Francis SCHAEFFER – La Revue réformée http://larevuereformee.net Sat, 27 Aug 2011 15:18:08 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 Appendice A : Leçons du passé pour mieux réussir à l’avenir http://larevuereformee.net/articlerr/n196/appendice-a-lecons-du-passe-pour-mieux-reussir-a-lavenir Sat, 27 Aug 2011 17:18:08 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=678 Continuer la lecture ]]> Appendice A :
Leçons du passé pour mieux réussir à l’avenir

Francis SCHAEFFER*

En suivant nos penchants naturels, nous risquons de faire preuve de pureté sans amour, ou d’amour sans pureté… Le seul moyen de les exercer tous les deux, c’est de compter instant après instant sur l’oeuvre du Christ et du Saint-Esprit. Autrement, la recherche de pureté seule nous pousse vers l’intransigeance, l’orgueil et le légalisme; de même la recherche de l’amour seul nous mène droit au compromis pur et simple. Une vraie spiritualité commence à se développer dans nos vies au fur et à mesure que nous nous mettons à montrer simultanément la sainteté et l’amour de Dieu.

I. Un peu d’histoire

Il y a soixante-dix ans, les théologiens « libéraux » ont accédé aux postes de responsabilité dans presque toutes les Eglises « historiques », aux Etats-Unis comme en Europe. Par la suite, les chrétiens « évangéliques » se sont regroupés en deux catégories: ceux qui ont quitté ces Eglises et ceux qui y sont restés avec l’espoir de construire un édifice plus « évangélique ». En considérant ce qui s’est passé, on voit qu’il y a eu des problèmes des deux côtés.

A) Les séparatistes

En considérant la situation telle qu’elle se dessinait dans les années 30, une erreur majeure a été commise dès la séparation d’avec la grande Eglise Presbytérienne aux Etats-Unis[1]. Cette erreur a marqué le « mouvement séparatiste » par la suite. Nombreux avaient été ceux qui avaient affirmé, avant le schisme, qu’ils ne tolèreraient pas que les « libéraux » prennent les rênes du pouvoir; le moment de la séparation venu, un grand nombre d’entre eux sont quand même restés. Sans pour autant juger leurs motivations, il n’en demeure pas moins que ceux qui sont partis – ils ont été peu nombreux pour finir – se sont sentis abandonnés et trahis. Certains de ceux qui sont restés ont ardemment désiré que la Convention presbytérienne[2], l’organisme dans lequel ils avaient travaillé auparavant, soit maintenue pour que tous, qu’ils soient restés ou qu’ils soient sortis, puissent continuer à travailler ensemble.

i) Pourtant, ces derniers, les séparatistes, exaspérés et peut-être aussi agacés, l’ont dissoute tout de suite. Ainsi toutes les structures visibles qui auraient dû permettre une démonstration de l’amour entre frères, ont été démantelées. Dans les journaux édités par les séparatistes, un plus grand nombre d’articles ont été consacrés à s’attaquer à ceux qui différaient d’avis sur la question de la séparation qu’à s’en prendre à la théologie « libérale ». Des propos encore difficiles à oublier, même maintenant, ont été tenus. Les séparatistes ont parfois refusé de prier avec les autres et nombre d’entre eux ont rompu toute forme de communion avec ceux qui, n’étant pas sortis, n’en demeuraient pas moins de vrais frères en Christ. Le commandement du Christ (« aimez-vous les uns les autres ») a été foulé aux pieds et le vide formé s’est rempli d’une espèce d’introversion, d’un sentiment de propre justice et de dureté de coeur. L’idée s’est peu à peu formée que le fait séparatiste était comme un justificatif obligeant à tout pardonner. De mauvaises habitudes ont été contractées et, lorsque des différends ont surgi entre séparatistes, des comportements regrettables ont été observés.

Pour être fidèles à la Parole de Dieu, il convient de mettre en pratique simultanément, à chaque étape, deux principes bibliques. Le premier, c’est la pureté de l’Eglise visible: l’Ecriture commande de ne pas se borner à en parler; nous devons réellement la mettre en pratique, même si cela nous coûte cher. Le deuxième principe, c’est de manifester son amour envers tous les vrais chrétiens. Si nous suivons nos penchants naturels, nous risquons de faire preuve de pureté sans amour, ou d’amour sans pureté; impossible d’exercer les deux simultanément. Le seul moyen d’arriver à les exercer tous les deux consiste à compter, instant après instant, sur l’oeuvre du Christ et du Saint-Esprit. Autrement, la recherche de pureté seule nous poussera vers l’intransigeance, l’orgueil et le légalisme; de même, la recherche de l’amour seul nous mènera droit au compromis pur et simple. Une vraie spiritualité commence à se développer au fur et à mesure que nous nous mettons à manifester simultanément, dans nos vies, la sainteté et l’amour de Dieu. C’est seulement par la pratique des deux que la nature de notre Dieu et Seigneur merveilleux est rendue visible. Sinon, c’est sa caricature qui est présentée et elle ne l’honore pas.

