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La Parole, le Baptême, la Sainte Cène – Le témoignage de la pensée réformée

La Parole, le Baptême, la Sainte Cène
Le témoignage de la pensée réformée

Pierre Ch. MARCEL*

Les Editions Kerygma viennent de rééditer l’étude de P. Marcel sur le baptême,

sous le titre: L’alliance de grâce1 [1].

Les conférences, dont le texte inédit est publié ci-après, présentent la pensée toujours actuelle de l’auteur et apportent des réponses aux questions posées aujourd’hui par ceux qui veulent réfléchir sur les sacrements.

I. Parole audible, parole visible

« Je regrette, je n’ai pas la foi! » disent souvent ceux à qui nous faisons part de nos convictions chrétiennes. Cette affirmation ne signifie pas: « Je n’ai pas de foi! » La foi n’est pas un contenu; elle est la plus haute, la plus noble fonction de notre personne. Chacun possède une foi, sa foi, dont le siège est le cœur, en son moi le plus profond. Elle téléguide les cheminements et les démarches de son intelligence, inspire ses pensées, donne leur sens à ses actes, à l’appréciation du prochain. Nul besoin pour croire que l’incroyant soit doté d’une fonction supplémentaire; il faut que sa foi profane devienne foi chrétienne par l’action du Saint-Esprit dans son cœur et des moyens qu’il emploie à cet effet.

Tout homme a une foi par quoi il interprète le monde, prend position par rapport au Dieu Créateur. Lisons au singulier la déclaration de l’apôtre Paul, qui laisse, aujourd’hui encore, à chacun sa responsabilité personnelle:

Ce que l’homme peut connaître de Dieu est pour lui manifeste: Dieu le lui a manifesté. En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l’intelligence; il est donc inexcusable puisque connaissant Dieu, il ne lui rend ni gloire ni l’action de grâce qui reviennent à Dieu; au contraire, il se fourvoie dans ses vains raisonnements et son cœur insensé est devenu la proie des ténèbres; se prétendant sage, il est devenu fou. (Rem 1:19-22, trad. TOB)

Dieu avait pourtant – alors comme aujourd’hui – planté au cœur de ces hommes l’intelligence de discerner le témoignage que toutes les créatures rendent à la gloire de leur Auteur et de percevoir, à travers elles, quelque chose de ses invisibles perfections. Il n’en fut, il n’en est toujours rien! Et l’homme de récolter les fruits de sa folie. Malgré sa conscience cautérisée, il ne pèche pourtant pas par ignorance! Pourquoi Dieu ne l’abandonne-t-il pas tout simplement à sa folie? Parce que – l’Ecriture nous l’apprend – la passion de notre Créateur est que l’homme soit libre, heureux de vivre en toute bonne conscience. « Dieu veut un peuple de franche volonté », un slogan de la Réforme calviniste. « Conscience et liberté » pourrait être le sous-titre de la pensée de Calvin, selon les Ecritures. Trop de lecteurs superficiels ou distraits n’y voient que menace et sévérité, servitude aux commandements, inquiétude devant les exigences de la vie, bref, l’aliénation de toute franche liberté. Est-ce possible, alors que Dieu se veut le Père de libres créatures, aux consciences affranchies, destinées au plus glorieux avenir?

Les vains raisonnements du cœur de l’homme ne perçoivent plus – aujourd’hui, bien sûr, comme autrefois – les perfections de Dieu dans ses œuvres visibles. Sa conscience, toutefois, ne le laisse pas en paix. Elle dialogue avec elle-même; elle n’est pas endurcie au point d’être insensible à tout sentiment d’un service de Dieu, de ne pas faire la différence entre le bien et le mal, de ne pas discerner et de ne pas savoir quand elle ne fait pas son devoir.

Dieu veut que nous l’aimions parce qu’il nous a aimés le premier (1 Jn 4:19). Il décide alors de nous révéler lui-même son amour de Père, le Christ éternel devenu le Jésus de l’histoire, sa mort et sa résurrection; d’illuminer notre foi par le Saint-Esprit, afin que sa bonté soit universellement glorifiée et de nous en révéler les moyens. Il faut donc qu’il nous parle et nous fasse connaître notre péché, notre misère, ce que le Christ a fait pour nous délivrer et comment – enfin! – nous pourrons lui prouver notre reconnaissance en conformant notre volonté à la sienne. Bref, Dieu veut traiter ceux qu’il sauve comme des êtres intelligents et libres, et entrer en communication intellectuelle et affective avec eux. Il fallait donc qu’il parlât! Une Parole parlée audible recueillie par ses patriarches, ses prophètes et ses apôtres, afin d’être prêchée: Parole éternelle de son Fils fait chair, le Christ, mort et ressuscité pour notre justification, qui, pour le repos de nos consciences et l’exercice de notre liberté, doit être prêchée et confirmée par les sacrements, Parole visible vis-à-vis de la Parole audible.

A) Une Parole audible

« La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole du Christ. » (Rm 10:17) Et celui-ci déclare: « La parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. » (Jn 14:24) La Parole prêchée par des messagers fidèles à l’Evangile est donc « Parole de Dieu ». Elle a la puissance de faire naître la foi dans nos cœurs, à condition d’être celle du Christ, par l’Esprit du Christ en personne. Christ prie pour tous « ceux qui croiront en moi par leur parole » (Jn 17:20). « Celui qui croira sera sauvé…, mais celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 16:16) Dieu intervient par la prédication de sa Parole, rendue vivante dans nos cœurs par la puissance du Saint-Esprit. Notre foi aveuglée devient clairvoyante; déformée, la voilà re-formée; défaillante, la voici triomphante. Tout nous est donné par la prédication de la foi: quand « …le témoignage de Christ a été fermement établi en vous… il ne vous manque aucun don… » (1 Co 1:6-7) La foi chrétienne est proposée à tous et l’on apprend à recevoir.

B) Une Parole visible: les sacrements

Quand la Parole nous est prêchée, il ne nous manque rien, rien de plus n’est à entendre, à recevoir et à croire. Mais notre foi est faible, notre cœur partagé, notre intelligence limitée, notre conscience mal assurée. Il importe qu’à plein cœur, pour soutenir et étayer cette foi, nous saisissions pour véridiques, accomplies en Christ, non pour les autres mais pour nous-mêmes, les promesses de notre Dieu. A cet effet, en pédagogue, Dieu confirme sa Parole audible par une Parole visible. Il nous offre les choses spirituelles sous des signes visibles: il ordonne les sacrements.

Est sacrement (du latin: sacramentum) le serment prêté par le soldat romain à son incorporation, la promesse solennelle de la bonne foi de son engagement. Est sacrement le jeton qui permettait de contrôler la présence des ouvriers sur un chantier; d’une part, ce jeton garantissait l’engagement des ouvriers de faire le travail accepté et, d’autre part, la promesse du patron de les payer selon son propre engagement. Au temps du Désert, le « méreau » certifiait la religion réformée de son possesseur; il lui donnait le droit de se présenter à la cène, l’assurance d’y être reçu. Les sacrements sont donc des signes matériels représentant des choses spirituelles: conclusion d’un contrat, signe de propriété, gage de sécurité.

