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Pluralisme religieux et christianisme

PLURALISME RELIGIEUX ET CHRISTIANISME

Avec une référence spéciale à l’interprétation du pluralisme religieux de John Hick

 

 

 

Seung-goo LEE*

 

 

 

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, pour des raisons diverses, sont favorables au pluralisme religieux. Certains le sont à cause de la théologie du process, et d’autres le sont en se basant sur l’observation qu’ils ont faite de la vie exemplaire menée par des personnes appartenant à différents groupes religieux. L’attachement au pluralisme religieux naît aussi de l’expérience faite dans le dialogue entre l’hindouisme ou le bouddhisme et le christianisme. Le pluralisme est prôné dans la perspective du dialogue entre le judaïsme, l’islam et le christianisme. Parmi les partisans du pluralisme religieux, certains plaident pour un «pluralisme d’union» en vue de l’unification de toutes les religions du monde. Il existe aussi des pluralistes qui s’opposent au «pluralisme d’union» et préfèrent la pluralité, le dialogue et la coexistence entre les religions du monde. A noter que, même parmi les pluralistes religieux qui «ont déjà traversé le Rubicon théologique», il existe une diversité de manières d’envisager l’état des religions dans l’avenir. Pour comprendre le pluralisme religieux, il convient d’examiner les diverses positions.

 

Dans cet article, je me propose de me concentrer sur la compréhension de ce phénomène par une analyse des idées de John Hick (né en 1922) et ainsi d’aborder la question de façon plus systématique. Ce choix est dû au fait que John Hick est l’un des partisans les plus influents du pluralisme religieux aujourd’hui. J’examinerai successivement le processus du développement de la pensée de Hick, les caractéristiques de son discours sur la philosophie de la religion, et son interprétation d’un christianisme transformé par le pluralisme religieux. Enfin, je comparerai le christianisme déformé par le pluralisme religieux et le christianisme biblique.

 

Mes deux thèses seront les suivantes:

«Le christianisme du pluralisme religieux» ou «celui qui est compatible avec le pluralisme religieux», ou «le christianisme qui est un variant d’une religion globale» diffère beaucoup du christianisme traditionnel biblique à cause des présuppositions philosophiques du pluralisme religieux.

En ce qui concerne le pluralisme religieux de John Hick, nous serons amenés à faire un choix: soit changer les caractéristiques du christianisme afin de les rendre compatibles avec le pluralisme religieux, soit maintenir le christianisme orthodoxe et biblique.

 

I. Le développement de la pensée de John Hick

 

Hick explique, à plusieurs reprises, qu’au commencement de son pèlerinage théologique, il était un chrétien de tendance fortement conservatrice, évangélique et fondamentaliste. Lorsqu’il s’adresse à un auditoire évangélique, il commence toujours en le précisant. Il dit qu’il a été baptisé et qu’il a grandi dans une Eglise traditionnelle mais qu’il n’éprouvait aucun intérêt pour le christianisme, qui est resté lettre morte pour lui jusqu’à sa conversion au Jésus du Nouveau Testament, lors de sa première année d’étudiant à l’Université de Hull. A ce moment-là, il reconnaît avoir accepté le «bagage particulier, fondamentaliste et intellectuel» des évangéliques en tant que membre des Groupes bibliques universitaires (GBU). Le christianisme évangélique a, donc, été l’un de nombreux éléments qui ont influencé Hick au tout début de sa réflexion. Lorsqu’il est allé à Edimbourg pour sa première année de philosophie, il était un membre fidèle des GBU, assistant à toutes les études bibliques, à des réunions de prière et à des débats, et participant à des activités évangéliques comme les services de salle à l’hôpital d’Edimbourg. Cependant, Hick a modifié sa pensée sous des influences diverses: son expérience de la Seconde Guerre mondiale, la pensée de Kant au cours de ses études de philosophie à l’Université d’Edimbourg (avant de lire la théologie à Cambridge), ses études doctorales avec le professeur H.H. Price, au Collège Oriel, à Oxford – conclues par une thèse intitulée Foi et croyance –, et, ensuite, ses expériences en tant que membre fondateur et premier président du groupe «Toutes les fois pour une seule humanité». Cette association composée de plusieurs groupes religieux a été créée pendant qu’il était professeur à l’Université de Birmingham.

