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La question de l’homoparentalité

La question de l’homoparentalité

Etat des lieux

Monique de HADJETLACHÉ*

Sujet piégé par excellence que celui qui m’a été confié. Je ne suis en aucune façon une spécialiste de la question. Je m’intéresse de très longue date à la parentalité, car je crois que cette question est cruciale pour ma pratique, je fais également partie des animateurs de l’Ecole des parents du Gard, ce qui me conduit à travailler avec de nombreuses familles et groupes que mon travail lui-même ne m’amènerait pas à rencontrer.

A chacune de nos conférences-débats, ces dernières années, il y a toujours eu quelqu’un pour poser la question de l’homoparentalité, mais, le plus souvent, c’est une question piège, et non un réel désir de réfléchir vraiment, en acceptant un débat ouvert. Aucune analyse n’est sans présupposé.

Cependant, certaines personnes sont assez honnêtes pour reconnaître des faits qui les dérangent. Mais nous sommes tous déterminés par la culture à laquelle nous appartenons, par l’idéologie à laquelle nous adhérons. Il n’y a pas d’objectivité possible, puisque nous sommes directement concernés en tant qu’humains. Je n’échappe pas moi-même à cette subjectivité. Mais elle ne me gêne pas; au contraire, je la revendique. Je n’apporte pas ici une parole de maître, mais des éléments de réflexion, à partir de ma pratique, des choses que j’ai lues, sur lesquelles j’ai réfléchi, seule ou avec d’autres personnes.

Essayons seulement ensemble de ne pas nous fermer à des réflexions qui nous semblent a priori étrangères ou étranges.

Quelques réflexions préliminaires

La conception du couple, de l’amour lui-même, des relations entre les sexes, des rôles masculin et féminin, de la masculinité, de la féminité, de la parentalité… tout cela a été en mouvement dans ces dernières décennies. Pour les enfants, on parle maintenant de « trajectoire familiale », car ils sont amenés à vivre, au fil du déroulement de leur vie d’enfant, des situations diverses qui se succèdent: famille « traditionnelle » (père-mère-enfants), famille monoparentale, famille recomposée, parfois aussi, plus rarement, situation où l’un de leurs parents vit avec quelqu’un du même sexe. Ce n’est pas simple pour eux. Comment, dans tous les changements, trouver des repères structurants?

Cependant ne nous y trompons pas. Tout n’était pas si rose avant.

Plus de trente-cinq ans de pratique m’ont amenée à réviser mes idées sur l’humanité, à voir au-delà de la première impression. Pendant longtemps, du moment que les apparences étaient sauves, ça allait! Il y a eu parfois beaucoup d’hypocrisie. Notre génération a au moins le mérite de désirer plus d’authenticité, de conformité entre ce qui est donné à voir et ce qui est réellement. Il ne faut pas oublier que beaucoup de choses terribles se sont déroulées dans des vies apparemment « bien sous tous rapports ». Je vous en donnerai un exemple tout récent. Informé d’une action en justice pour abus sexuel concernant un de ses petits-enfants, un grand-père n’a fait que ce seul commentaire: « De mon temps, on avait plus de pudeur, on n’étalait pas ça sur la place publique. » Sa réponse sous-entend bien des choses… Mais de l’enfant lui-même, il ne s’est pas préoccupé davantage.

L’homosexualité existait aussi, et même l’homoparentalité, mais cachées.

On questionne l’homoparentalité. Mais avez-vous réfléchi qu’avant d’être des parents homosexuels réels ou potentiels, ces hommes ou ces femmes ont été des enfants issus, dans la plupart des cas, de familles classiques, hétérosexuelles? Alors, on peut aussi se questionner sur les dysfonctionnements des liens familiaux qui les ont amenés à cette destinée. En psychiatrie, on constate que la plupart des pathologies se construisent à travers trois générations, qui y participent, chacune pour son compte, l’éclosion des troubles avérés n’étant évidente qu’à la troisième.

Les homosexuels d’aujourd’hui ont donc été « préparés » dans des familles apparemment classiques, et sauf exception, hétérosexuelles.

Réfléchir à tout cela, expliquer ne suffisent pas. La société d’aujourd’hui remet en question beaucoup d’idées reçues, mais elle tend à ne plus proposer de repères. C’est dangereux, déstructurant. Freud lui-même précisait aux analystes que, lors d’une cure, il fallait être vigilant à « ne jamais laisser le Moi vide d’identification ». On peut questionner, mais pas détruire sans poser les jalons d’autres constructions.

