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Folie, violence et vengeance
en 1 Samuel 24 à 26

Folie, violence et vengeance
en 1 Samuel 24 à 26

Harold KALLEMEYN*

Nombreux sont les actes de violence commis dans ce monde. Nombreuses aussi sont les souffrances que cette violence engendre.

Depuis la nuit des temps, l’homme réagit aux violences qu’il subit par des représailles. Il cherche à se venger en infligeant une souffrance (ou, au moins un désagrément) équivalente ou supérieure à la sienne. L’homme qui se venge ne se contente pas, généralement, d’appliquer la loi du talion: « œil pour œil, dent pour dent », mais adopte plutôt l’attitude suivante: « Si tu m’insultes, je te casse le bras. » Ou, encore: « Puisque tu as tué mon frère, je te massacre, toi et ta famille. » Par la suite, c’est aux proches du premier fautif d’engager, à leur tour, des représailles.

Cette spirale de la violence et de la vengeance, comme nous le savons, peut provoquer de la haine et de la désolation pendant très longtemps. C’est pourquoi, il n’est pas surprenant que l’Ecriture présente la vengeance comme l’un des problèmes fondamentaux de la race humaine. Le texte de 1 Samuel 24-26 aborde ce problème et éclaire le comportement du croyant face à cette tentation.(nbp. Voir p. 10)

Ma présentation comportera trois parties: premièrement, un examen rapide de deux récits bibliques antérieurs à notre texte qui abordent le problème de la vengeance. Ensuite, un regard sur les chapitres 24 et 26 de 1 Samuel qui présentent deux rencontres entre David et le roi Saül. Enfin, nous nous arrêterons sur le chapitre 25 qui décrit la rencontre de David et d’Abigaïl.

1. Deux récits bibliques antérieurs

Le premier se trouve au chapitre 4 de la Genèse et décrit le comportement du fils aîné d’Adam et Eve, Caïn. Caïn est mécontent, car son frère Abel a offert un sacrifice agréé par Dieu, tandis que sa propre offrande n’a pas été acceptée par Dieu. Le texte biblique n’attire guère l’attention sur les raisons de ce constat négatif, mais évoque plutôt l’effet que cette évaluation a produit chez Caïn. Il est envahi par un sentiment d’envie et de jalousie qui l’enrage et qui le rend fou, une folie qui se manifeste par le meurtre de son frère, Abel.

Dieu interpelle Caïn « Où est ton frère? » Sa réponse est désolante: « Suis-je le gardien de mon frère? » Après avoir entendu le jugement de Dieu sur son crime, Caïn exprime sa grande préoccupation. Il craint d’être l’objet de représailles, de la vengeance, et d’être, à son tour, tué.

Face à l’appréhension de Caïn, Dieu ne lui dit pas: « As-tu peur, Caïn? Tu as raison! A partir d’aujourd’hui, la chasse est ouverte contre toi! Tu as intérêt à apprendre à courir plus vite que les autres. Tant pis pour toi, tu le mérites! » Non, Dieu affirme que malgré son acte répréhensible, la vie de Caïn garde une valeur certaine. C’est pourquoi, sa vie mérite d’être protégée des représailles qui le menacent, et c’est pourquoi Dieu se propose d’être lui-même garant de cette protection.

Dieu affirme par là que c’est lui qui règne, qu’il est lui-même le juge de Caïn, que c’est lui qui distribue les sanctions et que c’est lui qui interdit les représailles. C’est lui qui dit STOP à la vengeance et qui menace ceux qui se vengeraient sur Caïn d’une sanction bien plus grande que celle qu’il a infligée à Caïn. Dieu l’affirme: « Malgré son crime, Caïn se trouve sous ma protection. »

Dans ce récit, Dieu se présente comme l’autorité suprême qui sanctionne le crime, et qui, en même temps, s’élève contre les tendances et les tentatives de représailles personnelles.

Le deuxième texte biblique qui retient notre attention se trouve à la fin du livre des Juges. Il rapporte une des histoires les plus scabreuses et les plus choquantes de l’histoire du salut.

