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L’enseignement de la foi (1)

L’enseignement de la foi (1)

W.VERBOOM

Le professeur W. Verboom, qui enseigne la catéchèse aux futurs pasteurs à l’Université aux Pays-Bas, nous propose trois études sur ce sujet.
Son plan général est le suivant:

Le première étude paraît dans le présent numéro; les deux autres, dans les numéros suivants.
 

Introduction

Face à la grande ignorance qui régnait dans l’Eglise catholique romaine, les Réformateurs sont convaincus que les chrétiens devaient connaître, de façon personnelle, l’Ecriture et le Seigneur, et vivre avec lui par la foi en Jésus-Christ. C’est pourquoi on peut dire que la Réforme a été un réveil dans le domaine de l’éducation et de la catéchèse. Le travail de Luther à Wittenberg, de Calvin à Genève ou de Bucer à Strasbourg, en marque le début. Pour les Réformateurs, l’important était la formation d’une nouvelle génération de croyants confessant la foi chrétienne.
Les parents qui ont fait baptiser leurs enfants sont exhortés à leur enseigner la religion chrétienne. Des réunions catéchétiques dominicales pour parents et enfants sont organisées, dans lesquelles l’enseignement des enfants joue le plus grand rôle. Des écoles sont fondées un peu partout, avec pour but d’instruire les enfants dans la connaissance de la Bible, la doctrine religieuse et la vie chrétienne, dans l’exercice de la prière; ils y apprennent les questions et les réponses du catéchisme qu’ils récitent le dimanche après-midi.

La Réforme a aboli la confirmation comme étant une cérémonie non biblique et l’a remplacée par la confession de foi publique où les jeunes (de 12 à 14 ans) répondent au baptême qu’ils ont reçu étant enfants. Ainsi une certaine structure d’apprentissage est établie: baptême, éducation et catéchisme, confession de la foi en public et participation à la sainte cène.

Dans son Institution chrétienne (IV-xix-13), Calvin écrit:

Je souhaiterais que nous retinssions la manière que j’ai dite avoir été chez les anciens, avant que cette fiction abortive [1] [1] de sacrement vînt en avant. Non pas qu’il y eût une telle confirmation, qui ne se peut même nommer sans faire injure au baptême, mais une instruction chrétienne, par laquelle les enfants ou ceux qui auraient passé l’âge d’enfance, eussent à exposer la raison de leur foi en présence de l’Eglise. Or ce serait une très bonne manière d’instruction, si on avait un formulaire proprement destiné à cette affaire, contenant et déclarant familièrement tous les points de notre religion, auxquels l’Eglise universelle des fidèles doit sans différence consentir [2] [2] , et que l’enfant de dix ans ou environ se présentât à l’Eglise pour déclarer la confession de sa foi [3] [3] . Qu’il fût interrogé sur chaque point, et eût à répondre; s’il ignorait quelque chose, ou n’entendait [4] [4] pas bien, qu’on l’enseignât en telle manière qu’il confessât, présente et témoin l’Eglise, la vraie foi pure et unique, en laquelle tout le peuple fidèle d’un accord honore Dieu.
Certainement si cette discipline avait lieu, la paresse de certains pères et mères serait corrigée, car ils ne pourraient alors sans grande honte omettre l’instruction de leurs enfants, dont ils ne se soucient pas maintenant beaucoup. Il y aurait meilleur accord de foi entre le peuple chrétien, et il n’y aurait point si grande ignorance et rudesse en plusieurs. Quelques-uns ne seraient pas si aisément transportés par de nouvelles doctrines : en somme chacun aurait une adresse [5] [5] de la doctrine chrétienne.

Le protestantisme réformé a toujours sauvegardé cette structure d’apprentissage, accentuant la tâche des parents et de l’Eglise dans l’enseignement des enfants. Si, à certains moments, cet apprentissage est devenu une forme sans contenu, à d’autres elle a refleuri et, jusqu’à nos jours, elle a gardé son utilité.

