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Comment Dieu est reconnu dans le monde

COMMENT DIEU EST RECONNU DANS LE MONDE 1

 

 

Jean CALVIN

 

 

Toutes les œuvres de Dieu manifestent sa gloire

Les êtres humains méprisent ces témoignages

Dans leurs erreurs, les hommes sont sans excuse

 

 

1. Dieu a imprimé des marques de sa gloire dans ses œuvres

 

Le bonheur suprême et le but de notre vie se trouvent dans la connaissance de Dieu2. Pour que personne n’en soit privé, Dieu non seulement a placé cette semence de religion, dont nous avons parlé, dans le cœur des hommes, mais il s’est grandement manifesté dans ce «bâtiment» si beau et si admirable que sont le ciel et la terre, bâtiment dans lequel il est présent journellement. Tous, en ouvrant les yeux, sont incapables de ne pas l’apercevoir.

 

L’essence de Dieu est incompréhensible au point que sa majesté semble cachée et échappe à nos sens3. Mais Dieu a imprimé, en ses œuvres, certaines marques de sa gloire si claires et si évidentes que toute excuse d’ignorance est ôtée aux humains, même les plus incultes et les moins intelligents4. C’est pourquoi le psalmiste peut s’écrier à bon droit que Dieu «s’enveloppe de lumière comme d’un manteau» (Psaume 104.2). C’est comme s’il disait que Dieu, en créant le monde, s’est en quelque sorte paré et revêtu d’ornements admirables de quelque côté qu’on les regarde. Dans le même Psaume, l’étendue des cieux est comparée à un pavillon royal que Dieu a lambrissé d’eaux, les nuées constituent le char de Dieu et les éclairs lui servent de messagers. Comme la gloire de sa puissance et de sa sagesse est plus évidente en haut, le ciel est souvent appelé son palais.

 

Tout d’abord, de quelque côté que nous portions le regard, nous apercevons une petite portion, ou au moins une étincelle, de la gloire de Dieu. Ensuite et surtout, nous ne pouvons contempler ce chef-d’œuvre du monde sans être comme éblouis. Aussi est-ce à bon droit que l’auteur de l’épître aux Hébreux dit que ce que l’on voit du monde «ne provient pas de ce qui est visible» (11.3), la création si bien réglée et ordonnée nous servant de miroir pour contempler Dieu qui, autrement, est invisible. Voilà pourquoi le psalmiste considère les astres comme doués de parole et leur attribue un discours accessible à tous les peuples, même les moins développés. Ce discours est un témoignage clair à la gloire de Dieu (Psaume 19.2-5). Paul le dit aussi de façon plus simple lorsqu’il déclare que ce qu’on peut connaître de Dieu a été manifesté aux hommes. En effet, «les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se voient fort bien depuis la création du monde» (Romains 1.20).

 

2. La sagesse de Dieu est évidente dans la création

 

La puissance admirable de Dieu nous est attestée tant dans le ciel que sur la terre de façon quasi infinie, non pas seulement par les choses secrètes qui requièrent une étude et des connaissances scientifiques, comme l’astronomie, la médecine et les sciences physiques, mais par tout ce qui est si apparent que les plus limités intellectuellement et les moins instruits ne peuvent ouvrir les yeux sans en être témoins5. Je reconnais que les personnes instruites ou averties et les scientifiques sont mieux placés pour comprendre les secrets de Dieu. Mais celles qui n’ont pas fait de telles études ne sont pas empêchées de voir tout l’art des œuvres de Dieu et ainsi d’admirer sa majesté. Il est bien vrai que lorsqu’il sera question en détail de la providence de Dieu pour discerner le mouvement des astres, déterminer leur position, mesurer les distances, noter leurs caractéristiques, beaucoup plus de compétences qu’on n’en trouvera chez la population ordinaire sont nécessaires. Mais les personnes peu instruites ou peu intelligentes, qui ne disposent que de leur vue, ne peuvent pas ignorer, même si elles le voulaient, l’ouvrage admirable de Dieu que sont les innombrables étoiles si grandes, si variées, si bien réglées. Aussi peut-on en conclure que Dieu manifeste sa sagesse, autant que cela est nécessaire, à tout être humain sur la terre. Il faut reconnaître aussi qu’il n’est pas donné à tous, mais seulement à un esprit extraordinairement vif et subtil, de découvrir la structure, les relations, les proportions, la beauté et le fonctionnement du corps humain et de ses membres, comme celui de Galien6, dont le grand savoir et l’habileté sont reconnus. Cependant, chacun en contemplant seulement le corps humain y perçoit une œuvre unique et exceptionnelle, dont l’auteur a droit à toute notre admiration.