Un Lévite se trouve en voyage avec sa concubine. Ils passent par Guibéa, une ville de la tribu de Benjamin. Un homme âgé de la ville les accueillent chez lui. Des habitants de la ville viennent frapper à sa porte et demandent que le Lévite leur soit livré pour pouvoir le malmener sexuellement. L’homme âgé proteste, mais ils insistent. En fin de compte, le Lévite leur livre sa concubine qui devient l’objet d’un viol collectif. Elle en meurt. Le Lévite rentre chez lui avec le cadavre, le coupe en morceaux et envoie ceux-ci partout en Israël. Tout Israël est horrifié d’apprendre cette histoire, et se mobilise pour punir les Guibéanites coupables. Mais les gens de la tribu de Benjamin refusent de livrer leurs frères Guibéanites à la justice des autres. Les Benjaminites se mobilisent pour les défendre. La guerre civile déclenchée par cet incident provoque la mort d’un si grand nombre de Benjaminites que leur tribu est menacée d’extinction, ce qui finit par attrister les autres tribus.

Quel est le message transmis par ce texte? Il présente le dérèglement sexuel des Guibéanites comme une grande folie qui les ont conduit à des actes de violence qui, à leur tour, ont incité d’autres personnes à des représailles. Folie, violence et vengeance.

Ce récit attire aussi notre attention sur la lâcheté extrême du Lévite. Son comportement à l’égard de sa femme a été exécrable. De plus, par sa manière de raconter l’histoire, de retour chez lui, il a provoqué chez ses concitoyens un mouvement de représailles pour des actes dont il portait lui-même une grande part de responsabilité.

Le récit montre aussi à quel point cette guerre de représailles a fait du tort à tout le peuple d’Israël. Une tribu entière a failli disparaître après que des milliers de personnes aient perdu la vie pendant la guerre civile.

Pourquoi terminer le livre des Juges par une histoire aussi désolante? Le rédacteur répond à cette question par la phrase clef du livre des Juges: « En ces temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qu’il jugeait bon. » Le verdict du rédacteur est clair. De telles horreurs, y compris l’horreur de la vengeance, se sont produites puisqu’il n’y avait pas une autorité forte pour punir les coupables et, en même temps, pour empêcher la vengeance de se développer comme une métastase mortelle. Il n’y avait pas de roi en Israël pour dire – comme Dieu l’a dit en Genèse 4 – STOP, pour traduire les coupables en justice et, en même temps, pour proscrire la vengeance.

Manifestement, Israël n’arrive pas à maîtriser l’« instinct à se venger » qui est chez lui. C’est une des raisons pour lesquelles il demande à Dieu un roi, ce qui est accordé dans la personne de Saül.

Malheureusement, le roi Saül fait preuve de la même folie que Caïn. C’est un homme jaloux. Comme Caïn était jaloux de son frère Abel, Saül est jaloux de David. Au retour de la victoire contre Goliath et les Philistins, les femmes jubilent en chantant, « Saül a vaincu ses milliers, et David ses dizaines de milliers. »

Ces acclamations rendent Saül fou de jalousie. Il cherche à tuer le jeune héros. Le roi, nommé pour rendre justice, devient lui-même, dans sa folie, coupable de violences injustes.

David est obligé de fuir pour sauvegarder sa vie. Il rassemble autour de lui un groupe de guerriers fidèles et, selon la coutume de l’époque, propose ses services pour protéger les grands propriétaires de la région contre le banditisme.

Saül, aux prises avec sa rage folle, mobilise 3000 de ses meilleurs soldats pour traquer David… amène aux événements décrits en 1 Samuel 24.

2. 1 Samuel 24 et 26: David et Saül

Un jour, Saül et ses hommes approchent de près le groupe de David. David et son garde du corps se cachent dans une grotte. Saül y entre pour se soulager. Le garde du corps de David, voyant à quel point le roi, accroupi, se trouve en mauvaise posture, chuchote: « David, Dieu t’a promis le trône royal. Maintenant, il te livre ton ennemi, comme il l’a promis. Tue-le! » Mais, David refuse de tuer celui que Dieu a choisi pour roi. David se contente de couper un morceau du vêtement du roi.

