inaliénable, c’est-à-dire que, par cette disparition du Verbe, l’essence divine elle-même est altérée : l’être suprême se mutile, il cesse donc d’être Dieu.[359] [359]

Certains kénotistes, plus conséquents et peut-être moins prudents que l’exégète suisse, n’hésitent pas à aller jusqu’au bout de l’hypothèse et reconnaissent la discontinuité entre le Logos préexistant et le Christ incarné. Pour eux, le Logos met un terme à son existence divine pour que naisse un homme. Ainsi peut-on lire sous la plume d’André Arnal :

Ho logos sarx egeneto (Ὁ Λόγος σὰρξ ἐγένετο), le Logos est devenu personne humaine. Par suite, il a cessé d’être le Logos, car comment devenir autre chose en demeurant le même ? Devenu personne humaine, il n’est plus le Logos (…) Si de deux termes en présence : Le Logos, l’homme, le premier devient le deuxième, il disparaît par cela même, il cesse d’exister comme Logos pour exister comme homme.[360] [360]

Cet homme aura la mission de sauver l’humanité, s’il y parvient, car, ne l’oublions pas, la possibilité de pécher (chère à tous les kénotistes[361] [361]) met en péril le succès de son œuvre ; sa mission accomplie, cet homme retrouvera sa divinité laissée, sans abandonner son humanité.

Toutefois, Frédéric Godet croit pouvoir échapper à la critique par un montage en trompe-l’œil en insistant sur la similitude du sujet : le « moi », sujet du Logos divin, devient celui de Jésus-Christ de Nazareth. Ce changement dans la personne du Logos n’est rendu possible que par la distinction subtile introduite entre la personne et la nature du Logos. Les kénotistes insistent avec force : le Logos conserva sa personnalité, son « moi », alors qu’il ne laissa « que » l’état divin[362] [362]. Ainsi, Frédéric Godet, qui, sur ce sujet, préféra suivre Thomasius, considère que le « moi » de Jésus-Christ est bien celui du Logos divin, dévêtu toutefois de son état divin[363] [363]. Gretillat, développant les idées de son maître, peut ainsi déclarer : « Je puis me supposer revêtu de tout autres qualités que celle que je possède sans que l’identité de mon moi fût troublée. »[364] [364]

 Et Ernest Bertrand d’écrire :

Logiquement, rien n’empêche d’admettre a priori que le Fils de Dieu a pu revêtir une forme humaine et renoncer, par conséquent, à certains attributs de la vie divine, tout en demeurant le même être. Son moi, sa personnalité a pu très bien survivre au mode d’existence dont il s’est volontairement « dépouillé » (Philipp. II,7).[365] [365]

Cette conception est problématique : n’est-ce pas la nature qui définit la personnalité ? Si toutes les qualités sont enlevées à un « moi », si le « moi » perd tout ce qui le constitue, et la conscience même qu’il est, subsiste-t-il encore ? Dépouillé de tous ses attributs, quoi qu’en disent les kénotistes, le « moi » n’est plus ; recevant des attributs opposés à ceux qu’il possédait, le « moi » n’est plus identique à ce qu’il était : il devient autre.

« Déjà pour la personne humaine, aucune séparation n’est envisageable (la nature définit tout ce qu’elle est) : la distinction n’est affaire que d’analyse, in ratione ; que dire, alors, de l’être un du Dieu unique ? »[366] [366]

La remarque de Jules Bovon se veut pertinente :

On a beau nous parler de la venue en chair du Verbe : après les changements qu’on lui inflige, cette formule devient aussi vide que sonore. Au lieu de s’incarner comme on l’affirme, le Logos ne se fait homme qu’en cessant lui-même d’exister. Pour être l’âme humaine de Jésus, il renonce à tout ce qui le distinguait : il disparaît sous prétexte de se manifester sur la terre. C’est donc en vain qu’on mentionne deux périodes, l’une divine et l’autre humaine, dans l’existence du Fils ; car un abîme profond les sépare. Le Verbe est mort à un moment donné de l’histoire ; à la même heure un enfant est né dans le monde (…) On ne voit plus le fil de la continuité personnelle ; ce sont des êtres aussi distincts entre eux que le pouvoir de Dieu l’est de notre infirmité, son immaculée sainteté de notre faillibilité et de nos luttes.[367] [367]

Et d’ajouter, pour conclure :

Au Verbe préexistant reviennent les perfections divines ; au Rédempteur ici-bas le privilège du développement historique : on nous donne d’abord un Dieu, on nous offre ensuite un homme, ce qui ne fait assurément pas l’homme-Dieu.[368] [368]

Que devient l’unité entre le Christ préexistant et le Christ terrestre que Frédéric Godet voulait à tout prix préserver ? Pour avoir essayé de défendre ce qui ne pouvait l’être, le théologien neuchâtelois a épousé une sorte d’apollinarisme[369] [369] et a finalement porté atteinte à l’humanité réelle de Christ. C’est ce qu’a pertinemment souligné André Arnal : « Un homme qui possède un moi divin [fût-il dépouillé de tous ses attributs divins] n’est pas un homme, son humanité n’est qu’un voile dérobant au regard une conscience de Dieu. »[370] [370]

 N’était-ce pas la critique adressée par les kénotistes à l’encontre de la formulation de Chalcédoine ? De la même manière que « ceux qui prennent l’épée périssent par l’épée » (Mt 26.52), les kénotistes sont tombés dans les écueils qu’ils avaient dénoncés et qu’ils souhaitaient à tout prix éviter. De plus, il y a finalement une réelle et totale discontinuité entre leur Logos préexistant et leur Logos incarné, celui-ci n’ayant plus rien de commun avec celui-là.

Enfin, à la dédivinisation du Logos s’ajoute la perte de la sui-conscience. S’il est vrai que, d’un point de vue christologique traditionnel, le Christ possède une conscience humaine, qui s’est développée « dans l’expérience de sa relation au Père (…), par la médiation expérimentale, le Fils a pu avoir conscience de son identité divine dans et par sa nature humaine »[371] [371], il en est tout autrement du Christ kénotiste. Souvenons-nous qu’en récusant la doctrine des deux natures du Christ, les kénotistes désiraient rejeter les incohérences psychologiques – supposées – de Chalcédoine[372] [372], à savoir le dyothélisme, qui implique la double conscience, divine et humaine, du Christ. La conséquence est donc simple : dédivinisé, le Logos ne possède plus qu’une conscience humaine. Celle-ci se développera de manière naturelle jusqu’au baptême de Jésus-Christ, date à laquelle le Logos retrouvera son identité[373] [373]. Comme nous venons tout juste de le mentionner, pour Frédéric Godet, l’unité du Logos préexistant et du Logos incarné était maintenue par la similitude du « moi ». La situation n’en est pas moins surprenante : le « moi » du Logos ne s’est pas seulement dépouillé de sa nature divine, chose déjà remarquable en soi, mais également de sa sui-conscience. Au-delà du problème d’amnésie dont a souffert le Logos incarné, nous nous trouvons aussi face à un problème d’ordre éthique : comment le Logos a-t-il pu rester irréprochable jusqu’à son baptême, moment de révélation et de reconnaissance de son identité, alors qu’il lui était possible de pécher et qu’il ne savait pas qui il était ? Par quelle force est-il mû dans cet élan de consécration et de sainteté avant son baptême ? Le dilemme est de taille et nous mène à l’impasse : si c’est l’Esprit Saint qui a agi en Christ, de manière inconsciente, pour qu’il conserve son impeccabilité, alors sa réelle humanité s’en trouve amoindrie et sa liberté aliénée ; si, toutefois, cela ne provient pas de l’Esprit de Dieu, comment cela s’est-il produit ? De plus, nous nous retrouvons face à un autre problème. Selon l’hypothèse kénotiste, ce n’est que lorsque la voix du Père retentit (après son baptême, selon les évangiles) que Jésus-Christ eut conscience de son identité. Selon ce point de vue, il convient de se demander pourquoi Jésus-Christ s’est fait baptiser du baptême de repentance de Jean-Baptiste ? Ne se savait-il pas non pécheur ? Si, toutefois, il se savait non pécheur, pourquoi cette démarche alors qu’il n’a pas encore reçu son mandat ? Le baptême du Christ, dans la perspective évangélique, est un acte de représentation messianique : c’est en tant que représentant de son peuple que Jésus se fait baptiser pour les péchés de celui-ci. Ce n’est que parce qu’il est conscient de sa mission avant d’être baptisé qu’il insistera auprès de Jean-Baptiste pour que celui-ci le baptise.

Un médiateur purement humain

Un autre problème, et non des moindres, est que le Sauveur de la théologie de la kénose n’est qu’un simple homme. Qu’il soit homme est une nécessité. Qu’il ne soit qu’homme est une impossibilité. Comme le reconnaît R. Wennagel[374] [374], si la préexistence du Christ (et donc sa divinité essentielle) est bien la clé de voûte de tout l’édifice christologique chalcédonien, il n’en est pas de même pour les partisans de la kénose. Pour cette doctrine, la rédemption de l’humanité est rendue possible uniquement par la vie parfaite que le Christ a menée, bien qu’il eût pu pécher. C’est par la tentation que l’on passe du stade de l’innocence à celui de la sainteté[375] [375]. Ainsi, la sainteté de Christ n’est plus la conséquence de son identité, de son origine céleste, mais exclusivement le fruit de ses choix et de sa consécration : la sainteté de l’homme Jésus-Christ ne provient pas de sa divinité mais le rend divin[376] [376]. Le salut de l’humanité dépend donc, selon les kénotistes, d’un homme, faillible, qui ignore tout de sa personne et de sa mission jusqu’au baptême. Pour Frédéric Godet, ce qui assura le succès de l’œuvre de rédemption fut la prescience divine : c’est parce que Dieu savait que le Christ réussirait qu’il lui a confié l’œuvre du salut[377] [377].

Tout comme le Sauveur de la conception kénotiste n’est qu’un homme, le salut, de leur point de vue, se joue également sur la scène seule de l’humanité. Les kénotistes ne reconnaissent manifestement pas la dépravation totale de l’homme : celui-ci a donc la possibilité en lui-même de choisir le salut et de renoncer à lui-même afin de se consacrer à Dieu. C’est pour cela que Wennagel écrit :

L’homme a donc le choix, soit de s’habituer librement à l’obéissance, de s’enraciner dans la pratique du bien, et finalement de parvenir à la sainteté parfaite, soit de s’accoutumer volontairement à la résistance, de s’endurcir dans la révolte et, au terme, de tuer ce qui en lui était encore capable de relèvement, si bien que la possibilité même d’une conversion se trouve dès lors anéantie pour jamais.[378] [378]

Ainsi, nier la nature divine du Christ conduit à poser l’existence d’un médiateur purement humain duquel dépend le salut. La nature divine étant le parti offensé par le péché, il est déraisonnable de concevoir un médiateur humain entre l’offenseur et l’offensé[379] [379] pour accomplir la rédemption. La distance entre Dieu et l’homme étant immense, elle nécessite l’existence d’un médiateur. Selon Jean Calvin, puisqu’il nous est impossible de contempler directement la splendeur de Dieu, Christ prend notre chair humaine, se rend petit pour que nous puissions avoir accès à son Père[380] [380].

En effet, il n’a pas dédaigné de prendre ce qui nous était propre pour être un avec nous et nous unir à lui en ce qui lui était propre et, par ce moyen, de devenir en même temps Fils de Dieu et fils d’homme avec nous.[381] [381]

De plus, sans la nature divine, le médiateur n’aurait pas eu en lui-même la force nécessaire pour accomplir son travail de vicaire, ni la force de supporter le châtiment de Dieu[382] [382] pour les péchés de son peuple[383] [383]. Seul celui qui est omniscient peut demander et obtenir le pardon pour toutes les fautes qu’il connaît[384] [384]. Enfin, il ne faut pas oublier que la réconciliation effectuée par le Christ concerne la création entière (Rm 8.19 ; Mt 19.28 ; 2Co 5.19) ; comment une réconciliation cosmique, prémices de la restauration totale eschatologique, pourrait-elle être l’œuvre d’un homme ? Poser la question, c’est déjà apporter la réponse.

Le prix à payer pour le renoncement à la doctrine des deux natures du Christ, nous venons de le voir, est lourd. Avec les confessions de foi traditionnelles de l’Eglise, il nous faut donc maintenir que les deux natures de Christ sont unies en une personne sans changement, sans modification et sans mélange. La finalité de cette médiation unique est une œuvre qui correspond aux exigences de la divinité, tout en étant appropriée à la condition humaine avec ses responsabilités et ses besoins[385] [385].

La glorification de la nature humaine de Christ et de la nôtre

Comme nous l’avons déjà mentionné, selon la théorie kénotiste, l’union des deux natures en Christ est impossible durant le temps de l’incarnation. Se pose toutefois la question de la glorification : si Dieu le Fils lui-même n’a pu être à la fois vrai Dieu et vrai homme pendant son ministère terrestre, se peut-il qu’il le devienne après sa glorification ? Et, si oui, comment cela est-il possible ?

La solution kénotiste de Godet considère que le Logos est successivement Dieu, puis homme et enfin homme-Dieu. Cependant, cette hypothèse feint d’apporter une solution au problème des deux natures lors de l’incarnation en le déplaçant après la glorification[386] [386]. En effet, selon la théologie de la kénose, il se produit après la résurrection ce qui était impossible lors de l’incarnation : le Christ devient l’homme-Dieu.

Pour rendre possible l’union des deux natures dans la personne du Christ, les kénotistes, dont Frédéric Godet, ont introduit la notion de perfectibilité de la nature humaine. Si Dieu, en tant que tel, ne pouvait devenir homme en raison de l’incompatibilité des deux natures humaine et divine, l’homme, lui, a le potentiel pour devenir Dieu. Nous assistons donc à un renversement théologique dans la pensée kénotiste : ce n’est plus Dieu qui devient homme, c’est l’homme qui devient Dieu. Comme nous l’avons souligné de nombreuses fois, Dieu, dans la pensée kénotiste, ne peut s’incarner ; il doit d’abord laisser son état divin pour ensuite devenir homme. Cependant, l’humanité, lorsqu’elle est sanctifiée et glorifiée par une vie exempte de péché, comme ce fut le cas pour le Christ, est rendue capable de partager l’état divin[387] [387]. C’est uniquement en raison de cette disposition humaine que le Christ put retrouver sa divinité sans laisser son humanité. Ainsi, au monophysisme de l’incarnation succède l’eutychianisme de la glorification. Celle-ci n’est rendue possible que par la perfectibilité de l’homme. En effet, les kénotistes prennent pour argent comptant les paroles prononcées par le diable lorsque celui-ci tenta l’homme et la femme en leur disant : « Vous serez comme des dieux. »[388] [388]

 Selon eux, ce n’était pas le but qui était faussé, la divinité de l’homme, mais la manière d’y arriver en désobéissant à l’ordre de Dieu.

Tout d’abord, il faut se rappeler que Jésus, faisant référence aux origines du monde, présente le diable comme le père du mensonge (Jn 8.44). « Vous serez comme des dieux » n’est pas à prendre de manière littérale et n’est qu’une tentation de l’ennemi. De plus, lorsque, après la chute, Dieu dit que « l’homme est devenu comme l’un de nous » (Gn 3.22), il est fait référence à son autonomie, mortelle dans son cas, à sa prétention à fixer les normes de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas[389] [389]. Enfin, quand Jésus cite le Psaume 82.6 en Jean 10.34, référence aux rois et aux juges devant exercer la justice sur terre et donc manifester un aspect du caractère de Dieu, le passage, dans son contexte, ne fait pas référence à une divinisation de l’homme. Il est regrettable que Frédéric Godet se soit à ce point laissé abuser sur cette question.

Rien, dans les Ecritures, ne nous permet de poser le postulat de la perfectibilité humaine. S’il est vrai que l’homme devait connaître la glorification, et la connaîtra en Christ, celle-ci ne s’apparente pas à la divinisation ; étant fils de Dieu par adoption, lorsque le Fils, lui, l’est par nature, la distinction demeure nette, même après la résurrection : « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20.17)[390] [390] Il y a une grande différence entre la glorification et la divinisation[391] [391]. Comme nous l’avons vu, Dieu est trinitaire dans son essence et n’est pas sujet à un changement de nature. L’homme, quant à lui, que ce soit avant ou après la glorification, reste créature.

De plus, comment est-il possible que la nature humaine, bien que parfaite et glorifiée après la résurrection, et cependant toujours finie, puisse être associée à la nature divine ? En effet, la nature humaine glorifiée n’en devient pas infinie pour autant. C’est ici que les kénotistes jouent leur dernière carte, en faisant valoir que, après la glorification, les contraintes spatio-temporelles qui pesaient sur l’incarnation du Logos et rendaient impossible l’union des deux natures, ne jouent plus[392] [392], comme en témoigneraient des épisodes tels les apparitions du Ressuscité au milieu de ses disciples ou le fait que le Christ puisse traverser les murs. Mais cette explication est complètement fallacieuse : les contraintes spatio-temporelles censées être abolies ne jouent-elles pas moins après qu’avant ? Jésus-Christ ne marchait-il pas déjà sur l’eau pendant son incarnation ? Ne faisait-il pas plus de cinq mille repas avec cinq pains et deux poissons ? Si les facultés extraordinaires que possède le Christ après sa glorification sont le signe que, cette fois, le divin et l’humain se sont unis, pourquoi les facultés extraordinaires dont il faisait preuve pendant son incarnation ne seraient-elles pas, elles aussi, le signe que déjà, en lui, le divin et l’humain étaient unis dans sa personne ? La faculté de traverser les murs est-elle foncièrement différente de celle de pouvoir contourner les lois de la gravitation en marchant sur l’eau ?

