David Powlison – La Revue réformée http://larevuereformee.net Tue, 19 May 2020 09:52:19 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 Les thérapies modernes et la foi de l’Eglise http://larevuereformee.net/articlerr/n287/les-therapies-modernes-et-la-foi-de-leglise Tue, 19 May 2020 11:52:19 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=1085 Continuer la lecture ]]> Les thérapies modernes
et la foi de l’Eglise1

David Powlison
Directeur de la Christian Counseling and Educational Foundation (CCEF) et éditeur du Journal of Biblical Counseling


Lorsque je suis devenu chrétien, j’étais un fervent partisan de la psychologie moderne. J’avais un diplôme universitaire en psychologie et je croyais que mon désir de me connaître moi-même, de connaître les autres et de leur être utile serait comblé dans le cadre d’une profession orientée vers la santé mentale. Je me suis converti alors que je travaillais dans un hôpital psychiatrique et faisais un doctorat en psychologie clinique. Mes projets ont été radicalement chamboulés lorsque j’ai rencontré le Dieu vivant.

Alors que ma foi grandissait et s’approfondissait, j’ai pris conscience des implications d’une pensée cohérente avec les présuppositions de la foi chrétienne. Les chrétiens ont une compréhension plus profonde et plus large de la nature humaine et de ses problèmes que la psychologie. Il nous faut donc réfléchir attentivement et dans la prière au rapport entre un christianisme biblique et les psychologies modernes.

Commençons par définir le mot psychologie. Lorsque j’utilise ce terme, je ne critique en aucune manière la notion de psychologie en général, l’idée que nous sommes des âmes capables notamment de perception, de réflexion, d’émotion, de volonté, de croyance. Tout croyant devrait être un psychologue dans le meilleur sens du mot. Nous devrions étudier l’âme ; nous devrions connaître les gens et comprendre ce qui les motive. Ce que nous devrions critiquer, ce sont les systèmes psychologiques, les théories de la personnalité qui imposent diverses grilles d’interprétation à l’âme humaine, et les psychothérapies qui appliquent ces théories aux individus. On pourrait dire que les psychothérapies fonctionnent comme des « ministères pastoraux » cherchant à communiquer une « parole rédemptrice » aux personnes troublées.

Dans ce sens, on peut légitimement dire que le christianisme biblique offre une psychologie et une psychothérapie supérieures. Le christianisme soumet ses rivaux à une critique radicale. Commençons à faire cela en examinant le développement historique du débat.

Un tournant historique

Aujourd’hui, le christianisme a un rival autoproclamé et déterminé. Il est entré en scène au xxe siècle et a annoncé, en gros, que les ressources de la foi chrétienne étaient dépassées. Elles ne sont plus convaincantes pour l’homme moderne ; elles ne répondent plus à leurs besoins ni à leurs luttes. Ce qu’il nous faut, disait la psychologie moderne, c’est une vision différente, une vérité différente, un autre texte sacré, un autre ministère pastoral et d’autres praticiens pour prendre soin des âmes. Les chrétiens ne s’étaient pourtant pas montrés particulièrement réactionnaires ou agressifs, mais l’attaque est venue délibérément de l’autre côté, comme le montre ce commentaire de Sigmund Freud :

L’expression « travailleur pastoral séculier » pourrait servir de formule générale pour décrire la fonction que l’analyste, qu’il s’agisse d’un médecin ou d’un laïc, doit accomplir dans sa relation avec le public2.

Pour Freud, le rôle d’un psychothérapeute était celui d’un travailleur pastoral séculier, parce que Dieu n’est plus crédible depuis le Siècle des lumières. Or les gens ont toujours les mêmes problèmes (que les chrétiens appellent le péché ou la déchéance). Il faut que quelqu’un fasse le travail pastoral pour guérir les âmes.

Carl Jung était un disciple de Freud avant de rompre avec lui. Il écrit :

Les patients obligent le psychothérapeute à jouer le rôle d’un prêtre et attendent et exigent de lui qu’il les délivre de leur détresse. C’est pourquoi les psychothérapeutes doivent s’occuper de problèmes qui, à strictement parler, relèvent du théologien3.

Dans son livre Modern Man in Search of a Soul, Jung affirme clairement que les anciennes vérités du christianisme ne font plus l’affaire ; il y a un vide spirituel dans le monde moderne, et le psychothérapeute est celui qui est chargé de remplir ce vide, de délivrer de la détresse, entre autres. La forme jungienne de spiritualité est, d’un point de vue chrétien, sans Dieu, sans Christ, sans l’Esprit et sans la Parole.

Abraham Maslow était un artisan clé de la psychologie humaniste. Il commence son livre le plus important, Toward a Psychology of Being, par l’affirmation suivante : « La nature humaine ne semble être ni intrinsèquement ni initialement ni nécessairement mauvaise. »4 Maslow contredit Ecclésiaste 9.3, qui dit : « le cœur des humains est rempli de mal, et la démence est dans leur cœur pendant leur vie ». Maslow ne veut pas entendre cette sombre description de la nature humaine déchue. Les chrétiens croient qu’il y a chez l’homme une tendance à pécher, une tendance à s’éloigner de Dieu. Même les théories psychologiques sont affectées dans leur développement par cette tendance à s’éloigner de Dieu. Mais Maslow conteste cela.

Le behavioriste B.F. Skinner écrit dans son essai utopique, Walden Two : « Ce que Jésus offrait en retour de l’amour de ses ennemis était le ciel sur la terre, la paix intérieure. »5 La paix intérieure est une conséquence de ce que Jésus offre, mais le Jésus des chrétiens n’offre pas seulement une technologie, un certain nombre d’astuces pour faire de vous un être humain détendu et serein. B.F. Skinner pense qu’une technologie comportementale résoudra le dilemme humain ; il croit pouvoir reconditionner les gens de telle sorte qu’ils soient heureux, productifs et équilibrés. Il propose dans Walden Two une autre église, un autre sauveur et un autre évangile.

Le « psy populaire » John Bradshaw se présente comme un psychologue, mais ses idées sont religieuses, comme le montre cette citation : « Jésus nous appelle à être créatifs et à réaliser notre propre JE-SUIS. Aujourd’hui je sais que je suis au plus profond de moi-même une personne merveilleuse. »6 Le point de vue de Bradshaw est que je suis essentiellement un « JE-SUIS » à l’intérieur et que les expériences douloureuses de la vie empoisonnent en quelque sorte ce JE-SUIS merveilleux que je suis par nature. Mon but est donc de renouer avec mon véritable JE-SUIS et de le réaliser. Ce n’est pas le point de vue d’un scientifique neutre. Tous ces théoriciens sont très consciemment religieux ; Bradshaw est juste un peu plus audacieux.

En résumé, les psychothérapeutes sont des « prêtres séculiers », une expression inventée par Perry London, un historien et commentateur influent de la psychothérapie moderne. Les psychologues les plus honnêtes reconnaissent ce rôle. Je dirais de manière encore plus explicite que ce sont des prophètes-théologiens séculiers. Ils donnent un sens à la vie. Ce sont des prêtres-pasteurs qui prennent soin des âmes. Ce sont des rois-anciens qui gèrent les centres de santé mentale, les cabinets de psychothérapie et les hôpitaux psychiatriques.

Trois niveaux de conflit

Etant donné les intentions énoncées par les psychologues du xxe siècle, on s’attendrait à ce que l’Eglise réagisse et qu’un conflit éclate entre le christianisme biblique et ceux qui se proposent de le remplacer et de l’enterrer. On s’attendrait à un triple conflit concernant la question de la vérité, la question de l’amour et la question du pouvoir.

En premier lieu la question de la vérité : Qui a raison ? Qui a raison dans son diagnostic de la condition humaine ? Est-ce vrai que les êtres humains ne sont pas mauvais à l’origine, mais que, pour suivre Maslow, la ruine de nos âmes et le péché et la misère de nos vies sont le résultat de besoins non satisfaits ? Que nous sommes en quelque sorte malmenés par des forces qui nous sont extérieures, et donc que le mal qui est en nous n’est que le résultat de ce qui nous est arrivé ? Est-ce vrai ou est-ce la vision chrétienne qui est vraie ? On s’attendrait à un conflit fondamental concernant la compréhension des problèmes humains.

Le deuxième domaine de conflit tourne autour de la question : Qui a le droit de s’occuper des gens ? Qui est appelé à aimer ? Qui a la responsabilité d’aider les gens brisés, confus, misérables, perdus et déconcertés ? Qui détient l’autorité sociale ? L’Eglise a toujours dit que c’était notre responsabilité ; les ministères de compassion et de proclamation sont la réponse au péché et à la misère de ce monde.

La troisième question est : Qui peut apporter une solution ? C’est la question de l’autorité pragmatique des intervenants. Qui peut confirmer la réalité de leur pouvoir et de leur efficacité ? Qui peut vraiment faire la différence dans la vie des gens ? On s’attendrait à ce que cette question donne également lieu à un conflit.

L’évolution des professions

Permettez-moi d’observer à ce stade que les rôles sociaux du psychiatre, du psychologue et du travailleur social n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Ces vocations ont radicalement changé au cours du xxe siècle. L’idée selon laquelle les professions liées à la santé mentale font une sorte de travail pastoral et se prononcent sur la condition humaine est un développement relativement récent. Il y a cent ans, un psychiatre ne faisait pas un travail thérapeutique ou pastoral.

Un psychiatre était, tout d’abord, un administrateur. Il dirigeait de grandes institutions, et ses principales responsabilités consistaient à assurer la sécurité, fournir trois repas par jour et un environnement agréable à la campagne dans lequel les personnes qui s’étaient écroulées pouvaient échapper au stress de la vie et se réparer. En tant qu’administrateurs, les psychiatres étaient chargés de fournir un milieu propice à la guérison.

En second lieu, ils étaient médecins. S’il y avait un aspect médical à la situation, comme une démence liée à l’alcoolisme, à la syphilis ou à une tumeur au cerveau, un diagnostic médical était prononcé et un traitement pouvait être proposé. Ce n’est qu’après la première visite de Freud en Amérique au début des années 1900 que le rôle psychothérapeutique a commencé à être associé au rôle d’administrateur médical. Fait intéressant, les psychiatres sont retournés ces vingt dernières années dans leur domaine plus médical, somatique et biologique, d’autres praticiens – psychologues, travailleurs sociaux et conseillers pastoraux – ayant contesté leur domination dans le monde de l’« accompagnement pastoral » thérapeutique.

Les significations derrière les étiquettes professionnelles sont changeantes. Il y a cent ans, un travailleur social se rendait dans les quartiers pour s’assurer que les bébés ne seraient pas empoisonnés par un lait frelaté. Les travailleurs sociaux aidaient les femmes enceintes et les mères qui allaitaient aidaient à combattre les injustices, aidaient avec les conditions de logement. Ils étaient essentiellement orientés vers les bonnes œuvres et l’aide aux personnes. Ce n’est qu’à partir des années 1920 que leur rôle a commencé à évoluer vers l’aide psychologique. A l’époque, une controverse est apparue au sein de la profession qui n’a jamais cessé. Les instituts de formation au travail éducatif et social mettent l’accent sur l’un ou l’autre de ces rôles. Certaines écoles orientent leur formation vers la recherche d’emploi, les conditions de logement et la vie associative ; d’autres se concentrent sur le rôle psychothérapeutique.

Il y a cent ans, un psychologue ne faisait rien qui fût lié de près ou de loin à la psychothérapie ou au counseling. Un psychologue était un scientifique, un physiologiste qui faisait des recherches sur des choses comme l’arc réflexe – il piquait votre doigt avec une aiguille et observait comment vous réagissiez. La psychophysiologie et la psychologie expérimentale étaient au cœur du rôle du psychologue.

Pendant la Première Guerre mondiale, leur rôle a commencé à s’élargir lorsqu’ils se sont vu confier la tâche de tester les soldats. Avec quatre millions de personnes appelées sous les drapeaux, comment les militaires auraient-ils pu s’en charger eux-mêmes ? Les tests d’intelligence, d’orientation et d’aptitude ont élargi le rôle du psychologue. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les psychologues sont devenus des psychologues cliniciens et des psychothérapeutes faisant beaucoup de relation d’aide. Ces développements sont liés à des événements historiques. Or les meilleures analyses indiquent que l’évolution des professions liées à la santé mentale vers la psychothérapie est l’inverse de ce qui s’est produit dans l’Eglise. Autrement dit, alors que l’aide psychologique augmentait dans les professions liées à la santé mentale, l’entretien pastoral en tête à tête s’affaiblissait dans l’Eglise.

Le recul de l’Eglise

Les chrétiens ont reçu de riches connaissances concernant un accompagnement pastoral qui comprenne vraiment les gens, creuse patiemment dans leur vie, avec amour, vérité et puissance. Cette richesse a été malheureusement très peu exploitée.

Le côté obscur de cette vérité est que l’Eglise s’est montrée intellectuellement dépendante, structurellement subordonnée et faible dans sa pratique. L’Eglise a eu tendance à penser que le peuple de Dieu avait besoin d’appendre d’Adler, Freud, Skinner, Rogers et Jung. Nous nous sommes laissé persuader qu’ils détenaient la vérité, qu’ils connaissaient vraiment les gens et que nous devions nous soumettre à leurs connaissances. Nous nous en sommes remis à eux intellectuellement.

L’Eglise a aussi été structurellement subordonnée. Dans de nombreux cas, elle s’est contentée de renvoyer les gens vers les « spécialistes ». Elle a donné l’impression qu’on pouvait compter sur elle dans une certaine mesure pour réconforter les personnes en souffrance, mais que dans les cas plus graves son rôle était d’orienter vers des professionnels plus qualifiés. Nous sommes devenus structurellement subordonnés.

L’Eglise s’est également montrée faible dans sa pratique. Sa théologie pratique et ses entretiens en tête à tête ont été généralement défaillants. D’un côté, l’Eglise a tendance à être superficielle et moraliste : « Passe du temps avec Dieu, va à l’Eglise, et tous tes problèmes disparaîtront. » De l’autre côté, on met en avant une sorte de spiritualité de la réparation instantanée : « Aie une expérience extraordinaire avec Dieu, laisse Dieu agir, chasse le démon de colère, et en un instant tous tes problèmes seront résolus. » Tous les problèmes qu’il faudrait traiter entre les deux – se connaître soi-même en profondeur, connaître les autres, les aimer et travailler patiemment avec eux – ont tendance à être confiés aux autres professions, et le rôle de l’Eglise est devenu secondaire.