Saül sort de la grotte. David le laisse s’éloigner avant de l’appeler et de lui dire: « Saül, je ne t’ai jamais fait de mal. Aujourd’hui, j’aurai pu te tuer pour tout le mal que tu m’infliges. Mais, je ne l’ai pas fait. Que le Seigneur juge entre toi et moi. Il me donnera raison et me protègera contre tes attaques. »

Saül pleure. Il confesse son tort et il bénit David avant de le quitter

Au chapitre 26, un incident similaire se produit. Mais, avant d’aborder ce texte, voici quelques remarques concernant l’histoire de l’interprétation des chapitres 24 à 26. Au siècle dernier, de nombreux exégètes ont tenu pour acquis que les chapitres 24 et 26 se référaient au même incident, mais que les traditions (c’est-à-dire, les transmissions) orales ou écrites de cet événement se sont déroulées de deux manières différentes, dans des contextes différents. Le rédacteur final de 1 Samuel n’a pas voulu imposer son choix face à ces deux traditions. Donc, il les a inclus toutes les deux, dans sa rédaction finale, mais entrecoupées – de manière un peu maladroite – par le chapitre 25. Dans cette perspective, ces trois chapitres représentent une sorte de « coupé-collé rédactionnelle », sans grande cohérence entre les différentes parties.

Dans la suite de cette étude, je voudrais présenter au moins deux arguments qui montrent les failles de cette théorie, et défendre l’idée que ces trois chapitres forment un ensemble cohérent, comme trois actes d’une même pièce de théâtre. Ces trois chapitres, je le crois, dévoilent une progression dans l’histoire du salut dirigée par Dieu; ils sont porteurs, ensemble, d’un message important pour les croyants de tous les temps.

Avant de présenter ces deux arguments, rappelons-nous ce qui s’est passé au chapitre 26. David, toujours poursuivi par Saül, s’infiltre, la nuit, dans le camp militaire du roi, avec son garde du corps. Le garde du corps du roi, Abner, dort, faisant preuve de négligence grave. David s’approche du roi, et nous lisons: « Sa lance est plantée dans la terre, près de sa tête. » Le garde du corps de David (le malin) chuchote dans l’oreille de son maître, comme dans la caverne: « C’est Dieu qui met ton ennemi en ton pouvoir. Dis le mot, et je le tue. » David refuse en affirmant avec force: « C’est Dieu qui l’a choisi pour roi. C’est à Dieu de s’en occuper. On ne le touche pas. »

David prend la lance et la cruche du roi et après s’être éloigné à une certaine distance, réveille Saül et ses hommes. Cette fois-ci, David commence son discours par un peu de moquerie. Il tourne en dérision Abner qui n’a pas su protéger le roi. Le message ironique de David à Abner est à peine voilé: « Abner, mon vieux, tu te prends pour un fort parmi les forts. Peut-être que tu te trompes de camp… » Le bien-fondé du jugement de David s’est confirmé dans la suite de l’histoire.

Ensuite, David interroge Saül. Il demande au roi « Pourquoi veux-tu me faire mourir, moi qui ne t’ai jamais fait de mal? Pourquoi cette folie? Oui, Pourquoi? » (Pourquoi es-tu si fou contre moi?)

