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Entre l’action de Jésus et l’engagement de l’Église en faveur des pauvres, quel lien ?

ENTRE L’ACTION DE JÉSUS
ET L’ENGAGEMENT DE L’ÉGLISE
EN FAVEUR DES PAUVRES, QUEL LIEN?

Donald COBB*

Incontestablement, l’action de Jésus fonde celle de l’Eglise. Pourtant, dès que nous essayons de clarifier le lien entre ces deux choses, nous nous rendons compte que des conclusions précises en la matière ne sont pas si évidentes. L’histoire de l’Eglise n’est-elle pas parsemée de mouvements qui ont simplement voulu imiter le Christ, et qui ont abouti à des excès parfois impressionnants? De fait, la vie de Jésus est jalonnée d’événements et d’activités que nous ne pouvons pas imiter, à commencer par la tentation dans le désert, l’agonie de Gethsémané… et la croix elle-même. Peut-être devrions-nous même dire que notre vie chrétienne est possible, justement, parce que Christ a fait ce que nous ne pouvions pas faire et qu’il est passé par des chemins – comme celui de la malédiction – précisément pour que nous n’ayons pas y passer!

La question se pose donc: ce lien souvent considéré comme une évidence entre l’action de Jésus et l’engagement de l’Eglise en faveur des pauvres – ce que l’on appelle souvent l’action sociale de l’Eglise – est-il légitime? Ces deux choses peuvent-elles être rapprochées l’une de l’autre ou se distinguent-elles plutôt? Concrètement, comment cette question nous aide-t-elle à être sel et lumière dans le monde, en particulier face à la pauvreté et à la détresse humaine? Pour y répondre, je propose de relever, tout d’abord, quelques aspects saillants du ministère de Jésus dans les évangiles.

I. Le ministère de Jésus d’après les évangiles

A) L’attitude de Jésus envers la richesse et les pauvres

Qui dit action sociale dit non seulement souci des pauvres, mais encore rapport avec la richesse. De fait, les évangiles contiennent quantité d’affirmations à ce sujet. Face aux soucis matériels et à la tentation d’«amasser des trésors sur la terre» (Mt 6.19-21), Jésus exhorte à «chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice» (Mt 6.33). Le bibliste allemand M. Hengel parle à ce sujet d’une «critique radicale des possessions»1 [1]. Or, si Jésus prône une telle attitude, c’est parce que l’attachement à l’argent, avec ses calculs et son esprit de thésaurisation, est diamétralement opposé à la confiance en Dieu: «Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon.» (Mt 6.24)2 [2] C’est pourquoi «la séduction des richesses» figure parmi les choses qui étouffent l’annonce du royaume et la rendent infructueuse (Mc 4.19)3 [3]. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le riche, dans les évangiles, est considéré comme l’exemple même de celui qui ne vit pas pour Dieu4 [4].

A l’inverse, l’enseignement de Jésus accorde au pauvre une place de choix. Il suffit de penser à la toute première béatitude: «Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous!» (Lc 6.20) Il faut pourtant qualifier ce propos car, dans le texte parallèle de Matthieu en tout cas, la pauvreté dont il est question est une condition non matérielle uniquement, mais, tout autant, spirituelle: «Heureux les pauvres en esprit.» (Mt 5.3) Les pauvres sont ceux qui, dans des situations de détresse, reconnaissent leur indigence et s’attendent au Seigneur, afin qu’il leur vienne en aide et les comble de sa richesse. C’est pourquoi l’annonce du salut de Dieu leur est destinée (Mt 11.5)5 [5]. Non pas qu’il faille imaginer une opposition entre pauvreté matérielle et pauvreté spirituelle; mais les deux aspects s’interpénètrent et s’interprètent mutuellement6 [6].

Au-delà de l’enseignement, les évangiles livrent encore l’exemple pratique de Jésus: l’indice le plus clair ici est sans doute le récit de la femme qui oint les pieds de Jésus, action qui a suscité le reproche des disciples: «A quoi bon perdre ce parfum? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres.» (Mc 14.4-5) Si les disciples étaient conscients de l’importance de subvenir aux besoins des démunis c’était, à n’en pas douter, en raison de ce qu’ils avaient observé chez le Maître lui-même. L’exemple du Christ, aussi bien dans les actes que dans l’enseignement, est bien celui d’une compassion envers ceux qui sont dans le besoin.

Cela étant dit, on ne peut manquer d’être frappé par le peu d’exhortations dans les évangiles à s’occuper, concrètement, des pauvres. Certes, il existe des consignes en ce sens, notamment chez Luc, où nous lisons par exemple: «Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumône.» (Lc 12.33) On peut encore penser à Luc 11.39-41: «Vous, pharisiens, vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, et à l’intérieur vous êtes pleins de rapine et de méchanceté. Insensés! celui qui a fait le dehors n’a-t-il pas fait aussi le dedans? Donnez plutôt l’aumône du fond du cœur, et tout sera pur pour vous.» Mais, étonnamment, de telles exhortations sont finalement assez peu nombreuses7 [7]. Comment expliquer cela? Est-ce, simplement, parce que dans le judaïsme de l’époque la pratique de l’aumône allait de soi (ou, en tout cas, devait aller de soi)? C’est possible. Pourtant, on peut se demander s’il n’y a pas là une indication que l’essentiel du ministère de Jésus se trouve en fait ailleurs.