 

Après ses études doctorales à Oxford, Hick étudie la théologie au Collège de Westminster, Cambridge. Il est ensuite admis au ministère de l’Eglise presbytérienne d’Angleterre (devenue l’Eglise réformée unifiée), et sert comme pasteur de paroisse pendant trois ans. A la fin de trois ans de ministère, il est pressenti par le département de la philosophie à l’Université de Cornell (Etats-Unis) et devient professeur assistant de philosophie religieuse. A cette époque-là, il s’est estimé suffisamment conservateur pour critiquer la christologie paradoxale de Donald Baillie en tant que déviation de l’orthodoxie chalcédonienne. Hick a enseigné, ensuite, au Séminaire théologique de Princeton et, après, à l’Université de Cambridge, et il est devenu professeur à l’Université de Birmingham. Il a également enseigné à la Claremont Graduate School, en Californie (Etats-Unis). En 1988, Hick a pris sa retraite et est devenu membre de l’Institut de recherche avancée en sciences humaines de l’Université de Birmingham.

 

En 1977, Hick a choqué le monde théologique britannique par la publication – avec plusieurs collègues, dont Maurice Wiles, Frances M. Young, Don Cupitt et Michael Goulder – du livre Le mythe de Dieu incarné, qui a provoqué de nombreux débats entre les théologiens anglo-saxons. Les auteurs de ce livre ont insisté sur le fait que la compréhension traditionnelle de l’incarnation est simplement un moyen parmi d’autres d’exprimer ce que Dieu a fait en Jésus. Cette doctrine de l’incarnation n’est pas universellement valable et compréhensible. Par conséquent, Hick et ses collègues ont cherché à réinterpréter et à reformuler l’incarnation de façon plus acceptable par l’homme moderne.

 

Par la publication de ce livre, Hick réclame que se produise une révolution «copernicienne» dans la théologie. Il demande aux chrétiens d’abandonner une approche christocentrique et d’en adopter une autre qui prend en considération les religions du monde et qui soit centrée sur Dieu. Dès 1973, il a déclaré que Dieu est au centre de tout et que chaque religion, y compris la nôtre, sert Dieu et tourne autour de lui comme centre. Tout comme Copernic qui avait remplacé le paradigme géocentrique par un modèle héliocentrique, Hick propose de remplacer la vision historique chrétienne, qui considère Jésus comme le centre du monde religieux, par une conception selon laquelle Dieu est au centre. Il ajoute que toutes les religions du monde «tournent» autour de Dieu et non autour de Jésus. Hick a ainsi abandonné le christianisme orthodoxe qui affirme qu’il n’y a aucun salut en dehors de Jésus, et il a élaboré une théologie compatible avec cette compréhension de Dieu.

 

Plus tard, Hick a affirmé qu’il concevait Dieu selon une compréhension chrétienne de Dieu, c’est-à-dire en termes personnels. Il a soudainement perçu que de nombreuses religions du monde n’avaient pas de compréhension personnelle de Dieu, et même que certaines d’entre elles ignoraient le concept de Dieu. Au cours des années 1980, Hick est passé d’un modèle centré sur un Dieu personnel à un modèle centré sur le Réel, ou le salut. Dans un sens, c’est là une sorte de radicalisation de son approche centrée sur Dieu et un dépassement de plusieurs problèmes posés par son approche théocentrique. Il est donc permis de dire que le passage d’un modèle centré sur Dieu à un modèle centré sur le salut a rendu plus précise l’approche théologique de Hick. Utilisant la distinction de Kant entre le monde nouménal et le monde phénoménal, Hick a différencié les dieux phénoménaux et le Réel nouménal, et il a appelé la réalité nouménale le Réel, ou la Réalité Ultime, ou l’Ultime. Hick a défini ainsi l’Ultime:

 

«L’Ultime est la réalité qui transcende toutes les choses autres que lui-même, mais il n’est transcendé par rien d’autre que par lui-même. L’Ultime, ainsi conçu, est lié à l’univers en tant qu’il est son fondement créateur. Pour nous, les êtres humains, il est conçu comme l’esprit de l’univers, la source de notre existence ainsi que la valeur ou signification de cette existence.»

 

Par rapport à l’Ultime, il existe diverses «images et symboles conditionnés selon lesquels nous représentons les concepts de base de la déité». La compréhension chrétienne de Dieu, l’Allah de l’islam, le Jéhovah des juifs, le Brahmane de l’hindouisme, le Bouddha du bouddhisme sont des images et des symboles culturellement conditionnés. D’après Hick, ces images et ces symboles sont tous des manifestations authentiques du Réel. Le Réel est essentiellement une seule et même chose, dont on fait l’expérience de façon différente, voire contradictoire.

