Daniel Saglietto – La Revue réformée http://larevuereformee.net Tue, 28 Jul 2015 10:58:48 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 LES EXUTOIRES DE LA MORT : la réincarnation, le purgatoire, l’annihilationisme http://larevuereformee.net/articlerr/n270/les-exutoires-de-la-mort-la-reincarnation-le-purgatoire-lannihilationisme Tue, 28 Jul 2015 12:58:48 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=915 Continuer la lecture ]]> LES EXUTOIRES DE LA MORT :
la réincarnation, le purgatoire, l’annihilationisme

Daniel SAGLIETTO*

Lors d’un sondage CSA/La Vie/Le Monde fait en 2003[1], à la question : « Selon vous qu’y a-t-il après la mort ? », 39 % répondirent « rien », 33% « je ne sais pas », 16% « l’immortalité de l’âme », 6% « la réincarnation » et 4% « la résurrection des morts ». Ainsi, plus de 70% de la population française entrevoyait la mort comme un néant ou une terre inconnue. Puis, à la question sur l’existence d’un jugement après la mort, 60% n’y croyaient pas (contre 54% en 1994) et 74% disaient ne pas croire à l’enfer (contre 61% en 1994). Ainsi, ce qui se passe après la mort semble inconnu à la plupart de nos contemporains, qui ne désirent pas y associer les notions de jugement ou de peines éternelles. La grande diversité  des réponses à cette question constitue comme un trésor pour nos contemporains qui leur permet d’apprivoiser quelque temps leur gêne, voire leur crainte, face à la mort. Ces réponses ne constituent pas toujours une nouveauté liée à notre temps, car elles sont souvent l’expression d’anciennes croyances plus ou moins dépoussiérées grâce à un jeu herméneutique subtil afin de les rendre plus acceptables par la mentalité matérialiste et consumériste de notre société.

Nous allons étudier trois de ces exutoires qui permettent à l’être humain d’apaiser sa gêne et sa peur face à l’inconnu : la réincarnation, le purgatoire et l’annihilation. Cette peur n’est pas forcément mauvaise, car « elle est saine, et salutaire, quand elle représente la prise au sérieux d’un danger réel et qu’elle dissipe l’inconscience ou les illusions du divertissement ‹pascalien›[2] ». Mais ces trois sorties de secours ne sont pas des solutions acceptables. Le troisième exutoire (l’annihilationisme) retiendra davantage notre attention, car cette conception de l’après-mort a été acceptée, ces trente dernières années, par nombre d’évangéliques, dont certains étaient et sont des théologiens de renom.

I. La réincarnation

Les origines de la réincarnation (dans le monde occidental) remontent au système de croyance des communautés orphiques (VIe siècle av. J.-C.), qui conjugue immortalité et cycle de réincarnation. En effet, « exilée dans le corps, l’âme doit échapper à la triste nécessité des réincarnations, elle ne peut le faire que par l’ascèse et l’initiation orphique[3] ». L’orphisme[4] fait partie de la pensée grecque. Il a  fortement influencé Pythagore, qui y ajoutera la croyance en un nombre incalculable d’âmes qui flotteraient dans l’air. Platon  a été influencé à la fois par l’orphisme et par Pythagore. On le voit dans sa doctrine de la création des âmes d’après laquelle l’âme, après une première naissance, si elle n’honore pas les dieux, ne rejoint pas son astre correspondant et est réincarnée dans le corps d’une femme, puis dans un animal (métempsycose). Aristote a rejeté cette vision, car l’âme ne saurait exister sans le corps. Mais il ajoutera que seul le noûs (cœur intellectuel de l’âme) est immortel. Par la suite, les néoplatoniciens (Plotin…) réintroduiront la réincarnation et influenceront les Pères de l’Eglise (Origène, par exemple).

Ainsi, dans la pensée grecque, la réincarnation évoque, à la fois, une fatalité dont il s’agit de se libérer et une chance de libération. On trouve aussi, évidemment, les racines de la réincarnation en Orient, dans l’hindouisme[5] et le bouddhisme[6], dans lesquels elle est comprise comme le « cercle infernal de l’existence » dont il faut se libérer (un salut qui réside dans l’arrêt des retours sur terre). A noter que cela est différent de la vision assez positive occidentale qui voit dans la réincarnation une certaine grâce. Ce cycle, par un changement de corps, a pour but d’atteindre la liberté véritable (le nirvana). Et « le principe qui commande son voyage de corps en corps est le désir, ou loi du karma. L’homme de désir va, par la vertu du karma, au but auquel son esprit est attaché. La finalité de la spiritualité hindoue est de se délivrer de cet attachement karmique afin de pouvoir se fondre dans le brahnam[7]. »

Il faut souligner que l’hindouisme ne dit pas que c’est l’âme qui se réincarne mais le soi, « le principe d’identité personnelle (atman) qui habite en chacun de nous[8] ». L’hindouisme culmine ainsi dans une mystique de délivrance[9]. A la différence, le bouddhisme promet l’autodélivrance du monde de la souffrance. Il enseigne que les âmes sont impermanentes et il les considère comme un flux quasi informel en transformation incessante. Pourtant, à la mort, une flamme de vie (et non un principe personnel) demeure et va se réincarner : « Le but thérapeutique et spirituel du bouddhisme, c’est de se libérer du cycle des réincarnations, de ce qui fait retomber dans le kâma loca, le lieu du désir[10]. » C’est ce processus infernal de la réincarnation qui empêche d’atteindre le nirvâna[11]. Il est important de comprendre que le bouddhisme en tant que tel n’offre aucun appui à une philosophie de l’immortalité de l’âme. Finalement, « la réincarnation n’apparaît dans le bouddhisme que comme un reliquat hindou, qui passe en fait à l’arrière-plan[12] ». Le bouddhisme se préoccupe moins des questions métaphysiques que d’une qualité de vie « pour atteindre la libération des aliénations et des illusions de toutes sortes[13] ».

On retrouve les idées de la réincarnation dans les courants gnostiques[14] chrétiens du IIe siècle apr. J.-C., puis dans la cabale juive[15]. En effet, dans celle-ci, les âmes des justes rejoignent Dieu après la mort. Celles des pécheurs vont dans la géhenne, le lieu des tourments. Enfin, les âmes qui n’ont été  ni trop bonnes ni trop mauvaises passeront quelques mois dans la géhenne, puis obtiendront une nouvelle chance en revenant sur terre[16]. Cette croyance a connu un essor particulier après 1492, lorsque les Juifs ont été chassés d’Espagne[17]. De nos jours, elle fait toujours partie du paysage judaïque ; elle est avant tout source de consolation face aux souffrances et aux questions d’existence et de survie, tout en s’insérant dans les données les plus traditionnelles.

La réincarnation  a également reçu un accueil privilégié dans le monde philosophique occidental. Le philosophe G.E. Leising (1729-1781)[18] la considéra comme une hypothèse plausible, source d’un progressisme historique pour l’humanité. A la différence, Arthur Schopenhauer (1788-1860), au sein de son pessimisme existentiel radical, a réduit l’âme au simple « vouloir-vivre » et a considéré la réincarnation comme un cycle interminable de naissances[19] qui assure la transmigration de notre volonté individuelle. On retrouve aussi la réincarnation dans la théosophie moderne[20] : Allan Kardec (1804-1869), les Rose-Croix, Madame Blatvasky[21] (1831-1891), Annie Besant (1847-1933), qui avaient en commun leur désir de trouver dans leur système de pensée (dont la réincarnation est la pierre angulaire) « la consolation, une relativisation du mal et de la mort, une victoire sur la matière[22] ». Puis l’anthroposophie moderne[23] (Rudolf Steiner, 1861-1925), se basant sur la dichotomie aristotélicienne de l’âme (âme individuelle et âme en soi, noûs ou esprit), envisage l’homme comme trinitaire, de telle sorte que, seul, l’esprit est impérissable et transmet la vie à l’âme. Puis, l’âme « établit le lien entre le corps et l’esprit pendant chaque réincarnation terrestre[24] ». Ainsi, pour Steiner, la souffrance provient « d’une inadéquation de l’âme aux possibilités que lui offre la vie présente et non à une malédiction du corps[25] ». La réincarnation intervient ainsi comme le processus de libération, de développement et d’autorégulation. Elle se définit ainsi comme « une projection rationaliste et optimiste d’un désir d’immortalité et d’expériences sans limites, au détriment de l’expérience concrète que l’homme fait de tous les aspects, positifs et négatifs, de la réalité[26] ». La particularité de Steiner a été de lier sa pensée anthroposophique au Christ : il voit dans le Christ l’impulsion centrale et décisive de l’histoire mondiale ; l’incarnation de Christ serait, en effet, la partie visible d’un processus cosmique qui existait déjà sur terre et, grâce au cycle des réincarnations, il serait donné à tous de rencontrer le Christ[27].

Au terme de ce bref survol, il convient de noter que la réincarnation a marqué l’humanité depuis fort longtemps au travers de cultures assez différentes. Cela a mis en relief la question de la mortalité et du devenir à laquelle on a toujours essayé de trouver une réponse, mais une réponse qui écarte la transcendance exclusive du Créateur de l’homme. Or, comme le souligne justement Cornelius Van Til : « Le christianisme peut être démontré non comme ‹aussi bien que› ou même ‹meilleur› qu’une position non chrétienne, mais comme la seule position qui ne réduise pas l’expérience humaine à un non-sens[28]. » Nous allons donc montrer succinctement pourquoi la doctrine de la réincarnation n’est ni cohérente avec l’expérience humaine, ni compatible avec la foi chrétienne.

Tout d’abord, l’ensemble du témoignage biblique définit l’homme comme une unité (une âme vivante[29]) qui a été créée par Dieu ex nihilo. Le langage biblique désigne sans équivoque chaque être humain comme une créature[30] de Dieu. Bien que chaque individu ne soit pas le fruit d’une création comme celle d’Adam, il n’en demeure que tous les êtres humains sont des créatures de Dieu dont l’origine réside dans l’activité créationnelle de Dieu. Le fait que Dieu puisse œuvrer par le biais de causes secondes ne contredit pas cela[31]. La vision cyclique de la réincarnation est aux antipodes de la vision créationnelle de la Bible. Face à cela, la doctrine de la réincarnation produit des impossibilités logiques et éthiques :

La temporalité de l’existence humaine porte (…) en elle-même, tout à la fois, la promesse de la vie, le risque de l’échec, et la possibilité réelle de la mort. Déjà, la création comme telle donne à penser que la vie humaine est unique, puisque s’y jouent la vie et la mort de chaque individu. Vouloir multiplier les existences singulières et différer la prise de risque sur plusieurs vies successives, c’est, me semble-t-il, contredire le projet créateur de Dieu et la possibilité qu’il offre à l’homme d’être responsable[32].

Dans la Bible, l’identité personnelle est limitée à un lieu spatio-temporel défini. La parole du Christ au brigand sur la croix[33] en est un bel exemple, car elle souligne la continuité post mortem d’un être humain singulier et individuel, ainsi que le caractère irréversible de la mort.

La réincarnation est également incompatible avec la sotériologie biblique. Celle-ci dépeint le caractère limité de la vie humaine dans un cadre temporel terrestre, à savoir entre sa naissance et sa mort. En effet, l’homme naturel récolte ce qu’il a semé dans sa chair (Ga 6.8), ce qui souligne le déroulement linéaire de la vie entre la naissance et la mort avec la finalité eschatologique irréversible du jugement. Nous faisons face aux notions de jugement et de responsabilité qui sont inconciliables avec la réincarnation, car, « comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, de même Christ, qui s’est offert une seule fois pour porter les péchés de plusieurs, apparaîtra sans péché une seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur salut[34] ». Le caractère unique et linéaire de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ constitue un paradigme normatif de la linéarité de la vie de chaque être humain. Il met en relief la finalité (l’étape nécessaire) du jugement de notre vie terrestre après la mort.

Ce caractère linéaire et irréversible est présent également dans la description paulinienne de la résurrection : « Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Semé corruptible, on ressuscite incorruptible. Semé méprisable, on ressuscite glorieux. Semé plein de faiblesse, on ressuscite plein de force. Semé corps naturel, on ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant. Le spirituel n’est pas le premier, c’est ce qui est naturel ; ce qui est spirituel vient ensuite[35]. » Il n’existe donc pas, dans la pensée biblique, de notion de circularité de la vie. La résurrection est l’horizon eschatologique qui l’interdit : il y a continuité entre le corps semé naturel et le corps ressuscité incorruptible, comme cela a été le cas pour Christ. Même la question épineuse de l’état intermédiaire (l’état des morts avant le retour de Christ) ne permet pas d’envisager des successions de vies cycliques. La Bible considère, en effet, la mort physique comme irréversible[36] tout en soulignant une continuité de la personne : la rencontre du Christ avec Moïse et Elie sur le mont de la transfiguration en est un bel exemple[37].

La réincarnation constitue souvent un exutoire important pour l’homme d’aujourd’hui car, face à la souffrance et à la mort, elle lui apparaît comme la promesse d’un cheminement évolutif de sa propre vie au sein de laquelle l’épanouissement de son ego serait maître[38]. Alors qu’en fait elle n’est pas autre chose qu’une fuite de ses responsabilités vis-à-vis de son Créateur. Cette vision moderne de la réincarnation tire certainement son origine dans la rencontre de la pensée évolutionniste du XIXe siècle et l’idée gnostique du retour de l’âme vers son origine[39]. En effet : « A travers ce processus évolutif, l’Ego (le Soi, la racine supramentale et spirituelle qui transmigre de corps en corps) s’auto-réalise et, en quelque sorte, se divinise, en intégrant toujours plus les expériences accumulées[40]. » La réincarnation propose une maigre consolation et une espérance frelatée centrée sur l’homme. Contrairement à cela, la Bible offre une vision « qui respecte les limites de la condition humaine et qui donne les moyens de ne pas confondre Dieu et l’homme[41] » ; elle proclame un Evangile porteur d’une vraie espérance dont Jésus-Christ seul, le logos qui s’est incarné, est la source dans sa mort et sa résurrection.

II. Le purgatoire 

A l’opposé de la vision cyclique de la réincarnation, se trouve le purgatoire. Il désigne ce troisième lieu[42] (après le paradis et l’enfer) que le Catéchisme catholique définit de la manière suivante :

Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu’assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d’obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel. L’Eglise appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés. L’Eglise a formulé la doctrine de la foi relative au Purgatoire surtout aux Conciles de Florence (cf. DS 1304) et de Trente (cf. DS 1820 ; 1580). La tradition de l’Eglise, faisant référence à certains textes de l’Ecriture (par exemple 1Co 3, 15 ; 1P 1, 7), parle d’un feu purificateur (…)[43].

Ce troisième lieu, qui est défini comme un état dans la doctrine catholique, fait partie des points majeurs inconciliables avec la doctrine biblique réformée. Quelle en est l’origine ? On peut trouver les premières racines du purgatoire chez certains Pères de l’Eglise du IVe siècle qui pensaient que « les âmes de certains pécheurs pouvaient peut-être être sauvées pendant cette période en subissant probablement une épreuve ». Mais on ne trouvera le purgatoire en tant que croyance qu’à partir du XIIe siècle : il s’installera, de façon claire, entre 1150 et 1250 et sera défini (de façon schématique) comme « le lieu de purification des péchés véniels[44] ». Sa naissance au cours du Moyen Age n’est pas un hasard, car sa formulation est étroitement liée aux transformations de la société, comme la « spacialisation » de la pensée[45] et l’abandon d’une vision binaire de la société (riches et pauvres, clercs et laïcs) et l’apparition d’une catégorie intermédiaire (classe moyenne ou tiers ordre). Le purgatoire a été une solution proposée au problème de la structure de l’autre monde. Nous pouvons citer comme racines interculturelles possibles qui auraient nourri la naissance du purgatoire, du moins son imagerie :

–  L’hindouisme, les croyances des « trois voies hindoues »[46] : on retrouvera dans le purgatoire les idées « d’une voie moyenne de salut, le passage à travers le feu, la dialectique entre les ténèbres et la lumière, les améliorations d’état entre la mort et le salut définitif, la fonction de l’au-delà comme réceptacle d’âmes qui seraient alors autrement vouées à l’errance des revenants[47] ».

–  L’Iran : l’omniprésence du feu, l’idée d’un pont qui relie la terre au ciel et « l’enfer mazdéen »[48] qui s’apparente fortement à l’idée du purgatoire.