 

3. L’homme témoigne de la sagesse de Dieu

 

Certains philosophes anciens ont dit, à juste titre, que l’homme est un petit monde, car il est un chef-d’œuvre qui nous permet de contempler la puissance, la bonté et la sagesse de Dieu et qui est le siège d’assez de miracles étonnants, si du moins nous ne dédaignons pas d’y arrêter notre esprit. C’est pourquoi aussi Paul, après avoir montré que Dieu peut être trouvé même en tâtonnant comme des aveugles, ajoute qu’il ne faut pas le chercher loin, car chacun perçoit en lui-même la grâce céleste qui nous vivifie tous (Actes 17.27-28). Or, si pour comprendre qui est Dieu, il ne faut point sortir de nous-mêmes, comment pardonner ou excuser l’indifférence de ceux qui, pour cela, ne daignent pas regarder en eux-mêmes pour trouver Dieu là où il habite? A ce propos aussi, David, après avoir célébré, en peu de mots, le nom de Dieu et sa majesté qui brillent partout, s’écrie immédiatement: «Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui?» (Psaume 8.5) Et: «Par la bouche des enfants et des nourrissons tu as fondé ta force» (8.3). Il propose un miroir bien clair de l’œuvre de Dieu dans le gouvernement commun du genre humain et il précise que les nourrissons ont des langues si éloquentes pour proclamer la gloire de Dieu qu’il n’est pas besoin d’autres discoureurs. Voilà pourquoi David n’hésite pas à utiliser, comme arme suffisante, la bouche des enfants dans le combat destiné à repousser ceux dont l’orgueil diabolique voudrait effacer le nom de Dieu. L’apôtre Paul évoque aussi un poète païen7 qui a dit que nous étions de la race de Dieu (Actes 17.28), lequel, en nous conférant une très grande dignité, s’est désigné comme notre Père. Voilà pourquoi d’autres poètes, écoutant ce que leur dictaient le sens commun et l’expérience, l’ont appelé Père des hommes. En fait, nul n’acceptera volontiers et de son plein gré de s’assujettir à Dieu pour lui plaire, à moins qu’il n’ait goûté son amour paternel qui le conduit à aimer Dieu en retour.

 

4. Ingratitude de ceux qui se détournent de Dieu

 

Voici une ingratitude vraiment grossière; alors qu’ils ont en eux et autour d’eux de beaux étalages et un nombre incalculable d’ouvrages magnifiques de Dieu, les hommes, au lieu d’entreprendre de le louer, se gonflent d’orgueil et d’égoïsme. Ils sentent comment Dieu travaille, de façon étonnante, en eux et l’expérience leur apprend quelle variété de dons il leur a libéralement accordée. Ils sont donc contraints, bon gré mal gré, d’admettre que ce sont autant de signes de sa divinité, mais ils les tiennent captifs en eux. Ils ne les montrent qu’en s’attribuant ce qu’ils ont reçu du ciel et ils gardent enfoui ce qui pourrait leur faire voir clairement Dieu.

 

Bien pire, il existe aujourd’hui des farfelus, comme faits en dépit du bon sens, qui, sans en avoir honte, s’attaquent à la graine de divinité qui est présente dans la nature des hommes, et s’en servent pour enterrer le nom de Dieu. Je vous le demande, n’est-ce pas une atroce folie que l’homme, qui perçoit cent fois Dieu dans son corps et dans son âme, prenne prétexte de l’excellence qu’il a reçue pour nier Dieu? De telles personnes ne diront pas que c’est par hasard qu’elles se distinguent des bêtes sauvages, mais en faisant de la nature un voile, elles la constituent «ouvrière et maîtresse» de toutes choses et mettent Dieu à l’écart. Elles louent la perfection de leurs membres depuis leurs yeux et leur visage jusqu’au bout de leurs ongles; là aussi, la nature supplante Dieu. L’agilité si rapide de l’âme, les facultés tellement remarquables, les pouvoirs si étonnants manifestent clairement la présence d’une divinité qui n’accepte pas aisément d’être piétinée. Et pourtant, les épicuriens saisissent l’occasion pour se comporter comme des géants, ou des hommes sauvages, et pour se lancer hardiment dans une guerre contre Dieu, comme s’ils étaient exemptés de lui être soumis8.

 

Quoi donc? Faudra-t-il que pour diriger un ver de cinq pieds, la sagesse du ciel ait à déployer ses trésors, tandis que le reste du monde sera privé d’un tel privilège? Dire, à la suite d’Aristote, comme ils le font, que l’âme est pourvue de facultés ou d’instruments relatifs à chaque partie du corps, loin d’obscurcir la gloire de Dieu devrait plutôt l’éclaircir9. Que les épicuriens me répondent, eux qui s’imaginent que tout provient de petites particules semblables à une menue poussière. Celles-ci volent en l’air et, par hasard, se rencontrent pour réduire la nourriture et les breuvages dans l’estomac et les transformer partie en sang, partie en déchets; elles procurent même à chaque membre de l’organisme le nécessaire pour qu’il accomplisse sa fonction, comme s’il y avait trois ou quatre cents âmes pour diriger un seul corps.