La question pourrait être formulée de façon un peu plus concrète ainsi: Les homosexuels seraient-ils forcément de mauvais parents? Si oui, pourquoi? Sinon, qu’est-ce qui leur permettrait de remplir leur fonction d’une façon correcte?1 [1]

Voici maintenant quelques réflexions sur la fonction de parent, et sur ce qui paraît fondamental pour la construction d’un enfant.

• Puis je vous tracerai quelques grandes lignes de la genèse de l’homosexualité.

• Nous pourrons alors voir quels aspects de l’homoparentalité peuvent poser problème ou non, et en quoi. Les réponses sont complexes, car, vous le verrez, il n’y a pas une seule façon d’être homosexuel, ni une seule façon de concevoir l’homoparentalité.

• Enfin, je partagerai avec vous quelques réflexions personnelles sur le plan spirituel.

I. La parentalité: son rôle dans la construction de l’enfant

C’est dans son premier milieu de vie que l’enfant ou bien trouve matière à se développer harmonieusement, ou bien se trouve d’emblée en difficulté. Je cite, pour mémoire, les travaux de Spitz sur l’hospitalisme: il ne suffit pas de nourrir et de prendre soin corporellement d’un nourrisson pour qu’il se développe. Que doit apporter ce premier milieu, outre la nourriture, le vêtement?

De la tendresse, de l’amour, de la chaleur.

– Des limites, des parapets de sécurité.

– Des repères.

C’est sur ce dernier point que portent les réserves les plus fondées par rapport à la question de l’homoparentalité. Les autres aspects ne posent pas de problème.

Quels sont les repères réellement structuraux, incontournables, ceux sans lesquels un enfant ne peut pas valablement se construire, et ceux qui peuvent sans dommage différer d’une famille à une autre, d’une éducation à une autre, d’une religion à une autre?

Dans une réunion de l’EPE, quelqu’un a dit: « L’évolution a ébranlé nos propres repères. » Et a poursuivi: « On ne sait plus ce à quoi on tient.. » C’est intéressant. « Ce à quoi on tient » peut être entendu de deux façons: ce qui a de la valeur pour nous, ou ce à quoi on se tient… Nous aurons affaire à ces deux aspects ce soir.

Il ne faut jamais oublier que l’éducation ne consiste pas à mettre dans un moule, même s’il est très beau, mais consiste à permettre à l’enfant de se préparer à partir, d’être apte à partir, en ayant des racines et des ailes.

Repérer: déterminer la place de quelque chose dans un espace. Cela se fait à partir de points de repère. Les points de repère sont des choses qui portent une marque telle qu’on peut les reconnaître; et, à partir de plusieurs points de repère, on peut savoir où l’on est, on peut se situer. En géométrie plane, il faut au moins deux points de repère différents pour pouvoir en positionner un troisième. C’est la même chose pour l’humain: il faut la triangulation pour qu’un enfant se structure. Le père vient différencier la dyade mère-enfant, en danger d’être trop fusionnelle.

Un des membres de l’école des parents nous précisait l’autre jour que, dans le vocabulaire militaire, un point de repère a trois caractéristiques: il doit être fixe, il doit être unique, et il doit être connu. On pourrait le dire autrement: toujours à sa place, fiable, bien identifié, différencié des autres. C’est plein d’enseignements pour nous.

Pour construire son identité, pour devenir un adulte qui, un jour, pourra partir et prendre sa vie en main, l’enfant doit rencontrer un certain nombre de repères structuraux, qui lui permettront de se situer dans le monde des humains, dans la vie, de découvrir son identité, de se différencier. Pour qu’un repère fonctionne, il faut qu’il soit symbolisé. Par exemple, le mot « maman » n’est réellement symbolisé que lorsque le mot à lui seul peut évoquer la mère, alors qu’elle est absente.

Les seuls repères que nous emportons avec nous pour plus tard sont ceux qui sont réellement symbolisés. La parole est l’instrument de cette symbolisation, mais la parole ancrée dans l’expérience vécue. Ce sont des mots qui ont pris corps, et pour celui qui les entend, et avant cela pour celui qui les énonce. En effet, ne se transmet que ce qui est ancré dans l’expérience vécue, le discours seul ne suffit pas: ne peut prendre sens que ce qui est réellement ressenti.