Heureusement, au fil des ans, l’intransigeance s’est estompée au sein des groupes de personnes qui s’étaient retirées – mais nous avons payé très cher ce qui s’est passé lors de cette période. J’ai ressenti l’une des grandes joies de ma vie lors du Congrès sur l’évangélisation mondiale à Lausanne en 1974. Quelques membres de l’Eglise presbytérienne en Amérique (PCA), union d’Eglises nouvellement constituée, m’ont demandé d’assister à une réunion où devaient être présentes à la fois des personnes qui venaient juste de quitter l’Eglise presbytérienne du Sud (PCUS) pour former la PCA, et d’autres qui ne l’avaient pas quittée. Les porte-parole des deux côtés ont dit que cette réunion avait été possible grâce, d’abord, à ma présence et, surtout, à mon livre L’Eglise devant le monde qui observe[3]. Pour faire mieux que ce que nous suggèrent nos penchants naturels, il faut être lucides sur les dangers de la chair et compter sur la force et la grâce de notre Seigneur vivant.

ii) Le deuxième problème que les séparatistes de la PCUSA ont eu à résoudre, me semble-t-il, est celui de déterminer où se situe la ligne derrière laquelle il faut se placer pour affirmer son identité. Cette ligne se situe-t-elle entre les Eglises qui croient à la Bible et celles qui n’y croient pas, ou entre les Eglises réformées et celles qui ne le sont pas? Lorsque nous cherchons à implanter une nouvelle Eglise, est-ce essentiellement une Eglise réformée que nous voulons fonder? Ou bien ne faudrait-il pas plutôt chercher à fonder une Eglise où serait prêché un Evangile auquel pourraient adhérer toutes les Eglises se voulant fidèles à la Parole? Cela fait, rien ne s’opposerait, ensuite, à ce que soit enseignée, dans ce cadre, la vraie doctrine biblique selon nos perspectives réformées.

Les réponses données à ces questions font donc toute la différence. Elles reflètent des différences de motivation, de portée et d’étendue. L’une des deux est « catholique » et biblique et favorise 1°) la croissance de l’Eglise et le développement d’une attitude saine chez les personnes touchées par l’Evangile; et 2°) l’assimilation des principes bibliques dans toute l’Eglise du Christ. L’autre façon de procéder met les choses à l’envers, limite volontairement son rayonnement et, pire, est sectaire.

B) Les « évangéliques » qui sont restés

Les personnes qui n’ont pas quitté, il y a cinquante ans, les unions d’Eglises dominées par les « libéraux » ont, elles aussi, adopté deux attitudes. La première a été l’accueil d’un certain pluralisme. Si les séparatistes sont devenus plutôt intransigeants, ceux qui sont restés se sont laissé aller au compromis. Certains ont dit: « Ce n’est pas le moment de partir, mais nous le ferons vite s’il arrive telle ou telle chose ». D’autres ont durci, à leur tour, leur position en prenant la décision de rester quoi qu’il puisse advenir.

i) Une fois le pluralisme adopté sur le plan ecclésiastique, il est plus facile d’avancer vers un pluralisme de coopération en matière de doctrine, y compris sur la façon de considérer l’Ecriture. On l’a vu à maintes reprises au cours de l’histoire. Le pluralisme ecclésiastique qui s’est développé pendant les années 30 et 40 a suscité un engagement amoindri par rapport à l’Ecriture, dans certains milieux « évangéliques », dans les années 80. Bon nombre « d’évangéliques » semblent penser qu’il est sans importance d’épouser, à la fois, la vue classique de l’Ecriture et la méthodologie horizontale[4] selon laquelle la Bible n’aurait d’autorité que dans le domaine proprement spirituel, et non dans ce qu’elle dit sur des sujets historiques ou scientifiques, ou sur les relations entre homme et femme.

Toutes les personnes qui sont restées dans les Eglises dominées par les « libéraux » ne sont pas allés jusque-là, bien sûr. Je ne crois pas, cependant, que celles qui ont choisi de rester quoi qu’il en advienne aient pu se garder complètement de tout compromis. Elles sont prêtes à tout pour camoufler ce qu’elles ont concédé à l’égard de l’Ecriture afin de garder une façade d’unité évangélique, alors qu’en fait, la question cruciale de l’Ecriture ne peut souffrir aucune concession au nom de l’unité.

