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Des livres à lire

Des livres à lire

Jean-Marc Berthoud:
Apologie de la Loi de Dieu
(Lausanne: L’Age d’Homme, 1996), 206 p.

 

La Loi divine, expression de la volonté suprême, détermine ce qui est bien ou mal, juste ou faux, utile ou nuisible aux hommes, propre à favoriser ou à compromettre l’ordre et la justice dans la société. Cette Loi, dont tous les hommes ont une connaissance instinctive, mais insuffisante, est révélée dans toute sa vérité par l’Ecriture sainte et par la vie et l’enseignement de Jésus-Christ.

Nous vivons une époque où cette Loi, pour le malheur de l’humanité, est passablement méconnue, oubliée, combattue et recouverte par une vague montante d’impiété et d’athéisme. Les hommes refusent de se soumettre à plus grand qu’eux, et veulent être à eux-mêmes leur propre loi et faire ce qui leur plaît. Tel est du moins le diagnostic posé par l’auteur du livre que nous présentons, et qui l’améne à réagir avec vigueur contre ce laisser-aller moral qui est celui de notre société.

Mais il ne s’en prend pas seulement à la mentalité démissionnaire ambiante; il interpelle surtout les chrétiens et les Eglises – dont la vocation est notamment de faire connaître cette Loi de Dieu, de la proclamer haut et fort, de la maintenir dans sa rigueur, et de l’appliquer ou de la faire appliquer dans tous les domaines de l’existence – mais qui trahissent cette vocation, et ne font rien, ou si peu, pour empêcher cette Loi de s’affadir, de se désagréger, d’être réduite à l’insignifiance.

Aucune dénomination chrétienne n’échappe à ses reproches, et si le protestantisme libéral est montré du doigt, les réformés ne sont pas épargnés, ni les évangéliques (au sens restreint du mot). Les diverses formes d’antinomisme sont réfutées, en particulier celle qui prétend que la nouvelle Alliance a rendu caduque l’ancienne, et que l’Evangile a remplacé la Loi, alors que cette Loi, Jésus, dans son Sermon sur la montagne, l’a non seulement maintenue et confirmée, mais renforcée et radicalisée. Et il s’y est conformé lui-même le tout premier. Ce n’est pas la voie large et facile qui conduit à la vie, mais la porte étroite et le chemin resserré.

L’auteur n’a pas de peine à montrer, textes à l’appui, que le mot de saint Paul: « Nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce », lorsqu’il est compris à la lumiére de la pensée de l’apôtre dans son ensemble, ne disqualifie pas du tout la Loi divine. La grâce n’abolit pas la Loi, mais donne la force d’y obéir, cette force que nous n’avons pas comme pécheurs, mais que nous recevons du Christ comme pécheurs pardonnés. La Loi de Dieu, gravée sur des tables de pierre (ou, de nos jours, imprimés dans un livre), est transférée par la grâce dans nos propres cœurs. Elle n’est plus une obligation redoutable et, en somme, irréalisable, imposée du dehors, mais une réalité intérieure à nous-mêmes, qui se confond avec nous-mêmes, et qui n’est autre, finalement, que le Christ vivant en nous par son Esprit. Le Christ dont « le joug est facile et le fardeau léger ».

Voisine de la grâce, la notion de liberté, de liberté chrétienne, est, elle aussi, souvent utilisée contre la Loi et les commandements divins par les antinomistes, mais rendue à sa véritable signification par J.-M. Berthoud. Nous sommes libérés par Dieu de notre péché, de notre incapacité à faire le bien par nous-mêmes, et non pas de l’entrave qui nous empêcherait d’agir à notre guise. Nous ne sommes pas libres de faire n’importe quoi, mais libres d’obéir et de servir, libres pour obéir. « Servir Dieu, c’est la liberté », disait Luther. Oui, en un sens, par la grâce de Dieu, nous pouvons faire ce que nous voulons, mais non pas en suivant notre propre volonté. Car sous le régime nouveau de la grâce, la volonté de Dieu est devenue la nôtre, se confond avec la nôtre. Nous faisons ce que Dieu veut, parce que nous voulons ce qu’il veut.