–  L’Egypte : bien que la notion de purgatoire proprement dit ne soit pas présente, « le purgatoire infernalisé qu’on rencontrera souvent dans la chrétienté médiévale s’est sans doute en partie nourri de cet héritage égyptien », comme, par exemple, la prolifération de cartographies de l’au-delà, les peines effroyables présentes dans l’au-delà, les puits de feu et les abymes.

–  La Grèce et Rome : la descente aux enfers (catabase), dont l’une des plus connues est celle d’Ulysse dans le livre XI de l’Odyssée. La notion de purification, d’échelonnement des peines et de châtiment intermédiaire dans la vision dualiste platonicienne (avec entre autres la métempsycose).

–  Le récit de la descente aux enfers d’Enée dans l’Enéide de Virgile[49].

Les deux « inventeurs »[50] du purgatoire sont Clément d’Alexandrie (mort avant 215) et Origène (mort en 253/254). Pour Origène, la notion de « punir » était synonyme de celle d’éducation ; ainsi tout châtiment servirait au salut de l’homme[51], ce qui le poussa à voir l’enfer comme un purgatoire. Le Goff souligne avec justesse que

Origène pousse en effet à la limite la théorie de la purification, katharsis, qui lui vient de Platon, des orphiques et des pythagoriciens. Comme il ne peut admettre l’idée païenne grecque de métempsycose, de réincarnations successives, trop incompatible avec le christianisme, il croit à une variante de cette théorie qu’il estime pouvoir être chrétienne, la notion d’un progrès continu, d’un perfectionnement ininterrompu de l’âme après la mort qui lui permet, si pécheresse qu’elle ait pu être au départ, de retourner à la contemplation éternelle de Dieu, c’est l’apocatastase[52].

Mais c’est avec saint Augustin (354-430) que la doctrine du purgatoire va connaître une évolution importante, car, pour lui,

pour être sauvé du feu, il fallait avoir uni dans sa vie terrestre la foi et les œuvres. (…) Il ne faut pas simplement avoir dispensé les aumônes, il faut « avoir changé en mieux sa vie » et, en particulier, il faut s’être livré à une pénitence convenable et avoir fourni satisfaction, c’est-à-dire avoir accompli une pénitence canonique. Dans ce cas, la rémission pourra être achevée après cette vie grâce à un « certain feu purgatoire » sur lequel Augustin ne semble pas bien fixé mais qui est différent du feu éternel, du feu de l’enfer[53].

Saint Augustin avait ainsi admis l’existence d’un feu purgatoire. Ceci est important, car c’est sa conception qui, dans la préhistoire du purgatoire, décrit cette réalité prépurgatoire jusqu’au XIIe siècle et en restera un élément essentiel[54].

Ensuite, après une croissance d’écrits et de réflexions sur ce « feu purgatoire » jusqu’à la période médiévale, on peut situer la naissance du purgatoire avec l’apparition du terme « purgatoire » dans sa forme nominale et par la systématisation du terme purgatoire. Ce terme était déjà utilisé en tant qu’adjectif – feu purgatoire –, mais sa forme nominale faisait défaut. Cette utilisation se situe dans la transition du XIIe au XIIIe siècle, en plein essor de la scolastique[55], qui a fait suite à un XIIe siècle très riche en réflexions et en écrits sur le feu purgatoire. Le Goff  attribue cette nouveauté au milieu intellectuel parisien (école cathédrale du chapitre de Notre-Dame) et aux moines cisterciens de Cîteaux :

C’est au carrefour des deux milieux, entre 1170 et 1200, peut-être dans la décennie 1170-1180, sûrement dans les dix dernières années du siècle, qu’apparaît le purgatoire[56].

En 1254, le pape Innocent IV donnera la première définition du purgatoire[57] et la doctrine du purgatoire sera consolidée par les écrits de Thomas d’Aquin, qui en défend l’existence, lors du second concile de Lyon (1274)[58] (ses idées seront reprises dans le supplément de sa Somme théologique[59]). Ceci ne fera qu’approfondir le gouffre qui existe entre la théologie d’Orient et d’Occident. Les Grecs reprochent, en effet, aux Latins l’absence totale de cette doctrine dans les Ecritures et la considèrent comme une hérésie.

A noter, aussi, le rôle important que joua Dante au travers de sa composition de la Divina Comedia[60] (dont les deux premiers cantiques – « L’Enfer » et « Le Purgatoire » – furent achevés en 1319), en stigmatisant l’imaginaire de son temps et des siècles à venir dû à l’horreur et à l’effroi de ces deux dogmes. A la suite du concile de Florence (1439) qui confirmera cet enseignement, le concile de Trente (1545-1563, Session XXV) a proclamé, de nouveau, face aux accusations du mouvement de la Réforme, la doctrine du purgatoire comme étant une doctrine scripturaire. Enfin, de nos jours, la doctrine du purgatoire demeure un dogme canonique de l’Eglise catholique romaine. Le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique (2005) définit le purgatoire comme « l’état de ceux qui meurent dans l’amitié de Dieu, assurés de leur salut éternel, mais qui ont encore besoin de purification pour entrer dans le bonheur du Ciel[61] ». Le pape Benoît XVI y fit allusion dans l’encyclique Spe Salvi (2007) :

L’Orient ignore la souffrance purificatrice et expiatoire des âmes dans « l’au-delà », mais connaît, de fait, divers degrés de béatitude ou aussi de souffrance dans la condition intermédiaire. Cependant, grâce à l’Eucharistie, à la prière et à l’aumône, « repos et fraîcheur » peuvent être donnés aux âmes des défunts. Que l’amour puisse parvenir jusqu’à l’au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d’affection au-delà des limites de la mort – cela a été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles et reste aussi aujourd’hui une expérience réconfortante[62]

En tant qu’exutoire, le purgatoire offre une note d’espérance pour soi et pour les proches. Bien qu’étant inconciliable avec l’enseignement de la réincarnation, il génère, il faut le remarquer, une espérance tout aussi cyclique que la réincarnation :

La dévotion qui s’exprime par les autels et les ex-voto aux âmes du purgatoire montre que, désormais, non seulement ces âmes acquièrent des mérites, mais elles peuvent les reporter sur les vivants, leur retourner, leur rendre assistance. (…) Le système de la solidarité entre les vivants et les morts à travers le purgatoire est devenu une chaîne circulaire sans fin, un courant de réciprocité parfaite[63].

Elle est ainsi une négation de la responsabilité irréversible de l’individu durant sa vie terrestre, ce qui constitue, d’un point de vue fonctionnel, une fuite devant la responsabilité de l’homme dans sa vie personnelle face à son Créateur. Jacques Le Goff se demande si le purgatoire n’aurait pas été le « prix payé par l’Eglise pour conserver l’arme absolue, la damnation[64] ». Finalement, le purgatoire serait-il un exutoire à la fois pour l’Eglise catholique et pour le pratiquant : un baume, chez la première, afin faire accepter le dogme de l’enfer, et une seconde chance et une fuite de ses responsabilités pour l’autre ?

Notre réponse, devant cet enseignement, ne peut être qu’un soupir douloureux et une aspiration à un retour à la vérité scripturaire qui se détache, à la fois, des apports mythologiques extérieurs et des interprétations erronées qui ont jalonné l’histoire de la tradition chrétienne. Les limites de cet article ne permettent pas de présenter une exégèse poussée des textes bibliques en question. Nous soulignerons seulement que l’exégèse catholique se révèle n’être qu’une eisegèse[65] accomplie au travers des lunettes de la tradition et de reliquats de la pensée platonicienne et orphique[66].

La Bible déclare le caractère irrévocable du jugement qui suit la mort, un jugement qui tiendra compte de la vie terrestre qui aura été vécue : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ, afin que chacun reçoive selon le bien ou le mal qu’il aura fait, étant dans son corps. » (2 Corinthiens 5.10, cf. Hébreux 9.27) Ainsi la pensée d’une seconde chance post mortem est totalement absente de la pensée biblique ; celui qui rejette l’œuvre propitiatoire du Christ meurt, en effet, dans ses péchés (Jean 8.24) et recevra nécessairement le salaire de ceux-ci. La distinction catholique entre péchés véniels et mortels est infondée, car les textes qui parlent d’un péché impardonnable (Matthieu 12.31) ou qui mène à la mort (1 Jean 5.16) doivent être interprétés selon l’analogie de la foi[67]. Le salaire du péché, quel qu’il soit, est la mort[68]. Jésus est venu couvrir nos péchés dans son œuvre expiatoire substitutive[69], tous nos péchés… sans aucune spécification. Ce don est offert à tous ceux qui sont unis à lui par le moyen de la foi. Ainsi, face aux deux versets évoquant un péché à caractère irréversible et considérant l’enseignement sotériologique biblique, nous ne pouvons accepter la distinction de l’exégèse catholique qui relève d’une lecture superficielle du texte. Le commentaire de Leon Morris sur Matthieu 12.31 offre une bonne piste de réflexion exégétique :

Le péché qui ne peut être pardonné ne peut être compris comme le simple fait d’un dire. Il est impossible de soutenir qu’une quelconque phrase puisse être impardonnable si, par la suite, le pécheur se repent et se tourne vers Dieu. Jésus est en train de parler d’une manière de vivre, et non d’un dire isolé. Quand une personne se met dans une position semblable à celle des pharisiens, et quand, non à cause d’une mauvaise compréhension, mais au travers d’une hostilité envers ce qui est bon, cette personne appelle le bien mal et, d’un autre côté, fait du mal son bien, alors celle-ci se place dans une position qui empêche le pardon. Ce n’est pas parce que Dieu refuse de pardonner ; mais c’est parce que la personne qui voit le bien comme mal et le mal comme bien est incapable de se repentir, et ainsi de venir humblement devant Dieu pour demander le pardon. Et il n’y a aucune voie autre vers le pardon que la repentance et la foi. (…) Les personnes dans une telle situation ne peuvent pas se repentir et rechercher le pardon : elles manquent du discernement du péché, elles rejettent la compétence de Dieu qui déclare ce qui est bon. C’est cette attitude continue qui est le péché ultime[70].

Ensuite, l’interprétation exclusive de séjour des morts (hades ou scheol) comme lieu du purgatoire est erronée. Ce terme est polysémique et peut désigner aussi bien le monde souterrain des esprits, un état de non-être, la mort ou la tombe[71]. C’est la raison pour laquelle les interprétations en faveur du purgatoire à partir du concept de séjour des morts ne peuvent pas être acceptées car, dans l’ensemble des cas, le terme pointe vers une réalité liée à la mort, mais jamais à la notion du purgatoire tel que celui-ci est défini dans la théologie catholique.

Finalement, les passages fameux qui parlent de l’évangile prêché aux morts (1 Pierre 3.19, 4.6) sont des passages complexes et difficiles, qui ne peuvent, en aucun cas, être utilisés pour établir un paradigme sotériologique. Ces  textes parlent clairement d’un événement qui a déjà eu lieu ; il n’est donc pas possible de le systématiser en vue d’obtenir un paradigme reproductible à l’infini. W. Grudem souligne que Pierre parle de « Christ ‹en esprit› qui était en Noé et qui prêchait au travers de lui la repentance et la justice à des incroyants qui étaient sur terre et qui sont dorénavant des ‹esprits en prison› (personnes en enfer)[72] ». Puis, en 1 Pierre 4.6, l’auteur parlerait de l’Evangile qui a été prêché à des personnes mortes maintenant, qui s’étaient repenties de leur vivant en écoutant cette prédication. Mais, encore une fois, ces textes parlent d’un événement qui a déjà eu lieu et non d’une autre possibilité de salut.

Ainsi, le purgatoire comme réponse à la question de la mort et de l’enfer ne peut pas être acceptée bien qu’elle apparaisse comme une seconde chance et une consolation pour le pécheur et les proches de celui-ci. Jésus-Christ seul demeure notre unique espérance et notre seule consolation accessibles exclusivement durant notre vie terrestre par le moyen de la foi. En effet, celui qui ne naît pas de nouveau ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu.

III.  L’annihilationisme  

L’annihilationisme est une question épineuse et très sensible, étant d’abord un refus, très souvent émotionnel, de la vision traditionnelle de la manifestation eschatologique du jugement de Dieu. Certains l’ont justifié avec des arguments assez osés comme celui-ci :

Laissez-moi vous dire que je considère que le concept de l’enfer comme tourment physique et psychique éternel est une doctrine scandaleuse, une énormité théologique et morale, une mauvaise doctrine traditionnelle qui doit être changée. Comment les chrétiens peuvent-ils décrire un dieu d’une telle cruauté et si vindicatif, dont les actions incluent de soumettre ses créatures, aussi pécheresses qu’elles soient, à des tortures éternelles ? Certainement, un dieu qui agirait ainsi ressemblerait plus à Satan qu’à Dieu, du moins selon nos standards moraux ordinaires, et selon l’Evangile lui-même… Certainement, le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas un démon ; torturer les gens sans fin n’est pas ce que notre Dieu fait[73].  

Il existe plusieurs formes d’annihilationisme ; nous distinguerons les trois formes principales[74] :

–  La vision matérialiste qui lie à la mort du corps la destruction totale de la personne. Cette vision n’est pas présente dans les théologies chrétiennes.

–  L’immortalité conditionnelle : c’est la vision de l’annihilationisme la plus répandue dans les cercles chrétiens. Elle prône, à l’opposé de toute vision platonicienne de l’âme, la mortalité de l’âme et souligne que celle-ci ne revêtira une immortalité que sous certaines conditions, à savoir le don de Dieu dans son offre du salut. Ainsi, tous ceux qui rejettent l’offre du salut de leur vivant demeurent dans un état de condamnation, et leur peine sera la destruction finale de leur personne[75]. Le jugement de ces personnes s’accomplit dans cette destruction. Généralement, cette destruction est située après un temps post mortem pendant lequel la personne aura vécu la colère de Dieu[76]. Il y a donc un châtiment dont le pécheur est conscient, mais qui n’est pas éternel[77].

–  L’annihilationisme proprement dit considère l’âme humaine comme immortelle. Ainsi, la personne meurt totalement non pas simplement à cause de sa mort physique, mais suite à un jugement direct de Dieu. Cette destruction intervient au moment de la mort ou après la mort, à la fin d’une période de punition.

Dans les trois cas, l’objectif est le même : l’âme de la personne impénitente est détruite, elle ne vit pas des tourments éternels. Le fait de vouloir insister sur la notion de peines éternelles dans la vision traditionnelle ne provient pas du désir pernicieux de voir souffrir le méchant. Il exprime surtout le désir de rester fidèle aux Ecritures. Ainsi, nous sommes face à une question douloureuse qui appelle une réponse permettant de savoir si la vision traditionnelle du jugement eschatologique, à savoir un châtiment éternel et conscient de l’homme pécheur, est bien biblique.

Ce rejet de toute vision de l’enfer comme châtiment éternel et conscient n’est pas propre au XXIe siècle. Comme le souligne Richard Bauckham : « Jusqu’au XIXe siècle, la quasi-totalité des théologiens enseignaient la réalité des tourments éternels en enfer. Ici et là, en dehors du courant dominant théologique, il y avait quelques personnes qui croyaient que l’impie serait finalement annihilé. (…) Même quelques-uns furent les avocats d’un salut universel, parmi lesquels des théologiens importants de la période patristique. (…) Depuis 1800, la situation a entièrement changé, et aucune autre doctrine chrétienne n’a autant été abandonnée de façon aussi générale que la doctrine de la punition éternelle[78].

En effet, dès la période patristique, Origène avait une vision assez hétérodoxe de l’enfer. Il estimait que les feux de l’enfer détenaient une vertu purifiante :

Donc la fin du monde et la consommation viendront quand les pécheurs auront achevé de subir un châtiment proportionné à leurs crimes. Dieu seul en connaît le temps. Mais nous pensons que la bonté de Dieu, par la médiation du Christ, ramènera toute créature à une même fin, après avoir dompté et assujetti les ennemis… En effet, la fin est toujours semblable au commencement ; et comme la fin de toutes choses est une, le commencement doit avoir été un. Tous les êtres, malgré leur diversité, ont une même fin ; ainsi d’un commencement identique sont sorties les variétés et les différences actuelles qui, par la bonté de Dieu, dans la soumission au Christ et l’unité du Saint-Esprit, seront ramenées à un même dénouement, semblable à l’origine[79].