L’histoire de l’Eglise, si on l’observe bien, nous apprend que si le pluralisme s’installe dans les Eglises, l’enseignement qui y est dispensé se dilue et la démarcation entre « évangélique » et « libéral » s’estompe peu à peu.

A moins de rejeter en bloc les présupposés non bibliques, notre manière de penser sera confuse, nous succomberons au relativisme qui a cours de nos jours et nous nous compromettrons au niveau de nos engagements ecclésiastiques.

ii) La deuxième attitude adoptée par les « évangéliques » qui n’ont pas quitté les Eglises dominées par les « libéraux » est leur tendance naturelle à reculer sans arrêt la limite au-delà de laquelle une rupture s’impose. Par exemple, des presbytériens évangéliques bien connus[5] auraient-ils pu rester dans une Eglise où les problèmes cruciaux sont ceux de la femme pasteur et le refus de consacrer un jeune pasteur dont la seule « faute » serait que, tout en étant prêt à ne pas prêcher contre la femme pasteur, il continue à maintenir qu’à son avis ce n’est pas biblique? Pouvez-vous imaginer que ces hommes auraient pris pour une victoire le fait d’avoir retardé la consécration d’homosexuels et de lesbiennes pratiquants? Qu’auraient-ils dit, ces hommes? Une telle situation dans leur Eglise leur aurait semblé inconcevable.

Les « évangéliques » doivent se méfier de crier trop tôt victoire. Ceux qui détiennent le pouvoir chez les « libéraux » savent[6] comment il faut faire pour déstabiliser les chrétiens « évangéliques ». Il y a de nombreuses fausses victoires qu’ils peuvent leur concéder pour les empêcher d’opérer une rupture nette. Certains disent: « Ne rompez pas l’unité. Attendez encore un peu. Attendez ceci ou cela. » Toujours attendre, jamais agir. Mais cinquante ans, c’est long, lorsque la situation s’aggrave. Le fait que ma santé se détériore me permet de mieux me rendre compte que nous n’avons pas un temps illimité pour prendre courage et passer des paroles à l’action, même si cela nous coûte.

II. Un peu de prospective

Considérons la chose autrement. Que va-t-il se passer à l’avenir? A quoi pouvons-nous nous attendre pour nous-mêmes, pour nos Eglises, nos fidèles, et pour nos enfants au sens physique et moral dans les jours qui sont devant nous? Les pays occidentaux se transforment à grande vitesse en sociétés totalement humanistes. Peut-on se permettre de supposer que cette transformation laissera intacts nos propres projets, nos vies et nos Eglises? A San Francisco, une Eglise presbytérienne orthodoxe a été traînée devant la justice pour avoir enfreint les lois sur la discrimination en renvoyant un organiste homosexuel. S’il se passe de telles choses, pouvons-nous continuer à ne pas entendre les sonnettes d’alarme?

Malheureusement, les Eglises « libérales » soutiennent, toutes, les différentes tendances à la mode, non seulement formellement mais aussi publiquement et financièrement. Est-ce bien là que les « évangéliques » devraient s’investir, payer de leur personnes et accorder leur soutien financier? C’est pourtant ce qu’ils font en restant membres de ces unions d’Eglises. En continuant de soutenir ces Eglises, non seulement ils encouragent l’erreur, mais ils favorisent aussi ce qui finira par nous détruire dans une situation en constante dégradation.

Devant quelle commission des ministères un pasteur consacré risque-t-il de se trouver soumis à la discipline biblique s’il adhère à de fausses doctrines? Notre premier geste envers un « libéral » doit être, bien sûr, de lui apporter une aide personnelle pour l’amour du Christ; si, cependant, il persiste dans sa théologie libérale, il aura à être soumis à la discipline, pour la simple raison que l’Eglise visible doit rester l’épouse fidèle du Christ. L’Eglise n’est pas le monde. Si une Eglise en arrive à ne plus pouvoir appliquer la discipline, ses membres ont alors à mettre en pratique, devant le Seigneur, le principe de la pureté de l’Eglise visible et à envisager de se séparer, non sans une grande tristesse. Aucune attitude de supériorité triomphante ne doit accompagner cette séparation, ni même l’idée qu’il est possible, ici-bas, de construire un monde parfait, mais bien plutôt un immense regret.

Les « évangéliques » qui en arrivent là se doivent de continuer à aimer les « libéraux » pour la simple raison que ceci est juste. Si nous ne savons pas comment résister fermement au libéralisme organisé tout en continuant à aimer les « libéraux », nous avons oublié la moitié de ce que nous sommes appelés à mettre en pratique, c’est-à-dire non seulement la sainteté de Dieu, mais aussi son amour; nous avons également perdu de vue que le monde nous regarde faire, ainsi que l’Eglise, nos enfants, les anges et, bien sûr, Dieu lui-même.