Les vagues de la sécularisation se sont abattues sur les jeunes générations et l’Eglise est devenue une petite minorité, même dans les pays où elle a occupé une place importante. Dans le monde en changements incessants qu’est le nôtre, l’enseignement et l’éducation dans l’Eglise et la famille varient jusqu’à la contradiction, allant d’une instruction biblique déductive aux pratiques inductives plus libres dépourvues de contraintes. Certains veulent transmettre la culture chrétienne qu’ils ont reçue, alors que d’autres affirment qu’il ne le faut pas afin que chacun soit vraiment laissé libre de faire son choix personnel.

Au vu de ces diverses tendances, je vous propose d’entreprendre un voyage dans la Bible – la norme pour notre vie dans tous ses aspects, y compris l’apprentissage de la foi – afin de découvrir comment elle parle de l’enseignement et de l’éducation religieuse. Quelle est la place de l’enseignement dans les Ecritures? Qui enseigne, et comment? Comment la foi personnelle et la foi de l’Eglise sont-elles reliées?

I. L’enseignement religieux dans l’Ancien Testament

A) Le cadre de l’enseignement

Le cadre de l’enseignement dans l’Ancien Testament, de l’histoire racontée et des propos échangés est celui de l’Alliance. Dieu établit une relation de grâce avec des personnes qui ne l’ont ni demandée, ni méritée. C’est là un miracle que racontent des histoires bibliques – Genèse 15, Deutéronome 29 et Josué 24 – où l’Eternel conclut une alliance avec son peuple. De nombreux textes chantent la richesse de cette alliance, cet acte de Dieu, comme le Psaume 105:8: « Il se souvient à toujours de son alliance, de sa parole pour mille générations. »

Le Dieu de l’Alliance promet à son peuple de nombreuses bénédictions, tant matérielles que spirituelles, et il l’appelle en même temps à répondre par la foi et par la repentance. L’enseignement religieux en Israël est le moyen qui doit amener les gens à répondre à l’Alliance, de telle sorte que l’amour unilatéral de Dieu, devienne bilatéral. Le signe et le sceau de l’Alliance conclue avec Israël est la circoncision; mais la circoncision extérieure compte bien moins que celle du coeur. C’est le coeur qui est à purifier afin d’être un temple pour l’Eternel.

Mais comment l’homme répondra-t-il à l’Alliance s’il n’apprend pas ce qu’elle implique et qui est son auteur? Il était donc indispensable que Dieu se fasse connaître comme Dieu de son peuple, comme le Père céleste qui, plein d’amour, prend soin de lui. Il lui enseigne ses hauts faits, sa puissance et sa justice, son amour et sa colère. Le Père fait proclamer ses promesses et ses ordonnances. C’est ainsi que l’homme apprend à connaître le Dieu de l’Alliance et à lui répondre dans un processus personnel d’appropriation. Cette connaissance n’est pas seulement intellectuelle: le mot hébreu pour « connaître l’Eternel » signifie « être en communion avec lui », et s’emploie aussi pour caractériser la relation intime entre époux et épouse, la communion conjugale. L’Eternel veut une communion intime entre lui et l’homme, entre lui et son peuple. Il faut savoir que l´Alliance est une union, une relation d’amour entre Dieu et Israël.
Cette relation implique la totalité de l’homme, l’intelligence, le coeur, la vie et la conduite, comme l’exprime Deutéronome 6: « Tu aimeras l’Eternel ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force. » Aujourd’hui, on dirait qu’il s’agit non pas seulement d’une connaissance cognitive, mais encore affective et active. Il s’agit d’une attitude, d’un mode de vie. L’apprentissage qui mène à Dieu et à répondre à l’Alliance n’est pas inné ou naturel, car par nature même l’enfant né dans l’Alliance ne prend aucun plaisir à connaître l’Eternel et ses voies. L’homme pécheur par nature ne ressent pas le besoin de connaître Dieu, il n’en a donc pas envie, mais l’a en aversion.