A quoi bon ces signes, si je crois savoir et avoir les choses qu’ils figurent? Les paroles de Dieu ne sont-elles pas si sûres et certaines par elles-mêmes qu’elles ne puissent pas trouver ailleurs qu’en elles-mêmes meilleure confirmation? Il est vrai! Mais notre foi est faible, notre conscience chancelante, notre cœur troublé; aussi plaît-il à notre Dieu, pour nous confirmer en elles, de nous démontrer la réalité des choses spirituelles par des signes visibles. Les sacrements n’ont pas d’autres fonctions que celles de la Parole prêchée, à savoir nous offrir et nous présenter Jésus-Christ et, par lui, en lui, tous les trésors de la céleste grâce. Il faut, d’abord, que nous entendions et comprenions la Parole prêchée pour nous faire connaître ce qu’exprime le signe visible. Un tel signe, en effet, a le pouvoir d’affermir notre conscience dans l’assurance du salut.

Les sacrements sont des instruments par lesquels l’Esprit saint veut toucher notre cœur, éclairer notre intelligence et donner la paix à notre conscience. Ils sont et doivent être les piliers de notre foi en la Parole de Dieu, sur lesquels notre foi doit plus encore s’appuyer. Ils sont des miroirs où nous contemplons les richesses de la grâce que Dieu nous dispense en abondance. Par les sacrements, Dieu m’atteste que ses promesses sont authentiques et irrévocables, que je puis en être aussi sûr que de la réalité de l’eau du baptême, du pain et du vin de la cène, que je vois, touche et reçois.

Les sacrements sont les sceaux, les armoiries de Dieu, sa signature, son cachet, qu’il ajoute visiblement et concrètement aux déclarations de sa grâce que nous annonce l’Evangile. Sceaux, cachets, gravure, effigie, armoiries, signatures – telle est la vivante terminologie de Calvin – authentifiant des contrats, conventions et traités. A quoi serviraient-ils si rien n’était écrit? Le sacrement n’est donc pas seulement un signe: il est un gage; il rend – s’il est possible! – plus authentique encore la parole audible des Ecritures en faisant d’elles une prédication visible de ce même Evangile pour étayer et confirmer la foi. Les sacrements nous répètent, ressassent et rabâchent – il faut bien le dire – les promesses de grâce de la Parole écrite et prêchée, et nous apportent « comme en une peinture » la réalité de la Parole vivante qu’est le Christ mort et ressuscité pour nous. Le fidèle ne s’arrête pas aux signes extérieurs mais, selon la convenance de chaque élément, il élève son âme et son esprit à contempler les plus hauts mystères qui s’y trouvent cachés.

Qu’est donc un sacrement? Pas seulement un signe visible d’une grâce invisible, mais le signe de la grâce, qu’il soit le baptême ou la cène. Un sacrement est le témoignage extérieur de la bonne volonté de Dieu, le signe visible de ses grâces spirituelles, le sceau apposé sur ses promesses, pour mieux nous convaincre de leur vérité, du don gratuit de son pardon et de sa force vivifiante.

Le sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en nos consciences les promesses de sa bienveillance envers nous, pour soutenir et fortifier la faiblesse de notre foi; et de même – à notre tour – le signe par lequel nous rendons témoignage devant lui, aussi bien que devant les anges et les hommes, que nous le tenons pour notre Dieu.2 [2]

La Parole et le sacrement ont l’un et l’autre pour but de conduire notre foi au sacrifice de Jésus-Christ sur la croix comme l’unique fondement de notre salut, avec, d’autre part, l’attestation publique de l’honneur que nous lui portons. Tel est le mystère à chaque célébration. Nous le verrons en traitant de la cène et du baptême.

II. La sainte cène

A) Les récits de l’institution de la cène et Jean 6:30-65

En règle générale, les commentaires accordent soit la priorité de l’interprétation, soit l’ancienneté aux quatre récits de Matthieu 26, Marc 14, Luc 22 et de Paul (1 Co 11:23-29). La prédication de l’évangile de Jean sur le pain de vie (6:22-65) serait beaucoup plus tardive; sans doute le fruit d’une tradition élaborée par des communautés liturgiques. Il en résulte des interprétations repliées sur elles-mêmes, sans lignes directrices, du littéralisme au spiritualisme, la communion avec le Christ ne s’opérant qu’au cours de célébrations liturgiques, suggérées par ces quatre premiers récits, sans réussir jamais à honorer leurs particularités respectives qui, loin de s’opposer, se complètent.

De Jean 6:53-54 (« Je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour »), Calvin déclare:

Il n’est point ici parlé de la cène, mais de la communication perpétuelle de la chair du Christ, que nous avons hors l’usage de la cène… Il est certain qu’il traite de la manière perpétuelle et ordinaire de manger la chair du Christ… qui se fait par la foi seulement.

Il faut prendre le mot chair au sens de Jean 1:14, 17:

Bien que l’évangéliste touche en bref ce secret inénarrable que le Fils de Dieu a vêtu la nature humaine, néanmoins cette brièveté est merveilleusement claire et facile… Le mot « chair » aussi a une plus grande efficacité pour exprimer l’intention de l’évangéliste que s’il eut dit: « La Parole a été faite homme. » Sous ce mot de « chair », tout l’homme est compris. Le propos est donc clair; c’est que la Parole engendrée de Dieu avant les siècles, et qui résidait de tout temps avec le Père, a été faite homme.

Sa chair est la nôtre; notre humanité est la sienne.

B) Communion perpétuelle ou communion occasionnelle?

« Perpétuelle et ordinaire »: il n’y a pas d’interruption à cette communication perpétuelle et ordinaire, c’est-à-dire habituelle à tout instant de la vie de celui qui croit, chaque jour, à toute heure; cette relation est continuelle et ininterrompue.

La réalité de l’Evangile, en effet, veut que nous distinguions les termes communiquer-communication, qui connotent un sens mystique beaucoup plus accentué, de ceux de communier-communion3 [3]. Pour préciser le (ou les) sens de la cène, Calvin et la Liturgie de son temps n’utilisent que les mots: communication et communiquer, en tant qu’action de communiquer, faire partager, faire participer4 [4].

C) Communication quotidienne avec le Christ

Tout ceci est proposé à la foi. La foi reçoit l’Evangile de Dieu dans sa richesse, sans rien excepter, ainsi que le Christ le prêche en Jean 6; seule, la foi est apte à tout recevoir par une communication quotidienne avec lui. La prédication de Jean 6 précède de beaucoup l’institution de la cène car, dit Calvin: « C’eût été une chose inepte et hors de propos de traiter de la cène lorsqu’il ne l’avait pas encore instituée. » Jean 6 n’est pas un commentaire de la cène. Jésus s’y place beaucoup « plus haut » (nous le verrons) que les récits de l’institution. Jean 6 est la Vérité et la Vie; le sacrement subséquent n’en est que la confirmation. Si Jean 6 traite de la communication perpétuelle et quotidienne « que nous avons hors l’usage de la cène », la doctrine qui y est traitée est scellée et confirmée dans la cène. « Christ a voulu que sa sainte cène fût comme un sceau et confirmation de ce sermon. Et c’est la raison pour laquelle saint Jean ne fait nulle mention de la cène. »

Regardons quel banquet notre Seigneur Jésus nous apprête, quand nous venons ouïr sa Parole. Car c’est journellement que nous devons communiquer avec lui, à son sacrifice sur la croix, participer à ses dons, à ses biens, être fait membres de son corps, os de ses os, chair de sa chair.

Nous attachons un grand prix à cette variante canonique d’Ephésiens 5:30, omise par la plupart des traducteurs:

Comme Eve, commente Calvin, a été formée de la substance d’Adam, son mari, afin qu’elle fût comme une partie de celui-ci, nous, afin d’être vrais membres de Christ, nous communiquons à sa substance (à savoir Jésus-Christ avec sa mort et sa résurrection) et, par cette communication, nous sommes assemblés en un même corps. Bref, saint Paul décrit ici notre union avec Christ dont le signe et le gage nous sont donnés dans la sainte cène.