Voici les quatre principaux arguments le plus souvent avancés[80] :

–  Le vocabulaire biblique de la destruction et la mortalité de l’âme humaine. Le vocabulaire lié à la destruction doit être compris comme une destruction totale (Matthieu 10.28). La Bible ne décrit pas l’âme comme étant immortelle en son essence ; c’est cela même qui cause sa destruction finale, Dieu ne lui donnant pas cette grâce de la vie éternelle qui réside en Christ seul.

–  L’imagerie du feu de l’enfer. Elle a pour but d’exprimer l’efficacité du jugement et de son accomplissement total et radical, et non le fait d’un jugement qui perdure. Elle est avant tout de nature qualitative et non quantitative.

–  L’argument de la justice de Dieu et de la proportionnalité des peines. Comment Dieu pourrait-il infliger une torture éternelle à un pécheur qui n’a été tel que pendant le temps limité de sa vie ? Ou pour des péchés qui ont un caractère fini et limité ? Cela serait disproportionné, déraisonnable et contraire au Dieu qui se définit aussi comme étant Amour.

–  L’argument universaliste. Comment la victoire eschatologique de Dieu qui sera tout en tous (quand la réconciliation cosmique accomplie à la croix sera consommée)  pourrait-elle s’accommoder d’un lieu où le péché, la rébellion et le jugement continueraient de s’exercer ?

Chacun de ces arguments mériterait un traitement approfondi dépassant le cadre de cet article[81]. Nous énoncerons seulement les principaux arguments bibliques qui démontrent que la vision scripturaire du jugement eschatologique des impénitents ne peut pas correspondre à la vision annihilationiste de l’enfer.

1. Le vocabulaire de la destruction et l’immortalité de l’âme

Le langage biblique possède clairement une certaine valeur métaphorique, car, par exemple, comment pourrait-on concilier les termes « ténèbres »[82] et « feu »[83] qui désignent tous deux la même réalité de l’enfer. Mais la valeur métaphorique du langage utilisé n’est pas là pour vider de son sens la réalité que décrit la Bible. Au contraire, un tel langage est utilisé pour dépeindre avec vivacité une réalité effroyable et réelle évoquée lorsque le sujet de l’enfer est abordé. Il y a un rappel vétérotestamentaire indéniable[84] du caractère vindicatif du jugement. L’appropriation de ces images fortes de jugement qui est faite dans le Nouveau Testament ne peut pas être réduite à une lecture horizontale limitée à cet aeon, sous prétexte que le sens concret et direct pouvait en être légitimement déduit par les premiers auditeurs dans nombre des prophéties vétérotestamentaires. En effet, les auteurs du Nouveau Testament ne le permettent pas étant donné le vocabulaire sur la souffrance et sur l’éternité qu’ils associent à cette imagerie vétérotestamentaire. Par exemple, on lit en Matthieu 25.46 : « Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle. » Or le mot grec « éternel » ne peut pas avoir deux sens différents dans la même phrase : la notion du don de la vie eschatologique qui se prolonge dans l’éternité (une succession infinie de temps) est ici contrastée avec la notion du châtiment éternel, un châtiment qui perdure éternellement ; de sorte que celui-ci est parallèle à la vie qu’ont reçue les élus. De plus, ce châtiment est qualifié quelques versets plus tôt (verset 41) comme « le feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges ». Ainsi, avec la description du caractère psychologique de ce châtiment faite en Matthieu (8.12, 13.42, 13.50, 22.13, 24.51, 25.30) et de l’apport intertextuel justifié des passages tels que Apocalypse 14.10 et 20.10, il nous est impossible de nier la dimension psychologico-temporelle (peines éternelles) qui caractérise ce châtiment éternel, cette seconde mort qui est le juste salaire des cœurs impénitents de leur vivant.

Les images vétérotestamentaires de « vers qui ne meurent pas » ou de « feu qui ne s’éteint pas », qui détenaient nécessairement une dimension physique, finie et temporelle dans leur compréhension in situ, étaient porteuses, dans une dynamique typologique, d’une réalité bien plus effroyable ex situ, c’est-à-dire dans l’appropriation néotestamentaire qu’en ont fait les auteurs apostoliques. Cet emploi voulait clairement lier les notions de jugement et de souffrances éternelles. La parabole de Lazare et du riche (Luc 16) en est un très bon exemple.

Parallèlement à cela, il convient de souligner que c’est avec raison que le monde évangélique a été averti de ne pas avoir une anthropologie platonicienne, qui voyait l’homme comme une âme immortelle enfermée dans un corps. Bien qu’une telle réflexion soit juste[85], elle mérite néanmoins d’être réenvisagée de façon équilibrée. En effet, la Bible ne reconnaît jamais à l’âme une propriété intrinsèque d’éternité, mais elle n’envisage pas non plus une non-existence post mortem :

(…) La mort retranche l’homme pécheur de la communion des vivants et lui ôte ses capacités d’action, pour l’empêcher de continuer à sévir (…), l’homme ne cesse pourtant pas d’exister. Tel est le privilège – à double tranchant – de l’être créé en image de Dieu : même coupé de la Source de la vie, il ne meurt pas comme les bêtes (Qohéleth 3.19, 12.7)[86].

Et c’est bien cette erreur que font les annihilationistes : en s’appuyant sur ce caractère de mortalité de l’homme, ils y associent un raisonnement sotériologique, imposant ainsi à une caractéristique anthropologique vraie un raisonnement eschatologique étranger aux Ecritures :

Mais l’erreur qui vicie l’effort démonstratif d’un Fudge, c’est la confusion entre la mort et la non-existence ; elle procède pour une part d’une lecture trop rigide des métaphores (la ruine, strictement, n’anéantit pas, mais désorganise, défait) et, d’autre part, d’une pétition de principe associée à une intuition passionnément retenue. Qu’on analyse la notion de mort (de la première mort, à partir de laquelle se forme le concept ensuite transposé pour la seconde mort), et l’on verra qu’elle est, pour l’Ancien Testament déjà, une forme d’existence, marquée par la coupure des liens et l’incapacité d’agir (« retranché de la terre des vivants » ; le thème de la disparition concerne précisément la scène des vivants). L’évocation du she’ôl, en Esaïe 14 ou Ezéchiel 32, ne laisse aucun doute. Fudge ignore superbement le judaïsme intertestamentaire, pour lequel la doctrine d’un châtiment perpétuel se dessine nettement : des adversaires du Seigneur, Judith, par exemple, déclare qu’« ils pleureront dans la souffrance à toujours » (16.17, klausontaï en aïsthèsei héôs aiônos). Harmon relève que Fudge doit faire se succéder la souffrance (qu’il conserve pour une durée limitée, afin de sauvegarder la gradation des peines) et l’annihilation, alors que l’Ecriture ne suggère rien de pareil mais fait de la destruction même le châtiment douloureux[87].

De plus, un tel raisonnement ne résiste pas aux paroles du Christ : « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement. » (Jn 5.29) Comment peut-on ressusciter pour un jugement tout en étant dans un état de non-existence ? Ou alors faut-il comprendre le jugement comme l’annihilation ? Or cette dernière option est inconcevable, car elle introduirait une certaine incohérence dans les paroles du Christ ;  elle signifierait que le jugement est finalement une sorte d’euthanasie eschatologique libératrice qui rendrait le bien-être de l’homme impénitent prioritaire par rapport à la juste et sainte colère divine. Et surtout, elle négligerait totalement l’arrière-plan vétérotestamentaire de cette parole, à savoir Daniel 12.2, où ce jugement est décrit comme : « l’opprobre, pour la honte éternelle ». Une fois de plus, nous voyons que le jugement éternel est caractérisé par la notion de tourment éternel.

2. Responsabilité, justice de Dieu et proportionnalité des peines

La perspective non traditionnelle soulève un autre problème : celui d’une cohérence entre la responsabilité de l’homme et le jugement divin. Tout d’abord, la notion d’une destruction finale dévalue le caractère décisif de la vie sur terre et de la responsabilité humaine dans le jugement divin[88].

Dieu, en maintenant cette existence [post mortem], honore la responsabilité (faculté de lui répondre) liée à la création en image de Dieu : c’est pourquoi il y a une suite à l’événement de la mort, qui n’est un « point final » que pour l’apparence terrestre, à savoir l’état intermédiaire pour « les garder punis » (kolazoménous tèrein, 2 Pierre 2.9) en attendant le jugement, puis la résurrection « pour la honte éternelle », puis le jugement, puis le châtiment final. La destination paraît solidaire du privilège de l’image de Dieu, puisqu’elle distingue l’homme de l’animal: le « souffle » (ou esprit, rûah) de l’homme monte vers le Créateur alors que celui de la bête descend et se dissipe (Qohéleth 12.7, répondant au doute et à la question de 3.19-21). (…) Le langage de l’Ecriture conduit à dire que la vie, dont a bénéficié l’individu, est alors passée. Il existe en relation avec ce passé, portant le poids de sa responsabilité, fixé dans la conscience finale d’avoir vécu à contresens ; d’accord avec Dieu, il abhorre ce qu’il a été (Daniel 12.2), et c’est son tourment fixe dans une durée sans devenir ; il sait seulement, puisqu’il ne peut plus ignorer la vérité, qu’il est par là même rendu à l’ordre des créatures et contribue par son exclusion à « sanctifier » le Seigneur. L’avantage d’une telle perspective, outre qu’elle permet de proclamer l’entière victoire du Christ, est de faire ressortir comme une évidence la justice du châtiment et sa parfaite proportion avec la responsabilité : il s’agit précisément de percevoir la vérité de la conduite passée. Il apparaît aussi (de façon presque certaine) que le châtiment est objectivement (et donc subjectivement, pour toute créature) préférable au néant. Certains auteurs ont déjà affirmé cette préférence, même avec la représentation courante des peines éternelles, tant ils sentent contraire au statut de l’humanité une simple annihilation ; l’élucidation proposée confirme cette intuition. Jésus a dit du réprouvé qu’il eût mieux valu pour lui n’être pas né (comparant son sort à celui de l’enfant mort dans le sein de sa mère), et non pas qu’il eût mieux valu ne pas avoir été[89].

Nous atteignons là le point névralgique, le talon d’Achille du raisonnement annihilationiste : la mesure de la responsabilité de l’homme dans sa réponse à son Créateur est à la mesure de la valeur même du Créateur. C’est un argument rejeté en bloc par les partisans adverses du fait qu’ils considèrent que le jugement eschatologique du perdu doit être proportionnel à sa faute, celle-ci étant essentiellement mesurée de façon horizontale, c’est-à-dire au niveau de ses conséquences terrestres. Ce raisonnement de proportionnalité est, certes, juste dans la perspective des rétributions matérielles au sein du système cultuel vétérotestamentaire de la loi du talion, mais il est totalement étranger à la façon dont Dieu juge et condamne le pécheur, et cela dès l’Ancien Testament. En effet, quel type de proportionnalité est-il présent dans la condamnation de la chute adamique, par laquelle le péché et la mort sont entrés dans le monde, ont touché et condamné l’humanité entière qui n’était pas encore là (Rm 5.12-21) ? Et que dire de ce verset : « Car le salaire du péché, c’est la mort (…)[90] », dans lequel on observe que la même peine capitale est encourue pour n’importe quel péché. Ce concept de proportionnalité ne répond pas aux critères bibliques : il est anthropocentrique alors que la justice de Dieu est théocentrique et théonormée. C’est Dieu seul qui est la norme et la mesure de sa justice et ainsi de son jugement. Dans la problématique du péché, c’est bien lui qui est le principal offensé[91] et le jugement comme le châtiment qui est donné répondent aux exigences de la gloire et de la sainteté de Dieu.

Voilà pourquoi le sacrifice de milliers de taureaux ou d’agneaux ne pouvait effacer une seule faute du cœur de l’homme (Hé 10), car le locus de l’offense ne se trouve pas au niveau de l’homme mais au niveau de Dieu. Voilà pourquoi les auteurs du Nouveau Testament ont utilisé les notions de propitiation : ils soulignaient par là que, avec en arrière-plan le sang des animaux versé sur le couvercle propitiatoire de l’arche une fois par an (Lv 16), l’expiation et le pardon des péchés étaient, avant tout, une conséquence du fait que la colère et le jugement de Dieu dus à notre péché avaient été « détournés » au moyen d’une offrande substitutive (Jésus-Christ). C’est cet acte expiatoire et propitiatoire qui est le fondement d’une relation rédemptrice entre l’offensé (Dieu) et l’offenseur (le pécheur repentant). C’est dans ce cadre allianciel que Dieu se réconcilie et devient propice à sa créature[92]. Nous découvrons ainsi que l’ampleur de notre faute a nécessité que l’offrande substitutive ne puisse être que Dieu lui-même s’incarnant parmi nous et « s’offrant en rançon pour nous ». Ceci confirme clairement que la gravité de notre faute est à la mesure de la grandeur et de la gloire du Dieu que nous avons offensé et que, seul, Dieu lui-même, s’offrant à nous en devenant pleinement homme, pouvait être une offrande substitutive acceptable. On pourrait alors dire qu’il y a effectivement une certaine proportionnalité des peines, mais elle devra être comprise à la mesure de l’offrande substitutive qui a été acceptée par Dieu, à savoir Dieu le Fils lui-même, qui s’est incarné et s’est offert pour son peuple. En termes de jugement, c’est bien Christ qui a pris le jugement de son peuple, ce jugement qui demeure sur ceux qui préfèrent les ténèbres (Jn 3.18). Ainsi, quelle serait la période de souffrance post mortem acceptable (pour un homme pécheur) et donc de commune mesure avec la beauté ineffable, la valeur incommensurable et la gloire éternelle de Jésus-Christ notre Seigneur ? Aucune, en termes de période finie. Seule l’éternité peut rendre compte du gouffre infranchissable qui nous sépare de la qualité de la personne qui mourut sur la croix. Seule l’éternité peut rendre compte de la gloire éternelle qui fut bafouée lors de la chute et qui l’est encore toutes les fois que l’homme préfère adorer la créature plutôt que le Créateur qui est béni éternellement. Ceci a été souligné, il y a longtemps, par Thomas d’Aquin (qui s’appuyait lui-même sur Anselme) :

L’étendue de la peine répond à l’étendue de la faute (…) (cf. Deut 25.2) (…) Or le péché que l’on commet contre Dieu est infini. Car l’offense est d’autant plus grave que la personne contre laquelle on pèche est plus élevée. Ainsi, c’est un plus grand crime de frapper un prince que de frapper un particulier. Et comme la grandeur de Dieu est infinie, il s’ensuit qu’on doit infliger un châtiment infini pour un péché commis contre Dieu[93].

Clarck Pinnock[94] fait remarquer à juste titre que cette comparaison est caduque du fait que Thomas d’Aquin imposait une différence de valeur en fonction des catégories sociales. Thomas d’Aquin a été très certainement influencé par sa propre culture et par l’argument ontologique d’Anselme. Néanmoins, sa réflexion demeure pertinente en termes d’analogie, car l’offensé est notre Dieu Créateur et nous ne sommes que créatures : « La chose essentielle est que les degrés de la légitimité de notre blâme ne dérivent pas de la quantité de temps pendant laquelle nous avons offensé Sa dignité, mais du fait que combien est grande Sa dignité que nous avons offensée[95]. » Nous nous devons donc de prendre en compte la réalité Créateur/créature dans notre appréciation du degré des peines et du jugement que mérite notre péché.

Enfin, il nous est souvent rétorqué qu’une telle vision de l’enfer est incompatible avec le fait que Dieu est amour. Soulignons, d’abord, que cet argument est devenu très emblématique de notre génération, en partie à cause de l’individualisme et de la surenchère de la place du ressenti et des émotions humaines dans la société occidentale. Néanmoins, la Bible définit la manifestation de l’amour de Dieu dans l’acte historique le plus injuste qu’il ait été donné de voir dans toute l’histoire de l’humanité : la mort de Jésus-Christ[96]. Au travers de l’infamie de l’œuvre de la croix (qui a été l’expression de la volonté et de l’amour de Dieu[97]), nous ne pouvons pas voir une contradiction entre l’amour que Dieu peut manifester à ses créatures et sa justice, même si cela peut constituer un paradoxe dans notre compréhension : « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sévérité envers ceux qui sont tombés, et bonté de Dieu envers toi, si tu demeures dans cette bonté ; autrement, toi aussi tu seras retranché[98]. » Ceux qui seront jugés en enfer seront séparés de la communion avec Dieu et de son amour[99]. Ils seront sous la colère eschatologique active de Dieu. En effet, Paul parle de deux types de colère de Dieu dans ses épîtres : une colère et un jugement présents et actifs qui se manifestent dans le fait que Dieu a livré l’humanité aux ténèbres de la dynamique de sa propre rébellion (Romains 1.18-32 ; Ephésiens 4.17-19 ; 1 Thessaloniciens 2.16) ; mais aussi une colère active future, eschatologique (Romains 2.5, 8 ; 1 Thessaloniciens 1.10, 5.9). Cette dernière colère ne possède aucune vertu réformatrice, comme le pensaient les platoniciens de Cambridge du XVIIe siècle, Sterry et  White. Elle est vindicative et finale, comme le soulignent les versets précédemment cités. Ainsi, il n’est pas acceptable d’enfouir la réalité biblique de la colère vindicative de Dieu dans son jugement eschatologique envers les pécheurs sous prétexte de la définition que nous aimerions donner à l’amour de Dieu[100].