Saül répond: « Oui, David, j’ai eu tort, j’ai été fou. Je te le promets, je ne te ferai plus aucun mal. »

David lui rend la lance et la cruche et prononce une parole forte qui résonne comme une confession de foi et à une invitation à Saül au repentir véritable. Il dit: Que chacun de nous soit traité selon sa justice et sa fidélité par l’Eternel. Aujourd’hui, ta vie a été d’un grand prix pour moi. Ainsi, ma vie est d’un grand prix pour l’Eternel qui me délivre de tout malheur. Malheureusement, Saül dépourvu de cette même confiance ne peut pas en dire autant. Il se contente de répondre: « Oui, mon cher David, je sais qu’une carrière royale, brillante et bénie, t’attend! »

En quoi la rencontre de Saül et David au chapitre 24 est-elle semblable et différente de celle du chapitre 26? Au chapitre 24, David subit la présence de Saül dans la grotte. Au chapitre 26, il l’initie. Il va, de sa propre initiative, s’introduire dans le camp de Saül au milieu de la nuit. Cette différence signale une progression narrative importante. Au chapitre 26, le discours de David a une portée plus large qu’au chapitre 24. Il est prononcé avec l’assurance de quelqu’un qui provoque une rencontre dans but de montrer sa confiance en Dieu et de rappeler à ses auditeurs (Abner, Saül et toute son armée) qu’il n’y a rien de plus insensé, de plus fou que de s’opposer à Dieu et que Dieu bénira ceux qui honorent son alliance. Au chapitre 26, David, comme Abigaïl provoque la rencontre avec son adversaire pour rappeler l’essentiel, à savoir l’existence d’un Dieu qui délivre et qui bénit ceux qui honorent son alliance. La vision large de David montre une évolution importante par rapport au chapitre 24. Il ne serait pas trop exagéré, à mon avis, de dire qu’entre les deux chapitres, David s’est transformé de victime en évangéliste. Au chapitre 26, David ne se contente pas, comme au chapitre 24, de ne pas exercer des représailles. Il se transforme en émissaire de l’alliance. Pourquoi? Parce qu’au chapitre 25, il a lui-même rencontré un émissaire exemplaire.

3. Chapitre 25. David et Abigaïl

Vous connaissez l’histoire. David et ses hommes font fonction de service de sécurité pour le riche propriétaire, Nabal. Selon la coutume, ces gardiens de la paix reçoivent leur salaire en nature au moment de la tonte des moutons. Mais, il y a un problème: Nabal est un fou. Il refuse de rémunérer David pour ses bons et loyaux services. Pire encore, Nabal l’insulte.

David « encaisse » mal le coup. Il se fâche. Très en colère, il part, avec ses 400 hommes, pour massacrer Nabal et toute sa famille.

Abigaïl, la femme de Nabal, apprend la nouvelle, et part à la rencontre de David avec de nombreux cadeaux. Arrivée devant lui, Abigaïl s’adresse à David en ces termes: (25:24-34)

Permets-moi de te parler.

Ne fais pas attention à Nabal. Cet homme ne vaut rien. Il mérite bien son nom: Nabal le fou. Oui, il est vraiment fou. Mais moi, je n’ai pas vu les hommes que tu as envoyés.

Maintenant, je l’affirme, par le Seigneur vivant et par ta vie, le Seigneur lui-même va t’empêcher de verser le sang et de te faire justice toi-même.

Le Seigneur donnera sûrement le pouvoir pour toujours à ta famille, parce que tu combats pour lui; Et pendant toute ta vie, on ne trouvera aucun mal en toi. Un homme a décidé de te poursuivre, et il veut te faire mourir. Mais le Seigneur ton Dieu protégera toujours ta vie en la gardant auprès de toi. Et il jettera au loin la vie de tes ennemis, comme la pierre d’une fronde.

Quand le Seigneur réalisera pour toi tout ce qu’il a promis de bon, il fera de toi le chef d’Israël. Ne tue pas quelqu’un sans réfléchir en te faisant justice toi-même. Ainsi, tu n’auras pas la conscience troublée par le remords.