Il m’est arrivé de voir des enfants qui avaient des difficultés avec la logique mathématique. Or, dans plusieurs cas, ce qui est ressorti du travail que j’ai fait avec eux, ce sont d’énormes trous au niveau des repères familiaux. Comment acquérir la moindre logique, s’il n’y a plus aucune logique familiale. C’est dans la famille que l’on apprend à compter, à se compter et à penser que chacun compte pour quelque chose (dans toutes les acceptions du terme). Si ce n’est pas le cas, alors, tout devient illogique.

Nous l’avons dit: un repère ne suffit pas pour se positionner, il en faut au moins deux, différents et distincts. En principe, le père et la mère, les deux lignées parentales. Cela permet le repérage des places respectives des père et mère, de leur sexe – homme et femme -, de leur lignée, mais aussi de la succession des générations. Ce repérage est fondamental. Pour qu’il se constitue, il faut que chacun soit bien à sa place. On pourrait dire que les parents sont des poteaux indicateurs et des supports d’identification, qui permettront au complexe d’Œdipe de se déployer et de se résoudre dans une intégration, par l’enfant, de sa propre identité sexuée.

J’ai indiqué que, pour fonctionner, un repère doit être intériorisé, symbolisé. Cela veut dire que le repère n’est pas directement dépendant de la présence physique. Un parent peut ne pas être là dans la réalité et avoir une existence symbolique tout à fait réelle, fonctionner comme repère.

Ainsi se découvrent pour l’enfant: moi, non moi; différence des générations; différence des sexes; vie, mort; dedans, dehors; passé, présent…; toutes ces oppositions signifiantes fondamentales.

Mais cela ne peut se faire sans la parole et sans que certains interdits structurants soient posés. Le premier est bien évidemment l’interdit de l’inceste, inceste qu’il faut entendre dans un sens large: il y a inceste, sur le plan psychique, toutes les fois que l’adulte se trompe de place et prend l’enfant comme objet de sa jouissance personnelle, que le mode en soit génital ou pas. La loi sociale ne punit que l’inceste sexuel, mais les situations affectivement incestueuses sont tout aussi graves pour la santé psychique de l’enfant.

Les parents doivent être des parapets de protection pour l’enfant en posant à bon escient les interdits nécessaires à sa sécurité et à celle d’autrui; cela lui permet de vivre sa vie d’enfant en sachant que quelqu’un veille sur lui, saura le protéger, contre lui-même ou contre un danger extérieur.

II. Quelques mots sur l’homosexualité

Il n’y a pas une homosexualité, mais des homosexualités. Et pas un ou une homosexuel(le) type, mais des êtres humains tous différents, même s’ils ont en commun d’avoir une orientation sexuelle particulière.

Il est fait, parfois, des descriptions très négatives de la personnalité des homosexuels: immatures, soumis à leurs pulsions, pris dans des attitudes de repli, de peur, d’échec, égocentriques, critiques, voyant d’une façon faussée passé, présent et avenir… Ces réflexions sont dans le prolongement des conceptions du XIXe siècle: l’homosexuel était un taré, un dégénéré, une espèce maudite. Ce n’est pas mon expérience.

Cela me paraît malhonnête. Ceux qui tiennent ces propos ne connaissent pas réellement les personnes dont ils parlent, et en font une caricature. Aucun trait de caractère ne me paraît spécifique des homosexuels. Chaque trait pourrait aussi bien exister chez des hétérosexuels.

Le seul point incontestable, c’est le choix du partenaire sexuel de même sexe.

Pour pallier un tel rejet, certains homosexuels ou certains médecins ont essayé de prouver que l’homosexualité était une disposition innée, constitutionnelle, et donc que l’individu lui-même n’y était pour rien. Cette hypothèse, sous des aspects divers (développement de certaines parties du cerveau, problèmes hormonaux…) n’a jamais été ni prouvée, ni totalement écartée.