La déroute et le désespoir ne sont pas à l’ordre du jour. Les chrétiens peuvent encore influencer le cours des choses dans la mesure où ils sont prêts à placer le Seigneur avant leurs propres aises dans leurs paroisses. Pour cela, ils ont besoin d’exemples pastoraux en plus d’un bon enseignement. Les pasteurs ne peuvent pas donner un enseignement clair s’ils adoptent une attitude relativiste vis-à-vis du libéralisme, au lieu de s’y opposer de façon nette et courageuse dans l’amour. Il leur est impossible de donner l’exemple et d’être les guides spirituels dont les Eglises évangéliques pluralistes ont besoin de nos jours s’ils ne paient pas le prix demandé. Ils ne devraient pas se limiter à parler de la vérité; ils ont à la mettre en pratique, même si cela leur coûte.

Les « évangéliques » doivent aller de l’avant en classant les priorités dans un ordre convenable. La ligne de séparation doit se situer résolument entre ceux qui croient vraiment à la Bible et ceux qui n’y croient pas. Cette ligne ne se situe pas entre les luthériens et tous les autres, entre les baptistes et tous les autres, ou bien entre les réformés et tous les autres. Si les « évangéliques » ne mettent pas cette vérité en évidence dans leur manière d’enseigner dans leurs Facultés de théologie et dans les Eglises qu’ils fondent, ils ne pourront pas être les guides spirituels dynamiques dont toute l’Eglise a tant besoin. De plus, ne pas le faire, c’est refuser de manifester l’amour et l’unité entre les vrais chrétiens, comme Jésus a ordonné de le faire. Son commandement implique une démonstration d’amour et d’unité visible entre tous les chrétiens, et pas seulement entre les membres de chaque Eglise. La ligne de séparation se trouve entre ceux qui se soumettent à l’autorité du Dieu vivant – et donc aussi à celle de la Parole verbale donnée sous forme de propositions, l’Ecriture sainte – et ceux qui ne s’y soumettent pas.

Veillons à garder les choses à leur juste place. Trouvons les moyens pour montrer à l’Eglise et au monde que tout en conservant nos différences doctrinales (sans pour autant les minimiser puisque nous croyons que notre enseignement est biblique), nous, les « évangéliques » sommes des frères en Christ, unis pour engager ensemble les batailles à livrer de nos jours.

S’ils sont capables de tirer des leçons des erreurs commises de part et d’autre dans le passé, les pasteurs qui quittent, avec leurs paroisses, les Eglises libérales peuvent porter un témoignage encore susceptible de renverser les tendances observées dans les Eglises et dans la société; ceci, pour le salut des âmes, pour l’édification du peuple de Dieu et, au moins, pour ralentir l’évolution qui mène à une société totalement humaniste etd’où, peut-être, la liberté serait même exclue.

Tout en accomplissant ces choses, n’oublions jamais que notre première vocation est d’être l’épouse fidèle du Christ. Bien plus, nous sommes appelés à être l’épouse qui aime son époux divin d’un amour profond et sincère. Telle est notre vocation dans les années à venir.


* F. Schaeffer a écrit ce texte peu avant sa mort, intervenue en 1984.

  • [1] PCUSA, l’Eglise presbytérienne du Nord, devenue par la suite Eglise presbytérienne unie, UPCUSA, après l’unité avec l’Eglise presbytérienne du Sud en 1958 (PCUS). Un parallèle peut être fait avec la situation en France après 1938.
  • [2] Presbyterian Constitutional Convention Union, conduit epar J. Gresham Machen.
  • [3] The church before the watching world (Leicester: Inter Varsity Press, 1972).
  • [4] Et le relativisme culturel qui permet de soutenir l’accession de la femme au ministère pastoral et l’égalitarisme sexuel (gender equality) (n. d. l. r.).
  • [5] Tel que Clarence McCartney, Donald Grey Barnhouse et T. Roland Phillips.
  • [6] Cette constatation peut être faite en France aussi bien qu’aux Etats-Unis (n. d. l. r.).
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La pratique de la liberté dans la vie communautaire http://larevuereformee.net/articlerr/n223/la-pratique-de-la-liberte-dans-la-vie-communautaire Sat, 11 Dec 2010 17:18:45 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=391 Continuer la lecture ]]> La pratique de la liberté
dans la vie communautaire1

Francis SCHAEFFER*

Considérons ce qu’implique une saine conception de l’Eglise à la lumière de la tâche des diacres, qui ont la charge de l’aspect matériel de la vie communautaire.