Au terme cette étude sur l’annihilationisme, nous pouvons conclure que cette doctrine est bibliquement infondée. Elle constitue un exutoire face aux réalités que sont la sainteté de Dieu, le jugement et la colère de Dieu. Le malheur est que cette pensée est aussi un exutoire évangélique pour ceux d’entre nous qui, refusant de comprendre la justice comme étant théocentrique et théonormée, imposent une surcharge émotionnelle humaine sur la compréhension de l’amour de Dieu. Il est bien vrai que la question de l’enfer est parmi les doctrines les plus pénibles de l’enseignement biblique… elle doit être maintenue pour que l’Eglise continue à proclamer un Evangile biblique qui préserve un juste équilibre entre la profondeur tragique du péché et la gloire incommensurable de l’œuvre substitutive accomplie par Christ pour son peuple.

Conclusion 

Les exutoires étudiés, bien qu’ils ne soient pas identiques, sont néanmoins l’expression flagrante du rejet d’une vision théocentrée de la mort (en tant que jugement) ainsi que du rejet d’une compréhension théonormée de la justice de Dieu. Ils suscitent une dégradation, voire une destruction, de la responsabilité de l’homme durant sa vie terrestre. De prime abord, on pourrait penser que la raison fondamentale de l’existence de tels exutoires est la peur et la crainte de cette inconnue qu’est la mort. Cependant, nous ne pensons pas qu’il en soit ainsi ; ces exutoires sont plutôt malheureusement l’expression du rejet du caractère absolu et saint de Dieu, tel qu’il se révèle dans les Ecritures et tel qu’il s’est révélé tout au long de l’histoire de la rédemption. Ce rejet entraîne nécessairement le rejet ou, du moins,  l’incompréhension (dans le cas de l’annihilationisme) de la mort et de la résurrection du Christ : c’est là que la gloire de Dieu est la plus manifeste pour l’homme ; c’est là aussi que nous pouvons comprendre le caractère irréversible de la mort, le jugement inéluctable et sans compromis de l’homme et la glorieuse justice du second Adam qui, elle seule, est source de la vie eschatologique par le Saint-Esprit. Jésus-Christ demeure l’unique réponse vraie et nécessaire face à la mort :

–  Sa vie, sa mort et sa résurrection soulignent l’impossibilité de la folie circulaire de la  réincarnation : Jésus est le seul chemin, une voie qui ne contient pas de carrefours giratoires perpétuels.

–  La manifestation de la justice divine dans la résurrection de Christ ne peut admettre  le purgatoire : Jésus est le seul chemin et seule sa justice nous réconcilie avec Dieu.

–  Le jugement que Christ a supporté à notre place sur la croix n’a pas été une annihilation de sa pleine et entière humanité, mais bien les tourments liés à la sainte colère de Dieu contre notre péché. L’événement historique de la mort et de la résurrection du Christ sont les loci bibliques par excellence qui permettent de comprendre, à sa juste mesure, la manifestation de la justice de Dieu vis-à-vis de notre péché.


* D. Saglietto est étudiant en master à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence et chargé des cours de grec.

[1] http://medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sondage030416.pdf (18.09.2012).

[2] H. Blocher, « Les peines éternelles », in La Revue réformée, n° 206, 2000/1.

[3] D. Müller, Réincarnation et foi chrétienne, Genève, Labor et Fides, 1986,15-16.

[4] Orphée est un personnage mythologique, fils du roi Thrace Œagre et de la muse Calliope. Il savait charmer les animaux et émouvoir les êtres inanimés avec sa lyre.

[5] IIIe millénaire av. J.-C.

[6] Ve siècle av. J.-C.

[7] D. Müller, Réincarnation et foi chrétienne, Labor et Fides, 1986, 20.

[8] Ibid., 21.

[9] Dans son livre, Müller souligne la contradiction mise en lumière par Schweitzer, qui a montré que la pensée brahmanite (la plus ancienne) ne comportait ni négation du monde, ni mépris mystique pour l’éthique. Elle entrevoyait plutôt un salut universel où toutes les âmes seraient unies à Brahman. Alors que la doctrine de la réincarnation présuppose un processus de punition et une vision de la matière considérée comme une entrave.

[10] D. Müller, op. cit., 27.

[11] Le nirvana est à la fois un rien ; ce n’est pas un lieu mais un état de délivrance, de non-désir. Mais pour l’école Vaibhâsika, il est un lieu de béatitude.

[12] D. Müller, op. cit., 28.

[13] Ibid., 28.

[14] Le livre le plus connu fut alors « Le livre secret de Jean ». Les gnostiques interprétaient la parole de Paul : « je vivais autrefois sans Loi » (Rm 7 .9) de la manière suivante : « Avant de venir dans ce corps, je vivais dans une espèce de corps qui n’est pas sous la Loi : un corps de bétail ou d’oiseau. » (D. Müller, op. cit., p.30).

[15] Courant juif entre le IIe siècle et le XVIe siècle, dont le rabbi Siméon Bar Yochaï fut le fondateur.

[16] Le Ghilgoul, ou la migration des âmes.

[17] Ecole d’Isaac de Louria qui écrit le Livre des transmigrassions de l’âme.

[18] Il comprend la réincarnation comme « la possibilité d’acquérir de nouvelles connaissances et d’accomplir de nouvelles réalisations ». D. Müller, op. cit., 38.

[19] Cycle englobant la métempsycose et la palingénésie (cf. A. Schopenhauer, Métaphysique de la mort, Paris 10/18, 160).

[20] Elle est un mouvement syncrétique qui se base sur les traditions hindouistes et bouddhistes. Elle constitue un mouvement philosophique ésotérique qui tente de connaître « le Divin et les mystères de la vérité » au travers d’un système initiatique.

[21] Madame Blatvasky, Doctrine secrète, 1888. Elle définit la réincarnation de l’Ego (qui est septénaire) de la façon suivante : « L’Ego intérieur qui se réincarne en revêtant corps après corps, qui emmagasine les impressions des vies successives, qui acquiert l’expérience et l’adjoint à l’Ego divin (l’Esprit ou atma), qui souffre et qui jouit durant une immense période d’années, est le cinquième principe, manas. » Clés de la Théosophie VI, Le livre de la réincarnation, 536, cité dans D. Müller, op. cit., 49.

[22] D. Müller, Réincarnation et foi chrétienne, op. cit., 52.

[23] « L’anthroposophie est avant tout une pratique, une pratique de transformation personnelle et sociale qui permet de concilier recherche spirituelle et engagement quotidien, éducation de soi et évolution du monde. L’homme s’auto-éduque par un effort de conscience dans son expérience de la réalité sensible et suprasensible. Cet effort repose sur l’activité de l’âme avec toutes ses facultés, celles de la pensée, celles du cœur et celles de la volonté. » Définition donnée sur le site www.anthroposophie.fr (22.09.2012).

[24] D. Müller, op. cit., 58.

[25] Ibid., 59.

[26] Ibid.

[27] Ibid., 62.

[28] C. Van Til, A Christian Theory of Knowledge, 1969, 19, cité dans Greg Bahnsen, « The Crucial Concept of Self-Deception », WTJ, Spring, 1995, vol. 57/1, 3.

[29] Gn 2.7, 1 Co 15.45.

[30] Jb 31.15, Col 1.16ss.

[31] En ce qui concerne l’origine de notre âme, nous n’entrerons pas dans le débat qui oppose traducianistes et créationistes, bien que nous pensions que la Bible soit clairement plus du côté d’une vision créationiste (Es 42.5), cf. W. Grudem, Théologie systématique, Excelsis, 2011, 530.

[32] D. Müller, op. cit., 113.

[33] Lc 23.43.

[34] Hé 9.27-28.

[35] 1 Co 15.42-46.

[36] Mt 10.39.

[37] Lc 9.30ss. La parabole de Lazare et du riche est aussi un très bon exemple de cette irréversibilité et de la responsabilité éthique individuelle qui interdit toute espérance d’une réincarnation. Ce qui est d’autant plus intéressant dans cette parabole est le fait que, lorsque la possibilité d’un retour sur terre est demandée par le riche, la réponse d’Abraham souligne que ce retour se ferait par une résurrection et non une réincarnation qui dépersonnaliserait la notion d’individu. Il y a là un profond présupposé biblique : l’homme est unique en tant que personne et son corps lui est propre, il n’est pas interchangeable avec un autre corps, il est uniquement ressuscitable. L’homme est un être singulier personnel dont la vie est inscrite dans un continuum de vie linéaire et responsable qui interdit toute circularité.

[38] Il faut noter qu’une telle vision est contraire à la vision hindouiste ou bouddhiste traditionnelle dont la finalité est la libération de ces cycles de réincarnation.

[39] D. Müller, op. cit.,116.

[40] Ibid.

[41] Ibid., 118.

[42] Nom donné par Luther, cf. J. Le Goff, La naissance du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, 9.

[43] Catéchisme du Vatican (1992), articles 1030 & 1031 de 1-2-3-12 (Art. III), http://www.vatican.va (23.09.2012).

[44] J. Le Goff, La naissance du purgatoire, Gallimard, 1981, 17. Par opposition au péché mortel, le péché véniel est  défini ainsi : « On commet un péché véniel quand on n’observe pas dans une matière légère la mesure prescrite par la loi morale, ou bien quand on désobéit à la loi morale en matière grave, mais sans pleine connaissance ou sans entier consentement. » Catéchisme du Vatican (1992), articles 1862 de 3-1-1-8 (Art. IV), http://www.vatican.va.

[45] Voir J. Le Goff, op. cit., 13.

[46] Dans les premières Upanishad au VIe siècle av. J.-C.

[47] J. Le Goff, op. cit., 33.

[48] Issue de la religion mazdéenne d’Iran, dont le dieu principal est Ahura Mazda.

[49] Récit qui s’inspire largement de l’Odyssée et qui fut écrit entre 29 et 19 av. J.-C.

[50] J. Le Goff, op. cit., 79.

[51] Ibid., 80. « Celui, dit-il, qui est sauvé par le feu est purifié, de manière à ce que le feu cuise et résolve tout ce qu’il y a en lui de vil alliage, pour faire de lui un or fin. » (Origène, Homil. 6 in Exod., cité dans Abbé Théodore Perrin, Le purgatoire : Traité historique, dogmatique et moral, 1837, 230.) Nous pouvons trouver d’autre citations pertinentes dans les écrits suivants : De Principiis, II, 10, 6 ; De Oratione, 29 ; Patres Groeci, XIII, col. 445, 448.

[52] Voir  J. Le Goff, op. cit., 83.

[53] Ibid., 105. Voir dans les écrits de l’Enchiridion 69-70 de saint Augustin ainsi que dans la Cité de Dieu, Livre XXI (chapitres XIII, XXIV & XXVI).

[54] Voir J. Le Goff, op. cit., 117.

[55] « Enseignement philosophique qui fut donné en Europe du Xe au XVIe siècle et qui consistait à relier les dogmes chrétiens et la Révélation à la philosophie traditionnelle dans un formalisme complet sur le plan du discours. (Cet enseignement était fondé sur les concepts grammaticaux, logiques, syllogistiques et ontologiques issus d’Aristote.) » (Larousse)

[56] Voir  J. Le Goff, op. cit., 229.

[57] Ibid., 380.

[58] Ibid., 381.

[59] Ibid., 357-372.

[60] Ibid., 449.

[61] Question 210. http://www.vatican.va/archive/compendium_ccc/documents/archive_2005_compendium-ccc_fr.html (23.09.2012).

[62] Article 48 dans Benoît XVI, Spe Salvi. http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20071130_spe-salvi_fr.html (23.09.2012).

[63] Ibid., 482.

[64] Ibid., 485.

[65] Lecture et interprétation subjective du Texte pour y trouver le sens que nous voulons y trouver.

[66] « La doctrine platonicienne est dominée par l’idée qu’il y a dans la faute une part de volonté, donc de responsabilité, et une part d’ignorance qui ne peut être effacée par un processus complexe. Le sort des âmes dépend donc à la fois de leur propre choix et d’un jugement des dieux. » (Le Goff, 37) Platon a donc vu dans les cycles de la réincarnation une via media entre l’enfer et la contemplation parfaite. Ainsi, le purgatoire est le lieu où « les âmes qui ne sont pas assez coupables pour mériter des peines éternelles achèvent de se purifier », et ceci « proviendrait de l’hellénisme païen et particulièrement des doctrines orphiques » (Le Goff, 39).

[67] Dans le respect de l’enseignement de toutes les Ecritures canoniques (ce qui pose un problème vis-à-vis de la dogmatique catholique, qui reconnaît beaucoup d’écrits apocryphes comme canoniques et qui donne une place normative aux écrits de la tradition), les passages les plus clairs étant ceux qui sont utilisés pour éclairer ceux qui sont le plus obscurs.

[68] Rm 6.23.

[69] 1 Jn 3.9, 4.10.

[70] Leon Morris, Matthew, Grand Rapids, Eerdmans, 1992, 318.

[71] Le grand dictionnaire de la Bible, Excelsis (2004), 1564.

[72] W. Grudem, 1 Peter, Tyndale New Testament Commentaries, 1988, 204.

[73] C.H. Pinnock, The Destruction of the Finally Impenitent, cité dans Robert A. Peterson, Hell on Trial, Phillipsburg, P&R Publishing, 1995, 161.

[74] M.J. Erickson, Is Hell Forever ?, Bibliotheca Sacra, 152 : 607 (1995), 259-272.

[75] D. Carson, The Gagging of God, Leicester, Apollos, 1996, 517.

[76] Ceci correspond à l’interprétation par Guillebaud (Righteous Judge, 14) de la parabole de Lazare et du riche.

[77] W. Grudem, Théologie systématique, Excelsis, 2011, 1278.

[78] R. Bauckham, Universalism : A Historical Survey, Themelios 4:2, January 1978, 48, cité dans R.A. Peterson, Hell on Trial : The Case for Eternal Punishment, R&R Publishing, 162.

[79] Origène, Traité des principes, 1.6.2. A notre époque, on trouve parmi les plus grands défenseurs d’un tel point de vue H. Guillebaud (The Righteous Judge, 1941), Basil Atkinson (Life and Immortality, 1960), Leroy Edwin Froom (The Conditionality Faith of our Fathers, 1965), Edward Fudge (The Fire That Consumes : A Biblical and Historical Study of Eternal Punishment, 1982), John Stott (Evangelical Essentials, 1988 (312-320), John Wenham (The Case for Conditional Immortality, 1992) et, enfin, Clark Pinnock (The Destruction of the Finally Impenitent, CTR 4 (1990) ; Four Views on Hell, 1992).

[80] R.A.Peterson, op. cit., 162.

[81] Voir ibid ; « Enfer » dans le Dictionnaire de théologie biblique, Excelsis, 556 ; et W. Grudem, op. cit., 1277-1283.

[82] Mt 25.30.

[83] Ap 14.10.

[84] Comme, par exemple, « les vers qui ne meurent pas » (Es 66.24), la « fumée » (Es 34.10), un « feu qu’on ne peut éteindre » (Jr 4.4). Voir l’article de E. Fudge, « The Final End of the Wicked », JETS 27, 325-334. Et voir, entre autres, la réponse de W.V. Crockett, « Wrath that Endures Forever », JETS 34, 195-202 ; et R. Peterson,  « A Traditionalist Response to John Stott’s Arguments for Annihilationism », JETS 37, 1994, 553-68.

[85] Hé 1.4 et Ac 17.28.

[86] Dictionnaire de théologie biblique, 557 ; voir aussi D. Carson, The Gagging of God, 535.