B) Le « grand docteur »

L’homme doit apprendre et Dieu est le docteur qui enseigne son peuple. Dieu enseigne personnellement et son peuple d’Israël – « Il révèle ses paroles à Jacob, ses prescriptions et ses ordonnances à Israël » – et les individus: « Eternel, enseigne-moi… Béni sois-tu, Eternel! Enseigne-moi tes prescriptions!… Instruis-moi, Eternel, dans la voie de tes prescriptions, pour que je les garde jusqu’à la fin! » (Ps 119:12, 33) Ainsi, le peuple et l’individu ne sont pas séparés, mais distingués. Deutéronome 32:11 emploie une image magnifique et captivante pour éclairer cet enseignement: Dieu est comparé à un aigle qui apprend à voler à ses petits. Le rapace précipite ses petits dans le vide d’une hauteur vertigineuse afin de leur apprendre à sentir leurs ailes et à voleter. Mais ils sont si jeunes, si faibles, ils risquent de se tuer. C’est alors que l’aigle, mâle ou femelle, se précipite sous ses petits en déployant ses ailes pour les intercepter. Et l’exercice est répété avec une patience inépuisable jusqu’à ce que les petits sachent se servir de leurs ailes. De même Dieu apprend à son peuple, non pas à voler de ses propres ailes, c’est-à-dire en dehors de lui, mais à vivre selon sa volonté, c’est-à-dire en se sachant totalement tributaire de lui. Il s’agit là d’une éducation permanente par laquelle l’Eternel apprend à son peuple à répondre à son Alliance.

Comment s’effectue cet enseignement? Par des instruments: Dieu engage des hommes pour enseigner dans la famille et dans la communauté, les deux foyers d’une même ellipse, qui ne peuvent pas se passer l’un de l’autre, qui sont indissociables. Dans la famille, les parents enseignent les enfants. Dans l’Eglise, ce sont les conducteurs spirituels et d’autres membres qui le font, chacun ayant une tâche spécifique. Cela peut paraître insuffisant; pourtant, c’est par l’intermédiaire de ces personnes que Dieu enseigne à son peuple comment marcher dans ses voies.

C) L’enseignement dans la famille

Dans l’Ancien Testament, cet enseignement est surtout la responsabilité du père, la mère ayant, elle aussi, sa part. Le livre des Proverbes (1:8) évoque l’enseignement de la mère qu’il ne faut pas « rejeter ».

i) Un exemple typique de cet enseignement se trouve en Deutéronome 6. Après la formulation du schéma d’Israël: « L’Eternel notre Dieu, l’Eternel est un » et l’ordre d’aimer Dieu, les parents sont incités à « inculquer » à leurs enfants ces paroles en parlant toujours et partout, en voyage, au coucher comme au lever. Cette tâche des parents est permanente et concerne tous les aspects de la vie!

ii) Le Psaume 78 est une autre illustration. Asaph chante l’histoire d’Israël riche en grands actes de Dieu, que les parents ont entendue de leurs parents et qu’ils transmettent à leurs enfants afin que ceux-ci, à leur tour, fassent de même. Les parents ont leur place dans la tradition narrative d’Israël. En écoutant, les enfants apprennent à mettre leur confiance en Dieu et sont invités à ne pas oublier d’observer ses commandements (v. 7).

iii) En Exode 12, lors de l’institution de la Pâque, il est indiqué que, désormais, pendant la célébration familiale de la Pâque, l’enfant demandera ce qu’elle signifie, et le père répondra en racontant l’exploit grandiose par lequel Dieu a fait sortir son peuple d’Egypte, sans omettre sa colère contre les Egyptiens. C’est ainsi qu’Israël célèbre, de génération en génération, la fête de la libération.