Ce n’est pas à dire que la glorification n’apporte aucun changement à la nature humaine. Mais ces changements ne peuvent être appréciés que dans le cadre de l’alliance créationnelle, de la même manière que la rédemption ne peut être pensée que dans le cadre de l’alliance créationnelle[393] [393]. Tout ce que la Bible nous autorise à affirmer, en effet, c’est que le corps, « semé corps naturel » (soma psychikon), ressuscitera « corps spirituel » (soma pneumatikon), que « semé méprisable, il ressuscite glorieux » (1Co 15.44, 43). La glorification qui attend les élus s’inscrit dans le prolongement de l’acte créationnel de Dieu : « Ce qui est spirituel n’est pas le premier, c’est ce qui est naturel ; ce qui est spirituel vient ensuite. » Nous sommes créés à l’image de Dieu, et ce qui nous attend, ce n’est pas la divinité, mais d’être toujours plus à son image, de sorte que « si nous avons porté l’image (ten eikona) du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste » (1 Co 15.49) et que nous serons transformés « en la même image (ten auten eikona) [du Seigneur], de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur » (2Co 3.18). Le fait que nous soyons unis au Christ nous assure donc d’une humanité renouvelée, sanctifiée, sauvée, parfaite mais non pas divinisée. La divinité, qui n’est certes pas l’aboutissement d’un processus, appartient éternellement au Logos, et non à la nature humaine. Si le Christ n’a pas retrouvé sa divinité après la glorification, c’est qu’il ne l’a jamais laissée. Quant à nous, nous n’avons pas à la gagner. De toute façon, diviniser la nature humaine, la nôtre ou celle de Christ, reviendrait in fine à la détruire complètement[394] [394]. Ce que Donald Macleod a très justement affirmé à propos de la nature humaine du Christ glorifiée s’applique également à nous :

D’ailleurs, même la glorification du Christ n’implique pas l’attribution de propriétés divines à son humanité. Même dans le cas du Médiateur, la notion de théiosis a des limites bien définies. Son corps humain et son âme humaine peuvent recevoir une gloire bien supérieure à celle qu’ils possédaient sur la terre, et même bien supérieure à celle qu’Adam possédait dans le paradis. Ils peuvent subir une transformation qui dépasse de loin ce qu’on peut imaginer. La nature humaine du Christ peut avoir part à la gloire de Dieu, à la béatitude de Dieu et à la souveraineté de Dieu. Elle peut faire office de révélation de Dieu. Elle peut soumettre toute la création et exercer sa domination sur les cieux et la terre. Elle peut s’asseoir au milieu du trône (Ap 7.17). Mais elle demeure humaine, et même le langage le plus extraordinaire utilisé à propos de la gloire du Christ ne doit pas nous amener à l’oublier.[395] [395]

Enfin, si, comme nous venons de le voir, le problème « métaphysique » reste entier, le problème psychologique n’en demeure pas moins total. Pour les kénotistes, il était impossible d’un point de vue psychologique que le Christ fût à la fois vrai Dieu et vrai homme[396] [396]. Cependant, quel changement s’est-il produit dans son être intérieur pour que ce qui était impossible durant l’incarnation le devienne après la glorification ?[397] [397]

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Rien dans les textes bibliques ne nous permet d’admettre une modification de la psychologie de l’homme après la glorification, rendant ainsi l’union de l’humain et du divin possible.

Une dernière remarque avant de clore ce chapitre. Pour les kénotistes, nous l’avons vu, si le Logos doit laisser son état divin pour s’incarner en raison de la finitude de la nature humaine, il doit aussi le laisser en raison de l’imperfection de la nature humaine. Selon eux, ces deux caractéristiques de l’humanité rendaient impossibles l’incarnation, étant en contradiction avec l’état divin, parfait et infini.

Si nous avons constaté qu’il y avait une confusion entre glorification et divinisation nous constatons qu’il y en a également une entre imperfection et finitude. Une nature finie n’est pas forcément entachée d’imperfection ; la finitude et l’imperfection ne sauraient être confondues. Si la première correspond au statut de créature, la seconde, elle, est la conséquence de la chute en Eden. Le Christ incarné, en tant que second Adam, a revêtu une nature humaine non corrompue même s’il est venu vivre dans un monde assujetti au péché[398] [398]. Si l’on posait le postulat que Dieu ne peut être présent là où il ne peut être contenu, Dieu serait totalement absent de sa création ; le fait de revêtir une nature humaine, dont l’une des propriétés est la finitude, n’était donc pas impossible pour le Logos. Aussi, reconnaître la perfection de la nature humaine glorifiée n’en revient pas à la rendre infinie. Avec Henri Blocher, nous affirmons que :

La régénération répare ce dommage [de la corruption du péché], elle lui est co-extensive. Si elle redresse la disposition morale, elle doit, pour ce faire, se saisir de l’être de l’homme, le recréer ! Cependant, il faut rappeler aussitôt que la régénération libère du péché, et non d’une déficience de l’être ; la dimension ontologique n’implique aucune transmutation métaphysique ![399] [399]

Finalement, avoir déclaré impossible l’union de deux natures opposées et contradictoires durant l’incarnation en rend également impossible leur union après la glorification.

D. Résumé

Comme nous venons de le constater dans ce chapitre, la théorie de la kénose soulève davantage de problèmes qu’elle n’en résout. Reposant sur une exégèse approximative et partiale, elle manque d’un fondement scripturaire sérieux.

Elle qui souhaitait affirmer la réelle humanité de Jésus, maintenir sa divinité essentielle (et sa préexistence) et assurer l’unité de la personne n’y est pas parvenue. Sa conception apollinariste anéantit la réelle humanité du Sauveur. Comment, en effet, parler d’humanité et assurer l’unité de la personne de Christ, si cette humanité n’est maintenue que par la substitution de l’âme humaine à un Logos « dépotentialisé », n’ayant pas conscience de son identité ? Quant à la divinité essentielle du Logos, le coup fatal lui est porté par la distinction faite par les kénotistes entre la nature et la personnalité, à l’origine de la « dépotentialisation » du Logos : le « moi » de celui-ci, dépourvu de tout ce qui le caractérise, ne saurait être identique à celui qui s’est incarné. 

La conclusion est sans appel : « Jésus-Christ n’est plus ni homme ni Dieu. »[400] [400] Par suite, n’ayant pu faire progresser la compréhension du « problème » des deux natures de la personne du Christ, l’hypothèse de la kénose, pour s’être aventurée au-delà des limites de la christologie traditionnelle, garante du dépôt biblique, a fait le lit de la « christologie » libérale.

Conclusion

L’examen attentif des textes de Frédéric Godet a permis de mettre en lumière que la conception de la kénose à laquelle il adhéra, aboutissement d’un développement théologique de trois siècles, prend sa source dans le monophysisme. Un monophysisme teinté d’arianisme et d’apollinarisme, sur fond de rationalisme[401] [401] et de philosophie hégélienne. Elle s’inscrit donc dans une longue lignée de courants théologiques qui tous voulurent « estomper » le mystère christologique.

Cependant, la satisfaction d’avoir réussi à concilier une certaine orthodoxie doctrinale et les connaissances scientifiques du moment fut de courte durée : la doctrine kénotiste, dont c’était pourtant le projet, ne parvint pas à éviter l’érosion de la doctrine évangélique et la progression du libéralisme théologique dans un milieu qui, jusque-là, l’avait toujours repoussé avec vigueur.

L’un des nos objectifs était de comprendre les mobiles qui poussèrent Frédéric Godet à épouser une théorie bibliquement fort discutable. Chemin faisant, notre étude nous a permis de découvrir que, influencé par la philosophie et la psychologie de son temps, le théologien suisse désirait profondément défendre la divinité essentielle du Christ tout en maintenant sa réelle humanité.

C’est donc tragiquement qu’il nous faut constater que la promotion de la théologie de la kénose par laquelle Frédéric Godet désirait remplir sa mission apologétique fut précisément ce par quoi elle faillit.

La première conclusion qu’il nous faut tirer de cette évaluation s’impose. La piété et le dévouement au Seigneur, aussi sincères et grands soient-ils, ne sont jamais garants de l’orthodoxie doctrinale. La tentation d’édulcorer le contenu de l’Evangile pour le rendre plus acceptable est toujours présente. N’est-ce pas la même question que l’on entend résonner depuis le jardin d’Eden : « Dieu a-t-il réellement dit ? » Mettre en doute la Parole inspirée de Dieu et diluer son message, pour quelque raison que ce soit, revient à renier ce qui fait la force de l’Evangile, à scier la branche sur laquelle on est assis. L’exhortation que l’apôtre Paul adressait à l’Eglise de Rome (12.2) reste pertinente et s’applique également au domaine doctrinal. La pensée, en théologie comme ailleurs, ne peut, ni ne doit, se conformer à celle du monde ni rester errante, mais être constamment renouvelée par la Parole spirée de Dieu.

S’il convient peut-être de « reformuler » certaines déclarations de foi traditionnelles de l’Eglise ancienne, il est toujours opportun, face au déferlement d’attaques et d’oppositions à la christologie traditionnelle qui fait rage depuis plusieurs siècles, de se réapproprier les vérités qu’elles renferment et qui constituent le solide fondement sur lequel tout l’édifice chrétien repose.

La tentation de rejeter le mystère, que ce soit celui de la Trinité, celui de l’incarnation ou autre, sous prétexte qu’il est incompréhensible, n’était pas propre à l’époque de Frédéric Godet. Cette tentation est toujours d’actualité. Si les kénotistes adoptèrent un tel point de vue christologique, c’est qu’ils avaient, entre autres, le sentiment que Chalcédoine ne respectait pas l’immanence de Dieu en portant atteinte à la pleine humanité de Jésus-Christ. Le Jésus-Christ divin de la doctrine traditionnelle leur paraissait tellement lointain, et inhumain, qu’ils forcèrent le trait de l’humanité réelle de Christ. Cependant, en rejetant la doctrine traditionnelle de l’union hypostatique, ils en vinrent eux-mêmes implicitement à rejeter l’immanence de Dieu. En effet, le principe fondamental qui sous-tendait leur hypothèse était que Dieu lui-même ne pouvait pas s’incarner et entrer en relation intime et profonde avec l’homme, si ce n’est en reniant sa propre nature. De ce fait, il était impossible à Dieu de sauver l’homme. Toutefois, Dieu aimant sa création, il ne put rien faire d’autre pour elle que de se dévêtir de ce qui fait qu’il est Dieu pour pouvoir la sauver par l’homme Jésus. Quelle tragédie ! Un Dieu incapable d’entrer en relation avec l’homme, obligé de se renier pour qu’un homme vienne sauver l’humanité. Non seulement cette théorie n’apporte pas de solution satisfaisante au problème christologique, mais elle ne s’exprime pas non plus de manière plus compréhensible que Chalcédoine.

De plus, au lieu d’avoir bâti à partir des déclarations de foi traditionnelles, les kénotistes souhaitèrent apporter une solution humainement raisonnable à l’incarnation en rejetant les formules anciennes, qu’ils jugeaient erronées car irraisonnables, et « simplifièrent » le problème en en éliminant la composante qu’ils souhaitaient justement défendre : la divinité essentielle de Jésus-Christ. Quel paradoxe !

S’il est vrai que la déclaration de Chalcédoine est formulée essentiellement de manière négative, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle rend compte de la réalité biblique et que ces vérités doivent être réaffirmées.

La première notion qui doit être remise en valeur est l’union hypostatique, à savoir que, dans le Christ, les deux natures, divine et humaine, sont présentes en une seule et unique personne[402] [402], sans changement, sans modification et sans mélange. L’une des erreurs de la christologie kénotiste fut d’aborder le sujet des deux natures du Christ sans les mettre en rapport avec la personne du Médiateur[403] [403] : cette grave déficience provoqua la ruine de cette hypothèse et ne rendit pas, pour autant, plus compréhensible la divinité de Jésus-Christ. A propos de l’incarnation, il eût fallu considérer que c’était une personne (indissociable de ses attributs, comme nous l’avons vu), et non une nature, qui a été faite chair, et « ce seul fait est probablement suffisant pour empêcher que l’on comprenne l’incarnation comme une conversion (d’une nature en une autre) »[404] [404].

 De plus, précisons que l’expression « deux natures en une personne » n’exprime que certains aspects de la vérité et ne saurait décrire de manière exhaustive la réalité de la deuxième personne de la Trinité. Les théologiens qui mirent leur érudition et leur réflexion au service de l’Eglise pour la cause de l’Evangile étaient bien conscients des limites du langage qu’ils utilisaient. Leur but n’était d’ailleurs pas de spéculer sur des sujets philosophiques ou métaphysiques mais d’affirmer leur foi tout en réfutant des hérésies doctrinales. Leur langage présentait peut-être une infirmité, il n’en était pas faux pour autant.

Parler de deux natures peut faire penser de prime abord à une addition numérique de deux « éléments » qui ne sont pas semblables ; l’assomption est alors perçue comme un ajout à ce qui est déjà. Nous touchons bien vite les limites de notre langage et, par-dessus tout, de notre compréhension. C’est en partie cette « logique d’addition » qui conduisit les théologiens kénotistes à en prendre le contre-pied et à proposer une théologie soustractive : là où la théologie traditionnelle considérait l’incarnation comme une assomption de la nature humaine par la personne du Logos, qui est en réalité une vérité complexe vécue d’un centre personnel, les kénotistes affirmèrent la soustraction de la nature divine à la personne du Logos. Comme nous l’avons vu à maintes reprises, cette posture souleva plus de problèmes qu’elle n’en résolut. S’il est vrai qu’il y eut d’une certaine manière addition lors de l’incarnation, le Logos ayant revêtu notre humanité, rappelons-nous que ce que nous pouvons dire de positif au sujet de l’être de Dieu lui-même et de l’homme n’est que ce que Dieu nous a révélé dans sa grâce. De plus, ce n’est que dans la révélation de ses relations que Dieu s’est fait connaître à l’homme. S’il est vrai que la trinité économique nous révèle certaines vérités à propos de la trinité ontologique, il n’en demeure pas moins vrai que l’essentiel de notre connaissance théologique, au sens noble du terme, ne concerne que les relations trinitaires, en son sein et avec la création. Il nous semble donc plus approprié de sortir de ce mode de pensée d’addition ou de soustraction au sujet de l’incarnation, afin de revenir à une vision plus biblique, non exhaustive pour autant, celle de la médiation.

Ainsi, au langage métaphysique doit s’ajouter le langage relationnel et allianciel. Par la personne de son Fils, Dieu se fait homme ; cela n’implique pas un changement dans sa nature mais une relation nouvelle. « Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même. » (2Co 5.19) L’incarnation, qui n’a d’autre objectif que le salut du peuple de Dieu, implique la Trinité entière, bien qu’étant l’œuvre du Fils. C’est uniquement pour que les élus de Dieu soient « incorporés dans la communauté trinitaire » de manière étroite que le Père envoie son Fils, conçu de l’Esprit, pour nous racheter de la malédiction de la Loi. Voici la réalité de l’incarnation. Le Logos ayant assumé une nature humaine impersonnelle[405] [405] (anhypostasie), ce n’est qu’en accomplissant pleinement son office de médiateur, en étant vrai Dieu et vrai homme, qu’Il devient lui-même la relation vitale qui unit l’humanité à son Créateur. C’est pour cette raison qu’en Christ seulement se trouve la vie éternelle : connaître le seul vrai Dieu.

S’il est vrai que les théologiens kénotistes en vinrent à négliger l’immanence de Dieu, ils perdirent également de vue sa transcendance. Ils appliquèrent au Logos un raisonnement typiquement humain et restrictif. Le Créateur de l’univers se trouve ainsi jugé à l’aune de la pensée étroite de sa créature. Ceci nous amène à rappeler un sujet évoqué plus haut[406] [406] : ce que l’on a appelé sommairement l’extra-calvinisticum. S’il est vrai que Calvin ramena à la lumière ce point de doctrine à l’époque de la Réforme[407] [407], cette pensée se trouve déjà chez les Pères de l’Eglise[408] [408]. Parler de deux natures en une personne peut laisser supposer que toute la nature divine est localisée dans, et uniquement dans, le corps de Jésus-Christ, comme si Dieu pouvait être prisonnier de sa création. Cependant, le Logos est à la fois dans la chair et hors (extra) de la chair, le tout pleinement. Ainsi, s’il n’y a pas de communication réelle des idiomes (la chair du Christ n’est pas omniprésente), le Logos n’est toutefois pas circonscrit à la chair seule. Bien que Dieu entre en relation avec sa créature dans l’espace et dans le temps, celui-ci n’en est pas prisonnier. De la même manière que Dieu, infiniment plus grand et radicalement différent de sa création, est pleinement présent en celle-ci sans qu’elle ne puisse le contenir, le Logos se trouve à la fois pleinement et parfaitement incarné en la personne de Jésus-Christ, tout en étant à la fois pleinement et parfaitement présent dans le reste de sa création, la transcendant également. Pour reprendre une image vétérotestamentaire qui s’applique fort bien à l’incarnation (Jn 1.14), la présence de Dieu au sein du Temple de Jérusalem ne le rendait pas pour autant absent du reste de sa création. Là encore, nous touchons les limites de notre compréhension et ces quelques images ne peuvent servir que d’analogies tant l’Etre de Dieu ne saurait être appréhendé par sa créature.

