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Les réformes de la législation familiale

Les réformes de la législation familiale

Christian ATIAS*

Le mouvement législatif qui a conduit le droit familial de 1804 à nos jours a été si ample que la question doit être posée: d’où sommes-nous partis? De ce que l’on peut lire dans le discours préliminaire au Code civil de 1804, rédigé par l’Aixois Portalis, qui évoquait des hommes à la fois bons pères, bons fils, bons époux et bons citoyens. Pour ces hommes-là, la législation familiale pouvait être relativement discrète. Elle ne l’était guère.

S’il est possible de savoir d’où nous sommes partis, il est, en revanche, plus incertain de discerner où nous sommes arrivés. Les réformes de la législation familiale ne peuvent pas être traitées de manière isolée. La législation familiale ne peut être réformée en la mettant entre parenthèses, en disant: changeons le mariage, le divorce, la filiation, et ne touchons à rien d’autre, ni à l’être humain, ni aux définitions de la personne, de la responsabilité, de l’engagement ou du contrat!

Ce qui s’est produit, ce n’est pas une série de réformes de la législation familiale, mais un changement de monde.

La clef de ce changement de monde se trouve finalement moins dans le contenu des lois que dans la conception même de la loi. A quoi servent les lois? Telle est la question posée, depuis 1804, réforme après réforme de la législation familiale. Pourquoi y a-t-il une législation familiale? A quoi sert-elle? Quels sont ses objectifs?

La législation familiale n’a pas pour fonction d’instaurer le paradis sur terre, ni pour objectif de faire de nous des saints. Aristote rappelait régulièrement que nous vivons dans un monde sublunaire, autrement dit sur la terre et non au ciel. Pour les hommes qui vivent sous la lune, à quoi peut servir une législation familiale?

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Décrire la famille telle qu’elle est ordinairement serait une première réponse. Le législateur s’est donné, à plusieurs reprises, la mission de constater une certaine conception de la vie familiale.

Une deuxième vision du rôle de la loi serait tout à fait différente: prescrire et proscrire. La loi ne constaterait pas comment l’on vit; elle prescrirait comme l’on doit vivre et elle proscrirait de vivre autrement. Tel a été à certaines époques, au moins dans la législation pénale, l’objectif poursuivi.

Entre ces deux extrêmes, une troisième fonction un peu plus modeste de la loi peut être imaginée: inciter à adopter un certain comportement et dissuader d’en adopter un autre. La loi serait alors directive, sans être directrice.

Une quatrième fonction de la loi serait celle de construire, de créer une famille nouvelle, une vie nouvelle des familles. Le législateur se montre prêt à proposer sa propre conception de la famille comme étant la bonne, suscitant ainsi un changement de monde. La loi s’arrogerait le droit de changer notre monde familial.

A) Le mouvement d’ensemble de 1804 à 1980

Pour bien comprendre les réformes actuelles, il faut remonter un peu dans le temps. Comment comprendre la loi sur le PACS, sur le nom de famille du 21 février 2002 ou la loi du 3 décembre 2001 sur la situation des enfants naturels, notamment adultérins, sans rien savoir du chemin parcouru?

1. La première étape commence avec le Code civil de 1804, qui a eu le mérite de rendre à la France une stabilité qui lui manquait après la Révolution; la période avait été très dure pour la famille, notamment en matière de divorce. Le code avait été voulu par Napoléon pour cela. Il voulait en faire le bréviaire civique qui remplacerait la Bible sur la cheminée des Français.

Dans le Code civil de 1804 se trouvent un certain nombre de notions manifestement honnies de nos jours: la puissance paternelle, l’interdiction de l’adultère, avec une inégalité inadmissible entre homme et femme. Une disposition de ce code a été complètement oubliée; elle était mauvaise puisque inapplicable, mais sa valeur symbolique est intéressante. Elle prévoit que le divorce peut être prononcé pour faute ou pour convention avec un certain nombre de freins. Le divorce conventionnel ne peut pas intervenir durant les vingt premières années du mariage; le divorce est interdit lorsque l’épouse a atteint un trop grand âge: 45 ans! A noter que si les époux décident de divorcer, ils doivent être conscients des préjudices que leur décision va causer, en particulier à leurs enfants1 [1]. Il leur est donc demandé de réparer ce préjudice. Comment? En réputant les époux morts pour moitié, c’est-à-dire en les obligeant à diviser leur fortune en deux et à en remettre immédiatement la moitié à leurs enfants.

Le code de 1804 avait une petite inspiration corse et une grande inspiration romaine. Il avait le sens de la famille et celui de la solidarité familiale. La législation a conservé les solutions consacrées alors jusqu’en 1816, date à laquelle, avec le retour de la monarchie, le divorce est aboli, sous l’influence de De Bonald. En outre, le Code reste ce qu’il est.