[87] H. Blocher, « Les peines éternelles », in La Revue réformée, n° 206, 2000/1.

[88] Il est intéressant de noter ici un point sur lequel diffèrent H. Blocher et D. Carson. En effet, contrairement à H. Blocher, D. Carson pense que les hommes impénitents demeureront dans leur état de rébellion après la mort (D. Carson, The Gagging of God, 533). Cette hypothèse est exégétiquement possible et très pertinente, car elle poserait la question supplémentaire de la raison et du fondement quasi sotériologique (car une destruction finale demeure une sorte de libération vis-à-vis de la souffrance du jugement) pour laquelle Dieu détruirait un être post mortem encore rebelle : la justice et la gloire de Dieu s’en trouveraient bafouées.

[89] Ibid.

[90] Rm 6.23.

[91] Dans cette optique, il est intéressant de voir la confession de David dans le Psaume 51. On pourra noter que, bien que sa faute ait été dirigée envers des êtres humains (Urie et Bath Sheba), il confesse que c’est Dieu seul qu’il a offensé. David avait compris que le péché était, avant toute chose, une faute envers Dieu.

[92] Pour une défense complète de la notion de propitiation au sein de la sotériologie, voir l’excellent livre de L. Morris, The Apostolic Preaching of the Cross, Wm. B. Eerdmans Publishing, 1955, 144 à 213.

[93] Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1a2a.e/87:4.

[94] W. Crockett (éd.), Four Views on Hell, Grand Rapids, Zondervan (1992), 152.

[95] J. Piper, Let the Nations be Glad !, cité dans D. Carson, The Gagging of God, 534, n. 52. Voir aussi Jonathan Edwards, Works, Edimbourg, Banner of Truth Trust, 1974, 1:669.

[96] 1 Jn 4.7-10.

[97] D’autant plus que nous ne pouvons pas parler de l’amour de Dieu comme si celui-ci existait sous une forme unique. Il existe bien une différence entre l’amour de Dieu le Père envers son Fils unique, l’amour de Dieu envers ses élus (son épouse), l’amour de Dieu envers sa création… Voir D. Carson, The Difficult Doctrine of the Love of God, Crossway, 2000.

[98] Rm 11.22.

[99] W.V. Crockett, « Wrath that Endures Forever », JETS 34, 198-199.

[100] Pour un traitement très intéressant de la nature de Dieu, voir D. Carson, The Difficult Doctrine of the Love of God.

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L’influence de notre culture sur la louange http://larevuereformee.net/articlerr/n263/linfluence-de-notre-culture-sur-la-louange Fri, 05 Apr 2013 20:41:52 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=831 Continuer la lecture ]]> L’influence de notre culture sur la louange

Daniel SAGLIETTO*

Dans beaucoup de nos Eglises évangéliques, les temps de louanges ont acquis une place importante à l’intérieur du culte. Ceci est une grâce que Dieu nous accorde de pouvoir le louer avec tout notre être : notre intelligence, notre cœur, nos émotions et notre corps. Cela constitue un moyen de grâce par lequel le Saint-Esprit agit pour que Dieu soit glorifié et que l’Eglise soit édifiée (Ep 5.19). Mais dans la variété des cantiques récents à notre disposition, il nous arrive, souvent, de chanter certains textes très flous qui ne reflètent pas ce qu’enseigne la Parole de Dieu. A propos de l’adoration, E. Clowney a souligné à juste titre que : 

 L’adoration n’est pas une faculté de l’imagination qui nous permettrait de nous projeter hors de nous pour entretenir une émotion religieuse. Le culte comme la religion ne peuvent être définis indépendamment de Dieu, car la louange est la réponse de la créature à la gloire révélée du Créateur. Lorsque l’adoration et la piété sont vouées à un dieu inférieur, la nature même de ce culte est faussée. Cette perversion est le commencement de la spirale descendante de l’idolâtrie que l’apôtre Paul décrit (Rom 1.18-32). Le culte ne dégénère pas aussitôt dans la prostitution sacrée ou la débauche, mais il se corrompt dès lors que la créature humaine refuse de reconnaître Celui qui, seul, est digne d’être adoré, à qui l’on doit une entière dévotion, absolue, irrévocable (Rom 1.21-23)[1].

Il apparaît ainsi, de façon claire, que notre louange collective est un témoignage de notre dévotion personnelle au sein du corps de Christ. Aussi, comme membres du « corps de Christ »[2] fondé sur le « fondement des apôtres et des prophètes »[3], les chants dans les  moments de culte doivent-ils normalement refléter ce que croit la communauté, ce sur quoi elle fonde sa vie, ce qu’elle considère comme son véritable trésor. Il convient donc de se demander quelle est l’origine des cantiques qui sont en dissonance avec la Parole de Dieu. Une grande partie d’entre eux ont pour auteur des « artistes » dont les convictions ne sont pas nettes. Mais est-ce la seule explication ? Il est raisonnable d’imputer aussi l’origine de la situation à l’influence malheureuse de présupposés culturels ambiants. Tel est l’objet des développements suivants.

1. La louange 

La louange est, d’abord, une offrande qui peut avoir différentes formes, une reconnaissance envers le Créateur. En effet, « la gloire transcendante de Dieu suscite la louange[4] » et la « gloire merveilleuse de Dieu, révélée dans l’Evangile, [qui] est la gloire de sa grâce[5] ». C’est cette « gloire du Seigneur qui produit notre adoration [qui] devient une bénédiction [et] qui transforme sans cesse notre existence, et cela nous rendra enfin semblables à Jésus-Christ[6] ». La louange est ainsi une offrande suscitée par la reconnaissance envers Dieu, destinée à adorer Dieu de tout notre être, en communion avec nos frères et sœurs :

Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse, par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos cœurs sous l’inspiration de la grâce. (Col 3.16)

Ce verset met en évidence quatre éléments qui me paraissent fondamentaux, quatre secteurs dans lesquels la culture ambiante de ce monde essaie de s’immiscer pour les corrompre :

  • Notre louange manifeste l’œuvre de la « Parole de Christ qui habite en nous » : elle est une expression de notre foi. Comme le souligne très bien 1 Pierre 1.23, nous sommes nés de nouveau lorsque Dieu a implanté en nous sa Parole vivante et permanente. C’est cette Parole plantée en nous qui, sous l’action du Saint-Esprit, nous a régénérés et nous a révélé la gloire de Dieu qui jaillit de la face de Christ. C’est, à ce moment-là, que par la foi nous avons saisi Christ comme notre Sauveur et Rédempteur[7]. Ainsi, les paroles de cantiques ne peuvent pas être séparées du fondement même de notre foi : la Parole de Dieu. Colossiens 3.16 présuppose clairement que notre louange provient de la Parole de Dieu qui habite en nous : la louange doit avoir un fondement objectif. Ce fondement est le fondement apostolique (1Co 3 ; Rm 16.25), la foi qui nous a été donnée une fois pour toutes par les apôtres (Jude 1 ; Hé 1.1).
  • Notre louange est un moyen de grâce que Dieu a donné à l’Eglise pour susciter sa croissance, sa cohésion et sa piété. Notre louange au sein de l’Eglise est une œuvre communautaire par laquelle nous vivons une véritable koinonia avec nos frères et sœurs : elle témoigne de notre unité en tant que corps à la tête duquel règne notre Seigneur Jésus-Christ.
  • Notre louange s’adresse à Dieu et c’est lui qui en est le centre.
  • Notre louange est « sous l’inspiration de la grâce »  ou  « … chantant avec gratitude dans nos cœurs envers Dieu… ». De ce fait, notre louange doit exprimer une reconnaissance pour la grâce de la rédemption que Christ nous a acquise à la croix en devenant, pour nous, une victime propitiatoire à cause de nos péchés afin que nous soyons réconciliés avec Dieu[8]. Notre louange est une réponse à la grâce que Dieu nous a faite en envoyant son Fils unique pour notre rédemption.

2. La gangrène de la culture ambiante 

Nous allons maintenant voir que la culture ambiante attaque ces quatre secteurs de façon évidente et va jusqu’à infecter certains de nos cantiques.

a) Le postmodernisme et le relativisme 

La société est profondément marquée aujourd’hui par le postmodernisme et le relativisme. La notion de « vérité » est devenue une valeur à décliner au pluriel pour un même sujet, alors que son étymologie ne le permet pas. En effet, notre société est devenue tellement tolérante qu’elle en est venue à être intolérante vis-à-vis de l’« absolu », de tout ce qui peut paraître « ultime » pour lui-même. C’est ainsi que la foi réformée est rejetée parce qu’elle défend l’orthodoxie fondée sur l’enseignement apostolique. Les notions de chute, de dépravation totale, de providence, de souveraineté, de rédemption, de propitiation, de jugement sont insupportables pour nos contemporains. C’est malheureusement ce que l’on peut trouver parfois dans certains cantiques qui manquent tellement de « spécificité » qu’un mormon ou un témoin de Jéhovah pourrait les chanter aussi. Cela ne signifie pas que tous les chants devraient être une déclinaison du Symbole des apôtres, mais devrait nous inviter à scruter les doxologies présentes dans le Nouveau Testament. Nous y verrions des caractéristiques théocentriques et christocentriques fondamentales pour la foi apostolique. Notre louange devrait exprimer notre foi qui est fondée sur ce que nous « a dit le Fils en ces temps qui sont les derniers[9] », et non « une foi » parmi tant d’autres. Par exemple, Dieu est souvent chanté :

  • ou comme très distant (on frôle le déisme) ;
  • ou tellement proche que les notions de révérence et de sainteté apparaissent comme         des valeurs étrangères ;
  • ou tellement « en tout » que cela frôle un « panthéisme » évangélique.

La seule manière de remédier à cela est de faire prévaloir la gloire unique de notre Dieu créateur et trois fois saint (transcendance), gloire qui s’est manifestée à la croix dans le sacerdoce parfait et unique de Jésus-Christ (immanence).

b) Le danger de l’individualisme 

La société française est devenue foncièrement individualiste et particulièrement rebelle à toute forme d’autorité (c’est là sûrement un héritage de 1968). Aujourd’hui, il suffit de regarder les publicités pour voir que la cible première est l’individu et son épanouissement. Or, en Ephésiens 5.19 comme en Colossiens 3.16, le contexte immédiat des exhortations pauliniennes est celui de l’édification  réciproque au sein du corps de Christ pour glorifier Dieu. Paul nous encourage à nous exhorter les uns les autres, à nous instruire les uns les autres. Si l’individualisme s’introduit dans notre louange, il peut se manifester de deux façons très dangereuses :

  • L’égocentrisme. Nos chants de louange ne devraient pas contenir uniquement des « je », ceux-ci ne devant pas éclipser la réalité du « nous ». En effet, Dieu s’est acquis « un peuple » au prix du sang de son Fils bien-aimé.
  • L’orgueil. On peut l’appeler le syndrome L’Oréal évangélique : « Parce que je le vaux bien. » Il ne faudrait pas que l’homme occupe la place centrale dans les chants de louanges au point que Dieu n’agit plus pour sa propre gloire mais pour répondre aux besoins de ses créatures. C’est là une déformation de ce qu’est la grâce : un don immérité. Dieu manifeste sa gloire dans le salut au travers du jugement[10]. L’homme n’est pas au centre de l’histoire de la rédemption, car c’est Dieu lui-même qui se glorifie en son Fils Jésus-Christ pour la plus grande joie du peuple qu’il s’est choisi.

 

La gloire de Dieu et non celle de l’homme doit être au centre des cantiques. Cela apparaît difficile dans société qui chérit sa « liberté » par-dessus toute autre chose, plus même que celle des autres, car un Français n’a « ni dieu, ni maître ».

c) Le danger d’une louange « thérapeutique » 

Michael Horton, dans Christless Christianity[11], utilise l’expression de « thérapie moraliste déiste », tirée de l’analyse sociologique faite par Christian Smith et Marsha Witten pour décrire la jeunesse américaine. Cette expression décrirait la « foi évangélique » de la jeunesse « évangélique » (toutes traditions confondues) aux Etats-Unis. Cette « foi  thérapeutique» implique les convictions suivantes :

  • Dieu a créé le monde.
  • Dieu veut que les gens soient bons, gentils et justes les uns envers les autres comme l’enseignent la Bible et la plupart des autres religions.
  • Le but central de la vie est d’être heureux et de se sentir bien dans sa « peau ».
  • – Dieu n’a pas besoin d’être particulièrement impliqué dans la vie de quelqu’un, à moins qu’il ne soit nécessaire pour résoudre un problème.

  • Les hommes bons vont au « ciel » lorsqu’ils meurent.

Cette étude porte sur la population américaine ; cependant, on peut y retrouver plus ou moins les présupposés de nombre de nos contemporains sur ce qu’est la religion chrétienne. C’est, en effet, malheureusement, ce qui constitue la foi de certains dans nos propres Eglises. C’est particulièrement le cas pour la troisième caractéristique, qui est bien présente dans la société française. Celle-ci est, en effet, celle qui consomme le plus d’anxiolytiques et d’antidépresseurs[12] (5 millions de Français) ; elle est également très dépendante de ses psychologues et des séances de coaching.

Notre société est engagée dans une véritable poursuite d’un « bonheur » égocentrique et beaucoup de nouveaux cantiques se focalisent sur un « bonheur » fondé sur la paix (uniquement émotionnelle et non celle qui découle explicitement de la réconciliation en Christ), la douceur, la bienveillance de Dieu. Malheureusement, au lieu de magnifier et de glorifier Dieu, nous élevons nos besoins au-dessus de Dieu et nous voulons que des cantiques riches en métaphores et en images poétiques nous procurent une sorte de paix, alors que celle-ci est déconnectée de l’œuvre de Christ à la croix. C’est ainsi que le risque est grand de succomber au danger de l’émotion à outrance (par les paroles ou par la musique) en se déconnectant des réalités bibliques de la rédemption et de l’intercession du Fils auprès du Père. Nous pouvons trop souvent ainsi nous adonner à une louange « thérapeutique »  et non « confessante ».

d) Un évangile « romantique » 

Il est impossible de  ne pas remarquer que les vérités fondamentales qui décrivent la grâce et l’œuvre propitiatoire de Christ sont de moins en moins présentes dans nos chants. En effet, notre société pluraliste ne supporte pas la notion d’exclusivisme qui caractérise la doctrine biblique de la rédemption. Si nous abordons les thèmes de l’exclusivité du salut en Jésus-Christ seul, nos contemporains, bien qu’ils rejettent l’existence de Dieu, nous reprocheront d’être intolérants vis-à-vis des autres religions et de manquer d’amour et de générosité. En plus de vouloir défendre un relativisme qui fait de Dieu une valeur obsolète et optionnelle, notre société est si imprégnée de romantisme à « fleur de peau » qu’elle estime que la notion d’un jugement universel divin envers l’humanité à cause de son rejet de Dieu est inacceptable. Si un Dieu existe, il doit nécessairement être amour : un amour tel qu’il  est exclu qu’il soit juge en même temps. Comme nous voulons non pas « choquer » mais rendre l’Evangile « accessible », nos cantiques sont de plus en plus « dépouillés » de ces vérités fondamentales liées à notre dépravation naturelle et à l’exclusivité du salut en Jésus-Christ seul, par le moyen de la foi. Si la louange est adressée à Dieu (et il faut qu’elle le soit !), nous ne devons pas louer un dieu que nous aurions façonné selon notre idée de ce qu’il devrait être. Il importe plutôt de chanter des chants qui soient de profondes louanges de qui est Dieu. Si nous affaiblissons, dans nos chants, le témoignage biblique sur la sainteté et la justice de Dieu, nous transformons l’amour de Dieu manifesté à la croix en œuvre « incohérente ». En effet, si la « justice de Dieu » et sa « sainteté » sont mises de côté, pour quelles raisons  fallait-il que Dieu le Fils s’incarne et meure sur la croix ? Un tel abandon des dimensions expiatoires et propitiatoires fait courir le risque de se limiter à une définition « exemplaire » de la croix. On aurait ainsi tendance à aborder, dans les chants, la thématique de la « croix » comme étant un exemple de l’« amour » que nous avons à nous manifester les uns aux autres. Une telle attitude est inacceptable au vu des Saintes Ecritures, car Jésus-Christ s’est offert comme victime « propitiatoire » au Père pour notre rédemption, et il a donné sa vie en « rançon pour beaucoup[13] ».