La « communication quotidienne » n’a pas seulement lieu quand nous venons ouïr la Parole (il y avait à Genève tous les jours culte avec prédication, sauf le mercredi consacré à la prière), mais aussi lorsque nous lisons la Bible à la maison, l’écoutons à la radio, lors de notre recueillement personnel, du repas familial. Il existe, en outre, un premier degré de communication quotidienne personnelle du Christ avec tout homme: nul n’en est forclos. Pourquoi? Aux Colossiens, l’apôtre énumère l’incroyable activité créatrice du Christ, dont chaque homme est ici-bas le débiteur: « En lui, tout a été créé dans les cieux et sur la terre… Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » (1:16-17)

Il s’agit là, dit Calvin, « de la pleine description du Christ ». C’est là le seul moyen, tant pour comprendre et retenir, que pour rétablir la pure doctrine: placer devant nos yeux le Christ tel qu’il est, avec tous ses biens, afin que sa puissance soit vraiment ressentie. Sachons donc que le Christ est le commencement, le milieu et la fin. C’est de lui que nous recevons toutes choses; hors de lui, il n’y a rien et l’on n’y peut rien trouver. Tout homme reçoit du Christ la vie, la respiration et toutes choses (Ac 17:25). Telle est, d’abord, la communication quotidienne du Christ avec chacun de nous, dans une inlassable et continuelle activité créatrice dont tout homme est le bénéficiaire.

D) Les étapes spirituelles de la célébration de la cène

Sachant ce qu’est un sacrement, comment le communiant perçoit-il ce que la cène lui offre?

i) Une information, tout d’abord, sur le sens de ce qu’il voit: le pain et le vin. Ces signes visibles sont ceux de la grâce salvatrice dans sa totalité, acquise par l’offrande de la chair et du sang du Christ, nourriture et breuvage spirituels pour le salut de quiconque croit. Ils en sont la représentation, l’illustration: un miroir qui offre à notre foi la personne même du Christ. Ces signes sont notre mémoire. Le pain et le vin représentent, montrent, figurent et signifient. Le fidèle reçoit une authentique information. Il se dit: « Aussi vrai…, aussi vrai… Aussi vrai que, dans la cène, ce pain rompu m’est donné, à moi personnellement, aussi vrai Christ a donné son corps pour moi. Aussi vrai que cette coupe m’est offerte, aussi vrai Christ a répandu son sang pour moi. » (Cf. Lc 22:19-20)

Le Père céleste nous donne en la cène un miroir auquel nous contemplons notre Seigneur Jésus: crucifié pour abolir nos fautes et nos offenses; ressuscité pour nous délivrer de la corruption et de la mort; nous rétablissant en l’immortalité céleste. (…) Il est bien vrai, nous l’avons vu, que cette même grâce nous est offerte par l’Evangile; toutefois, parce qu’en la cène nous en avons plus ample certitude et pleine jouissance, c’est à bon droit que nous reconnaissons qu’un tel fruit nous en revient.

Aussi vrai…, aussi vrai: une vive mémorisation.

ii) Une confirmation aussi. De même que le pain et le vin de nos repas nourrissent et désaltèrent, de même le pain et le vin de la cène confirment chaque croyant dans la foi que Dieu veille, jusqu’à son total accomplissement, à l’exécution de sa promesse, de son alliance. Dieu atteste le Testament de sa grâce. Qui reçoit le pain et le vin est, de ce fait, fortifié dans sa foi, consolé, revigoré, ragaillardi. Nous avons en la cène, et l’alliance, et le gage qui en est la confirmation. A l’aussi vrai…, aussi vrai… s’ajoute à présent: de même que…, de même.

Nous l’avons vu, le thème de la paix de nos consciences et de leur liberté est capital dans la pensée réformée. Il va de pair avec celui de la gloire de Dieu, manifestée dans toutes ses œuvres, et de l’honneur que nous rendons à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, dans la connaissance et la reconnaissance de ses œuvres merveilleuses. Le labeur du Dieu Créateur et Sauveur n’est conçu, accompli et poursuivi que dans un but unique: nous doter d’une conscience libre

au point, dit Calvin, que nous puissions lever la tête, et invoquer Dieu avec une entière confiance qu’il nous tiendra pour ses enfants. Pour profiter de la cène, il nous suffit de recevoir avec foi la grâce qui nous y est présentée, car cette grâce ne réside pas au sacrement (à savoir le pain et le vin), mais nous renvoie à la croix de Jésus-Christ, d’où elle procède.

Information, confirmation, assurance de notre conscience ne sont imputables ni au pain ni au vin, mais à l’action du Seigneur « qui s’aide des sacrements comme d’instruments inférieurs, selon que bon lui semble, sans que la vertu de son Esprit en souffre aucune diminution ».

Quant à nous appliquer le mérite de la mort du Christ, afin que nous en sentions le fruit, dit Calvin dans son Petit traité de la sainte cène, cela se fait quand nous recevons le message de l’Evangile, ainsi qu’il nous est attesté dans la prédication des ministres… et scellé par les sacrements.

Car les sacrements ne prennent leur efficacité que dans la Parole intelligiblement prêchée.

D) Le Christ signe et confirme

« En Christ, dit Paul, vous aussi, après avoir entendu la parole de vérité, l’Evangile de votre salut, en lui, vous avez cru et vous avez été scellés du Saint-Esprit qui avait été promis et qui constitue le gage de notre héritage… » (Ep 1:13-14), serment dont le Christ se porte garant envers chacun de nous. Le pain et le vin de la cène sont les gages de ce serment et de la fidélité de celui qui l’a prononcé, à savoir que le fruit de la mort et de la passion de Christ nous est imputé à justice « tout comme si nous l’avions soufferte en nos propres personnes », et que chacun de nous puisse dire: « Puisque je suis uni à son Fils unique, Dieu me regarde pour son enfant. »

La vérité est nécessairement jointe aux signes. Prêchant sur 1 Corinthiens 11, Calvin s’écrie:

La cène est un vrai et sûr témoignage que Jésus-Christ accomplit en nous ce qu’il nous y figure. Nous ne venons point à la cène pour y spéculer sur le néant, mais pour y recevoir véritablement tout ce qui nous y est attesté.

III. La communication du Christ avec les siens

Dans la première partie, nous avons dégagé deux lignes de réflexion concernant notre participation à la cène: « Aussi vrai…, aussi vrai », « De même que…, de même… » Aussi vrai que, dans la cène, le pain rompu m’est donné, à moi personnellement, aussi vrai Christ a donné son corps pour moi. Aussi vrai que cette coupe m’est offerte, aussi vrai Christ a répandu son sang pour moi.

A) L’information

De même que le pain me nourrit chaque jour, me soutient et me conserve la vie, de même le corps du Christ est la nourriture quotidienne qui maintient et conserve ma vie spirituelle. De même que le vin réconforte et réjouit, de même le sang du Christ me fortifie spirituellement, me stimule et me ragaillardit. Le Christ s’est engagé à me donner son corps et son sang pour nourriture et pour boisson: je vis donc de son corps et de son sang. Telle est la confirmation.

Dans son Petit traité de la sainte cène, Calvin résume comment le Christ signe et confirme la vérité du sacrement:

L’efficacité de la cène est de nous confirmer la réconciliation que nous avons avec Dieu par la mort et la Passion de Jésus-Christ; la purification de nos âmes que nous avons en l’effusion de son sang; la justice que nous avons en son obéissance; bref l’espérance du salut que nous avons en tout ce qu’il a fait pour nous.