B) L’annonce du royaume de Dieu en paroles… et en actes

Au centre des évangiles synoptiques se trouve l’annonce du «royaume de Dieu»8 [8]. Nous touchons là l’élément le plus essentiel de la proclamation de Jésus9 [9]. Marc résume ainsi ce message en disant que Jésus «proclamait la bonne nouvelle de Dieu (kerussôn to euaggelion tou theou) et disait: Le temps est accompli et le royaume de Dieu s’est approché. Repentez-vous et croyez à la bonne nouvelle.» (Mc 1.15) La «bonne nouvelle», l’Evangile qu’il s’agit de recevoir dans la repentance et la confiance en Jésus, c’est que le royaume (ou le règne) de Dieu est devenu une réalité présente: Dieu intervient de façon décisive, afin d’accomplir ses promesses anciennes, il reprend ses droits sur un monde marqué par le mal, le péché et la rébellion, et il apporte le salut à ceux qui s’attendent à lui.

De ce fait, le ministère de Jésus est un ministère de proclamation – Jésus annonce le royaume – mais, tout autant, un ministère de manifestation. Dans l’évangile de Marc en particulier, ces deux aspects s’entremêlent constamment. Ainsi lisons-nous après l’annonce initiale du royaume (Mc 1.14-15) que Jésus se rendit à Capernaüm, et que là il «enseignait (edidasken)» (1.21). Et Marc d’ajouter au sujet de ceux qui écoutaient: «Ils étaient étonnés de son enseignement (epi de didachê autou); car il enseignait (ên gar didaskôn) comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.» (Verset 22) Or, cette description est directement suivie d’un récit d’exorcisme qui illustre ce que Jésus vient de proclamer, de sorte que les spectateurs ne peuvent s’empêcher de dire: «Qu’est-ce donc? Un enseignement nouveau (didachê kainê), et quelle autorité! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent!» (Verset 27) Si Jésus proclame le royaume, son action confirme cette proclamation et la rend visible. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que le récit se poursuit en mettant en avant la guérison de la belle-mère de Pierre (versets 29-31) et des malades qui affluaient de toute la région (versets 32-33); puis vient cette précision: «Il guérit beaucoup de malades qui souffraient de divers maux et chassa beaucoup de démons.» (Verset 34) Pourtant, la pointe de cette section se trouve au verset 38, dans une affirmation qui entend rendre compte de l’ensemble de l’activité de Jésus: «Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j’y prêche aussi (hina kai ekei kêruxô); car c’est pour cela que je suis sorti10 [10]

Les évangiles parlent abondamment des miracles de Jésus. Le terme qu’ils emploient habituellement est dunamis, littéralement «puissance». Le choix du vocabulaire n’est pas neutre, car les miracles sont, d’abord, des manifestations de la puissance du royaume; ils permettent de voir quelque chose du règne de Dieu qui fait irruption dans le monde présent. Comme le souligne N.T. Wright, les guérisons de Jésus «ne visaient pas seulement à apporter un remède physique»; ils se comprenaient, au contraire, en rapport avec «l’établissement du royaume»11 [11].

C’est pourquoi ceux qui en sont témoins… et pourtant rejettent le message qui les explique et qu’ils illustrent sont menacés d’un jugement particulièrement sévère. On peut penser à Luc 10, où les imprécations contre les villes de Galilée sont mises en rapport avec la mission des soixante-dix disciples: «Malheur à toi, Chorazin! malheur à toi, Bethsaïda! car, si les miracles (dunameis) faits au milieu de vous l’avaient été à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, avec le sac et la cendre. C’est pourquoi, lors du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous.» (Lc 10.13-14) Or, ces miracles sont ceux que les disciples vont opérer dans le contexte de l’annonce du royaume12 [12]. En effet, nous lisons cet ordre de Jésus quelques versets auparavant: «Dans quelque ville que vous entriez, et où l’on ne vous recevra pas, allez sur les places et dites: Nous secouons contre vous la poussière même de votre ville qui s’est attachée à nos pieds; sachez pourtant que le royaume de Dieu s’est approché. Je vous dis qu’en ce jour Sodome sera traitée moins rigoureusement que cette ville-là.» (Lc 10.10-12) Les miracles prennent leur sens non pas en tant qu’actes prodigieux, ni comme une simple activité humanitaire, mais comme les manifestations du règne de Dieu qui s’est approché13 [13].

Un dernier passage où le lien avec le règne de Dieu se fait explicite se trouve en Matthieu 12.22-30, dans le contexte de la guérison du sourd muet. Dans ce passage, Jésus met en relief deux règnes opposés, celui de «Béelzébul»… et celui de Dieu (versets 25 et 27). Le verset 28 est particulièrement significatif: «Si c’est par l’Esprit de Dieu que moi, je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous.» Une fois de plus, l’action de Jésus révèle, rend concret le royaume14 [14].