3. Conclusion

Il convient donc de veiller à ce que nos nouveaux cantiques soient exempts des quatre présupposées culturels qui constituent une véritable gangrène : le relativisme, l’individualisme, le consumérisme thérapeutique, le sentimentalisme « mielleux ». Pour cela, le mieux est de retourner au fondement biblique de notre foi et de découvrir (ou de redécouvrir) les trésors immenses contenus dans les hymnes des générations de croyants qui nous ont précédés. Comme Wesley le conseillait[14] :

Par-dessus tout : chantez spirituellement. Ayez un regard vers Dieu dans chaque parole que vous chantez. Ayez à cœur de lui plaire plus qu’à vous-mêmes ou à quelque autre créature. C’est pourquoi faites strictement attention à ce que vous chantez et veillez à ne pas laisser vos cœurs être détournés (de Lui) par les sons, mais qu’ils soient constamment offerts à Dieu[15]

Ne nous effrayons pas de ce que notre louange puisse être perçue comme un « territoire inconnu » par nos contemporains. C’est justement ce Dieu qui leur est « inconnu » que nous leur annonçons au travers de la révélation pleine et entière que nous en avons en Jésus-Christ. La louange reflète souvent une réalité étrangère à ce monde et à ses présupposés relativistes. Tout comme en Apocalypse 4 et 5, ce sont le « trône de Dieu » et « l’agneau immolé qui se tient debout» qui doivent être au centre de notre louange, de nos affections, de nos méditations. Ainsi, comme le souligna Cornelius Van Til[16] à propos de l’éducation et de la culture, il est important que, dans l’écriture des cantiques, nous œuvrions en résonance avec les trois facettes du ministère parfait qu’a accompli Christ : prophète, prêtre et roi. Jésus-Christ est le prophète parfait (car il est le Logos éternel de Dieu qui nous a révélé le Père[17]), le prêtre parfait (il a offert son corps en sacrifice pour nous une fois pour toutes[18]) et le roi parfait éternel qui siège à la droite du Père et règne[19].  Ainsi, il faudrait que nos cantiques soient :

  • Prophétiques, annonçant une parole claire et précise en accord avec la foi apostolique.
  • Sacerdotaux, magnifiant le sacrifice de Christ qui « n’a point connu le péché », et qui a été fait péché pour nous « afin que nous devenions en lui justice de Dieu[20] ».
  • Doxologiques, glorifiant le règne de Christ et la souveraineté de Dieu.

Il faut souhaiter que nos chants ne soient plus des « dérivés » de la culture ambiante, « vaporisés » d’un « parfum évangélique », mais plutôt qu’ils soient saturés de l’Evangile et offrent, à un monde qui est en pleine « dérive », une vision du « trône de Dieu » et de « l’agneau immolé qui se tient debout ».


* D. Saglietto est étudiant à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] E.P. Clowney, L’Eglise, Ed. Excelsis, 2000, 122.

[2] Ep 5.23.

[3] Ep 2.20.

[4] E.P. Clowney, op. cit.,122.

[5] Ibid., 123.

[6] Ibid., 124.

[7] 2 Co 4.4-6 ; Ep 2.8 ; Jn 1 et  3.

[8] Rm 3.21-28 ; 2 Co 5.17ss.

[9] Hé 1.1-2.

[10] J’emprunte cette expression à Jim Hamilton (God’s Glory in Salvation through Judgment, Crossway 2010) qui l’utilise pour définir le centre de la théologie biblique.

[11] M. Horton, Christless Christianity, Baker Books, 2008, 40ss.

[12] http://www.scienceshumaines.com/-0aantidepresseurs–un-choix-collectif–0a_fr_14006.html.

[13] Mc 10.45.

[14] J’apprécie cette parole de Wesley même si on peut y déceler une certaine tendance augustinienne de méfiance vis-à-vis des arts et des sentiments qui y sont mêlés (« détournés par les sons »).

[15] A. Kuen, Oui à la musique, chap. 4. (http://louange.org/html/index.php?name=News&file=article&sid=25&theme=Printer)

[16] http://www.sermonaudio.com/sermoninfo.asp?SID=1220039319

[17] Jn 1 ; Hé 1.

[18] Hé 10 ; Rm 8.34 ; Hé 1.3.

[19] 1 P 3.22 ; Ep 1.21.

[20] 2 Co 2.21.

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L’homme a-t-il un libre arbitre ? http://larevuereformee.net/articlerr/n261/lhomme-a-t-il-un-libre-arbitre Wed, 19 Sep 2012 21:49:15 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=813 Continuer la lecture ]]> L’homme a-t-il un libre arbitre ?

Daniel Saglietto*

Nous faisons face ici à une question épineuse qui suscite de vives réactions lorsque nous tentons d’y répondre, d’autant plus que la majeure partie de nos contemporains possèdent souvent une conception de Dieu et de la liberté qui s’excluent, de telle sorte qu’ils nous donnent souvent une réponse qui résonne avec la fameuse maxime d’Albert Camus : « (…) ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables, mais Dieu n’est pas tout-puissant[1]. » C’est pourquoi, dans le souci d’une apologétique chrétienne cohérente et en raison de la pertinence d’une telle question pour le ministère pastoral, il est nécessaire de trouver une réponse cohérente et biblique sans tomber dans les erreurs d’un pélagianisme récurrent ou d’une vision  déterministe de Dieu. Nous croyons que les Saintes Ecritures apportent cette réponse, et que cette réponse revêt un caractère normatif pour l’Eglise.

Cependant, nous n’étudierons pas les principaux passages bibliques traitant de cette question ; nous effectuerons plutôt une étude de l’histoire de la théologie réformée afin de découvrir les grandes lignes de l’apport de Martin Luther, de Jean Calvin et de Jonathan Edwards.

Il convient de commencer en définissant le terme de « libre arbitre » de façon aussi précise que possible. Nous examinerons tout d’abord la définition qu’en donne le Larousse : « Qui a le pouvoir d’agir, de se déterminer à sa guise[2] », et nous limiterons notre étude au champ de l’éthique humaine.

Une autre formulation de la question pourrait être : est-ce que l’homme d’aujourd’hui (après la chute adamique) a la capacité d’agir à sa guise de telle sorte que chacune de ses actions soit le fruit d’un acte volontaire dont il serait totalement responsable ? Nous aurons à rechercher, si une telle liberté existe, si elle est compatible ou non avec l’enseignement biblique, d’une part, de la totale corruption du cœur de l’homme et, d’autre part, de la totale souveraineté de Dieu sur sa création.

Notre propos n’est pas d’exposer comment chacun des trois auteurs répond à ces deux questions. Nous nous limiterons à mettre en évidence les particularités principales de leur pensée avant de tenter la formulation d’un enseignement général cohérent et fidèle à la pensée biblique[3].

1. La « furie » de Luther face à la notion de libre arbitre

En lisant les écrits de Luther sur ce sujet (en particulier De la liberté du chrétien et Du serf arbitre), on est frappé par la passion avec laquelle Luther rejette la notion de libre arbitre. Pour lui, ce terme laissait entendre que l’homme pouvait être considéré comme libre de faire le bien ou le mal, ou encore capable d’échapper à la providence de Dieu. Or, reconnaître une telle capacité était pour lui inacceptable. En effet, pour Luther, la notion de dépravation totale du cœur de l’homme est fondamentale et implique la totale incapacité de l’homme à obéir à Dieu. Dans sa réfutation (Du serf arbitre) de la Diatribe : Du libre arbitre écrite par Erasme, Luther va sans cesse exprimer haut et fort, sous différents points de vue, les vérités fondamentales que sont la Providence divine et la dépravation totale du cœur de l’homme. Luther affirme clairement que le cœur de l’homme est incapable de produire des fruits qui glorifient Dieu :

En effet, nous ne divisons pas le libre arbitre en deux natures différentes, l’un étant semblable au limon, l’autre à la cire, ou encore l’un étant semblable à la terre cultivée, l’autre à la terre inculte, mais nous parlons d’un seul libre arbitre également impuissant dans tous les hommes, qui n’est que limon, que terre inculte, puisqu’il ne peut vouloir le bien. C’est pourquoi, de même que le limon devient toujours plus dur, et la terre inculte toujours plus épineuse, de même le libre arbitre devient toujours plus mauvais, aussi bien par la mansuétude du soleil qui l’endurcit que par l’orage de pluie qui le liquéfie. Si donc le libre arbitre n’a qu’une définition et qu’une seule impuissance chez tous les hommes, on ne peut donner aucune raison qui fasse que l’un parvienne à la grâce et l’autre n’y parvienne pas, dans le cas où l’on ne prêche la mansuétude du Dieu qui tolère et le châtiment de Dieu qui fait miséricorde. On a établi en effet que le libre arbitre a la même définition chez tous les hommes, qui est qu’il ne peut vouloir rien de bien[4].

L’homme ne veut pas glorifier Dieu dans son œuvre. Et Luther démontre que ce libre arbitre que réclame Erasme pour l’humanité est un mot vide de sens, qui ne peut rien produire de bon et conduit nécessairement à l’endurcissement du cœur de l’homme. Seule une intervention souveraine de l’Esprit de Dieu peut accorder à celui-ci la capacité de pratiquer la justice, le désir de glorifier Dieu.

Que le libre arbitre fasse dans le monde entier et avec ses forces tout entières tout ce qu’il peut, il ne produira pas cependant, à titre d’exemple, une chose par laquelle il pourrait éviter d’être endurci sans que Dieu lui ait donné l’Esprit, ou par laquelle il mériterait miséricorde, s’il était abandonné à ses propres forces[5].

Cela est sûr et certain, si nous croyons que Dieu est tout puissant et ensuite que l’impie est une créature de Dieu, mais que, dévoyée et laissée à elle-même sans l’Esprit de Dieu, elle ne peut vouloir ou faire le bien[6].

La pointe de la réflexion de Luther consiste à démontrer que le libre arbitre défendu par Erasme ne peut jamais conduire l’homme à désirer obéir à Dieu et à le glorifier dans sa vie. Il se livre à une critique de chaque chapitre des écrits d’Erasme, que ce libre arbitre est incapable d’inciter à plaire au Créateur de l’univers, à moins que celui-ci n’intervienne par son Esprit. Pour Luther, le libre arbitre est une illusion et n’existe pas, sans pourtant laisser entendre qu’il incite au péché :

Car nous plaidons le fait que le libre arbitre n’est rien, c’est-à-dire que par lui-même il est inutile (comme toi tu l’expliques) devant Dieu, car c’est de ce genre d’être que nous parlons – sans ignorer que la volonté impie est quelque chose, et non pas un pur « rien »[7].

Ainsi Luther rejette totalement cette notion de libre arbitre. En effet, Luther reconnaît bien que l’homme possède une volonté, mais dans sa critique, la norme de ce qui est bon est ce que Dieu lui-même considère comme « bon » : or, sans Dieu, l’homme est incapable de faire une œuvre qui glorifie pleinement le Créateur. Luther insiste, de manière continue, sur le fait que cette « liberté » attribuée par La Diatribe au libre arbitre (qui permettrait d’honorer Dieu sans intervention de Dieu) n’existe pas car : « (…) ce que fait l’homme, ainsi enlevé, n’est rien, c’est-à-dire ne vaut rien devant Dieu, et ne peut être tenu pour autre chose que péché[8]. » C’est dans ce sens que Luther conclut que le « libre arbitre n’est rien, et que c’est une chose qui ne relève que de l’intitulé[9] ».

Pour Luther, cette incapacité résulte de la chute ; nous l’avons héritée d’Adam. A noter qu’il décrit la chute comme étant le choix volontaire fait par Adam de ne pas obéir à Dieu :

Car même si le premier homme, assisté par la grâce, n’a pas été impuissant, Dieu cependant, par ce précepte, lui montre combien il le serait, si la grâce était absente. Or si cet homme, alors que l’Esprit était présent, n’a pas pu, de sa volonté neuve, le bien qui lui était nouvellement proposé, c’est-à-dire l’obéissance – et cela parce que l’Esprit ne l’ajoutait pas de surcroît – quoi donc en ce qui nous concerne, pourrions-nous faire sans l’Esprit, à propos d’un bien qui a été perdu ? Il a été donc montré, chez cet homme-là, par un terrible exemple destiné à écraser notre orgueil, ce que peut notre libre arbitre lorsqu’il est laissé à lui-même et qu’il n’est pas constamment et de plus en plus mis en action et augmenté par l’Esprit de Dieu[10].

Il est intéressant de voir que, pour Luther, Adam avait la capacité de vouloir faire le bien et un vrai libre arbitre ; s’il a chuté, c’est parce qu’il a rejeté volontairement l’obéissance et que l’Esprit de Dieu ne lui a pas imposé de faire différemment. Aussi, les hommes naturels, qui sont privés de l’Esprit et qui ont perdu la volonté de faire le bien, ne peuvent-ils à plus forte raison marcher dans l’obéissance. Cet argument est intéressant, mais il ne résout pas le problème de l’origine du désir de désobéir. L’argument relatif à l’action, ou plutôt à l’inaction, du Saint-Esprit ne convainc pas, car l’Ecriture est plutôt silencieuse sur ce sujet (bien que nous puissions la percevoir de façon rétrospective en considérant l’œuvre du Saint-Esprit dans le cœur des croyants) ; il pourrait même se révéler dangereux en « déresponsabilisant » les hommes privés de l’Esprit de Dieu.

L’articulation que Luther établit entre la souveraineté de Dieu et le mal dans le monde retient l’attention :

Aussi ne faut-il pas penser que lorsque Dieu est dit endurcir ou opérer en nous le mal (car endurcir, c’est faire le mal), il agit comme s’il créait de nouveau le mal en nous – comme si l’on imaginait un aubergiste malintentionné qui, étant lui-même mauvais, verserait ou composerait du poison dans un récipient qui lui n’est pas du poison : le récipient ne faisant rien, pour sa part, que de recevoir ou supporter la malignité du compositeur. (…) Dieu opère le mal, non par sa faute mais par notre vice ; puisque nous sommes mauvais par nature, et que Dieu, qui est bon quant à Lui, ne peut faire autrement (quand il nous emporte par son action en vertu de sa toute-puissance) que d’accomplir le mal avec un mauvais instrument, tout bon qu’il soit lui-même, quoique, en vertu de sa sagesse, il fasse bon usage de ce mal, en vue de sa gloire et de notre salut. C’est ainsi que trouvant la volonté mauvaise de Satan – sans l’avoir créée telle, puisque c’est Satan qui a abandonné Dieu et a péché – il saisit en son action cette volonté devenue mauvaise et la met en marche vers où il veut, bien que cette volonté-là ne cesse d’être mauvaise par suite de ce mouvement même qui vient de Dieu[11].

Ainsi, Dieu œuvre souverainement dans les choses mauvaises, pour la gloire de son Nom, sans en être responsable. Ces choses mauvaises sont mauvaises car elles sont l’œuvre d’un cœur mauvais qui agit nécessairement selon son mauvais fond. Le cœur mauvais est comme un « outil biaisé » qui ne peut fournir qu’un résultat biaisé même lorsqu’il se trouve entre les mains de son Créateur. Cette argumentation est cohérente avec la Bible, car elle conserve à la fois la souveraineté et la sainteté de Dieu ainsi que la responsabilité, la dépravation et la liberté de volition de l’homme. Face à cette dure et lourde réalité, Luther affronte la fameuse question : pourquoi Dieu a-t-il permis la chute ? Sa réponse, tout en conservant la part de mystère nécessaire dû au silence de la Parole, est pertinente, car elle souligne la transcendance du Créateur et reconnaît notre statut de créature :

Dieu est ! Et de sa volonté il n’y a ni cause ni raison qui lui soit prescrite comme si c’était une règle et une mesure. Car rien ne lui égal ou supérieur, mais elle est elle-même la règle de toutes choses. En effet, si elle avait une règle ou une mesure, ou encore une cause ou une raison, elle ne pourrait plus être la volonté de Dieu. Ce qu’il veut n’est pas droit parce qu’il doit ou a dû le vouloir ainsi ; au contraire, c’est parce que lui-même veut qu’il en soit ainsi que ce qui arrive ainsi doit être droit. A la volonté de la créature sont prescrites une cause et une raison, non pas à la volonté du Créateur – à moins que tu ne mettes au-dessus de Lui un autre créateur[12].