La Bible expose quels comportements il convient d’avoir dans les Eglises du Seigneur Jésus-Christ et aussi, je le crois, dans d’autres groupes chrétiens. Remarquons ce qui est dit en 1 Corinthiens 16:1-2:

« Pour la collecte en faveur des saints, agissez, vous aussi, comme je l’ai ordonné aux Eglises de la Galatie. Que chacun de vous, le premier jour de la semaine, mette à part chez lui ce qu’il pourra selon ses moyens, afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour faire les collectes. »

La dîme n’est pas mentionnée, mais il est question d’un don proportionnel aux ressources. Les chrétiens se réunissaient, comme nous, le premier jour de la semaine, et les besoins des « saints » étaient l’objet d’un appel au sein de l’Eglise.

C’est là que nous, « évangéliques », avons fait, me semble-t-il, fausse route en établissant une totale distinction entre les dons destinés à l’annonce de l’Evangile et ceux qui serviront à couvrir les besoins matériels des chrétiens. Nous nous sommes égarés en négligeant la difficile obligation qui est la nôtre de nous préoccuper mutuellement de ce qui nous est nécessaire au plan matériel.

Il n’est pas question de minimiser la valeur du don pour l’annonce de l’Evangile. Paul a parfois fabriqué des tentes et il lui est arrivé de recevoir des dons qui lui ont permis d’arrêter ce travail. Il est bien vrai. Mon propos est seulement de montrer qu’il n’y a pas de différence profonde entre les deux types de dons. Dans le texte cité plus haut, l’accent est mis sur le sens communautaire profond dont ont fait preuve les Eglises locales en se préoccupant de l’ensemble des besoins, y compris les besoins d’ordre matériel.

Comme ils s’aiment

Le témoignage venu jusqu’à nous sur l’Eglise primitive – non par l’Ecriture, mais selon une tradition digne de foi – est que, dans le monde gréco-romain, on s’écriait: « Voyez comme ils s’aiment! » Telle est le sens dans lequel doivent aller nos efforts. Il en est de cela comme du mariage. Selon l’Ecriture, les rapports sexuels se situent dans un cadre institué par Dieu et qu’il ne faut pas rejeter: le mariage.

Le problème, dans nos milieux « évangéliques », tient à ce qu’on y oublie souvent combien est magnifique le libre jeu des personnalités, qui s’exerce dans le cadre du mariage. Ce cadre est indispensable, mais il n’est pas tout, sinon la sexualité en souffre et sombre dans l’insignifiance. Si un mariage vraiment uni ne suscite pas une impression de beauté, il n’est certainement pas ce qu’il devrait être; il n’est pas l’image que Dieu veut donner du mariage dans une génération comme la nôtre.

Parler contre le laxisme sexuel ne suffit pas; il faut aussi montrer à un monde en quête de beauté, au sein d’un siècle bien laid, que le mariage est le cadre adéquat pour que s’exerce un jeu libre et beau entre deux personnalités.

La pratique de la vie communautaire

Il en est de même avec l’Eglise. Appliquons jusqu’au retour du Christ ce qu’enseigne la Bible. Manifestons à l’intérieur de l’Eglise un esprit communautaire dans tous les domaines de la vie, afin que tous les besoins, y compris matériels, soient satisfaits. Rappelons-nous que, selon Tite 1:8, la première caractéristique positive d’un ancien est d’être hospitalier. Il ne lui suffit pas de remplir un certain nombre de conditions négatives, il doit en satisfaire une qui est positive: sa maison doit être ouverte aux autres. Tel est le genre d’attitude propre à rendre manifeste l’esprit communautaire dans nos rassemblements, et à offrir ce dont rêve l’humanisme, mais qu’il est incapable de susciter.

L’humanisme parle beaucoup de l’Homme avec un H majuscule, mais il ne s’intéresse guère à l’homme en tant que personne. Le Siècle des lumières a produit un humanisme qui a sombré dans la laideur. Il nous revient de développer un esprit communautaire bien réel, qui ne soit pas un simple slogan dont on use à certaines heures.

Bien des gens nous observent afin de vérifier si, en affirmant connaître la vérité, cette vérité non seulement conduit nos âmes au ciel, mais aussi donne, jour après jour, un sens à notre vie présente dans tous ses aspects. On compte sur nous pour que, dans le monde, les êtres humains soient traités comme des êtres humains. L’Eglise devrait pouvoir le faire parce que ses membres savent ce qu’ils sont: tout d’abord, des hommes et des femmes créés à l’image de Dieu et, ensuite, des frères et des sœurs dans l’Eglise et dans la communauté chrétienne, grâce au sang de Jésus-Christ répandu pour eux. L’Eglise ne pourra subsister et être une force vive que si elle développe une pratique assurant un bon équilibre entre structure et liberté, si elle maintient toute la force des dogmes chrétiens et promeut des communautés dans lesquelles la qualité et la beauté des relations s’ajoutent à l’amour de la vérité.