Le sociologue Andrew Abbott a analysé la façon dont l’Eglise avait reculé alors que les professions psychosociales gagnaient du terrain. Voici ce qu’il dit concernant la fin du xixe siècle :

Les analyses du clergé restent primitives. La reconnaissance progressive des troubles de la personnalité comme catégories légitimes relevant du travail professionnel n’a pas produit d’effort sérieux de la part du clergé pour les conceptualiser. L’incapacité du clergé à fournir un fondement académique à sa pratique concernant les troubles de la personnalité a fini par révéler son incompétence. Si une autre profession devait établir un diagnostic et des systèmes thérapeutiques pertinents, l’autorité culturelle simpliste du clergé serait facilement remplacée7.

C’est exactement ce qui s’est produit dans la période qui a suivi 1880. Abbott estime que les membres du clergé dans les années 1920 avaient perdu toute autorité culturelle concernant les troubles de la personnalité. L’Eglise n’était pas jugée capable d’apporter des réponses profondes et rigoureuses. Elle a été repoussée dans les marges du piétisme et du moralisme.

Analysant la situation des années 1920, Abbott écrit :

C’est pendant cette période qu’est apparu le mouvement d’éducation pastorale clinique, un mouvement de formation pastorale visant à donner aux jeunes membres du clergé une expérience directe avec les troubles de la personnalité récemment définis. Les séminaristes apprenaient les rudiments de la nature humaine des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux qui connaissaient ces rudiments ; c’est-à-dire, des professionnels qui maîtrisent actuellement les définitions de ceux-ci [italiques ajoutés]8.

La psychologie séculière faisait des affirmations qu’elle était capable d’étayer ; l’Eglise et la culture y ont adhéré. Les gens qui connaissaient la nature humaine se trouvaient dans les professions liées à la santé mentale. L’Eglise devait désormais consulter les autorités séculières pour apprendre les rudiments de la nature humaine.

La démission de l’Eglise

Bref, l’Eglise du Christ a perdu le cœur de son ministère, la compréhension et le soin des âmes. Ce domaine est devenu celui des professions séculières, et l’Eglise a été repoussée dans les marges.

Vers qui se tourne-t-on lorsqu’il s’agit de comprendre le cœur humain ? La psychologie séculière. Prenez la question de l’auto-séduction. Freud parlait de « mécanismes de défense ». Ce qu’il décrivait était, bibliquement, la séduction du péché, mais les analyses profondes de ce phénomène ont été interprétées pour correspondre à une autre vision du monde, et ce travail n’a pas été fait par les chrétiens. De la même façon, l’impact de nos situations, de nos traumatismes, de nos souffrances, des torts que nous avons subis, ainsi que les influences plus subtiles de l’environnement social sont des choses dont la Bible parle. Ce sont des données bibliques de base ! Mais le monde les a récupérées et reconfigurées.

Ou considérez la question des motivations. Pourquoi les gens font-ils ce qu’ils font ? Comment analyser leur système de croyances ? Leurs envies irrésistibles ? Leurs peurs ? Comment ces choses façonnent-elles l’identité et affectent-elles le fonctionnement de la conscience ? Ici encore, des thèmes et des enjeux intrinsèquement bibliques sont devenus le domaine de personnes extérieures à l’Eglise.

Beaucoup d’autres choses ont également quitté le domaine de l’Eglise : le changement progressif, le conflit interpersonnel, l’éducation des enfants, la communication, les comportements addictifs, toutes les émotions négatives – la culpabilité, l’anxiété, la dépression, la colère, la peur de vieillir, la mort. Ce sont des choses dont parle l’Ecriture, mais elles sont devenues le domaine des professions liées à la santé mentale que la plupart des gens considèrent aujourd’hui comme détentrices de la vérité, de l’amour et du pouvoir. Ces professions « savent » comment les gens fonctionnent. Elles sont chargées d’aimer, d’aider et de prendre soin, et elles semblent faire une différence.

L’Eglise vit en marge des débats importants, sa pratique étant trop superficielle ou trop mystique. Les gens du xxe siècle observent la vie humaine et disent : « La religion ne fonctionne pas ! L’Eglise n’apporte aucune réponse pertinente ! » Seuls les psychologues s’intéressent aux vrais problèmes à l’intérieur de l’âme humaine. Et pourtant la Bible aborde ces problèmes en profondeur.

La responsabilité des chrétiens est de se réapproprier ces questions. Comment revendiquons-nous notre place dans les débats importants au sujet des gens, de leurs problèmes et des solutions ?

Les opportunités actuelles de l’Eglise

Notre époque offre aux chrétiens des opportunités de se réapproprier les questions de la relation d’aide et de la psychologie. Dans notre culture, je crois que les psychothérapies sont maintenant vulnérables à une critique chrétienne réfléchie. Premièrement, il y a eu une fragmentation radicale et croissante des psychologies tout au long du xxe siècle. Cela rend l’idée selon laquelle la psychologie serait la vérité – la révélation et la science de notre temps – de moins en moins défendable. Lorsqu’une discipline a de nombreux systèmes qui se contredisent mutuellement, il faut en déduire qu’il n’y a pas une mais des psychologies. Et s’il en est ainsi, il est difficile de prétendre détenir la vérité. Les principaux théoriciens – Freud, Jung, Maslow, Skinner et d’autres – ne s’accordent pas les uns avec les autres. Leurs successeurs ne croient même plus à la possibilité d’une théorie unifiée et se contentent de proposer des microthéories et des combinaisons éclectiques.

En outre, les professions liées à la santé mentale ont fait l’objet de critiques sévères de la part d’historiens et de philosophes de la science et de la médecine. Même des non-chrétiens se sont inquiétés de la médicalisation des problèmes de la vie. Si le crime, l’alcoolisme ou les problèmes liés à l’enfance sont considérés comme des troubles médicaux et non comme des problèmes fondamentalement moraux, quelles en sont les implications sociales ? Les gens qui réfléchissent à la nature de la justice, de la morale publique et de la vie civile s’inquiètent sérieusement de la médicalisation des problèmes de comportement.

Les historiens de la science ont aussi émis leurs critiques et leurs réserves. Thomas Kuhn et Carl Popper ont été les plus influents ces trente dernières années. Ni l’un ni l’autre ne croyaient que les psychologies étaient de la science. Ils les considéraient comme plus proches du mythe, de la philosophie, de la religion et de la politique. Les psychologies ne sauraient prétendre, selon Kuhn et Popper, au statut scientifique, étant donné qu’elles traitent profondément de vision du monde et de questions morales.

Charles Rosenberg, le plus grand historien américain de la médecine et, dans une certaine mesure, un ami de la psychiatrie, a offert une critique frappante de la légitimité de la psychiatrie au sein de la culture. Il fonde celle-ci sur trois choses. Il dit tout d’abord que la psychiatrie en tant que spécialité médicale est en grande difficulté parce que sa prétention à en être une repose sur le fait d’être considérée comme une science médicale. Or beaucoup de médecins sont très dubitatifs au sein du monde médical. Ils craignent que des sorciers se soient introduits d’une façon ou d’une autre dans le camp des sciences dures. Par conséquent, alors que la psychiatrie a besoin d’être considérée comme de la médecine pour être légitime, elle est sous le feu de ses pairs.

Deuxièmement, Rosenberg souligne une chose très curieuse dans la psychiatrie elle-même. Les aspects de la psychiatrie qui sont les plus proches de la médecine, comme le traitement des psychoses du sida en phase terminale, des tumeurs cérébrales et de la maladie d’Alzheimer – des problèmes comportant des éléments physiologiques évidents – ont le statut le plus bas au sein de la profession. Ce domaine de responsabilité relevant de la « science dure » est relégué aux formes de soins de la maison de repos et de l’hôpital psychiatrique ; ici la psychiatrie n’est pas très différente de ce qu’elle était au xixe siècle.

Quels sont les aspects de la psychiatrie qui ont le statut le plus élevé ? Comme le dit Rosenberg : « Une bonne partie de la littérature psychiatrique la plus influente de notre siècle consiste en affirmations générales sur la condition humaine. »9 Y ont contribué des hommes comme Freud et Jung et des psychologues comme Maslow et Skinner. Rosenberg estime que les revendications de la psychiatrie en tant que théologie et philosophie porteuse de sens sont très douteuses. Vous avez donc une profession qui dédaigne les éléments relevant de la science dure – ceux-là mêmes qui lui donnent une légitimité (« nous sommes une science médicale ») –, et dont la revendication la plus séduisante (être les arbitres de la réalité) est aussi la plus discutable. En fin de compte, les psychologies rivalisent avec les autres religions et les autres visions du monde.

Le troisième point de Rosenberg est que, dans l’ensemble de la société, les professions liées à la santé mentale se sont vu confier un vaste territoire : l’éducation des enfants, la criminalité, la délinquance juvénile et les difficultés de la vie de tous les jours – anxiété, inquiétude, dépression, colère, relations interpersonnelles, conflit. Mais elles ne peuvent pas fournir de solutions. En tant que chrétiens, nous savons qu’elles ne peuvent pas délivrer les gens parce qu’elles ont affaire au péché et à la misère, aux tourments de la vie sur une planète qui vit dans les ténèbres. Rosenberg parle du « gouffre amer » entre les attentes et l’accomplissement, lorsque la société attend de la psychiatrie qu’elle apporte des réponses à la délinquance juvénile, l’anxiété, la dépression et l’insignifiance.

Formuler la solution chrétienne

Si notre culture a longtemps accepté sans réfléchir les affirmations de la psychologie, les choses sont en train de changer. Mais le fait que la foi biblique puisse être formulée de manière positive pour reconquérir le terrain perdu m’encourage encore plus. L’Ecriture aborde tous les aspects de l’expérience humaine. Nous avons l’occasion de présenter une solution distinctivement chrétienne au monde dans lequel nous vivons.

Nous pouvons proposer à notre génération les ressources d’un christianisme cohérent avec ses présuppositions. Prenons la métaphore bien connue des cinq aveugles et de l’éléphant. Chacun décrit ce dernier différemment, comme un mur, un serpent, une corde, un arbre ou une feuille, selon la partie du corps qu’il est en train d’examiner. La parabole a souvent été utilisée pour souligner le rôle des présuppositions dans notre façon de voir les choses.

Mais imaginez que les aveugles ne le soient pas réellement ; ils souffrent d’un rétrécissement du champ visuel et d’un sévère astigmatisme. L’homme qui prend la patte de l’éléphant pour un arbre est tout près de lui. Il s’intéresse aux troncs d’arbres et étudie attentivement la patte. Il produit un traité extrêmement savant sur la nature de l’écorce de l’arbre et des insectes qui y ont élu domicile et semblent causer des dommages. Il décrit le fait qu’enfoncer un objet tranchant dans l’écorce provoque le jaillissement d’une sève rouge. Il ne peut expliquer pourquoi elle s’écoule de manière rythmique, mais il décrit en détail la sève rouge de cet « arbre ». Il a aussi une théorie qui explique pourquoi l’arbre se déplace de temps en temps. Cela semble contradictoire avec ce que nous savons des arbres, et pourtant, on dirait que l’arbre bouge. Il parle de façon très détaillée des cataplasmes qui peuvent être utilisés pour arrêter le flux de sève et des crèmes qui peuvent être appliquées sur l’écorce pour tuer les insectes…

Maintenant imaginez qu’en tant que chrétiens nous nous tenions à une douzaine de mètres de l’éléphant. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’un éléphant ! Nous voyons les gens tels qu’ils sont : créés à l’image de Dieu, en révolte contre lui, susceptibles d’être rachetés en Christ et transformés par la puissance du Saint-Esprit. Mais parce que nous nous tenions à distance, nous ne savions pas que les genoux saignaient. Nous ne savions pas que des insectes s’étaient logés dans les plis de la peau. Nous ne savions même pas que la peau avait des plis parce que nous étions trop éloignés. Nous ne connaissions pas les détails du problème de l’éléphant, c’est pourquoi nous n’avons jamais envisagé d’apporter un remède spécifique, une pommade pour les genoux ensanglantés.

Cela illustre bien notre dilemme actuel. En tant que chrétiens, nous nous sentons interpellés par les personnes qui étudient si méticuleusement l’éléphant. Nous n’avions jamais remarqué que du sang sortait des genoux ni que des insectes y avaient élu domicile. Une telle perspicacité nous interpelle, nous reprend, nous oblige à revoir notre copie et à creuser la question théologiquement. Mais nous savons en même temps qu’ils saisissent mal les problèmes et que les solutions qu’ils proposent sont erronées. Nous sommes frappés par l’absurdité de leurs conclusions. « Comment peuvent-ils dire que c’est un arbre ? Ce n’est pas de la sève ; c’est du sang ! Ce n’est pas de l’écorce ; c’est de la peau ! C’est un éléphant, pas un arbre ! » Ce dilemme illustre l’attitude des chrétiens à l’égard des sciences humaines.

Critique radicale et humble service

D’une part, un dialogue chrétien avec notre temps inclura une critique radicale des systèmes psychothérapeutiques et psychologiques. Ils ont tort. Ils sont tous condamnés à se tromper parce qu’ils ne prennent pas en compte la nature pécheresse de l’homme. Notre condition s’explique, d’une façon ou d’une autre, par ce qui nous arrive ou par les choix que nous faisons, indépendamment de toute considération morale. Quand une théorie humaniste dit que vos besoins n’ont pas été satisfaits par vos parents, lorsqu’une théorie psychodynamique affirme que le traumatisme que vous avez subi dans votre enfance a déterminé votre vie, quand une théorie comportementale dit que vous avez été conditionné par des forces socioculturelles ou quand une théorie physiologique explique les problèmes de la vie en termes de génétique, de neurophysiologie et de déséquilibre chimique, chacune d’elles s’efforce de vous apporter une réponse différente du salut en Christ.

Cela fait partie de la tromperie du péché. Les systèmes ne sont pas neutres. Si la Bible a raison de dire que la vie n’a pas de sens en dehors de Dieu, et que je crée par ailleurs un système d’interprétation qui écarte cette vérité, je commets une erreur fondamentale. En tant que chrétiens, nous pouvons critiquer avec force un tel système.