 

Cependant, nous sommes conscients non pas du Réel en soi, mais des images phénoménales de la déité, c’est-à-dire des images conçues à travers le regard conceptuel de nos traditions religieuses. Nous ne pouvons parler que de ce que nous avons humainement et culturellement perçu dans nos expériences du sacré. Hick suppose ainsi avoir résolu l’unique difficulté à laquelle il était confronté avec sa pensée théocentrique, à savoir que, dans une certaine religion, Dieu est considéré comme personnel, alors que dans une autre religion, il ne l’est pas. Or, Hick pense que le concept de personnalité/non-personnalité ne s’applique pas au Réel lui-même et que le Réel peut être considéré, ou ressenti, comme personnel ou comme non personnel dans notre monde phénoménal. Avoir un concept fixe du Réel Ultime relève essentiellement du mythe. La définition que Hick et ses collègues donnent du mythe ressemble beaucoup à celle de Bultmann dans les années 1940. Pour eux, parler de l’incarnation de Dieu relève du mythe. Hick applique cette définition à presque tout dans le christianisme.

 

Hick estime qu’il est utile, pour nous, d’avoir des perspectives multiples sur la Réalité Ultime. Chaque perspective, en tant que telle, est valable et vraie. Cependant, aucune définition de la Réalité Ultime n’arrive à la décrire de façon complète. Chaque perspective est simplement un aspect du Tout. Notre expérience religieuse de la Réalité est toujours relative. Aussi faut-il parler de cette réalité en termes de «A et B» plutôt que «A ou non-A».

 

Avec le modèle centré sur le salut, Hick a évalué les religions du monde à l’aune des critères de: salut/libération/illumination/accomplissement final. D’après lui, ce processus caractérise le passage d’un individu d’un égocentrisme à une nouvelle ouverture sur l’Ultime. En ce sens, chaque mouvement de libération est religieux et concerne l’Ultime. Par exemple, Hick considère le mouvement contemporain de libération des femmes comme un mouvement religieux important. Il a parlé de ce mouvement comme suit: «La libération des femmes, en tant que partie du vaste mouvement pour la libération humaine, est en première ligne du changement salvateur du monde d’aujourd’hui.» On voit donc que le pluralisme religieux est au centre de la théologie de la religion de Hick.

 

II. Les caractéristiques de la philosophie de la religion de Hick

 

Quel est l’arrière-plan philosophique principal du pluralisme religieux de Hick? C’est la pensée kantienne. Hick a subi l’influence de la philosophie de Kant au cours de ses études à l’Université d’Edimbourg. Il a pu affirmer que sa philosophie était kantienne. Son accentuation de l’éthique et son acceptation de la distinction entre le monde nouménal et le monde phénoménal montrent clairement qu’il utilise un modèle kantien. En particulier, son idée que «nous ne pouvons pas connaître la Réalité Ultime (ou Dieu lui-même), mais que nous pouvons avoir plusieurs concepts de la Réalité» est une sorte de variation sur le motif kantien. Hick comprend que les divers concepts de Dieu sont «des réponses phénoménales faites à la Réalité nouménale».

 

Il convient cependant de distinguer entre ce que Hick exprime en utilisant des concepts kantiens et ce qui est, en réalité, la propre pensée de Kant. La distinction entre le monde nouménal et le monde phénoménal provient, assurément, de Kant. Mais Kant pense que Dieu se trouve dans le monde nouménal. Pour lui, l’idée de Dieu, avec le concept de liberté et d’immortalité de l’âme, est l’un des postulats de notre raison pratique; elle ne peut donc pas être expérimentée dans le monde phénoménal. Aussi, Kant ne parle-t-il pas de notre idée de Dieu comme d’une connaissance, mais comme d’une croyance. En effet, la connaissance de Dieu (eine Erkenntnis Gottes) existe chez Kant; cette connaissance de Dieu est uniquement une relation pratique, comme l’a bien expliqué le professeur Young-Ahn Kang:

 

«Nous ne pouvons pas savoir ou comprendre que Dieu existe. Simplement, nous acceptons par la foi comme postulat de notre raison pratique que Dieu est créateur, maître, gouverneur du monde. Dieu gouverne tout dans le monde de façon ordonnée et il gouverne le monde de telle sorte que chacun d’entre nous peut jouir du bonheur qui est attribué aux vertus. Le postulat de la raison pratique est que nous devons accepter l’activité de Dieu derrière le monde.»