A la sainte table, pensons d’abord: aussi vrai que…, aussi vrai; puis, de même que…, de même…; alors, nous méditerons avec intelligence comment le Christ se communique lui-même à nous. Portons notre attention sur la réalité de cette communication réciproque du Christ avec les siens. Nous franchissons ici le seuil d’une réflexion que ni les concepts ni l’intellect ne peuvent embrasser; si nous frôlons le mystère, ce sera moins par réflexion que par adoration.

Information, confirmation, mais aussi, mais enfin, une communication réciproque d’esprit, d’âme et de corps. Dans la prédication que nous rapporte l’évangéliste Jean, au sixième chapitre, le Christ est le vivant qui s’offre, se communique à nous, d’esprit, d’âme et de corps, afin qu’à notre tour nous communiquions nous-mêmes avec lui, d’esprit, d’âme et de corps. Aussi, le pain et le vin de la cène nous servent-ils d’échelle de communication réciproque, comme celle des anges montant et descendant sur l’échelle de Jacob. La communication que nous avons au corps du Christ nous est ainsi visiblement montrée.

Nous ne communiquons pas seulement « en esprit » avec l’Esprit du Seigneur; nous participons à sa personne, participation à laquelle il nous invite en vue d’une union, d’une conjonction, d’une incorporation, dont le but ultime – le terme est étonnant! – est une conformation à sa personne, expression que le réformateur emploie en prêchant sur 1 Corinthiens 11:20-23, et dans son Petit traité: « Christ scelle une telle participation par le mystère de la cène, et même y accomplit au-dedans ce qu’il signifie au-dehors. »5 [5]

Ce n’est pas par inadvertance que Calvin établit ici une différence entre la communication du Christ par l’Evangile lu, prêché et médité, et cette même communication par le sacrement de la cène:

Bien que Jésus-Christ nous soit vraiment communiqué… par l’Evangile, ce n’est toutefois qu’en partie et non pas pleinement. (Catéchisme, question 52.)

« Vraiment », d’une part; « en partie », de l’autre.

i) Que nous lisions la Parole ou que nous l’entendions prêcher, nous sommes distraits, durs de cœur… Notre lecture, notre écoute sont partielles et imparfaites.

ii) Il est nécessaire que le geste soit joint à la Parole. A sa Parole parlée, le Seigneur ajoute sa Parole en acte. A la Parole audible, la Parole visible du pain rompu, du vin versé. Leur présentation, leur manducation par les fidèles assemblés, accompagnés des gestes liturgiques appropriés. La Parole parlée est ainsi gestuellement confirmée et scellée.

iii) La cène incline notre intelligence et nos cœurs à une appropriation globale de la Parole. Nous ne recevons que par « bribes » la Parole parlée. La Parole en acte nous présente un résumé magistral, direct, instantané. Elle nous remémore et confirme en un clin d’œil l’Evangile du Christ: il est le pain vivant qui descend du ciel, donné pour ma propre vie; sa chair est vraiment ma nourriture et son sang mon breuvage.

iv) La Parole prêchée s’adresse collectivement à l’assemblée, la Parole en acte, en cet instant, s’adresse à moi, personnellement: l’impact est imparable.

Dès lors, quiconque prend le pain et boit le vin doit se faire l’intime conviction que tout lui est offert, à lui, personnellement, à ce moment-là, que tout lui sera donné demain et jusque dans la vie éternelle: tout, dans une communion réciproque avec son Seigneur.

B) L’agent de la communication

« Aussi vrai que…, aussi vrai… », « De même que…, de même… » ne sont pas des raisonnements intellectuels pour nous appliquer des recettes de conviction, « en pensant au Christ »! La vérité est conjointe à la Parole et à ses signes. Quand Jésus annonce « Je donne, je donnerai », il ne limite ni l’occasion ni la durée du don de sa vie pour le monde et les siens, ses brebis une à une appelées et chéries. Chaque jour est l’aujourd’hui de ce don: sa chair, son sang, son humanité. Jésus ressuscité, immortel, continue de se donner, de communiquer sa vie, source de toute vie. « Prenez, partagez; mangez, buvez… » Le Christ commande aux siens de prendre; c’est donc lui seul qui offre. Il m’offre le pain; je le prends de sa main. L’effet est lié à la promesse. « Le Christ se communique… car en donnant le pain et le vin, il baille donc vraiment son corps avec le pain et avec le calice, son sang. » (Liturgie de 1545.) Sur 1 Corinthiens 11, texte de 1545, Calvin prêche:

Il se donne à nous… Il veut que tout ce qu’il a soit nôtre, qu’il y ait communauté entre nous comme entre la tête et les membres, comme entre la racine de l’arbre et les branches qui en sortent.

L’exhortation de la Liturgie précise que « tout ce qu’il a est nôtre ». La cène est sa distribution de biens et de richesses. Déjà « repus » de la Parole entendue, la cène nous apporte le témoignage plus familier encore de la Parole en acte: que notre Seigneur se donne et se communique « afin que nous demeurions et vivions amplement en lui; et qu’il vive et demeure plus amplement en nous ». La communication avec le Christ est réciproque: mutuelle et partagée, elle se fait dans les deux sens.

Comment cette communication s’opère-t-elle? N’a-t-il pas dit: « Faites ceci comme mon mémorial » (Lc 22:19)? Un mémorial ne rappelle-t-il pas le souvenir d’un événement passé, d’une personne qui n’est plus parmi nous? Certes! Mais la résurrection et l’élévation du corps du Christ sont une réalité, manifestée aux disciples, proclamée par les évangélistes et les apôtres, enseignée par le Saint-Esprit. « Puisqu’il a été élevé en haut à vue d’œil… nous concluons sûrement qu’il a maintenant son domicile au ciel », dit Calvin. Bien trop curieux, qui demanderait: « Où? » « Moyennant que nous croyions qu’il est au ciel, c’est assez », dit-il.

L’élévation du corps du Christ est et restera une réalité jusqu’à son retour, en raison de la nature immuable de son humanité que nous confessons.6 [6]

Pourquoi était-il avantageux qu’il s’en aille? (Jn 16:7) Parce que, alors, commencera le règne du Saint-Esprit qui le glorifiera. Mais voici nos questions: comment la communication du Christ avec les siens peut-elle se faire? Comment son corps, qui est au ciel, peut-il nous être donné ici-bas? Dans ses célèbres prédications sur 1 Corinthiens 11, Calvin répond:

Le Christ se communique à nous par une action secrète du Saint-Esprit, laquelle peut non seulement assembler mais conjoindre et unir ensemble les choses séparées et bien éloignées par la distance des lieux… Ainsi, nous recevons le Christ demeurant au ciel… L’Esprit de Dieu est le lien de cette participation.

Comme lors de la « Parole parlée » et avec elle, l’Esprit saint est le lien entre « le Christ demeurant au ciel » et chacun de nous. Son action s’exerce d’abord « de haut en bas »: il se donne; mais tout autant de « bas en haut »: il nous réclame. Efforçons-nous donc de toute notre énergie de monter au ciel et de parvenir là où il nous appelle et nous convie. Pour nous, « monter au ciel » signifie d’abord « partir d’en bas », de ce pain et de ce vin, signes de la mort du Christ sur la croix, cette croix qui nous est « une échelle pour monter au ciel ». La considération de la croix nous conduit au ciel, afin que, par ce moyen, la mort et la restauration de la vie aillent de pair.

Il ne nous faut pas estimer que notre Seigneur seulement nous avertisse, incite et enflamme nos cœurs par le signe extérieur: car le principal est qu’il besogne en nous intérieurement par son Saint-Esprit, afin que son ordonnance porte ses fruits, à savoir qu’il a destiné ces signes pour être comme un instrument par lequel il veut faire son œuvre en nous.