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Ce détour a été nécessaire pour comprendre l’action et l’enseignement de Jésus au sujet de ceux qui, de façon générale, sont en proie à la détresse; je pense notamment aux guérisons, mais c’est dans cette même perspective qu’il faut comprendre l’action envers les pauvres. Or, le fait que cette activité vise à révéler la présence et le caractère du règne de Dieu soulève un point capital: c’est que Jésus se montre peu préoccupé, finalement, par l’idée de vaincre la pauvreté en soi, à travers ses propres efforts ou ceux de ses disciples. La parole la plus explicite que nous possédons là-dessus tend même à suggérer le contraire: dans le passage cité plus haut, où Jésus reprend ses disciples indignés devant l’action de la femme, nous avons ce dire surprenant: «Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine? Elle a fait une bonne action à mon égard; car vous avez toujours (pantote) les pauvres avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous voulez, mais vous ne m’avez pas toujours.» (Mc 14.6-7) Il faudra revenir sur ce texte, mais cela laisse déjà entendre que la mission des disciples ne sera pas de mettre fin à la pauvreté – pauvreté qui, au contraire, sera présente tout au long du ministère de l’Eglise.

Si la mission des disciples après le départ du Maître n’est pas d’éradiquer la pauvreté, comment la comprendre? Le livre des Actes et la suite du Nouveau Testament le montrent bien: elle consistera à proclamer l’Evangile du Christ, mort, ressuscité et «élevé à la droite du Père», de Jésus qui a pris la place de Seigneur et de Christ, et qui règne par conséquent sur toutes choses (cf. Ac 2.29-36). Pour le dire autrement, les disciples devront annoncer que ce règne de Dieu que Jésus a proclamé s’est concrétisé dans sa résurrection et son action de prendre place sur le trône. Or – et ce point me paraît fondamental – le corollaire de cette annonce sera la naissance d’une communauté qui reconnaît la seigneurie du Christ et cherche à en vivre la réalité. Non pas en reproduisant l’action précise de Jésus; certes, il y aura des miracles dans l’Eglise primitive, et nous voyons dans les Actes des situations où les apôtres, à la suite de Jésus, diront à ceux qui sont dans la souffrance: «Lève-toi et marche!» (Ac 3.6) Mais, de façon générale, et pour dire les choses de manière un peu caricaturale, l’Eglise ne sera pas appelée à multiplier des pains et des poissons pour nourrir les multitudes! En revanche, avec les moyens que le Seigneur lui donnera et dans les limites qui seront les siennes, elle «prolongera» le ministère de Jésus en manifestant, par sa proclamation et ses actes, que Christ exerce son règne dès à présent et qu’il continue, par elle et à travers elle, d’étendre les effets de ce règne.

II. L’attitude de l’Eglise du Ier siècle envers les pauvres

Nous avons là, je crois, un élément décisif pour notre réflexion sur l’engagement social de l’Eglise aujourd’hui. Cependant, avant de développer les conséquences de ce point, penchons-nous sur la façon dont l’Eglise primitive a vécu cela dans son existence quotidienne. Comment, en effet, cette vie marquée par la seigneurie du Christ s’est-elle manifestée? Un élément bien connu est le partage des biens afin de secourir ceux qui étaient dans le besoin: «Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun. Ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun.» (Ac 2.44-45) Cette notice surprenante n’est surpassée que par celle que nous voyons un peu plus loin, en Actes 4:

«La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux. Avec une grande puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus. Et une grande grâce était sur eux tous. Car il n’y avait parmi eux aucun indigent; tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu et le déposaient aux pieds des apôtres; et l’on distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin.» (Actes 4.32-35)

Certes, il ne faut pas idéaliser les premiers temps de l’Eglise. Ces descriptions parlent d’une communauté au tout début de son existence; si le don de soi – et des biens – paraît naturel dans une situation de grande effervescence, il a toujours du mal à se pérenniser! La suite des Actes, avec le récit d’Ananias et Saphira (Ac 5.1-11), montrera de même que ces descriptions ne disent pas tout de la communauté naissante15 [15]. Pourtant, ce souci des démunis ne se limite pas aux premiers chapitres des Actes; il fera partie des consignes que Paul recevra des apôtres de Jérusalem (Ga 2.10)16 [16] et qu’il transmettra aux communautés qu’il fondera (Ga 6.10). La collecte organisée au moment où l’Eglise de Jérusalem se trouvera elle-même en situation de difficulté en est un témoignage éloquent17 [17]. En outre, le détachement des richesses que Jésus préconise dans les évangiles reviendra aussi chez Paul (1Co 7.30-32; Ph 4.6a, 11-13). Quelques années plus tard, dans les épîtres pastorales, le soin des veuves (c’est-à-dire de celles qui étaient parmi les plus vulnérables sur le plan socio-économique) semble même s’être organisé et institué (1Tm 5.9-10). La première épître de Jean, quant à elle, reste difficile à dater, mais dans cette lettre que l’on peut situer vraisemblablement vers les années 80 ou 9018 [18], la conscience d’un nécessaire secours matériel pour ceux qui sont dans le dénuement reste vivace: «Si quelqu’un possède les biens du monde, qu’il voie son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui?» (1Jn 3.17)19 [19]

Comment expliquer ce souci de générosité et de sollicitude à l’égard des nécessiteux? On pourrait sans doute évoquer les nombreuses consignes de l’Ancien Testament qui martèlent l’importance de prendre soin des membres faibles de la société: la veuve, l’orphelin, le lévite et l’étranger. Le judaïsme de l’époque, on le sait, avait une pratique très développée d’aumônes et d’hospitalité à l’intention des pauvres20 [20]. La communauté de Qumrân pratiquait même le partage des biens de façon systématique21 [21], ce qui est d’ailleurs vrai de l’ensemble du mouvement essénien que nous font connaître les écrits de l’Antiquité22 [22].