 

Le Dieu auquel pense Kant, avec une foi rationnelle, est la cause ultime de la nature. Ce Dieu est un être personnel avec une intelligence et une volonté. Il est le Juge suprême de ce monde-ci et du monde à venir. Cependant, Hick considère qu’une telle compréhension n’est pas de Dieu lui-même, mais simplement une compréhension phénoménale du Réel. Il n’accepte pas la définition de Dieu proposée par Kant.

 

En même temps, on peut se demander si Kant accepterait l’idée de Hick qu’il y a une différence entre Dieu lui-même et les diverses compréhensions culturelles de Dieu. Après avoir indiqué que l’idée de Dieu de Kant est différente de celle de Hick, nous pourrions également poser la question de savoir si Kant accepterait qu’il existe différents concepts de Dieu dans le monde phénoménal. Les spécialistes de Kant ne seraient peut-être pas d’accord avec Hick à ce sujet.

 

Il est, cependant, possible d’aller au-delà de Kant lui-même en utilisant l’idée de Kant. Hick et ses collègues pourraient affirmer qu’ils ne parlent pas de ce que Kant a dit autrefois, mais qu’ils proposent une idée nouvelle applicable à nos problèmes religieux complexes. Dans ce sens, Hick est un successeur original de Kant: différent de Kant sur plusieurs points, mais essentiellement kantien.

 

Kant essaie de comprendre la religion d’un point de vue moral; Hick, lui, essaie de comprendre les religions dans la perspective du salut humain. Pour Kant, une religion morale est une vraie religion car elle est utile à la moralité dans la société humaine. De façon semblable, Hick considère comme salvateur tout ce qui est utile à la libération des êtres humains dans le monde. Un tel réductionnisme pourrait faire apparaître les défauts majeurs des pensées de Kant et de Hick. Le réductionnisme est la deuxième caractéristique du discours philosophique et religieux de Hick. Celui-ci accorde une valeur importante aux religions car elles sont utiles à la libération des êtres humains de toutes sortes de restrictions. Par exemple, Hick n’accepte pas le sacrifice d’enfants dans quelque religion que ce soit, contrairement à D.Z. Phillips, qui se refuse à condamner le sacrifice d’enfants dans certaines tribus lointaines, simplement parce qu’il ne juge pas correctement ce que représente une telle pratique pour ces tribus. On comprend, ici, à quel point, chez Hick, la compréhension de la religion est éthique.

 

Parallèlement, Hick affirme que nous pourrions dire qu’une religion est supérieure à une autre sur la base de données expérimentales à la disposition de tous. Ces données sont utiles pour l’avancement du bien-être de la race humaine. Le réductionnisme éthique de Hick peut être constaté jusque dans cette affirmation. Ailleurs, lorsqu’il discute la question de savoir s’il est possible d’évaluer les religions, Hick propose deux critères:

la raison comme instrument d’analyse de la foi exprimée dans une religion et

la conscience ou le jugement moral qui évalue de façon pratique chaque système de croyance.

 

Ces deux critères sont éthiques. Le premier critère – la raison appliquée à une expérience religieuse complexe – indique si elle est efficace pour faire évoluer les êtres humains de l’égocentrisme à une conception centrée sur la Réalité. Hick affirme que nous ne pouvons pas comparer les religions sans comparer leurs aspects éthiques, et que l’utilité d’une religion apparaîtra à la fin de l’histoire. Chaque religion a ses points positifs et ses points négatifs. Hick pense ainsi que les grandes religions du monde (excepté les religions non éthiques) jouent leur propre rôle salvateur dans le monde. Par conséquent, cette idée contribue à son explication du pluralisme religieux: «Il y a non pas une manière unique, mais plusieurs manières d’atteindre le salut ou la libération… qui se déroulent de façon différente dans les contextes des grandes traditions religieuses.»

 

La philosophie de la religion de Hick fait aussi intervenir un argument basé sur la probabilité, parce que «chaque religion concerne la même chose». D’après Hick, bien que nous ne puissions pas connaître Dieu en Lui-même, il est probable qu’il y a une réalité derrière les expériences religieuses variées. Il est également probable que cette réalité est essentiellement la même, bien qu’expérimentée de façon différente. Au centre de l’argument de probabilité de Hick se trouve l’affirmation que ce que chaque religion du monde affirme est essentiellement la même chose. Hick prétend que l’être divin de chaque religion est finalement une expression de la Réalité Ultime, et que chaque religion est salvatrice à sa propre manière. Il insiste donc sur le fait que chaque tradition religieuse, bien qu’elle ne soit pas parfaite, constitue un cadre intégral pour la transformation salvatrice de la vie humaine. Cela pourrait être la méta-narration propre à Hick. Comme l’a remarqué Donald Carson à juste titre, Hick crée «sa propre méta-narration anti-méta-narrative».