Comme nous venons de le voir, ce n’est que lorsque les doctrines traditionnelles de l’union hypostatique, de l’anhypostasie et de l’extra-calvinisticum sont maintenues et affirmées que la transcendance et l’immanence de Dieu sont « perçues » en la personne de Christ. L’homme, en rejetant la personne du Médiateur telle qu’elle nous est présentée selon la Bible, est condamné à rester seul. S’il perd de vue ce fondement de la foi, il ne peut voir le Père dans le Fils et ne peut être rejoint par un Dieu vraiment proche. En effet, c’est dans la personne de son Fils que Dieu vient faire alliance avec l’humanité.

Ces quelques considérations nous amènent à la conclusion qu’étudier l’incarnation, et donc la christologie, en soi, est voué à l’échec. Celle-ci ne peut être isolée de la théologie. La christologie s’inscrit dans un cadre plus grand, celui de la révélation, de la relation et de l’alliance. Effectivement, l’incarnation ne se rapporte pas seulement à la personne du Logos mais touche également aux relations intra-trinitaires. Dans son incarnation, le Fils manifeste son amour envers son Père en accomplissant l’alliance de rédemption. Il manifeste au Père, en tant que Créateur, l’obéissance de l’Homme en accomplissant l’alliance créationnelle. Il manifeste, enfin, l’amour de Dieu aux hommes en accomplissant l’alliance de grâce. En conduisant les élus au Fils, par l’œuvre de l’Esprit en eux, le Père lui exprime son amour. De plus, en le ressuscitant corporellement et en l’introduisant à sa droite, le Père justifie le Médiateur, qui devient les prémices de la nouvelle création et le garant du salut des élus. Oui, c’est en Christ que le salut s’accomplit. Mais le Christ n’agit jamais seul parce que les œuvres de la Trinité sont indivises. En s’incarnant, le Fils est celui qui nous révèle le Père et l’être même de Dieu : Dieu se révèle. En s’incarnant, Dieu le Fils permet à Dieu et à l’humanité d’entrer, en Sa personne, dans une relation complètement nouvelle, plus profonde qu’auparavant : Dieu entre en relation. C’est pour avoir abordé la christologie indépendamment de la théologie et de l’alliance que la théologie de la kénose fut vouée à l’échec.

Qu’il nous soit permis, au terme de ce parcours, de rappeler que « le grand oublié » de la théorie kénotiste est le texte biblique lui-même. Loin d’avoir voulu écrire un traité d’ontologie à propos d’une hypothétique kénose du Logos, Paul n’avait qu’un objectif : s’adressant aux Philippiens, il désirait les voir abandonner leurs sentiments de rivalité, d’orgueil et de vaine gloire qui détruisaient l’unité de l’Esprit accomplie en Christ. Celui-ci, en s’humiliant volontairement, incarna dans son existence l’enseignement même qu’il dispensa à ses disciples : « Celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. » (Luc 18.14) C’est pour cela que l’appel vibrant de Paul retentit encore aujourd’hui : Ayons en nous les dispositions qui étaient en Jésus-Christ.

Que ces quelques considérations nous amènent à mieux L’aimer et à mieux nous aimer les uns les autres.

Bibliographie

Ouvrages de Frédéric Godet


* D. Martorana est pasteur dans l’Union des Eglises Evangéliques de Réveil. Ce texte est celui d’un mémoire de Maîtrise présenté en décembre 2009, à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

[1] [410] Ph. Godet, Frédéric Godet (1812-1900), Attinger Frères, Neuchâtel, 1913, 439.

[2] [411] Ainsi, Frédéric Godet écrira à son ami Arnold Guyot, le 17 mars 1877 : « Pour les convictions évangéliques, les choses me paraissent aller de mal en pis. Je vois les meilleurs en Allemagne et en France commencer à glisser sur la pente (…) C’est la divinité essentielle (non pas seulement morale) du Sauveur que l’on abandonne comme un point secondaire, spéculatif, et avec cela commence la dégradation de tout l’Evangile (…) » (Ibid., 437)

[3] [412] Voir G. Hammann, « Frédéric Godet (1812-1900) : L’exégèse scientifique au service de l’Eglise », Theologische Profile, Portraits théologiques, Schweizer Theologen und Theologinnen im 19. und 20. Jahrhundert, Bruno Bürki & Stephan Leimgruber (sous dir.), Universitätsverlag Freiburg Schweiz, Fribourg, 1998, 66-82.

[4] [413] P. Lobstein, La notion de préexistence du Fils de Dieu, fragment de christologie expérimentale, Librairie Fischbacher, Paris, 1883, 4. 

[5] [414] La plupart de ses écrits sont encore édités en français et en anglais. Voir, par exemple, infra, notes 56 et 57.

[6] [415] Ph. Godet, op. cit., 21.

[7] [416] G. Hammann, art. cit., 67.

[8] [417] Ph. Godet, op. cit., 32.

[9] [418] Ibid., 23.

[10] [419] Ibid., 19.

[11] [420] Ibid., 32.

[12] [421] Ibid., 32, note 2.

[13] [422] « Nom que portaient alors les étudiants en théologie ; ils faisaient des exercices de prédication qu’on appelait des “propositions”. » (Ibid., 35, note 2.)

[14] [423] Ibid. 61.

[15] [424] J. A. W. Neander est né le 17 janvier 1789 et est mort le 14 juillet 1850. D’origine juive, il fut baptisé en 1806 et étudia le droit avant de se consacrer à la théologie. Disciple, ami puis collègue de Schleiermacher, A. Neander fut également influencé par Gottlieb Jacob Planck, professeur de théologie à Göttingen. Il sera nommé professeur d’histoire ecclésiastique à Heidelberg en 1811, puis à Berlin à partir de 1812. Il donnera également des cours d’exégèse du Nouveau Testament, de dogmatique et de morale. Voir F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne depuis le milieu du xviiie siècle jusqu’à nos jours, t. II, Sandoz et Fischbacher, Paris, 1873, 239-265. Il écrit à la page 262 : « C’est surtout dans sa chaire de professeur et dans son cabinet, dans lequel il réunissait deux fois par semaine ses élèves, qu’il lui était donné d’exercer une influence féconde. » A l’occasion du décès de son maître, Frédéric Godet écrira à son ami Louis Bonnet : « Et notre Neander ! As-tu été navré comme moi de cette mort ? J’en ai été tout ébranlé. Je le vois encore, cet agneau à l’image de l’Agneau, et tout mon cœur s’émeut à sa pensée. Il savait si humblement et si sincèrement aimer ! – comme s’il eût été l’un de nous, pauvres étudiants. (…) Quelle couronne ! quelle place ! quel repos ! quelle joie ! Il a été serviteur des serviteurs. » (Godet, op. cit., 228.)

[16] [425] 1802-1869, célèbre exégète à Berlin.

[17] [426] Citation de G. Frommel, ibid., p. vi. Il écrira à son ami L. Henriod, en 1836, qui se trouve à Berlin : « Et Steffens ! N’as-tu pas fait sa connaissance ? Pour moi, après Neander, c’est peut-être celui à qui je dois le plus à Berlin. » (Ibid., 99)

[18] [427] K. Heussi, Précis d’histoire de l’Eglise, Bibliothèque Théologique, Editions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1967, p. 233. Voir aussi M. Gétaz, Les variations de la doctrine christologique chez les théologiens protestants de la Suisse romande au xixe siècle, Librairie de l’Université de Fribourg, Fribourg, 1940, 1-9, pour le contexte du Réveil en Suisse romande, et Heussi, op. cit., 239-241.

[19] [428] F. W. J. Schelling, 1775-1854, étudia la philosophie et la théologie à Tübingen où il fut le condisciple de Hegel et de Hölderlin. Précepteur dans le privé, il devint ensuite professeur de philosophie dans plusieurs facultés où il développa l’idéalisme allemand. Voir D. Korsch, « Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph », Encyclopédie du protestantisme, Pierre Gisel (sous dir.), Cerf/Labor & Fides, Paris/Genève, 1995, 1416-1417. 

[20] [429] Heussi, op. cit., 233.

[21] [430] Ph. Godet, op. cit., 78.

[22] [431] « Une lecture qu’il fit alors le soutint, l’éclaira durant cette crise intérieure. C’était la vie de Zinzendorf, de Spangenberg, dont il parle fréquemment dans son journal. » (Ibid., 89) Il s’agit d’un ouvrage en 3 vol. écrit entre 1772 et 1775. L’historien F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne depuis le milieu du xviiie siècle jusqu’à nos jours, t. I, Sandoz et Fischbacher, Paris, 1873, 269-270, écrit : « Les Frères moraves se distinguent par un singulier mélange de largeur et d’étroitesse. Leur théologie, à la culture de laquelle ils attachent d’ailleurs peu d’importance, ne dévie pas sensiblement de la doctrine orthodoxe ; elle porte en général une empreinte luthérienne… Dans le dogme, la personne de Jésus-Christ est l’objet d’une attention particulière et l’on peut dire exclusive. Zinzendorf a voué au Fils de l’homme une adoration ardente qui exclut presque celle du Père céleste… Le culte qu’ils vouent au Fils, la manière dont ils parlent de ses souffrances, et surtout de ses souffrances physiques, a souvent quelque chose de sentimental, de puéril et d’étroit. »

[23] [432] G. Hammann, art. cit., 69.

[24] [433] 1801-1849, pasteur et professeur à Berlin.

[25] [434] 1799-1877, professeur à Berlin puis à Halle, fut influencé par le baron de Kottwitz durant ses études. Il écrivit dans les domaines exégétique et systématique et exerça un ministère de cure d’âme auprès des étudiants. « Entre les Lumières et le romantisme, Tholuck représente une forme de théologie qui sut introduire la théologie du Réveil au sein de la théologie universitaire ; par son engagement personnel, il exerça une forte influence sur la vie ecclésiale de son époque. » (D. Blaufuβ, « Tholuck, Friedrich August Gottreu », Encyclopédie du protestantisme, Pierre Gisel (sous dir.), Cerf/Labor & Fides, Paris/Genève, 1995, 1565.) Karl Heussi, op. cit., 233, qualifie le courant de la théologie du Réveil, dans lequel s’inscrivent Neander et Tholuck, de « biblicisme d’allure ascétique et mystique ». Voir aussi Karl Barth, La théologie protestante au xixe siècle, Labor & Fides, Genève, 1969, chap. 13, 304-313.

[26] [435] 1796-1839, professeur à Koenigsberg puis Erlangen, pieux théologien qui s’occupa surtout d’exégèse.

[27] [436] 1799-1867, « célèbre théologien, professeur à Heidelberg, auteur de l’Ethique (1845-1848), important ouvrage de philosophie chrétienne. Rothe a été diversement classé parmi les théologiens : il était éminemment “individuel” par sa foi, sa piété et son caractère. » (Ph. Godet, op. cit., 94) Ayant étudié à Heidelberg puis à Berlin, et eu pour professeurs Hegel et Schleiermacher, « l’intention fondamentale de [sa] théologie… est d’établir l’universalité des représentations particulières de la foi chrétienne ». (J.-M. Tétaz, « Rothe, Richard », in Encyclopédie du protestantisme, Pierre Gisel (sous dir.), Cerf/Labor & Fides, Paris/Genève, 1995, 1359.) Voir aussi Barth, op. cit., chap. 20, 385-394.

[28] [437] Professeur de philosophie à Bonn de 1822 à 1847, K.E. Nitzsch est né le 21 septembre 1787 et est décédé le 21 août 1868. Disciple lui aussi de Schleiermacher, il s’efforcera « de manière un peu hâtive », d’associer « un sentiment religieux profond avec les formules ecclésiastiques »… Voir Lichtenberger, op. cit., t. II, 265-281, citation 280. Godet dira de lui : « Je ne voudrais pas pour beaucoup ne pas l’avoir entendu et connu. » (Ph. Godet, op. cit., 97.)

[29] [438] Ibid., 167-168 ; les fonctions du pasteur auxiliaire « se bornent à la prédication du dimanche et des jours de fête ». C’est durant cette période que Frédéric Godet initiera des réunions d’édification et d’études bibliques.

[30] [439] « Cette fin de l’année 1848 fut pleine de graves préoccupations pour les pasteurs neuchâtelois. L’Eglise neuchâteloise, telle qu’elle était née de la Réforme, n’était nullement une “Eglise d’Etat” : elle était, au contraire, complètement indépendante du pouvoir politique et ne connaissait d’autre autorité que la Compagnie des pasteurs. Mais la République allait la reconstituer sur des bases nouvelles. La vénérable Classe… ne pouvait espérer conserver le gouvernement de l’Eglise : du moins entendait-elle remettre cette direction à l’Eglise elle-même, et non point à l’Etat. Il importe de se bien pénétrer de ces faits pour comprendre l’attitude que F. Godet observera dans la suite, notamment en 1873. » (Ibid., 207-208) Une tentative de restauration de la monarchie aura lieu dans la nuit du 2 au 3 septembre 1856 par les royalistes. Celle-ci sera vite stoppée par les armées républicaines. (Ibid., 289) Voir à ce sujet Hammann, art. cit., 65.

[31] [440] Ils sont au nombre de trois : institution d’un synode élu par les paroisses, élection des pasteurs par le peuple et direction de la Faculté de théologie par le synode. (Godet, op. cit., 208-209)

[32] [441] Si Frédéric Godet écarta la possibilité de la séparation entre l’Eglise et l’Etat, en 1848, ce ne fut que par crainte des dissensions politiques : il ne souhaitait pas voir le pays partagé en « deux Eglises, l’une républicaine, l’autre royaliste » ! (Ibid., 212) En 1873, alors que la situation politique est complètement différente, Frédéric Godet approuvera la séparation de l’Eglise d’avec l’Etat, qui n’était, selon lui, que « le seul moyen de sauvegarder la dignité de l’Eglise ». (Idem)

[33] [442] Ibid., 229-230.

[34] [443] Voir le chap. IX, ibid., 239-299.

[35] [444] Ibid., 242.

[36] [445] Frédéric Godet mettra un point d’honneur à vouloir se retirer de ses engagements, pastoral et professoral, en 1857 au profit du pasteur Gillebert et du professeur Perret-Gentil ; ceux-ci refusèrent.

 Son souci pour les pauvres était tel qu’il fonda une « Caisse d’épargne pour les loyers » : à l’époque, les loyers se payaient en deux versements, à Noël et à la Saint-Jean ; ceci représentait une très forte somme pour les foyers modestes ainsi qu’un grand souci. Après avoir aidé plusieurs familles à s’acquitter de leurs dettes par l’aumône, Frédéric Godet créa cette caisse d’épargne où les chefs de famille, dont le loyer était supérieur à un certain montant et qui versaient régulièrement tous les quinze jours un vingt-quatrième (1/24) du prix du loyer, recevaient à titre de prime la cinquième partie du prix de leur loyer. Cette caisse, qui comptait 270 adhérents à la fin de la première année, termina son œuvre en 1910, après plus de soixante années de précieux services, lorsque les loyers devinrent mensuels et rendirent cette institution obsolète. (Ibid., 268-269)

[37] [446] Son souci pour les pauvres était tel qu’il fonda une « Caisse d’épargne pour les loyers » : à l’époque, les loyers se payaient en deux versements, à Noël et à la Saint-Jean ; ceci représentait une très forte somme pour les foyers modestes ainsi qu’un grand souci. Après avoir aidé plusieurs familles à s’acquitter de leurs dettes par l’aumône, F. Godet créa cette caisse d’épargne où les chefs de famille, dont le loyer était supérieur à un certain montant et qui versaient régulièrement tous les quinze jours un vingt-quatrième (1/24) du prix du loyer, recevaient à titre de prime la cinquième partie du prix de leur loyer. Cette Caisse, qui comptait 270 adhérents à la fin de la première année, termina son œuvre en 1910, après plus de soixante années de précieux services, lorsque les loyers devinrent mensuels et rendirent cette institution obsolète. (Ibid., 268-269)

[38] [447] F. Godet fondera un dispensaire pour secourir les malades indigents en 1854. (Ibid., 269-270)

[39] [448] Ses articles seront souvent des polémiques avec les libéraux. Il rédigera de nombreux articles pour la revue française de théologie d’E. de Pressensé, Supplément théologique (rebaptisé ensuite Bulletin théologique). F. Godet commence déjà à rayonner en francophonie. « Au début ce Supplément se contente, plutôt, de mettre le public français au courant de la production théologique européenne. Peu à peu, cependant, il s’affirme positivement. Et, à partir des année [sic] 1864-1865, on y lit des articles, qui, sans être totalement originaux, illustrent la nouvelle vitalité intellectuelle du camp évangélique français… Le plus brillant étant, sans doute, F. Godet, de Neuchâtel, qui publie des travaux importants à propos du Nouveau Testament. Il correspond bien au goût de l’époque, par sa méthode, que l’on peut qualifier de scientifique, et par sa démarche historicisante. » (A. Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, Les réformés de 1848 à 1870, Labor & Fides, Genève, 1986, 685).

[40] [449] Citation de C. Porret dans Ph. Godet, op. cit., 251. Nous reconnaissons ici, notamment, l’influence d’A. Neander.