D) L’enseignement dans la communauté

Dans ce cadre, l’enseignement s’adresse moins à chaque individu qu’à toute la communauté. Dans le livre du Deutéronome, plusieurs discours de Moïse, l’homme de Dieu (Ps 90:1), ont pour but d’enseigner le peuple:
Moïse convoqua tout Israël, et lui dit: Ecoute, Israël, les prescriptions et les ordonnances que je proclame aujourd’hui à vos oreilles. Apprenez-les, observez-les pour les mettre en pratique. (Dt 5:1)

Plus tard, Samuel a la même vocation, et après la déportation et le retour de Babylone, le peuple assemblé dans la ville reconstruite de Jérusalem écoute le docteur de la loi Esdras qui lit la Torah devant le peuple, les jeunes, les vieux et les enfants. Ensuite, les Lévites et d’autres passent entre les rangées et expliquent ce qu’Esdras a lu. C’est là un beau modèle d’enseignement de la communauté réunie. La lecture de la Torah, la catéchèse et la prédication vont ensemble en Israël.

De plus, les prêtres ont la charge d’instruire ceux qui viennent présenter des sacrifices au sanctuaire, en leur enseignant la Torah, la signification des sacrifices et la sagesse pratique concernant la vie de tous les jours. Lévitique 10:11 dit que les sacrificateurs doivent enseigner aux Israélites toutes les prescriptions que l’Eternel leur a données par l’intermédiaire de Moïse; voir aussi Deutéronome 33:10: « (Les descendants de Lévi) enseignent tes ordonnances à Jacob et ta loi à Israël. » Lorsque, plus tard, le prophète Osée se plaint que le peuple a été exterminé faute de connaissance, cela est imputable aux sacrificateurs qui ont négligé leur ministère:

Mon peuple périt parce qu’il lui manque la connaissance. Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai de mon sacerdoce; comme tu as oublié la loi de ton Dieu, moi de même j’oublierai tes fils.

Le sacrificateur exerce un ministère qui exige d’avoir des sentiments de pitié et de compassion, car il connaît la signification profonde des sacrifices, leur raison d’être. Il a la possibilité unique de compatir aux souffrances du peuple et de lui dispenser un enseignement. Sa fonction est celle d’intermédiaire entre la Torah et le peuple en l’interprétant et l’appliquant aux situations pratiques et concrètes de chacun.

Après la déportation, l’enseignement n’est plus une tâche aussi évidente pour les sacrificateurs. A leur place, les docteurs de la loi se présentent comme des spécialistes de la Torah, avec le danger que l’enseignement devienne l’exposé d’une connaissance froide, dépourvue de compassion, de la Loi et des traditions rituelles. C’est contre cette pratique et la mentalité qui la sous-tend que s’élève Jésus, lui qui est à la fois Prophète et Sacrificateur, et qui sait consoler celui qui est abattu.

Le temps de la déportation a été une période de lourdes conséquences pour le peuple. A Babylone et ailleurs apparaissent les synagogues, lieux de rencontre où les déportés s’assemblent. On y lit la Torah et on y dispense un enseignement. Les synagogues deviennent des institutions scolaires où on inculque les lois aux enfants et où on discute avec les étudiants plus avancés [6] [6] .

Plus tard, le régime scolaire s’élargit. Il y a, tout d’abord, l’enseignement aux débutants dans la beth ha sefer (maison du livre), où les enfants apprennent à lire la Torah; ensuite, la beth ha midrasj (maison de l’explication) où les étudiants recherchent et analysent la véritable signification de la Loi. Pour le peuple juif, cet enseignement dans la sjoel est devenu caractéristique jusqu’à aujourd’hui. L’objectif de l’enseignement religieux donné aux enfants est devenu, plus tard, le bar mitswa , ce qui veut dire « devenir fils de la Loi » [7] [7] . C’est à l’âge de 13 ans environ que l’enfant doit savoir lire les textes sacrés. Pour le garçon, c’est un droit et un privilège de pouvoir le faire dans l’assemblée de la communauté; il y assume, ce jour-là, toutes sortes de responsabilités [8] [8] .

Il existe aussi des formes spéciales d’enseignement. Pensons aux écoles de prophètes du temps d’Elisée (2 Rois). Plus tard, des rabbis de renom réunissent autour d’eux un groupe d’élèves afin de les enseigner, comme l’a fait Jésus. Cependant, ce qui distingue Jésus des autres rabbis, c’est qu’il appelle lui-même ses élèves, ses disciples à le suivre et que ceux-ci n’ont pas à se faire accepter de lui.