Il y a là des éléments de rapprochement intéressants. Ils ne suffisent pourtant pas à tout expliquer, car dans le texte d’Actes 4.32-35, le partage communautaire va de pair avec la précision qu’«avec une grande puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus» (verset 33). L’action de l’Eglise naissante est, en fin de compte, la conséquence pratique de la résurrection qu’annonce et explique le témoignage apostolique. La générosité et le détachement évident à l’égard des biens matériels fait partie d’une sorte d’«onde de choc» provoquée par le tombeau vide. S. Légasse remarque que la précision apportée en Actes 4.34 – «Car il n’y avait parmi eux aucun indigent (endeês)» – reprend en fait Deutéronome 15.4, d’après la LXX23 [23]: «Car il n’y aura pas d’indigent (endeês) chez toi.» Ce qui, dans le texte hébreu, pourrait se comprendre avant tout comme une exhortation – «toutefois, qu’il n’y ait pas chez toi d’indigent»24 [24] – se transforme dans la version grecque en une promesse qui laisse entrevoir l’époque messianique25 [25]. Or, comme le souligne Légasse, «c’est ce que la nouvelle communauté accomplit à la lettre». En d’autres termes, Luc montre dans ces deux passages «[…] les conditions de vie dans le royaume par une anticipation éloquente», au sein de la communauté chrétienne26 [26].

Nous avons là l’explication à la fois la plus immédiate et la plus profonde de l’action de l’Eglise primitive envers les pauvres. Il ne s’agit pas d’alléger simplement, dans un souci humanitaire, les souffrances des nécessiteux, encore moins de vouloir éliminer la pauvreté en tant que fléau socio-économique. L’action de l’Eglise au Ier siècle se comprend bien plutôt comme l’expression concrète de l’Evangile – de l’Evangile qui proclame la seigneurie de Jésus le Messie. En d’autres termes, l’Eglise primitive s’est efforcée d’être une manifestation tangible du règne de Dieu qui s’est concrétisé en Christ et qui s’achèvera dans le royaume éternel; là où, pour reprendre les paroles du Deutéronome, «il n’y aura plus d’indigent».

III. Vers une mise en pratique…

Que pouvons-nous retenir de tout cela pour notre époque? Dans cette dernière partie, j’aimerais relever, assez succinctement, trois points.

A) Un réalisme par rapport à la pauvreté

Face à une certaine naïveté qui chercherait à faire croire que l’éradication définitive de la pauvreté pourrait faire partie des objectifs raisonnables de l’Eglise, le Nouveau Testament invite au réalisme. J’ai déjà cité cette parole de Jésus, surprenante à nos oreilles: «Vous avez toujours les pauvres avec vous.» (Mc 14.7) Elle renvoie en fait à un autre passage, dans le Deutéronome: «Il y aura toujours des pauvres dans le pays; c’est pourquoi je te donne cet ordre: Tu devras ouvrir ta main à ton frère, le pauvre ou le déshérité qui est dans ton pays.» (Dt 15.11)27 [27] Aussi bien chez Jésus que dans l’Ecriture qu’il reprend à son compte, la pauvreté fait partie d’un monde marqué par le péché. En tant que conséquence de la cupidité et d’une création soumise à la vanité, elle continuera d’être le symptôme d’un problème plus grand, aussi longtemps que le mal ne sera pas détruit à la racine28 [28].

Certes, il ne doit y avoir là aucune résignation ni aucune passivité. Au contraire, cette réalité dramatique, à laquelle nous ne pouvons «fermer notre cœur», fonde, dans l’Ancien Testament, l’exhortation à la générosité (cf. Dt 15.4, 7). Mais la disparition totale de la pauvreté n’est envisagée dans l’Ecriture que dans le contexte de l’intervention finale de Dieu, lors de l’établissement définitif de son règne29 [29].

B) Une distinction entre la vie de l’Eglise et l’action humanitaire

Un deuxième élément qui peut surprendre dans les textes bibliques est que cette nécessaire sollicitude envers les pauvres vise en tout premier lieu – notamment dans le Nouveau Testament – les membres de l’Eglise, les frères (et sœurs!) en la foi, ainsi que ceux qui se trouvent en proximité immédiate de la communauté chrétienne. Le Nouveau Testament parle en fait assez peu des pauvres comme tels. Ceux dont il est question, ce sont avant tout, comme le dit Jésus, «ces plus petits de mes frères» (Mt 25.40)30 [30]; ce sont «un frère ou une sœur [qui] sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour» (Jc 2.14), ou encore «le frère dans le besoin» (1Jn 3.17). Certes, l’Eglise a parfois étendu ces paroles pour englober le pauvre, quel qu’il soit, et l’on pourrait sans doute y trouver un prolongement légitime en ce sens. La pratique de l’Eglise au Ier siècle met pourtant l’accent surtout sur la générosité dans le contexte de la communauté. Comme le dit Paul: «Ainsi donc, pendant que nous en avons l’occasion, pratiquons le bien envers tous, et surtout envers ceux qui sont de la famille – ou de la maison – de la foi.» (Ga 6.10)31 [31]

Faut-il en conclure que l’humanitaire comme tel n’a donc pas de place dans la vie chrétienne? Ce serait, à mon sens, mal interpréter les données bibliques. Le Nouveau Testament souligne que l’amour du prochain est un aspect capital de la vie en Christ. D’une certaine façon, l’amour – pour Dieu mais aussi pour les autres – est la manifestation ultime du fait que Dieu règne dans la vie de ses enfants (Mc 12.32-34). En tant qu’hommes et femmes qui ont découvert en Christ la compassion de Dieu, nous ne pouvons pas ne pas manifester à notre tour cette compassion, en particulier là où les besoins sont les plus criants. En ce sens, notre «prochain», ce n’est pas seulement notre frère ou notre sœur en Christ, ce sont déjà celui et celle qui partagent avec nous une commune humanité.