 

5. Confusion entre la créature et le créateur

 

Je laisse, pour le moment, ces «pourceaux en leurs étables»10 et je m’adresse à ces esprits légers qui tordraient volontiers, et contre son sens, l’affirmation d’Aristote11 aussi bien pour abolir l’immortalité de l’âme que pour dépouiller Dieu de son droit. Sous prétexte que les forces de l’âme sont utilisées pour diriger les parties du corps, ces rustres lient celle-ci au corps comme si elle ne pouvait pas subsister sans lui et, magnifiant la nature autant que cela leur est possible, ils tâchent d’étouffer le nom de Dieu. Or, il s’en faut de beaucoup que les pouvoirs de l’âme soient limités aux fonctions qui servent le corps. Je vous le demande, quelle correspondance y a-t-il entre des sens corporels et cette intelligence si haute et si noble qui permet de mesurer le ciel, de compter les étoiles, de déterminer la taille de chacune, la distance qui les sépare et de combien de degrés elles varient dans un sens et dans l’autre? Je reconnais que l’astronomie est utile pour la vie d’ici-bas et que quelques éléments de cette étude de l’âme l’est pour le corps. Mais l’âme a ses particularités spécifiques indépendantes des fonctions organiques ou instrumentales du corps, comme on lie ensemble deux bœufs ou deux chevaux pour traîner une charrue. J’ai donné un exemple; les lecteurs comprendront le reste.

 

Les capacités si diverses de l’âme qui lui permettent de parcourir le ciel et la terre, de lier les choses passées avec celles qui sont à venir, de se rappeler ce qu’elle a entendu il y a longtemps, et même d’imaginer ce qu’elle souhaite, sont autant de marques certaines de divinité en l’être humain. Il en va de même de la capacité à inventer des choses extraordinaires, ce qui justifie qu’on puisse l’appeler «la mère des choses étonnantes» puisqu’elle a donné naissance à la culture. De plus, pendant le sommeil, non seulement elle s’agite en tous sens, mais elle conçoit aussi de nombreuses choses bonnes et utiles, en comprend beaucoup et même va jusqu’à prévoir l’avenir. Qu’est-il permis de dire si ce n’est que les signes d’immortalité que Dieu a imprimés en l’homme ne peuvent pas s’effacer?12 Que l’homme soit divin permet-il à la raison de méconnaître son créateur? Peut-on dire que nous, qui ne sommes que poussière et pollution, avons été doués de la capacité de juger, gravée en nous, et du discernement entre le bien et le mal et affirmer qu’il n’y a aucun juge assis dans le ciel? Conserverons-nous quelque résidu d’intelligence, même en dormant, s’il n’y avait nul Dieu qui veille pour gouverner le monde? Serons-nous loués et complimentés pour l’invention de tant de choses précieuses et désirables tandis que le Dieu, qui nous a tout inspiré, sera dépouillé de toute louange? On le voit à l’œil nu, ce que nous avons est dispensé d’ailleurs, à l’un plus, à l’autre moins.

 

Certains racontent qu’une puissance immatérielle secrète tiendrait le monde en main, mais ils ne vont pas jusqu’à louer Dieu ; cela est une supposition non seulement froide et fade, mais entièrement profane13. Le propos du poète païen leur plaît, à savoir qu’il y aurait un esprit qui nourrirait et dirigerait le ciel et la terre, les champs, le globe de la lune et toutes les étoiles et, qu’étant présent partout, il entraînerait la masse, se mélangerait dans le grand tout, d’où proviendrait la vie des hommes, des bêtes, des oiseaux et des poissons. En toutes choses, il y aurait une étincelle de feu et une origine céleste. Or, c’est vraiment arriver à un point diabolique, de dire que le monde, créé pour manifester la gloire de Dieu, devient lui-même son propre créateur. Voilà comment l’expose Virgile, dont j’ai rapporté les propos, et qui représente l’opinion communément reçue chez les Grecs et les Latins: les abeilles possèdent quelque portion d’esprit divin et ont puisé dans le ciel quelque force puisque Dieu pénètre tout, la terre, la mer et le ciel. De là, les bêtes tant domestiques que sauvages, les êtres humains et toutes les choses tirent quelques petites portions de vie avant de les rendre et de retourner à leur origine. Ainsi il n’y a nulle mort ; tout s’envole au ciel avec les étoiles14.

 

Cette spéculation maigre et fade d’un esprit universel qui entretiendrait le monde en son état est considérée comme apte à susciter et nourrir une vraie piété en nos cœurs. Cela ressort encore mieux d’un abominable poète, nommé Lucrèce, qui aboie comme un chien pour anéantir toute religion, tirant de ce principe des raisons philosophiques pour ses blasphèmes15. Bref, le tout consiste à forger quelque divinité, fruit de spéculations, afin de chasser bien loin le vrai Dieu que nous devons adorer et servir16. J’admets volontiers que Dieu est nature, mais à condition qu’on le dise avec respect et d’un cœur pur; cependant, comme c’est une expression difficile et impropre, puisque la nature est plutôt un ordre établi par Dieu, il est mauvais et pernicieux, pour des sujets si importants qu’il faut traiter avec précaution, de confondre la majesté de Dieu avec la réalité inférieure de ses œuvres.

 

6. Des témoignages de la puissance de Dieu

 

Rappelons-nous, chaque fois que nous considérons notre état, qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui, parce qu’il gouverne tout, veut que nous regardions à lui, que notre foi s’adresse à lui, que nous le servions et l’invoquions. Il n’y a rien, en effet, de plus arbitraire et irrationnel que de jouir de grâces précieuses, qui témoignent en nous de la divinité, et de mépriser l’auteur dont nous les tenons.