D’autre part, nous devons aussi reconnaître avec humilité que qu’Eglise a échoué. Les chrétiens du xxe siècle se sont avérés incapables de s’intéresser à ce que les gens vivaient réellement. Nous n’avons pas voulu nous salir les mains ni prendre soin des gens avec patience et perspicacité. Trop souvent la foi chrétienne a offert des réponses mystiques ou légalistes aux malheurs de l’humanité.

En quoi consiste un engagement nouveau, profond et pratique ? Tout d’abord, nous voulons comprendre comment le péché influence le travail du psychologue qui écrit son traité sur « les coléoptères et la sève rouge de l’arbre ». Nous voulons être capables de distinguer (1) ce que le psychologue décrit, (2) sa grille d’interprétation et (3) quelles en sont les implications thérapeutiques.

Prenons à titre d’exemple l’ouvrage d’Alfred Adler, Understanding Human Nature. Soixante-dix pages sont consacrées à une des descriptions les plus fines de la corruption humaine que je connaisse. Ce qui est intéressant, c’est qu’Adler ne croit pas à la corruption totale ; il ne croit pas au péché. Mais il analyse les raisons pour lesquelles les gens agissent de manière stupide. Il s’intéresse à la cruauté de la vie et étudie les ruses, le chaos et l’égocentrisme. Il a vraiment à cœur d’aider, mais c’est là qu’on voit les effets trompeurs du péché. Les observations d’Adler ne sont pas de simples idées philosophiquement neutres qu’un chrétien pourrait transférer telles quelles dans un cadre chrétien. Adler se sert d’une grille d’interprétation pour décrire la réalité. Cela a un triple effet même sur les « données » fournies par Adler.

L’effet grossissant

Tout d’abord, les présuppositions d’Adler ont un effet grossissant. Tout se passe comme si la personne souffrant d’un rétrécissement du champ visuel et d’astigmatisme utilisait un microscope. Alors qu’elle observe attentivement les genoux de l’éléphant, elle voit ce que personne d’autre n’a jamais vu auparavant ; elle peut offrir des détails stupéfiants sur la vie humaine. C’est l’effet grossissant.

Supposons, par exemple, que quelqu’un adhère à la théorie selon laquelle tous nos problèmes sont liés aux traumatismes que nous avons subis dans l’enfance. Il observera au microscope tout ce qui nous est arrivé dans notre passé. Il fouillera tel ou tel événement traumatique et douloureux et il trouvera des détails étonnants sur la façon dont les gens ont été blessés, maltraités, dénigrés, abusés, trompés ou égarés. Il y a là une grande richesse descriptive.

L’effet aveuglant

Mais la théorie a aussi un effet aveuglant. Elle ne voit que certaines choses. Si vous vous servez d’un microscope, il y a beaucoup de choses que vous ne voyez pas.

Par exemple, celui qui adhère à la théorie de l’influence déterminante de l’expérience infantile peut voir de nombreux détails chez la personne A, qui est anxieuse, dépressive et irritable, qui abuse de la nourriture et cherche l’amour dans des relations sexuelles sans lendemain, et qui a connu de terribles expériences quand elle était enfant.

Mais le théoricien a des œillères quand il s’agit de la personne B, qui a reçu une éducation très différente mais a les mêmes problèmes que la personne A. Elle n’a que de bons souvenirs, a été très bien élevée et traitée avec gentillesse et respect, n’a pas été trahie. Pourtant elle mange trop, a une sexualité déréglée et manifeste de l’anxiété et de l’irritabilité. Les œillères du théoricien le poussent à exclure des choses qui l’obligeraient à réviser son interprétation.

Et il y a la personne C, qui a été abusée, maltraitée et trahie, mais qui s’en est très bien sortie. Comment intégrez-vous le Seigneur Jésus-Christ et son pouvoir de libération dans une théorie selon laquelle la trahison et l’abus contrôlent votre vie ? Cet effet aveuglant exclut de nombreuses données nécessaires à une bonne compréhension de la vie humaine.

L’effet déformant

L’effet le plus inquiétant est la déformation généralisée. Si mes présuppositions m’amènent à maintenir que je décris des arbres et non des éléphants, cela déformera chacune de mes observations. Mes présuppositions influencent mes descriptions d’une manière fondamentale. Elles ont également une influence sur les implications, la psychothérapie, la manière d’élever les enfants, la méthode de résolution des conflits, entre autres.

Ma manière d’expliquer un problème orientera ma recherche de solutions. Si je dis, à cause de ma grille d’interprétation, que votre problème de colère témoigne de la présence d’un démon de colère, je vous proposerai de le chasser. Si j’estime que votre problème de colère est lié au manque d’amour dont vous avez souffert dans votre enfance, j’essaierai de répondre à votre besoin d’amour. Si je pense que votre problème de colère provient de problèmes cognitifs qui déforment votre interprétation de la réalité, je chercherai à changer votre manière de penser, à changer la façon dont vous interprétez votre univers. Si je pense que la raison pour laquelle vous êtes en colère est que vous êtes Bélier ascendant Sagittaire et que mars est un mauvais mois pour les Bélier, je vous conseillerai de suivre votre horoscope et de faire profil bas.

Votre grille d’interprétation vous oriente vers des solutions qui correspondent à votre diagnostic. Si je pense que vous êtes programmé pour être agressif parce que la colère est une réaction génétique, physiologique et hormonale à n’importe quelle menace, j’en conclurai qu’il est inutile d’espérer le moindre changement. J’essaierai donc de contrôler au mieux la situation en vous privant de liberté ou en vous prescrivant des calmants.

La tâche de réinterprétation

La grille d’interprétation d’une personne contrôle sa description de la réalité et les conséquences qu’elle en tire. C’est ici que nous pouvons, en tant que chrétiens, évaluer les systèmes de croyances de notre culture. Nous pouvons interagir avec les présuppositions et nous engager dans une tâche de réinterprétation. Celle-ci consiste à démonter le cadre de référence de nos contemporains et à leur présenter les choses sous un autre angle. En tant que chrétien, je peux dire :

Les choses que vous avez décrites comme l’écorce et la sève d’un arbre se comprennent mieux s’il s’agit d’un éléphant. En fait, s’il s’agit d’un éléphant, beaucoup de choses que votre théorie ne pouvait expliquer prennent sens, comme l’écoulement rythmique de la sève et le mouvement des troncs d’arbres.

Pour passer de la métaphore de l’éléphant à l’être humain, supposons que vous pensiez que le fait d’avoir des parents instables fait automatiquement de vous une personne instable. Considérons maintenant le fait que certaines personnes qui ont grandi dans une famille instable sont devenues des personnes équilibrées, et que d’autres qui avaient de bons parents sont devenues des personnes instables. Vous devriez enlever vos œillères et regarder les choses sous un angle différent. Cette tâche de réinterprétation est au cœur de la rencontre apologétique et de l’annonce de l’Evangile à ceux qui ont été influencés par la psychologie.

L’exemple de l’estime de soi

Voyons comment la tâche de réinterprétation fonctionne avec l’exemple d’une faible estime de soi. Un scénario typique décrit une personne avec des parents très exigeants qui réagit en ayant une faible estime de soi et tous les comportements qui l’accompagnent. La personne est prête à tout pour se faire aimer de ses parents. Peut-être a-t-elle un comportement sexuellement immoral, ou peut-être fait-elle un usage destructeur de la nourriture, cherchant d’une certaine manière à attirer l’attention de quelqu’un. Ses parents étaient capricieux et manipulateurs ; peut-être étaient-ils violents et ont-ils trahi sa confiance. Elle est prisonnière d’un sentiment d’échec et de culpabilité, essayant de plaire aux gens sans jamais y parvenir.

Notre culture voit ce genre de cas et dit que c’est un problème de « faible estime de soi ». La solution consiste à essayer de créer un sentiment de plus grande confiance en soi. Une clé est de trouver un thérapeute ou un groupe très accommodant dont la règle cardinale est : « Je t’accepterai. » (Carl Rogers utilise l’expression « regard positif inconditionnel », une attitude fondamentale d’affirmation, de validation et d’acceptation totale.)

Supposons qu’une des choses qui pèsent sur cette personne est qu’elle ne gagne que 18 000 euros par an en tant qu’infirmière alors que ses parents voulaient qu’elle devienne médecin et gagne beaucoup plus. Elle s’est efforcée de satisfaire ses parents sans jamais y parvenir. Le thérapeute très accommodant lui dira que ce n’est pas grave si elle ne gagne que 18 000 euros et n’est qu’une infirmière. C’est acceptable. Vous êtes vous-même. Ayez confiance en vous-même ! Affirmez-vous ! Soyez heureuse de ce que vous êtes ! Il lui offre une contrefaçon de l’amour et une contrefaçon de la vérité. Mais ces réponses réveillent de mauvais souvenirs chez cette personne. Elle a été malheureuse et désespérée, remplie de crainte et d’anxiété, peut-être facilement irritable, peut-être même un peu paranoïaque. Soudain, elle se trouve dans une nouvelle situation. On lui dit qu’elle n’a pas besoin de plaire à ses parents. Elle gagne à être connue telle qu’elle est. Elle peut s’accepter elle-même. Le thérapeute l’accepte, et les autres personnes dans le groupe de soutien l’acceptent. Ses critères d’auto-évaluation deviennent plus « réalistes ».

On peut imaginer quel soulagement la personne éprouvera. Elle se sentira mieux ; ses comportements seront peut-être moins compulsifs ; elle développera un certain sentiment de satisfaction, deviendra moins nerveuse et plus confiante, moins facilement irritable, et moins anxieuse. Beaucoup de gens se satisfont de tels résultats.

Que faisons-nous en tant que chrétiens dans une telle situation ? Certaines de nos catégories bibliques fondamentales nous disent, par exemple, qu’il est vrai que nous vivons tous dans un monde qui cherche à nous façonner et à nous inculquer un système de valeurs douteux. Il est également vrai que les autres peuvent nous faire du tort de plusieurs manières.

Notre système nous dit aussi que nos réactions, nos comportements et nos émotions viennent de quelque part. On trouve dans la Bible d’immenses trésors pour comprendre les motivations humaines à la lumière de la chute. Par exemple, on pourrait dire que cette personne est sous l’emprise de ce que la Bible appelle la crainte de l’homme. Cela se traduit de la manière suivante :

J’ai besoin de l’approbation de mes parents. Si je ne peux pas avoir la leur, j’essaierai de l’obtenir de quelqu’un d’autre. Si je dois coucher avec quelqu’un pour obtenir son approbation, je le ferai. Si je ne peux pas l’obtenir, je mettrai de la nourriture dans ma bouche pour combler le vide. J’ai soif d’approbation. Je m’inquiète de ce que ces gens pensent de moi. Ça ne marche jamais parce que je vis pour leur plaire, alors qu’ils sont impossibles à satisfaire, et je suis à bout de nerfs. J’ai aussi un problème avec ce que la Bible appelle l’orgueil. Je cherche à réussir quelque chose afin que ma vie vaille la peine d’être vécue. Je pense que si j’étais médecin et gagnais 80 000 euros par an, ma vie serait une réussite. Parce que la barre est trop haute pour moi, ma vie est un échec.

D’un point de vue biblique, ces réactions sont parfaitement compréhensibles – non comme le produit d’une situation difficile, mais comme le produit de l’interaction entre une situation difficile et trompeuse et un cœur qui réagit aux pressions qu’il subit avec ses propres solutions pécheresses. Ces réactions proviennent d’un cœur dirigé par la crainte de l’homme et l’orgueil.

C’est là qu’une analyse chrétienne devient radicale. Nous voyons le « succès » thérapeutique du psychothérapeute et disons :

Je peux reconnaître que vous avez apporté un certain soulagement à cette personne, mais elle n’a absolument pas changé au niveau des motivations. Elle continue à craindre les gens et à rechercher l’approbation humaine. La seule chose qui ait changé, c’est l’objet de son attention. Au lieu de chercher à plaire vainement à ses parents et d’être à bout de nerfs, elle cherche maintenant son bonheur dans un thérapeute ou un groupe de soutien accommodant. Pas étonnant qu’elle se sente mieux. On pourrait dire que son idolâtrie a été réhabilitée ! L’idolâtrie qui autrefois rendait sa vie misérable l’aide à mieux s’accepter. Elle cherche à s’entourer d’autres personnes accommodantes. Elle passe moins de temps dans des comportements destructeurs et à se comparer aux autres et elle a réajusté ses objectifs de manière à pouvoir les atteindre. Maintenant elle dit qu’être infirmière et gagner 18 000 euros par an est acceptable. Cela n’a rien de déshonorant.

Son orgueil et son autosuffisance ont aussi été réhabilitées.

Le paradigme biblique

D’un point de vue biblique, cette personne souffrant d’une faible estime de soi a été induite en erreur. Elle se sent mieux, mais sa vie a-t-elle été réellement transformée ? Les buts qu’elle s’est fixés sont-ils dignes du projet de Dieu pour ses créatures ? Où est l’amour ? Où est la joie ? Où est la gratitude ? Où est l’obéissance ? Où est l’esprit de sacrifice ? Où est le courage d’aimer ses ennemis ? Où est la croissance à la ressemblance de Jésus ? Une confiance en soi « réaliste » n’est pas un trait de caractère chrétien !

Se sentir mieux dans sa peau, être heureux et avoir confiance en soi sont des buts dérisoires. Il y a des choses beaucoup plus importantes à viser ; en fait, ces choses nous sont données par surcroît lorsque notre cœur est renouvelé par la grâce. Si la crainte de l’homme est remplacée par la confiance en Dieu, et si l’orgueil est remplacé par une humilité qui cherche à plaire au Christ miséricordieux, alors des fruits d’une autre sorte apparaissent. Nous avons un nouveau cœur, de nouvelles valeurs et de nouvelles priorités. Nous avons un nouveau Dieu.

Ce qui se passe en somme même dans une « psychothérapie » réussie, c’est une réhabilitation des anciens dieux, et non une rencontre avec le Dieu vivant et vrai. En tant que chrétiens, nous pouvons nous intéresser à la manière dont les non-chrétiens voient les problèmes humains. Nous pouvons aussi examiner les solutions qu’ils proposent et leur appliquer un nouveau paradigme. Nous pouvons analyser leurs présuppositions, en souligner les incohérences et réinterpréter leur vision des choses d’une manière radicale et biblique.