L’action du Christ, par son Esprit, se joint aux signes visibles. Nous sommes « élevés en haut » bien plus que nous n’y montons nous-mêmes.

Ainsi la communication du Christ nous assure que nous recevons le fruit de sa mort et de sa Passion, que nous sommes faits participants de la rédemption, et que le bienfait de son sacrifice nous est appliqué. Nous sommes spirituellement nourris quant à nos âmes aussi certainement que les aliments périssables nous soutiennent ici-bas.

Communication, réception, participation s’entretiennent comme les doigts de la main. « Nous confessons – dit le Petit traité – qu’en recevant avec foi le sacrement, selon l’ordonnance du Seigneur, nous sommes vraiment faits participants de la propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ. »

C) L’incorporation

La mystique calviniste va encore plus loin: la participation conduit à l’« incorporation » mutuelle par un « échange admirable »7 [7]. Cette incorporation, à son tour, conduit à une « communauté » avec le Christ.

Nous sommes incorporés en Christ pour être ses membres; Dieu nous a unis ensemble au point que nous n’avons rien de séparé: il est fait une même substance avec nous. Christ veut avoir une vie commune avec nous. Nous trouvons donc en lui toute plénitude et perfection de vie. Il promet à ses disciples une gloire commune avec lui.

Ultime échelon dont nous devrions déployer, épanouir le sens. Cette communauté de vie conduit à ce que nous soyons « faits conformes à sa pureté et à son innocence », afin que « tout ce qu’il a nous soit commun ».

Communication, réception, participation, incorporation, communauté de vie, conformation au Christ! Nous sommes comblés. Que pourrions-nous mendier ailleurs? « Il s’est donné à nous au point que maintenant nous sommes assurés d’être héritiers de sa gloire. » En lui, « nous avons tout notre repos ». Des consciences libres, affranchies de tout doute, d’entière conviction, au point que, parvenus au sommet de notre « échelle », c’est-à-dire au ciel, il soit question pour nous « de justifier Jésus-Christ », c’est-à-dire d’approuver sa doctrine, de déclarer qu’elle est la vérité certaine et infaillible, que nous en soyons convaincus au point de ne plus jamais la révoquer en doute; autrement dit, que notre acquiescement soit total.

Ainsi le pécheur justifié justifie son Seigneur.

IV. Le baptême

« Apprenez à ne pas aller au-delà de ce qui est écrit », dit Calvin. Ce qui signifie aussi: « Apprenons à ne pas rester en deçà de ce qui est écrit. »

Un exemple célèbre illustre cet aphorisme: celui de l’« alliance » qui apparaît dans les paroles d’institution de la sainte cène. Après avoir rendu grâces, le Christ donne la coupe à ses disciples en disant: « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. » (Mt 26:27-28) En Marc (14:24), le Christ dit de même: « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, etc. » En revanche, en Luc 22:20: « Il leur donna la coupe en disant: Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, etc. », déclaration que Paul reprend mot pour mot en 1 Corinthiens 11:25.

Voici donc deux binômes: deux fois l’alliance sans qualificatif; deux fois dite nouvelle. Ce fait intrigua quelques copistes qui – théologiens irréfléchis – pensèrent bien faire en ajoutant l’adjectif « nouvelle », dans Matthieu et dans Marc. Sans doute pensaient-ils que cette omission dépréciait le sacrifice du Christ sur la croix et que l’alliance « dans le sang du Christ » suppléait ou s’opposait à toute autre forme d’alliance, notamment celle de l’Ancien Testament.

Au contraire, le Nouveau Testament nous présente la « nouvelle » alliance comme l’accomplissement par le Christ de l’alliance offerte dans l’Ancien Testament. En effet, la Bible nous « révèle la préexistence du Fils de Dieu, appelé Christ, l’Ange de l’Eternel, le Rocher spirituel; Jean nous le présente comme « l’Agneau immolé dès la fondation du monde » (Ap 13:8), un texte qui ne supporte – quoi qu’on en ait – aucune autre traduction. Il est la clé de la révélation et de la compréhension des Saintes Ecritures, des alliances de l’Ancien Testament, de ses signes, symboles et sacrements, sans restreindre, amoindrir ou limiter la portée des paroles de l’institution.

L’arbre de vie du jardin d’Eden est le témoignage visible que nous avons en lui « la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17:28), l’arbre de vie que nous retrouvons dans le paradis de Dieu, apporte leur guérison aux nations, auquel n’ont droit que ceux qui lavent leurs robes dans le sang de l’Agneau (Ap 2:7, 22:2 et 13).

Ainsi, l’Agneau et son sang embrassent d’une immense accolade la totalité de l’histoire dès la fondation du monde, du paradis terrestre au paradis céleste.

Le septième jour de la semaine doit être célébré comme un mémorial de l’œuvre divine passée, présente et future, celle du Christ, car toutes choses ne subsistent qu’en lui (Ga 1:15-17). Avec Noé et sa postérité, avec toutes les créatures de la terre, Dieu établit une alliance universelle, jusqu’à la fin des temps, attestée par le sacrement de l’arc-en-ciel. « Voilà, dit-il, le signe de l’alliance que j’ai établie entre moi et toutes les créatures qui sont sur la terre. » (Cf. Gn 9:8-17) Ainsi, Dieu a fait alliance avec toutes les générations futures, humaines et animales, jusqu’à la fin des temps. C’est, au sens large, une « avant-première » du baptême. Tous les hommes sont appelés à saisir cette promesse par la foi et, comme Noé et les siens, à être absolument certains que cette terre leur sera habitable jusqu’à ce qu’ils parviennent à la cité céleste.

Nous voici à l’alliance– nous l’appelons alliance de grâce – que Dieu scelle avec Abraham; nous la retrouvons à la base du baptême chrétien. Remarquons le crescendo des promesses de Dieu (Gn 12:1-3; 13:14-17; 15:1-6, 18; 17:1-8): une alliance territoriale, d’abord; puis une alliance familiale; une alliance internationale, enfin. Pour couronnement, la promesse centrale: « J’établirai mon alliance avec toi et ta descendance après toi, dans toutes leurs générations: ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi… Je serai leur Dieu. » (Gn 17:7-8) Aux termes de cette alliance, Dieu ajoute le sceau de l’authenticité: le sacrement de la circoncision. « Tel sera, dit-il, le signe de l’alliance entre moi et vous. » Tout mâle, né dans une famille, quelle que soit sa nationalité, fils d’un serviteur, acquis à prix d’argent ou émigré, sera circoncis: « Ce sera dans votre chair le signe de mon alliance perpétuelle avec vous. Mais celui qui refuse la circoncision ne sera pas admis comme membre du peuple de l’alliance. » (Gn 17:13-14) Dieu adopte pour ses enfants l’homme libre avec l’esclave, sans avoir égard aux personnes. « Car les païens sont aussi recueillis en Christ et sont insérés par la foi au corps d’Abram, afin qu’ils aient place parmi les enfants légitimes. » En croyant à la promesse, « Abram, en effet, n’a point espéré une postérité commune ou vulgaire, mais celle en laquelle le monde entier devait être béni ».