A mentionner l’établissement par écrit du texte de la Torah et des autres écrits qu’on lit lorsque la communauté s’assemble. Parmi ceux-ci, il y a la littérature de la Sagesse, notamment les Proverbes de Salomon, qui exhortent les enfants à écouter leurs parents. Le livre des Proverbes fait clairement entendre le message que « la crainte de l’Eternel est le commencement de la connaissance » (1:7). Les Psaumes ont deux préoccupations: louer les hauts faits de l’Eternel et communiquer une instruction.

E) Se souvenir et ne pas oublier

L’Eglise pourrait tirer grand profit, aujourd’hui, de la lecture du livre du Deutéronome. Il est un vrai modèle d’enseignement, non seulement par son contenu mais aussi par sa pédagogie et par l’information qu’il donne sur ce qu’était l’apprentissage en Israël. Deux mots clés caractérisent la pédagogie de ce livre: se souvenir et ne pas oublier .

i) Apprendre signifie se souvenir du Dieu d’Israël, et n’oublier ni ses actes, ni ses paroles. « Tu te souviendras de tout le chemin que l’Eternel ton Dieu t’a fait faire pendant ces quarante ans dans le désert » et « Garde-toi d’oublier l’Eternel ton Dieu au point de ne pas observer ses commandements, ses ordonnances et ses prescriptions que je te donne aujourd’hui » (Dt 8:2,11). Ces deux mots clés, se souvenir et ne pas oublier , vont ensemble maintes fois dans le livre du Deutéronome. Le mot hébreu zakar (se souvenir) ne veut pas uniquement dire qu’il faut garder quelque chose en mémoire, comme par exemple nous pouvons nous souvenir de la libération de la France en 1944; il a un sens plus profond: accepter de tout coeur, intimement, celui dont on se souvient. Israël doit accepter intimement l’Eternel puisque Dieu est pour son peuple non seulement le Dieu du passé, mais encore celui du présent et de l’avenir.

ii) Le mot « ne pas oublier » (en hébreu sjakar ) ne veut pas seulement dire « éviter que le temps n’efface les souvenirs », mais aussi continuer à penser à ceux qu’on risque d’oublier, par inadvertance ou de façon délibérée. Quand Israël oublie l’Eternel, il n’y a plus de liens entre Israël et l’Eternel. Oublier, c’est être infidèle et l’Alliance est rompue. En Osée (2:15), les relations entre Israël et l’Eternel sont comparées à un mariage où l’infidélité d’Israël s’est manifestée: « et moi (mon peuple) m’a oublié, dit l’Eternel ». Oublier est cause de malheur: être infidèle, c’est rompre les relations intimes qui rendent la vie possible et agréable. Celui qui oublie périt.

Se souvenir et ne pas oublier, voilà l’objectif de l’enseignement. Se souvenir, c’est répondre avec sincérité à la relation d’amour qu’a établie l’Eternel; c’est ce qui conduit à une vie riche en bénédictions. A plusieurs reprises, on peut lire dans le Deutéronome: « … afin que tu sois heureux sur le territoire que l’Eternel ton Dieu te donne. »

F) La matière à apprendre

Que doit apprendre Israël et que doit-il transmettre d’une génération à l’autre? En bref, la foi, le commandement et la prière.