[41] [450] Idem, 251. L’exégèse et la prédication allaient de pair dans l’exercice du ministère de F. Godet. A une époque marquée par le rationalisme et le libéralisme théologique d’un côté, et par un piétisme sentimental de l’autre, la vigueur exégétique et homilétique de F. Godet fut remarquable et remarquée. « La motivation essentielle de la vocation du bibliste et de l’exégète était scripturaire, parce que l’Ecriture était christocentrée et christophorique. F. Godet unissait dans une même vocation la tâche de l’exégète et celle du prédicateur ; durant toute son activité ministérielle, il a passé de l’une à l’autre, dans une alternance régulière où l’une fécondait l’autre… » (G. Hammann, art. cit., 75).

[42] [451] F. Godet, qui jouissait jusque-là d’une bonne réputation au sein de sa paroisse et de la faculté de théologie, présentait au grand public le visage d’une personne intègre, digne de confiance et de sage conseil. C’est lui qui fut chargé de célébrer le service religieux de l’ouverture de l’Assemblée constituante, le 10 mai 1858. Sa prédication fit une impression telle que les journaux louèrent ce sermon qui fut publié et répandu dans tout le canton à la demande d’un député. (Ph. Godet, op. cit., 298-299)

[43] [452] Ibid., 321.

[44] [453] Ibid., 330. Il écrivit à une amie : « Au moment où j’achevais enfin mon travail, je tombais harassé. J’ai été pendant plusieurs semaines sans appétit, sans force, obligé de renoncer à la prédication… Tout cela avait été trop pour une tête fatiguée et un cœur qui parfois a beaucoup souffert cette année. » (Idem)

[45] [454] Ibid., 332.

[46] [455] Ibid., 336-337.

[47] [456] Ibid., 343.

[48] [457] Citation de C. Porret, ibid., 351.

[49] [458] Ibid., 355.

[50] [459] Disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://epelorient.free.fr/godet_pdf/agat.pdf [460]. (Consulté le 20 novembre 2009) .

[51] [461] Ibid., chapitre xii, 349-372. Voici les titres de ses conférences apologétiques : La résurrection de Jésus-Christ ; L’hypothèse des visions ; Les miracles de Jésus-Christ ; Le surnaturel ; La sainteté parfaite de Jésus-Christ ; La divinité de Jésus-Christ.

[52] [462] Citation de l’historien Charles Monvert dans Ph. Godet, op. cit., 359.

[53] [463] Ibid., 370.

[54] [464] Idem.

[55] [465] Ibid., 416.

[56] [466] Ces recueils connaîtront cinq éditions revues intégralement par l’auteur à chacune d’entre elles. « C’est l’ouvrage de F. Godet qui a trouvé le plus d’accès auprès du grand public. » (Ibid., 430) Ceux-ci ont été réédités par les Editions Ministères Multilingues, Québec, en 1999.

[57] [467] Cette série, composée de 9 vol., contient le texte intégral de l’Ancien Testament accompagné d’introductions aux livres bibliques et d’abondantes notes exégétiques et historiques. Sa publication débuta en 1878 par les Cantiques du Serviteur dans le livre du prophète Esaïe ; elle ne sera achevée que peu de temps avant la mort de F. Godet, en 1898. Cette série sera éditée à nouveau au début des années quatre-vingt, par les Éditions PERLE (Bibliothèque de l’Institut Emmaüs) et en 2003 par les Editions Impact, Québec.

[58] [468] « Il écrivait le 3 juin [1887] à son ami Gess : “Je succombe sous la besogne. Je n’ai pas donné cet hiver une seule leçon que je n’aie complètement réécrite. » (Ibid., 478)

[59] [469] « Nous ne pouvons cependant oublier que Georges Godet, né le 18 septembre 1845, a pris une part très importante aux travaux du théologien, dont il fut pendant près de quarante ans le collaborateur fidèle et indispensable… » (Ibid., 178)

[60] [470] Citation de Gaston Frommel, ibid., xi. Frédéric Godet écrivit à son cher ami L. Bonnet, en 1854 : « L’exégèse m’est un rafraîchissement continuel. Mon bonheur serait de pouvoir un jour rédiger mes notes et faire un commentaire du Nouveau Testament au point de vue scientifique. » (Ibid., 271)

[61] [471] Ibid., 497.

[62] [472] H. Blocher, La doctrine du Christ, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2002², 100. Voir, par exemple, Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, mise en français moderne par Marie de Védrines et Paul Wells, Editions Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2009, I. xiii. 27-29, et II. xiv. Cf. N. Recolin, La personne de Jésus-Christ et la théorie de la Kénosis, Editions Grassart, Paris, 1890, 7 : « La théologie issue du mouvement réformateur du xvie siècle n’a pas porté d’abord une attention particulière sur le dogme de la nature du Christ ; elle s’est contentée de recueillir sur ce point spécial l’héritage du passé et de proclamer à la fois l’humanité réelle et la pleine divinité du Rédempteur. »

[63] [473] H. Blocher, op. cit., 104-106. Citation 104.

[64] [474] Voir P. Helm, John Calvin’s Idea, Oxford University Press, New York, 2004, 71-83. Voir Gétaz, op. cit., 17-23.

[65] [475] H. Blocher, op. cit., 104. Voir l’explication peu convaincante de J. T. Mueller, La doctrine chrétienne, Editions des Missions Luthériennes, Paris, 1956, 315 : « Les luthériens ont, eux aussi, été accusés de mélanger ou de confondre les deux natures ; mais la Formule de Concorde rejette cette accusation en déclarant (Sol. Decl. VIII, 62) : “Par les mots : realis communicatio ou realiter communicari, nous n’avons jamais entendu une physica communicatio vel essentialis transfusio, c’est-à-dire une communication de nature ou une transfusion d’essence, par laquelle les essences respectives et les propriétés essentielles des deux natures seraient confondues, conception que d’aucuns nous ont prêtée en détournant le sens de ces mots avec astuce, méchamment et contrairement à leur propre conscience, pour exposer la vraie doctrine aux plus injustes soupçons. Nous n’avons employé ces mots que par opposition à la verbalis communicatio.” » Gétaz, op. cit., 21, écrit : « … rappelons que les théologiens [luthériens] dont nous allons parler… admettaient l’immutabilité ontologique de la nature divine du Christ, comme aussi la réalité de la nature humaine ; c’est pourquoi ils ont toujours repoussé l’accusation de monophysisme que leurs adversaires, réformés ou catholiques, leur adressaient. »

[66] [476] D. Bonhoeffer, Qui est et qui était Jésus-Christ ?, son histoire et son mystère, Editions du Cerf, Paris, 1981, 130.

[67] [477] Voir l’excellent et magistral article de Paul Henry, « Kénôse », Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. V, Editions Letouzey et Ané, 1957, col. 7-161. La citation se trouve col. 138.

[68] [478] Idem.

[69] [479] Idem.

[70] [480] W. Pannenberg, Esquisse d’une christologie, Editions du Cerf, Paris, 1999, 393-394.

[71] [481] Voir H. Blocher, op. cit., 108 ; Pannenberg, op. cit, 394. Henry, art. cit., col. 139, écrit : « … la kénose affecte, directement, l’humanité préalablement dotée des attributs divins. Ce n’est donc pas encore la vraie kénose, qui renversera les termes et mesurera directement la divinité du Christ sur les possibilités limitées de son humanité. » 

[72] [482] D. Bonhoeffer, op. cit., 143.

[73] [483] Ibid., 139-140, 143.

[74] [484] P. Henry, art. cit., col. 136, écrit : « Le point de départ est le fait de l’incarnation, au sens dogmatique strict. Les kénotistes acceptent la divinité de J.-C. ; ils partent même de cette divinité… » L’un des postulats de la kénose est précisément la divinité de Christ, et donc sa préexistence, qui étaient toutes les deux niées et mises à mal par la théologie libérale. G. Frommel, L’expérience chrétienne, un cours de dogmatique, t. II, Attinger Frères, Neuchâtel, 1916, 192 : « Il est certain que la face principale de la doctrine de la kénose est tournée du côté de la préexistence divine de Christ. » Recolin, op. cit., 8, écrit : « Cette théorie a été enfantée par le désir très légitime de donner satisfaction à une des exigences les plus impérieuses de la science et de la conscience chrétienne à notre époque : le besoin de maintenir la vraie humanité du Christ tout en lui conservant sa divinité. »

[75] [485] F. Boniface, Histoire des dogmes de l’Eglise chrétienne, t. II, Librairie Fischbacher, Paris, 1886, 152, kénotiste modéré, écrit : « Comment concevoir dans une seule personne la coexistence de deux natures si opposées que les attributs de l’une sont la négation des attributs de l’autre ? Comment concevoir dans une seule personne deux volontés… ? La volonté n’est-elle pas l’attribut essentiel, le caractère distinctif, le centre et la substance même de toute personnalité ? Si donc il y a deux volontés en Jésus-Christ, il faut qu’il y ait en lui deux personnes, et s’il n’y a qu’une personne, il faut qu’il n’y ait qu’une volonté. »

[76] [486] Les kénotistes mettent un certain point d’honneur à affirmer qu’il ne s’agit que d’une hypothèse. Voir P. Henry, art. cit., col. 137 et Recolin, op. cit., 51-52.

[77] [487] Boniface, op. cit., 153. Le kénotiste A. Arnal, La personne du Christ et le rationalisme allemand, Librairie Fischbacher, Paris, 1904, écrit, page 99 : « Le dogme des deux natures, que la philosophie des conciles a cru tirer des déclarations de Jésus et des déclarations des apôtres, repose sur une confusion visible de textes. Ce qui est affirmé de l’existence de Jésus qui précède ou qui continue sa vie historique a été rapporté à l’existence terrestre. Pour rendre compte de la simultanéité d’attributs inconciliables, on a supposé que le même sujet, Jésus, était constitué par deux personnes [sic !] : un homme et un Dieu. Pour légitimer une erreur d’exégèse on commettait une erreur de logique doublée d’une erreur de psychologie. La logique exige que Jésus-Dieu devenu Jésus-homme ne soit plus Dieu, la psychologie exige que Jésus terrestre soit homme ou Dieu, l’exégèse exige que Jésus terrestre soit considéré comme un homme et non comme un Dieu. »

[78] [488] Les kénotistes refusent la christologie traditionnelle car ils estiment, entre autres raisons, que celle-ci ne rend pas compte de la véritable humanité du Christ. Voir A. Arnal, op. cit., 374 : « Le docétisme est l’erreur capitale que l’Eglise primitive a voulu combattre et à laquelle les conciles de Nicée et de Constantinople ont cependant conduit l’Eglise. »

[79] [489] Boniface, op. cit., 157-160. Pour le partisan de la kénose R. Wennagel, La logique des disciples de M. Ritschl et la logique de la kénose, ou l’argumentation et les conclusions du livre de M. le prof. P. Lobstein sur la notion de la préexistence du Fils de Dieu examinées au point de vue logique, Librairie Freiesleben, Strasbourg, 1883, 50-51, le Jésus de la conception chalcédonienne n’était pas un vrai homme et donne raison à M. Lobstein, ritschlien, dans sa critique de l’ « orthodoxie évangélique » ; il écrit : « Ce Jésus-là, j’en conviens, n’a pas pu être, au sens de M. Lobstein, véritablement homme, semblable aux hommes en toutes choses, hormis le péché. Logiquement, on n’a pas le droit de parler de sa réelle humanité. » (Citation 51.) A l’opposé, « le Jésus terrestre des partisans de la Kénose est donc bien véritablement homme » (53).

[80] [490] G. C. Berkouwer, The Person of Christ, Eerdmans, Grand Rapids, 1954, 28.

[81] [491] Cité par D. Macleod, La personne du Christ, Excelsis, Charols, 1999, 255. Wennagel, op. cit., 58, écrit qu’avec la théorie de la kénose, « le passage du Christ divin au christ humain n’offre plus rien qui puisse heurter la raison ».

[82] [492] D. Bonhoeffer, op. cit., 128, en parlant de la formule négative de Chalcédoine, déclare que par celle-ci, « l’accès à cette réalité est réservé à la foi seule ». C’est ce que rejetteront les kénotistes. Le professeur luthérien J.T. Mueller, op. cit., 338, écrit : « La doctrine du kénoticisme procède donc du rationalisme ; elle est, de ce fait, contraire à l’Ecriture. »

[83] [493] P. Henry, art. cit., col. 136.

[84] [494] A. Fornerod, « Le Christ historique et le Christ des consciences », Revue de théologie et de philosophie, 1922, cité par Gétaz, op. cit., 51-52. La section de la dogmatique d’E. Arnaud, pasteur de l’Eglise réformée de Crest et contemporain de F. Godet, manifeste admirablement bien le flou théologique qui régnait, à cette époque, sur la question christologique. (E. Arnaud, Manuel de dogmatique ou exposition méthodique et raisonnée des doctrines chrétiennes, Librairie Fischbacher, Paris, 1890.) Décrivant l’incarnation du Christ selon les expressions mêmes de la pensée kénotique, l’auteur souhaite cependant s’en distinguer. Bien qu’il maintienne l’union des deux natures en Christ – « en lui s’est réalisée l’union parfaite de sa divinité et de l’humanité » (244) – il écrit un peu plus loin, à propos des passages bibliques de Ph 2.7-8, 2 Co 8.9 et Hé 12.2 : « Ces paroles prouvent évidemment que le Fils de Dieu, en s’incarnant, a perdu une partie de ses attributs divins. Du reste, le fait seul de l’incarnation du Verbe est une preuve de sa limitation, car les attributs divins, dans leur plénitude, ne sauraient habiter, c’est-à-dire se circonscrire dans un être fini et borné comme l’homme, quelque parfait qu’on le suppose. » (246-247.) Ne souhaitant pas aller aussi loin que F. Bonifas et F. Godet, qui affirment que le Logos a renoncé à tous ses attributs, E. Arnaud reconnaît, p. 247, que « ce que l’on peut et doit dire, c’est que le Fils de Dieu s’est dépouillé pour un temps par amour d’une part de ses attributs divins ». Assurément, il est un kénotiste qui s’ignore. L’auteur conclut en affirmant que « Jésus n’a donc conservé des attributs divins qu’il possédait auprès du Père avant son incarnation que ce qui était conciliable et compatible avec la nature nécessairement bornée et finie qu’il avait revêtue » (idem), sans toutefois nous préciser lesquels !

[85] [495] « Ce passage fameux qui a donné son nom à la théorie est aussi sa forteresse au point de vue biblique », P. Chapuis, La transformation du dogme christologique au sein de la théologie moderne, Georges Bridel & Cie, Lausanne, 1893, 31.

[86] [496] Wennagel, op. cit., 52.

[87] [497] A. Gretillat, Exposé de théologie systématique, t. IV, Sotériologie et Eschatologie, Attinger Frères, Neuchâtel, 1890, 180-198. Celui-ci ira plus loin que Gess et Godet dans son subordinationisme. A propos de Ph 2.6 et des expressions être en forme de Dieu et être égal à Dieu, il écrit, p. 189 : « Les deux expressions ne sont pas équivalentes, la seconde désignant une qualité que, dans son état préexistant même, le Fils n’a ni possédée, ni voulu posséder. » Godet lui ayant fait remarquer que cette interprétation lui était propre,A. Gretillat écrivit à la même page que cela le laissa « impénitent » (note 1). Frommel, op. cit., 192, l’éreinte au passage : « … Gretillat qui, sur cet article, est mort dans l’impénitence finale. » 

[88] [498] Boniface, op. cit., 149-171.

[89] [499] Pour avoir un point de vue des positions d’Ebrard et de Martensen, voir L. Berkhof, Systematic Theology, The Banner of Truth, Edinburgh, 1958, 327-328. Concernant l’anglican C. Gore et le libriste P.T. Forsyth, voir Macleod, op. cit., 253-256. Voir également H. Blocher, op. cit., 116 et Henry, art. cit., col. 140-141.

[90] [500] S. Boulgakof, Du Verbe Incarné, Agnus Dei, Editions Montaigne, Paris, 1943, particulièrement les pages 139 à 174. Voir le long développement dans l’article d’Henry, art. cit., col. 144-156. Pour Boulgakof, op. cit., 150-151, « la kénose touche non pas la nature (l’ousie), mais la μορφὴ, la condition divine, dont le Christ Se dépouille en S’incarnant. (…) Se dépouiller de la gloire, c’est précisément descendre du ciel. Le Fils de Dieu … quitte la vie divine. (…) Il cesse d’être Dieu pour soi (theos), d’avoir la Divinité (theotes), étant naturellement et hypostatiquement Dieu (ho theos) suréternel. » Voir aussi Blocher, op. cit., 116-117.

[91] [501] 1802-1875. Après avoir étudié la théologie à Erlangen, Halle et Berlin, Thomasius exercera un ministère pastoral puis deviendra professeur de théologie à Erlangen, en 1842. « Son travail se concentre sur l’étude historique et l’exposé systématique de la doctrine de l’Eglise luthérienne, recourant à cette fin à des emprunts faits à Schleiermacher, Schelling et Hegel. Sa dogmatique, Christi Person und Werk (1853-1859), est un exposé éminent de la doctrine dite de la kénose… » (Martin Ohst, « Thomasius, Gottfried », Encyclopédie du protestantisme, Pierre Gisel (sous dir.) Cerf/Labor & Fides, Paris/Genève, 1995, 1563-1564.) Pour une brève présentation de la pensée de Thomasius, voir Louis Perriraz , Histoire de la théologie protestante, t. III, « Le problème christologique », Neuchâtel, 1956, 58-64, et P. Henry, art. cit., col. 139-140.

[92] [502] Thomasius, cité par G. Berkouwer, op. cit, 28.