Freud, par sa description du devenir de la sexualité infantile et de ses avatars, a ouvert une autre voie: la sexualité humaine est complexe, le petit enfant va s’attacher massivement à ses premiers objets d’amour: père et mère. Les choix d’amour concernent les deux sexes, et il en résulte une bisexualité psychique dont on retrouve des traces chez tous, y compris les hétérosexuels. On peut faire un rêve à tonalité homosexuelle, avoir un fantasme de ce type sans être homosexuel pour autant. La bisexualité psychique existe à l’état latent chez chacun.

Mais pourquoi chez certains se fait-il un choix d’objet homosexuel exclusif?

La réponse de Freud est claire: il y a un choix psychique inconscient lié à un déni de la différence des sexes, un complexe de castration mal dépassé, ou à un avatar du développement de l’Œdipe. Bref, il y a eu fixation à un moment du processus de construction de l’identité sexuelle. Ce qui ne veut en aucun cas signifier que la personnalité entière du sujet est resté à ce stade.

L’homosexualité a longtemps été décrite dans les manuels de psychopathologie dans le chapitre des perversions sexuelles. Cela est remis en question depuis quelques décennies. La psychopathologie a beaucoup changé. A notre époque, on ne rencontre plus les grands tableaux cliniques que décrivaient les premiers psychiatres. De plus en plus de configurations cliniques échappent à des classifications univoques.

Freud classait l’homosexualité dans les perversions, mais cela n’avait, dans sa pensée, aucune connotation morale; cela définissait simplement une structure psychique différente de la névrose et de la psychose. D’ailleurs, il disait que l’enfant est un pervers polymorphe, par son investissement de zones érogènes très parcellaires, lors des phases orale, anale, génitale…

L’Association internationale de psychanalyse (IPA) n’a pas suivi Freud dans son regard dénué de jugement sur l’homosexualité. Pendant longtemps, elle a fermé ses portes aux candidats analystes homosexuels. En France, Lacan a repris la position de Freud. Depuis les années 70, il n’y a plus d’exclusion des analystes à cet égard. Le fait même qu’il y ait « fixation » à un certain moment du développement de l’identité sexuelle est contesté par certains intellectuels homosexuels: ce serait simplement une autre façon de vivre la sexualité, ce que reflète l’analyse historique que fait Jonathan Ned Katz dans un livre récemment paru, sous le titre L’invention de l’hétérosexualité:

« La division homosexuel/hétérosexuel date d’environ un siècle. Il s’agissait alors d’une façon nouvelle de classer et de juger la société et ses membres. (…) La division homosexuel/hétérosexuel ne repose pas sur une nature immuable mais constitue une nouvelle modalité historique d’organisation de la sexualité. L’hétérosexualité n’a pas seulement été imposée, elle a été inventée, créée de toutes pièces notamment par ces médecins du XIXe qui avaient à justifier qu’on puisse faire l’amour sans intention de procréer. »

Nous le voyons, les positions peuvent être poussées à l’extrême. Mais au-delà de ces combats idéologiques, il y a le vécu au quotidien d’hommes et de femmes qui ne demandent pas plus que vivre le mieux possible ce qu’ils vivent, sans être rejetés ou devoir cacher leur relation.

Sur la genèse de leur homosexualité, ce que j’entends en consultation n’est pas du tout univoque: ainsi Sophie me raconte la déception de ses parents qu’elle ne soit pas née garçon…, elle a grandi en essayant d’être l’enfant dont ils avaient rêvé… Les enfants se sacrifient souvent eux-mêmes pour leurs parents. Charles est resté si attaché à sa mère qu’aucune femme ne peut occuper sa place, qui n’est jamais devenue vacante. Yves n’a pu s’identifier à son père dont la violence a terrorisé son enfance. Pour lui, être un homme, c’est être ainsi. Lui est un doux… il ne peut être un homme… Paule s’est identifiée à la mère phallique, qui a tous les attributs… point n’est alors besoin de l’autre sexe!

Je m’arrêterai là. Il y a encore bien d’autres configurations possibles. Ceci simplement pour vous montrer que si l’un ou l’autre accède à la parentalité, ce qui se rejouera avec son enfant ne sera pas du tout de la même nature. Et ce qui se rejouera sera en majeure partie inconscient tout comme le sont les raisons profondes de son inclination homosexuelle.