 

Quant à la puissance de Dieu, les nombreux témoignages que nous pouvons en considérer ne devraient-ils pas nous éblouir? Il est évident, en effet, que pour soutenir cette «machine et masse» infinie que sont le ciel et la terre, une grande puissance est indispensable. Quelle souveraineté ne faut-il pas pour faire trembler le ciel et éclater les tonnerres, foudroyer ici et là, illuminer le ciel d’éclairs, lui donner les couleurs les plus sombres dans des tempêtes d’intensité diverses, le nettoyer et lui donner la couleur la plus claire en une minute. Oui, quelle souveraineté ne faut-il pas pour soulever les grands flots de l’océan, pour voir la mer immense menacer de submerger la terre, quand il plaît à Dieu de susciter des vents impétueux qui bouleversent tout et puis, soudain, de les stopper et de calmer les vagues.

 

Voilà à quoi se rapportent les louanges tirées des enseignements de la nature que l’on trouve dans les livres de Job et d’Esaïe, dont je ne dis rien pour le moment, car je le ferai au moment opportun en traitant de la création du monde selon l’Ecriture. Je me borne ici à montrer qu’il y existe une voie commune aux païens et aux familiers de l’Eglise pour chercher Dieu: à savoir observer les marques qui, du haut en bas, se présentent comme des portraits de lui. La puissance de Dieu doit nous conduire à discerner son éternité, puisque celui dont toutes choses tirent leur origine est éternel et n’a d’autre commencement que lui-même. Et si on se demande pour quelle raison Dieu a été incité à créer toutes choses au commencement et le pousse à les maintenir en leur état, on ne trouvera comme réponse que sa bonté qui, seule, si tout le reste n’existait pas, suffirait pleinement à nous le faire aimer car, comme le dit le psalmiste, «l’Eternel est bon envers tous et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres» (Psaume 145.9).

 

7. Témoignages de la justice de Dieu

 

La seconde catégorie des œuvres de Dieu qui inclut tout ce que nous voyons arriver en dehors du cours ordinaire de la nature, nous apporte des preuves de sa puissance aussi claires et évidentes que celles dont nous avons déjà parlé. En dirigeant le genre humain, Dieu gère sa providence de telle sorte qu’il se montre libéral en dispensant ses biens à profusion, mais n’en fait pas moins sentir ses jugements, étant clément envers ceux qui font le bien et sévère envers les méchants et les criminels. Les châtiments dont il frappe les mauvais actes ne sont point cachés. De même, les protections qu’il accorde de façon visible pour les actions bonnes et droites, en comblant de ses bienfaits ceux qui les accomplissent, les secourant dans leurs besoins, allégeant leurs épreuves et leurs douleurs, les relevant dans leurs calamités, contribuent de toutes manières et partout à leur salut.

 

Que Dieu permette souvent aux méchants de se réjouir pour un temps et de se féliciter qu’il ne leur arrive rien de mauvais et qu’à l’inverse ceux qui font le bien et ne commettent pas de mal se voient affligés, bousculés et opprimés par l’ambition et la cruauté des méchants, ne doit pas porter atteinte au principe immuable de sa justice. Bien au contraire, cela doit nous conforter dans l’idée que s’il laisse beaucoup de personnes impunies, c’est le signe qu’un jugement dernier leur est réservé. De même, que penser de la miséricorde de Dieu envers les pécheurs, quelle que soit leur misère, auxquels il persiste à accorder ses libéralités jusqu’à ce que sa douceur surmontant leur méchanceté les ramène à lui comme un père ses enfants, et même mieux qu’un père ne le ferait?

 

8. Témoignages de la providence de Dieu

 

Voilà pourquoi le psalmiste raconte comment Dieu agit soudainement et de façon admirable et inespérée en faveur des désespérés, les tirant de leur situation dramatique (Psaume 107.9ss). Il préserve des bêtes sauvages ceux qui errent dans des forêts et des déserts et leur fait retrouver leur route; il procure de la nourriture aux affamés et délivre les captifs jetés, chaînes aux pieds, dans des fosses profondes; il ramène au port et sauve ceux qui étaient comme engloutis dans la mer; il guérit ceux qui étaient à moitié moribonds; il accable les régions de chaleur et de sécheresse, ou il procure une humidité cachée à ce qui était sec pour le rendre fertile; il élève en dignité les plus méprisés du peuple; il abat et renverse les orgueilleux. Après de tels exemples, le psalmiste conclut que le hasard (comme nous l’appelons) est fait d’actes de la providence céleste et, surtout, de témoignages de la bonté paternelle de Dieu (v. 43)17. Il y a là autant d’occasions pour les croyants de se réjouir comme pour les méchants de se taire. Mais comme la plupart des hommes, immergés dans leurs erreurs, ne perçoivent rien de cela, le psalmiste conclut que c’est faire preuve d’une sagesse exceptionnelle que de reconnaître que de telles œuvres sont celles de Dieu, puisque ceux qui semblent les plus avertis et les plus intelligents, en les regardant, ne font aucun progrès. En fait, même si la gloire de Dieu est partout évidente, on trouvera à peine une personne sur cent qui sache la reconnaître.