Pourtant, en prenant au sérieux les textes bibliques, il convient de distinguer. Cela me paraît particulièrement important dans le contexte de la mondialisation, où le lien entre, d’un côté, la générosité et l’élan humanitaire de ceux qui donnent et, de l’autre, la concrétisation de cet élan au sein des situations souvent très éloignées géographiquement, est facilement distendu, voire rendu invisible. Dans les évangiles, les actes de compassion de Jésus, inséparables de son message, gardent un lien direct – parfois même physique – avec celles et ceux qui en sont les bénéficiaires, précisément parce que cette compassion ne se manifeste pas pour elle-même seulement mais a pour vocation de renvoyer à une réalité plus grande, plus fondamentale. Certes, notre action humanitaire dans la discrétion et l’anonymat peut exprimer notre appartenance au Christ-Roi; à ce titre, elle n’est jamais à mépriser. Cependant, en restant dans la logique de l’Ecriture, il paraît nécessaire de concevoir l’engagement social de l’Eglise comme étant essentiellement un débordement de la seigneurie du Christ vers l’extérieur, et dont l’Evangile ainsi que la vie de la communauté elle-même indiquent la source et la motivation32 [32].

Un dernier point sur ce sujet: tout cela n’implique pas pour autant que l’action sociale de l’Eglise doit être un simple préalable pour pouvoir passer à la proclamation, une sorte d’«attrape-nigaud» permettant de faire passer la seule chose qui soit vraiment importante, à savoir le message du salut des âmes! L’action de la communauté chrétienne – dans tous les domaines – se conçoit, au contraire, comme ce qui rend tangible le règne présent du Christ, de celui devant lequel elle a fléchi le genou, comme ce qui rend palpable et confirme l’Evangile dont elle est la messagère. En ce sens, l’engagement social de l’Eglise n’est pas une activité auxiliaire, mais un verbum visibile, inséparablement lié à un verbum audibile, une «parole visible» permettant de mieux comprendre la «parole audible».

C) L’Eglise comme voix prophétique face à la société

Tout cela signifie-t-il que l’Eglise n’aurait aucune exhortation à adresser au monde en tant que monde, en particulier dans le domaine de la détresse humaine, ou que la pauvreté en tant que telle ne la concernerait finalement pas? Là encore, il faut répondre par la négative. Dans la mesure où la pauvreté est souvent la conséquence directe de l’oppression, de la convoitise et de la domination, l’Eglise a le devoir, avec humilité et dans une attitude de solidarité avec la société où elle se trouve, de mettre le doigt sur les injustices et abus des systèmes économiques qui peuvent facilement devenir des instruments pour exploiter la vulnérabilité des humains.

Il y a là une analogie avec le prophétisme biblique: tout en s’adressant essentiellement au peuple de l’alliance, les prophètes de l’Ancien Testament ont été amenés à dénoncer à plusieurs reprises les ambitions et prétentions politiques des nations à l’entour. L’Eglise, disséminée parmi les nations, vivant au sein de la société, ne doit pas en faire moins! A ce titre, un passage comme Michée 6.8, exhortant le peuple de Dieu à «pratiquer la justice et à marcher humblement avec son Dieu», s’adresse de façon valable aussi aux nations et à leurs dirigeants non chrétiens. La différence entre l’exhortation des prophètes vétérotestamentaires aux peuples païens et le message «prophétique» de l’Eglise à l’intention de la société ne touche donc pas, d’abord, au contenu. Elle relève plutôt du fait qu’en annonçant la justice qui constitue la volonté divine pour les hommes, l’Eglise proclame que cela fait aussi partie de la réalité du royaume à laquelle tend l’histoire et la création, et que cette réalité a déjà pris forme concrètement en Christ.

Conclusion

L’action de Jésus permet-elle de fonder l’engagement de l’Eglise? Si l’on conçoit cet engagement comme une simple imitation des gestes qui ont constitué le ministère terrestre du Christ, la réponse ne peut qu’être négative. Le lien entre les deux ne se trouve pas, finalement, dans le type d’action envisagé, mais dans la motivation et la finalité: manifester la réalité présente du royaume de celui qui est Seigneur. Ce faisant, l’Eglise appelée, selon l’expression heureuse du missiologue anglais L. Newbigin, à être «signe, avant-goût et instrument du royaume», rendra tangible une réalité qui l’habite sans qu’elle la possède entièrement, une réalité de laquelle elle est au service, qui l’appelle en avant et, en même temps, la dépasse infiniment.

De la sorte, l’engagement social de l’Eglise sera surtout posé comme le signe d’une réalité qui s’impose déjà au milieu du monde présent, encore caractérisé par le péché mais aussi comme un avant-goût du règne qui vient et qui, à ce titre, permet de regarder en avant, vers ces nouveaux cieux et cette nouvelle terre où – selon la promesse de Dieu – «la justice habitera» (2P 3.13)33 [33].