i) Premièrement, il faut rappeler et enseigner, de génération en génération, les hauts faits de l’Eternel dans l’histoire de son peuple, les grands actes, les interventions qui caractérisent l’histoire du salut: en particulier, le miracle de la sortie du pays d’Egypte, le passage par le désert et l’entrée dans la Terre promise, et tous les actes dont ont profité les générations suivantes. Ces actes reflètent les attributs de l’Eternel et révèlent son être, son amour pour Israël, sa fidélité et sa patience inépuisable face aux péchés de son peuple. Ils manifestent également sa justice et sa sainteté: on ne se moque pas impunément de l’Eternel, et sa colère s’enflamme si on le renie. Ces hauts faits se lisent dans les Ecrits, la Tenach , qu’il faut relire continuellement. C’est le cas pendant les fêtes qu’Israël célèbre chaque année: le peuple se réunit pour commémorer – avec des rites et des symboles, avec la lecture des livres saints et avec le chant – que l’Eternel a délivré son peuple d’Egypte (la Pâque) et qu’il l’a guidé à travers le désert (la fête des huttes). Mais la fête de la Pentecôte (la fête de la moisson) comporte aussi de nombreux moments pour l’enseignement. Ces fêtes religieuses associent l’enseignement et la liturgie. Le verbeÇ « apprendre » éveille souvent en nous la crainte de la monotonie, mais ce n’était pas le cas en Israël. L’enseignement et la fête s’harmonisent. Chaque individu et le peuple dans son ensemble s’engagent totalement dans un processus d’apprentissage.

ii) En second lieu, il faut apprendre les commandements, les lois et les ordonnances que l’Eternel a donnés à son peuple. Chaque juif doit connaître la Loi divine, c’est-à-dire le Décalogue, avec ses conséquences pour la vie de tous les jours, que formulent de nombreuses prescriptions. Les commandements et les ordonnances de l’Eternel ont un caractère pratique. Les apprendre ne revient pas à s’approprier des abstractions, mais des règles concrètes et fonctionnelles. L’essentiel est de craindre l’Eternel dans la vie de tous les jours, de vivre comme une nation sainte. Le peuple apprend donc les lois cultuelles, aussi bien que celles qui sont relatives à la vie de famille (le mariage par exemple) et à la vie sociale. Comment se comporter au travail, ou en cas de maladies comme la lèpre, ou encore en situation de guerre ou de paix? Comment se comporter à l’égard des étrangers, des réfugiés venus des peuples environnants? Il faut les aimer et leur laisser des produits agricoles à glaner des champs, afin qu’eux aussi aient quelque chose à manger, tout comme les pauvres d’Israël. La législation sociale en son entier est comprise dans l’enseignement religieux donné aux Israélites.

iii) Enfin, Israël, étant le peuple de Dieu, est une communauté de prière qui doit apprendre à prier. L’une des plus importantes prières connues de la période ultérieure est le Sjemone Ezré , prononcée dans les synagogues trois fois par jour. En apprenant à prier à ses disciples, Jésus continue la tradition de la prière en Israël, en lui donnant un nouveau contenu.
Le modèle du contenu de l’enseignement religieux en Israël a continué à servir dans l’Eglise chrétienne, jusqu’à aujourd’hui. En étudiant des textes servant à l’enseignement dans l’Eglise, comme le Catéchisme de Heidelberg , on y retrouve le même schéma qu’en Israël: la foi, le commandement et la prière.

G) La méthode d’apprentissage

Quelles sont les méthodes pour enseigner à la nouvelle génération la foi, le commandement et la prière?

i) Tout d’abord, on racontait des histoires. La tradition narrative constitue une partie intégrante de l’enseignement religieux en Israël. Qui ne connaît les histoires racontées par les rabbins, les histoires hassidiques? Innombrables sont les exemples que connaissent les juifs pour l’enseignement de la foi, du commandement et de la prière. Les histoires écrites que nous connaissons ont, d’abord, été transmises oralement. On imagine facilement les familles réunies, par exemple autour du repas de la Pâque, et les parents, qui ont entendu raconter ces histoires par leurs propres parents, les racontant eux-mêmes à leurs enfants. Ainsi, la foi des pères reste vivante et nouvelle (Ex 12:26-27) [9] [9] . Comme à nouveau, les parents prononcent les paroles et les enfants doivent les répéter après eux. La répétition est le secret de la connaissance.

ii) Ensuite, il y a la conversation entre les parents et les enfants. Le livre des Proverbes en présente de beaux exemples. « Ecoute, mon fils, l’instruction de ton père, et ne rejette pas l’enseignement de ta mère. » (Pr 1:8) Le père apprend aux enfants comment l’Eternel veut être servi. Une telle conversation est d’un intérêt particulier pour nous aussi. Impossible d’inculquer quelque chose sans une conversation normale avec les enfants.