 

Il est également possible d’affirmer que la puissance et la sagesse de Dieu ne sont pas cachées dans les ténèbres. Il en est ainsi toutes les fois que l’orgueil des méchants, invincible dit-on, est rabattu en un instant et abaissé, quand tous leurs remparts sont ruinés et rasés, leurs armes et leurs munitions brisées ou anéanties, leurs forces perdues et tout ce qu’ils combinaient raté. Bref, ils s’agitent avec impétuosité et fureur, mais leur fierté, qui s’élevait jusqu’aux cieux, s’écroule plus bas que terre. Il en est également ainsi, mais à l’opposé, toutes les fois que les pauvres et les êtres méprisés sont tirés de la poussière, les misérables sont retirés du fumier (113.7), les affligés et les persécutés sont libérés de leurs angoisses, les perdus sont rétablis, les personnes sans défense, peu aguerries et en petit nombre, particulièrement faibles et peu entreprenantes, sont pourtant victorieuses des ennemis qui les assaillent ouvertement avec vigueur et en nombre. N’y a-t-il pas là, je vous le demande, une puissance autre qu’humaine, qui vient du ciel pour être connue ici-bas? La sagesse de Dieu se magnifie bien clairement lorsqu’elle dispense toutes choses si bien et avec régularité, déjoue les subtilités du monde, surprend les plus rusés (1 Corinthiens 3.19) et, finalement, organise tout de la meilleure manière imaginable.

 

9. La vraie connaissance consiste à contempler Dieu dans ses œuvres

 

Nous voyons qu’il n’est pas nécessaire de prononcer de longs discours et d’avancer beaucoup d’arguments pour mettre en évidence les témoignages que Dieu a répandus pour éclairer et maintenir sa majesté. De la brève énumération que j’ai faite pour y attirer l’attention, il apparaît que n’importe où qu’on regarde, ces témoignages se trouvent devant nous, à notre portée, de telle manière qu’ils nous est impossible de ne pas les remarquer et les indiquer du doigt. De nouveau, nous pouvons noter, ici, que nous sommes invités à connaître Dieu, non pas comme certains l’imaginent, d’une manière légère et spéculative, mais de façon assurée et productive, si du moins nous comprenons cette connaissance correctement et l’enracinons dans notre cœur. Dieu se fait connaître à nous par ses qualités, dont nous percevons la réalité et la force en nous et dont les bienfaits nous sont dispensés. C’est pourquoi nous sommes beaucoup plus touchés, et à juste titre, par une telle connaissance qu’en imaginant un Dieu éloigné de nous dont on ne percevrait rien. Nous avons aussi à comprendre que la manière juste de chercher Dieu et la bonne attitude à avoir consiste, non pas à faire preuve de grande curiosité en examinant sa majesté, mais à contempler ses œuvres, qui nous le rendent proche et familier et, en quelque sorte, nous parlent. Paul a donné son point de vue à ce sujet en disant qu’il n’était pas besoin de le chercher loin puisque, par sa puissance évidente, il habite en chacun de nous (Actes 17.27). David a reconnu que la grandeur de Dieu dépasse tout ce qu’on peut imaginer et en fait une présentation en racontant ses œuvres (Psaume 145). Son enquête est celle qu’il convenait de faire pour connaître Dieu, elle exhorte nos esprits à l’admiration et les touche profondément. Comme Augustin le précise quelque part: parce que nous ne pouvons comprendre Dieu, défaillant face à sa grandeur, nous devons regarder ses œuvres pour être restaurés par sa bonté18.

 

10. Nécessité de la vie éternelle

 

Cette connaissance de Dieu doit nous inciter à le servir, mais aussi à susciter et confirmer l’espérance de la vie à venir. Puisque nous savons que les enseignements que Dieu nous donne de sa bonté et de sa puissance ne sont que partiels, nous avons à savoir que, par ce moyen, il ne fait que commencer ce qu’il poursuivra et achèvera dans l’autre vie19. Comme nous voyons que ceux qui font le bien sont outragés et opprimés par les autres, injuriés, calomniés, moqués et soumis aux opprobres tandis que les méchants réussissent, prospèrent, jouissent de considération, sont à leur aise, en repos et sans épreuves, nous devons en conclure immédiatement qu’une autre vie suivra celle-ci, dans laquelle l’iniquité aura sa punition et la justice son salaire. Bien plus, quand nous observons que les croyants endurent le plus souvent les corrections de Dieu, nous sommes assurés que les méchants n’échapperont point à ses coups. A ce propos, il y a une parole remarquable d’Augustin: Si tous les péchés étaient manifestement punis maintenant, on pourrait penser que rien ne serait réservé pour le jugement dernier20. De même, si Dieu ne punissait de façon exemplaire aucun péché maintenant, on ne croirait pas qu’il y ait une providence.