[93] [503] A. Arnal, op. cit., 386, en décrivant la position de Thomasius : « Le passage à cet état est pour le Fils éternel de Dieu une limitation ; non un dépouillement de ce qui constitue essentiellement la divinité, mais un dépouillement de la manière d’être divine. »

[94] [504] Henry, art. cit., col. 140. Perriraz, op. cit., 62, écrit : « Le moi de Dieu qui crée le salut s’est uni au moi de l’homme d’une manière parfaite. … La conscience de soi que possède le Fils et son action universelle planent au-dessus de celles du Christ historique. Le Logos est au-dessus de l’Homme-Dieu. Il y a ainsi une double vie, une double conscience ; mais on ne peut penser à un sujet dans lequel Dieu garderait la plénitude de son être. » C’est pour cette raison que certains ont accusé Thomasius de nestorianisme et se sont démarqués de sa position. Voir A. Arnal, op. cit., 387 : « Comme le Logos s’est dépouillé volontairement, comme ce dépouillement ne dure qu’autant qu’il le veut, il doit avoir la conscience de cette volonté absolue ; Logos encore il plane au-dessus de son humanité. Malgré le prétendu dépouillement, l’homme-Dieu en deux personnes du nestorianisme reparaît. »

[95] [505] « W.-F. Gess (1819-1891), dogmaticien et exégète, professeur de théologie à la Maison des Missions de Bâle, puis aux universités de Göttingue et de Reslau, enfin superintendant général à Posen et à Wernigerode. Un des représentants de la théorie de la kénose. » (Ph. Godet, op. cit., 398, note 1) Le calviniste Gess était un ami intime du théologien neuchâtelois. Il écrira ainsi à sa veuve, peu de jours après le décès du théologien allemand : « Je perds en lui plus que je ne puis vous dire. Il s’est trouvé entre nous des points de contact que je n’ai éprouvés avec aucun autre… Il y avait dans le caractère de sa piété, dans son amour pour Jésus, quelque chose qui correspondait pleinement aux besoins de mon cœur. Je remercie le Seigneur de ce qu’il m’avait donné en lui, et je sens à côté de moi un grand vide, mais qui ne sera plus long… » (Ibid., 488-489) Frédéric Godet lui est redevable d’une grande partie de son enseignement sur ce sujet : « Le point de vue que nous présentons n’en est pas moins, en général, celui qu’il [W.-F. Gess] a développé dans son bel ouvrage : Lehre von der Person Christi, 1856, dont j’ai rendu compte à l’époque de son apparition dans une série d’articles, Revue chrétienne, 1857 et 1858. » (F. Godet, Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, t. II, p. 111, note 1) Pour une brève présentation de sa pensée, voir J. Bovon, Dogmatique chrétienne, t. II, Georges Bridel & Cie, Lausanne, 1896, 107-110.

[96] [506] H. Blocher, op. cit., 116. Voir aussi, pour la même expression, Christian Duquoc, Christologie, t. I, L’homme Jésus, Cerf, Paris, 1973, 184.

[97] [507] Cette conscience, le Verbe ne la retrouvera que progressivement, au terme d’un développement, lors de son baptême. Arnal, op. cit., 390 : « L’homme [Jésus] n’a, au début, aucune conscience de lui-même, c’est lentement qu’il arrive à la sensation, au savoir, à la personnalité … le Logos a dû, par suite, perdre, pour devenir homme, sa conscience propre et acquérir successivement une âme d’homme … Le Logos ne s’est pas dépouillé de sa conscience pour la retrouver peu après, mais pour la gagner de nouveau comme conscience humaine. » F. Boniface, op. cit., 161-164, rejette l’idée de Gess, et reprise par F. Godet, car cela aurait produit « une sorte d’évanouissement du Logos ». Voulant contourner cette objection, il affirme que « Jésus a eu conscience de sa filialité divine à partir du jour où il a pris conscience de lui. […] L’âme qui sommeille en lui n’est autre chose que le Verbe divin. […] Mon point de vue rappelle donc celui d’Apollinaire […] mais à la différence que j’affirme que le Logos a renoncé à tous ceux de ses attributs divins qui sont en contradiction avec les conditions de la vie humaine… » Le problème n’est toutefois pas résolu : le Logos souffre tout autant d’amnésie, certes, un peu moins longtemps chez le dernier. Il y a là une discontinuité entre le Fils préexistant et le Fils incarné.

[98] [508] Henry, art. cit., col. 140.

[99] [509] L. Berkhof, op. cit., 327.

[100] [510] H. Blocher, op. cit., 116. Voir Bonifas, op. cit., p. 163, qui adhère à l’apollinarisme en allant tout de même plus loin, ayant dépouillé le Logos de tous ses attributs. Voir citation supra, note 97. E. Arnaud, op. cit.,248-249, là aussi sans le revendiquer clairement, utilise un langage apollinariste : « Au moment où l’âme divine de Jésus fut unie à un corps humain, les deux natures, divine et humaine, coexistèrent en lui… » 

[101] [511] Bovon, op. cit., 109-110. Ainsi, Frédéric Godet, Commentaire sur l’Evangile de Saint Luc, t. I, Editions de l’Imprimerie Nouvelle de L.-A. Monnier, Neuchâtel, 19694, 280, écrit : « Toute créature libre, douée de forces variées, est appelée à passer par une lutte dans laquelle elle se décide soit à faire servir ses facultés à sa propre satisfaction, soit à donner gloire à Dieu en lui consacrant l’usage. Sans cette épreuve, l’être libre ne s’élèverait jamais de l’innocence à la sainteté. » Il écrit, p. 301 : « Nous irons même jusqu’à affirmer la possibilité abstraite d’une chute, sans nous laisser arrêter par l’objection que, dans ce cas, le salut de l’humanité était à la merci de la décision libre d’un homme. »

[102] [512] Voir, par exemple, Gretillat, op. cit., 195.

[103] [513] Wennagel, op. cit., 54.

[104] [514] Ibid., 55. Le pasteur réformé, dans son argumentaire face au professeur Lobstein de Strasbourg, paraît suivre la position de F. Godet. Cependant, il nous semble que F. Godet et W.-F. Gess étaient en désaccord sur ce point. A. Arnal écrit, op. cit., 392 : « Il n’y a pas eu, d’après Gess, un même moi qui a existé en forme de Dieu (εν μορφῃ ϑεου), avant d’apparaître sur la terre, et qui est entré dans l’histoire et dans l’humanité en forme d’esclave (εν μορφῃ δουλου) ; il y a eu deux êtres, un Dieu et un homme, qui n’ont rien eu de commun sinon la volonté du premier de devenir le second ; il a fallu pour que cette volonté se réalise la disparition du premier, et, pour parler avec le rationalisme qui parle ici le langage propre, il a fallu le suicide d’un Dieu et la naissance d’un homme. »

[105] [515] Wennagel, op. cit., 57.

[106] [516] Recolin, op. cit., 11.

[107] [517] Bovon, op. cit., 113, écrit à propos de la position de Gess : « Seulement, dit-il, l’engendrement du Fils étant affaire non de nécessité, mais d’amour, son existence divine n’est pas indispensable à celle du Père. »

[108] [518] Ibid., 108 : « La seule différence entre les deux hypostases, c’est que le Fils, éternellement engendré, n’a donc pas l’aséité comme le Père, formule en vertu de laquelle on maintient la subordination dans l’unité. » Recolin, op. cit., 10, précise : « M. Gess admet très nettement la subordination dans le sein même de la Trinité. Pour lui, Dieu est Dieu, sans le Fils. Le Père seul possède l’aséité, qu’il ne peut jamais répudier. Par contre, le Fils a reçu du Père le don d’avoir la vie en lui-même, d’être la plénitude de la vie ou l’esprit source de vie pour les créatures. Or, le Fils peut renoncer à ce qu’il a reçu. (…) De là la kénosis, qui a consisté dans le renoncement du Fils à toutes les énergies divines qu’il possédait dans la communion avec le Père. » Cf. 53. Voir également E. Arnaud, op. cit., 112-117, pour la revendication d’un subordinationisme ontologique. Wennagel, op. cit., 56-57, quant à lui, n’hésite pas à attribuer au Christ un « moi » d’ordre créationnel. Ainsi, si le Christ a pu se réduire à un « moi humain », ce n’est que parce qu’il le possédait de toute éternité et qu’il a accepté de se dépouiller de tout ce qui dépassait les « facultés humaines normales ». Il écrit : « Le Christ possède de toute éternité un moi analogue au moi de chaque homme … Qu’importe : je dis que le possesseur de cette nature divine était un moi absolument semblable au moi des créatures libres … L’idée que le Logos divin a été un moi comme le nôtre, mais revêtu de gloire divine, cette idée – vraie ou fausse – est-elle inconcevable ou contradictoire ? Pas plus inconcevable ni plus contradictoire que d’admettre la possibilité, pour notre propre moi humain, d’être un jour élevé, là-haut, de gloire en gloire, de perfection en perfection… »

[109] [519] Recolin, op. cit., 12. Wennagel, op. cit., 59 : « Que prétendent les partisans de la kénose ? Que le Logos possédait déjà, avant l’incarnation, la gloire divine qu’il recouvra à dater de l’Ascension. »

[110] [520] Divers points de vue kénotistes existent pour la période post-Résurrection. Crisp, op. cit., 122-139, fait état de la « version standard » et de la « version standard plus ». Selon la première version, le Logos retrouve les attributs qu’il avait laissés après la Résurrection. C’est la position de F. Godet. Selon la deuxième version, beaucoup plus rare, le Logos ne se réapproprie pas les attributs divins abandonnés. Crisp mentionne D. Brown, The Divine Trinity, 234. Il existe tout de même une autre proposition, suivie par A. Arnal, op. cit., 415, pour qui le Christ-Jésus délaisse son humanité lors de la glorification pour redevenir ce qu’il était auparavant, Dieu.

[111] [521] Frommel, op. cit., 195. Wennagel, op. cit., 52 : « Que trouvera-t-il … dans ces divers ouvrages [de F. Godet] ? Un Jésus terrestre possédant, non pas deux natures à la fois, mais une seule, la nature humaine. » A. Arnal, op. cit., 388, écrit : « Il n’y a pas un Dieu-homme, il y a un Dieu qui est devenu homme. »

[112] [522] Voir supra, note 95.

[113] [523] Recolin, op. cit., 9-10.

[114] [524] O.D. Crisp, Divinity and Humanity, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, 119-153.

[115] [525] O.D. Crisp distingue la version ontologique (à la suite de G. Thomasius) de la version ontologique forte (à la suite de W.-F. Gess).

[116] [526] D. Macleod, op. cit., pp. 268-272.

[117] [527] M. Gétaz, op. cit. Il expose la pensée de Godet des pages 54 à 61.

[118] [528] Ibid.

[119] [529] M. Gétaz, op. cit., 54, note 2 : « Notons, ceci a son importance, que la lecture de la biographie de Zinzendorf par Spangenberg marque une étape décisive dans le développement de sa [Frédéric Godet] vie spirituelle. Or, on a signalé très justement (Schultz, op. cit., 279) que la tendance kénotiste remonte en partie à Zinzendorf et à sa réaction sentimentale contre la scolastique protestante. »

[120] [530] F. Godet écrira par ex. de nombreux articles polémiques à l’encontre de T. Colani (cf., par ex., Ph. Godet, op. cit., 279-281), pour qui la divinité de Jésus-Christ n’est nullement ontologique et métaphysique mais uniquement morale. « Métaphysiquement parlant, Christ est un homme et rien qu’homme, né dans le temps, borné par l’espace, sujet au développement. Mais dans tout ce qu’il fait, dit, pense, veut, il est l’image parfaite de la sainteté absolue, il est un avec Dieu. » (Revue de Strasbourg, 1855/2, 99, cité par A. Encrevé, op. cit., 629) Colani, en niant « explicitement la divinité métaphysique de Jésus-Christ [permet] ainsi au groupe des libéraux extrémistes de franchir une nouvelle étape dans leur évolution ». (Ibid., 630) Au sujet de T. Colani, voir E. Rochat, Le développement de la théologie protestante française au xixe siècle, Librairie de l’Université, Genève, 1942, 186-187. 

[121] [531] Voir son Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, t. II, 104-105.

[122] [532] F. Godet, Etudes Bibliques, Nouveau Testament, Editions Ministères Multilingues, Montréal, 1999.

[123] [533] « L’origine de nos quatre évangiles », « Jésus-Christ », « L’œuvre de Jésus-Christ », « Les quatre principaux apôtres » et « Essai sur l’Apocalypse ».

[124] [534] F. Godet, « Jésus-Christ », Etudes Bibliques, Nouveau Testament, op. cit., 95-162.

[125] [535] Dans son premier article, « L’origine de nos quatre évangiles », il écrit, pp. 81-82 : « Tous ces faux systèmes [christologiques, tels l’ébionisme, l’adoptianisme et le docétisme] croulaient devant cette parole dont notre évangile tout entier est la démonstration : “la Parole a été faite chair”. La perfection de la vie divine a été réalisée sous forme de l’infirmité humaine ; l’abîme entre l’infini et le fini a été pratiquement comblé, et ce Logos des philosophes, qu’ils n’entrevoyaient qu’à travers les nuages de leur spéculation, est devenu pour la foi un être contemplé, connu, possédé. Tel a été le Jésus de l’histoire ; tel est le Jésus de Jean : un être aussi complètement humain que complètement divin. On a souvent prétendu que le Jésus de Jean n’était pas un être réellement humain. Rien n’est plus faux. S’il y a un vrai fils de l’homme, c’est le Jésus du quatrième évangile. Il s’assied exténué de fatigue au bord du puits de Jacob ; il frémit en voyant ses amis pleurer ; il pleure lui-même devant la tombe de son ami ; son âme se trouble à la pensée de son prochain supplice. Le Jésus de Jean est chair de part en part. »

[126] [536] « Jésus-Christ », art. cit., 98-135.

[127] [537] Ibid., 100.

[128] [538] Ibid., 136-148.

[129] [539] Ibid., 136.

[130] [540] Ibid., 148-162.

[131] [541] Ibid., 148.

[132] [542] Ibid., 149. Il a rappelé précédemment, p. 148, que « la foi constate les faits révélés ; elle s’en nourrit, elle en vit, sans rechercher de quelle manière ils s’accordent entre eux pour l’intelligence ». La science, quant à elle, « cherche à établir entre eux l’harmonie complète au moyen des hypothèses que lui suggèrent ces faits eux-mêmes sérieusement étudiés ».

[133] [543] Ibid., 150.

[134] [544] Ibid., 150-151.

[135] [545] Ibid., 151.

[136] [546] Ibid., 152.

[137] [547] Idem.

[138] [548] Ibid., 152-153.

[139] [549] Ibid. 153. Voir aussi, dans le même article, les 112-113. Godet avait développé ce sujet dans sa cinquième conférence apologétique sur « La sainteté parfaite de Jésus-Christ ». Celle-ci sera analysée un peu plus bas – voir infra.

[140] [550] F. Godet, La sainteté de Dieu, sermon prêché le 16 août 1864 à l’ouverture de la réunion annuelle de la Société pastorale suisse, disponible sur internet : http://epelorient.free.fr/godet_pdf/saintete_sermon.pdf [551]. (Consulté le 20 novembre 2009.) A la page 5, Godet écrit : « S’il en est ainsi, comment tout, en Dieu, même l’amour, ne serait-il pas subordonné à la sainteté ? (…) Le prix de l’amour divin, on le voit, repose entièrement sur la sainteté de l’être divin. Essayer de poser la thèse contraire et de subordonner en Dieu la sainteté à l’amour, et il vous devient impossible d’expliquer les manifestations de la justice divine… »

[141] [552] « Jésus-Christ », art. cit., 153.

[142] [553] Ibid., 128-129. Voir aussi F. Godet, La sainteté parfaite de Jésus-Christ, disponible sur internet : http://epelorient.free.fr/godet_pdf/agiazo.pdf [554]. (Consulté le 20 novembre 2009.) Voir 20-21.

[143] [555] Ibid., 128-129. Voir aussi F. Godet, La sainteté parfaite de Jésus-Christ, disponible sur internet : http://epelorient.free.fr/godet_pdf/agiazo.pdf [554]. (Consulté le 20 novembre 2009.) Voir 20-21.

[144] [556] Ibid., 154. Il définira le « bien » à la page 176 : « Le bien, c’est l’ordre régnant entre les êtres, tel qu’il résulte de leur nature même. »

[145] [557] Ibid., 157. Les verbes sentir, (se) reconnaître et redevenir sont de Frédéric Godet. A propos de la conservation de la nature humaine du Christ lors de l’Ascension, il écrit à la même page : « Mais n’oublions pas que cet état, il le recouvre sans renoncer pour cela à son existence humaine. »

[146] [558] Ibid., 158.

[147] [559] Ibid., 161. Italiques ajoutées. Dans l’article étudié, Godet pose une question rhétorique ?

[148] [560] F. Godet, Survol des Epîtres de Paul, Editions Emmaüs, Saint-Légier, 1991.

[149] [561] Ibid., 184-189.

[150] [562] Ibid., 184. 

[151] [563] Ibid., 184-185.

[152] [564] Ibid.,185.

[153] [565] Idem.

[154] [566] Idem.

[155] [567] Ibid., 188.

[156] [568] Ibid., 186.

[157] [569] Idem.

[158] [570] Ibid., 188.

[159] [571] Idem.

[160] [572] Les Conférences apologétiques furent données par Frédéric Godet dans les années 1868-1869, à Neuchâtel, en réponse à des conférences données par des théologiens libéraux. Voir supra.