Même si chaque histoire est une histoire singulière, je distinguerai avec l’analyste belge Serge André deux types d’homosexualité:

1. L’homosexualité névrotique qui a son point de fixation au moment de l’Œdipe. Le sexe propre peut être l’objet d’un rejet. L’autre sexe peut sembler hors d’atteinte, fait peur. Un attachement trop fort peut en empêcher un nouveau… Mais la différence des sexes est bien construite. Cette forme est souvent vécue dans l’angoisse, la culpabilité. Ce sont des personnes de ce type que l’on rencontre dans un cadre thérapeutique.

2. L’homosexualité perverse qui a une origine plus précoce. Elle comporte un déni de la différence des sexes et de la castration. Nul besoin de l’autre sexe: je fais mieux que quelqu’un du sexe opposé! Il n’y a aucun manque. Ceci peut être vrai tout autant pour l’homme que pour la femme.

Si certains viennent en thérapie, c’est en général pour des raisons autres que leur homosexualité.

III. Et l’homoparentalité?

Je ne connais pas de statistique officielle. Dans la population que je reçois, la proportion est très faible. Cependant… un document que j’ai reçu émanant de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens fait état d’une statistique: 11% des lesbiennes et 7% des gays auraient des enfants, le pourcentage des homosexuels étant estimé à 4 à 6% de la population générale. Bien sûr, il s’agit là d’une analyse orientée…

Parfois cette situation n’est qu’un moment transitoire de l’histoire de vie. Ainsi Thomas, que j’avais suivi lorsqu’il avait 7 ans, est revenu me voir à 15 ans, de sa propre initiative. Ses parents avaient divorcé et sa mère vivait alors avec une compagne. Il avait besoin d’en parler. Il n’est venu que trois fois. Différenciant tout à fait bien sa vie et celle de sa mère, de mon point de vue, il allait bien. Il était suffisamment structuré pour aborder son adolescence, assuré dans son identité propre… D’ailleurs, peu après, sa mère a repris une vie hétérosexuelle.

Dans les histoires de longue durée, je voudrais distinguer deux cas de figure qui me semblent complètement différents dans leur dynamique:

– l’un des membres du couple homosexuel est déjà parent, parfois les deux;

– le couple homosexuel fait le projet à deux de devenir parents.

1. Un membre d’un couple homosexuel est déjà père ou mère

C’est la situation la plus fréquemment rencontrée, en tout cas à mon niveau. On est devant un état de fait. Il me paraît souhaitable que le parent continue à assumer sa fonction. Le maintien de la parentalité des deux parents est, sauf exception, la solution à favoriser pour que l’enfant garde tous ses liens affectifs. Le cas échéant, un suivi psychologique est nécessaire.

La situation homosexuelle étant socialement problématique, les parents homosexuels aimants sont souvent beaucoup plus attentifs que la moyenne des parents hétérosexuels se remettant en couple, alors même qu’ils sont parfois très meurtris par leur expérience hétérosexuelle, qu’ils ont mal vécue, souvent dans l’irrespect.

Je pense à une femme, dont la blessure était encore très à vif, qui a mis un an avant de pouvoir me dire le prénom de son ex-mari. Cependant, malgré cela, elle avait à cœur que les enfants puissent voir régulièrement leur père; elle a fait suivre son fils aîné par un psychologue lorsqu’il a paru en difficulté. Ses enfants n’étant pas tout petits, leur identité sexuée était déjà bien affirmée. Leur mère veillait à ce que sa compagne garde une juste place et a toujours essayé de favoriser des sorties, repas avec d’autres adultes des deux sexes. A aucun moment, je n’ai ressenti un espoir secret de voir l’un de ses enfants faire le même choix qu’elle, au contraire.

Ces nouvelles maisonnées se considèrent comme des familles recomposées2 [2]. On est frappé par la vigilance qu’elles mettent à situer chacun. Le parent géniteur reste papa ou maman, l’autre adulte de même sexe est considéré comme un beau-parent, nommé par son prénom le plus souvent. Ces familles tiennent à ce que les deux sexes soient présents dans leur entourage, et que les enfants gardent des liens, d’une façon régulière, avec l’autre parent géniteur, que celui-ci vive en couple hétéro ou homosexuel.

Ces « parents » sont très favorables à la transparence et ont dit à leurs enfants leur choix d’amour avec, bien sûr, des mots adaptés à l’âge de l’enfant. Certains enfants ne les ont d’ailleurs pas épargnés: « Ça va pas la tête? » dit une petite fille à sa mère qui lui expliquait sa nouvelle situation. Les enfants n’approuvent pas forcément, mais aucun des enfants ne semble avoir rejeté durablement son parent à cause de son choix de vie.