Rien ne change jusqu’en 1884, année au cours de laquelle la loi Naquet rétablit le divorce. Il s’agit seulement du divorce-sanction, pour faute. Ce divorce est prononcé par le juge et toujours à l’initiative de celui des époux qui est présenté comme victime. Pendant toute cette période, une valeur symbolique très forte est reconnue au mariage. Le sens de la responsabilité de celui qui, en se mariant, crée un certain nombre de liens est présent dans la loi, sinon dans la société.

Ensuite, rien de très notable ne se produit jusque vers 1970, malgré un certain nombre de réformes. L’esprit est toujours à peu près le même. Les réformes du tournant du siècle, 1893-1904, sont assez importantes. L’époux adultère peut se remarier avec celui ou celle qui était son complice dans l’adultère; jusque-là, il ne pouvait se remarier avec l’amant ou l’amante. A part cet assouplissement souvent oublié, on date du gouvernement de Vichy (1941) la tentative de définir plus strictement la faute, de façon à éviter que les juges ne soient trop tolérants. Il y a eu, ensuite, une loi de 1945 qui a essayé de redéfinir de manière étroite la notion de faute, devant la mansuétude des juges.

2. La seconde étape commence en 1970 après qu’a été amorcé un grand mouvement de réformes qui va de 1964 à 1974. Pendant cette décennie, toute la législation familiale est revue avec une série de très belles réformes, bien rédigées, qui vont marquer un tournant: la famille commence à devenir autre chose.

a) La loi de 1970 supprime la puissance paternelle et la remplace par l’autorité parentale. C’est la « bilatérisation » des fonctions. L’objectif change fondamentalement. Pourquoi l' »autorité parentale »? Est-ce pour reconnaître que les époux ont à s’entendre avant de prendre des décisions importantes pour leurs enfants? Cette entente était-elle compromise dans le système antérieur? Il semble qu’à cette date, le législateur se soit donné des fonctions nouvelles.

b) La loi de 1972 consacre un grand principe: celui de l’égalité des enfants. Les droits successoraux des enfants nés hors mariage seront les mêmes que ceux des enfants nés dans le mariage. De quel droit le législateur pouvait-il réduire les droits des enfants qui ne sont pour rien dans les conditions de leur naissance? La question met en relief le nouveau pouvoir que s’est octroyé le législateur.

Les lois sur la filiation de 1972 n’avaient jamais eu la prétention de fixer le statut des enfants. Elles fixaient le statut de la procréation. La question n’était pas de savoir si les droits patrimoniaux des enfants devaient être égaux, mais si celui et celle qui conçoivent un enfant peuvent prétendre se placer dans la même situation selon qu’ils ont pris des engagements destinés à créer un lieu d’accueil pour l’enfant ou qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu, par crainte de l’avenir, prendre ce type d’engagement. Seule, l’égalité des enfants a été discutée; le pouvoir des parents de transmettre à leurs enfants une certaine situation, de leur préparer une famille, un accueil, a été escamoté.

c) Les grandes lois de 1974-1975, notamment sur le divorce, reviennent au code. Le législateur adopte la technique du choix: pour faute, par convention, par rupture prolongée de la vie commune. Le partage entre ces causes passe moins entre les cas où le juge est chargé d’apprécier la gravité de la situation et ceux où les époux en prennent la responsabilité qu’entre l’obligation qui est faite aux époux d’analyser ou non les causes de la situation qu’ils décrivent. La particularité du divorce sur convention est qu’il ne se préoccupe que de l’avenir et feint de pouvoir effacer le passé.

d) Les changements actuels

– Dans la famille au sens large, il y a le pacte civil de solidarité (PACS) et la loi du 15 novembre 1999, loi étrange placée sous le signe de la liberté.

– La loi du 3 décembre 2001 prolonge la loi de 1972 sur l’égalité des filiations en intégrant les enfants adultérins, qui avaient des droits réduits lorsqu’ils venaient à la succession en concurrence avec des personnes pouvant compter sur le mariage: la veuve et l’enfant légitime.

– La loi du 21 février 2002, dans la ligne des lois précédentes, relative au nom de famille. Elle ne modifie pas de textes, car il n’y en avait pas. Une section supplémentaire a été créée dans le code. L’article 311-22 vise l’enfant à sa majorité; entre cette date et la naissance de son premier enfant, il peut adjoindre en seconde position le nom de son autre parent. Cette liberté est relativement limitée. L’article 311-21 précise comment le nom est fixé. Désormais, les parents peuvent choisir entre trois possibilités: le nom du père, celui de la mère ou les deux accolés dans l’ordre qu’ils préféreront. Ainsi le nom ne viendra pas d’une lignée mais d’un choix libre avec une petite réserve: le nom dévolu au premier enfant sera aussi celui des autres enfants. Pas de panachage possible. L’accent est mis beaucoup sur le choix qui sera fait entre les deux grands-pères. Grande victoire pour l’égalité des sexes!

B) L’inspiration des réformes de la législation

L’inspiration des textes qui ont promu une famille nouvelle est assez paradoxale.

