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Courrier reçu – Calvin et la science

COURRIER REÇU

 

CALVIN ET LA SCIENCE

 

 

Dans son commentaire sur la Genèse, chapitre 1, verset 16, Calvin écrit:

 

«J’ai dit que Moïse ne devise point subtilement, comme un philosophe1, des secrets de la nature, ainsi qu’on peut voir en ces paroles… Moïse fait deux grands luminaires et toutefois les astronomes prouvent par de vives raisons que le signe de Saturne, qui apparaît le moins de tous, parce qu’il est le plus loin, est plus grand que celui de la lune. Voici la différence: c’est que Moïse a écrit populairement ce que tous les simples peuvent comprendre sans lettres ni doctrine, et les philosophes cherchent avec grand labeur tout ce que l’ingéniosité et la vivacité humaines peuvent comprendre. Il ne faut pas réprouver cette étude-là ni condamner la science, comme certains ont accoutumé de rejeter audacieusement tout ce qui leur est inconnu. Car l’astronomie n’est pas seulement plaisante à savoir mais aussi fort utile, et on ne saurait nier que cet art-là n’explique une admirable sagesse de Dieu. C’est pourquoi, de même qu’il faut louer tous les gens ingénieux qui se sont utilement employés en cette partie, de même ceux qui ont le loisir et le moyen ne doivent point mépriser un tel exercice. Et aussi Moïse ne nous a point voulu retirer de cette étude en omettant ce qui était propre à l’art, mais parce qu’il était ordonné maître tant pour les simples et les ignorants que pour les savants, il ne s’est autrement pu acquitter de son devoir qu’en s’abaissant à cette façon grossière. S’il eût parlé de choses inconnues, les idiots et les ignorants eussent pu prétendre que ces choses étaient trop hautes pour leur capacité.

»Bref, parce que l’Esprit de Dieu ouvre ici une école commune à tous, ce n’est point merveille s’il choisit principalement les choses que tous peuvent entendre. Si un astronome cherche les vraies dimensions du ciel, il trouvera que la lune est moindre que Saturne. Mais cela est caché, car il apparaît autrement à l’œil. Moïse s’adresse donc principalement à l’usage. Car puisque le Seigneur tend, par manière de dire, la main jusqu’à nous quand il nous fait jouir de la splendeur du soleil et de la lune, quelle ingratitude serait-ce de faire semblant de ne pas voir une telle expérience! Il ne faut point donc que les subtils se moquent de Moïse comme s’il était ignorant en faisant de la lune le second luminaire, car il ne nous veut point faire monter au ciel mais seulement nous propose ce qui est apparu à nos yeux. Que les astronomes aient pour eux une connaissance plus haute, cependant ceux qui reçoivent par la lune la splendeur de la nuit sont convaincus par ce seul usage d’une vilaine et perverse ingratitude s’ils ne reconnaissent la bonté de Dieu.»

 

Les rapports entre la science et la foi reviennent régulièrement dans les débats d’idées, le plus souvent pour les opposer l’une à l’autre. Ainsi a-t-on pu voir dans des périodiques des titres assez ridicules, comme «Darwin contre Dieu».

 

Dans notre société superficiellement voltairienne, il est de bon ton d’affirmer que la foi, bien sûr obscurantiste, s’oppose aux progrès de la science.

 

Sans tomber dans l’anachronisme, il est intéressant de se demander comment Calvin voyait le sujet en prenant comme exemple le commentaire que le réformateur écrivit sur Genèse 1.16: «Dieu fit les deux grands astres, le grand pour dominer sur le jour et le petit pour dominer sur la nuit: (il fit) aussi les étoiles.»

 

On peut faire les remarques suivantes:

 

1. Calvin distingue entre ce que dit la science et ce que dit la Bible. Il prend l’exemple de Saturne: «Moïse fait deux grands luminaires et toutefois les astronomes prouvent par de vives raisons que le signe de Saturne, qui apparaît le moins de tous, parce qu’il est le plus loin, est plus grand que celui de la lune.» Il est intéressant de noter que Calvin distingue bien ce que dit l’auteur de la Genèse – pour lui Moïse, comme on le pensait à son époque – des récentes découvertes de l’astronomie de sont temps. En mentionnant Moïse, Calvin insiste sur le rédacteur humain comme pour mieux le différencier de l’Esprit qui est l’inspirateur de ce texte.

 

2. Calvin ne rejette nullement la science en l’opposant à la foi. «Il ne faut pas réprouver cette étude-là ni condamner la science, comme certains ont accoutumé de rejeter audacieusement tout ce qui leur est inconnu. Car l’astronomie n’est pas seulement plaisante à savoir mais aussi fort utile, et on ne saurait nier que cet art-là n’explique une admirable sagesse de Dieu.» On peut constater que, par la suite, la pensée calvinienne s’ouvrira aux nouvelles découvertes scientifiques ou techniques et on ne peut pas l’accuser d’obscurantisme.