Le moment le plus critique est celui de l’adolescence. D’une part, l’enfant est lui-même dans sa quête identitaire, d’autre part le regard social est beaucoup plus important à cet âge: plusieurs ont cessé d’amener des copains à la maison par peur des questions ou réflexions, alors que, plus jeunes, ils les invitaient volontiers.

Ces parents ont conscience de la difficulté supplémentaire qui attend leur enfant du fait de leur choix, et essaient de l’armer, en particulier par une notion très puissante de respect de l’autre. Toutes les situations ne sont pas idylliques, loin de là, mais aucun des parents homosexuels que j’ai eu l’occasion de rencontrer ne m’a paru prendre son rôle à la légère… Les autres, peut-être ne les ai-je pas rencontrés!

2. Plus problématique à mes yeux est la décision d’avoir un enfant dans un couple homosexuel.

Le couple de deux femmes ou de deux hommes est par essence un couple infertile. Si une femme homosexuelle souhaite devenir mère, il lui faudra avoir recours soit à un ami qui accepte, soit à une insémination artificielle, soit à l’adoption. Mais, en France, l’insémination avec donneur anonyme n’est pas accessible à une femme seule, encore moins à un couple dont l’homosexualité est déclarée. L’adoption est exceptionnellement accordée dans ces mêmes conditions. Il faut alors contourner la loi, ou aller à l’étranger. Pour les hommes, il en est de même pour l’adoption. C’est un chemin qui nécessite beaucoup de combativité. Dans cette lutte, on peut basculer assez facilement du désir « au droit à ».

La revendication du « droit à l’enfant » me fait toujours frémir. On peut avoir droit à quelque chose, mais pas à quelqu’un! Je comprends la souffrance de quelqu’un qui désire ardemment un enfant, qui désire concrétiser son amour par un enfant qui sera élevé par le couple. Ce désir, qui existe dans l’amour hétérosexuel, peut exister tout autant chez des homosexuels. Mais pour moi, le désir n’est pas le droit. Certains homosexuels partagent cette position, comme Brigitte: « Je suis triste de ne pas avoir d’enfant, mais je ne me sens pas le droit d’imposer à un enfant une vie qui sera forcément plus difficile. »

Personnellement, je suis plus réservée que ne le sont certains collègues. En effet, de nombreuses questions se posent. Pour deux femmes: Qui va porter l’enfant? Qui sera sa mère? Pour que les positions soient tout à fait claires, il faut vraiment un long cheminement. Je pense à la réflexion naïve de deux jeunes femmes dont l’une, après insémination, a accouché d’une petite fille: « C’est pas important qui est la mère biologique, une de nous l’a portée, mais ça aurait tout aussi bien pu être l’autre! Elle nous appellera toutes deux maman, et quand elle voudra, elle choisira! » C’est gentil, mais je crains beaucoup pour l’avenir psychique de cet enfant, si la situation reste dans ce flou.

Pour qu’un tel choix de parentalité soit possible, il faudrait:

– que chaque membre du couple homosexuel ait fait le deuil de l’enfant qu’il aurait aimé faire à l’autre;

– que l’un des deux ait renoncé à sa paternité ou maternité possible, au moins à ce moment-là, et accepte d’être seulement comme un beau-parent pour l’enfant à venir;

– que l’hétérosexualité de l’origine soit claire et puisse être dite à l’enfant: « Je n’ai pas pu te fabriquer avec un homme que j’aurais aimé, parce que c’est une femme que j’ai aimée… Mais un homme a donné sa graine pour que tu puisses être là et je l’en remercie. » Cela signifie qu’est dépassé un fantasme de création à deux ou de création tout seul;

– l’adoption est un peu plus simple, car peuvent être évoqués l’attente, le couple géniteur… Il y a moins d’ambiguïté possible.

La parentalité choisie dans un couple d’homosexuels hommes nécessite encore plus de renoncements profonds. Elle suscite fréquemment d’encore plus vives réactions. C’est peut-être parce que nous y sommes moins habitués: en effet, dans le passé, de nombreux enfants ont été confiés à des femmes célibataires, parfois vivant à deux. Mais, à cette époque, personne ne s’interrogeait vraiment ni sur l’intimité des adultes en question, ni sur les repères identificatoires des enfants. Pourtant, je ne suis pas sûre que le problème soit vraiment plus simple pour un enfant élevé par deux femmes.