[161] [573] F. Godet, La Divinité de Jésus-Christ, Soleil d’Orient, 2009, 5. Disponible sur iInternet à l’adresse suivante : http://epelorient.free.fr/godet/godet_divinite_de_Jesus.pdf [574]. (Consulté le 20 novembre 2009.)

[162] [575] Il écrit, p. 6, que « le témoignage d’un homme pécheur sur sa personne ne saurait jamais être absolument valable, car il peut être faussé par deux causes : les illusions de l’orgueil et les calculs de l’ambition ». Ceci ne correspond donc pas à la situation de Jésus-Christ. 

[163] [576] Voir sa conférence apologétique à ce sujet, La résurrection de Jésus-Christ, disponible sur internet à l’adresse suivante : http://epelorient.free.fr/godet_pdf/anastasis.pdf [577]. (Consulté le 20 novembre 2009.) Dans cette conférence, F. Godet établit le fait du témoignage apostolique ainsi que sa validité. Alors qu’il aborde les conséquences de la résurrection pour nous, il écrit, pp. 20-21 : « Si la résurrection est réelle, elle ne peut être un fait isolé ; cet acte divin doit appartenir à l’ensemble d’une œuvre divine. (…) Pas plus le miracle de la résurrection, s’il est réel, ne peut avoir été un fait isolé, pas plus le rôle que ce miracle joue dans l’histoire divine à laquelle il appartient ne peut être un rôle secondaire. (…) La création est la victoire de la toute-puissance sur le néant ; la résurrection est la victoire de cette même toute-puissance sur la mort, le fait le plus semblable au néant de tous ceux que nous connaissons. »

[164] [578] La Divinité de Jésus-Christ, 6.

[165] [579] Ibid., 7.

[166] [580] Idem.

[167] [581] Idem.

[168] [582] Ibid., 8.

[169] [583] Ibid., 9-10. Godet relève ainsi que Pierre, en déclarant que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, ne se contente pas seulement d’affirmer la messianité (attendue !) de Jésus mais également la relation unique entre lui et Dieu. C’est ce qui ressortira également de l’entretien entre Jésus et le souverain sacrificateur, qui lui demandera successivement (cela est très net dans l’Evangile selon Luc) s’il est le Christ et le Fils de Dieu. C’est sa réponse affirmative à la deuxième question qui provoquera sa sentence de mort pour motif de blasphème. Godet écrira ensuite, p. 17, que les apôtres ne proclameront jamais en premier la divinité de Jésus-Christ aux Juifs mais sa messianité : « Car on ne croit à sa divinité que sur la foi à son témoignage ; et pour admettre son témoignage sur un fait aussi difficile à croire, il faut avoir reconnu en lui l’envoyé de Dieu. »

[170] [584] Ibid., 12. Ainsi, il réclame la foi (« croyez en moi »), l’amour inconditionnel (« si quelqu’un aime son père ou sa mère plus que moi… ») et assure à ceux qui viennent à lui qu’il leur accordera le repos de l’âme (Mt 11.28-29).

[171] [585] Ibid., 12ss. Jésus-Christ se pose comme la Vérité et le Bien incarnés, assurant que faire du bien à ses frères, c’est en faire à lui-même et certifiant à ses auditeurs qu’il les jugera au dernier jour.

[172] [586] Ibid., 19 : « Comment expliquer cette conviction [à propos de la divinité de Jésus-Christ], si elle ne reposait pas sur la prédication apostolique ? Et cette prédication apostolique, comment l’expliquer, si elle n’a pas pour fondement l’enseignement de Jésus lui-même ? »

[173] [587] Ibid., 16.

[174] [588] Ibid., 17.

[175] [589] Ibid., 21.

[176] [590] Idem.

[177] [591] Ibid., 21-22. Voici les deux questions qui lui servent d’argumentation : « Où l’avez-vous mis ? » et « Qui est-ce qui m’a touché ? ».

[178] [592] Ibid. 22.

[179] [593] Idem.

[180] [594] Idem.

[181] [595] Ibid., 22-23.

[182] [596] Ibid., 24.

[183] [597] Ibid., 24-25.

[184] [598] Ibid., 25. Godet pose les questions suivantes afin de démontrer le fait que l’humanité de Christ lui est conservée après son ascension : « N’est-ce pas comme le Fils de l’homme glorifié qu’Etienne le salue, sur le seuil du royaume de gloire ? N’est-ce pas comme l’Agneau immolé que saint Jean le contemple sur le trône de la majesté divine, dans la vision apocalyptique ? Paul ne savait-il pas, par sa propre expérience, et pour avoir contemplé le Seigneur lui-même sur le chemin de Damas, que c’est corporellement que la plénitude de la divinité habite en lui ? Jésus enfin ne dit-il pas lui-même que c’est comme Fils de l’homme qu’il reviendra pour juger les vivants et les morts ? »

[185] [599] Ibid., 25-26.

[186] [600] Ibid., 26.

[187] [601] Ibid., 27.

[188] [602] Idem.

[189] [603] Ibid., 27-28.

[190] [604] Cinquième conférence apologétique de F. Godet, cf. supra note 142.

[191] [605] Ibid., 13.

[192] [606] Ibid., 2.

[193] [607] Ibid., 3, italiques ajoutées.

[194] [608] Idem, italiques ajoutées.

[195] [609] Ibid., 10.

[196] [610] Ibid., 22.

[197] [611] Ibid., 20. F. Godet, 22, reconnaîtra le caractère divin de la sainteté de Jésus-Christ uniquement dans le fait que celle-ci « est constamment puisée en Dieu ».

[198] [612] Ibid., 21.

[199] [613] Ibid., 22.

[200] [614] Ibid., 24.

[201] [615] Ibid., 25.

[202] [616] Ibid., 26.

[203] [617] Ibid., 22.

[204] [618] F. Godet, Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, t. II, Editions de l’Imprimerie Nouvelle de L.-A. Monnier, Neuchâtel, 19705.

[205] [619] Ibid., 35.

[206] [620] Ibid., 36.

[207] [621] Gétaz, op. cit., 54, écrit : « Le pieux exégète neuchâtelois est considéré, à juste titre, comme le champion de la divinité “essentielle” du Christ. »

[208] [622] Commentaire selon Saint Jean, 104, où à propos d’une certaine contradiction qu’il y aurait entre le prologue (où la parfaite égalité du Père et du Fils serait attestée) et certains discours de Jésus (où le subordinationisme serait mis en évidence), Godet écrit : « L’exégèse du prologue a démontré que cette contradiction n’existe pas, la subordination y étant enseignée aussi clairement que dans les discours de Jésus. »

[209] [623] Ibid., 38.

[210] [624] Ibid., 69.

[211] [625] Ibid., 70.

[212] [626] Idem.

[213] [627] Ibid., 70-71.

[214] [628] Ibid., 71.

[215] [629] Comprendre harmonisation.

[216] [630] Ibid., 74-76.

[217] [631] Ibid., 89-90.

[218] [632] « La vérité et l’importance de l’enseignement du prologue sur la personne de Jésus-Christ », 103-113.

[219] [633] Voir supra 25-29.

[220] [634] Ibid., 105.

[221] [635] Ibid., 105-107. Italiques ajoutées.

[222] [636] Commentaire selon Jean, 113, note 1.

[223] [637] Ibid., 71.

[224] [638] Godet reconnaît que la kénose de Jésus-Christ, selon Ph 2.7, peut être accomplie par la prise de la forme d’un serviteur. Cependant, sans réfuter cette hypothèse, ni expliquer pourquoi il ne la retient pas, il poursuit : « Mais on peut aussi concevoir l’acte du dépouillement volontaire comme précédant l’entrée dans l’état humain et comme étant sa condition. Et c’est peut-être à cette intuition que conduit le passage des Philippiens… » (Commentaire sur Jean, t. II, 107.) Voir la citation de Frédéric Godet, supra, 43.

[225] [639] « Jésus-Christ », art. cit., 156-157 : « Il se dépouille de plus en plus comme homme, ainsi qu’il s’était dépouillé comme Dieu, jusqu’à ce qu’enfin, arrivant au terme, au lieu de se prévaloir de son obéissance pour réclamer la fin glorieuse due au juste, il prenne sur lui le châtiment des pécheurs, et donne sur la croix sa vie humaine, comme il avait donné par l’incarnation sa vie divine. Le dernier sacrifice est le complément du premier. Maintenant il a atteint le fond de l’abîme qu’il avait commencé à creuser lui-même sous ses pas en se faisant homme. »

[226] [640] Commentaire selon Jean, 108.

[227] [641] « L’œuvre de Jésus-Christ », art. cit., 173.

[228] [642] Ibid., 174. Voir aussi à la page 99 : « L’idée générale qui domine la vie terrestre de Jésus-Christ n’est autre que celle qu’il a énoncée lui-même en se donnant le titre de Fils de l’homme : sa vie est la réalisation du développement normal auquel est appelé en principe chaque être humain. »

[229] [643] Commentaire selon Jean, 109.

[230] [644] « Ce fut, si nous ne nous trompons, au jour de son baptême, lorsque fut arrivé le moment où il devait commencer à témoigner de lui-même, de ce qu’il était pour Dieu et de que Dieu était pour lui et pour le monde, que Dieu jugea bon de l’initier au mystère de sa vie de Fils antérieure à son existence terrestre. » (Ibid., 108) Godet écrit à la page 109 : « Il ne se connaît pas encore. » Tant que Jésus n’a pas accompli son développement humain, il ne peut savoir qui il est réellement.

[231] [645] Ibid., 109-110.

[232] [646] Ibid., 110.

[233] [647] « Jésus-Christ », art. cit., 109.

[234] [648] Idem.

[235] [649] Ibid., 110.

[236] [650] Ibid., 121.

[237] [651] Ibid., 124. Voir 123-126.

[238] [652] Ibid., 128.

[239] [653] Ibid., 129.

[240] [654] Ibid., 157.

[241] [655] Ibid., 131.

[242] [656] Ibid., 157. Les italiques sont de l’auteur.

[243] [657] Ibid., 132.

[244] [658] Ibid., 113 : « L’infaillibilité qu’il possédait est maintenant changée en la toute-science. Au lieu de l’action à distance qu’il exerçait, il est investi de la toute-présence. La puissance qu’il exerçait dans la prière se transforme en la toute-puissance réellement possédée. »

[245] [659] Ibid., 133.

[246] [660] Ibid., 133-134.

[247] [661] La sainteté de Jésus-Christ, op. cit., 26.

[248] [662] La divinité de Jésus-Christ, op. cit., 27.

[249] [663] Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, 110-111.

[250] [664] « Jésus-Christ », art. cit., 158.

[251] [665] Ibid., 161.

[252] [666] Citation de C. Porret dans Ph. Godet, op. cit., 343-344, note 1.

[253] [667] Le texte de Philippiens 2.6-11 est considéré comme un hymne liturgique en raison de la prévalence des indices stylistiques qu’il comporte : formules de transition, hapax legomena, parallélismes, figures de style et propositions participiales.

[254] [668] F. Godet, Survol des épîtres de Paul, op. cit., 179.

[255] [669] Pour les discussions sur le lieu de captivité et de rédaction, voir G.F. Hawthorne & R.P. Martin, Philippians (Revised), Word Biblical Commentary 43, Thomas Nelson Publishers, Nashville, 2004, p. xxxix-l (et bibliographie p. xxxix-xl). Voir aussi E. Cuvillier, « Place et fonction de l’hymne aux Philippiens, Approches historique, théologique et anthropologique », Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions, XXIIe congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (ACFEB), Editions du Cerf, Paris, 2009,145-146, qui relève la récurrence des termes εὐαγγέλιον, φρονέω et χαίρω/συγχαίρω dans l’épître, nous permettant ainsi de discerner la structure de la lettre. 

[256] [670] « La redondance du thème de la joie et de ses dérivés indique fortement que l’intention de l’apôtre n’est pas de développer un traité de théologie comme c’est le cas dans les grandes épîtres aux Romains ou aux Galates. » (C. Réson, Esquisse d’une théologie de la kénose : étude systématique de Philippiens 2.6-11, mémoire de master en théologie adventiste, Collonges-sous-Salève, septembre 2007, 26, http://www.archivesadventistes.net/EN/BAV/MEM/Kenosis.pdf [671] ; consulté le 20 novembre 2009.)

[257] [672] Henry, art. cit., col. 8.

[258] [673] Idem.

[259] [674] Ibid., col. 10-11. J.-F. Collange, L’Epître de Saint Paul aux Philippiens, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1973, 75, précise : « L’hymne … présente un aspect redoutable, non seulement par les difficultés exégétiques réelles qu’il comporte, mais encore par la masse impressionnante d’études qu’il a suscitées. » Et Cuvillier, art. cit., 137, de relever que l’hymne appartient aux textes du Nouveau Testament « dont on pourrait presque dire qu’ils sont trop travaillés ».

[260] [675] L’autre usage néotestamentaire est en Marc 16.12.

[261] [676] Henry, art. cit., col. 11.

[262] [677] Au-delà de ces deux positions, dont la première, la plus répandue, était celle des Pères de l’Eglise, certains théologiens ou philologues ont avancé que ce texte se référait à la kénose du Christ suite à sa transfiguration relatée dans les Evangiles. Voir à ce sujet E. Petavel-Olliff, La kénose après la transfiguration, étude exégétique sur Philippiens II, 5-11, Imprimerie Georges Bridel & Cie, Lausanne, 3ss : « Paul a eu en vue non l’incarnation, ni la conception miraculeuse de Jésus-Christ, mais la transfiguration et les événements qui ont suivi. » Pour P. Bonnard, L’Epître de Saint Paul aux Philippiens, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1950, 48, même si le cantique présuppose l’idée de la préexistence de l’homme céleste, le v. 6 « est probablement une allusion à la tentation de Jésus »… Collange, op. cit., 85, écrit : « En fait, tant la structure de l’hymne que son intention ne permettent pas d’adopter ce type d’interprétation. Mais si la mention de la préexistence ne fait guère de doute, il ne faut pas lui accorder, en ce qui concerne notre texte, une importance exagérée. » A ce sujet, R. Reymond, New Systematic Theology of Christian Faith, Thomas Nelson Inc., Nashville, 1998, 259, fait valoir que le contexte descendant/ascendant pose problème. Il remet en cause l’interprétation classique selon laquelle il s’agit de l’état préexistant du Fils dans l’état précédent l’incarnation. Pour lui, le problème est qu’il a « lâché » quelque chose dans son état préexistant. Mais il n’a pas pu « lâcher » la gloire qui est la « somme et la substance de sa divinité » car sinon, l’utilisation du terme ἁρπαγμὸν signifierait que Jésus a soit perdu sa divinité (ce qui est contraire à la Bible), soit qu’il ne l’avait pas auparavant (alors que cela est affirmé en 2.6). De plus, comment, s’il s’agit du Christ préexistant, a-t-il pu être élevé plus haut ? Bien que séduisante à première lecture, la position de Reymond pose plusieurs problèmes. Comme nous l’avons vu, il y a l’utilisation des deux participes aoristes qui attestent la situation antérieure à l’incarnation. De plus, la gloire n’est ni la somme ni la substance de la divinité : elle en est la manifestation. Enfin, affirmer qu’il s’agit du Christ préexistant ne condamne pas l’interprétation de l’exaltation de Jésus en tant que Messie qui, par l’incarnation, est entré dans une expérience totalement nouvelle. Notons qu’ὑπερύψωσεν, du v. 9, est un superlatif et non pas un comparatif. Voir Collange, op. cit., 95.

[263] [678] Voir Blocher, op. cit., 173, et Reymond, op. cit., 258-259. Collange, op. cit., 89 : « Fréquent dans l’ensemble du Nouveau Testament comme chez Paul, ce verbe marque un état de subsistance qui s’oppose ici au sens actif des verbes qui vont suivre. » P. Lamarche, « L’hymne de l’épître aux Philippiens », L’homme devant Dieu, mélanges offerts au Père Henri de Lubac, t. I, Editions Montaigne, Paris, 1963, 149, pense que cet hymne renvoie aux conditions de l’incarnation. Néanmoins, il affirme tout de même que l’expression ἑν μορφὴ θεοῦ ὑπάρχων réfère à « la stabilité de sa condition divine ». Pour E. Cuvillier, le langage poétique de l’hymne, et même « mythique » (dans le sens de « raconter quelque chose qui ne relève pas du savoir mais de l’indicible et de l’irreprésentable », art. cit., 150), nous permet de discerner une certaine préexistence au v. 6, qui doit se « comprendre non pas sous le registre philosophique ou métaphysique, mais sous le registre de l’expérience subjective de la foi ». (Ibid., 151) Il est tout de même regrettable de voir l’auteur se risquer lui-même sur le terrain de la métaphysique et d’affirmer que le Christ incarné, dépouillé de ses attributs divins, assumait la condition humaine. (Ibid., 152) Pour une bonne présentation des arguments, voir G. Fee, Paul’s Letter to the Philippians, NICNT, Eerdmans Publishing Co, Grand Rapids, 1995, 203.

[264] [679] Henry, art. cit., col. 18.

[265] [680] ἑαυτὸν ἐκένωσεν n’est pas lié à μορφὴ θεοῦ mais à l’expression εἶναι ἴσα θεῷ. Voir infra.

[266] [681] Cf. supra.