Trop souvent, en écoutant les Eglises, de théologie aussi bien pluraliste qu’« évangélique » et orthodoxe, les gens n’entendent que des discours pieux. Cela devrait nous attrister, nous faire pleurer et nous pousser à demander pardon. Lorsque l’Ecriture parle de communauté et d’hospitalité, elle n’exprime pas de vagues généralités; elle évoque quelque chose de bien réel, qui a de la valeur et que l’on peut observer. Jacques écrit: « Si vous accomplissez la loi royale, selon l’Ecriture (ici, il se réfère au Christ qui l’a donnée): Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien. » (Jacques 2:8) Et aux versets 15 et 16, sous la direction du Saint-Esprit, il devient incisif:

« Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour et que l’un d’entre vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous! sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il? Il en est ainsi de la foi: si elle n’a pas d’œuvres, elle est morte en elle-même. »

Il est inutile de prétendre former une communauté ou s’aimer réciproquement si cela ne concerne pas la dure réalité de la vie; ou alors, nous offrons un spectacle bien laid au nom de la vérité. Je suis persuadé qu’aujourd’hui nos contemporains resteront indifférents à l’exposé de la saine doctrine et de stratégies ecclésiales pertinentes si nous ne manifestons pas un véritable esprit communautaire.

C’est là, non pas l’appel du monde, mais l’appel de Dieu. Le sang répandu de l’Agneau de Dieu opère une guérison réelle de tout ce qui a été atteint par la Faute. Guérison encore imparfaite, mais substantielle. Un des effets de la chute est la division entre les hommes; il nous revient de montrer que, par la grâce de Dieu, elle peut être réellement surmontée.

Le livre des Actes va encore plus avant: « Les disciples décidèrent d’envoyer, chacun selon ses moyens, un secours aux frères qui habitaient la Judée. » (Actes 11:29) De même que l’Eglise d’Antioche a renversé toutes les barrières sociales (entre le frère adoptif d’Hérode et l’esclave), de même cette Eglise, par son esprit communautaire, ne distingue pas entre Juifs et païens, non seulement en théorie, mais aussi en pratique. Quand les chrétiens d’Antioche apprennent que les Juifs d’une autre localité en Judée sont dans le besoin, ils rassemblent des fonds et chargent Barnabas et Paul d’effectuer un long voyage afin de pourvoir aux besoins matériels de leurs frères.

J’insiste: inutile de parler d’amour s’il ne se manifeste pas de façon concrète dans la vie de chaque jour. Autrement dit, si nous ne partageons pas nos biens matériels avec nos frères en Christ, qu’ils soient géographiquement près ou loin, notre amour est tout petit, pour ne pas dire inexistant.

Au tout début de l’Eglise du Nouveau Testament se trouve le récit de la mort de deux personnes qui ont menti à Dieu à ce sujet.

« Car il n’y avait parmi eux aucun indigent; tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu et le déposaient aux pieds des apôtres. » (Actes 4:34)

Les communistes disent que c’est un exemple de communisme; c’est inexact, car le communisme implique la contrainte, alors qu’il n’y a rien de tel ici. En Actes 5:4, Pierre s’adresse à Ananias:

« Lorsque tu l’avais, ne demeurait-il pas à toi? et, après la vente, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu mis en ton cœur une pareille action? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. »

L’Eglise n’a exercé aucune contrainte; l’Etat n’était pas impliqué. Une force plus grande que celle de l’Etat a poussé chaque chrétien à se soucier des besoins matériels des autres: celle de l’amour, de la fraternité, de l’esprit communautaire qui recouvre tous les aspects de la vie.

Liberté et structure

L’Eglise a-t-elle un avenir dans notre génération? Oui, si elle se conforme au modèle biblique, non seulement par son action, mais aussi par son esprit communautaire. Ne pas maintenir cette double perspective, c’est passer à côté de l’essentiel.

Nous sommes des chrétiens attachés à la pleine autorité de l’Ecriture. Certains d’entre nous ont lutté côte à côte depuis les années 30 en faveur d’un christianisme résolument biblique. C’est magnifique! Il faut tenir bon à tout prix jusqu’au retour du Christ. Cependant, comprenons bien ce que cela implique: parler si la Bible parle, se taire si elle garde le silence.