 

Cependant, cette approche ne permet pas de relever les vraies différences qui existent entre les religions du monde. Kathryn Tanner critique une telle approche de «discours colonialiste». Il ne peut y avoir de vrai dialogue entre les religions du monde si nous ne faisons pas face au problème des différences réelles qui existent entre elles. Les pluralistes, y compris Hick, mettent trop l’accent sur ce qui est commun aux religions, tout en négligeant les différences. Ils considèrent les aspects similaires des religions comme s’ils étaient identiques. Alistair McGrath note qu’avec une telle approche, il serait facile de supprimer les différences entre toutes les religions afin de trouver une harmonie entre elles.

 

Ceux qui appartiennent à des religions différentes remarquent ainsi que le pluralisme religieux a tendance à accentuer les aspects communs des religions et à négliger leurs différences. Par exemple, certains penseurs bouddhistes s’opposent fortement à l’affirmation que le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme soient simplement des chemins différents pour arriver au sommet de la même montagne. De plus, l’une des objections majeures contre  le pluralisme religieux est son incapacité de répondre à la question: «Quelle est la raison pour laquelle la religion est plus valable que l’athéisme?» Hick pourrait estimer qu’il a déjà donné sa réponse à cette question. Il a dit à plusieurs reprises qu’il souhaite comparer les traditions religieuses théistes et les traditions religieuses non théistes, y compris divers aspects de l’hindouisme, du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme, avec les grandes croyances non religieuses telles que le marxisme, le maoïsme et l’humanisme.

 

Pourtant Hick n’est pas devenu pluraliste après avoir examiné diverses religions du monde. Son pluralisme religieux provient de sa propre conclusion qu’une théodicée significative doit affirmer le salut et la libération finale de tous les hommes. En effet, lorsqu’il est arrivé à Birmingham, après avoir été aux Etats-Unis, il avait déjà adopté cette définition des religions. Il a dit: «En luttant avec le problème du mal, j’ai conclu qu’une théodicée chrétienne viable doit affirmer le salut final de toutes les créatures de Dieu.» Avec une telle vision, il a entamé une comparaison pratique des différentes religions. Par conséquent, on peut dire que Hick n’est pas arrivé à cette conclusion après avoir rencontré des gens appartenant à diverses religions, comme il l’a dit tellement souvent. On peut dire plutôt que ce sont ses présuppositions concernant le pluralisme religieux qui ont produit sa conclusion pluraliste que chaque religion a sa propre validité pour le salut/libération des êtres humains.

 

L’argument de Hick en faveur du pluralisme religieux est un exemple de l’opposition vérité personnelle-vérité propositionnelle. Hick est d’accord avec ceux qui affirment que la vérité religieuse n’est vérité que pour ceux qui s’approprient cette «vérité» et qu’elle n’est vraie que si elle change leur vie. W.C. Smith, qui a presque la même idée que Hick sur ce point, dit également que, en ce qui concerne la vérité religieuse, le concept de vrai et de faux ne s’applique pas. Ailleurs, Smith indique qu’étant donné que la doctrine de chaque religion est l’expression de la pensée humaine, il n’est pas correct d’absolutiser ce que notre intelligence a créé. Absolutiser nos idées chrétiennes serait une forme d’idolâtrie. Il affirme aussi que l’idée de certains chrétiens selon laquelle le christianisme est la vérité absolue du salut est une forme d’idolâtrie, et qu’imaginer Dieu comme créateur du christianisme est également une idolâtrie. Hick lui-même pense que l’idée de l’incarnation n’est pas une vérité métaphysique. Elle est simplement une expression de «la dévotion des chrétiens à Jésus comme celui qui a fait Dieu céleste une réalité pour nous». Pour Hick, «l’idée de l’incarnation divine doit être comprise de façon métaphorique plutôt que de façon littérale, comme une expression poétique de la conviction d’un croyant par rapport à son Seigneur». Par conséquent, pour lui, Jésus est le Fils de Dieu seulement au sens mythique et métaphorique du mot.