[267] [682] Voir R.P. Martin, A Hymn of Christ, Philippians 2:5-11 in Recent Interpretation & in the Setting of Early Christian Worship, InterVarsity Press, Downers Grove, 1997, chap. v, 99-133. Voir P. O’Brien, Commentary on Philippians, NIGTC, Eerdmans Publishing Co, Grand Rapids, 1991, 207-211, qui expose cinq manières d’interpréter : les trois que nous mentionnons, en distinguant les interprétations d’εἰκών et de δόξα, et la position d’E. Schweizer.

[268] [683] Voir, par exemple, O. Cullmann, Christologie du Nouveau Testament, Editions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1968, 152ss ; Macleod, op. cit., 262. Voir également O’Brien, op. cit., 210, pour qui l’expression ἐν μορφὴ θεοῦ se comprend mieux dans le contexte de la gloire de Dieu. Comme l’a écrit Blocher, op. cit., 175, « même si “forme” n’est pas synonyme de “gloire”, “forme de Dieu” peut désigner la gloire céleste, à partir de l’idée de “manifestation visible”, associée à morphè dans la LXX ». 

[269] [684] Ou de δόξα, selon d’autres.

[270] [685] Cullmann, op. cit., 153. Il nous faut toutefois préciser qu’à partir de l’association du mot μορφὴ à εἰκών et des textes pauliniens interprétés à la lumière de Philippiens 2.6s, O. Cullmann établit le parallèle entre Adam, l’homme céleste, et l’Ebed Yahvé. Comme l’a écrit Fee, op. cit., 212-213 : « Dans le contexte présent, l’emphase ne repose pas sur la messianité de Jésus ou sur l’accomplissement du rôle du Serviteur du Seigneur. Cela repose principalement sur la condition d’esclave lors de l’incarnation du Christ. Il est entré dans notre histoire non comme kyrios (“Seigneur”), nom qu’il acquiert lors de sa justification (v. 9-11), mais en doulos (“esclave”), une personne sans avantages, ni droits ou privilèges, mais au service de tous. » [Notre traduction]

[271] [686] Et dans les écrits intertestamentaires en Tb 1.13 et Sg 18.1.

[272] [687] Voir Reymond, op. cit., 258-259. Blocher, op. cit., 175 : « C’est un vice de méthode que de poser une équivalence sémantique générale parce qu’il arrive (une fois !) à deux mots de traduire le même troisième, ou à leurs dérivés de se combiner ici ou là ! » Bonnard, op. cit., 42, note que « d’autres versions grecques de l’Ancien Testament traduisent les mêmes mots hébreux par d’autres mots grecs (εἶδος, ὁμοίωμα, ὅρασις, ἕξις, etc.) ».

[273] [688] Collange, op. cit., 76, écrit : « Cette thèse ingénieuse se heurte au fait qu’à l’intérieur même de l’hymne μορφὴ θεοῦ correspond à un μορφὴ δούλου (forme d’esclave, 7b) pour lequel l’équivalence avec εἰκών n’a pas de sens. (…) C’est donc dans le sens de l’opposition qu’il faut comprendre nos expressions ϑεός-δοῦλος et non pas dans le sens de l’opposition des deux Adams [sic]. » J.-N. Aletti, Saint Paul, Epître aux Philippiens, Editeurs J. Gabalda & Cie, Paris, 2005, 151, écrit : « Pour le substantif μορφὴ, avant d’aller chercher son sens dans un quelconque arrière-fond grec ou juif, voire biblique (LXX), il importe de tenir compte des parallélismes des v. 6-8… »

[274] [689] Lightfoot, cité par Macleod, op. cit., 261.

[275] [690] Bruce, op. cit., 79ss.

[276] [691] Blocher, op. cit., 175. Bonnard, qui semble aller dans ce sens, op. cit., 42-43, écrit : « C’est ce qui amène des exégètes de plus en plus nombreux à traduire le mot par un terme français qui ne décrit ni la nature ni l’apparence du Christ, mais, plus généralement, sa condition, sa “position”, ou sa gloire. » Son développement nous révélera toutefois qu’il identifie le Christ à la figure de l’homme céleste, considéré par Paul comme le second Adam.

[277] [692] R.-M. Morlet, L’épître de Paul aux Philippiens, Edifac, Vaux-sur-Seine, 1985, 101.

[278] [693] Henry, art. cit., col. 24. 

[279] [694] Morlet, op. cit., 101.

[280] [695] Au passé ou au futur ?

[281] [696] C’est l’interprétation de Reymond, op. cit., 262, et de Cullmann, op. cit., 154. A priori, c’est son parallélisme antithétique entre Adam et l’homme céleste qui l’oriente vers cette interprétation. A propos de l’égalité avec Dieu, il écrit, 156 : « Dieu, à cause de l’obéissance témoignée par le Fils de l’homme Jésus, confère désormais à celui-ci son propre nom avec toute sa souveraineté. L’égalité avec Dieu, cette égalité que l’homme céleste, dans son obéissance, n’avait pas voulu « ravir comme une proie », il la reçoit maintenant de Dieu lui-même. (…) Mais maintenant, grâce à son obéissance, s’y ajoute l’égalité avec Dieu, par l’exercice total de la souveraineté divine. Dans tout cela, nous n’avons nullement affaire à des spéculations sur les “deux natures”, mais à l’histoire du salut : quelque chose de nouveau s’ajoute à la fonction de Jésus. »

[282] [697] Henry, art. cit., col. 27.

[283] [698] Collange, op. cit., 90.

[284] [699] Suivi également par Martin, op. cit., xxii.

[285] [700] Blocher, op. cit., 177.

[286] [701] Bruce, op. cit., 80.

[287] [702] Aletti, op. cit., 155.

[288] [703] Ibid., 157, note 150.

[289] [704] Henry, art. cit., col. 27.

[290] [705] Morlet, op. cit., 102.

[291] [706] Collange, op. cit., 90. Bonnard, op. cit., 43, écrit à propos du mot ἴσα : « Ce mot ne décrit pas une qualité, comme le ferait un adjectif, ni une propriété divine, mais un comportement pratique. » De même, S. Boulgakof écrira, op. cit., 142 : « (…) expression qui ne se rapporte point à la nature, mais précisément à la condition de l’être. »

[292] [707] Bonnard, op. cit., 43. Voir Rm 4.14, 1 Co 1.17 et 2 Co 9.3. Il est employé une seule fois à l’actif en 1 Co 9.15. Voir aussi O’Brien, op. cit., 117.

[293] [708] Berkhof, op. cit., 327; Henry, art. cit., col. 28.

[294] [709] Comme l’a écrit Henry, art. cit., col. 28 : « L’objet du verbe n’est pas autrement exprimé que par le pronom “personnel”, mais le contenu concret à tirer du contexte ne laisse guère de doute : l’opposition οὐχ… ἀλλά montre que l’objet de l’inanition est, non pas précisément le ἐν μορφῇ θεοῦ ὑπάρχων dont le verbe d’ailleurs suggère la permanence, mais la “condition d’égalité avec Dieu”. C’est la seule interprétation possible… »

[295] [710] Idem.

[296] [711] Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce verbe, chez Paul, « décrit l’humilité de l’apôtre à l’égard des Eglises (2 Co 11.7) ou son humiliation par Dieu au sujet de cette même Eglise (2 Co 12.21) ; dans notre épître, il décrit la condition matériellement précaire de l’apôtre (4.12). C’est donc un terme de résonance très pratique, c’est dans ce sens, déjà, qu’il apparaît dans Es. 53.8 qui est peut-être le prototype direct de notre texte : “… il a été enlevé par l’oppression et le jugement. » (Bonnard, op. cit., 45)

[297] [712] Berkhof, op. cit., 327.

[298] [713] Voir Fee, op. cit., 210. Comme il l’écrit, « il s’agit d’une métaphore pure et simple ».

[299] [714] Blocher, op. cit., 179.

[300] [715] Bonnard, op. cit., 44.

[301] [716] Calvin, op. cit., II.xiii.2, 414.

[302] [717] Blocher, op. cit., 172.

[303] [718] Comme l’a remarqué D.A. Carson, The Gospel According to John, Apollos/Eerdmans Publishing Company, Leicester/Grand Rapids, 1991, 126, ce mot n’avait plus été utilisé depuis le verset 1.

[304] [719] Voir Carson, op. cit., 126-128 ; G.R. Beasley-Murray, John, Word Biblical Commentary, Word Books Publisher, Waco, 1987, 13-15 ; P. Prigent, Heureux ceux qui croient, lecture de l’Evangile selon Jean, Editions Olivétan, Lyon, 2007, 20-21.

[305] [720] Pour Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Evangile de Saint Jean, Editions du Cerf, Paris, 1998, 115ss, la phrase de l’évangéliste, « le Verbe s’est fait chair », renvoie dos à dos l’erreur d’Eutychès (« cela signifie qu’il [le Verbe] a assumé la chair, et non que le Verbe lui-même soit la chair elle-même », 117) et celle de Nestorius (« C’est pourquoi si, dans le Christ, autre est la personne du Verbe et autre la personne de l’homme, la parole de l’évangéliste LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ne sera pas vraie. En effet, c’est pour être que quelque chose se fait ; si donc le Verbe n’était pas homme, on ne pourrait pas dire qu’il s’est fait homme. » 119).

[306] [721] Blocher, op. cit., 172-173.

[307] [722] M.J. Harris, The Second Epistle to the Corinthians, New International Greek Testament Commentary, Eerdmans Publishing & Co., Grand Rapids, 2005, 578, écrit : « Le parallèle entre ἡ χάρις τοῦ θεοῦ au v. 1 et ἡ χάρις τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ est évident. De la même manière que la grâce de Dieu s’est manifestée par le don généreux des Macédoniens (v. 2) et leur don d’eux-mêmes (v. 4), ainsi la grâce de Dieu a été manifestée dans le don généreux de lui-même. »

[308] [723] P. Jones, La deuxième épître de Paul aux Corinthiens, Edifac, Vaux-sur-Seine, 1992, 133.

[309] [724] Voir aussi Harris, op. cit., 578-581 ; M. Carrez, La deuxième épître de Saint Paul aux Corinthiens, Labor & Fides, Genève, 1986, 182-183 ; E.-B. Allo, Saint Paul, Seconde Epître aux Corinthiens, Editeurs Gabalda & Cie, Paris, 1937, 217.

[310] [725] Les textes de Westminster, Editions Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, chap. ii, 6-8.

[311] [726] Précisons que ces propriétés se rapportent aux personnes divines mais ne caractérisent pas l’essence divine. Voir à ce sujet Macleod, op. cit., 161.

[312] [727] Voir à ce sujet les propos d’Athanase rapportés chez J.N.D. Kelly, Initiation à la doctrine des Pères de l’Eglise, Editions du Cerf, Paris, 1968, pp. 253-255. Kelly résume la pensée d’Athanase, 254, ainsi : « Dieu, dit-il, ne peut jamais être sans son Verbe, pas plus que la lumière ne peut cesser de briller ni la source d’un fleuve de couler. Aussi le Fils doit-il exister éternellement avec le Père. La raison en est que sa génération est un acte éternel… »

[313] [728] Examinant la théologie de la kénose selon un point de vue réformé évangélique, nous ne traiterons pas, dans le cadre de notre étude, du sujet de la double procession de l’Esprit Saint. A ce sujet, voir Macleod, op. cit., 170-179 ; S. Ferguson, L’Esprit Saint, Excelsis, Charols, 1999, 80-85.

[314] [729] Voir G. Bray, La doctrine de Dieu, Excelsis, Charols, 2001, 161ss. Il écrit, 164-165, à propos de la différence qui existait entre l’engendrement du Fils et la procession de l’Esprit : « Grégoire [de Nazianze] ne put l’expliquer et la considéra comme un mystère. Mais il était tout à fait sûr qu’il ne s’agissait pas d’une simple différence de mots exprimant la même chose ; c’était donc une erreur de suggérer, comme le faisaient certains, que le Fils et le Saint-Esprit étaient jumeaux. Pour nous, cette idée peut sembler tirée par les cheveux, mais ce qu’elle exprime, c’est l’impossibilité de considérer le Saint-Esprit comme un remplaçant éventuel du Fils en tant que médiateur entre Dieu et les hommes. »

[315] [730] Calvin, op. cit., I. XIII. 18, 99, écrit : « C’est pourquoi le Fils est dit procéder du Père seulement, et l’Esprit de l’un et de l’autre. » G. Emery, La Trinité, Editions du Cerf, Paris, 2009, 153, écrit : « Suivant saint Thomas d’Aquin, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il n’y aurait plus de distinction réelle entre la filiation du Fils et la procession du Saint-Esprit : ces deux relations seraient confondues et nous ne pourrions plus concevoir l’altérité personnelle du Fils et du Saint-Esprit. La confusion est précisément écartée par le fait que le Saint-Esprit possède une relation d’origine envers le Fils. Il ne suffit pas d’affirmer que le Fils et le Saint-Esprit se distinguent en vertu de leur relation au Père… , mais il faut encore reconnaître que le Fils est de quelque façon le principe de la procession du Saint-Esprit. »

[316] [731] Voir son Commentaire sur l’Evangile selon Jean, t. II, op. cit., 41-43. Son argumentation est basée sur les deux expressions « par lui » (qui se réfère à la création) et « en lui » (qui en appelle à la conservation).

[317] [732] Commentaire sur l’évangile selon Jean, t. II, 113.

[318] [733] C’était d’ailleurs le fondement des conciles de Nicée, de Constantinople et de Chalcédoine où la consubstantialité du Fils avec le Père, et du Fils avec l’humanité fut reconnue. Pour les premiers chrétiens, la vraie divinité du Fils n’était donc pas compromise par son union à la nature humaine.

[319] [734] Kelly, op. cit., 295. Macleod, op. cit., 242, note 3, écrit : « Cyrille insistait sur le fait qu’aucune des natures n’était changée par l’incarnation. Par exemple, dans sa Seconde Lettre à Succensus, il écrit : “La nature de la Parole n’a pas été transférée à la nature de la chair, ni celle de la chair à celle de la Parole [”] (cité par L.R. Wickham, op. cit., 89). »

[320] [735] F. Godet, Commentaire sur l’Evangile selon Jean, t. II, 251-252, écrit : « Nous connaissons un fait positif qui suffit à expliquer le est monté en l’appliquant à Jésus lui-même ; c’est celui qui s’est passé à son baptême. Le ciel alors lui fut ouvert ; il y plongea ses regards ; il lut dans le cœur de Dieu et il connut à ce moment tout ce qu’il devait révéler aux hommes du plan divin, les choses célestes. A mesure que lui fut rendue la conscience de sa relation éternelle de Fils avec le Père, la connaissance de l’amour de Dieu envers l’humanité en résulta nécessairement. … Le ciel est un état avant d’être un lieu. Comme le dit Gess : “Etre dans le Père, c’est être dans le ciel.” (…) “Personne n’est monté…” signifie donc : “Personne n’est entré dans la communion de Dieu et ne possède par là une connaissance intuitive des choses divines pour les révéler à d’autres, que celui à qui le ciel a été ouvert et qui y habite en ce moment même. » Il écrira tout de même un peu plus loin, 253 : « Le Seigneur menait parallèlement deux vies, une vie terrestre et une vie céleste. »

[321] [736] Les théologiens ont pris l’habitude de relever les prépositions distinctives attribuées aux personnes de la Trinité : ἐκ, διά et ἐν. « Tout vient du Père par le Fils dans l’Esprit. » (Cyrille d’Alexandrie, Dialogue sur la Trinité, t. III, dialogues vi et vii, Editions du Cerf, Paris, 1978, 39.) Il convient de préciser que Cyrille utilise la préposition παρὰ à propos du Père ; l’idée de primauté du Père est toutefois conservée.

[322] [737] On a malheureusement trop souvent insisté sur la médiation du Christ dans la rédemption alors que celle-ci a pour support la médiation du Christ dans la création. Voir à ce sujet Calvin, op. cit., II. vi. 1-2 ; P. Wells, De la croix à l’Evangile de la croix, Excelsis, Charols, 2007, 183-186.

[323] [738] Ibid., 181. Voir également Calvin, op. cit., II. xii. 1-4 et xiv. 1-4.

[324] [739] Cf. supra.

[325] [740] Voir Kelly, op. cit., chap. x, 163ss.

[326] [741] Voir, par exemple, Calvin, op. cit., lI. xiii. 26. Emery, op. cit., 136, écrit : « La doctrine catholique et orthodoxe écarte tout ce qui entraînerait une infériorité du Fils et du Saint-Esprit par rapport au Père. Le Fils est consubstantiel au Père, il reçoit la même substance que le Père, la même nature divine et la même puissance, la même opération. (…) Le Père et le Fils sont un en toute chose sauf en ce qui concerne leurs relations personnelles et leurs propriétés… Dans le Père, dans le Fils et dans le Saint-Esprit, la nature divine est donc identique et la même. »

[327] [742] Voir Calvin, op. cit., I. xiii. 23, 25.

[328] [743] Blocher, op. cit., 140. 

[329] [744] Voir, par exemple, Jn 14.28, 16.7, Mc 13.32, etc.

[330] [745] Ibid., 141.

[331] [746] Idem. Voir également Calvin, op. cit., I. xiii. 18, 99, qui écrit : « Dans l’éternité, il ne faut chercher ni premier, ni second – on observe, cependant, un ordre entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, selon lequel le Père est nommé le premier, ensuite le Fils comme venant de lui, et enfin, le Saint-Esprit comme procédant des deux. »

[332] [747] Calvin parlera aussi de la personne du Médiateur. Calvin, op. cit., I. xiii. 26, p. 109, écrit : « Qu’il soit clair que toutes les fois que Jésus-Christ, en la Personne du Médiateur, s’adresse à son Père sous le nom de Dieu, est comprise sa divinité en tant que Fils. »

[333] [748] Voir également Wells, op. cit., 193, note 18.