 

Il convient donc de reconnaître qu’en chaque œuvre de Dieu, et surtout globalement, ses vertus sont visibles comme peintes sur un tableau et qu’elles invitent le genre humain à faire la connaissance du grand artisan et, par elle, à goûter une pleine et vraie satisfaction. Bien que les qualités de Dieu soient ainsi saisies sur le vif et brillent dans le monde entier, il nous appartient de comprendre ce qu’elles évoquent, quels en sont l’usage et la finalité, lorsque nous descendons en nous-mêmes et considérons comment Dieu met en nous sa vie, sa sagesse et sa force et exerce à notre endroit sa justice, sa bonté et sa clémence. Bien que, non sans raison, David se plaigne que les hommes ne s’efforcent pas d’observer les recommandations profondes de Dieu pour se conduire (Psaume 92.7), il dit ailleurs une vérité, à savoir que la sagesse de Dieu, à cet égard, nous dépasse complètement. Comme ce point sera traité longuement plus loin, je vais vite maintenant21.

 

11. Contre la «chance»

 

Bien que Dieu nous présente, avec une grande clarté, dans ses œuvres, aussi bien sa majesté que son royaume immortel, nous demeurons, tant nous sommes lourds d’esprit, assez stupides pour ne point faire notre profit de ces témoignages si clairs et aucun fruit n’en sort. Et face à l’édifice du monde si beau, excellent et si bien conçu, lequel d’entre nous, levant les yeux au ciel ou les promenant par toutes les régions de la terre, invite son cœur à se souvenir du créateur au lieu de se limiter à jouir du spectacle en oubliant son auteur? En ce qui concerne les événements quotidiens qui sortent de l’ordinaire, la plupart d’entre nous, ou même tous, s’imaginent que c’est la roue de la fortune qui tourne et agite les hommes en tous sens, bref que tout va à l’aventure et n’est pas gouverné par la providence de Dieu. Même si, parfois, le cours des événements nous pousse finalement à considérer que Dieu en est l’auteur, après avoir eu quelque pensée pour Dieu, nous retournons rapidement à nos rêveries, qui nous satisfont, et nous portons ainsi atteinte, par notre vanité, à la vérité de Dieu. Certes, nous différons les uns des autres à cet égard, chacun commettant une erreur particulière. Mais il est un point sur lequel nous sommes tous semblables: nous sommes apostats, nous révoltant contre le seul Dieu et nous adonnant à nos abominables idolâtries, ce que font non seulement les esprits hauts et de qualité des petites gens, mais aussi ceux des plus nobles et des plus intelligents.

 

Je vous le demande, quelle sottise de taille les écoles philosophiques ont-elles exprimé? Même si nous n’évoquons pas la plupart de ceux qui ont parlé sans beaucoup réfléchir, que dirons-nous de Platon qui, ayant fait preuve de plus de sobriété et de religion que les autres, ne dit guère mieux, faisant de la chance sa première idée?22 Qu’attendre des autres puisque les maîtres et les chefs se sont trompés si lourdement? Bien que le fonctionnement des choses humaines mette en évidence, de façon claire et indéniable, la réalité de la providence de Dieu, les hommes cependant ne l’admettent pas. En tout cas, pas plus que si on disait que la chance tourne les choses n’importe comment, tant notre nature est attirée par l’erreur. Je parle toujours des plus dotés en savoir et en pouvoir et non de ces personnes légères qui se sont appliquées, tant et plus, à profaner la vérité de Dieu. C’est ainsi que le monde a été submergé par cette marée d’erreurs. Chacun a un esprit tortueux à la manière d’un labyrinthe, aussi ne faut-il pas s’étonner si les peuples se sont distraits par de nombreuses illusions et si, également, chaque homme a eu ses propres dieux.

 

La fierté et l’égoïsme s’ajoutant à l’ignorance et aux ténèbres, c’est à peine si l’on en trouverait un seul qui ne se soit pas forgé quelque idole ou fantôme à la place de Dieu. Comme les eaux bouillonnent au sortir d’une source importante, une troupe innombrable de dieux est sortie du cerveau des hommes, chacun s’égarant sans garde-fou et pensant follement ceci ou cela de Dieu. Il est inutile d’établir une liste et de dénombrer les superstitions dont le monde s’est rempli. Cela serait sans fin. Bien que je ne la décrive pas, la quantité d’abus et de tromperies relevés laisse bien voir combien l’esprit des hommes est frappé par un lamentable aveuglement.

 

Je ne parle plus, maintenant, du peuple qui est inculte et sans savoir. Je parle de la diversité navrante qui existe parmi les philosophes qui ont voulu s’élever au-dessus des cieux par leur raisonnement et leur science, selon les dons de chacun, selon les études faites et selon la réputation acquise dans l’art de colorer et de camoufler sa fantaisie23. Si on y regarde de près, on découvre que tout n’est que faux-semblant. Les stoïciens ont pensé avoir découvert la fève du gâteau, comme on dit, en affirmant que des différentes parties de la nature, on peut découvrir les attributs de Dieu, mais sans déchirer ou diviser son essence. Comme si nous n’étions pas déjà que trop enclins à la vanité, sans qu’on mette devant nos yeux une troupe de dieux bigarrés, qui nous transporte encore plus loin et avec impétuosité dans l’erreur!