* D. Cobb est professeur à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 [34] M. Hengel, Property and Riches in the Early Church (Londres: SCM, 1974), 23 ss.

2 [35] Mammonas est la transcription en grec du mot araméen signifiant «richesse», «propriété». M. Hengel suggère que le terme, laissé tel quel dans les évangiles, prend la force d’un nom propre, comme celui d’une idole. Servir Mammon, c’est commettre l’idolâtrie; «[…] Jésus s’élève contre Mammon avec la plus grande sévérité là où il a ensorcelé le cœur des hommes, car elle prend alors un caractère démoniaque qui aveugle les yeux des hommes à la volonté de Dieu – c’est-à-dire, en termes concrets, aux besoins du prochain. Mammon est adoré partout où les hommes aspirent à la richesse, y sont liés, s’efforcent d’augmenter leurs biens et cherchent à dominer comme conséquence de leurs possessions.» Property and Riches in the Early Church, 30.

3 [36] C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la consigne de Jésus au jeune homme riche: «Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi.» (Mc 10.21) Le problème que pointe Jésus, ce ne sont pas les richesses en soi (malgré les versets 24-25!) mais l’attachement à leur égard. L’exhortation de Jésus à tout vendre équivaut à un appel à se défaire de ce qui est devenu, pour cet homme, son dieu.

4 [37] Cf. Lc 16.19-31, 12.16-21; Mc 10.24.

5 [38] Comme le montrent D.A. Hagner et d’autres, les «pauvres en esprit» sont ceux qui, dans une situation de dénuement matériel, mettent leur confiance en Dieu; Matthew 1-13 (Waco: Word, 1993), 91s. L’expression renvoie à des passages de l’Ancien Testament tels Ps 9.18, 33.18, 40.18; Es 57.15. Le lien entre pauvreté physique et attente du Seigneur se dessine clairement en Es 61.1, dont s’inspirent les béatitudes. La même remarque est faite par A. Mello: «Les ‹pauvres en esprit› sont réellement des pauvres, ils ne le sont pas qu’intérieurement. L’adjonction de ‹en esprit› n’a rien de restrictif, elle sert plutôt à souligner une dimension de la pauvreté, qui est une situation non seulement sociologique, mais aussi spirituelle et religieuse.» Evangile selon saint Matthieu − Commentaire midrashique et narratif (Paris: Cerf, 1999), 114.

6 [39] Cela devient évident lorsqu’on considère que le pauvre dans les dires de Jésus est en tout premier lieu le pauvre d’Israël; ce sont les membres démunis du peuple de Dieu qui s’attendent au secours du Dieu de l’alliance.

7 [40] S. Légasse étend ce constat à l’ensemble du Nouveau Testament: «[…] [L]e souci des pauvres n’est pas un thème majeur dans tous les écrits du Nouveau Testament. Dans les évangiles, Luc étant mis à part, l’insistance sur ce point est plutôt réduite.» «Pauvreté chrétienne», in Dictionnaire de spiritualité, 12i (dir. M. Viller, F. Cavallera, et al., Paris: Beauchesne, 1984), 625 (souligné dans le texte). Le passage de Lc 14.12-14 (cf. le verset 13: «Mais lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles»), se situant dans la suite de la «parabole» des versets 7-11, n’est pas une exception à cela. Le verset 15 – et surtout les versets 16-24 – montrent que le contexte est celui des noces eschatologiques et que la question de fond touche par conséquent, avant tout, à ceux que l’on «invite», ou non, à ce festin-là.

8 [41] Il faut souligner ici une différence entre les synoptiques et Jean. La fréquence de l’expression «royaume de Dieu» (ou «royaume des cieux», chez Matthieu) montre déjà l’importance de cette thématique pour l’enseignement de Jésus (37 fois chez Matthieu, 14 fois chez Marc, 32 fois chez Luc). Dans l’évangile de Jean, en revanche, elle n’est employée que deux fois (Jn 3.3, 5; cf. 18.36). Jean remplace habituellement cette expression par «la vie éternelle». Pour une explication suggestive de ce phénomène, cf. J. Buchhold, «L’évangile de Jean: une ‹traduction› des synoptiques», TE, 4 (2005), 19-30 (en particulier 22ss).

9 [42] Les spécialistes sont à peu près unanimes sur ce point. Cf., entre autres, J. Jeremias, Théologie du Nouveau Testament (Paris: Cerf, 19962), 125ss, et, plus récemment, J.D.G. Dunn, Jesus Remembered (Grand Rapids-Cambridge: Eerdmans, 2003), 383-387.

10 [43] Cf., par exemple, C. Focant, L’évangile selon Marc (Paris: Cerf, 2004), 97. Le verbe kêrussô dans ce verset est le même qu’en Mc 1.14-15; il constitue une inclusion avec ce passage, en sorte que ce qui se trouve entre les deux explicite comment le royaume proclamé en Mc 1.14-15 et 38 se décline dans le détail. A noter que la version parallèle de Luc (Lc 4.42-43) souligne plus explicitement encore le lien avec le royaume: «Dès que le jour parut, il sortit et alla dans un lieu désert. Des foules de gens se mirent à sa recherche et vinrent jusqu’à lui; ils voulaient le retenir, afin qu’il ne les quitte pas. Mais il leur dit : Il faut aussi que j’annonce aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu (euaggelisasthai me dei tên basileian tou theou); car c’est pour cela que j’ai été envoyé.»