Nous avons affaire en permanence à des gens influencés par la psychologie. Peu d’entre eux sont des psychologues. Ils sont assis à côté de nous à l’église, ils souffrent d’une faible estime de soi, d’une dépendance sexuelle ou d’un trouble de l’alimentation.

Bien qu’ils soient imprégnés de psychologie, nous pouvons leur venir en aide. En offrant une interprétation plus profonde et plus riche de la réalité, nous avons la possibilité d’édifier l’Eglise et de lancer un défi au monde séculier. Nous pouvons proposer un changement de paradigme qui donne un sens aux choses qu’ils voient. Ce qu’ils appellent écorce, nous l’appelons peau. Ce qu’ils appellent sève, nous l’appelons sang. Ce qu’ils appellent guérison, nous l’appelons repentance et foi en Christ. Notre analyse du problème est plus radicale que la leur parce que nous savons que c’est un problème entre l’homme et Dieu. La solution que nous proposons est plus efficace que la leur parce que nous avons un Sauveur qui a résolu ce problème, qui a subi la colère de Dieu à notre place et nous transforme par le Saint-Esprit.

Le test de la véracité de toute analyse de la condition humaine est sa capacité à présenter le Christ comme la vraie réponse aux besoins humains. Le test de tout dialogue réellement chrétien avec les psychologies et les psychothérapies est sa capacité à les appeler à se repentir de leur vision déformée de la réalité.


  1. Traduit avec permission de la Christian Counseling & Educational Foundation (CCEF). L’article original est paru dans le Journal of Biblical Counseling (vol. 15, no 1, copyright © 1996) sous le titre « Modern Therapies and the Church’s Faith ». Tout le contenu est protégé par copyright et ne doit pas être reproduit sans la permission écrite de la CCEF. Pour plus de renseignements sur les cours, conférences, formations à distance et autres services, vous pouvez consulter www.ccef.org.↩

  2. Sigmund Freud, The Question of Lay Analysis (1927). Traduit et publié par James Strachey, New York, W.W. Norton, 1959, p. 93. Traduction française, La question de l’analyse profane (Folio-Gallimard, 1985/1998).↩

  3. Carl Jung, Modern Man in Search of a Soul (1933). Traduit par W.S. Dell et Cary F. Baynes, San Diego, Harcourt Brace Jovanovich, p. 241. Traduction française, L’homme à la découverte de son âme (Albin Michel, 1987).↩

  4. Abraham H. Maslow, Toward a Psychology of Being, New York, Van Nostrand Reinhold, 1968, p. 3. Traduction française, Vers une psychologie de l’être (Fayard, 1972).↩

  5. B.F. Skinner, Walden Two, New York, Macmillan, 1948, p. 107.↩

  6. John Bradshaw, Homecoming : Reclaiming and Championing Your Inner Child, New York, Bantam, 1990, p. 274, 276. Traduction française, Retrouver l’enfant en soi (Editions de l’Homme, 2004).↩

  7. Andrew Abbott, The System of Professions : An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 186.↩

  8. Ibid., p. 309.↩

  9. Charles E. Rosenberg, Explaining Epidemics and Other Studies in the History of Medicine, New York, Cambridge University Press, 1992, p. 252.↩

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David Powlison

Cet article s’adresse aux pasteurs – mais il concerne aussi tous ceux qui s’intéressent à la relation d’aide. Si vous n’êtes pas pasteur, vous découvrirez des manières de voir, de penser et de discuter qui rafraîchiront aussi votre manière de conseiller. Les points abordés vous concernent directement. J’espère que vous trouverez cette vision éclairante et encourageante. Si vous êtes pasteur, j’espère que le message influencera et nourrira non seulement vos entretiens en tête à tête, mais aussi votre manière de prêcher, d’enseigner et de diriger. Tous les lecteurs s’apercevront, chemin faisant, que cet article est, en fait, une introduction à la philosophie, à la méthodologie et au processus de la relation d’aide biblique.

Durant les périodes où l’Église était fortement sensible à l’Écriture, les pasteurs conseillaient correctement et avec sagesse. Ils étaient conscients que la relation d’aide constituait une part importante de leur vocation pastorale. La foi proclamée et pratiquée dans la vie ecclésiale trouve aussi une expression naturelle dans les conversations de la vie courante.

Pasteur, vous êtes un conseiller.

Peut-être ne vous considérez-vous pas de cette manière (et peut-être votre communauté ne vous voit-elle pas non plus ainsi). Peut-être ne voulez-vous pas être un conseiller. Mais vous en êtes un.

Peut-être êtes-vous absorbé par la prédication, la direction et l’administration, et ne vous reste-t-il que peu de temps pour l’accompagnement pastoral. Cela peut facilement se produire. Beaucoup de pasteurs n’ont pas et ne prennent pas le temps de parler sérieusement avec les gens. Ils considèrent que la plupart d’entre nous, nous n’avons pas besoin d’une conversation franche et constructive. Cette absence d’engagement, qu’elle soit volontaire ou non, donne l’impression que l’exercice public du ministère et le culte personnel sont suffisants pour prendre soin et guérir des âmes obstinées, anxieuses, meurtries et immatures – comme les nôtres. La sagesse de l’Écriture et de l’histoire de l’Église montrent clairement le contraire.

Vous êtes peut-être un piètre conseiller. Êtes-vous timide, hésitant, passif ? Êtes-vous agressif, autoritaire, intransigeant ? Compatissez-vous tellement à la détresse d’autrui que vous avez du mal à faire passer la conversation à la vitesse supérieure ? Les gens ont-ils l’impression que vous ne les écoutez pas vraiment et que vous ne vous intéressez pas à eux, si bien qu’ils ne voient pas pourquoi ils devraient vous faire confiance ? Parlez-vous trop de vous-même – ou pas assez ? Êtes-vous trop « sympa » – ou trop distant ?

À la différence du livre des Proverbes, avez-vous un discours moralisateur et très exigeant ? « Lis ta Bible… Sois responsable… Passe du temps avec Dieu… Engage-toi dans l’Église… » Mais les proverbes soulignent les fruits de la grâce et n’indiquent pas comment obtenir celle-ci. Ils ne font pas la morale. Ils nous font réfléchir sur ce à quoi nous faisons le plus confiance ou sur ce que nous craignons. Ils présentent le Dieu qui donne la sagesse à ceux qui la demandent et qui intervient constamment dans les conséquences de nos choix. Ils attirent notre attention sur les voix qui, de façon persuasive, nous induisent en erreur. Un comportement sage et moral est ainsi mis en relation avec les motivations du cœur, les œuvres de Dieu et les influences importantes qui nous sont extérieures. Les conseils ont plus de valeur que nous ne pouvons l’imaginer. Les proverbes sont remplis de décisions morales vitales.

À la différence du livre des Psaumes, êtes-vous piétiste ? « Prie et donne entièrement ta vie à Jésus. Prononce cette prière de combat et réclame ton héritage à Satan. Concentre-toi et écoute la voix de Dieu dans le silence de ton cœur. » Mais les psaumes ne sont ni piétistes, ni superstitieux, ni mystiques. Ils nous enseignent à parler de manière honnête, à mettre des mots sur nos afflictions, nos péchés et nos bénédictions, à exprimer nos expériences et nos émotions, à avoir une conscience éveillée sur la nature de Dieu et sur ce qu’il dit. Les psaumes montrent l’être humain sous son vrai jour.

À la différence de Jésus, vous exprimez-vous sous la forme d’abstractions et de généralités théologiques en mettant l’accent sur la capacité cognitive ? « Rappelle-toi la souveraineté de Dieu… Souviens-toi de ta justification et de ton adoption par grâce au moyen de la foi… Garde à l’esprit la synergie entre l’initiative de Dieu et la réponse de l’homme dans le processus de sanctification… » Le jargon théologique est parfois utile, mais l’abstraction met les vérités hors de portée. Un pasteur parle avec les gens. Jésus parle de la même manière qu’eux. Observez comment Dieu nourrit les foules : « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, personne non plus ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils décide de le révéler. Venez à moi, vous tous qui peinez sous la charge ; moi, je vous donnerai le repos… Le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Mt 11.27-28 ; 20.28) Un pasteur s’implique personnellement et se met à la portée de ceux qu’il rencontre.

À la différence de Paul – dont les lettres et les sermons ne sont jamais les mêmes ! –, vous exprimez-vous de façon prévisible, répétant la même réponse et la même vérité ? Un pasteur est souple et adapte constamment ce qu’il dit aux contingences et aux exigences de chaque situation.

À la différence de la Bible, vos conseils reprennent-ils aisément les hypothèses et les opinions courantes de la culture environnante ? Votre discours ressemble-t-il à un aide-mémoire personnel, avec peut-être quelques allusions à Jésus et à Dieu ? Cataloguez-vous les êtres humains selon les critères à la mode ? Flannery O’Connor a saisi combien la foi chrétienne sérieusement vécue est sauvage et inattendue :

Résistez à l’âge présent autant qu’il vous résiste. Les gens ne se rendent pas compte du coût élevé de la religion. Ils pensent que la foi est une grosse couverture chauffante, alors qu’en fait c’est la croix2.

Si l’opinion courante est telle, nos conseils doivent reprendre cette musique de fond culturellement confortable et la transposer dans une clé différente, un arrangement différent, une instrumentation différente. Les personnes qui ne connaissent pas Dieu sont préoccupées par toutes sortes de choses importantes – et mettre Dieu dans l’équation va toujours bouleverser leur monde familier.

Il y a d’innombrables façons de faire fausse route. Mais, même si vos conseils sont inefficaces, rébarbatifs et nuisibles, vous n’en êtes pas moins un conseiller.

Si vous êtes un bon conseiller, alors vous apprenez à soutenir par une parole celui qui est épuisé (Es 50.4). C’est extraordinaire : rien moins que l’amour de votre Rédempteur s’exprime à travers… vous. Vous avez appris à dire la vérité dans l’amour, à parler d’une manière franche, nourrissante, constructive, pertinente et pleine de grâce (Ep 4.15, 25, 29). Vous traitez avec douceur les ignorants et les obstinés parce que vous savez que vous n’êtes pas si différents d’eux (Hé 5.2-3). Vous ne faites pas seulement ce qui vous vient naturellement, mais vous avez appris à être flexible afin d’être patient envers tous, d’aider les faibles, de réconforter ceux qui sont abattus et d’avertir les indisciplinés (1Th 5.14). Vous ramenez ceux qui s’égarent (Jc 5.19-20) tout comme Dieu vous a ramené à maintes reprises. Vous vous efforcez de répondre au besoin humain le plus fondamental, réconfortant les autres et étant vous-même réconforté chaque jour (Hé 3.13). En devenant un meilleur conseiller, vous grandissez à la ressemblance du Christ.

Pasteur, vous êtes un conseiller – et même bien plus qu’un conseiller. Un pasteur enseigne, équipe, supervise et accompagne aussi d’autres conseillers. Vous êtes le conseiller en chef. Votre enseignement et votre exemple vont influencer profondément les échanges qui ont lieu autour de vous dans lesquels les gens essayent de s’aider mutuellement. Votre prédication vaut-elle le temps que vous y consacrez ? Vaut-elle le temps que les autres passent à l’écouter ? Elle en vaut la peine s’ils deviennent mutuellement de plus sages conseillers. Dieu donne les bergers et les enseignants pour une raison : équiper les saints pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ (Ep 4.11-12). Cela conduit directement à l’appel et au défi qu’Éphésiens 4.15-16 et 4.29 adressent à tous les enfants de Dieu. Votre rôle n’est pas d’être le seul conseiller dans le corps de Christ, mais d’apprendre au peuple de Dieu à marcher à l’image du Merveilleux Conseiller. C’est une vision rafraîchissante de l’accompagnement pastoral ! C’est une vision éminemment chrétienne.

Cet article se concentre sur l’aspect de conseil de la vocation pastorale. Mais j’espère que d’autres personnes que les pasteurs vont s’y intéresser. Tous les êtres humains sont des conseillers, qu’ils soient sages, insensés ou un mélange des deux. Tous les chrétiens sont appelés à devenir de plus sages conseillers. Dieu veut que chaque parole que vous prononcez soit constructive dans son contenu, son intention, son ton et sa justesse. Voir Éphésiens 4.29. Ceux qui sont affligés de quelque manière que ce soit devraient trouver en vous une source de réconfort. Voir 2 Corinthiens 1.4. La Sagesse met la barre haut. Nous devons devenir une communauté où les conversations profondes prédominent. Vous qui n’êtes pas pasteur, vous devez grandir en sagesse en observant comment le Christ prend soin des âmes chaque fois que le corps de Christ fonctionne de manière harmonieuse.

Cet article est composé de deux parties. Premièrement, nous examinerons comment comprendre l’expression « relation d’aide » dans le cadre pastoral. Deuxièmement, nous présenterons quelques-uns des traits distinctifs qui font la particularité de l’accompagnement pastoral.

Qu’est-ce que la relation d’aide ?

La conception psychothérapeutique de la « relation d’aide » opère dans un univers différent de la conception pastorale. Les problèmes des personnes sont les mêmes, bien sûr : celles-ci sont tourmentées, brisées, égarées, pénibles et confuses. Elles ont besoin d’aide. Comment devrions-nous traiter les maux qui nous entourent ?

Le traitement d’un thérapeute consiste habituellement en une relation privée, à une heure précise, une fois par semaine. Comme en médecine ou en droit, les professions de la santé mentale traitent les patients/clients sur la base d’honoraires. Le diplôme d’État certifie la formation et l’expérience qui garantissent vraisemblablement des aptitudes particulières. Comme les professionnels médicaux, les professionnels de la santé mentale se présentent comme possédant une connaissance scientifique objective et en offrant une expertise technique moralement neutre. Celui qui est a priori en bonne santé traite celui qui est considéré comme malade. Les difficultés et la détresse d’un client peuvent faire l’objet d’un diagnostic moralement neutre : un syndrome, un dysfonctionnement ou un trouble de la personnalité.