Les couples homosexuels qui envisagent de se battre pour avoir ou pour adopter un enfant sont, en général, beaucoup plus combatifs que ceux qui ont déjà des enfants. On peut les comprendre, mais cela n’empêche pas les réserves.

Certains argumentent qu’il n’y a pas de problème pour l’enfant: il y a bien triangulation de la relation et séparation mère-enfant, puisque la compagne peut faire tiers séparateur. C’est vrai en un sens, mais c’est faire bon marché de la différence des sexes et des identifications sexuées de la petite enfance, qui prennent appui sur les liens d’amour les plus précoces et privilégiés, et qui permettront à l’enfant, l’Œdipe traversé, d’assumer son propre sexe en renonçant à être tout à la fois.

Il est vrai que, dans ces couples aussi, il peut y avoir le souci réel de donner à l’enfant les deux références sexuées par une vie très ouverte. Mais, à mon sens, cette vie sociale n’a de réel impact que plus tard, bien tard… Seule une prise en compte précoce, non ambiguë par la mère du père d’origine dans le cas d’une fécondation, ou des parents géniteurs dans le cas d’une adoption, peut donner la place juste. Or, est-il réellement possible que ce soit vraiment intégré au plus profond des membres du couple homosexuel, car la problématique inconsciente qui a amené à l’homosexualité continue d’être présente? Il ne suffit pas d’avoir des paroles auxquelles on adhère intellectuellement; il faut que ces paroles aient pris sens profondément pour celui qui les prononce.

Ceux qui justifient l’homoparentalité sans restriction séparent avec juste raison parenté (liens biologiques) et parentalité (fonctions exercées par ceux qui élèvent l’enfant). Mais ils oublient que la parentalité s’appuie sur un système symbolique, doit être exercée par des personnes dont la place est claire, parfaitement repérable par l’enfant. Les places ne sont jamais similaires, interchangeables. Pour moi, l’enfant ne peut être l’enfant d’un « couple » homoparental, il ne peut être que celui d’un père ou d’une mère géniteur ou adoptant et d’un beau-parent, compagnon ou compagne du parent.

Le PACS, à mes yeux, a sa raison d’être. Même s’il comporte d’autres enjeux, le PACS permet de reconnaître un lien, de ne pas laisser démuni un compagnon ou une compagne après des années de vie partagée; il permet aussi, en cas de maladie ou de décès, que celui ou celle qui partageait une éducation au quotidien avec le parent légal continue à avoir une place. Cette continuité possible du lien affectif et éducatif me paraît une bonne chose pour l’enfant.

On ne peut tout de même pas nier qu’il faudra au parent, à son compagnon ou sa compagne et à l’enfant un travail psychique considérable pour que l’enfant se construise à peu près correctement.

Il est vrai qu’on n’en demande pas tant aux parents hétérosexuels qui conçoivent n’importe comment. Mais ils ne demandent pas à la loi sociale de cautionner leur choix.

De fait, les milieux gays et lesbiens fermés, comme d’ailleurs les milieux hétérosexuels similaires, sont très hédonistes, centrés principalement sur la recherche de plaisir. Il me semble peu probable qu’ils désirent s’embarrasser d’enfants, sauf s’ils décident de faire de l’enfant un fer de lance de leur combat. Mais alors, c’est grave pour l’enfant qui est enjeu et non plus désiré pour lui-même. Ce n’est malheureusement pas la seule situation qui comporte ce risque pour l’enfant: dans trop de couples, hétérosexuels, qui se déchirent, l’enfant est pris en otage.

Même si les enfants ont des capacités de résilience3 [3], comme l’on dit à l’heure actuelle, assez extraordinaires, il est important de leur donner le meilleur possible, de ne pas les amener à la limite extrême.

IV. Et la Bible? Que dit-elle?

Les repères bibliques impliquent la référence à une Parole qui dépasse la parole humaine: celle de Dieu dans la Bible, parole qui fait tiers pour les humains. Bien sûr, la Bible enseigne l’amour sans limite de Dieu pour l’homme malade et pécheur, qu’est chacun de nous (et pas les homosexuels plus particulièrement). Elle enseigne aussi le respect; elle incite à ne pas juger.