11 [44] Jesus and the Victory of God (Minneapolis: Fortress Press, 1996), 192 et passim. H.N. Ridderbos voit dans l’affirmation «heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent» (Mt 13.16) une référence aux miracles et à la proclamation de l’Evangile: les deux choses ensemble «[…] rendent visible et audible la proclamation concernant l’accomplissement des promesses, la venue de l’âge messianique du salut. […] Les miracles de Jésus révèlent la venue du royaume de Dieu.» The Coming of the Kingdom (Philadelphie: Presbyterian and Reformed, 1962), 65.

12 [45] J. Nolland écrit ceci au sujet de Lc 10.9ss: «Dans les guérisons se manifestent les effets du royaume qui vient. Tout en apportant un soulagement immédiat aux affligés, leur vraie signification ne s’apprécie qu’en rapport avec le royaume de Dieu. […] [L]e royaume de Dieu est une réalité eschatologique future qui, dans la venue de Jésus, a fait irruption dans le monde tout en attendant encore sa consommation future.» Luc 9.21-18.34 (Waco: Word, 1993), 554.

13 [46] Cf. le verset 9, qui rapproche explicitement la guérison de l’annonce du royaume: «Guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur: Le royaume de Dieu s’est approché de vous.»

14 [47] Cf., sur ce passage, C. Grappe, Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus (Genève: Labor & Fides, 2001), 169-174. Remarquons, en ce qui concerne les miracles sur la nature, que si le rapport avec le royaume y est plus discret, il n’est pas moins fondamental pour autant, car l’autorité de Jésus sur les éléments naturels, révèle que Dieu exerce de nouveau sa domination sur la création. Il n’est d’ailleurs pas sans importance de noter que les évangiles parlent à plus d’une reprise de la maîtrise de Jésus sur la mer; dans l’Ancien Testament, la mer représente souvent le chaos, la force aveugle, impétueuse, qui menace la création; elle fait facilement figure du mal qui refuse de se soumettre à Dieu (cf. Ps 69.1-2, 15, cf. 46.43-44, 74.13, 89.9-10, 93.4, 107.23-29, etc.). En lui faisant des reproches en sorte qu’elle s’apaise et redevienne calme (Mc 4.41), Jésus révèle qu’en lui Dieu étend, de façon visible, son règne sur la création menacée par le désordre et la désharmonie; cf. N.T. Wright, Jesus and the Victory of God, 193s, et H.N. Ridderbos, The Coming of the Kingdom, 67s.

15 [48] Sans aller jusqu’à parler – comme le fait D. Marguerat, Les Actes des Apôtres (1-12) (Genève: Labor & Fides, 2007), 106 et 109-110 – d’un «mythe des origines» ou d’une «utopie communautaire», on peut reconnaître que ces premiers chapitres des Actes ne visent pas simplement à informer les lecteurs de ce qu’était l’Eglise naissante, mais encore, à titre d’exhortation, à rappeler à l’Eglise – de tous les temps – l’idéal auquel elle doit tendre.

16 [49] Cela reste vrai même s’il faut probablement comprendre cette consigne non pas comme une indication générale au sujet des pauvres de toutes sortes, mais en rapport plus précisément avec les membres de l’Eglise de Jérusalem; ainsi, par exemple, J. Becker, Paul − L’apôtre des nations (Paris-Montréal: Cerf-Médiaspaul, 1995), 34.

17 [50] Cf. 1Co 16.1-4; 2Co 8.1-15, 9.1-15.

18 [51] Ainsi, par exemple, D.A. Carson et D. Moo, Introduction au Nouveau Testament (Cléon-d’Andran: Excelsis, 2007), 635s, et D.A. Silva, An Introduction to the New Testament, Contexts, Methods & Ministry Formation (Leicester: Apollos, 2004), 454.

19 [52] Au-delà du Ier siècle, on constate un approfondissement impressionnant de la réflexion au sujet de la responsabilité de l’Eglise envers les pauvres et un développement systématique de la diaconie. Cf. à ce sujet G. Hammann, L’amour retrouvé, le ministère de diacre, du christianisme primitif aux réformateurs protestants du XVIe siècle (Paris: Cerf, 1994), et P. Christophe, Les pauvres et la pauvreté, des origines au XVe siècle, I (coll. Bibliothèque d’histoire du christianisme, VII, Tournai: Desclée, 1985).

20 [53] Cf. H. Cousin, J.-P. Lémonon, J. Massonet (éd.), Le monde où vivait Jésus (Paris: Cerf, 20042), 203ss.

21 [54] 1QS I,11-12; VI,19-23.

22 [55] On peut penser notamment à la célèbre description que Flavius Josèphe fait des esséniens dans ses Antiquités juives: «Ils méprisent les richesses; toutes choses sont communes entre eux, avec une égalité si admirable que, lorsque quelqu’un embrasse leur secte, il se dépouille de la propriété de ce qu’il possède, pour éviter par ce moyen la vanité des richesses, épargner aux autres la honte de la pauvreté et, par un si heureux mélange, vivre tous ensemble comme des frères.» N. Schumann (éd.), Les Juifs. Histoire ancienne des Juifs − La guerre des Juifs contre les Romains − Autobiographie (Paris: Lidis, 1981), 708.