David répond à Abigaïl: « Béni soit l’Eternel, le Dieu d’Israël, qui t’a envoyée aujourd’hui à ma rencontre. Bénie sois-tu pour ton bon sens. Bénie sois-tu de m’avoir préservé de tuer quelqu’un et deme faire justice moi-même. Le Dieu d’Israël m’a empêché de te faire du mal. Mais, vraiment, je le jure, par le Seigneur vivant, si tu n’étais pas venue aussi vite à ma rencontre, demain matin, au lever du soleil, aucun homme ne serait resté en vie dans la famille de Nabal. »

Sur cette parole, David et Abigaïl se séparent. Quelques jours plus tard, Nabal meurt, et Abigaïl et David se marient. (1 S 25 :40-42)

Venons-en maintenant à nos deux arguments en faveur de la thèse d’une lecture cohérente de ces trois chapitres. (Remarquons que nous tenons beaucoup à cette idée de la cohérence entre les différentes parties du texte biblique, car nous sommes persuadés qu’il a été, dans son ensemble, composé sous la direction (sous l’inspiration) d’un auteur unique. C’est pourquoi, j’ai essayé de présenter ces trois épisodes comme s’ils avaient un rapport les uns avec les autres, comme trois épisodes d’une même histoire.)

1. Notre premier argument s’appuie sur l’habitude des rédacteurs de préciser le sens, le message, de leurs récits par la répétition des mots ou des expressions clefs.

L’étude des mots et des expressions répétés dans nos trois chapitres s’avère fascinante. En voici plusieurs exemples:

La répétition de l’expression « bien pour le mal » ou « mal pour le bien ». En 24:18-20. Saül dit à David: « Tu m’as rendu le bien pour le mal que je t’ai fait. Que Dieu te fasse du bien. » Cette expression, est repris par David au chapitre suivant: Fâché contre Nabal, il dit au verset 21 « Il m’a rendu le mal pour le bien que je lui ai fait. » et il ajoute, « Que Dieu fasse du bien à mes ennemis (c’est-à-dire, que Dieu me fasse du mal) si je ne massacre pas Nabal! »

Cette répétition montre à quel point le thème dramatique du chapitre 24 est repris par le suivant: à savoir le devoir redoutable qui consiste à toujours rendre le bien pour le mal, un devoir que David avait besoin de réapprendre après l’insulte de Nabal.

Deuxième exemple: La répétition de mots clefs à l’intérieur du chapitre 25 permet au lecteur de constater à quel point l’enjeu de la rencontre entre David et Abigaïl ressemblait aux deux rencontres entre David et Saül.

Voici quatre triple répétitions:

– Le mot épée est répétée trois fois aux versets 26,31 et 32. C’est David qui prend son épée.

– Le mot vengeance (faire justice soi-même) est répétée trois fois aux versets 26,31 et 33

– Le mot préservation dans le sens de « Dieu m’a préservé » est répété trois fois aux versets 26,34 et 39.

– Et le mot bénédiction dans le sens de « Béni sois Abigaïl » ou « Béni soit Dieu » est répété trois fois aux versets 32 et 33. (Peut-on voir dans la répétition du mot « bénédiction » au verset 39 une confirmation de l’assurance de David concernant la providence (« préservation » v. 33) de Dieu en sa faveur?)

Ces mots clefs confirment le sens du texte: Dieu a préservé David de la tentation de la vengeance par l’intermédiaire de son émissaire, Abigaïl. (v. 32)

2. Le deuxième argument en faveur d’une lecture unifiée de ces trois chapitres vient de la manière dont le rédacteur présente Nabal comme un reflet de Saül, ou, plus exactement, comme un Saül en miniature: le petit fou qui ressemble au grand. Cette folie produit, chez les deux, des rapports d’aliénation avec leur entourage. Le couple Nabal-Abigaïl ne marche pas très bien! De son côté, Saül est trahi par son fils Jonathan, et se fait menacer de mort par sa fille Mikal qui lui dit « Laisse-moi partir, père, sinon je te tue… » Ce n’est pas, non plus, le portrait d’une vie de famille paisible. La ressemblance la plus frappante, bien entendu, est l’animosité injuste de Saül et de Nabal à l’égard de David.

Deux répétitions de mots clarifie encore davantage le sens de ce parallèle que le rédacteur établit entre Nabal et Saül.