Enfin, Dieu institue la Pâque (Ex 12 et 13), sacrement de l’agneau, de la protection de la mort, de la délivrance et de la liberté: « sainte cérémonie », « fête en l’honneur de l’Eternel », le sang répandu rappelant d’abord les péchés commis, mais aussi signe d’expiation et de pardon. Chacun devait ainsi comprendre ce que l’Eternel avait fait en sa faveur, pour lui personnellement: la Pâque, l’agneau immolé en étaient le mémorial (Ex 13:3, 8-10). « Voici, dit Moïse, le sang de l’alliance que l’Eternel a conclue avec vous, conformément à toutes ses promesses. » (Ex 24:8) Voilà à quoi pense le Christ lorsqu’il prend du pain, le rompt, le donne et dit: « Prenez et mangez, ceci est mon corps… ceci est mon sang, le sang de l’alliance qui est répandu pour beaucoup d’hommes, pour la rémission des péchés. » (Mt 26:26-28 et Mc 14:22-24)

L’apôtre Paul jette une vive lumière sur la religion des pères dans l’alliance de grâce:

Frères, je ne veux pas que vous l’ignoriez; nos pères ont tous été sous la nuée, ils ont tous passé au travers de la mer, ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, ils ont tous mangé le même aliment spirituel et ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ. (1 Co 10:1-4)

Nos pères devaient regarder au Christ pour participer à ses grâces.

Elle est remarquable la complémentarité des quatre récits de l’institution de la cène et la continuité historique du plan de la grâce divine et de l’alliance, d’abord scellée par divers signes, symboles et sacrements sanglants, le Christ accomplissant, au temps marqué, les promesses de cette alliance. Au prix de son propre sang, il en élargit les perspectives jusqu’à la venue du Royaume, non seulement pour nous, les hommes, mais pour « la création tout entière » (Rm 8:18-23). Le baptême ordonné par le Christ (Mt 28:19) est le sacrement de l’alliance de grâce; par sa foi, le baptisé devient l’héritier de Dieu, le cohéritier du Christ (Rm 9:17). Telle est la parenté entre le baptême et la cène, les deux vantaux d’un même diptyque: celui de la promesse, allant de la création originelle jusqu’à son accomplissement final, et celui de notre participation en Christ, partageant avec lui l’héritage de Dieu.

Ainsi, une théologie du baptême dépend d’une théologie de la cène, comme le Nouveau Testament dépend de l’Ancien, l’un et l’autre dispensateurs de la même alliance présentée sous deux aspects complémentaires successifs. Les noms des sacrements de l’Ancien et du Nouveau Testament étant employés d’une manière interchangeable.

Par sa mort sur la croix, le Christ a aussi racheté les transgressions commises sous la première alliance de grâce, afin que ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel qui leur a été promis (Hé 9:15). En réalité, il n’y a qu’un seul et même Testament administré sous deux alliances successives: la première, scellée par le sang de l’animal, figurait et promettait le sang du Christ, le Fils unique, l’Agneau immolé dès la fondation du monde, qui scellerait le Nouveau Testament, l’alliance nouvelle, par lequel nous héritons personnellement, avec toute la création, du paradis terrestre au paradis céleste, de tout ce que ce sang nous a acquis.

Le baptême nous est proposé par Dieu pour être le signe et la marque de notre purification.

Le baptême, dit Calvin, nous est envoyé par Dieu comme une lettre patente signée et scellée par laquelle il nous mande, confirme et assure que tous nos péchés nous sont tellement remis, couverts, abolis et effacés qu’ils ne viendront plus jamais à être regardés de lui, ne seront jamais remis en sa mémoire, et ne nous seront jamais imputés par lui. Car il veut que tous ceux qui auront cru soient baptisés pour la rémission de leurs péchés… Ce qui est le principal au baptême, c’est que nous devons le prendre avec cette promesse que tous ceux qui auront cru et seront baptisés auront le salut. (Mc 16:16)8 [8]

Nous l’avons remarqué, quels que soient la promesse ou l’alliance, le signe ou sacrement, Dieu est toujours le testateur: il ordonne d’une manière unilatérale et souveraine. Il dit Moi…, puis il dit toi. Lui seul formule les promesses, décide de ses dons et des conditions de leur efficacité, à savoir l’invitation à croire, proposée à tout homme, et l’ordre de recevoir par une foi qu’affermissent signes et sacrements. Dieu offre et donne; nous, en croyant, nous recevons. Nous avons donc à recevoir le baptême comme nous recevons la cène. Dans le Nouveau Testament, les textes se référant au baptême sont – quant à celui qui le reçoit – tous exprimés au passif. « Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé? » demande l’eunuque à Philippe. « Si tu crois de tout ton cœur, cela est possible. » (Ac 8:36-37) Voilà ce que Calvin, tant pour la cène que pour le baptême, appelle « un acte passif… parce que Dieu fait tout et seulement nous recevons »9 [9].

Aussi est-ce un signe de notre nature pécheresse de vouloir « en rajouter du nôtre », imposer au candidat au baptême d’autres conditions que la foi seule. La tentation est si forte qu’à propos d’un mot difficile, la quasi-unanimité des traducteurs oublient la réalité, le caractère absolu et gratuit de notre pardon en Jésus-Christ; ils imposent alors au baptisé « un acte actif », en contradiction avec l’enseignement constant du Nouveau Testament.

Il s’agit de la déclaration de l’apôtre Pierre: « Le baptême qui maintenant nous sauve… consiste dans l’épérôtéma (l’attestation) d’une bonne conscience devant Dieu, à cause de la résurrection de Jésus-Christ qui, étant monté au ciel, est à la droite de Dieu. » (1 P 3:21-22) Ce mot grec n’apparaît qu’ici dans le Nouveau Testament. Dans son dictionnaire, A. Bailly donne le sens de « promesse solennelle » ou « stipulation ». Faute d’une saine théologie, ces traducteurs n’en comprennent pas l’admirable profondeur, ni ce prodigieux sommet de la foi auquel l’apôtre nous convie.

Nombre de versions portent « la demande à Dieu d’une bonne conscience ». Pourquoi le baptisé aurait-il à « demander », pour un futur plus ou moins lointain, ce que Dieu lui offre à l’instant même, avec sa signature, et lui ordonne de recevoir? D’autres traduisent « l’interrogation d’une bonne conscience envers Dieu »; et voilà déclenché le registre subjectif du scrupule, de l’introspection qui mènent à la névrose « chrétienne », le baptisé ne pouvant jamais se décerner un satisfecit de bonne conscience! D’autres comprennent « l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu ». Le terme d’« engagement », nous dit-on, serait attesté par des documents profanes; mais peut-on évoquer des textes du VIe siècle pour déterminer le sens biblique d’un mot? L’idée d’« engagement » n’apparaît nulle part dans le Nouveau Testament, mais encombre pourtant les liturgies du baptême et de la confirmation. Pourrions-nous jamais être sauvés par un engagement envers Dieu?

Ce mot grec doit être traduit par « attestation ». Il est question d’une attestation de Dieu, prise objectivement, conséquence de son propre engagement envers le baptisé. Dieu lui-même – de son point de vue à lui, Dieu – impute objectivement une bonne conscience au croyant. C’est lui qui atteste, qui témoigne au cœur du baptisé d’une réalité accomplie. Il considère comme bonne, à ses yeux, la conscience du pécheur pardonné. Engagement, demande, interrogation sont des actes de Dieu en faveur du baptisé, grâce au plein pardon accordé une fois pour toutes, pour autant que la foi demeure. Dieu ne gardera jamais plus dans sa mémoire les péchés pardonnés; notre conscience est purifiée, libérée. Si pécheur que je sois, ma conscience est devenue « bonne » pour Dieu. Lisant Pierre dans le contexte des déclarations du Christ et des apôtres sur la gratuité de notre salut, selon l’analogie de la foi, Calvin en comprend le sens naturel; sa définition le prouve. Le baptême qui nous sauve consiste dans la foi à la promesse solennelle de Dieu, à la stipulation par Dieu, à l’attestation par Dieu, à l’imputation par Dieu, de notre bonne conscience à ses yeux, si, par la foi, nous adhérons à la vérité et recevons les fruits du baptême. N’est-ce pas là, une fois encore, notre thème fondamental: conscience et liberté?