Le professionnalisme thérapeutique s’appuie sur une philosophie distincte. Le détachement clinique intentionnel évite délibérément la mutualité de la vie sociale normale : l’auto-dévoilement volontaire, les « relations duelles » qui se développent à l’extérieur du cabinet tout autant qu’à l’intérieur, les concessions mutuelles, l’échange d’opinions et d’arguments, l’influence mutuelle. La réserve professionnelle veut que « le thérapeute n’impose ni ne suggère ses valeurs personnelles au patient… L’exploration et l’acquisition de valeurs plus constructives et moins névrotiquement déterminées sont conduites sans pression ni persuasion éthique ou morale d’aucune sorte. »3 La foi psychothérapeutique repose sur « l’hypothèse selon laquelle il y a, dans chaque être humain, une individualité fondamentale qui, si on la laisse s’exprimer librement et sans opposition, fournira la base d’une vie créative, capable de s’adapter et productive »4. La religion est reconnue comme étant un facteur qui pourrait être individuellement décisif pour certains clients, soit comme ressource réconfortante, soit comme un aspect de la pathologie. Mais « Dieu » n’a pas de signification objective ni de pertinence nécessaire dans l’explication ou dans le traitement des émotions, des pensées et des comportements dysfonctionnels.

Cette constellation de suppositions et d’attentes dessine l’image professionnelle qu’ont d’elles-mêmes les professions de la santé mentale. Cela est à l’origine de la croyance implicite de notre culture selon laquelle « la psychothérapie/relation d’aide » est essentiellement analogue à l’exercice d’une profession médicale. Mais cet ensemble de significations déforme profondément les idées relatives à ce que la relation d’aide est réellement et devrait être idéalement. La relation d’aide per se n’est pas analogue à l’exercice d’une profession médicale. Elle est un accompagnement pastoral. Elle est une discipline. Si on veut utiliser l’analogie médicale, la relation d’aide est l’aspect humain de la médecine et pas son aspect médical. Elle reflète l’influence que les êtres humains exercent les uns sur les autres en ce qui concerne leurs valeurs, leurs pensées, leurs humeurs, leurs attentes, leurs choix et leurs relations. La relation d’aide n’est pas essentiellement une entreprise exigeant une expertise technique. Elle est une entreprise relationnelle et pastorale visant le soin et la guérison de l’âme. La psycho-thérapie et la psych-iatrie s’efforcent toutes deux d’effectuer un travail pastoral, visant « le soin et la guérison de l’âme », comme leur étymologie l’indique précisément. Sigmund Freud définissait avec raison les thérapeutes comme des « ouvriers pastoraux séculiers »5.

Les facteurs personnels – qui vous êtes, comment vous traitez les gens, ce que vous croyez – sont déterminants dans tout travail pastoral, qu’il soit séculier ou chrétien. Les ingrédients clés pour accompagner un autre être humain sont l’amour, la sagesse, l’humilité, l’intégrité, la compassion, l’autorité, la clarté, la vérité, le courage, la franchise, la curiosité, l’espérance et autres choses semblables. L’accompagnement pastoral exige une large expérience, une attitude sensée, une grande patience, une écoute attentive et une réactivité immédiate. Pour aider les autres, l’accompagnement pastoral doit, à la fois, avoir de larges perspectives et prendre des mesures concrètes.

Les thérapeutes séculiers sont également conscients de ces choses et en disent autant lorsqu’ils laissent tomber leur masque professionnel6. Ce sont des qualités personnelles extraordinaires. Elles ne font qu’exprimer comment l’image de Dieu vit dans la chair humaine lorsqu’on s’attache à racheter les personnes tourmentées, brisées, égarées, pénibles et confuses. Les professionnels de la santé mentale ont une bonne intuition lorsqu’ils disent que les facteurs personnels sont des facteurs essentiels. Mais ils exercent un pastorat sans Dieu et sans Église. Ils cherchent à restaurer des êtres humains égarés, souffrants, obstinés et mourants. Ils considèrent que le Christ n’est pas nécessaire à leur travail pastoral. Par principe, ils ne conduiront pas les personnes en souffrance au Sauveur des perdus. Vous êtes mieux au clair qu’eux. Mais la définition sécularisée et médicalisée de la « relation d’aide » intimide fortement les pasteurs ainsi que les laïcs. Si les habitudes, les instincts, la perspective et les objectifs des accompagnements thérapeutiques définissent la « relation d’aide », alors il vaudrait mieux que vous renonciez à être un conseiller.

Considérez les quatre façons dont vous devez, en tant que pasteur, redéfinir la « relation d’aide ».

Pour commencer, si la définition psychothérapeutique détermine notre vision, quel pasteur pourrait prendre soin de 30 âmes, sans parler de 100, 500 ou 5000 âmes ? Qui a le temps ? Et quel pasteur a le temps de suivre la formation sécularisée présumée nécessaire ? Après avoir travaillé longtemps pour être consacré par l’Église, qui a le temps ou l’envie de travailler en vue d’une seconde consécration par le système de la santé mentale ? Quel pasteur pourrait mettre autant d’efforts dans les entretiens en tête à tête ? Un pasteur a besoin d’une vision très différente de ce que la relation d’aide est et peut être.

Deuxièmement, quel vrai pasteur croit que l’amour du Christ et la volonté de Dieu sont sans valeur ? Vous ne direz jamais à personne (si ce n’est ironiquement) : « Vous êtes libre de découvrir vos propres valeurs, tout ce qui fonctionne pour vous, tout ce qui vous apporte un sentiment de satisfaction dans votre manière de vivre avec vous-même et avec les autres. » Dieu a choisi d’imposer ses valeurs à tout l’univers. 1 Timothée 1.5 affirme clairement des buts non négociables : « l’amour qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans hypocrisie ». Cela implique un ensemble de valeurs explicites concernant le comportement, l’attitude et la motivation. Dieu insiste sur la valeur et la gloire suprêmes de qui il est et de ce qu’il a fait. Dieu veut que les personnes qui sont centrées sur elles-mêmes apprennent la foi et l’amour – et non la capacité d’adaptation, l’accomplissement de soi, la satisfaction des besoins ressentis, les techniques de gestion des émotions ou de la vie mentale, l’accomplissement des objectifs personnels (la foi et l’amour accomplissent également toutes ces choses – tout en inversant leur logique égocentrique). Les exigences morales de Dieu augmentent la responsabilité humaine. Sa miséricorde et sa grâce sont le seul fondement de la vraie compassion et de la patience. Dieu insiste pour que nous apprenions à aimer en étant aimés et enseignés par Jésus : « Et cet amour, ce n’est pas que, nous, nous ayons aimé Dieu, mais que lui nous a aimés et qu’il a envoyé son Fils comme l’expiation pour nos péchés. » (1Jn 4.10) Au dernier jour, tout genou fléchira devant les « valeurs » de Dieu.

Le ministère pastoral consiste essentiellement à « imposer » la lumière dans les ténèbres, à provoquer la santé mentale, à former les valeurs vivifiantes du Christ en nous. L’accompagnement pastoral présente clairement des « convictions éthiques ou morales » et exprime ainsi un amour authentique qui recherche le bien-être réel d’autrui. Les conseillers séculiers ont des intentions bienveillantes, mais ils ne peuvent pas considérer les vrais besoins et le bien-être des êtres humains. Un pasteur a une vision systématiquement plus profonde et plus riche que la leur sur ce que signifie la relation d’aide.

Troisièmement, quel pasteur honnête pourrait adopter la réserve professionnelle du thérapeute ?7 Le pasteur dévoile nécessairement et par principe ses sentiments. Ceci, à l’instar de David, Jérémie, Jésus et Paul. Les cris de joie et les gémissements y ont leur place. Un véritable pasteur ne saurait être froidement détaché. Quand Paul écrit 2 Thessaloniciens 2.7-12, il est émotionnellement très impliqué. Comme Jésus, il se sent trop concerné pour rester à distance des gens et de leurs problèmes. Si Jésus avait établi des relations purement consultatives et professionnelles, il aurait cessé d’être un pasteur. L’auto-dévoilement pastoral est une preuve d’amour. Il n’est ni de la complaisance, ni une manifestation impulsive, ni de l’exhibitionnisme, ni une divulgation ostentatoire d’opinions personnelles. Il comporte une certaine réserve. La franchise chrétienne est différente de l’idéal du professionnalisme dépassionné. Le ministère exprime l’immédiateté émotionnelle des sports d’équipe et des sports de contact. Il ressemble plus à un match de basket qu’à une partie d’échecs ou de poker.

Et vous ? Les gens ne vous connaissent-ils pas dans toutes sortes d’autres rôles que celui de conseiller, à savoir comme proclamateur des paroles de vie, ami, visiteur à l’hôpital, partenaire sportif, simple homme qui ne peut s’empêcher de montrer qu’il a des soucis financiers ou doit faire face à un conflit interpersonnel, en butte à la critique lors de la retraite d’Église, mari d’une femme talentueuse, père (imparfait) d’enfants à l’école du dimanche, compagnon de souffrance qui a besoin de ce qu’il demande à Dieu, compagnon d’adoration qui rend grâces pour ce qu’il reçoit, compagnon de service qui aspire à aimer davantage. Vous n’avez pas seulement une relation duelle avec la personne que vous conseillez, vous avez des relations multiples. Et il doit en être ainsi. Le christianisme est une forme différente de relation d’aide.

Finalement, quel pasteur pourrait en toute bonne conscience adopter l’idée selon laquelle celui qui se porte apparemment bien se permet de traiter celui qui est visiblement malade ? Ne sommes-nous pas tous confrontés aux mêmes tentations, peines et menaces ? Ne sommes-nous pas tous enclins au mal ? La « médecine comportementale » (comme les organisations de santé l’appellent) prétend guérir les troubles de la personnalité, la confusion identitaire, les troubles de l’humeur, le trouble de la pensée, le comportement perturbateur, les dysfonctionnements relationnels ou le syndrome de stress post-traumatique. Le ministère pastoral traite les mêmes problèmes. Mais Dieu humanise – normalise – les luttes. Une grave maladie trouble la personnalité, l’identité, les émotions, les pensées, les comportements et les relations. Un monde de malheurs nous assaille, que ces malheurs soient traumatiques ou chroniques, très inhabituels ou simplement inévitables.

Un Sauveur admirable décide de sauver ces âmes troublées. Le Psaume 23 insuffle une manière différente de vivre au milieu des péchés et des souffrances qui nous assaillent. Notre désordre est fondamental, enraciné dans l’attention que nous prêtons à notre propre voix intérieure, au mensonge que nous trouvons attrayant – Proverbes 16.2 et 21.2. Nos pertes sont fondamentales : un océan de troubles… la tristesse et des milliers de chocs naturels dont la chair est héritière (Hamlet, III, 1). Mais la voix de notre Pasteur nous guérit : « Mes brebis entendent ma voix. » N’avez-vous pas le même genre de problèmes que ceux que vous accompagnez ? Nos différences ne sont-elles pas une question de degré plutôt que de nature ? N’avons-nous pas tous besoin de guérison ? Le vrai ministère pastoral traite les mêmes problèmes personnels et interpersonnels que les psychothérapeutes, mais plus profondément. Il recherche les cancers moraux cachés que nous partageons tous. Il allège les souffrances universelles, que l’expérience soit brutale ou légère, que les symptômes de détresse soient évidents ou subtils. Toute guérison est notre guérison, sans exception.

D’où vient cette approche pastorale ? Jésus lui-même était touché par les faiblesses, les luttes et les tentations de ceux avec qui il parlait et pour qui il est mort. Il ne faisait pas preuve d’un froid détachement. Il dévoilait ses sentiments et entretenait des relations multiples et empreintes d’amour pastoral. Jésus n’était jamais neutre ; il utilisait toutes les formes de persuasion pour transmettre ses valeurs, jusqu’à mourir publiquement pour ceux qu’il voulait persuader.

Ce qui s’applique aux pasteurs s’applique à tous les croyants. Jésus est un conseiller différent.

Le caractère unique de l’accompagnement pastoral

Nous avons esquissé une vision de la relation d’aide en tant que travail pastoral. À quoi cela ressemble-t-il ? Nous allons considérer cinq aspects uniques de l’accompagnement pastoral. Votre responsabilité, vos occasions, vos méthodes, votre message et votre contexte revêtent chacun un caractère unique.

1) Vous avez une responsabilité unique de conseiller

Vous devez conseiller. Ce n’est pas une option. Vous ne pouvez pas dire « Non » comme s’il s’agissait d’un choix de carrière, d’une question de préférence personnelle ou de don que vous n’auriez pas. Cela ne signifie pas que tous les pasteurs auront le même équilibre entre les aspects public et privé du ministère. Le nombre d’entretiens « formels » de conseil que vous aurez dépend de beaucoup de facteurs. Certains pasteurs auront un grand souci du soin des âmes, d’autres relativement peu. Mais chaque pasteur devrait consacrer un certain pourcentage de son ministère à l’art délicat d’une conversation ciblée, tout en guettant continuellement les occasions informelles présentes dans chaque interaction humaine8.

Le ministère d’accompagnement d’un pasteur est très différent de toutes les autres professions liées à la relation d’aide. Nous allons considérer plusieurs particularités de ce ministère.

a. Votre vocation au ministère d’accompagnement est présente dans toutes les Écritures

De nombreux passages expriment l’importance de la relation d’aide. Les textes classiques comprennent Actes 20.20, Galates 6.1ss, Éphésiens 3.14-5.2, 1 Thessaloniciens 5.14, Hébreux 3.12-14, 4.12-5.8, 10.24ss, et beaucoup d’autres passages emploient l’expression « les uns les autres ». En fait, chaque endroit où il est question des besoins d’un individu peut être considéré comme un passage lié à la relation d’aide. Le ministère d’accompagnement d’un pasteur est unique. Quel autre conseiller est appelé par Dieu lui-même à conseiller et à former les autres à la relation d’aide ? Considérez brièvement trois passages.

Tout d’abord le second grand commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » L’amour s’intéresse aux besoins et aux luttes de votre prochain. L’amour comprend de nombreuses choses : des attitudes de patience et de bonté ; des actions qui répondent aux besoins matériels et offrent une main secourable. L’amour comprend aussi une conversation franche au sujet de ce qui est important. Chose intéressante, le contexte initial du commandement comporte une illustration et une application de relation d’aide personnelle.