La première expression se trouve dans la bouche de David en 24:15 où il dit à Saül: « Dieu plaidera ma cause. » David répète le même verbe quand il apprend la mort de Nabal, disant en 25:39, très littéralement: « Béni soit le Dieu qui a plaidé la cause touchant l’outrage que m’avait fait Nabal. »

Le message porté par cette répétition est très fort: David établit un rapport entre sa parole d’espérance prononcée devant Saül et la réalisation de cette parole « en miniature » lors de la disparition de Nabal, au moment même où celui-ci s’était attablé devant son « festin de roi », pour reprendre l’expression biblique du verset 36. (Seul usage du mot rouv dans ce sens-là, en 1 Samuel.)

Une deuxième expression qui montre le rapport entre Saül et Nabal se trouve aux chapitres 25 et 26.

En 25:37, on lit: « Dieu a frappé Nabal. » Au chapitre suivant, quand David empêche son garde du corps de tuer Saül, David lui dit: « Dieu le frappera soit par la mort naturelle, soit sur le champ de bataille. » (26:10)

De nouveau, David précise le rapport qui existe entre la leçon apprise par la mort de Nabal et sa confiance en Dieu. Son Dieu s’occuperait de lui et il s’occuperait des méchants. Cette assurance, consolidée par sa rencontre avec Abigaïl, lui donne la force non seulement de résister à la tentation de la vengeance, mais, plus encore, lui donne l’audace nécessaire pour provoquer une dernière rencontre plutôt amicale avec son adversaire, Saül.

Revenons à la rencontre entre David et Abigaïl. Dieu suscite Abigaïl pour arrêter David, de sorte que celui-ci apprenne à dire STOP au penchant de son propre cœur porté à la vengeance et, ainsi, à être en mesure de délivrer Israël du même fléau.

C’est comme si David découvrait, à son propre étonnement, à quel point il était encore porté à la vengeance: « Je le jure, dit-il à Abigaïl si tu n’étais pas venue aussi vite à ma rencontre, demain matin, aucun homme ne serait resté en vie dans la famille de Nabal. » (25:34) La rencontre avec Abigaïl représente pour David un rappel que Dieu l’a protégé non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre lui-même et ses tendances naturelles. « Le Dieu d’Israël ma empêché de faire du mal. » (25:34) David reconnaît aussi les bienfaits de la médiation providentielle dans la personne d’Abigaïl. « Béni soit l’Eternel, le Dieu d’Israël, qui t’a envoyée aujourd’hui à ma rencontre. Bénie sois-tu pour ton bon sens. Bénie sois-tu de m’avoir préservé de tuer quelqu’un et de me faire justice moi-même. » (25:33)

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En quoi ces trois chapitres sont-ils pour nous un réconfort, un appel et une exhortation? Le grand thème qui parcourt l’ensemble de ces trois chapitres est celui de la providence de Dieu. Par ces récits, le rédacteur communique sa conviction que Dieu veille sur ce monde malgré la présence et la puissance des hommes fous, violents et vengeurs. Dans l’histoire de David, nous trouvons un Dieu présent dans l’histoire humaine, un Dieu plus fort que le plus fort de ces hommes fous, un Dieu qui veut et qui va délivrer son peuple du chaos anarchique qui l’entoure.

Comment ce Dieu puissant se manifeste-t-il? Notre texte suggère au moins trois éléments de réponse à cette question.

Premièrement, Dieu est intervenu en suscitant un émissaire, un roi, un Prince de la Paix qui s’appelait David et qui, par son exemple et par sa direction du peuple, a fait avancer le règne de Dieu. Aujourd’hui, nous avons le privilège de connaître le Prince de la Paix en qui les paroles prophétiques d’Abigaïl se sont pleinement réalisées: « Pendant toute la vie, on ne trouvera aucun mal en toi. » et « Le Seigneur te donnera sûrement le pouvoir pour toujours. »