 

3. Doit-on alors trouver une opposition entre le texte biblique et la recherche scientifique? Aujourd’hui, on explique le récit de Genèse 1 par le fait que le rédacteur y expose les connaissances propres à l’époque babylonienne. Calvin ne retient pas cet argument. Son explication est autre: «Voici la différence: c’est que Moïse a écrit populairement ce que tous les simples peuvent comprendre sans lettres ni doctrine, et les philosophes cherchent avec grand labeur tout ce que l’ingéniosité et la vivacité humaines peuvent comprendre.» Un peu plus loin, il précise l’intention de l’auteur: «Moïse ne nous a point voulu retirer de cette étude en omettant ce qui était propre à l’art, mais parce qu’il était ordonné maître tant pour les simples et les ignorants que pour les savants, il ne s’est autrement pu acquitter de son devoir qu’en s’abaissant à cette façon grossière. S’il eût parlé de choses inconnues, les idiots et les ignorants eussent pu prétendre que ces choses étaient trop hautes pour leur capacité.»

 

C’est une idée que l’on retrouve souvent chez Calvin: la Parole de Dieu n’est pas réservée à une élite, mais elle s’adresse à tous. Par exemple, dans le 42e sermon sur le Deutéronome: «Dieu ne s’est pas adressé à quelques docteurs seulement, mais il a communiqué sa voix à tout le peuple, jusques aux plus idiots.» C’est la même idée qu’il avance quand il compare Dieu à une nourrice qui bégaie en s’adressant à un enfant pour mieux se faire comprendre de lui. Dieu veut se mettre à notre portée.

 

4. On retrouve, par ailleurs, dans l’œuvre de Calvin des expressions qu’on rencontre dans son commentaire. Ainsi le mot «populaire» se lit dans l’Institution chrétienne à propos de la création des anges2. Calvin y écrit:

 

«Dans son récit sur la création, Moïse, afin de tenir compte de l’ignorance des simples, n’évoque pas d’autres œuvres de Dieu que celles que nous avons sous les yeux… Même si Moïse, qui s’exprime en langage simple et populaire, n’a pas mis dès le début les anges au nombre des créatures de Dieu.»

 

Dans son 4e sermon sur la Genèse, Calvin dit: «L’auteur sacré a usé d’un style rude et grossier… il s’est conformé à la rudesse et débilité des hommes afin que selon notre mesure, nous concevions ce qui nous est nécessaire pour nous instruire en la crainte de Dieu et en la fiance de sa bonté.» Et toujours dans le même sermon: «Il a regardé à l’usage des hommes.»3

 

Et toujours dans ce sermon, on rencontre des réflexions sur les planètes et la relativité de leur grandeur. Les idées développées par Calvin dans son Commentaire sur la Genèse ne sont donc pas exceptionnelles.

 

5. Si Calvin paraît distinguer deux manières de connaître l’univers, il ne les oppose pas: «Il ne faut point que les subtils se moquent de Moïse comme s’il était ignorant en faisant de la lune le second luminaire, car il ne nous veut point faire monter au ciel mais seulement nous prose ce qui est apparu à nos yeux.» La description de la création de Genèse 1 ne nous révèle pas une vérité opposée à une autre: elle nous apprend que, quel que soit le regard avec lequel nous regardons l’univers, nous sommes conduits vers une même louange: «Que les astronomes aient pour eux une connaissance plus haute, cependant ceux qui reçoivent par la lune la splendeur de la nuit sont convaincus par ce seul usage d’une vilaine et perverse ingratitude s’ils ne reconnaissent la bonté de Dieu.» Plus loin, dans son commentaire du verset 20 de ce même chapitre, Calvin écrit: «Il nous faut plutôt écouter Moïse, qui a voulu nous ravir en admiration en nous faisant considérer les œuvres de Dieu.»

 

Il ne s’agit donc pas de deux connaissances qui s’opposeraient: le texte biblique ne nie pas la science mais oriente celle-ci vers la louange de Dieu.

 

6. C’est pourquoi on peut se demander si Calvin aurait approuvé la position des créationnistes qui réduisent le récit de la création à une conception scientifique. On peut se demander si, d’une manière perverse, le légitime respect que l’on doit au texte biblique ne cache pas ici l’orgueil spirituel d’un détenteur de vérité. De même d’ailleurs – on l’a vu dans une précédente citation – il ne peut y avoir de place pour un orgueil scientifique.

 

De plus, la théorie du dessein intelligent n’est pas satisfaisante: dans les religions dualistes, cette intelligence peut s’identifier au démiurge d’une création mauvaise.

 

Quand Calvin dit que Moïse a écrit «populairement», il ne faut pas prendre ce mot dans un sens péjoratif. On doit le comprendre comme «habituellement», «de sens commun». Ainsi nous savons que la terre tourne autour du soleil et nous continuons à dire que le soleil se couche à l’ouest. Ce sont deux niveaux de langage qu’un même individu peut employer sans sentir de contradiction. Ce sont deux manières de dire une même chose et qui peuvent conduire à la louange du créateur.

 

En conclusion, on peut dire que Calvin ne cherche pas dans l’Ecriture un moyen de défendre une opinion scientifique contre une autre: ce serait rester dans l’humain. Sa préoccupation ultime n’est pas de mettre en valeur une opinion humaine, mais de faire que le regard de l’homme, qu’il soit scientifique ou ignorant, soit dirigé non vers une autosatisfaction, mais vers une proclamation de la gloire de Dieu.

 

Alain G. Martin