Tu ne détesteras pas ton frère dans ton cœur ; tu avertiras ton compatriote, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras pas ; tu ne garderas pas de rancune envers les gens de ton peuple ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur (YHWH). (Lv 19.17-18)

Dieu choisit d’aborder une des questions les plus difficiles : comment aimer son prochain en dépit de ses manquements ? L’amour du prochain est illustré par un exemple de résolution de problème au moyen d’un avertissement fraternel, qui tranche avec l’esprit de jugement, l’évitement, l’amertume et l’agressivité qui sont si naturels. Vous agissez vous-même selon ce commandement en accompagnant pastoralement votre prochain. Lorsque leurs problèmes sont liés à un conflit interpersonnel, vous aiderez aussi ceux que vous accompagnez à apprendre à aimer de manière constructive et verbale. Vous avez une promesse merveilleuse ! « Je suis le Seigneur » (bon, compatissant, lent à la colère, fidèle, prêt à pardonner… sans pour autant tenir le coupable pour innocent). L’accompagnement pastoral dépend de ce Dieu et manifeste l’image même de ce Dieu au milieu des exigences de l’aide apportée aux personnes brisées. Vous manifestez les attributs mentionnés dans cette parenthèse. Exode 34.6-7 manifeste la bonté et la gloire de Dieu… la bonté et la gloire sont des attributs communicables, l’image de Jésus formée en nous.

L’amour en paroles revêt aussi beaucoup d’autres formes. Vous demanderez : comment allez-vous vraiment ? Voudriez-vous parler ? Comment puis-je prier pour vous ? Où sont les sujets d’inquiétude ? Quelles sont vos joies et vos tristesses ? Avez-vous des jardins secrets ? Des luttes conscientes ? Des victoires réjouissantes ? Comment va votre relation avec Dieu et avec vos proches, géographiquement et affectivement ? Quels fardeaux pèsent sur vous ? Lorsque vous avez fait/dit telle ou telle chose, que recherchiez-vous ? Comment gérez-vous l’anxiété, la colère ou la fuite (hors de la réalité) ? Comment gérez-vous cette belle réussite ou cette merveilleuse bénédiction ? En posant ce genre de questions et en y répondant, nous entrons dans la vie de l’autre. Ce sont des portes ouvertes à la grâce, car ce sont des endroits où Jésus vient à la rencontre des individus. En tant que pasteur, votre prochain le plus évident (en dehors de votre famille), c’est le troupeau dont vous avez reçu la charge. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » vous appelle à la relation d’aide.

Considérez ensuite les Proverbes. Vous pouvez bien sûr prêcher sur les Proverbes. La sagesse elle-même crie dans les rues et invite les passants à écouter (Pr 8-9). Mais les Proverbes peuvent aussi vous aider à être un meilleur conseiller. La sagesse verbale est tenue en haute estime, et la plupart des choses que les Proverbes commandent ressemblent à des conseils chaleureux et personnalisés : de la part d’un père, d’une épouse et d’une mère, d’un ami véritable, d’un bon roi ou d’une personne sage. La sagesse est un don de relation d’aide. Quand il s’agit de distribuer ce don précieux, source de vie, la générosité de Dieu ne tient pas compte des différences de genre, d’ethnicité, d’âge, de richesse, de statut ou d’éducation. Il est évident que Dieu ne va pas communiquer ce don précieux de relation d’aide aux membres du corps de Christ et en priver les pasteurs ! Vous êtes appelé à devenir un homme sage.

Considérez, enfin, les « épîtres pastorales ». Les lettres de Paul à Timothée, Tite et Philémon sont des exemples de relation d’aide mis par écrit pour tous les temps. Chacune est adressée à un individu dont on connaît le nom. Chacune parle de circonstances particulièrement éprouvantes, considère des forces et des faiblesses précises, s’appuie sur la relation réelle qui existe entre le conseiller et l’accompagné. En tant que conseiller, Paul est tendre, instruit, transparent, direct, pertinent, encourageant, stimulant. Pouvez-vous légitimement prêcher sur un texte qui parle d’accompagnement personnel ? Bien sûr. Mais allez-vous vous contenter de prêcher sur un texte parlant d’accompagnement pastoral sans pratiquer aussi l’accompagnement pastoral ? Les épîtres pastorales vous appellent à faire de l’accompagnement.

b. Vous êtes appelé à faire l’impossible

Il est curieusement réconfortant de savoir que votre vocation dépasse vos capacités. C’est aussi en cela que la vocation pastorale est unique. Vous ne pouvez pas vous appuyer sur vos dons, votre expérience, votre éducation, vos techniques, votre professionnalisme, vos qualifications, votre maturité et votre sagesse. Vous êtes appelé à faire ce que Dieu doit faire.

En 1 Timothée 4.6-16, Paul exhorte Timothée : « Plonge-toi dans la vérité révélée, dans une vie de foi, un amour actif, l’œuvre du ministère, le service de Jésus-Christ. Exerce-toi, consacre-toi, pratique, persévère. Veille sur toi-même et sur ton enseignement. » Pourquoi Paul prend-il soin de mentionner cela ? La raison est étonnante : « Car en agissant ainsi, tu sauveras et toi-même et ceux qui t’écoutent. » Comment ? Tu sauveras et toi-même et ceux qui t’écoutent ? C’est bien cela. Qui est suffisant pour ces choses ? Dieu seul nous sauve de la mort, du péché, des larmes, de la faiblesse, de nous-mêmes. Christ seul sauve par sa grâce, sa miséricorde et sa patience, en en payant le prix (1Tm 1.14-16). Seul, l’Esprit guérit l’âme d’un égocentrisme autodestructeur et l’éveille à la foi et à l’amour. Pourtant ce grand et bon Médecin se sert volontairement de Timothée, un simple pasteur, comme d’un assistant médical dans le processus de guérison. Il se sert aussi de vous.

Il est difficile de prendre soin des âmes. Il est difficile de combattre le mal moral dans sa complexité. Il est difficile d’aider les gens à traverser des moments de douleur et d’angoisse. Grégoire le Grand appelait l’accompagnement pastoral « l’art des arts » dans son grand traité de théologie pastorale9. Il estimait que guider les âmes était une tâche beaucoup plus difficile que celles qui sont accomplies par un médecin. Réfléchissez-y. Le corps est relativement accessible. On peut souvent expliquer son fonctionnement par une relation de cause à effet et le traiter au moyen de médicaments ou de la chirurgie. Mais « un art plus délicat traite de réalités invisibles »10, la folie irrationnelle de notre cœur (Jr 17.9 ; Ec 9.3). Lorsque vous considérez le défi, comment se fait-il que la majeure partie de la relation d’aide ecclésiale semble bâclée, superficielle et simpliste ? Un bon médecin passe toute sa vie à accroître sa capacité de diagnostic. Un psychothérapeute sérieux se forme en permanence. Un pasteur peut-il se contenter de réponses toutes prêtes ? Kyrie eleison. On ne rend pas service aux gens quand on leur donne l’impression à propos de la vie chrétienne qu’une réponse simple est suffisante – une doctrine à la mode, une stratégie religieuse, un programme, une expérience spirituelle – et presto !, le problème est résolu. Écoutez, de nouveau, les paroles de Grégoire :

Une seule et même exhortation ne convient pas à tous, car tous ne sont pas soumis aux mêmes habitudes de vie. […] Il faut beaucoup d’application, quand on exhorte ses ouailles individuellement, pour subvenir à chacun de leurs besoins11.

Le travail pastoral est l’art des arts.

c. Vous êtes appelé à faire quelque chose de si simple que seul un chrétien peut le faire

Les cœurs peuvent être insondables et insensés, mais la Parole de Dieu révèle les pensées et les intentions du cœur (Hé 4.12-13). Dieu nous enseigne la forme la plus vraie de connaissance de soi. Ma réaction arrogante à la critique est un bourbier insondable d’iniquité, mais je peux apprendre à l’identifier, me tourner vers les grâces dont j’ai besoin, chercher et trouver le Dieu qui m’humilie. Nous pouvons parvenir à nous connaître vraiment (bien que jamais entièrement). Ainsi, même si les intentions du cœur de quelqu’un d’autre sont des eaux profondes, l’homme intelligent sait y puiser (Pr 20.5). Vous pouvez apprendre ce que vous avez besoin de savoir. Bien que vous n’ayez d’accès privilégié à aucune âme, que toute stratégie ou vérité peut rester sans effet, que vous n’ayez pas le pouvoir d’ouvrir les yeux aveuglés ni de faire entendre les oreilles sourdes, Dieu se sert de votre ministère pour guérir les âmes. Les êtres humains sont singuliers jusque dans les moindres détails, pourtant il n’est pas de tentation qui ne soit commune à tous (1Co 10.13). Chacun de nous fait face à des circonstances très différentes ; pourtant, vous pouvez réconforter ceux qui passent par quelque épreuve que ce soit en leur apportant le réconfort que Dieu vous a accordé dans une situation semblable (2Co 1.4). Ce que nous avons en commun nous rend suffisamment compréhensifs pour que nous puissions nous aider les uns les autres. Ce sont des choses qu’un simple chrétien peut faire.

Dietrich Bonhoeffer a été élevé dans une culture raffinée, psychologiquement moderne ; son père était psychiatre. Il connaissait les modèles psychologiques et les pratiques psychothérapeutiques des grands psychiatres du xxe siècle ; voici ce qu’il disait au sujet de la connaissance et de la sagesse qui font une vraie différence :

Le plus expert en humanité en sait infiniment moins sur le cœur humain que le croyant le plus simple qui vit sous la croix du Christ. Car il y a une chose que la plus grande finesse, le plus grand talent et la plus grande expérience psychologique ne peuvent absolument pas faire : comprendre ce qu’est le péché. La psychologie sait quelque chose de la détresse, de la faiblesse et du désespoir de l’homme, mais elle ne connaît pas l’éloignement-de-Dieu de l’être humain. C’est pourquoi elle ne sait pas non plus que, laissé à lui-même, l’être humain va à la catastrophe, et que seul le pardon peut le guérir. Cela, seul le chrétien le sait. Devant le psychologue, je ne puis qu’être un malade ; devant un frère en la foi, il m’est permis d’être un pécheur. Il faut que le psychologue commence par fouiller mon cœur, et malgré tout il ne peut jamais en découvrir la vraie profondeur ; mais le frère chrétien sait : voici venir un pécheur comme moi, un sans-Dieu qui veut se confesser et cherche le pardon de Dieu. Le psychologue me considère comme si Dieu n’est pas donné [comme hypothèse], le frère me voit devant le Dieu qui juge et exerce sa miséricorde dans la croix de Jésus-Christ12.

Je vous encourage à relire cela, lentement – j’ai moi-même tendance à lire en diagonale les citations longues. En tant que frère chrétien de ceux que vous conseillez, vous connaissez des profondeurs que les autres conseillers ne peuvent ni ne veulent voir. Vous pouvez aller là où ceux-ci ne vont jamais. Et en tant que simple chrétien, vous pouvez conduire ceux qui ne croient pas encore à une vraie connaissance de leur propre cœur. Vous pouvez leur présenter le Sauveur du monde.

d. Là où le ministère est fort, les pasteurs pratiquent en privé ce qu’ils prêchent en public

Votre vocation combine, de façon unique, les ministères privé et public. Le message chrétien se prête à la prédication devant des foules. Le message chrétien se prête aussi aux entretiens en tête à tête. La prédication et la relation d’aide sont complémentaires ; aucun autre genre de conseiller ne fait les deux. Le vocabulaire professionnel et l’activité particulière d’un pasteur doivent lui permettre de « conseiller la Parole » tout autant que de « prêcher la Parole ».

Bien sûr, la proclamation publique et la conversation privée présentent le message de manières très différentes. Un discours est relativement préparé, rédigé et structuré. Il s’agit généralement d’un monologue – même si Jésus avait une façon d’infléchir son message à la suite d’une réaction de la foule ou d’improviser un message à partir d’une question posée par quelqu’un ! Dans un sermon, vous avez généralement une idée approximative de ce que vous allez dire et de ce que sera votre conclusion. Mais une discussion est différente d’un discours. Les conversations sont spontanées, improvisées, imprévisibles, désordonnées – même lorsque vous venez avec une stratégie. Vous ne savez jamais ce que l’autre va dire. Puisque ce que vous dites est généralement une réponse, vous ne savez presque jamais ce que vous allez dire ensuite. C’est mauvais signe lorsque les deux parties prononcent des formules toutes faites. La relation d’aide part généralement d’une expérience immédiate et troublante, et se dirige vers Dieu dont la personne, les paroles et les actions apportent la lumière. À la différence, la prédication part généralement du texte biblique expliqué pour aller vers une application concrète. Les deux aspects du ministère exigent des aptitudes différentes mais complémentaires. Le Seigneur ainsi que ses prophètes et ses apôtres vont librement dans les deux directions. Les pasteurs ont besoin des deux.

L’Église a une longue tradition d’accompagnement pastoral de qualité. Comme tout héritage, sans une utilisation et une mise à jour continuelles, les idées prennent la poussière, les applications deviennent périmées et les compétences sont oubliées. Plusieurs facteurs internes à l’Église nous empêchent de voir les implications de la foi chrétienne en matière de relation d’aide. Parmi ceux qui prennent l’Écriture au sérieux, les habitudes ecclésiales voient presque exclusivement le pasteur comme un proclamateur public, un chef d’équipe et un administrateur. La capacité de prendre soin des âmes est facultative – et parfois même découragée comme une perte de temps. Ces conceptions du ministère pastoral structurent la formation théologique, les exigences des commissions des ministères, les cahiers des charges, les modèles et les priorités de la pratique ecclésiale. Elles influencent les illustrations utilisées dans les livres sur le ministère, expliquent le manque relatif de livres sur la manière de conseiller bibliquement et la tendance à considérer l’expression « ministère de la Parole » comme synonyme de « prédication en chaire ».

Lorsque votre candidature pastorale a été examinée, peut-être personne ne vous a-t-il dit qu’un contact direct avec les gens et une aptitude à la relation d’aide étaient les aspects essentiels de votre vocation pastorale. Cela devrait pourtant être dit et pris au sérieux.

e. Vous êtes déjà un conseiller – tout le temps

Un pasteur est inévitablement une personne publique. D’autres personnes vous lisent, prennent exemple sur vous, vous évaluent. Contrairement aux autres conseillers, votre vie professionnelle ne se passe pas hors de vue dans un bureau, derrière une porte fermée. Que ce soit dans une rencontre fortuite, une réunion officielle ou un culte public, vos attitudes, vos valeurs et vos croyances sont constamment exposées. D’autres personnes écoutent, apprennent, observent et décident de vous prendre au sérieux ou non. Le fait que vous ne soyez pas caché est un aspect spécifique de votre vocation pastorale.