V. L’administration des sacrements

A) La sainte cène

Nos deux sacrements présentent Jésus-Christ: « Car le baptême nous rend témoignage que nous sommes purifiés et lavés, et la cène que nous sommes rachetés. En l’eau est figurée l’absolution; au sang la satisfaction. »

Ce que Christ va « accomplir » et « parfaire » en donnant vie à l’union spirituelle des siens, c’est d’abord la confession de foi et l’action de grâces.

Nous confessons donc notre foi, publiquement et tous ensemble, d’une seule et même voix, à savoir que « la mort de Jésus-Christ est notre vie ». L’annonce de la mort du Seigneur, faite par toute l’assemblée, n’est pas la somme des proclamations individuelles; elle est celle du corps du Christ dont chaque croyant est un membre. « Nous ne sommes pas seulement une communauté civile, dit Calvin; mais étant insérés au corps du Christ, nous sommes vraiment membres les uns des autres. »10 [10] Dès lors, cette annonce fortifie chacun dans sa foi personnelle et contribue à « sceller dans sa conscience la puissance et les bienfaits de la mort du Christ ». Elle est eucharistie, action de grâce, reconnaissance vivante; nous annonçons devant les hommes ce que nous sentons au-dedans devant Dieu pour que ceux-ci lui donnent aussi une même gloire.

La cène n’est jamais célébrée sans que la Parole de Dieu y soit proclamée. « Il faut que la Parole vienne en avant… par laquelle les sacrements sont consacrés; une prédication vive, qui édifie ceux qui l’entendent, qui entre en leurs entendements, qui soit imprimée dans leurs cœurs, qui leur apporte son efficacité en accomplissant ce qu’elle promet. » Calvin souhaitait une célébration de la cène chaque dimanche, ce à quoi le « magistrat » n’a jamais consenti.

Quant aux dispositions pratiques, elles doivent rester libres. Gardons-nous d’« enrouiller » la cène par des inventions humaines.

Quant à la façon extérieure, que les fidèles prennent en la main le pain, ou ne le prennent pas, qu’ils le partagent entre eux ou que chacun mange ce qui lui aura été donné, qu’ils rendent la coupe en la main du ministre ou qu’ils la présentent à leur voisin, que le pain soit fait avec levain ou sans levain, que le vin soit rouge ou blanc, cela n’a pas la moindre importance.11 [11]

Dans le récit de l’institution de la cène, Paul commence par le second signe (1 Co 10:16). Il l’appelle « la coupe de bénédiction », parce qu’elle est destinée, dit Calvin à la « consécration mystique ».

« Bénir la coupe signifie la consacrer à cet usage, qu’elle nous soit un signe du sang du Seigneur… Que l’usage des dons de Dieu nous soit pur, et qu’il tourne à la gloire de Celui qui en est l’auteur et à notre profit. Mais le but de la bénédiction mystique en la cène, c’est que le vin soit… dédié à la nourriture spirituelle de l’âme, en tant qu’il est fait signe du sang du Christ. »

Quant aux paroles: « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous… », nous sommes conduits au sacrifice de la mort du Christ sans la mémoire duquel on ne saurait jamais célébrer la cène… Ainsi donc, quand nous venons à cette sainte table, que non seulement il nous souvienne en général que le monde a été racheté par le sang de Christ, mais que chacun pour son compte considère que la purification de ses péchés a été faite.

Le fidèle qui s’apprête à communier doit « s’éprouver lui-même », comme le recommande saint Paul, en se posant quelques questions (1 Co 11:28) sur son amour pour Christ, sa profession de foi, sa charité envers ses frères, sa communication avec eux, son désir de les aider et de les soulager, etc. Il ne s’agit pourtant pas de torturer notre conscience par mille questions, ni de nous attribuer un brevet de trompeuse dignité. La seule vraie dignité que nous puissions apporter à Dieu est celle-ci: « Je t’offre mon indignité, afin que par ta miséricorde tu me fasses digne de toi; je suis confus en moi-même, afin d’être consolé en toi; je m’humilie, afin d’être élevé en toi; je m’accuse moi-même, afin que tu me justifies; je suis mort à moi-même, afin d’être vivifié par toi. Et comme il nous fait tous un en lui, que mon souhait soit qu’une même volonté, un même cœur, un même langage soient en nous tous. »

La cène n’est pas une cérémonie à laquelle chacun participerait pour son propre compte. Le Christ a dit: « Prenez ceci, et partagez-le entre vous… » (Lc 22:17; Mt 26:26).

Ainsi les chrétiens assemblés au nom de Jésus-Christ participent ensemble au sacrement; ils prennent ensemble le pain et le vin; ils le reçoivent ensemble pour témoigner qu’ils sont tous unis au Christ… L’étant, ils le sont donc aussi chacun avec les autres, l’un des membres de son corps, et entretiennent chacun une communication mutuelle entre tous.

Les fidèles sont assemblés et unis par le sang du Christ pour former un seul corps (1 Co 10:27), du seul fait qu’ils participent au même pain: « Car il nous faut d’abord être – par manière de dire – incorporés au Christ si nous voulons être unis entre nous. » Saint Paul emploie le terme de communion (1 Co 10:16) qui désigne ici l’union spirituelle qui existe entre le Christ et les fidèles: verticalement et horizontalement, dirait-on aujourd’hui.

Nous aurons beaucoup profité au sacrement de la cène, si cette connaissance est gravée et imprimée dans nos cœurs:

– Que nul des frères ne peut être de nous méprisé, rejeté, violé, blessé ou en aucune manière offensé, que semblablement nous ne blessions, méprisions ou offensions en lui Jésus-Christ, et le violions par nos injures;

– que nous ne pouvons avoir discorde ni division avec nos frères, que nous ne discordions et soyons divisés de Jésus-Christ;

– que Jésus-Christ ne peut être aimé de nous, que nous ne l’aimions en nos frères;

– que telle sollicitude et soin que nous avons de notre propre corps, nous le devons avoir aussi de nos frères, qui sont membres de notre corps;

– que comme nulle partie de notre corps ne peut souffrir aucune douleur que le sentiment n’en soit répandu en toutes les autres, aussi nous ne devons endurer que notre frère soit affligé de quelque mal, dont nous ne portions pareillement notre part par compassion.12 [12]

B) Le baptême

Le baptême est l’un des privilèges essentiels de l’alliance de grâce. Il se fonde sur la promesse solennelle de Dieu à Abraham, le père des croyants: « J’établirai mon alliance avec toi et ta descendance après toi, dans toutes leurs générations: ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi. » (Gn 17:7) « J’use de bienveillance jusqu’à mille générations envers ceux qui m’aiment et gardent mes commandements. » (Ex 20:6) Cette promesse illumine tout l’Ancien Testament. « L’Eternel, ton Dieu, circoncira ton cœur et le cœur de ta descendance pour que tu aimes l’Eternel ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme afin que tu vives. » (Dt 30:6) « Je répandrai mon Esprit sur ta descendance et ma bénédiction sur ta progéniture. » (Es 44:3; cf. Jr 31:31-34; 32:39-40) Souvenons-nous de la manière dont le Christ parle de la foi des petits enfants (Mt 18:1-8), de la proclamation de Pierre à la Pentecôte: « La promesse est pour vous, pour vos enfants… » (Ac 2:39)

Dieu veut être aimé et servi non seulement par des individus mais aussi par des familles. Un croyant ne peut imaginer que Dieu n’offrira pas sa grâce à ses enfants; qu’autour de la table de famille, trois sont élus et deux rejetés. Même ceux qui – théoriquement – l’affirment, s’ils savent ce qu’est la grâce, ne peuvent tolérer intérieurement une telle situation. Ils croient à l’alliance. Apparaissent alors des cérémonies de substitution: présentation ou bénédiction. « Baptêmes secs » ou des « présentations mouillées ».