 

Telles sont les caractéristiques du pluralisme religieux de Hick. Le problème le plus sérieux posé par ce pluralisme religieux est qu’il modifie l’essentiel du christianisme et d’autres religions. Chaque religion peut dire quelque chose en partant de sa propre perspective religieuse. En tant que théologien chrétien, mon objectif est d’examiner comment Hick a transformé le christianisme pour le rendre compatible avec sa propre idée du pluralisme religieux.

 

III. Le christianisme de Hick et ses caractéristiques

 

Quel est le christianisme de Hick? Quels aspects du christianisme sont compatibles avec le pluralisme religieux de Hick? Examinons le christianisme selon Hick en nous focalisant sur les points suivants:

 

1. Sa compréhension de  Jésus

 

Pour Hick, Jésus n’est pas considéré comme le Dieu-homme. Dès le début de sa carrière, Hick a déclaré que l’idée d’un Dieu-homme n’est pas cohérente et qu’elle est contradictoire en elle-même. Pour lui, Jésus est quelqu’un qui s’est détourné totalement de l’égocentrisme humain pour prendre conscience de la Réalité ultime et qui a donné aux autres une illustration de ce qu’est une vie authentique. De cette façon, Hick considère que Jésus n’était pas conscient d’être Dieu et qu’il n’a pas affirmé, lui-même, être Dieu. Il déclare également que, en réalité, Jésus trouvait blasphématoire l’idée qu’il puisse être Dieu incarné! Jésus est fortement et primordialement conscient de la Réalité de Dieu; il est ouvert à Dieu et sa vie est une réponse continue à l’amour de Dieu. Il «était si vivement ouvert à Dieu en tant que Père céleste de l’amour, si étonnamment ouvert à Dieu et il a été si pleinement le serviteur et l’instrument de Dieu que l’amour divin s’est exprimé et, dans ce sens, incarné dans sa vie».

 

Ainsi, Hick, tout en utilisant le terme incarnation, ne le comprend pas dans un sens littéral, mais le réinterprète de façon mythique ou métaphorique. Il a dit: «Quelqu’un pourrait dire, en effet, que l’hérésie fondamentale est précisément de traiter l’incarnation comme une hypothèse possible! Car la raison pour laquelle il n’est pas possible d’avancer une signification littérale pour l’idée de l’incarnation est simplement que le terme n’a pas de sens littéral.» Hick a élargi le concept de l’incarnation à partir d’une compréhension métaphorique du mot. Donc, selon son concept transformé, chaque fois que nous faisons quelque chose avec un amour vrai dans notre cœur, il y a incarnation. «L’agapè est incarné dans la vie humaine chaque fois que quelqu’un agit par amour désintéressé.» Pour Hick, l’idée d’une incarnation divine n’est donc pas limitée à Jésus. Dans le cas de Jésus, en effet, l’incarnation de l’amour a été réalisée avec une intensité suprême et tout à fait nouvelle, et son influence historique a été unique par son impact. Cependant, pour Hick, Jésus n’est pas l’unique cas d’incarnation. Selon son enseignement reconstruit du fait Jésus, il n’y a aucun besoin d’un médiateur entre Dieu et nous, et il n’existe aucune indication sur le besoin d’une mort rédemptrice pour le pardon de nos péchés. D’après Hick, Jésus n’est donc pas médiateur entre Dieu et les pécheurs, et le Jésus de Hick ne nous a pas enseigné que nous avions besoin d’un médiateur. N’est-il pas clair que Hick a transformé l’identité de Jésus afin de construire son propre pluralisme religieux?

 

2. Transformation du concept de Dieu

 

La transformation du concept de l’incarnation engendre naturellement la transformation du concept de Dieu. Fondamentalement, le Dieu de Hick n’est pas le Dieu trinitaire de la Bible. Puisque Hick n’accepte pas que Jésus soit Dieu au sens propre du terme, il propose un nouveau concept de Dieu en niant la Trinité. Pour lui, «le Jésus historique n’enseigne pas cette doctrine». Cette doctrine est plutôt une «invention de l’Eglise». Dans le nouveau concept de Dieu lié à l’interprétation que fait Hick de Jésus, «les trois personnes sont trois voies de l’expérience, rendues possibles par l’acte du Dieu unique en relation avec les êtres humains, c’est-à-dire en tant que Créateur, en tant que transformateur ou rédempteur et en tant qu’esprit intérieur». Cette idée suggère une version de la Trinité qui est semblable au vieux modalisme. Cependant, si nous le comprenons correctement, nous pourrions dire que Hick n’a même pas d’interprétation modalistique de la Trinité.