[334] [749] Crisp, op. cit., 127, note 18.

[335] [750] Voir l’une des citations de Frédéric Godet à ce sujet, supra.

[336] [751] Gretillat, op. cit., 191.

[337] [752] Voir l’une des nombreuses formules lapidaires d’A. Arnal, op. cit., 415 : « Il était Dieu, il s’est fait homme, il est redevenu Dieu. »

[338] [753] Voir Calvin, op. cit., I. XIII. 19 ; Macleod, op. cit., 168-170 ; Kelly, op. cit., 275ss ; Bray, op. cit., 162. G. Bray écrit, 166, que « celle-ci [la doctrine de la co-inhérence] apporta une telle contribution à la lutte contre les hérésies de l’époque qu’il faut la considérer comme un trait de génie. Elle permit aux chrétiens d’affirmer que chacune des personnes était pleinement divine sans pour autant les confondre l’une avec l’autre. Plus tard, elle allait permettre à Calvin de dire que chacune des personnes révélait nécessairement les autres en se révélant elle-même… »

[339] [754] Voir, par exemple, Jn 14.11, 17.21, etc.

[340] [755] Macleod, op. cit., 168.

[341] [756] Ibid., 169.

[342] [757] Voir Bray, op. cit., 167.

[343] [758] Berkouwer, op. cit., 30.

[344] [759] Les références bibliques sont nombreuses : Dt 32.4, 37 ; 1 S 2.2 ; 2 S 22.3ss ; Ps 18.3, 32 ; Es 26.4 ; etc.

[345] [760] Voir, par exemple, son usage en Jg 20.1, 11 ; etc. Son usage est différent du terme hébreu qui met l’accent sur l’unicité exclusive.

[346] [761] Par exemple, Dieu est lumière, tout comme Il est amour (1 Jn 1.5 ; 4.8). C’est pour cela qu’il nous paraît plus approprié de parler d’attributs ou de prédicats (font référence à l’être et contiennent l’idée de simplicité) que de propriétés (font référence à l’avoir et contiennent l’idée d’une division). Voir W. Grudem, Systematic Theology, Zondervan, Grand Rapids, 2000, 177-181 ; Gétaz, op. cit., 81 ; Bray, op. cit., 95-98.

[347] [762] Gétaz, op. cit., 81.

[348] [763] Idem.

[349] [764] F. Godet et A. Ritschl (1822-1889) étaient contemporains. Voir la contribution de B. Reymond, « Lectures et réception de Ritschl parmi les francophones », Albrecht Ritschl, Pierre Gisel, Dietrich Korsch et Jean-Marc Tétaz (sous dir.), Labor & Fides, Genève, 1991, 183-200, et particulièrement 196 à 200.

[350] [765] Gétaz, op. cit., 79. Blocher, op. cit., écrira, quant à la notion d’amour sur laquelle nous reviendrons, 171 : « Le malentendu a chez les modernes un cachet romantique : l’amour est associé à la dissolution de soi, et au suicide. »

[351] [766] Voir F. Godet, Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, t. II, op. cit., 85.

[352] [767] J. Brun, L’Europe philosophe, 25 siècles de pensée occidentale, Stock, s.l., 1997, cite Hegel, Leçons sur la philosophie de la religion, 275 : « La nature humaine et la nature divine en soi ne sont pas différentes. »

[353] [768] Berkhof, op. cit., 328.

[354] [769] E. Brito, La christologie de Hegel, Verbum Crucis, Beauchesne Editeur, Paris, 1983, 550-557. Il écrit, p. 553, note 93 : « Les kénoticiens allemands du xixe siècle écrivent sous l’influence de Hegel, pour qui le sujet absolu, afin de devenir concret et pour-soi, se rend fini dans la nature et dans l’histoire du monde… » Cf. Pannenberg, op. cit., 406.

[355] [770] Brun, op. cit., 271.

[356] [771] Calvin, op. cit., I, xiii. 9, 89, à propos du Ps 45.7, écrit : « A cela, je réponds que nulle part, dans l’Ecriture, le Saint-Esprit ne dresse un trône éternel à quelque créature que ce soit et celui dont il est parlé là, non seulement est nommé Dieu, mais aussi souverain à jamais. »

[357] [772] Comme nous l’avons vu, supra, c’est parce que les kénotistes ne reconnaissent pas l’aséité du Fils de Dieu, en raison de leur subordinationisme ontologique, que ceux-ci admettent l’hypothèse de la kénose du Fils. Bien entendu, cela pose également problème ; le fait que le Christ s’approprie sans réserve le nom de l’Eternel, Je Suis – Jn 8.58 par exemple –, démontre sa divinité et donc son aséité. Tout ce qui est dit de l’Eternel dans l’Ancien Testament s’applique à Jésus-Christ dans le Nouveau Testament. Voir Calvin, op. cit., I. xiii. 23, 104 ; Wells, op. cit., 51-55.

[358] [773] Blocher, op. cit., 171.

[359] [774] Bovon, op. cit., 112-113. Cf. citation de Gretillat, supra.

[360] [775] Arnal, op. cit., 96.

[361] [776] Là encore, comme nous l’avons vu plus haut au sujet de l’espace et du temps, les kénotistes appliquent à la description de la réalité de Dieu des opérateurs logiques humains. Dire que Dieu ne peut pas pécher, c’est déjà en admettre l’éventualité. Dans le cas de Christ, pourquoi devrions-nous postuler a priori qu’un homme a nécessairement la possibilité de pécher ?

[362] [777] Voir son Commentaire sur l’Evangile selon Saint Jean, op. cit., t. II, 71.

[363] [778] Selon son raisonnement, si Frédéric Godet avait souscrit à l’hypothèse de W.-F. Gess sur ce point, il n’aurait pu revendiquer la divinité essentielle de Jésus-Christ et aurait été forcé de reconnaître que ce n’est pas le Logos qui s’est incarné. 

[364] [779] Gretillat, op. cit., 195.

[365] [780] E. Bertrand, Une nouvelle conception de la rédemption, La doctrine de la justification et de la réconciliation dans le système théologique de Ritschl, Librairie Fischbacher, Paris, 1891, 194.

[366] [781] Blocher, op. cit., 171. Pour D. Macleod, op. cit., 226, c’est une personne, pas une nature qui a été faite chair, et « ce seul fait est probablement suffisant pour empêcher que l’on comprenne l’incarnation comme une conversion (d’une nature en une autre) ».

[367] [782] Bovon, op. cit., 113-114.

[368] [783] Ibid., 115.

[369] [784] Comme nous l’avons déjà mentionné supra.

[370] [785] Arnal, op. cit., 389.

[371] [786] Voir Blocher, op. cit., 164-167, particulièrement les pages 166 et 167. Citation 167.

[372] [787] Cf. supra.

[373] [788] Cf. supra.

[374] [789] Wennagel, op. cit., 67.

[375] [790] Cf. citations de Frédéric Godet, supra, 21 et 44.

[376] [791] Wennagel, op. cit., 67-68, écrit : « Sa sainteté humaine, possible grâce à l’absence du péché originel, et réalisée au prix de la tentation et de la lutte, n’est plus la conséquence de sa divine préexistence. Ce qui permet à sa mort d’être expiatoire, ce n’est pas la préexistence, c’est la sainteté parfaite de la victime… La préexistence ne forme donc plus ici la base même de la christologie, et la négation de la préexistence n’entraîne pas forcément la négation de toute l’œuvre rédemptrice… Son caractère de Sauveur… , au point de vue de la kénose, est concevable, à la rigueur, sans la préexistence. » Le but de son ouvrage est justement de rappeler l’importance de la préexistence éternelle du Christ, d’un point de vue kénotiste, dans notre doctrine et dans notre expérience religieuse.

[377] [792] C’est ce que nous appelons en théologie la connaissance moyenne. Commentaire sur l’Evangile de Saint Luc, op. cit., 301.

[378] [793] Wennagel, op. cit., 84ss.

[379] [794] Dabney, op. cit., 473.

[380] [795] Pour Calvin, op. cit., II. xii. 1, même si l’homme n’avait pas péché, « sa condition aurait été trop basse pour pouvoir s’élever à Dieu sans Médiateur » (citation 402).

[381] [796] Ibid., II. XII. 2, 402.

[382] [797] Voir le Catéchisme de Heidelberg, Editions Kerygma, Aix-en-Provence, 1986, 29-30, question 17.

[383] [798] Voir Wells, op. cit., chap. xiii, 181-197. Il écrit, pp. 181-182 : « C’est ainsi que le médiateur se place entre Dieu, la partie offensée, et les hommes, les pécheurs coupables, pour les rétablir dans la faveur de Dieu… Christ est médiateur dans un sens spécial, parce qu’il est, en même temps, Dieu et homme à cause du plan de salut et de l’incarnation… La personne de Christ en tant que médiateur coïncide avec son action vicaire, dans laquelle il est un substitut se tenant à la place d’autres et agissant pour leur compte. En tant que médiateur entre Dieu et l’homme, Christ est plus qu’un simple représentant, il est un véritable substitut, portant les péchés de son peuple de manière sacrificielle. » Il poursuit, p. 189, par cette remarque pertinente : « Tous les médiateurs précédents de l’alliance n’ont pas atteint leur but, parce que s’ils étaient médiateurs dans leur mission et leur fonction, ils ne l’étaient pas dans leur personne. » Voir aussi Calvin, op. cit., II. xii. 1-3. Il écrit, p. 403 : « Il était tout particulièrement utile que celui qui devait être notre Rédempteur soit Dieu et homme, parce qu’il fallait qu’il engloutisse la mort. Et qui pouvait en venir à bout, sinon la Vie ? C’était à lui de vaincre le péché ; et qui pouvait le faire sinon la justice ? C’était à lui de détruire les puissances du monde et de l’air ; qui pouvait remporter une telle victoire, sinon celui qui est la Puissance qui surmonte toute domination ? Or, où se trouve la vie, la justice et la puissance du ciel, sinon en Dieu ? »

[384] [799] Dabney, op. cit., 473. Il ajoute, p. 474, que si le Christ n’avait pas été à la fois vrai homme et vrai Dieu, celui-ci n’aurait pu être le médiateur des saints de l’ancienne alliance. Voir également Calvin, op. cit., II. vi. 2.

[385] [800] Voir, par exemple, Les textes de Westminster, op. cit., chap. viii.

[386] [801] Nous n’avons pas la place d’aborder le sujet de manière exhaustive, mais il serait intéressant de considérer les « incarnations temporaires » du Logos sous l’Ancienne Alliance, en la personne de l’Ange de l’Eternel. Voir Calvin, op. cit., I. xiii. 10, 90-91. Il écrit, p. 91 : « Bien que le temps où il devait s’abaisser et s’assujettir n’était pas encore venu, Christ a cependant déjà donné des signes préfigurant l’office qui serait le sien. » Nous constatons que, dans l’Ecriture, l’interaction entre le spirituel et le matériel est surprenante, parfois étonnante : nous voyons l’Ange de l’Eternel apparaître sous une forme humaine (Gn 18.1) et manger (18.7). Or, après sa résurrection, Jésus interpellera ses disciples qui croyaient voir un esprit en leur rappelant qu’un esprit n’a ni chair ni os, et en mangeant devant eux (Lc 24.37ss). Si le divin ne peut s’incarner sans renier sa propre nature, les apparitions de l’Ange de l’Eternel présupposent déjà des « kénoses temporaires » du Logos sous l’Ancienne Alliance !

[387] [802] Voir les citations de Frédéric Godet, supra. Cf. La Divinité de Jésus-Christ, op. cit., 25-28.

[388] [803] « Vous serez comme des Dieux”, avait dit le tentateur. C’était bien le but ; mais il ne le montrait que pour faire dévier l’homme du chemin. » F. Godet, La Divinité de Jésus-Christ, op. cit, 25. Voir infra, 33ss.

[389] [804] Voir à ce sujet P. Berthoud, En quête des origines, Excelsis/Kerygma, Charols/Aix-en-Provence, 2008, 234-238 ; H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2001², 75.

[390] [805] Voir à ce sujet Wells, op. cit., 188. Calvin, op. cit., II. xiv. 6, 427, écrit : « Nous reconnaissons que Jésus-Christ, en son humanité, est Fils de Dieu, pas comme les croyants qui le sont par adoption et par grâce, mais de façon véritable et naturelle, c’est-à-dire unique, ce qui le distingue de tous les autres. »

[391] [806] Il est intéressant de constater que le point de vue de F. Godet, à ce sujet, présente certaines similitudes avec la pensée d’A. Ritschl. Voir E. Christen, Le péché dans la théologie de Ritschl, thèse de licence en théologie, Imprimerie Eggimann & Cie, Genève, 1901, 76, qui écrit : « En d’autres termes, il n’y a qu’une différence quantitative entre la sainteté de Jésus et celle d’un homme de bien vivant selon la loi de Dieu, et l’attribut de la divinité que Ritschl maintient, et sur lequel il veut fonder sa christologie, est dépourvu de tout caractère d’absoluité. Car si la divinité de Christ ne réside que dans le fidèle accomplissement de sa mission révélatrice, dans le sentiment de l’indépendance de sa conscience religieuse vis-à-vis du monde et dans le fait qu’il est le Seigneur de la communauté chrétienne, de toute éternité le bien-aimé du Père à cause de qui l’Eglise est devenue l’objet de l’amour divin, nous ne sommes plus en présence d’une divinité incarnée, de l’esprit de Dieu manifesté en chair, mais bien plutôt d’une humanité divinisée, dont tous les traits portent la marque de l’homme. » Voir l’affirmation de F. Godet : « L’homme-Dieu est dans ce cas l’homme vrai, c’est-à-dire l’homme tel que Dieu l’avait éternellement conçu et voulu. » (« Jésus-Christ », art. cit., 158.) Voir également supra.

[392] [807] Voir supra.

[393] [808] Cf. supra.

[394] [809] Si le Logos ne peut pas s’incarner en possédant simultanément les deux natures divine et humaine sur terre, il ne le peut pas davantage après la glorification. Le problème reste entier. Soit le Christ retrouve sa nature divine, sans laisser sa nature humaine, et cela mène, logiquement, à un « panthéisme christianisé » : puisque Christ, qui n’est qu’un simple homme comme nous, a été divinisé après sa glorification, nous le serons également. Soit cela conduit à la cessation de l’incarnation après la glorification (incarnation limitée) lorsque le Logos retrouve sa divinité en laissant, cette fois, son humanité. Frédéric Godet choisit la première option, alors qu’A. Arnal, op. cit., 415, préfère la seconde ; quoi qu’il en soit, d’un point de vue biblique, les deux solutions sont une impasse.

[395] [810] Macleod, op. cit., 243-244. Oliver Crisp, quant à lui, ne repousse pas l’éventualité que le Logos, après la résurrection, ait pu communiquer certaines propriétés divines, telle l’omniscience, à sa nature humaine (op. cit., 150).

[396] [811] Cf. supra.

[397] [812] Macleod, op. cit., 258, pose la question de la manière suivante : « De plus, si l’existence de deux natures distinctes en une seule personne est impossible psychologiquement, cela signifie-t-il que Jésus, après avoir été glorifié, n’est plus un homme ? » 

[398] [813] Voir H. Bavinck, Reformed Dogmatics, Sin and Salvation in Christ, vol. III, Baker Academic, Grand Rapids, 2006, 309-310. Il rappelle que le Christ, comme second Adam, n’est pas venu dans des conditions identiques à celui du premier Adam ; il est venu comme un enfant, là où Adam était adulte, non pas dans un paradis, mais dans un monde pécheur où il a dû faire face à la tentation chaque jour et de toutes les manières. De plus, à la différence d’Adam, Christ est venu dans la forme d’une chair pécheresse (Rm 8.3), susceptible de souffrir et de mourir. La conclusion est sans appel : c’est pour cette seule raison que l’incarnation était un acte d’humiliation. 

[399] [814] Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, op. cit., 264.

[400] [815] Berkhof, op. cit., 329. Voir Bonhoeffer, op. cit., 145, qui écrit : « La divinité du Christ n’est pas rendue compréhensible, elle est par contre réduite du fait qu’une partie seulement devient homme. (…) Il faut sauvegarder comme principe théologique que là où Dieu est, il est présent tout entier. b) L’humanité du Christ n’est pas rendue compréhensible. L’humanité du Christ est simplement complétée par quelques qualités divines, si bien que Christ se rapproche en fin de compte d’un demi-dieu qui vit sur terre. »

[401] [816] Arnal, op. cit., 99, écrit : « Et c’est l’inoubliable mérite de l’école rationaliste d’avoir repoussé la personne métaphysique de Nicée et de Chalcédoine, son dualisme antilogique, antihistorique, antiévangélique, d’avoir contribué à nous rendre la personne vivante du Sauveur. »

[402] [817] Voir Jn 3.13 ; 1 Tim 3.16.

[403] [818] Voir Calvin, op. cit., II. xiv. 2.

[404] [819] Macleod, op. cit., 226.

[405] [820] Ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο et non pas ὁ λόγος ἄνϑρωπον ἔλαβον.

[406] [821] Voir supra.

[407] [822] Voir II. xiii. 4 et IV. xvii. 30.

[408] [823] D’où notre appellation, plus haut, d’extra-catholicum. Voir, à ce sujet, Helm, op. cit., chap. iii, 53-92, qui cite Athanase et Thomas d’Aquin.