iii) Deutéronome 6 présente encore d’autres méthodes d’enseignement. Les Israélites connaissaient la valeur intrinsèque des symboles, des rites et d’autres signes visibles [10] [10] . La foi d’Israël connaît une grande quantité de symboles. L’Eternel a ordonné à son peuple de ne pas se faire d’image taillée, de statue, de ne pas leur rendre un culte. Mais cela ne veut pas dire que l’élément visuel ne joue aucun rôle dans l’enseignement religieux. Deutéronome 6 mentionne les bandeaux de toile placés autour des mains et des bras pour la prière, et la gaine contenant la synthèse de la Torah que les Israélites devaient placer sur leur front, entre les yeux, qui symbolise le service de l’Eternel et implique la tête, le coeur et la main: c’est là le service intégral du croyant. Sa vie tout entière, tous ses faits et gestes en seront imprégnés. Une autre gaine contenant la Loi est fixée au montant de la porte de la maison, dite mezoeza . Qu’on entre ou qu’on sorte, la mezoeza rappelle le service de l’Eternel. Il en est ainsi pour les portes des maisons comme pour la porte de la cité, le coeur de la vie publique et politique.
De même, quand Israël a traversé le Jourdain pour entrer dans le pays de Canaan, les sacrificateurs ont érigé, dans la rivière, un mémorial de douze pierres, une pour chaque tribu, rappelant la fidélité dont Dieu entoure son peuple:
 

Lorsque, demain, vos fils demanderont à leurs pères: Que sont ces pierres? vous en instruirez vos fils et vous direz: Israël a traversé ce Jourdain à sec. Car l’Eternel, votre Dieu, a mis à sec devant vous le cours du Jourdain, jusqu’à ce que vous ayez passé, comme l’Eternel, votre Dieu, l’avait fait à la mer des Joncs qu’il a mise à sec devant nous jusqu’à ce que nous ayons passé. (Jos 4: 21-23)
Le culte dans le tabernacle et le temple: quelle riche matériel éducatif! Tout y a un sens symbolique: objets, formes, couleurs, pierres précieuses, etc. Le vêtement du souverain sacrificateur est tout un cours d’enseignement sur la manière dont Dieu veut être servi. Que d’oeuvres d’art – les formes fines, les belles couleurs – tout y respire l’esprit de l’adoration. Quelle expérience que d’apprendre en considérant tout cela!
Les actes sacrés sont également instructifs – les rites du sanctuaire dont les Israélites étaient témoins sur le parvis et en dehors ainsi que les cérémonies prescrites pour le début du sabbat, le vendredi soir – et constituent autant de moyens pour enseigner visuellement le service de l’Eternel.
 

iv) Le chant des hymnes que l’Eternel a donnés et inspirés à son peuple, les choeurs de prêtres, les psaumes du Hallel (Ps 113 à 118, qu’on chantait pendant le repas de la Pâque), les psaumes des montées (Maaloth , Ps 120 à 134), que les pèlerins chantaient en marche vers les grandes solennités religieuses sont des confessions de foi; la nouvelle génération y prend part et s’initie ainsi aux secrets du salut par la grâce.
Par tous ces moyens, Dieu se manifeste comme le grand Pédagogue dans l’intimité qu’il a établie avec son peuple, dans les bénédictions qu’il répand sur lui, mais aussi dans les châtiments qu’il lui inflige. Il veut ainsi le conduire à la repentance, lui faire reconnaître sa culpabilité, et confesser son péché, afin qu’il revienne à lui. La vie du peuple d’Israël est une leçon continue pour nous aussi.