 

Il est vrai que le Dieu du christianisme de Hick est un Dieu personnel. Cependant, Hick peut également accepter l’expression non personnelle de Dieu. Son Dieu est donc au-delà du concept de personnalité/non-personnalité. Alors que les chrétiens affirment que Dieu est personnel, pour Hick, le Dieu du christianisme et la Réalité Ultime du bouddhisme se réfèrent à la même Réalité Ultime. Une telle interprétation de Dieu est très différente du Dieu du christianisme.

 

3. Transformation de l’interprétation du salut

 

Dans le christianisme de Hick, le salut a été redéfini comme une conversion qui aboutit à la focalisation sur la Réalité en renonçant à l’égocentrisme. L’interprétation traditionnelle du salut comme rachat des péchés à travers la croix de Jésus-Christ et comme expérience d’une relation personnelle avec Dieu, comme une bénédiction céleste et, finalement, comme la participation à l’accomplissement du Royaume de Dieu est simplement considérée comme l’expression mythique d’une vie qui s’est convertie de l’égocentrisme à une focalisation sur la Réalité. Comme nous l’avons vu ci-dessus, selon l’enseignement que Hick a reconstruit sur Jésus, il n’y a pas de leçon concernant le besoin d’une mort rédemptrice du Christ. De plus, pour Hick, l’idée de la rémission des péchés par le sacrifice de Christ ne reflète pas le grand fait du salut. D’où la critique de Hick sur l’interprétation traditionnelle du salut qui est autre que la rémission du péché. Hick a proposé cette interprétation du salut dès le début de sa carrière. Dans un essai publié en 1977, il écrit:

 

«Si Jésus était littéralement Dieu incarné, et si c’est uniquement par sa mort que les hommes peuvent être sauvés, et si c’est uniquement par leur réponse qu’ils s’approprient le salut, l’unique porte de la vie éternelle est la foi chrétienne. Il en résulte qu’une large majorité des êtres humains ne sera pas sauvée.»

 

Selon Hick, l’interprétation traditionnelle du salut est fausse. Il définit, en effet, le concept de salut comme suit: «Dans son sens fondamental, le salut est une transformation de la voie prise par l’homme, qui quitte l’égocentrisme pour se focaliser sur la Réalité.» D’après lui, chaque être qui essaie de mener une vie pour autrui en rejetant son égocentrisme est considéré comme participant à cette transformation salvatrice. C’est la raison pour laquelle Hick déclare que «le mouvement contemporain de libération des femmes se situe en première ligne du changement salvateur dans le monde d’aujourd’hui».

 

Hick croit que le processus de transformation salvatrice commence ici-bas et doit se poursuivre au-delà de la vie dans ce monde. Mais il ne précise pas le sens concret de cette remarque. Cela pourrait indiquer:

le salut eschatologique dans l’après-vie de ceux qui ont déjà commencé leur processus de salut;

le salut universel de tous les hommes; ou bien

une sorte de chance éducative donnée à tous après la mort en vue du salut.

 

Hick préfère peut-être la troisième possibilité. Cette opinion est basée sur le commentaire qu’a fait Hick sur l’idée d’une seconde chance après la vie, présentée par l’Américain Clark Pinnock. Une telle chance après la mort est une partie du processus de création divine commencé dans cette vie, mais qui se poursuit même après la vie.

 

4. Transformation du concept de mission

 

De ce fait, d’après Hick, il est insignifiant pour un chrétien d’évangéliser ou de présenter son espoir, interprété au sens traditionnel du mot. Nous n’avons pas besoin, en effet, de nier que d’autres leaders spirituels et d’autres histoires sont valables, de la même façon que ce qui nous est offert en Jésus. Il est alors inutile de convaincre quelqu’un de se convertir. Il est seulement nécessaire d’évoluer de l’égocentrisme vers la prise de conscience de la Réalité à l’intérieur de sa propre tradition, et de développer un dialogue significatif avec diverses religions afin d’approfondir le sens de sa propre foi. Au cours de ce dialogue, il est possible de changer de religion.

 

IV. Le christianisme de Hick et le christianisme biblique

 

Notre dernier point est d’examiner le rapport entre le christianisme de Hick et le christianisme biblique. Il est maintenant clair que ces deux formes de christianisme s’opposent l’une à l’autre. Il reste à comprendre la nature de cette incompatibilité et à la traiter en tant que telle.