On sait comment vous traitez les gens. Ceux-ci savent si vous êtes honnête (ou malhonnête) ou le soupçonnent. Ils savent si vous êtes attentionné (ou indifférent, voire désagréable). Ils savent si vous êtes sage (ou insensé). Ils savent comment vous gérez les pressions de la vie (ou êtes dépassé par les événements). Ils savent si vous êtes humble (ou orgueilleux). Ils savent si vous vous intéressez à eux (ou pas). Ils savent si vous voulez leur bien dans le royaume de Dieu (ou si vous construisez un royaume pour votre propre ego). Ils savent ou imaginent que vous êtes un bon conseiller (ou une personne indiscrète, un beau parleur, un paresseux, quelqu’un qui apporte des réponses simplistes). Ils savent si vous êtes sincère (ou si vous jouez un rôle). Si vous n’êtes pas à la hauteur, ils devinent vos failles. Ils ont une idée de votre façon de gérer vos échecs et de gérer les leurs. Êtes-vous honnête avec vous-même devant Dieu ? Savez-vous recevoir sa grâce ? Ils savent (ou s’imaginent savoir) tout cela parce que vous n’êtes pas un « conseiller professionnel » isolé dans un bureau et auto-protégé par un « froid détachement ». Vous vivez, vous vous déplacez et avez votre place dans l’espace public. Si vous ne réussissez pas le test, on ne viendra pas vous consulter, et les gens resteront sur leurs gardes quand vous chercherez à leur parler. Si vous réussissez le test, votre accompagnement acquerra une force qui est inimaginable chez les autres conseillers.

Il est intimidant de savoir que vos péchés ont une mauvaise influence sur les autres. Richard Baxter observait finement : « Je dévoile à mon troupeau les perturbations de mon âme. »13 Il avertissait du danger de « nier par sa vie ce qu’on dit avec sa langue »14. Mais il est agréable de savoir que Dieu utilise votre foi et votre amour sincères pour conseiller publiquement les autres afin que, publiquement et en privé, vous puissiez amener les autres sous son autorité bienveillante.

f. Si ni vous ni l’Église n’accompagnent les gens, qui le fera ?

Il est spécifique à votre ministère de savoir si les gens peuvent ou non trouver de l’aide dans l’Église. Les psychothérapeutes cherchent à gagner leur vie mais, en principe, par courtoisie professionnelle, ils ne voient pas d’inconvénient à ce qu’une personne en souffrance aille chercher de l’aide auprès de quelqu’un d’autre, même si l’approche philosophique de cet autre praticien est très différente de la leur. Mais l’Église ne doit pas abandonner le souci et le soin des âmes troublées à d’autres voix. Ces voix sont peut-être bien intentionnées, mais lorsqu’elles essayent de réparer des problèmes « avec-Dieu » en utilisant un message « sans-Dieu », il y a un problème. Selon la Bible, la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. Prendre conscience de Dieu est le point de départ, l’éveil à la réalité. Prendre conscience que nous vivons sous le regard de Dieu et avons des problèmes avec-Dieu est la condition fondamentale et préalable pour que la vie trouve un sens. Quand les amis, la famille, les collaborateurs, les médias, les livres de développement personnel ou les psychothérapeutes professionnels ne tiennent pas compte de cette réalité, leurs conseils sont inévitablement mauvais. Dans la métaphore de Jérémie, ils guérissent les blessures superficiellement, « disant ‹paix, paix›, et il n’y a pas de paix » (Jr 8.11). Je le répète : les pasteurs ne doivent pas abandonner le soin des âmes à d’autres voix. Un certain nombre de personnes, rémunérées ou non, sont plus que prêtes à faire le travail à votre place.

Pasteurs, Dieu vous appelle à avoir des conversations sages et fructueuses.

J’espère que chaque lecteur discerne les implications. Le travail pastoral tel que Dieu le définit s’étend à tous les chrétiens. Que nous apportions nos conseils de manière formelle ou que nous cherchions simplement à aimer notre prochain, nous sommes tous appelés à veiller à notre façon de nous parler les uns aux autres.

2) Vous avez des occasions uniques de conseiller les gens

L’accompagnement pastoral est différent de toute autre forme d’accompagnement en raison des nombreuses occasions inhabituelles qu’a un pasteur de voir vivre les autres. Voici sept facettes particulières de la vie pastorale qui ouvrent des portes.

a. Vous avez l’occasion de rencontrer les gens

Jésus-Christ va à la recherche des personnes. Il prend l’initiative d’aimer. Même lorsque les personnes venaient à lui avec leurs souffrances et leurs péchés, elles répondaient à son initiative. Elles avaient entendu parler de lui, de ce qu’il disait et faisait, de l’intérêt qu’il témoignait et de ce qu’il était capable de faire. D’une manière fondamentale, notre Rédempteur fait toujours le premier pas. Son modus operandi est totalement actif. Le bon Berger part à la recherche de la brebis perdue jusqu’à ce qu’il la trouve (Luc 15.4). Les bons bergers font de même et suscitent des occasions d’accompagnement. Vous pouvez demander : « Comment allez-vous vraiment ? » ou « Comment puis-je prier pour vous ? » dans n’importe quel contexte. La réponse de la personne, qu’elle soit franche ou évasive, devient l’occasion d’une conversation importante. Lorsque vous entendez dire que quelqu’un a un problème ou traverse une période difficile, vous pouvez aller le voir pour l’encourager.

Savez-vous à quel point cela est radical ? Par contraste, tous les autres modèles de relation d’aide sont passifs ; ils ne prennent pas l’initiative, mais répondent à une demande. Les psychothérapeutes doivent attendre jusqu’à ce qu’une personne en difficulté cherche de l’aide ou lui soit envoyée par une tierce personne. Un pasteur, lui, va à la recherche des personnes en difficulté, lesquelles apprécient tout particulièrement d’être activement aimées.

b. Vous avez des occasions dans les circonstances exceptionnelles de la vie

Vous avez un accès naturel à la vie des gens dans des moments décisifs de transition, d’épreuve et de joie. Ils vous invitent chez eux. Vous avez le droit de leur rendre visite. La porte vous est ouverte chaque fois qu’un événement important se produit :

  • Fiançailles et mariage.
  • Accident, maladie et hospitalisation.
  • Fin de vie, décès, deuil, funérailles.
  • Naissance.
  • Déménagement.
  • Perte d’emploi ou départ à la retraite.
  • Trahison, adultère et divorce.
  • Un enfant qui se drogue ou a des ennuis avec la justice.
  • Traumatisme lié à une catastrophe (incendie, crime, tempête).

Aucun autre conseiller n’a un accès aussi naturel aux moments les plus marquants de la vie.

Il se trouve que ces événements sont les principaux facteurs de stress sur n’importe quelle échelle du stress. Il se trouve également que la réalité intérieure d’une personne devient plus évidente et plus accessible dans de telles circonstances. Ses espoirs sont-ils fondés ou trompeurs ? Ses craintes sont-elles réalistes ou excessives ? Ses joies et ses tristesses sont-elles normales, désordonnées ou étrangement absentes ? Que révèlent ces doutes ou ces accès de colère ? D’où vient cette confusion ? Le cœur est comme un livre ouvert. De plus, il se trouve que chacun est généralement prêt à rechercher et à recevoir des conseils dans de telles circonstances.

Prenons un exemple. Dieu dit : « Mettez toute votre espérance dans la grâce apportée par la révélation de Jésus-Christ. » (1P 1.13) Ces mots peuvent être compris comme des termes religieux qui sonnent bien. Mais quand une personne est soumise à rude épreuve, les faux espoirs, même les plus cachés, apparaissent en haute définition. Les vrais espoirs apparaissent aussi. Et les faux espoirs peuvent être changés en vrais espoirs. Vous avez là une occasion unique de conseiller et de réorienter la vie de cette personne. Cette combinaison d’ouverture inhabituelle, d’émotions fortes et de recherche de sens signifie que vous avez un accès privilégié aux circonstances que Dieu a envoyées pour permettre aux gens de grandir dans la foi et dans l’amour.

c. Vous avez l’occasion d’accompagner et les personnes en difficulté et les personnes solides

Le ministère biblique n’est pas seulement pour les personnes souffrantes ou difficiles. Le pasteur est au service des faibles et des forts, des handicapés et des valides, de ceux qui sont doués et de ceux qui sont limités, de ceux qui réussissent et de ceux qui échouent. L’Évangile peut transformer la vie de n’importe quelle personne, « réconforter ceux qui sont perturbés et perturber ceux qui vont bien ». Ceux dont la vie déborde de bénédictions ont besoin d’apprendre la gratitude, l’humilité et la générosité – et de prendre garde aux tentations de la présomption, du sentiment de supériorité et de l’orgueil. Ceux dont la vie est vide ont besoin d’apprendre l’espérance, le courage et la patience – et de prendre garde à la tentation du désespoir, du mécontentement et de la convoitise. Nous avons tous besoin d’apprendre ce qui dure et ce qui compte vraiment, quelles que soient nos conditions de vie. Nous avons tous besoin d’apprendre à réconforter les autres comme Dieu nous a réconfortés. Les cisailles du vigneron taillent dans la vie de tous. En tant que pasteur, vous savez que chaque personne que vous rencontrez aujourd’hui a besoin de se réveiller, de changer, de faire confiance, de grandir, d’aimer Dieu et les autres. Chacun a besoin d’être accompagné chaque jour (Hé 3.12-14). Même les enfants de Dieu qui se portent bien ont besoin d’accompagnement (et de formation à la relation d’aide) afin de mieux aider leurs frères en difficulté qui s’écartent du droit chemin, sont découragés ou se sentent désarmés (1Th 5.14).

Aucun autre modèle de relation d’aide n’a une visée aussi large. Les autres modèles définissent une catégorie d’êtres humains ayant besoin d’aide, les autres se portant bien. Pour la foi chrétienne, chaque être humain a besoin d’un accompagnement spirituel qui relève de la vocation particulière du pasteur.

d. Vous avez l’occasion d’accompagner les riches et les pauvres

Un pasteur a un énorme avantage sur les autres conseillers : son accompagnement ne repose par sur des honoraires, mais sur l’amour. L’accompagnement pastoral est un don fait à ceux qui en ont besoin. Il est financé par les offrandes volontaires des membres du peuple de Dieu, qu’ils soient ou non à la recherche d’accompagnement. Les personnes brisées et en détresse ont raison de se demander au sujet des conseillers professionnels : « Vous intéressez-vous vraiment à moi ? Êtes-vous vraiment mon ami ? » Le fait que le ministère pastoral soit un don élimine les questions relatives aux motivations suspectes. La perception d’honoraires en échange de temps, d’attention et d’amitié augmente considérablement le risque de déformer une relation.

À la différence, un pasteur a une grande liberté pour œuvrer. Avec les personnes qui ont de l’argent, vous êtes dans la position inhabituelle de ne pas leur permettre d’acheter les services qu’ils veulent. Avec celles qui manquent d’argent, vous êtes dans la position inhabituelle de ne pas les priver de l’aide dont elles ont besoin. Un pasteur a la capacité spéciale d’incarner la miséricorde et la sagesse gratuites de Dieu. La relation d’aide consiste à exprimer la vérité dans l’amour (Ep 4.15). Quand il n’y a pas d’honoraires en jeu, votre attention est moins ambiguë et votre franchise moins contrainte.

Le fait que vous ayez une telle liberté fait une grande différence. Quand les dîmes et les offrandes de nombreuses personnes garantissent la manière dont l’Église répond aux besoins d’accompagnement, cela crée les meilleures conditions possibles pour la relation d’aide.

e. Vous avez l’occasion d’accompagner des personnes qui vous font déjà confiance

Qu’est-ce qui est le plus important dans toute conversation de relation d’aide ? Bien qu’elle l’exprime rarement, chaque personne qui s’assied pour parler avec quelqu’un se demande toujours : « Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? Me donnez-vous de bonnes raisons de vous faire confiance ?  Ai-je confiance en vous ? » Si la réponse finale est positive, la conversation pourrait devenir constructive. La confiance conduit à deux autres questions qui déterminent aussi le succès ou l’échec de la conversation : « Puis-je être entièrement honnête avec vous ? » « Vais-je écouter ce que vous me dites ? »

Bien sûr, la confiance, l’honnêteté et l’écoute viennent progressivement. Mais c’est un aspect particulier du travail pastoral que de conseiller des personnes qui ont déjà décidé de vous faire confiance. Elles se sont engagées à être honnêtes et à vous écouter. Elles vous font confiance parce qu’elles vous connaissent. Cela rend votre accompagnement considérablement plus efficace. Vous n’avez pas besoin de passer des mois à gagner leur confiance. Vous pouvez aller droit au but, parce que ceux que vous accompagnez vont eux-mêmes droit au but.

Parce qu’ils vous connaissent et vous font confiance, vous êtes la première personne qu’ils consulteront pour évoquer leurs problèmes. Ils vous parleront franchement des choses les plus délicates : péchés graves, craintes profondes, peine de cœur, déception, aspirations fragiles, confusion intérieure. Là où règne la confiance, les sujets les plus difficiles peuvent être abordés. Après avoir écouté avec attention ces confidences – écoute rapide, réflexion profonde, lenteur à parler –, vous vous apercevez également que ces personnes vous écoutent si vos paroles sont attentionnées, éclairées et vraies. Ce qui est mis en lumière peut devenir lumière.

Les autres conseillers ont rarement ce privilège, mais vous pouvez en faire régulièrement l’expérience.

f. Vous avez l’occasion d’accompagner des personnes que vous connaissez déjà

Non seulement les autres vous connaissent et vous font confiance, mais vous les connaissez. Cela vous donne une autre occasion particulière de les accompagner. Si vous avez bien fait votre travail de pasteur, vous connaissez déjà votre troupeau. Vous vous efforcez constamment de le connaître mieux. Cette connaissance personnelle vous donne un avantage incalculable sur le conseiller professionnel coincé dans son cabinet. Vous connaissez leur nom, leur personnalité et leur situation de vie. Vous les avez vus à l’œuvre. Vous avez déjà une idée de leurs forces et de leurs faiblesses, de leurs défauts et de leurs qualités, de leurs bonnes et mauvaises habitudes. Comment cet homme traite-t-il sa famille ? Cette femme est-elle prête à donner un coup de main ? Est-ce un homme de parole ou avez-vous appris à attendre et à voir ce qu’il fait ? Quelle est sa réaction lorsqu’elle est confrontée à une frustration, à une épreuve et à un conflit ? Comment parle-t-il des bénédictions qu’il reçoit ? Comment adore-t-elle ? Vous connaissez peut-être des histoires et des circonstances importantes. Vous connaissez peut-être le milieu familial. Vous avez un accès naturel aux nombreuses parties impliquées.