Un autre quasi-synonyme de la grâce est l’amour. « Dieu est amour », et la Loi même de Dieu se résume et s’accomplit dans l’amour: « Tu aimeras le Seigneur…, tu aimeras ton prochain… » « L’amour est l’accomplissement de la Loi. » Or cette vertu, la premiére des trois « théologales », peut servir parfois d’alibi à l’obéissance. Sous prétexte que Dieu nous aime, qu’il regarde plus aux personnes qu’aux principes, on adapte les principes aux personnes, on rabaisse les exigences de la Loi, et l’on fait preuve non plus d’amour, mais de faiblesse, de lâcheté; on confirme les gens dans la bonne conscience qu’ils ont d’eux-mêmes, on les dispense de se repentir et de naître à nouveau, et on les maintient sur le chemin facile qui pourrait être celui de la perdition. Cette charité est finalement cruauté.

A ce propos, on peut se demander néanmoins – question à laquelle l’auteur ne répond pas, ou répondrait probablement par la négative – si, dans les cas où les circonstances de la vie obligeaient à choisir entre le respect de la personne et le respect de la Loi, la priorité ne doit pas être accordée à la personne. Et n’est-il pas possible de le faire de telle maniére que ce choix soit compris non comme un mépris de la Loi, mais comme le respect de ce qu’il y a de fondamental dans cette Loi, à savoir l’amour? Car, à trop insister unilatéralement sur la Loi et sur l’honneur qu’on lui doit, on risque de retomber dans le légalisme dont on reconnaît d’ailleurs les dangers, et de refaire de la grâce intérieure un commandement extérieur implacable et désespérant, faisant ainsi preuve d’une sécheresse de cœur parfaitement contraire à l’amour du prochain.

Des trois usages classiques de la Loi, selon la Réforme, c’est surtout le troisiéme, l’usage pédagogique (guider la vie morale de l’homme nouveau) dont parle le livre que nous présentons. Mais il n’a pas négligé l’usage politique, propre à établir la législation de la société civile. Dans ce domaine, le législateur, s’il s’inspire de la Loi divine, ne peut pas l’appliquer dans toute sa rigueur. Il ne peut exiger que le possible, non le souhaitable, et ne punir que les malfaiteurs, non les pécheurs. Il ne peut viser le Bien, mais seulement le moindre mal. Il ne peut transformer fondamentalement la société par les lois: seuls, les individus peuvent être transformés par la grâce du Christ, laquelle n’est pas dans les mains de l’Etat, ni du gouvernement. Nonobstant cela, et s’il est permis de tenir compte de l’état des mentalités et des mœurs, pour ne pas édicter des lois tellement contraires à l’esprit du temps qu’elles en seraient inapplicables, en revanche il n’a certes pas à suivre servilement les mœurs, moins encore à les précéder dans leur dégradation, ni à précipiter leur chute. Au contraire, il a un rôle actif à jouer dans leur redressement.

L’ouvrage de J.-M. Berthoud est divisé en trois parties. La premiére, que nous venons de résumer à notre façon et sans pouvoir donner une idée de sa richesse et de sa vigueur, est proprement doctrinale. La seconde, plus polémique, réfute les positions éthiques de quelques contemporains. Là, le zéle de l’auteur à redresser les torts et à dénoncer les hérésies est tel qu’il ne rend pas suffisamment justice, nous semble-t-il, à ce qu’il y a de bon et de positif dans les ouvrages qu’il attaque. Par exemple, on peut s’étonner de voir ranger J. Ellul parmi les contempteurs de la Loi, alors que, dans son Ethique de la liberté, il défendait une morale trés exigeante, qui tranchait tout à fait sur le laxisme à la mode du jour. De même, si E. Fuchs propose des applications discutables de l’éthique calvinienne, cette éthique est présentée honnêtement dans la premiére partie de son livre sur La morale d’aprés Calvin.

Une troisiéme partie, plus bréve, donne quelques pages d’auteurs anglais ou américains, peu accessibles au lecteur français, et qui confirment les théses de J.-M. Berthoud. Elle y joint une bibliographie abondante, qui donne une idée de la documentation, de la culture biblique, théologique, voire philosophique sur laquelle se fonde cette Apologie de la Loi de Dieu. Laquelle apologie – nous aurions dû commencer par là – est préfacée par le pasteur et professeur Pierre Courthial: garantie de qualité et de vérité.

