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ARGENT SUR TABLE – Ethique et économie

ARGENT SUR TABLE

Ethique et économie

Introduction

Qui dit « argent » dit échange, propriété, richesse, ou encore capital, placements, profit et, tôt ou tard, arnaques, blanchiment, détournements de fonds… Sujet donc qui intéresse tout le monde, qu’il s’agisse du revenu de chacun (salarié, chômeur, retraité…) – bref, de mon argent distribué en liquide ou par carte bancaire, épargné ou objet de spéculation en Bourse, dépensé ou investi – ou alors, à l’échelle planétaire, des richesses exprimées en milliards de dollars, venant des gros investisseurs et des entreprises nationales ou multinationales et mis en circulation par la mondialisation de l’économie. Et les enjeux éthiques sont de taille: pour ce qui est de l’argent dont je dispose, comment faire pour bien faire? et au niveau collectif, quelle éthique élaborer dans des lieux comme l’entreprise ou le commerce international, dans l’interface où politique et économie se rencontrent, ou encore face à la dette du tiers monde et à la fracture qui sépare pays riches et pays pauvres?

Sujet vaste et compliqué! L’enjeu est de ne pas rater l’épreuve de l’argent. Car trouver une liberté chrétienne vis-à-vis de l’argent n’est pas évident. Dans le gigantesque supermarché contemporain d’aujourd’hui, le capitalisme occidental n’est-il pas en train de proposer au monde entier une vision qui élève l’argent – protocole d’échange au départ, qui n’est ni bon ni mauvais – au rang d’une valeur en soi, d’un sacrement séculier, d’une sorte de divinité puissante (Mammon?), et de sacraliser ainsi la consommation et d’en faire la principale voie du bonheur et du salut? Le « tout économique » n’est qu’une idolâtrie. Et pourtant, on peut avoir l’impression que, dans la diversité des langues et des cultures, l’argent s’est fait octroyer le rôle de langage reconnu et compris de tous, de principal régulateur social et politique des rapports entre les hommes.

Sujet passionnant et passionné qu’on a intérêt à traiter avec autant de forces vives que possible. Problème qui exige, tout à la fois, la fine analyse de l’économiste, attentif aux zones d’ombre du marché; la mise en perspective du sociologue, apte à réfléchir sur l’évolution du rapport à l’argent dans l’entreprise ou au sein des Etats; ou le témoignage de l’acteur impliqué dans l’oeuvre humanitaire, témoin des ravages de la pauvreté et de l’injustice économique; sans oublier le regard du banquier, du PDG, du salarié, de l’actionnaire… et, après tout cela, la reprise délicate du théologien, soucieux de l’actualisation de principes telle la dignité de la personne humaine créée selon l’image de Dieu, indépendamment de ses capacités de production ou de son pouvoir d’achat; la réflexion, enfin, du chrétien engagé tout simplement, désireux d’être un gérant responsable sur le plan personnel ou dans l’Eglise.

Les articles ci-après invitent à complexifier la question de l’argent telle qu’elle se pose dans les espaces de vie fort variés délimités par l’acquisition et le renoncement; par la richesse et la pauvreté; par l’investissement ou l’offrande; et dans les domaines des entreprises ou des oeuvres caritatives, de l’économie et de la société civile, de la justice sociale et de l’organisation politique. Si la vitesse décisionnelle règne en Bourse, la réflexion éthique en profondeur exige du temps!

Il convient de prendre du recul par rapport à une certaine monétarisation de la vie quotidienne; de penser l’équilibre des chances et des risques que produit le libéralisme économique; de joindre une certaine vision de l’être humain, auquel il faut assurer un minimum vital, au souci de trouver les régulateurs éthiques susceptibles d’assurer une juste répartition des richesses et une rémunération équitable de l’innovation de l’entrepreneur.

Mais entre dîme, don et dette, chacun s’est trouvé en face de sa propre responsabilité éthique, qui consiste à rejeter la recherche de l’abondance pour l’abondance en faveur d’une quête de la justice, à vivre dans la sobriété et le partage, en solidarité avec les plus démunis de notre société. Mais il n’est pas possible d’occulter la misère de grande envergure: car soyons honnêtes, sur six milliards d’hommes, il y en a un qui vit bien, quatre qui joignent tout juste les deux bouts, et un dernier qui « crève de faim ». De quoi avoir faim et soif de justice, du moins si on suit la perspective de Jésus. Car le mal n’est pas dans l’argent mais dans l’homme, tout comme ce qui nous libère est le règne de Dieu dans et sur nos vies, et non l’argent-roi.

Dans cette année du passage à l’euro et de l’apprentissage à un nouveau mode monétaire, sachons avant tout partir du montant incalculable de la grâce qui nous est faite, par Dieu le Père, au coût de la vie de Jésus-Christ, donné pour nous; et que ce salut gratuit suscite, dans nos vies, le reflet d’une gratitude à ne pas chiffrer mais qui se traduit par l’offrande de nous-mêmes et de nos biens, pour sa gloire et dans le service de notre prochain.

Gordon Campbell*

* G. Campbell est professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.