 

Hick et ses collègues acceptent cette confrontation. Ils croient que c’est ainsi que le christianisme mûrit. Ils pensent proposer un postulat chrétien valable pour notre époque. Hick, dans son livre Le mythe de Dieu incarné (1977), a déjà dit que les auteurs du Nouveau Testament n’avaient aucune autre alternative que de parler de Jésus comme Dieu incarné et que, pour les Pères de l’Eglise du IVe et du Ve siècle, il était inévitable de parler de Jésus dans de tels termes. Ils ont évoqué ce qu’ils avaient découvert en Jésus en utilisant le langage de leur époque. C’est pourquoi nous devons parler de ce que nous avons découvert en Jésus dans notre propre langage. C’est une manière de continuer ce qu’ont fait les Pères du concile de Chalcédoine dans leur temps. Le résultat en est la négation du sens littéral de la définition chalcédonienne.

 

En outre, tout en appréciant le travail de Hick et de ses collègues, certains critiquent leur façon de procéder et estiment qu’ils vont trop loin. La plupart des critiques de Hick adoptent cette position. L’éventail de ces critiques est large. On trouve parmi eux des personnes comme Clark Pinnock et John Sanders, qui critiquent le pluralisme de Hick et proposent un inclusivisme évangélique. D’autres encore s’opposent à ce pluralisme et proposent un exclusivisme barthien. Cependant, ils sont tous d’avis que ce que Hick essaie de faire est nécessaire, car cela concerne le changement de certains aspects du christianisme. Afin de survivre, le christianisme doit essayer de se transformer afin de s’adapter à notre époque. Cependant, Hick lui-même pourrait demander à ces gens-là pourquoi ils s’arrêtent à mi-chemin sur la voie de la transformation du christianisme. Il pourrait les défier d’aller plus loin et de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Il pourrait donc dire qu’il faut mener jusqu’au bout ce projet, qui vise à rendre le christianisme adapté à notre époque.

 

Finalement, il y a des gens qui voient la confrontation entre le christianisme de Hick et le christianisme biblique comme une confrontation réelle, qui ne peut pas être surmontée par la synthèse de Hegel ou par la médiation de la théologie dialectique. Ceux qui interprètent la spécificité du message évangélique dans ce sens considèrent le pluralisme religieux de Hick comme une vision qui s’oppose au christianisme biblique. Donald Carson écrit: «En bref, le Jésus que Hick propose est tellement différent du Jésus du Nouveau Testament que, tôt ou tard, quelqu’un demandera pourquoi il se donne même la peine de citer les textes du Nouveau Testament.» En effet, Hick croit que la doctrine traditionnelle du christianisme, qui comprend notamment l’incarnation, les deux natures de Christ, la Trinité, la rédemption, l’infaillibilité des Ecritures, est un sacrifice de l’intelligence. Pour cette raison, il a déclaré: «Vous pouvez croire en ces doctrines, mais n’imposez pas de tels sacrifices à l’intelligence de vos étudiants.»

 

Il existe beaucoup de malentendus concernant cette forme de particularisme. D’abord, certains affirment que ceux qui parlent d’un salut unique ne sont pas prêts à modifier leur point de vue. Ensuite, certains affirment non seulement que leur point de vue théologique existe en opposition avec d’autres, mais qu’ils se montrent également offensifs sur le plan personnel. Enfin, d’autres estiment que, seule, cette position est exclusiviste et dogmatique. Toutes ces affirmations sont incorrectes. Il est vrai que certains manifestent une telle attitude, mais ceux qui essaient d’être fidèles à l’Ecriture établissent leur point de vue et leur foi, leur façon de vivre ainsi que leurs traditions conformément à l’Ecriture. Ils insistent sur le fait que, même s’il existe diverses interprétations, il est possible de montrer l’ouverture personnelle. D’autre part, le pluralisme peut être dogmatique et exclusiviste dans ses affirmations.

 

Que nous reste-t-il alors en ce qui concerne les rapports entre le christianisme de Hick et le christianisme biblique? C’est une question qui est non seulement théorique, mais également pratique et qui se rapporte à la vie quotidienne. Nous devons montrer que le christianisme biblique est la vérité qu’il faut préserver et développer au travers de notre théologie et de notre vie quotidienne fidèle à l’Ecriture sous la conduite du Saint-Esprit.

 

 

 

 

 

 

* Seung-goo Lee a obtenu le doctorat à l’Université de Saint Andrews, en Ecosse. Il est professeur adjoint de théologie systématique et vice-président du Séminaire théologique de Kukje, à Séoul. Il a publié Kierkegaard on Becoming and Being a Christian (Zoetermeer: Meinema, 2004).