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Introduction

INTRODUCTION

Le 18 mars 2008, les professeurs de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence ont consacré une matinée interdisciplinaire au thème de l’élection. Ce séminaire s’adressait principalement aux étudiants des trois années de licence. Les exposés étaient conçus afin de permettre un échange constructif autour d’un thème difficile et qui a souvent suscité des controverses vigoureuses dans l’histoire de la théologie.

Encore aujourd’hui, le thème de l’élection suscite-t-il malentendus et incompréhensions. Dans notre environnement culturel, fortement marqué par une philosophie matérialiste, qui met en avant le conditionnement neuropsychologique ou biochimique de l’être humain, la doctrine de l’élection est perçue comme une forme de déterminisme religieux, d’ailleurs souvent assimilé au fatalisme de l’islam. Ne porte-t-elle pas atteinte à la liberté humaine, c’est-à-dire à l’autonomie de l’homme qui se suffit à lui-même? Curieusement, nos contemporains vivent en contradiction avec eux-mêmes. Ils postulent la dignité et la liberté de l’homme, alors que leur philosophie déterministe les pousse à les nier. Luc Ferry, philosophe humaniste, a bien mis en lumière la contradiction et la tension que pouvait susciter une telle démarche. Son analyse, aussi intéressante soit-elle, reste cependant insuffisante car, en niant avec les Lumières et Nietzsche toute idée de transcendance objective, elle se présente comme une construction qui ne repose sur aucune fondation qui pourrait garantir sa stabilité. En effet, Luc Ferry, en avançant une vue haute de l’homme – dont les présupposés philosophiques n’ont pas de fondements rationnels réels puisque toute référence à une réalité extérieure à l’homme est absente – n’est-il pas, en quelque sorte, lui aussi tributaire de l’irrationnel?

Pour revenir à notre propos, la doctrine de l’élection suppose l’existence d’une transcendance qui soit à l’extérieur de l’être humain. Il s’agit du Dieu infini et personnel tel qu’il nous est dévoilé par le judéo-christianisme biblique. Ultime réalité, il est à l’origine de l’univers visible et invisible et préside aux destinées du monde. Que ce soit dans le domaine de la création ou du salut, le Seigneur a toujours l’initiative. Cela signifie que rien ne peut le surprendre ni échapper à sa volonté souveraine, y compris le mal (malin) et le péché, lesquels demeurent néanmoins totalement incompatibles avec son caractère et étrangers à sa motivation. Cela signifie que l’univers n’est livré ni à lui-même, ni au hasard et à la nécessité, mais qu’il a un sens, que Dieu a un projet qu’il met en œuvre progressivement et dont le point focal est la venue de son Fils, Jésus le Christ, le Rédempteur par qui toutes choses seront renouvelées aussi bien sur la terre qu’au ciel. Cette initiative et cette démarche souveraines de Dieu ne doivent pas, pour autant, être confondues avec déterminisme et fatalité. En effet, la doctrine de l’élection s’intègre et ne prend tout son sens que dans le cadre de l’alliance que le Créateur a établie avec la création tout entière, y compris l’homme. Ce dernier, créé à l’image de Dieu, revêtu de dignité, a pour vocation non seulement de vivre une relation avec son ultime Vis-à-Vis, mais de gérer le monde créé. Comme cette relation d’alliance a une dimension personnelle et juridique, le terrien a des comptes à rendre au Seigneur pour la manière dont il accomplit son mandat culturel. Cela signifie que l’être humain est donc un agent libre et responsable, qu’il est une cause seconde qui peut agir sur le cours de l’histoire sans pour autant surprendre Dieu ni échapper à son règne souverain.

C’est ainsi que la doctrine de l’élection permet de mettre en évidence que l’être humain:

–  n’est pas le nombril de l’univers;

–  est entièrement dépendant de la grâce divine aussi bien dans son existence créationnelle que dans sa réception du salut. Providence et rédemption sont ensemble l’expression de la bienveillante loyauté du Seigneur;

–  a pour raison d’être de rendre louange et gloire au Seigneur et de trouver en lui son bonheur;

–  n’a d’assurance de son salut, ne peut persévérer dans la foi et connaître réconfort et espérance, alors qu’il vit à l’ombre de la mort, que s’il demeure uni au Dieu de Jésus-Christ;

–  est invité avec empressement par le Seigneur à participer de manière active et responsable au projet de renouvellement et de transfiguration de toutes choses qu’il a révélé en Jésus-Christ;

–  a pour mission, avec l’aide de la sagesse et de la puissance de l’Esprit, de gérer avec soin et intégrité la création et ses richesses, de faire connaître les hauts faits de Dieu et de proclamer la bonne nouvelle du salut en paroles et en actes, afin de susciter la foi de beaucoup en attendant la pleine manifestation du Royaume, lors du retour en gloire de Jésus-Christ.

Les études qui suivent n’ont pas la prétention d’être exhaustives. En abordant les fondements bibliques, les aspects théologiques et les implications pastorales de la doctrine de l’élection, elles ont pour but de mettre en relief toute sa profondeur et sa richesse, de souligner toute son importance et sa pertinence pour la vie du croyant comme pour celle de l’Eglise d’aujourd’hui.

Pierre Berthoud Doyen