La Bible ne parle pas très souvent de l’homosexualité, mais lorsqu’elle en parle, on est étonné de sa sévérité: acte contre nature, qui est une abomination… L’homosexualité y est comparée à l’idolâtrie. Il me semble que cette comparaison rejoint ce que je relevais au plan psychanalytique: le déni de la castration, le refus du manque structurel de l’homme. Quelque part, dénier le manque, c’est vouloir être soi-même Dieu. Relevons au passage que cette tentation n’est pas l’apanage des seuls homosexuels! Mais ils l’illustrent peut-être avec une clarté particulière.

Dès la Genèse, le couple hétérosexuel est indéniablement dans le plan de Dieu pour l’humanité: homme et femme il les créa, pour être « en vis-à-vis ». Bien plus, cette altérité fondamentale du couple est choisie comme symbole du lien de l’Eglise au Christ. Je risquerai une interprétation: de la même façon que la mère introduit le père pour l’enfant, accepte d’être le canal d’un autre, de la même façon, l’Eglise est appelée à être le canal de la Parole d’un Autre, dans une altérité encore plus radicale, celle de l’homme avec son Dieu.

Deux remarques pour terminer4 [4]: dès la Genèse, Dieu est le séparateur, celui qui permet l’existence distincte et la nomination. Satan, le diviseur, remet dans la confusion, dans l’informe. Dans l’homosexualité, le centre du problème tourne bien autour de la question de la distinction et du même.

En grec, trois mots traduisent notre mot français « amour »:

Eros: l’amour charnel, l’amour passion, qui peut dévorer son objet. Il est exigeant, parfois dominateur. Cet amour-là, notre société le connaît bien.

Phila: l’amitié. Dans une relation d’amitié, rien n’est à prouver. On se sent tranquille, compris. Il y a réciprocité. L’amitié est parfois plus vécue dans les relations de même sexe, et il est bien dommage que, dans les couples hétérosexuels, il n’y ait pas un peu plus d’amitié.

Agapé: aimer parce qu’on est aimé, le fruit de l’amour divin, qui peut transcender les deux autres, amour inconditionnel qui n’attend pas la réciprocité, même s’il la désire, dimension de l’amour qui est introduite dans les épîtres de Paul. L’amour parental bien compris a sans doute à voir avec celui-là.

Un mot pour terminer: ne nous trompons pas de combat. Pour un vrai témoignage, une lutte positive, ne faudrait-il pas que les couples chrétiens hétérosexuels redécouvrent plus d’amour: éros, phila et agapé, plus de respect, dans une ouverture aux autres. Notre société est en crise de parentalité. Elle manque cruellement de pères: non pas de pères petits tyrans, imposant leur loi personnelle, mais de pères soumis, eux aussi, à la loi dont ils sont porteurs, vraiment présents, attentifs à leurs enfants, exerçant leur autorité dans un lien d’amour. Notre société manque aussi de parents vivant une réelle altérité, respectueuse de la différence de chacun, dégagée de tout assujettissement de l’un par l’autre. L’hétérosexualité pourrait être plus qu’un simple mot!


* Monique de Hadjetlaché est médecin psychiatre à Nîmes.

1 [5] Je n’ai eu en thérapie qu’un nombre limité de personnes homosexuelles qui étaient parents ou ont désiré l’être. Mais, même si mon expérience personnelle est relativement restreinte, elle concorde en grande partie avec ce que j’ai pu lire sur le sujet. En outre, il se trouve que l’un de mes neveux, Philippe Kaiser, a soutenu il y a quelques mois un mémoire à l’Institut de travail social de Genève, sur la question de l’homoparentalité, à partir de la rencontre et de l’analyse du fonctionnement de six familles homoparentales. Je crois pouvoir dire que ces rencontres l’ont beaucoup intéressé et l’ont amené à revoir certains de ses présupposés.

2 [6] Mon neveu Philippe Kaiser, dans son étude, fait les mêmes constatations.

3 [7] La résilience est la capacité d’un métal à plier sans se rompre.

4 [8] A ce sujet, voir l’article de P.Wells dans le numéro 217, 2002-2, de la revue (n.d.l.r.).