 

La théologie des Egyptiens, qu’ils ont qualifiée de mystère, montre que tous ont mis beaucoup de soin pour ne pas donner l’impression de délirer24. Il est possible que les gens simples et peu avisés se soient laissés prendre par ce qu’ils prétendent. Il est vrai que l’homme n’a jamais rien inventé qui n’ait pour résultat de corrompre méchamment et de pervertir la religion.

 

Cette diversité confuse a encouragé les épicuriens et les athées profanes, qui méprisent la religion, à faire preuve d’audace et à rejeter tout sentiment de Dieu. En voyant les plus sages et les plus prudents aux prises avec des opinions contraires, ils n’ont point fait de difficulté, étant donné leurs désaccords, ou bien à cause de leurs opinions étonnantes ou absurdes, pour déduire que les hommes cherchent sans raison et follement bien des tourments en se préoccupant d’un Dieu qui n’existe pas. Ils ont pensé que cela leur était permis, parce qu’il vaut mieux nier Dieu de façon claire et nette que de forger des dieux incertains et, ensuite, de soulever des discussions sans issue. Il est vrai que ces personnes profitent brutalement, ou plutôt abusent, de l’ignorance des hommes comme d’un brouillard pour dissimuler leur impiété, car il ne nous appartient pas de dépouiller Dieu, même si nous en parlons de façon impertinente.

 

Puisque les païens ont affirmé qu’il n’y a rien sur quoi tant les savants que les ignorants sont plus en désaccord, on peut comprendre que la compréhension humaine est plus qu’obscurcie et aveugle en ce qui concerne les secrets de Dieu, car tous se trompent lourdement et diffèrent d’avis. Certains louent la réponse d’un poète païen nommé Symonide qui, étant interrogé par la roi Hiéron sur qui était Dieu, demanda le délai d’un jour pour y réfléchir25. Le lendemain, étant de nouveau sollicité, il demanda à doubler le délai; quand il eut demandé plusieurs prolongations, il répondit finalement que plus il appliquait son esprit à la question, plus il trouvait la chose obscure. Imaginons le cas d’un pauvre incrédule qui a agi prudemment en suspendant son jugement sur une chose inconnue de lui; il apparaît que si les hommes ne sont enseignés que par la nature, il ne sauront jamais rien de certain, de sûr ou de clair; ils seront seulement tenus attachés au principe confus d’avoir à adorer quelque dieu inconnu.

 

12. Il n’y a pas de connaissance naturelle de Dieu

 

Il faut noter que ceux qui abâtardissent la religion, comme le feront ceux qui suivent leur fantaisie, se détournent du vrai Dieu et se révoltent contre lui. Ils protesteront ne pas le vouloir. Mais il n’est pas question de juger selon leurs intentions, car le Saint-Esprit dit que tous se sont détournés de Dieu car, dans l’obscurité et les ténèbres où ils sont, ils imaginent des diables au lieu de Dieu. C’est pourquoi l’apôtre Paul dit que les Ephésiens étaient sans Dieu jusqu’à ce qu’ils aient appris par l’Evangile quel Dieu il fallait adorer (Ephésiens 2.12-13). Cela ne doit pas être limité à un seul peuple car, ailleurs, il affirme que tous les hommes mortels se sont égarés dans de vains raisonnements, bien que la majesté du créateur soit manifeste pour eux dans l’édifice du monde (Romains 1.20).

 

Aussi, l’Ecriture, afin de faire place au vrai et unique Dieu, insiste-t-elle fort pour condamner tout ce qui a été reconnu comme divinité parmi les païens et ne garde-t-elle que le Dieu adoré sur la montagne de Sion, parce que celle-ci était le lieu d’une révélation spéciale propre à sauvegarder la pureté des hommes (Habaquq 2.18, 20). Certes, du temps de notre Seigneur Jésus-Christ, il n’y avait sur la terre que les Samaritains, en dehors des Juifs, qui approchaient d’une piété correcte; pourtant Jésus les blâment de ne pas savoir ce qu’ils adorent (Jean 4.22). D’où il résulte qu’ils se sont trompés.

 

Bien que tous n’aient point été plongés dans des vices graves et importants et qu’ils ne se soient pas adonnés à des idolâtries manifestes, il n’y a pas eu de religion pure et reconnue, car toutes étaient fondées sur la conception naturelle des hommes. Même si un petit nombre de personnes n’ont point été aussi folles que les gens ordinaires, la parole de Paul n’en demeure pas moins vraie: la sagesse de Dieu n’est point comprise par les princes de ce siècle (1 Corinthiens 2.8). Or, si les plus subtiles et les plus intelligents ont ainsi erré dans les ténèbres, que dira-t-on du commun peuple qui est «comme la lie ou la fange»? Il ne faut donc pas s’étonner que le Saint-Esprit ait rejeté tout service de Dieu dû à la fantaisie et l’a considéré comme bâtard et corrompu. Les idées que les hommes forment, avec leur sens, sur les mystères de Dieu, même si ces idées ne sont pas toujours un si grand amas d’erreurs, n’en sont pas moins la mère de celles-ci. Même si le mal était limité à cela, adorer au hasard un dieu inconnu est une faute qui a besoin d’être pardonnée. Tous ceux qui n’apprennent pas de l’Ecriture quel Dieu il faut servir sont condamnés, à cause de leur témérité, par Jésus-Christ (Jean 4.22). Les plus sages gouverneurs qui ont édicté des lois et des règlements n’ont pas été plus loin que d’avoir une religion fondée sur le consentement du peuple.