On ne peut donc pas trouver pour quelle cause ou pour quelle raison Dieu a souverainement permis la chute de l’homme, car ceci appartient au conseil secret de Dieu, à sa volonté qui fait que Dieu est Dieu. En tant que créatures, nous sommes soumis aux notions de cause et de raison, lesquelles doivent être  impérativement préservées en tant que fondement anthropologique. En effet, toutes deux font qu’un homme est un homme et, sans elles, la vie devient quelque chose d’insignifiant et incohérent. L’homme en tant que créature a une volonté dépendante d’une cause ou d’une raison. Il en est ainsi, non pas parce qu’il existerait une coercition interne au cœur humain, mais parce que ce sont les ingrédients qui constituent le cadre dans lequel s’exerce la liberté de volition de l’homme. Il est impossible de définir autrement la liberté d’une créature douée de raison, sauf à en faire l’égale de Dieu. Il est donc exact de penser que l’homme est totalement responsable de ses actes, car ils ont une cause ou une raison qu’il a délibérément choisie. Le fait que les désirs du cœur humain et sa volonté soient totalement dépravés n’invalide pas sa responsabilité. La liberté dont il use dans sa marche ténébreuse est l’instrument par lequel il concrétise ses désirs biaisés. Un tel usage de la liberté est condamnable.

Ainsi pour Luther, l’homme, qui possède réellement une volonté et une liberté au service des mauvais désirs de son cœur, ne possède pas de libre arbitre, puisqu’il ne peut rien produire qui glorifie Dieu sans une action miraculeuse du Saint-Esprit. Cette liberté qu’il ne veut pas appeler libre arbitre – sûrement à cause du sens polémique qu’il avait dans ses débats avec Erasme – ne contredit pas la souveraineté de Dieu et fonde la responsabilité de l’homme vis-à-vis de ses actions.

2. Jean Calvin : libre arbitre et nécessité

Jean Calvin a une vue encore plus nette et précise sur la problématique de la liberté de l’homme. En effet, tout comme Luther, il dénonce l’usage du mot « libre arbitre » pour décrire une liberté qui s’oppose à la souveraineté de Dieu, ou qui sous-estime l’importance de l’aliénation de l’homme due au péché. Il en vient même à souligner que l’expression « libre arbitre » laisse entendre beaucoup plus que la réalité vécue par l’homme d’après la chute. Il va donc jusqu’à recommander de ne pas utiliser ce terme :

Les scolastiques reconnaissent que l’homme n’ait point dit avoir le libre arbitre parce qu’il aurait le choix entre le bien et le mal, mais parce qu’il agit selon sa volonté et non par contrainte : ce qui est bien vrai. Mais n’est-ce pas se moquer que de donner un nom si solennel à quelque chose de si limité ? Quelle belle liberté que de dire que l’homme n’est point obligé de pécher, mais qu’il est cependant en esclavage volontaire, puisque sa volonté est retenue captive par les liens du péché ! (…) Or, quand on reconnaît à l’homme le libre arbitre, beaucoup croient immédiatement qu’il est maître de sa raison et de sa volonté, ce qui lui permet de se tourner, par sa propre force, d’un côté ou de l’autre.

On objectera que ce danger sera écarté, si on avertit correctement le peuple du vrai sens du terme « libre arbitre ». Je crois, au contraire, qu’étant donné que nous sommes naturellement enclins à accueillir ce qui est faux et mensonger, nous saisirons l’occasion de trébucher sur un seul mot plutôt que de nous laisser instruire sur la vérité par le long commentaire qui l’accompagnera. (…) je préfère ne pas m’en servir moi-même. Si quelqu’un me demandait conseil, je lui dirais de s’abstenir de l’employer[13].

A propos du type de liberté que possède l’homme d’après la chute, Calvin insiste fort en disant que l’homme est libre des choix qu’il fait. Nos actes sont le fruit de l’exercice d’une liberté de volition :

En bref, voilà ce que pensent les philosophes : la raison qui est dans l’intelligence humaine est suffisante pour que nous nous conduisions bien et pour nous montrer ce qu’il faut faire. La volonté, qui lui est inférieure, est tentée et sollicitée de mal agir mais, dans la mesure où elle a le choix, elle ne peut pas être empêchée de suivre entièrement ce que conseille la raison[14].

Tout au long de son développement dans le chapitre 2 (livre II) de l’Institution de la religion chrétienne, Calvin présuppose et accepte qu’une telle liberté soit présente dans le cœur de l’homme. Mais il souligne, souvent à juste titre, que le terme « libre arbitre » est inadéquat pour l’homme d’après la chute, car ce terme correspond à beaucoup plus que la simple liberté de volition. La définition citée précédemment montre, en effet, que le fait de vouloir attribuer une finalité à la notion de libre arbitre, pour définir la condition de l’homme, n’est pas recevable, car celui-ci est dépendant des délibérations internes de sa raison. Et le libre arbitre est en quelque sorte un « attribut » de la volonté de l’homme qui lui permet d’exprimer les désirs que suggèrent sa raison et son intelligence. C’est ainsi que, avec à-propos, Calvin cite Thomas d’Aquin : « (…) le libre arbitre est une capacité qui, étant située entre la raison et la volonté, tend davantage vers la volonté[15]. » Ainsi, notre problématique ne se limite pas au seul libre arbitre. Le vrai problème se situe au niveau de la volonté et des désirs du cœur de l’homme, au niveau de sa raison et de son intelligence. C’est sans doute là la raison pour laquelle Luther a toujours lutté contre la notion du libre arbitre en mettant l’accent sur la notion de dépravation totale du cœur de l’homme et de son incapacité de glorifier Dieu.

Pour Calvin, et cela est totalement conforme à l’enseignement biblique, l’homme naturel est incapable de produire quoi que ce soit qui glorifie son Créateur :

Notre conviction est que cette phrase ne peut être contestée : l’homme a une intelligence si totalement étrangère à la justice de Dieu qu’il ne peut rien imaginer, concevoir ou comprendre que ce qui est méchant, inique et corrompu. Son cœur est même si atteint par le péché qu’il ne peut qu’accomplir des actes pervers. S’il arrive qu’il fasse quelque chose qui ait l’apparence du bien, il n’en reste pas moins que son intelligence est engluée dans l’hypocrisie et l’orgueil et que son cœur est enclin à la méchanceté[16].

Il en résulte que l’homme pèche par nécessité : la condition intérieure de son être (dont il ne peut se détacher) est totalement biaisée, entièrement tournée vers le mal et lorsque l’homme pèche, cela est en adéquation avec sa nature qui s’est librement exprimée. Lorsque l’homme pèche, il ne le fait pas par contrainte, mais librement :

(…) il est arrivé que, par sa liberté, l’homme se soit mis à pécher ; maintenant, la corruption qui s’en est suivie comme punition a fait de la liberté une nécessité [citation de Saint Augustin[17]]. (…) Il convient donc de distinguer : l’homme, depuis qu’il a été corrompu par sa chute, pèche volontairement (…) d’un très fort désir et non sous celui d’une contrainte. (…) Si cela est vrai, il est clair que l’homme est soumis à la nécessité de pécher. (…) Cette nécessité, étant volontaire, ne permet pas d’excuser la volonté ; et la volonté, étant séduite, ne peut pas exclure la nécessité, car cette nécessité est comme volontaire (…) elle est esclave par nécessité et libre de par sa volonté. (…) Ainsi elle est esclave parce qu’elle est libre[18].

Calvin va appuyer cette conclusion en prenant (et de façon très intéressante) l’exemple de Dieu et du diable :

Certains objectent qu’il n’est pas possible de distinguer entre nécessité et contrainte. Si on leur demande : Dieu est-il nécessairement bon et le diable nécessairement mauvais, que répondent-ils ? Il est certain que la bonté de Dieu est tellement jointe à sa divinité qu’il ne lui est pas moins nécessaire d’être bon que d’être Dieu. Et le diable, par sa chute, s’est tellement aliéné du bien qu’il ne peut que mal agir.

Or si un blasphémateur dit, entre haut et bas, que Dieu ne mérite pas d’être loué pour sa bonté puisqu’il ne peut être autrement, lui répondre ne sera pas difficile. C’est parce qu’Il [Dieu] est infiniment bon qu’Il ne peut pas mal agir et non parce qu’Il y est contraint par la violence. Si donc rien n’empêche la volonté de Dieu d’être libre en faisant le bien, il est nécessaire qu’il fasse le bien ; si le diable ne cesse pas de pécher volontairement, bien qu’il ne puisse faire rien d’autre que de mal agir, qui argumentera que le péché n’est pas volontaire chez l’homme alors qu’il est soumis à la nécessité du péché ?[19]

L’homme d’après la chute est donc libre dans l’exercice de sa volonté, mais celle-ci s’oriente toujours par nécessité vers le péché : il ne désire rien d’autre, car il a préféré adorer la créature plutôt que le Créateur béni éternellement. Ceci est un écho fidèle des Ecritures qui souligne que le péché est écrit sur le cœur de l’homme avec un burin[20], et déclare que les hommes sont tous pécheurs et tous inexcusables face à leur Créateur. Nous avons hérité cette orientation en Adam ; Calvin s’appuie clairement sur Romains 5.12-21 et 1 Corinthiens 15.22 pour souligner notre totale responsabilité partagée avec Adam[21]. Dès lors, nous sommes pécheurs non pas par mimétisme, mais parce que nous sommes associés à Adam dans sa chute et dans sa condamnation. « Adam s’est corrompu et a été infecté de telle manière que toute sa descendance en a été contaminée. Jésus-Christ, lui qui est le juge devant lequel nous aurons à rendre des comptes, affirme ainsi clairement que nous naissons tous mauvais et vicieux lorsqu’il dit ‹ce qui est né de la chair est chair› (Jean 3.6) ; ainsi, la porte de la vie est fermée devant tous afin qu’ils soient régénérés[22]. » Ce péché originel qui nous est transmis ne doit en aucun cas être vu comme quelque chose qui nous est infligé de l’extérieur, mais comme faisant partie de la nature même que nous avons héritée de nos pères. Le fait que nos désirs soient enclins au péché, que nous désirions librement pratiquer une telle perversité démontre notre totale solidarité avec Adam dans la chute[23] :

Nous disons que l’homme est naturellement corrompu à cause de sa perversité, mais que cette perversité ne fait pas partie de son essence. Nous nions que cette perversité soit dans sa nature afin de bien montrer qu’elle est une caractéristique survenue chez l’être humain et non une propriété substantielle qui aurait été enracinée en lui dès le commencement. Cependant nous l’appelons « naturelle » afin que personne ne pense que cette perversité ait appris des mauvais comportements et exemples des autres, alors qu’elle nous enveloppe tous depuis notre conception[24].

Notre totale solidarité avec Adam réside dans le fait que, lorsque nous péchons, ce sont nos affections intérieures qui s’expriment délibérément et le péché que nous pratiquons est ce que nous désirons. Lors de la régénération, Dieu transforme notre cœur et de nouvelles affections en jaillissent : ainsi, cette liberté qui nous rendait esclaves du péché, maintenant nous permet d’être « esclaves de la justice » (Rm 6.18-20).

Le passage cité du prophète Esaïe expose, ensuite, quels sont les fruits de la nouvelle vie : justice, équité et miséricorde. Les actions extérieures ne suffisent pas ; il faut d’abord que l’âme s’y adonne. Or, cela n’arrive que lorsque l’Esprit de Dieu, après avoir sanctifié nos âmes, les dirige tellement vers le bien – pensées et sentiments – qu’elles apparaissent tout autres qu’elles n’étaient auparavant. Nous sommes, en effet, naturellement opposés à Dieu au point de n’aspirer ni ne tendre à faire le bien jusqu’à ce que nous ayons appris à renoncer à nous-mêmes[25].

Ainsi, nous voyons que Calvin rejette comme Luther le fait que l’homme puisse posséder un libre arbitre lui permettant de se soumettre à la justice de Dieu. En effet, la condition « naturelle » de l’homme ne s’oppose à une telle démarche, non à cause d’une quelconque entrave externe sur sa liberté de volition, mais parce qu’il ne désire rien d’autre et que son âme ne s’affectionne qu’au mal. Cette affection témoigne de notre solidarité avec Adam dans la chute, car c’est par lui (en tant que tête fédérative de l’humanité) que le mort et le péché sont entrés dans le monde. C’est par nécessité que nous péchons, et cela en raison de notre liberté : « (…) elle [notre volonté] est esclave parce qu’elle est libre[26]. » De plus, notre corruption et notre culpabilité ne peuvent pas être réduites à un mimétisme adamique et à son caractère répréhensible vis-à-vis de Dieu, car le péché nous est imputé de façon immédiate (autant la corruption que la culpabilité). L’homme d’après la chute possède un libre arbitre bien limité, et c’est avec raison que Calvin a préféré ne pas utiliser ce terme. Car la liberté de volition que possède l’homme est finalement ce qui le rend esclave, et cela par nécessité en raison de sa condition naturelle.

Nous pouvons donc affirmer que l’homme a effectivement le pouvoir d’agir et de se déterminer à sa guise, que cette liberté de volition est fondamentale pour sa responsabilité dans ses actions et que celle-ci ne contredit pas la souveraineté de Dieu qui se manifeste au travers des causes « secondes ».

3. Jonathan Edwards, un approfondissement de la pensée de Calvin

Jonathan Edwards reprend et approfondit de nombreux éléments déjà présents dans la théologie de Calvin à la suite de la pensée augustinienne. En effet, Edwards s’insurge nettement contre toute définition de la liberté de l’homme la caractérisant comme une « auto-détermination » (autonomie de la volonté humaine) ou comme une « indifférence ou neutralité » face à l’attraction du bien ou du mal dans le cœur humain :

a)  L’autonomie de la volonté humaine conduit à une vue incohérente de la volition humaine qui est nécessairement reliée à une cause et à une raison. En effet, soit cela signifierait qu’un choix résulte d’une succession infinie de choix antérieurs (ce qui est incompatible avec la finitude humaine[27]), soit ne résulte d’aucun choix (ce qui est incompatible avec la réalité ; Dieu seul peut être défini comme celui qui ne possède ni cause, ni raison, car il est ultimement la cause et la raison de toutes choses).

b)  L’indifférence ou la neutralité est tout aussi inacceptable car la liberté implique une « indifférence » dans notre volition. En effet, il serait absurde de dire que le cœur de l’homme est libre de choisir sans inclination aucune ; en effet, la bonté ou la méchanceté se définit par ses racines intérieures : une inclination du cœur vers le bien ou vers le mal. Une telle neutralité, qui correspondrait à des choix du cœur vers le bien ou le mal totalement détachés de la notion de désir, d’affection ou d’inclination, n’existe pas. Dans la réalité, le cœur de l’homme est comme une rivière orientée[28] par son lit (par les inclinations de son cœur) ; autrement, notre évaluation de l’éthique humaine conduirait à une absurdité et nous devrions rejeter les notions de vice et de vertu[29] :

Et Dieu a fait et établi ainsi la nature humaine, (l’âme étant unie au corps dans son état initial) tel que lorsque l’âme préfère ou choisit, il s’en suit immédiatement une altération au niveau de son corps, un effort immédiat. Il n’y a rien d’autre dans les agissements de ma pensée dont je ne sois conscient lorsque je marche, si ce n’est uniquement mes préférences et mes choix, tout au long de moments successifs, de sorte qu’il y ait une « liberté de la volonté »[30].

Si la liberté de l’indifférence est essentielle à la cohérence de la morale, alors il ne peut y avoir aucune vertu dans aucune inclination habituelle du cœur ; car ces inclinations seraient en contradiction avec cette notion d’« indifférence », et en impliquerait la destruction ou l’exclusion de celle-ci [de l’indifférence dans la volonté]. Ils [ceux qui prônent une telle liberté] supposent que rien ne peut être vertueux s’il ne résulte pas de l’exercice de la liberté ; mais combien il est absurde de parler d’indifférence pour la liberté si elle est orientée ou réfléchie[31].