Nos ancêtres de l’assemblée de Westminster, au XVIIe siècle, l’ont compris en affirmant que l’autorité de l’Eglise est à la fois administrative et déclarative. Cela veut dire qu’en matière de doctrine et de conduite, l’Eglise n’a le droit de lier les consciences que si elle peut démontrer que le principe invoqué résulte d’une exégèse certaine de l’Ecriture.

Si l’Ecriture s’exprime formellement, nous devons faire de même. Veillons aussi à observer les mêmes silences qu’elle. A l’intérieur de chaque structure, il y a place pour la liberté. Qu’il s’agisse de suspendre un tableau, de résoudre un problème de nature sociologique ou d’élever un enfant, il en va de même. L’organisation d’une école, par exemple, et la discipline qui doit y régner, constituent un équilibre entre structure et liberté. Si la Bible est muette, une certaine liberté peut s’exercer à l’intérieur d’une structure scripturaire.

Dieu aurait pu ajouter un chapitre au livre des Actes et nous donner davantage de détails; il ne l’a pas fait. Ce n’est assurément pas une erreur de la Bible. Nous devons croire que, non seulement ce qui y est dit (par la volonté et sous l’inspiration de Dieu) est complet, mais aussi que, dans le silence du texte, la liberté de choix nous est laissée sous la direction du Saint-Esprit.

Si l’Eglise encourage l’exercice de la liberté dans des situations changeantes, il y aura des Eglises jusqu’au retour du Christ. Ne confondons pas des accidents historiques et ce qui nous agrée sociologiquement dans l’héritage du passé avec les absolus de Dieu, qu’il s’agisse de l’habillement ou de l’organisation adoptée par certaines Eglises locales dans des situations particulières.

Est-il impossible de croire que le Saint-Esprit nous conduira lorsque la Bible garde le silence? N’est-il pas vrai que nous qui voulons être des chrétiens respectueux de la Bible, nous cessons souvent de l’être lorsque nous nous mettons à enseigner que ce qui nous paraît confortable sociologiquement est aussi important que les absolus de Dieu? Je suppose que nous sommes nombreux à agir constamment de cette manière.

Telle est la raison du sentiment profondément négatif éprouvé par beaucoup. Telle est aussi la cause de tant de confusion dans les écoles et les Eglises chrétiennes. On ne comprend pas ou on minimise la différence qui existe entre les absolus de Dieu et ce qui n’est que le produit d’un accident historique.

Ayant le privilège de travailler dans plusieurs pays, j’ai pu constater que des personnes très engagées ont été conduites, à la suite d’accidents historiques, à constituer des Eglises aux structures très différentes. Ce phénomène s’observe à toutes les époques. A certains moments (au début de l’Eglise, par exemple), les chrétiens ne se réunissaient que dans les maisons. Les personnes qui, aujourd’hui, se réunissent dans de belles églises peuvent remercier Dieu de leur avoir donné un local plus grand qu’une maison. Mais attention à ne pas faire un absolu des dimensions du bâtiment dans lequel l’Eglise se réunit, ni à confondre le bâtiment, qui peut brûler, avec l’Eglise qui s’y rassemble, dont la réalité ne doit rien aux murs!

A un certain moment, Prisca et Aquilas ont eu une Eglise dans leur maison. L’était-elle moins pour autant? Assurément pas. Que faut-il en déduire? Que le Saint-Esprit a la liberté de donner des instructions variables selon les moments. A-t-il poussé votre communauté à construire une église? Je suis prêt à le croire. Cela signifie-t-il que Prisca et Aquilas ont eu tort? Non, car ils ont été conduits par le Saint-Esprit. Faut-il en conclure que vous avez eu tort? Non. L’existence de structures et l’exercice de la liberté ne s’excluent pas.

La communauté que Dieu nous appelle à rendre visible pour le monde, qui nous observe, est autant un absolu que les normes qui régissent le gouvernement de l’Eglise. Les deux vont de pair. Mais, à l’intérieur de cette double structure, le Saint-Esprit peut inspirer des personnes très variées, en des périodes différentes, pour que les Eglises répondent à des besoins diversifiés.

Le conservatisme sclérosé

L’Eglise a sa place, si du moins elle ne se sclérose pas. Trop souvent, elle se saborde elle-même en ne distinguant pas entre ce qui peut ou ne peut pas changer, en ne faisant pas preuve de disponibilité face aux directives existentielles du Saint-Esprit. Bien souvent, surtout si nous sommes conservateurs, ces directives s’opposent à nos conceptions. Il arrive qu’on nous dise conservateurs en théologie parce que nous le serions en tous domaines. Cette boutade est, parfois, juste!

