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Livre à lire

Livre à lire

Pierre Gisel et Lucie Kaennel : La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de foi (Editions Labor & Fides et Société biblique suisse, 1999, 136 pages)

Voici un des plus récents maillons dans la chaîne évolutive des publications sur la Création et la science. Deux théologiens de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne abordent un ensemble de questions sur les origines et évaluent les réponses possibles qui s’inscrivent dans cette quête. Il ne manque pas de discours en la matière: la théologie judéo-chrétienne affirmant qu’«Au commencement Dieu créa le ciel et la terre»; la science évolutionniste repoussant ce début, entre autres, au big bang; des mythes religieux faisant remonter l’origine à, par exemple, une eau primordiale.

Comment articuler tout cela? s’interrogent les auteurs. Contradictions? Conciliation, mais comment? Tension? Choix irréductibles? Diversité de regards légitimes (…)? (P. 8)

Une fois les questions de fond posées (chap. 1), les divers discours sont présentés et évalués dans les chapitres suivants intitulés: «Récits et données bibliques» (2); «Cosmogonies religieuses» (3); «Réception chrétienne des données bibliques» (4); «Discours scientifiques sur l’origine du monde et de l’humain» (5); «Foi et savoirs: quelles articulations et pour quels enjeux?» (6) On ne saurait mieux tracer les grandes lignes de ces discours, vu la complexité de chacun d’eux et des opinions proférées souvent disparates.

C’est avec profit que le lecteur lira au chapitre 2 les commentaires sur la Genèse 1 à 3, desquels émergent, d’un côté, une fresque cosmique du monde ordonné qui est bon et béni (chap. 1:1-2:4a) et, de l’autre, un portrait de l’humain entouré des bienfaits divins, mais sollicité par le mal auquel il ne résistera pas. Par conséquent le monde est maudit et la femme et l’homme subissent les peines: enfantement dans la douleur, travail dans la sueur et retour à la poussière (chap. 2:4b-3:24). On peut néanmoins s’interroger sur certaines des affirmations qui s’y trouvent. Par exemple:

Le lecteur qui ouvre la Bible tombe, en son début, sur deux récits de création. (…) Les historiens nous apprennent en plus que ces deux textes ne viennent pas de la même époque, et que le second qui s’offre à la lecture, dans l’ordre biblique canonique reçu, avait, historiquement, vu le jour avant celui dont, dans le texte final, on l’a fait précéder. (P. 18)

Plusieurs remarques. Le lecteur averti ne sera pas surpris par l’idée de deux récits, le premier dit sacerdotal et le second étiqué Yahviste. Or, il est de plus en plus admis, de nos jours, qu’il n’y a aucun indice pour admettre que de telles sources aient jamais existé en elles-mêmes, ce qui rend tendancieuse leur datation. Même s’il s’agissait de diverses sources venant d’époques et de milieux différents, est-ce que cela déterminerait comment cette composition doit être lue? Heureusement la réponse des auteurs est négative et, effectivement, la question des sources n’entre pas en ligne de compte au niveau de l’exégèse. Ils optent pour une lecture «canonique» (P. 18).

Le troisième chapitre présente une esquisse captivante des cosmogonies religieuses issues non seulement du Proche-Orient ancien et du bassin méditerranéen, mais aussi d’autres régions du monde, voire de tous les continents. S’il y a lieu d’exprimer un regret, ce serait que l’expression du début «La perspective biblique n’est pas la seule. Il y a d’autres (…) mythes religieux» (P. 33) laisse sous-entendre que Genèse 1 n’est qu’une des cosmogonies mythiques qui tentent de fournir une réponse à la question des origines.

Au chapitre 4, les auteurs passent en revue quatre flashes d’histoire de la réception chrétienne du propos biblique. Des Pères de l’Eglise à Jean Calvin, en passant par Thomas d’Aquin, ils nous amènent à la théologie naturelle du temps moderne et à son refus, en particulier celui de Barth, de Bultmann et de von Rad. Réaction qui prend le contre-pied, la théologie de la création est passée à l’arrière-plan, abandonnée ou mélangée dans l’expérience d’une libération qui est passée au premier plan et est considérée comme motif du «kérygme» de la révélation. De l’expérience de la libération d’Egypte, on passe à la confession de Dieu créateur. De la même manière, la Pâques conduit à la confession que Christ est au cœur de la création. Salut et création sont mises en correspondance et la création n’est plus entendue comme cadre extérieur de la révélation. La faiblesse de cette réaction, comme l’expriment les auteurs, vient, entre autres, du fait qu’«on à perdu de vue ce qui pouvait constituer les traits spécifiques et la nécessité de la thématique de la création…» (P. 76).

Le cap du discours religieux franchi, le 5e chapitre nous amène aux discours scientifiques. Les grands traits des recherches astronomiques et astrophysiques sont tracés: de l’astronomie grecque jusqu’à «Hubble». Les recherches de «Hubble» sur l’expansion de l’univers ont renforcé la notion du big bang. Il ressort des recherches subséquentes que l’histoire de l’univers est celle de la matière qui évolue de l’homogénéité à l’hétérogénéité et se structure, en se refroidissant, à la fois à très petite échelle (le monde des particules) et à très grande échelle (les galaxies et les amas des galaxies). Pour ces auteurs, «la théorie du big bang semble être, malgré certaines faiblesses, celle qui rend le mieux compte de l’ensemble des observations faites jusqu’à présent» (P. 85). Après un milliard d’années, l’univers a préparé le berceau dans lequel le vie serait née (cf. P. 87).

Au sixième et dernier chapitre, «Foi et savoirs…», plusieurs modèles sont énumérés pour baliser le champ des positions possibles et tenues. Pour les uns, il y a conflit entre foi et science: «au commencement Dieu…» ou évolution. Vérité ou erreur. Pour d’autres, il y a une complémentarité, car la science transmet le comment (la description des phénomènes de la nature et de leurs lois internes) et la foi, ou la religion, le pourquoi (le sens des mêmes phénomènes). Certains voient des points de convergence sur lesquels la foi et la science peuvent se rejoindre. C’est dans ce chapitre qu’est évoquée, sous forme d’excursus, la question de créationnisme, «doctrine qui s’oppose à toute forme d’évolution» (P. 111). Il est entendu que les auteurs ne considèrent pas ce modèle valable, mais sa présentation est équitable.

Revenons, pour terminer, au cinquième chapitre. Si les auteurs pensent que l’être humain est le dernier maillon de la chaîne évolutive, ils ajoutent qu’

affirmer que «l’homme descend du singe» n’a pas été sans provoquer des troubles. Quoi qu’il en soit, il semble plus juste aujourd’hui de dire que l’homme est issu d’une espèce qui fut l’ancêtre commun de deux lignées, celle des singes supérieurs d’Afrique d’une part, celle des pré-humains puis des humains d’autre part. (P. 90)

C’est à ce stade, en particulier, qu’on se demande comment réconcilier de telles affirmations avec les données bibliques qui font une distinction nette entre la création de l’homme et de la femme à l’image de Dieu (cf. Gn 1:24ss) et de toute autre forme de vie, celle des animaux (et des singes compris!). Comment articuler tout cela? Conciliation, mais comment? Il va falloir éventuellement poser la vieille question: Ecriture ou évolution? La confluence des discours religieux et scientifiques ne nous conduit-elle pas à un choix irréductible?

Ronald Bergey

professeur d’hébreu et d’Ancien Testament