Notons, ensuite, que David avait reçu l’onction de Dieu bien avant le chapitre 24. Le jeune roi est déjà oint, mais il n’est pas encore sur le trône. La réalité du « déjà » et « pas encore » est importante pour David à ce moment précis de sa vie. Pendant cette période, David doit apprendre la patience. Il découvre à quel point Dieu lui est proche, et, en même temps, à quel point Dieu prend son temps pour réaliser ses projets et ses promesses. Ainsi, le temps de Dieu est un temps d’apprentissage pour David, une période de formation par des épreuves, parfois dangereuses et humiliantes. Ce récit biblique invite les croyants de tous les temps à se reconnaître dans l’expérience de David, car ils vivent toujours dans le déjà et le pas encoreavant la deuxième venue du Messie – un thème qui revient constamment dans le Nouveau Testament.

Enfin, en troisièmement lieu, considérons le personnage d’Abigaïl. Il est clair que le rédacteur invite le lecteur à célébrer sa présence et son geste de réconciliation. Il nous pousse à dire, avec David: « Bravo Abigaïl! »

Elle est louable pour plusieurs raisons: Premièrement à cause de son audace et de son courage. Abigaïl aurait pu imaginer bien d’autres scénarios de rencontre avec David: par exemple, dans le genre hollywoodien, elle aurait pu proposer d’aider David à liquider son mari fou et, ensuite, de partir ensemble avec le gros lot.

Abigaïl est aussi louable à cause de sa générosité. Si elle ne reste pas complètement indifférente à son propre sort, quand elle organise la rencontre avec David, sa plus grande attention se porte sur l’avenir de celui qui se présente devant elle comme un adversaire. Cette préoccupation avec le bien-être de son adversaire fait penser à la rencontre entre l’apôtre Paul et le roi Agrippa. Comme Abigaïl, l’apôtre, en position de faiblesse, se préoccupe bien plus de l’avenir spirituel du roi que de son sort personnel.

Enfin, saluons la parole exigeante d’Abigaïl. Elle met David devant ses responsabilités avec réalisme et clairvoyance, sans complaisance. C’est un peu comme si elle lui avait dit: « David, Dieu t’a oint roi. Nous avons besoin d’un bon roi dans le pays. Tu n’as pas le droit de gâcher tes chances en prenant de mauvaises habitudes. »

En conclusion, résumons le message de ces trois chapitres. Ce texte appelle le croyant à:

1. Se méfier des tendances folles de son propre cœur qui se réjouit si facilement quand ceux qui le font souffrir, à leur tour, souffrent.

2. Promouvoir l’établissement et le maintien des gouvernements (instaurés par Dieu d’après Romains 13) qui favorisent la justice, y compris la sanction contre la faute, et, en même temps, qui arrêtent le cycle infernal de la vengeance.

3. Enfin se rappeler sa triple vocation chrétienne de prophète, de prêtre et de roi, (Catéchisme de Heidelberg, 32) une vocation assumée par Abigaïl et par David qui, tous deux, ont su parler en son nom, intercéder en faveur des autres, vaincre le mal et promouvoir la réconciliation.

Dieu n’a toujours pas abandonné notre monde à la folie, à la violence et à la vengeance. Qui sait? Peut-être qu’un jour, il vous donnera, à vous aussi, la grâce de dire, ou d’entendre, cette même parole que David a adressée à Abigaïl: « Béni soit Dieu de t’avoir envoyée aujourd’hui sur ma route. Bénie sois-tu pour ton bon sens. Bénie sois-tu de m’avoir préservé de la vengeance. »


nbp: Voir R. Gordon « David’s Rise and Saul’s Demise » Tyndale Bulletin 31 (1980), 37-64;

K. Koch, The Growth of the Biblical Tradition (New York: Scribners, 1969);

J. Vannoy David and Nabal: A Paradigm of Temptation and Divine Providence in Reading and Hearing the Word: From Text to Sermon, ed. A. Leder (Grand Rapids: CRC Publications, 1998);

A. Van Zyl, 1 Samuël (Nijkerk: Callenbach, 1989).


* H. Kallemeyn est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence.