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Présentation des fondements de l’action du défi Michée

PRÉSENTATION DES FONDEMENTS
DE L’ACTION DU DÉFI MICHÉE1 [1]

Thierry SEEWALD*

En l’an 2000, tous les Etats membres de l’ONU ont pris ensemble l’engagement connu sous le nom de Déclaration du millénaire. On peut le résumer en une phrase: «Réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015.»

Cet engagement se décline en huit objectifs (les Objectifs du millénaire pour le Développement ou OMD), qui concernent l’extrême pauvreté (1 milliard de personnes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour), la faim (30 000 enfants qui meurent chaque jour), l’éducation (115 millions d’enfants qui ne sont pas scolarisés), l’égalité des sexes, la santé infantile, la santé maternelle, le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies, l’environnement durable et l’aide au développement.

Les OMD sont une feuille de route tendue, mais économiquement et techniquement réalisable. Ils sont l’épine dorsale de plans nationaux de réduction de la pauvreté, pour l’aide bilatérale et multilatérale et le développement des négociations. A la fin de 2007, il y a eu des progrès d’ensemble, mais l’Afrique subsaharienne, en particulier, est très en retard. Et pour certains objectifs, la situation se dégrade.

En 2003, l’Alliance évangélique mondiale (qui représente 400 millions de chrétiens) et le Réseau Michée (300 organisations humanitaires chrétiennes) ont lancé le Défi Michée pour mobiliser les chrétiens contre la pauvreté et en soutien aux OMD. On résume, en général, sa mission en deux objectifs:

–  Agir à l’intérieur de la communauté chrétienne afin d’approfondir l’engagement des chrétiens avec les personnes appauvries et marginalisées.

–  Agir vers l’extérieur pour rappeler aux dirigeants de ce monde leur promesse. Influer sur les leaders des nations riches et pauvres et les interpeller pour qu’ils accomplissent leur promesse de réduire la pauvreté de moitié.

Le Défi Michée veut bâtir une démarche bibliquement fondée. On peut la résumer en quatre éléments (cf. schéma ). Ceux-ci se construisent en partant de la communauté chrétienne et en se tournant, de plus en plus, vers l’extérieur. Trois de ces éléments concernent les chrétiens:

1.  Entre chrétiens du Sud et chrétiens du Nord: approfondir les relations à l’intérieur du Corps du Christ, rapprocher les riches et les pauvres au sein du Corps du Christ en transformant les relations mutuelles.

2.  Chaque chrétien, chaque Eglise, là où Dieu l’a placé: approfondir son engagement en faveur des personnes appauvries et marginalisées. Chaque campagne du Défi Michée, au Nord comme au Sud, lance aux Eglises locales et aux unions nationales le défi de se laisser transformer par la Parole de Dieu et de s’engager, de manière plus importante, avec les communautés pauvres.

3.  Plaidoyer et citoyenneté active pour influer sur les décisions politiques. Il y a actuellement 25 campagnes dans les pays du Sud et 15 dans les pays du Nord. Chacune veut motiver bibliquement les chrétiens et les aider à utiliser les leviers de la démocratie pour influer sur leur gouvernement (mandaté par eux) pour qu’il mette en œuvre les politiques et budgets qui permettront de réaliser les OMD.

4.  Et, en dernier lieu, les gouvernants réalisent leur promesse. Ceux du Sud mettent en place les dimensions de la bonne gouvernance nécessaires à la réalisation des sept premiers objectifs (éducation, santé…). Ceux du Nord mettent en application leur promesse, l’objectif 8: financement du développement, régime commercial plus équitable et transfert de technologies (objectif 8).

Au final, les Objectifs du millénaire sont atteints.

Quelques mots sur deux fondements importants du Défi Michée: la Mission intégrale et le Plaidoyer.

Définition de la Mission intégrale (Déclaration du Réseau Michée, Oxford 2001)

Le Défi Michée se veut être une démarche de mission intégrale. La mission intégrale est la proclamation et la mise en pratique de l’Evangile. Il ne s’agit pas simplement de faire, en même temps, de l’évangélisation et de l’action sociale. Au contraire, dans la mission intégrale, notre proclamation a des conséquences sociales, puisque nous appelons à l’amour et à la repentance dans tous les domaines de la vie. En outre, notre implication sociale a des conséquences pour l’évangélisation, puisque nous témoignons de la grâce transformatrice de Jésus-Christ. Si nous ignorons le monde, nous trahissons la Parole de Dieu, qui nous envoie dans le monde. Si nous ignorons la Parole de Dieu, nous n’avons rien à apporter au monde. La justice et la justification par la foi, l’adoration et l’action politique, le spirituel et le matériel, le changement personnel et le changement structurel, tout cela va de pair. Etre, faire et dire, comme vivait Jésus, voilà le cœur de notre tâche intégrale2 [2].