Ainsi, Edwards souligne clairement que les hommes possèdent une liberté au sein de leur volition qui se manifeste clairement dans la présence et pratique des inclinations et des affections de leur cœur. Puis Edwards fait une distinction supplémentaire pour avancer dans l’analyse des affections : il différencie la nécessité naturelle (qui rejoint la notion de coercition chez Calvin) et la nécessité morale (qui « décrit la nécessité de connexion et de conséquence jaillissant de telles causes morales, comme la force des inclinations, ou des raisons, et [décrie] la connexion qu’il y a dans plusieurs cas entre ceux-ci et de telles  volition et actions[32] »). Ainsi, notre incapacité de produire de bonnes choses provient d’une nécessité morale et non naturelle (ce qui rejoint le raisonnement de Calvin) qui établit clairement et légitimement notre culpabilité[33] :

Ce qui est fondamental à la théorie d’Edwards est qu’il n’y ait rien qui n’arrive sans une cause, ceci incluant les actes de notre volonté. Le motif (ou cause) d’une action de notre volonté est la « raison » qui apparaît le plus agréable à l’esprit. La volonté, ainsi, est « déterminée par » ou « trouve la cause ou l’origine de son existence » dans la plus forte « raison » [ou le désir] perçue par l’esprit [ou l’intelligence]. La volonté, ainsi, est toujours telle que ce qui lui apparaît le meilleur. La volonté n’est ni « autodéterminée », ni « indéterminée », mais suit toujours le dernier ordre qui prévaut le plus dans sa compréhension. Les actes de la volonté sont nécessairement connectés dans une relation cause/effet avec les motifs les plus forts perçus par la raison (…). Ce type de nécessité est morale, elle repose dans la volonté et fait un avec elle. Ceci est totalement compatible avec les notions de louange et/ou blâme. (…) La liberté est simplement l’opportunité que nous avons d’agir en accord avec notre volonté ou dans la poursuite de nos désirs [ces deux dernières choses sont une et indissociables]. Cette notion de liberté, appuie Edwards, est non seulement compatible mais absolument essentielle à une « responsabilité morale »[34].

L’apport qui apparaît le plus important à notre réflexion est cette inlassable distinction qu’Edwards fait entre nos actions et les inclinations de notre cœur. Cela permet de vraiment réaliser que beaucoup de débats sur la liberté de l’homme (traitant de son libre arbitre et de sa volition) sont souvent de faux débats, ou des débats qui manquent de pertinence, car ils limitent l’incapacité du cœur de l’homme par des raisons appartenant à des catégories comme celles de la nécessité naturelle ou de la coercition. Comme Edwards le souligne très bien, le vrai fond de la problématique de la liberté se situe au niveau d’une nécessité morale, au niveau des inclinations de notre cœur : l’homme naturel ne désire pas glorifier Dieu, les inclinations de son cœur sont « enflammées » pour des choses qui satisfont son égocentrisme, son idolâtrie. Ainsi, dans sa liberté, l’homme naturel se laisse aller au gré de ses désirs : or, rien en Dieu ne l’intéresse ni ne l’attire.

Les mêmes observations peuvent être faites lorsque nous considérons comment Edwards décrit la nouvelle naissance et le changement de cœur qui s’y opère :

Mais il est évident que la religion consiste autant en affection, de telle sorte que sans saintes affections il n’y a pas de vraie religion ; et aucune lumière dans la compréhension n’est bonne qui ne produise pas de saintes affections dans le cœur : aucune habitude ou principe dans le cœur n’est bon qui ne s’exerce pas, et aucun fruit extérieur n’est bon s’il ne dérive pas d’un tel exercice[35].

Comme il n’existe pas de vraie religion lorsqu’il n’y a rien d’autre que des affections, de même il n’existe pas de vraie religion quand il n’y a pas d’affections religieuses. En effet, d’un côté, il est nécessaire qu’il y ait une illumination dans la compréhension autant qu’un cœur fervent affecté : où il n’y a que chaleur sans lumière, il ne peut rien y avoir de céleste ou de divin dans ce cœur ; comme de l’autre côté, lorsqu’il y a une sorte de lumière sans chaleur, une tête remplie avec des notions et des spéculations, avec un cœur froid insensible, il n’y a rien de divin dans cette lumière, cette connaissance n’est pas la connaissance spirituelle des choses de Dieu[36].

Ainsi, dans la nouvelle naissance, Dieu ne nous impose pas (pas de coercition) une manière de vivre, mais il éveille en nous des affections et des désirs qui nous dirigent vers notre propre personne (2 Corinthiens 4.4-6). Lorsque le Saint-Esprit nous révèle la gloire de Dieu qui jaillit de la face du Christ, notre être entier est touché par cette révélation : notre compréhension et nos affections. Nous reconnaissons alors que Jésus-Christ est la vérité et aussi que, en Jésus-Christ, tout n’est que beauté. Nous reconnaissons que Jésus-Christ est le chemin qui nous conduit vers le Père, et nous nous réjouissons aussi de marcher en sa présence vers le Père. Nous reconnaissons que lui seul est la résurrection et la vie, et nous confessons aussi combien l’Esprit de vie qui est en nous est la seule vraie source de satisfaction. Par là, nous voyons que, unis à Christ par son Esprit au moyen de la foi, nous utilisons notre liberté pour aller boire sans cesse à la source d’eau vive qu’est Jésus-Christ[37], pour glorifier Dieu et nous réjouir en Lui seul, pour accomplir joyeusement les œuvres de l’Esprit. Notre liberté « naturelle », qui était nécessairement au service de nos désirs mauvais, est maintenant au service des nouvelles inclinations et affections présentes dans notre cœur. Le combat du chrétien doit donc être satisfait en Dieu seul, en qui, seule, toute satisfaction doit être recherchée ; il s’ensuivra que notre liberté s’exprimera nécessairement dans une marche qui le glorifie.

 

Nous retrouvons ainsi (voir la description d’Edwards) un état de cœur qui devait caractériser la vie d’Adam avant la chute : tous nos désirs s’orientent vers Dieu lui-même dans tout ce que nous pratiquons. C’est ce qu’Edwards décrit à propos de la condition initiale de l’homme avant la chute lorsqu’il propose qu’il existait deux sortes de principes[38] dans le cœur de l’homme originel :

a)  un principe inférieur, ou « naturel », caractérisé par les appétits et les passions naturelles du cœur de l’homme dans lesquels s’exerçait son amour pour sa propre liberté, son honneur et son plaisir ;

b)  un principe supérieur ou « spirituel », dans lequel s’exprimaient la justice et la sainteté de Dieu, qui était tourné vers Dieu lui-même. Ce principe supérieur « fut donné par Dieu pour régner sur le ‹naturel› et ainsi maintenir une harmonie psychique et physique dans l’être d’Adam[39] ».

Lors de la chute, « les principes inférieurs d’amour de soi et d’appétits naturels, qui avaient été donnés uniquement pour servir, sont devenus, étant seuls et laissés à eux-mêmes, les principes ‹rois›, dépourvus de principe supérieur pour les réguler ou les contrôler ; ils devinrent les principaux maîtres du cœur. La conséquence immédiate a été une catastrophe fatale, un renversement de toutes choses et un état d’une odieuse et horrible confusion[40]. »

Cette hypothèse est intéressante bien qu’il faille véritablement veiller à ne pas introduire une profonde dichotomie au sein du cœur de l’homme en créant deux « usines à désirs » différentes. Il est préférable de garder toujours en tête que Dieu nous demande de le glorifier en toutes choses : ainsi, tous nos désirs auront une orientation visant la gloire de Dieu. La question de la liberté de l’homme après la chute devient donc une évidence : il est libre de satisfaire ses désirs et de suivre les inclinations de son cœur. La nouvelle naissance est une libération de l’esclavage du péché ; ainsi unis à Christ nos désirs sont captivés par Dieu, et nous sommes libérés de leur tyrannie : ce n’est pas un problème de capacité à proprement parler, mais d’« affection ».

Conclusion

Tout au long de notre étude de la thématique de la liberté et, plus particulièrement, de ce qui est communément appelé le libre arbitre, nous avons pu constater combien il était important de bien préciser le terme afin de définir notre champ d’analyse et d’avoir une réponse pertinente et réaliste. Les Saintes Ecritures ne permettent pas de dire que l’homme d’après la chute est « libre » si nous définissions la liberté comme une « autonomie métaphysique » ou une liberté « morale » qui lui permette de glorifier Dieu, ou non, dans sa marche quotidienne.

        Les deux définitions de la liberté étudiées ne peuvent être en accord avec les doctrines bibliques de la Providence divine[41] et de la dépravation totale (ou radicale) du cœur de l’homme[42]. De plus, la Bible utilise essentiellement la notion de liberté pour décrire l’état de l’homme qui, au sein d’une alliance que Dieu a contractée avec lui, a été libéré d’un esclavage afin de servir son Dieu et de se réjouir en lui.

La Bible reconnaît néanmoins que l’homme naturel (après la chute) est responsable de ses choix et de sa moralité vis-à-vis de Dieu, car il possède une connaissance de son Créateur (même s’il la supprime), il possède une connaissance de la Loi de Dieu (même s’il la trahit dans son immoralité), il possède une conscience qui témoigne de sa capacité de délibérer, de choisir et de juger ses pensées et ses actes vis-à-vis de cette Loi : les œuvres en sont écrites dans son cœur et ses oreilles l’entendent, depuis son plus jeune âge, lors de la lecture de la Torah. C’est pourquoi, étant un être moral responsable vis-à-vis de Dieu, l’homme est inexcusable de ne pas avoir glorifié le créateur (Romains 1). Tout cela suppose que l’homme a librement laissé s’exprimer ses choix et ses désirs.

C’est là que se situe la pointe de notre problématique : l’incapacité que l’homme a de glorifier Dieu dans ce qu’il fait ne vient pas d’une perte de sa liberté de volition ou de l’apparition d’une certaine coercition au sein de celle-ci ; elle est due au fait que ses désirs, ses affections sont « passionnés » pour le péché. Ainsi, comme le dit justement Lucien Jerphagnon : « Il ne faut point chercher à surprendre la liberté comme une fée ou une déesse de passage dans ce monde, au niveau de ses épiphanies fragmentaires, ou du moins de celles dont on s’avise dans l’instant. Elle est dans l’ensemble de nos hésitations, de nos choix et de nos remords, dans l’ensemble de nos fautes et de notre conversion[43]. »

C’est justement parce qu’il est libre que l’homme est esclave du péché. La Bible reconnaît que l’homme possède une liberté de volition qui fonde sa responsabilité vis-à-vis de Dieu, mais qu’il ne possède pas la « vraie liberté » qui se trouve uniquement en Jésus-Christ, auquel il est uni par la foi sous l’action puissante du Saint-Esprit. Telle est l’œuvre puissante de Dieu au sein de la nouvelle alliance (2 Corinthiens 3 et 4).

Dans notre analyse de certaines des pensées de Luther, Calvin et Edwards, nous retrouvons exactement cela, car ces hommes de Dieu étaient fondés sur la Parole de Dieu (et cela dans lignée de Saint Augustin). En effet, il clair que les réformateurs reconnaissent que c’est par nécessité que l’homme est esclave de son péché, car l’homme ne peut pas agir de façon déconnectée d’une cause ou d’une raison qui lui soit propre. Nos actes sont, en effet, l’expression « nécessaire » (non cessando) des « affections » et des « inclinations » de notre cœur. La liberté de l’homme naturel est en quelque sorte manifestée par notre capacité à avoir des « affections », des « désirs ». Cette liberté de volition est essentielle à la responsabilité de l’homme. En ayant préféré glorifier la créature plutôt que le Créateur, l’homme a rejeté cette altérité Créateur-créature qui était pour lui une source de paix et de joie. Il s’est soumis, par ses affections, à quelque chose du même rang que lui. Et il en a résulté un esclavage.

Nous sommes des créatures et seule une adoration dirigée vers le Créateur (qui n’appartient pas à la création et qui seul est caractérisé par une nature éternelle et sainte) procure une vraie liberté, car la vie intérieure de la créature entre alors en « résonance » avec la vie de son Créateur, dans une relation respectueuse de la réelle altérité qui les sépare.


* D. Saglietto est étudiant à la Faculté Jean Calvin.

[1] A. Camus, Le mythe de Sisyphe : essai sur l’absurde, 1967.

[2] Le Petit Larousse, 2010.

[3] Nous n’étudierons pas non plus quelles furent les influences philosophiques de chacun à cet égard : que ce soit le nominalisme pour Luther, le réalisme modéré pour Jean Calvin ou la philosophie du sens commun pour Jonathan Edwards ; ces trois philosophies, si elles n’ont pas été sans influence sur les évaluations bibliques de la question, n’en ont pas obscurci l’interprétation.

[4] M. Luther, Du serf arbitre, Ed. Gallimard, 2001, 278.

[5] Ibid., 282.

[6] Ibid., 286.

[7] Ibid., 374.

[8] Ibid., 375.

[9] Ibid., 383.

[10] Ibid., 209.

[11] Ibid., 288.

[12] Ibid., 292.

[13] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Aix-en-Provence/Cléon d’Andran, Ed. Kerygma/Excelsis, 2009, II.ii, 208-210.

[14] Ibid., 204.

[15] Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 3.

[16] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, op. cit., II.v, 280.

[17] Saint Augustin, Sur la perfection de la justice de l’homme, IV, 9.

[18] J. Calvin, op. cit., II.iii, 237.

[19] Ibid., 236-237.

[20] Jérémie 17.1.

[21] J. Calvin, op. cit., II.i, 197.

[22] Ibid., 196.

[23] Nous pensons que la Bible appuie clairement (Rm 5.12-21) que le péché d’Adam est imputé de façon immédiate à sa descendance de telle sorte que cette imputation implique à la fois le reatus poenae et le reatus culpae liés à la chute adamique pour l’humanité (cf. The Imputation of Adam’s Sin, John Murray, Nutley, NJ, 1977).

[24] J. Calvin, op. cit., II.i, 200.

[25] Ibid, III.iii, 537 ; italiques ajoutés.

[26] Ibid., II.iii, 238.

[27] Sam Storms, The Will : Fettered Yet Free (Freedom of the Will), in A God-Entranced Vision of All Things, Desiring God, 2004, 204.

[28] Proverbes 21.1.

[29] J. Edwards, Freedom of the Will, Ed. G. and C. Carvill, 1828, 212. Cette double incohérence est aussi brillamment soulignée par G. Clark (in Religion and Revelation, 229) : « Afin de savoir si nos désirs sont déterminés par aucune cause, nous devrions connaître toute les causes possibles de l’univers entier. Rien ne devrait alors échapper à notre connaissance. Etre conscient du libre arbitre requiert l’omniscience. Il en résulte ainsi qu’il n’existe pas de conscience de libre arbitre : ce que le sujet considère comme la conscience de son libre arbitre est simplement l’inconscience du déterminisme. »

[30] J. Edwards, ibid., 2.

[31] Ibid., p 207.

[32] J. Edwards, Freedom of the Will, Ed. Paul Ramsey (New Haven, CT : Yale University Press, 1973), 156.

[33] Il est intéressant de voir qu’Edwards utilise, pour souligner la responsabilité de l’homme, le même argument à propos de la légitimité que Dieu a d’être loué. De plus, il utilise aussi cet argument pour l’authentique honneur qui est dû au sacerdoce de Christ :  « And how strange would it be to hear any Christian assert that the holy and excellent temper and behaviour of Jesus Christ, and that obedience which he performed under such great trials, was not virtuous or praiseworthy, because his will was not free ad utrumque to either holiness or sin, but was unalterably determined to one; that upon this account, there is no virtue at all, in all Christ’s humility, meekness, patience, charity, forgiveness of enemies, (…) According to this doctrine, that creature who is evidently set forth in Scripture as the first-born of every creature, as having in all things the pre-eminence, and as the highest of all creatures in virtue, honour, and worthiness of esteem, praise, and glory, on the account of his virtue, is less worthy of reward or praise than the very least of Saints; yea, no more worthy than a clock, or mere machine, that is purely passive, and moved by natural necessity. » J. Edwards, ibid., 145.

[34] S. Storms, op. cit., 210.

[35] J. Edwards, The Religious Affections, Edimbourg, Banner of Truth, 2007, 48.

[36] Ibid., 49.

[37] Jean 4, cf. Jérémie 2.13.

[38] S. Storms, op. cit., 212.

[39] Ibid.

[40] Ibid., 213. Comme le souligne S. Storms, Edwards nous explique là comment Adam continue à pécher, mais non comment il a commencé à pécher.

[41] Lamentations 3.36, Hébreux 1.3, Colossiens 1.17.

[42] Jean 8.31-47, 1 Corinthiens 2.14.

[43] L. Jerphagon, Servitude de la liberté ?, Ed. Je sais Je crois, 1958, 107. Nous mettons néanmoins un bémol quant à sa notion de « conversion », car dans son ouvrage, l’auteur semble accorder une trop grande valeur à l’intervention de la liberté de l’homme dans sa conversion à Christ (une vision quasi semi-pélagienne).

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