– Il y a un paradoxe fondamental. La possibilité est admise de changer la législation, sans changer en rien le comportement des hommes. Le taux des enfants naturels était de 4%, atteignait 6% en période de crise, et revenait toujours à 4%. Aujourd’hui, nous sommes à 33%… et la loi de 1972 ne serait pas en cause! Pourtant quelque chose a dû se passer. S’il est vrai que la législation ne change rien, pourquoi alors fallait-il la changer?

La fonction de la loi n’est pas de changer la société; mais il faudrait changer la loi pour qu’elle correspondît à l’état de la société.

– Un second paradoxe est plus inquiétant. Il oppose les thèmes à la mode: la liberté, l’égalité et le rôle de la loi. Les auteurs des exposés des motifs des grands projets souhaitent mieux affirmer le rôle de la liberté individuelle. La liberté individuelle a-t-elle vraiment besoin de cet hommage? Certains n’ont pas besoin de loi pour user de leur liberté et d’autres n’arrivent pas à l’exercer même avec une loi! La loi a deux fonctions:

• Dire quel est le bon comportement; faire de la morale.

• Indiquer une situation théorique à la manière d’un programme, sans trop se préoccuper de la réalité.

Un exemple peut être proposé. Qui choisit la résidence familiale? Le mari. Le droit dira que, si son choix est néfaste, l’épouse s’adressera au juge. Qu’était la puissance paternelle? Ce n’était pas une règle morale; ce n’était pas non plus une satisfaction accordée au père… Elle permettait de régler un conflit dans l’urgence. Quand on ne sait pas, quand on n’a pas le temps de saisir le juge, il importe qu’il y ait une règle qui permette, par exemple, à un directeur d’école de ne pas s’inquiéter, dans l’immédiat, s’il accepte un enfant accompagné d’un seul de ses parents, son père.

La technique change en matière de résidence familiale lorsque la loi décide que les époux la choisissent ensemble. Que cela soit dit dans la loi ajoute-t-il quelque chose?

Le droit est en train de changer de nature. Il raconte des histoires: les époux s’accordent… sur l’oreiller. Une ambition est dissimulée. Elle n’est pas juridique. Elle est constructive. Il s’agit de construire une réalité nouvelle. Le législateur devrait cesser de croire qu’il peut manier les symboles comme il le veut. Le projet de réforme de 1999 sur la rénovation du droit de la famille indique que « l’objectif devrait être de maintenir la valeur symbolique du droit de la famille ». Quand le législateur comprendra-t-il que cela ne sert à rien d’annoncer des symboles, de dire « je respecterai la vie humaine », « le mariage est une institution fondamentale de la société »? Le mouvement se prouve en marchant. Il est inopérant de se dire attaché à la famille si on a une politique antifamiliale.

Ce que veut le législateur contemporain, c’est substituer quelque chose d’autre, une nouvelle conception de la famille à celle qui était pratiquée ou présente. Le plus souvent, ce faisant, il anticipe sur le changement des comportements. Il l’a reconnu à plusieurs reprises. C’est ainsi qu’en 1972, lorsque l’égalité des enfants naturels et légitimes a été décrétée – soi-disant sous la pression de la société française! -, le nombre des enfants naturels n’avait pas augmenté depuis cent cinquante ans; il a changé après. La législation ne peut pas se prévaloir de la réalité ou du réalisme. Exemple type: il y a une loi sur le PACS; la loi reconnaît le concubinage homo-hétérosexuel. C’est la liberté! Question: avant la réforme du 15 novembre 1999, y avait-il des personnes vivant ensemble? Certes. Elles avaient choisi, pour des raisons très diverses, de ne pas se marier. Sauf exception, c’était leur choix. Le législateur n’a ici son mot à dire que s’il décide que personne ne peut vivre, en France, en dehors d’une catégorie légale. Pourtant, le législateur français croit devoir se faire entomologiste ou statisticien. Les concubins ont maintenant leur case, leur numéro, leur « identifiant ». Ils sont « pacsés » ou non. Les modalités de l’aide qu’ils se doivent sont fixées et doivent donc être adaptées aux circonstances. Si elles viennent à changer, des formalités seront à accomplir.

Une loi est nécessaire en cas de conflit, lequel est toujours douloureux. La loi donne des directives pour que la solution soit la moins injuste possible. Telle est la fonction de la loi. Cette fonction n’est pas de dire, par exemple, aux époux: vous devez vous entendre avant de décider ceci ou cela. Si les époux ne s’entendent pas, la loi permet de trouver une solution qui cause le moins de préjudice pour eux et autour d’eux.

La législation de la famille ne doit pas être un programme pour la famille mais un instrument de recherche des solutions les moins injustes en cas de conflits, avec l’espoir, la prière très profondément humaine, que ces conflits soient rares.

Le législateur songe-t-il jamais à se demander de combien de conflits il est responsable!


* Christian Atias a donné une simple présentation, presque à brûle-pourpoint, du mouvement législatif dont le droit familial a été l’objet. Le présent texte en retrace les grandes lignes; il a conservé la spontanéité et les faiblesses de l’exposé oral.

1 [2] Voir « Séparation et divorce: quelles conséquences sur la réussite scolaire des enfants? », Population et société, mai 2002, no 379.