Tearfund

Lorsque nous vivons notre foi et que nous nous impliquons dans les questions de pauvreté – par le biais de la prière, en soutenant financièrement des organisations de développement chrétiennes, en devenant actifs – notre foi est visible de par le monde. Nous «aimons notre prochain» de la manière que le Christ commande – à la fois celui qui vit à nos portes et aussi les plus pauvres de ce monde, ceux qui sont à des milliers de kilomètres, lorsque nous sommes prêts à nous lever avec eux alors qu’ils luttent pour un avenir meilleur3 [3].

Le pasteur américain Bill Hybels dit: «L’Eglise locale est l’espoir du monde.» En servant ceux qui nous entourent, dans notre ville et à des milliers de kilomètres de là, l’Eglise locale peut améliorer la vie de tous. Si nous prenons soin des pauvres, nous sommes partie intégrante de cette mission.

Œuvrer à travers les Eglises locales est une manière réellement efficace d’aider les personnes. Les Eglises qui entrent dans cette démarche intégrale connaissent ceux qui sont leurs voisins, leurs prochains et se soucient des personnes. Elles ne les voient pas seulement comme de simples bouches à nourrir (ce que ferait peut-être une organisation humanitaire séculière), mais elles ne voient pas non plus que les âmes. Elles savent par quoi ils sont passés et le type d’aide dont ils ont besoin. Elles ont conscience de leurs besoins physiques, psychiques, spirituels.

Plaidoyer

La démarche du Défi Michée tournée vers l’extérieur est une démarche de plaidoyer. Elle se fonde sur Proverbes 31.8-9: «Ouvre ta bouche pour défendre ceux qui ne peuvent parler, pour défendre les droits de tous ceux qui sont délaissés. Oui, parle pour prononcer de justes verdicts. Défends les droits des malheureux et des pauvres!»

Définition du Plaidoyer: «Agir avec les personnes appauvries ou en leur nom pour s’attaquer aux causes sous-jacentes à la pauvreté, promouvoir la justice et soutenir un bon développement, en influant sur les politiques et les pratiques de ceux qui sont au pouvoir.» (Tearfund)4 [4]

Quelques pensées sur ce plaidoyer:

–  La section de la déclaration d’Oxford qui concerne le plaidoyer affirme: «La lutte contre l’injustice est spirituelle.» Apocalypse chapitre 17 nous montre les réalités spirituelles qui se trouvent derrière l’injustice structurelle. C’est pourquoi la déclaration associe spiritualité et action publique: «Nous nous engageons à prier, à plaider au nom des pauvres, non seulement devant les dirigeants de ce monde, mais aussi devant le Juge de toutes les nations.»

–  La démarche de plaidoyer que le Défi Michée préconise est une démarche de citoyenneté active. Qu’est-ce que la citoyenneté active? Les membres d’une société ont un rôle à jouer, même si ce n’est pas un rôle de gouvernant, et certaines responsabilités envers la société et l’environnement. Un citoyen actif est celui qui exerce ses droits et ses devoirs d’une manière équilibrée.

La volonté politique est construite par la citoyenneté active. Le Défi Michée a pour objectif de bâtir la volonté politique nécessaire pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) par la mobilisation des chrétiens, qui pourraient influer sur les décisions politiques dans des pays clefs. Le plaidoyer que prône le Défi Michée est pour des chrétiens citoyens d’un monde globalisé et citoyens d’une démocratie. Le Défi Michée change les mentalités, car il n’est pas une démarche du Nord vers le Sud, il engage les chrétiens à la citoyenneté active des deux côtés de l’équation Sud-Nord.

–  Selon la déclaration d’Oxford, le plaidoyer est nécessaire «à la fois pour s’attaquer à l’injustice structurelle et pour aider notre prochain dans le besoin».