Voici deux illustrations. Tout d’abord, considérons un groupe de missionnaires allemands en Amérique du Sud, avec ses structures propres et ses cultes en allemand parce qu’il en a toujours été ainsi. En arrivant chez les Indiens d’Amérique du Sud, ils leur font apprendre l’allemand pour qu’ils puissent entendre l’Evangile.

Si cela vous paraît incroyable – votre Eglise n’aurait pas été aussi stupide! -, écoutez la suite. Je connais une Eglise aux Etats-Unis où certains membres se préoccupent vraiment de la situation des Noirs. C’est une Eglise qui enseigne à aimer le Seigneur, et ses membres ont réussi une avancée significative dans leur travail avec les Noirs. L’un de ses membres a senti que c’était sa vocation particulière et il lui a consacré une bonne partie de sa vie. Chaque dimanche matin, il se lève de bonne heure, va réveiller et faire sortir de leur lit les petits enfants noirs du voisinage; il faut, en effet, les réveiller, car ils se sont couchés très tard, la veille. Cet homme aide à habiller les enfants et les amène à l’école du dimanche, où on leur donne lait et biscuits; ainsi ces petits enfants peuvent manger quelque chose.

Si ces enfants ne sont pas prêts à se lever tôt pour aller au culte, c’est parce que, dans leur ghetto, ils ont veillé la moitié de la nuit. Aussi cet homme, qui est un des anciens de l’Eglise, a-t-il suggéré de retarder l’heure du culte. Une vraie bombe! Ce changement était impensable. On peut rire ou pleurer à propos des missionnaires allemands; l’histoire américaine est tout aussi lamentable.

La plupart des « évangéliques » sont membres d’une Eglise où il n’y a pas de liturgie officielle et ils se montrent, parfois, très critiques à l’égard de toute forme liturgique stricte. En réalité, les Eglises « évangéliques » ont une liturgie qui leur est propre et revêt souvent un caractère immuable: impossible de retarder l’heure du culte de 10 heures à 10 h 45, de placer le culte l’après-midi au lieu du matin, d’en modifier l’ordre ou d’accepter que le pasteur ne prêche qu’une fois le dimanche lorsqu’il y a deux cultes: la prédication du matin, la réponse aux questions le soir, par exemple.

Il existe toutes sortes de possibilités d’organisation et des solutions variées, selon les endroits et les heures, bien préférables parfois à ce qui se passe effectivement dans la plupart des Eglises. Puissent nos Eglises être ouvertes à toutes possibilités nouvelles!

Le problème spirituel du passéisme

Refuser d’envisager le changement sous la direction du Saint-Esprit est un problème non pas intellectuel, mais spirituel. Il existe une bonne et une mauvaise façon d’être attaché au passé. La bonne traduit la pensée que certaines choses ne changeront jamais parce qu’elles correspondent à des vérités éternelles, qui doivent être maintenues avec ténacité, sans abandon aucun. Il en existe aussi une mauvaise. Lorsque je demande à de jeunes pasteurs ou à des professeurs qui sont aux prises avec ces questions: « Croyez-vous vraiment que le Saint-Esprit soit toujours ‹passéiste› au mauvais sens du terme? » ils répondent évidemment par la négative. Si nous, « évangéliques », nous devenons « passéistes » de cette façon-là, comprenons que nous sommes placés devant un problème non pas intellectuel, mais spirituel. Nous avons fait fausse route et ne sommes plus conduits par le Saint-Esprit qui, lui, n’est jamais « passéiste » au mauvais sens du terme.

L’Eglise a sa place jusqu’au retour du Christ. Il lui revient seulement de trouver un juste équilibre entre structure et liberté dans ses décisions et actions communautaires. Elle doit avoir la liberté de changer, sous la direction du Saint-Esprit, ce qui a besoin de l’être et d’effectuer au moment opportun, sans attendre, les modifications qu’appelle la situation. Sinon, je ne crois pas qu’elle puisse prétendre être vivante et avoir sa place: elle va se scléroser et le Christ en sera absent. La seigneurie de celui-ci et la direction du Saint-Esprit ne seront plus que des mots.

Soyons reconnaissants qu’une structure nous ait été proposée. Veillons à ne pas nous laisser lier par des structures non bibliques, auxquelles nous nous sommes habitués, mais qui ne constituent pas des absolus dans l’Eglise du Seigneur Jésus-Christ. Face aux règles et à la pratique de l’Eglise, il apparaît qu’à part les normes clairement bibliques, tout est négociable sous la direction du Saint-Esprit.


* F . Schaeffer (1912-1984) a fondé la communauté de l’Abri, en Suisse conférencier international, il est un des auteurs évangéliques qui ont marqué le XXe siècle.

1 « Bonnes pages » de L’Eglise à la fin du XXe siècle, chap. V, qui sera publié en 2003.

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