 

Selon Xénophon, ce philosophe très estimé, Socrate loue l’oracle d’Apollon par lequel il est recommandé que chacun serve Dieu à la manière de ses pères et selon l’usage et la coutume de sa ville26. D’où viendra donc cette autorité aux hommes mortels d’être aptes à définir une chose qui dépasse le monde? Ou bien, qui pourra se reposer sur ce qui aura été ordonné et établi par les anciens et recevoir, sans aucune hésitation ou aucun scrupule, un Dieu qui lui aura été donné par les hommes?27 Chacun s’arrêtera à son jugement plutôt que de s’assujettir à l’avis d’autrui. C’est une raison trop faible et fragile pour adopter une religion que de suivre la coutume d’un pays ou de s’en remettre à l’ancienneté. Il reste à Dieu de témoigner lui-même du ciel pour se faire connaître.

 

13. Les étincelles de connaissance de Dieu nous parlent en vain

 

Voilà comment les belles lampes allumées sur le bâtiment du monde ne nous éclairent pas assez pour nous faire voir la gloire de Dieu, car elles nous entourent de leurs rayons, mais elles ne peuvent pas nous conduire sur le droit chemin. Certes, elles émettent quelques étincelles, mais elles s’éteignent avant de fournir une clarté durable. C’est pourquoi l’apôtre, après avoir dit que le monde est comme une image ou une représentation des choses invisibles, ajoute aussitôt que c’est par la foi qu’on comprend qu’il a été formé et agencé si bien par la Parole de Dieu (Hébreux 11.3). Il indique par ces mots que, bien que la majesté invisible de Dieu soit reflétée par de tels miroirs, nos yeux ne peuvent pas la contempler tant qu’ils ne sont pas illuminés par la révélation secrète qui nous est donnée d’en haut. Paul aussi, en disant que ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste dans la création (Romains 1.19), ne fait pas allusion à une sorte de manifestation faisant appel au discernement des hommes; il dit plutôt que cette manifestation n’a d’autre objectif que de les rendre inexcusables. Et même si, dans un passage, il dit qu’il ne faut pas chercher Dieu bien loin puisqu’il est en nous (Actes 17.27), ailleurs, il montre à quoi sert une telle proximité. Dieu, dit-il, a laissé les nations suivre leurs propres voies, quoiqu’il ne soit pas resté sans témoignage, leur donnant du ciel les pluies et les saisons fertiles, les comblant de nourriture et de bonheur dans le cœur (Actes 14.17). Ainsi, bien que Dieu n’ait pas manqué de témoins, il invite doucement, par ses bienfaits, les hommes à le connaître, mais ceux-ci n’abandonnent pas pour autant leurs voies, c’est-à-dire leurs erreurs mortelles.

 

14. Nous sommes sans excuse

 

La faculté d’avoir une pure et claire connaissance de Dieu nous fait défaut par nature et cette lenteur est un de nos vices. Toute hésitation n’est cependant pas acceptable, car nous ne pouvons pas vraiment invoquer l’ignorance sans que notre conscience nous reproche d’être paresseux et ingrats. L’homme n’a pas de défense recevable. Il est doué de bon sens et il ne peut pas prétendre qu’il n’a pas d’oreilles pour entendre la vérité que les créatures muettes disent d’une voix haute et claire. Il ne peut pas prétendre non plus qu’il n’a pas pu voir de ses yeux ce que les créatures dépourvues de vision lui ont montré, ou que son esprit est faible alors que les créatures qui n’ont ni sens ni raison lui servent de professeur. Puisque nous sommes errants et vagabonds, nous sommes sans excuses, car toutes choses nous indiquent le droit chemin. Les hommes sont responsables de corrompre immédiatement la semence que Dieu, par l’art admirable de la nature, a plantée dans leurs cœurs pour se faire connaître; cette plante n’arrive jamais à maturité. Néanmoins, ce que nous avons dit est toujours vrai: le simple et unique témoignage que les créatures rendent à la gloire de Dieu, même s’il est magnifique, est insuffisant pour nous instruire. En effet, aussitôt qu’en contemplant le monde, nous avons perçu bien faiblement et de façon superficielle la présence d’une divinité, nous abandonnons le vrai Dieu. A sa place, nous dressons nos songes et nos fantômes. Nous dérobons à la source de toute sagesse, justice, bonté et force, la louange qui lui est due, pour la disperser çà et là. Quant aux œuvres de Dieu, ou bien nous les minimisons, ou bien nous les détruisons par nos jugements pervers, de telle sorte qu’elles ne sont point prisées comme elles le méritent, et leur auteur est privé de la louange qui lui est due.