R. BARILIER, pasteur

 

 


Frédéric de Coninck,
La ville: notre territoire, nos appartenances. L’incarnation de l’Evangile dans le tissu urbain d’hier et d’aujourd’hui
(Québec: Les Editions La Clairiére, 1996), 154 p.

 

 

En cette fin du XXe siécle, on assiste dans nos villes à une forte augmentation des violences, à l’émergence de fractures sociales insoupçonnées, à des comportements racistes, à des phénoménes d’exclusion. Alors que la ville a pour mission d’intégrer les personnes, de tisser et de resserer les liens sociaux, on assiste à des mouvements inverses. La ville comme machine à intégrer est partiellement en panne. Atténuation du sens élémentaire du respect d’autrui, démission des parents face aux jeunes, absence de re-péres, tout cela conduisant à la violence. A ce sujet, il est intéressant de rappeler cette réflexion du théologien strasbourgeois, J.F. Collange:

La violence est toujours de l’ordre d’un corps à corps que ne vient séparer aucun tiers symbolique.

Dans ce contexte, le travail du sociologue chrétien Frédéric de Coninck est le bienvenu: La ville: notre territoire, nos appartenances. Le sous-titre de l’ouvrage montre bien le défi auquel nos Eglises sont confrontées: L’incarnation de l’Evangile dans le tissu urbain d’hier et d’aujourd’hui. C’est un excellent travail avec un souci pédagogique évident qui permettra au lecteur de lire un peu mieux cette ville dont les évolutions paraissent de plus en plus incompréhensibles.

Frédéric de Coninck a le souci de trouver une parole chrétienne qui puisse s’adresser à l’homme urbain français. Son projet est original. Pour cela, il refuse deux démarches opposées. D’une part, celle qui affirme que les réflexions de Jésus n’ont plus d’actualité et qu’il nous reste à imaginer de A jusqu’à Z l’appel de Dieu pour nous à l’aube du XXIe siécle. D’autre part, celle qui nie une telle relativisation au nom d’un Dieu immuable et qui croit qu’il suffit d’appliquer les prescriptions d’hier pour construire notre fidélité actuelle.

Pour cela, l’auteur analyse le discours chrétien passé et en dégage les principes structurants. Ensuite, il essaie d’appliquer ces principes, par analogie, à la situation contemporaine. Frédéric de Coninck constate que la prédication chrétienne n’invite pas l’auditeur à une démarche sectaire, comme c’est le cas à Qumran, ni à une démarche d’intégration au monde environnant. Elle propose une nouvelle maniére d’habiter les cercles d’appartenance, les structures socio-spatiales qui constituent la société de l’époque (maison, cité, Etat).

Pour aujourd’hui, Frédéric de Coninck constate que la famille est fragilisée et que la fidélité dans le mariage est contestée. Le sociologue observe que le XXe siécle est caractérisé par la fin du monde rural, une activité professionnelle de plus en plus indépendante de la famille par le biais du salariat, une activité féminine autonome et le développement des systémes d’entraide public.

Frédéric de Coninck interpelle ainsi nos contemporains:

Si les chrétiens doivent témoigner de l’amour gratuit, sans contrepartie, le mariage est aujourd’hui un des champs où ils peuvent montrer l’actualité du message dont ils témoignent. (P. 55).

Quatre chapitres de ce travail sont particuliérement intéressants:

L’excellent ouvrage de Frédéric de Coninck permet d’alimenter utilement la réflexion sur la ville d’aujourd’hui, d’autant plus qu’il s’inspire de travaux anglo-saxons peu connus du public francophone. Frédéric de Coninck pointe aussi le débat franco-français sur l’opposition artificielle entre public et privé.

Nous devons combattre un tel clivage, car l’incarnation de la Bonne Nouvelle du Royaume suppose aujourd’hui que les chrétiens s’adressent aux deux cercles d’appartenance essentiels de l’homme moderne: l’Etat et l’entreprise. (P. 91)

D’autre part, le voyage du pape Jean-Paul II en France, en septembre 1996, montre qu’on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion profonde sur les liens entre la société civile, les diverses religions (chrétiennes et non chrétiennes) et les fondements de la République.

L’ouvrage de Frédéric de Coninck devra être versé dans les dossiers alimentant ce débat.

F. SARG, pasteur