23 [56] La traduction grecque de l’Ancien Testament.

24 [57] Cf. la traduction de la Bible de Jérusalem pour ce verset. D’autres traductions sont possibles.

25 [58] «Pauvreté chrétienne», 628-629.

26 [59] Ibid., 689.

27 [60] D’après la Nouvelle Bible Segond (NBS). Le vocabulaire n’est pas identique dans les deux versets, mais l’allusion au Deutéronome ne fait guère de doute.

28 [61] L’hébreu du Dt 15.11 marque une insistance particulière: «Assurément (kî), le pauvre ne cessera pas d’exister » (lo’ yèhdal) au milieu du pays.»

29 [62] Malgré de nombreux points positifs par ailleurs, la Déclaration de Querétaro (Réseau Michée, septembre 2003, Mondialisation et pauvreté) me semble donc aller trop loin, en disant qu’«en tant que communauté chrétienne mondiale, nous avons une occasion historique et un impératif biblique d’éradiquer le grand fléau de la pauvreté absolue de notre temps»; http://www.defimichee.fr/spip.php?article20 [63] (page consultée le 12 février, 2008, souligné par moi).

30 [64] Bien que ce passage soit souvent compris comme une référence aux pauvres comme tels – ainsi, par exemple, P. Bonnard, L’évangile selon saint Matthieu (Genève: Labor & Fides, 1963), 366, et A. Mello, L’évangile selon saint Matthieu, 440-441 – il me paraît plus sûr, exégétiquement, de le voir en rapport avec ceux qui sont devenus les «frères» de Jésus au travers de leur attachement à lui. Dans les évangiles, le «frère», en dehors du contexte de la famille biologique (Mc 10.29, 13.12; Lc 12.13, 14.12, 14.26, etc.), est toujours à comprendre dans la perspective de la communauté des disciples (cf. Mt 5.23-24, 47, 7.3-5, 18.15, 35, 23.8, 28.10; Mc 10.30; Lc 22.32). On peut penser en particulier à Mc 3.31-35 où, face à la nouvelle «Ta mère, tes frères et tes sœurs sont dehors, et ils te cherchent» (verset 32), Jésus répond: «Ma mère et mes frères, qui est-ce?› Puis, promenant ses regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui, il dit: ‹Voici ma mère et mes frères! En effet, quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère.» (Versets 33-35, NBS) La précision de Matthieu est à cet égard significative: «Puis il étendit la main sur ses disciples (epi tous mathêtas) et dit: ‹Voici ma mère et mes frères!» (Mt 12.49) Cette interprétation est partagée, entre autres, par D.A. Hagner, Matthew 14-28 (Waco: Word, 1995), 744-745, R.T. France, L’évangile de Matthieu, t. II (Vaux-sur-Seine: Edifac, 2000), 168-171, L. Morris, The Gospel According to Matthew (Grand Rapids: Eerdmans, 1992), 639, et R.H. Gundry, Matthew, A Commentary on His Handbook for a Mixed Church Under Persecution (Grand Rapids: Eerdmans, 19942), 513-515. Gundry (avec d’autres) remarque: «L’action du roi consistant à s’identifier avec le plus petit de ses frères repose sur [Mt] 10.40: ‹Qui vous reçoit me reçoit. › […] Manifester l’hospitalité de la foi à un tel disciple, c’est démontrer l’authenticité de son propre statut de disciple.» Ibid., 514 (souligné par moi).

31 [65] Malista de pros tous oikeious dês pisteôs.

32 [66] Cela implique aussi que, sans s’y limiter, le premier champ d’action humanitaire de l’Eglise se trouve sur le plan local: «La vision du prophète Michée de ‹chaque homme habitant sous sa vigne et sous son figuier› (Michée 4:4) suggère que tout développement que nous faisons doit être bien ‹enraciné›, en tenant compte des connaissances et des ressources venant du système de vie des gens. Etre véritablement mondial, c’est être véritablement local. Pour être durables, les efforts en faveur du développement doivent être culturellement appropriés. Pour faire véritablement partie de la vie du monde, nous devons nous immerger de manière incarnée dans le vécu de notre propre peuple.» Déclaration de Querétaro.

33 [67] «Au service de ce Royaume victorieux et présent l’Eglise reçoit une mission joyeuse et triomphante. Peuple de Dieu, elle est la ‹communauté eschatologique› qui vit déjà dans le siècle à venir. Elle doit donc dans ces derniers jours qui séparent la résurrection de la fin proclamer le Royaume au monde entier et presser les hommes de se soumettre à sa loi. Le centre d’intérêt du Nouveau Testament s’agrandit sans cesse. […] Non pas que l’Eglise primitive ait pensé qu’elle pouvait par ses œuvres amener cette victoire et fonder le royaume. C’est une de ces illusions modernes que l’Eglise n’a pas connues. Elle se sentait beaucoup plus tôt (sic) envoyée dans le monde comme témoin d’un Royaume déjà établi […].» J. Bright, Le Royaume de Dieu. Conception biblique et signification actuelle pour l’Eglise (Paris: Société Centrale d’Evangélisation, s.d.), 179 (bien qu’ancien, ce livre de Bright contient des perspectives encore d’actualité).