Quelqu’un me demandait récemment: «Est-ce juste de diminuer la retraite des Français ou de supprimer des postes d’enseignants en France pour aider les pauvres dans le monde? Est-ce juste de demander cela au président?» Oui, il est juste de demander à un président d’aider les pauvres dans le monde s’il a promis de le faire. Surtout s’il l’a promis au nom de la France et en notre nom. Nous ne demandons pas plus au gouvernement que de respecter ses engagements.

Est-ce aller au-delà du mandat de l’Eglise dans un état laïque? Un ministre, Christine Boutin5 [5], nous répond: «L’Eglise ne doit pas se substituer au rôle de l’Etat, ni régenter l’organisation de la vie civile. Mais elle a obligation de parler pour que les responsables du pouvoir politique puissent choisir.»

Alors que j’écris ces mots, je tombe sur ces lignes. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, préface et soutient un livre sur le Défi Michée: «Je me félicite vivement, écrit-il, de la publication de ce livre. Il arme la foi pour unir les chrétiens à l’échelle internationale (…) pour qu’ils s’engagent envers les personnes vivant dans la pauvreté à travers la prière, le service et le plaidoyer.» Le premier ministre anglais préface un livre à propos du Défi Michée et se félicite qu’il encourage les chrétiens à s’engager dans le plaidoyer!

Rôle de l’Eglise selon la ministre française. Rôle des croyants selon le premier ministre britannique. Peut-être, mais en quoi sommes-nous encore dans le domaine de la Mission intégrale?

Daniel Bourdanné, secrétaire général de l’IFES, c’est-à-dire les Groupes bibliques universitaires (GBU) au niveau mondial, francophone d’origine tchadienne, dit dans une interview: «Les Eglises européennes doivent s’impliquer dans les débats économiques (…) Nos actes parlent plus que nos paroles. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. Ce militantisme revêt une dimension missionnaire importante.» Son opinion est, pour moi, importante, car c’est un frère en Christ, du Sud, crédible, qui peut nous dire de manière légitime comment ce plaidoyer est perçu par les hommes et les femmes habitants du Sud: «Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. Ce militantisme revêt une dimension missionnaire importante.»6 [6] Une dimension de la Mission intégrale.

En conclusion, je citerai encore le Dr Bourdanné:

«On constate une réelle effervescence parmi les chrétiens d’Afrique. On est frappé par les Eglises pleines et la chaleur de la foi, et on parle d’un déplacement du centre de gravité du christianisme vers les pays du Sud. Mais (je) déplore le peu d’impact de cette effervescence dans la vie réelle – en termes de lutte contre la corruption, contre la pauvreté, contre les maux qui handicapent nos sociétés. Je ne peux rester insensible à ces pays qui sombrent dans la corruption et les génocides, comme si l’Evangile n’avait pas d’impact pour briser les chaînes. On chasse les démons le dimanche, et ils reviennent en force le lundi. Quelque chose ne va pas. (…)

«Pour parvenir à de véritables changements, la théologie évangélique doit connaître une transformation. Il s’agit de revisiter nos manières de voir pour que le mandat créationnel soit véritablement intégré dans notre engagement aujourd’hui. La question fondamentale sur laquelle doivent se prononcer aujourd’hui les évangéliques du Nord comme du Sud, c’est de savoir si notre responsabilité sociale reste marginale et s’ajoute simplement aux activités religieuses, ou si nous y voyons une véritable interpellation du Seigneur.»

J’espère que ce colloque apportera des réponses à cette question.

* T. Seewald est, avec D. Hillion et C. Hahling, membre du comité du Défi Michée.

1 [7] Pour une présentation de l’historique et des actions du Défi Michée, en particulier en France, on pourra se référer aux actes du colloque de Vaux-sur-Seine (Editions Ligue pour la Lecture de la Bible), aux numéros spéciaux Défi Michée de S.E.L.-Information ou au site www.defimichee.org [8].

2 [9] http://www.defimichee.fr/spip.php?article18 [10].

3 [11] http://www.tearfund.org/About+us/Integral+mission.htm [12].

4 [13] http://tilz.tearfund.org/webdocs/Tilz/Roots/English/Advocacy%20toolkit/ATENGA_2_Understanding%20advocacy.pdf [14].

5 [15] Cité par P. Joret: http://www.philippejoret.com/2007/05/ [16].

6 [17] http://www.lafree.ch/details.php/fr/chercher.html?idelement=225 [18].