H) Le but de l’enseignement

Le but de l’enseignement est la transmission de la foi à une nouvelle génération. Son principe est défini par les paroles de Proverbes 22:6: « Enseigne à l’enfant la voie qu’il doit suivre; même lorsqu’il sera devenu vieux, il ne s’en écartera point. » [11] [11] En l’enseignant, en l’éduquant, on initie et on introduit l’enfant au service de l’Eternel. Aujourd’hui, on parlerait de « socialisation religieuse ». L’enfant reçoit les dons de l’Alliance et, en même temps, sa tâche est d’y répondre par une foi et une conversion personnelles. C´est ainsi que l’individu est inclus dans la communion de la communauté.

Ce processus ne s’arrête pas à un certain moment, mais dure du berceau jusqu’au tombeau. Dans les premières années, la connaissance est fondamentale, intellectuelle et aussi affective; elle va en s’élargissant et en s’approfondissant en compréhension et en prise de conscience. Devenu bar mitswa , le jeune aspire à acquérir une compréhension plus profonde de la Parole divine, et à l’appliquer à toutes les situations de la vie: le mariage, la maladie, la récolte des produits de la moisson, etc., partout et toujours. En fait, on demeure élève toute la vie; le professeur lui-même reste élève, et l’élève peut être professeur sans s’en rendre compte. Le processus d’apprentissage est vraiment mutuel. L’apprentissage concerne tout l’homme avec ses dimensions cognitives, intellectuelles, affectives, sensibles, actives, conatives (ce qui est relatif à l’acte et à ses effets): la tête, le coeur et la main. L’enseignement religieux s’intéresse à tous les aspects de la vie de l’homme.

En Israël, l’apprentissage a un caractère pastoral. L’Eternel enseigne son peuple comme un berger fait paître son troupeau. Sa Parole est la nourriture du troupeau. Elle sert aussi au Berger de houlette et de bâton afin de ramener au troupeau la brebis égarée. Cet aspect pastoral de la catéchèse est particulièrement visible dans la fonction du sacrificateur.

L’objectif de l’enseignement est de faire en sorte qu’Israël soit pleinement le peuple de Dieu, qu’il soit différent des païens qui l’entourent, et que même ceux-ci, émus à jalousie en considérant Israël, désirent connaître, eux aussi, le Dieu d’Israël. Cet élément missionnaire est très présent dans le Nouveau Testament.

Conclusion

L’Ancien Testament nous propose un modèle excellent d’enseignement des enfants. Le berceau de l’enseignement religieux de l’Eglise chrétienne se trouve en Israël. Néanmoins, la ligne qui relie l’Ancien Testament à notre temps n’est pas sans ininterruption, car le centre de notre foi reste la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ. Cette différence capitale et les nouvelles perspectives apparues avec la venue de Christ ne s’opposent cependant pas au fait que bien des aspects de l’Ancien Testament existent pour notre instruction.
 


[1] [12] Invention avortée, qui n’a pas abouti.
[2] [13] Confesser d’un commun accord.
[3] [14] Cf. « La manière d’interroger les enfants », Opera Calvini , tome VI, col. 148 et ss.
[4] [15] Comprenait.
[5] [16] Résumé des points principaux.
[6] [17] Le synagogue s’appelle aussi le sjoel (prononcez: choule), mot dont sont dérivés le mot néerlandais et anglais school et le mot allemand Schule pour école.
[7] [18] Le bar mitswa , quand on devient fils de la loi, est une réponse initiale à l’Alliance. Mais il ne constitue pas un point final dans l’enseignement religieux, comme c’est trop souvent le cas avec le catéchisme des adolescents aujourd’hui.
[8] [19] Au Mur des Lamentations à Jérusalem, aujourd’hui, on peut assister à la fête du bar mitswa. Les garçons lisent les textes sacrés, on les met sur les épaules, on danse et sautille, on éprouve la joie de la Torah.
[9] [20] Les parents ont le devoir d’inculquer à leurs enfants les commandements de l’Eternel (Dt 6). Le mot hébreu pour « inculquer » renferme la notion de « répétition ».
[10] [21] Symbole = ce qui va avec, se confond avec, deux choses qui vont ensemble: un objet et ce que représente cet objet.
[11] [22] (Version Synodale.) Le mot employé pour « enseigner » (chanak) signifie initier, introduire.