En cas de ménage mixte pagano-chrétien, Dieu dans sa bonté concentre toutes ses promesses sur l’époux croyant et sa postérité. « Vos enfants sont saints », dit l’apôtre (1 Co 7:14). En effet, « le mari non croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non croyante est sanctifiée par son mari croyant ». Le baptême donne aux parents des enfants baptisés un sentiment de confiance et de sécurité. Il leur rappelle que leurs enfants sont nés dans l’alliance de grâce; ils appartiennent à Dieu qui s’engage à les doter de la liberté nécessaire au choix du chemin qui mène à la vie éternelle. Les enfants des croyants ne sont pas hors de l’Eglise, hors du Royaume; ils sont dans et de l’Eglise.

Les petits enfants, dit Calvin, engendrés des chrétiens ne sont point baptisés pour commencer d’être enfants de Dieu; (…) mais plutôt afin que par ce signe solennel, il soit déclaré qu’on les reçoit en elle comme étant déjà du corps de l’Eglise.13 [13]

Quant aux petits enfants qui, par leur mort, sont privés de la marque du salut, nous savons que Dieu les compte pour siens dès avant leur naissance: la promesse leur appartient. Telle est notre foi. Dans sa remarquable étude, Le baptême des enfants pendant les quatre premiers siècles14 [14], Joachim Jeremias a démontré que le baptême des enfants lors de la conversion de leurs parents a été pratiqué dès l’époque la plus ancienne.

La « dignité » de celui qui administre un sacrement, désigné à cette fin par l’Eglise, son orthodoxie ou son hétérodoxie, n’ajoutent ou n’ôtent rien à la dignité du sacrement. C’est une chose de nulle importance que le baptême ait lieu par immersion ou par aspersion. Selon la diversité des régions, les Eglises sont libres d’adopter tel usage ou tel autre, ce qui ne change rien à la signification du baptême.

Comme la sainte cène, le baptême est une cérémonie publique, un témoignage collectif de chrétienté. Sa signification, son efficacité concernent l’ensemble du corps qu’est l’Eglise. Paul dit aux Ephésiens: « Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l’avoir purifiée par l’eau et la parole pour faire paraître devant lui cette Eglise glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut. » (5:25-27) Il existe donc un lien entre le baptême et la sanctification, la purification, la glorification de l’Eglise. « Epouse » du Christ, l’Eglise, comme la famille, est bien plus et bien autre chose que la somme des croyants qui la composent. L’Eglise est le corps du Christ, un organisme vivant (1 Co 12; Ep 4:1-16; Rm 12:3-8). L’efficacité des événements spirituels concernant chaque membre s’étend au corps tout entier dans sa totalité et à chacune de ses parties. L’efficacité du baptême est polyvalente et collective.

Comme pour la cène, nous devons aussi « réactualiser » sans cesse la vérité et l’authenticité de notre baptême. De même que la saleté de mon corps est enlevée par l’eau, de même mes péchés sont enlevés par le sang et par l’Esprit du Christ. Mon baptême m’assure que je suis spirituellement et aussi vraiment lavé de mes péchés que corporellement par l’eau d’un bain. Aussi vrai que j’ai été baptisé et que la marque de ce baptême ne peut être effacée, aussi vrai mon Dieu m’offre aujourd’hui encore, à moi personnellement, la rémission de mes péchés, la justice et la vie éternelle. Il reste mon Père et mon Sauveur.

Voilà comment il me faut faire valoir mon baptême et celui de mes enfants:

Quand je me présente devant mon Dieu, dit Calvin, je n’y viens pas comme en ma personne… mais j’y viens au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, et même il vient devant moi, il me donne son vêtement, il parle pour moi, et c’est en son nom que je me présente, comme si j’étais lui-même puisqu’il lui a plu de faire cette grâce que je sois à lui.

Il faut que nous soyons absolument convaincus « que Dieu nous accepte comme venant à lui en la personne de son Fils unique ». Le baptême, étant une réception solennelle en l’Eglise, doit être fait en présence de toute l’assemblée15 [15].


* P. Ch. Marcel (1910-1992) a été pasteur de l’Eglise réformée de France et fondateur de La Revue réformée.

1 [16] Ce texte a initialement paru dans le numéro 2-3 de La Revue réformée (1950:2-3), épuisé depuis longtemps.

2 [17] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (IC), IV.XIV.1.

3 [18] Il n’est pas question de purisme, et voici pourquoi. Calvin pensait en latin lors même qu’il écrivait en français. Aussi ne pouvait-il utiliser que trois de ces termes et non quatre, à savoir communicare, communicatio et communio. « Communier » n’existant pas en latin, communicare vaut pour communiquer et communier. Selon Du Cange (auteur d’un célèbre dictionnaire de latin médiéval), communio est une création, au Xe siècle, du latin ecclésiastique. Littré nous informe qu’il s’agit là d’une « dérivation ancienne et légitime de communicare, la consonne se perdant en pareils cas ». Aujourd’hui, le verbe « communier » véhicule un sens subjectif très plat, « être en union spirituelle »; de même « communion »: « une croyance uniforme de plusieurs personnes, qui les unit sous un même chef, dans une même Eglise »; et, en général, « communion de sentiments, d’idées, accord parfait ». Dans notre langue ecclésiastique, le sens du verbe « communier » s’est affadi par osmose avec celui de « communion » et a perdu sa spécificité. Nos liturgies le prouvent. Si, comme Littré l’indique, « communiquer a été refait ensuite sur le latin », c’est parce que communier ne reflétait plus – depuis longtemps – le sens qu’il fallait dire et entendre. Voilà la raison pour laquelle Calvin refuse de se servir du terme ecclésiastique « communier » et pourquoi – chez lui – l’emploi si rare de communion est toujours pris dans le sens objectif de « communication » (à l’exception, toutefois, du sens subjectif de la « communion » vécue par les fidèles entre eux).

4 [19] Pour saisir l’originalité de ce vocabulaire, il est du plus haut intérêt de noter que, pour justifier l’appartenance de ces deux mots à la langue française, Littré ne produit pour preuve que quatre citations de Calvin, aux sens complémentaires: elles traduisent exactement l’action du Christ de se communiquer, la communication de ses biens aux fidèles; pour ceux-ci, le fait de communiquer au Christ.

5 [20] IC IV.XVII, texte de 1551.

6 [21] Confession de La Rochelle, article XV.

7 [22] IC, IV.XVII.2; et les Sermons et Commentaires sur 1 Corinthiens 11.

8 [23] IC, IV.XV.1.

9 [24] IC, IV.XVI.26.

10 [25] J. Calvin, Commentaires sur 1 Co 10:27.

11 [26] IC, IV.XVII.43.

12 [27] IC, IV.XVII.38. Pour la liturgie de la sainte cène, cf. Calvini Opera, VI, pp. 193-200.

13 [28] IC, IV.XV.22.

14 [29] Ed. Xavier Mappus, 1967.

15 [30] Il n’est pas possible d’aborder ici l’étude de la liturgie baptismale. Cf. Calvini Opera, vol. VI, pp. 185-192. Pour le baptême d’un adulte, IC, IV.XV.19.