Une connaissance étendue vous aide à éviter les pièges qui guettent les conseillers. Par exemple, les conseillers n’entendent souvent qu’un seul son de cloche. Ils sont toujours vulnérables à la désinformation – les faits et les réactions peuvent être vrais et plausibles, mais ils induisent régulièrement en erreur et empêchent une évaluation précise et équilibrée. Étant donné les divers instincts de notre cœur déchu, les conseillers sont aisément tentés de prendre parti pour ceux qu’ils accompagnent (Pr 18.17). Lorsqu’une fille de 25 ans, mécontente, dépeint sa mère comme un monstre, est-ce réellement le cas ? Peut-être. Mais si vous connaissez la mère et la fille, vous pourrez avoir une compréhension plus nuancée de la situation. Le fait que vous connaissiez déjà les gens et que vous les connaissiez dans leur contexte est un atout particulier du cadre pastoral de la relation d’aide.

Aucun autre conseiller n’a la possibilité de connaître, en partie, la situation dès le départ et de pouvoir vérifier ce qui est dit dans une conversation privée.

g. Vous avez l’occasion d’accompagner des personnes qui sont déjà dans un processus de changement

Non seulement les personnes vous connaissent et vous les connaissez, mais en tant que pasteur vous allez conseiller des personnes qui ont déjà une bonne idée du bien et du mal et des domaines où elles ont besoin de progresser. Une telle acuité n’est jamais garantie, mais quand elle est présente, elle vous donne un énorme avantage dès le départ.

Nous avons mentionné plus tôt les questions fondamentales de confiance, d’honnêteté et d’écoute. La question cruciale suivante dans tout programme de relation d’aide est : « Pourquoi sommes-nous là ? Que voulons-nous accomplir ? » En général, la plupart des personnes en recherche d’accompagnement viennent avec des objectifs erronés :

  • « Changez mon ressenti. »
  • « Changez ma situation. »
  • « Donnez-moi raison. »
  • « Donnez-moi une formule. »

Un conseiller ayant un minimum de sagesse s’efforce patiemment de remplacer ces objectifs par : « Aidez-moi à changer le but de ma vie et ma façon de vivre. » La foi et le ministère chrétien contribuent au processus de changement d’une façon particulièrement riche. Une personne sage comprend nos besoins les plus profonds :

Aidez-moi à changer ce qui me contrôle et comment je traite les gens. Montrez-moi où et comment je sors du droit chemin. Faites-moi comprendre comment la grâce et la vérité de Jésus s’appliquent à mes luttes quotidiennes. Aidez-moi à me tourner vers Dieu et à lui faire réellement confiance. Aidez-moi à aimer réellement les gens, au lieu de les utiliser, de les craindre ou de me comparer à eux. Aidez-moi à trouver refuge dans le Seigneur quand la vie est difficile. J’ai besoin d’enraciner mon espérance dans ce qui est indestructible, au lieu de rechercher instinctivement et de manière obsessionnelle la joie terrestre. Aidez-moi à voir plus clairement en quoi je contribue au conflit et à la prise de distance entre les personnes. J’ai besoin de pardon. Aidez-moi à pardonner. Rendez-moi un être humain plus constructif.

C’est le rêve d’un conseiller qu’une personne vienne avec ne serait-ce qu’une idée de la mise en œuvre d’un tel processus. Si votre Église offre un bon enseignement, vous conseillerez parfois – souvent ? – des personnes qui perçoivent déjà ce qui est en jeu. Même une vague idée d’un tel processus fait une grande différence.

Un bon ministère public, de solides petits groupes, des amitiés profondes et un culte personnel pertinent forment les personnes qui connaissent déjà la structure de la réalité. Elles connaissent les contours des combats de l’âme. Elles savent comment Dieu entre en relation avec ses créatures. Mais chacun de nous a besoin d’être aidé à relier les différents éléments. Nous avons tous besoin d’être aidés à surmonter les contradictions qui existent entre ce que nous savons et notre manière de vivre. Ceux que vous conseillez ont besoin des surprises extraordinaires qui surgissent toujours quand une personne honnête s’assied pour une conversation patiente et éclairante avec un pasteur des âmes rempli de sagesse.

Aucun autre conseiller n’a autant d’occasions de travailler avec des personnes qui ont déjà une idée de ce dont elles ont le plus besoin.

Tout comme votre responsabilité de prendre soin des âmes, vos occasions sont uniques. J’espère que cette vision vous remplit d’enthousiasme. J’espère qu’elle vous stimulera afin de mener à bien le long combat nécessaire pour que la réalité de votre ministère se rapproche de ce que vous souhaitiez. J’espère que chaque lecteur comprend les implications. D’une certaine manière, les mêmes occasions sont données à chaque membre du corps de Christ.

3) Votre manière d’accompagner est unique

De loin, on a l’impression que tous les conseillers font la même chose. Ils parlent avec des personnes qui ont tel ou tel problème. La conversation se concentre sur ce qui a trait à la souffrance. Ceux qui aspirent à aider manifestent des intentions bienveillantes et constructives. Ils posent des questions, suscitent des confidences, écoutent attentivement. Ils réagissent de manière à éclairer, contester, donner de l’espoir, réorienter, influencer, rediriger. Les personnes en difficulté qui prennent la conversation à cœur et s’y impliquent font l’expérience d’un changement d’humeur, de pensée ou d’action. Mais les ressemblances apparentes sont comme celles qui existent entre différentes religions. Quand vous vous rapprochez, vous percevez des différences réelles et profondes.

Vos méthodes d’accompagnement sont uniques. Vos questions vont dans des directions inhabituelles. Votre interprétation de l’origine des problèmes conduit la conversation dans des endroits où personne d’autre ne va. Votre transparence et votre réserve obéissent à des principes différents, révèlent des buts différents. Vous rendez témoignage à ce que Dieu atteste lui-même, à savoir que c’est lui qui crée, soutient, juge, sauve et commande. Vous agissez comme l’assistant d’un médecin, et non comme le grand médecin. Cela influence les innombrables détails concernant le ton et le contenu de la conversation. L’image que vous avez de votre vocation de conseiller – pasteur-berger, ministre-serviteur, frère dans le corps de Christ, pécheur ayant besoin d’un Sauveur – influence subtilement et ouvertement tout ce qui se passe15. Cette section pourrait être beaucoup plus longue, mais je me contenterai de souligner un aspect particulier de votre approche de l’art des arts : vous priez avec et pour ceux que vous conseillez.

Percevez-vous à quel point cela est inhabituel ? Avez-vous discerné combien il est significatif que le fait que vous priez aille de soi, alors que les autres conseillers ne prient pas ? Les psychothérapeutes reconnus dans notre culture – psychiatres, psychologues cliniques, assistants sociaux, conseillers professionnels diplômés, conseillers conjugaux, notamment – en principe ne prient pas avec les personnes ni pour elles16. Cette lacune dans leur pratique signifie qu’ils estiment qu’aucune aide extérieure n’est nécessaire, voulue ou disponible. Eux et ceux qu’ils conseillent possèdent a priori tout ce dont ils pourraient avoir besoin pour trouver un sens aux problèmes et pour faire un choix de vie fructueuse. Les réponses se trouvent dans l’individu aidé par un psychothérapeute attentionné, perspicace et pratique et, peut-être, par le soutien de médicaments psycho-actifs.

En tant que pasteur, vous ne croyez pas qu’une explication des difficultés humaines et le soin à leur apporter doivent négliger le fait que le cœur s’attache toujours soit au vrai Dieu soit à quelque chose d’autre. Seul un agent extérieur peut transformer un cœur égaré en un cœur attentif. Une vraie guérison de l’âme ne peut pas ignorer la malice du séducteur, l’ennemi et l’oppresseur des âmes. Dans la confusion du combat, qui vous aidera à y voir clair ? La sagesse ne supprime pas la connaissance du Dieu vivant. Qui nous délivrera du mal ? Quand, vous et ceux que vous conseillez, vous manquez de sagesse, qui vous donnera ce qui vous fait défaut ? Vous avez besoin d’aide et la souhaitez. Par conséquent, vous priez avec et pour les autres. Leur apprendre à formuler des prières sincères est un des principaux objectifs de la relation d’aide. Vous priez parce que les gens ont besoin du pardon de leurs péchés – vous ne pouvez pas leur accorder cela. Ils ont besoin d’un berger qui ne les abandonnera jamais – vous n’êtes pas cette personne. Ils ont besoin de la puissance qui a ressuscité Jésus d’entre les morts – vous aussi. Ils ont besoin de l’espérance de la résurrection, à savoir qu’un jour toutes les larmes seront essuyées et tous les péchés effacés – vous partagez cette même nécessité. Ils ont besoin d’une foi agissant par l’amour afin de devenir plus authentiques dans leur vie, plus profonds afin de se saisir de toutes choses.

  • Vous priez pour les personnes avant de vous asseoir pour parler avec elles.
  • Vous priez intérieurement pendant que vous leur parlez.
  • Prier avec les personnes est un aspect approprié de l’accompagnement.
  • Vous continuez de prier pour elles après en avoir pris congé.

Votre manière de conseiller est unique.

Il en est ainsi pour chaque chrétien. Si vous cherchez à aimer avec sagesse, vous allez apprendre à prier pour et avec les autres, pour leurs vrais besoins.

4) Vous communiquez un message unique

Le caractère unique de votre message est facile à discerner. Mais vous le savez déjà. Je ne vous redirai pas les richesses insondables du Christ ou leurs dix mille implications pertinentes.

Mais je veux montrer le caractère unique de votre message par contraste avec celui des autres conseillers. Tout conseiller apporte un « message » : une interprétation des problèmes, une théorie qui intègre les causalités et le contexte, une proposition de traitement, un but qui définit une vie réussie. En quoi votre message se distingue-t-il de leur message ? Considérez simplement ce que les autres conseillers de notre culture ne disent pas :

  • Ils ne mentionnent jamais le Dieu qui s’est révélé : Yahvé, le Père, Jésus, l’Esprit, le Tout-Puissant, le Sauveur, le Consolateur.
  • Ils ne mentionnent jamais que Dieu cherche chaque cœur, que chaque être humain devra rendre compte de chaque pensée, parole, action, choix, émotion, croyance et attitude.
  • Ils ne mentionnent jamais la nature pécheresse et le péché, ni le fait que l’humanité s’élève de manière obsessionnelle et compulsive contre Dieu.
  • Ils ne mentionnent jamais que la souffrance a un sens dans les desseins de miséricorde et de jugement de Dieu.
  • Ils ne mentionnent jamais Jésus-Christ, qui est une insulte à l’estime de soi, à la confiance en soi, à l’autosuffisance, au salut par ses propres efforts, à la foi en soi-même.
  • Ils ne mentionnent jamais que Dieu pardonne réellement les péchés.
  • Ils ne mentionnent jamais que le Seigneur est notre refuge, qu’il est possible de marcher dans la vallée de l’ombre de la mort et de ne craindre aucun mal.
  • Ils ne mentionnent jamais que les facteurs biologiques et les expériences personnelles existent dans la providence et les desseins du Dieu vivant, et qu’ils n’annulent pas notre responsabilité.
  • Ils ne mentionnent jamais notre propension à rendre le mal pour le mal, comment les malheurs nous poussent au désespoir, à l’amertume, au mécontentement, à nous inquiéter, à nous sentir inférieurs et à nous évader de la réalité.
  • Ils ne mentionnent jamais notre propension à rendre le mal pour le bien, comment les réussites terrestres nous poussent à l’autosuffisance, l’ingratitude, la cupidité, la présomption et à nous sentir supérieurs.
  • Ils ne mentionnent jamais que les êtres humains sont censés devenir des adorateurs, s’incliner avec une conscience profonde de leurs besoins, tendre les mains pour recevoir les dons du corps et du sang du Christ, élever leurs voix et chanter d’un cœur sincère.
  • Ils ne mentionnent jamais que les êtres humains sont censés obéir à la volonté de Dieu, et non à leurs propres désirs.
  • Ils ne mentionnent jamais que les êtres humains sont censés utiliser les dons de Dieu pour faire avancer le royaume et la gloire de Dieu.
  • Ils ne mentionnent jamais que le pouvoir de changer ne réside pas en nous.

Autrement dit, ils conseillent toujours en fonction de leurs propres convictions.

En tant que pasteur, vous ne pouvez pas vous empêcher de mentionner ces choses, ou alors vous n’êtes pas un pasteur. De plus, vous ne vous contentez jamais de mentionner ces réalités, comme si une simple instruction suffisait à répondre aux besoins d’une personne en difficulté. Comme un musicien expérimenté, vous avez l’oreille exercée. Dans chaque détail de l’histoire d’une personne, vous apprenez à entendre la musique des réalités non mentionnées. Vous aidez les autres à entendre ce qui est réellement joué. Une conversation pastorale de qualité apprend à une autre personne à écouter, puis à s’associer au chant. Ai-je besoin d’en dire plus ? Personne d’autre n’écoute ce que vous entendez. Personne d’autre ne dit ce que vous avez à dire. Personne d’autre ne chante ce que vous croyez. Personne d’autre ne donne aux autres ce que vous avez reçu afin que vous puissiez donner gratuitement. Toute personne ayant besoin de relation d’aide a réellement besoin d’entendre votre message particulier.

Ce message appartient aussi à chaque chrétien. Que Dieu rende toutes nos paroles (et nos pensées au sein de nos silences) conformes à nos convictions.

5) Vous conseillez dans un contexte communautaire unique

En tant que pasteur, vous conseillez au sein de l’Église. Cela ne signifie pas simplement que votre bureau se situe dans un bâtiment différent des autres cabinets de relation d’aide. Votre cadre offre des possibilités uniques. Dieu veut que les Églises soient des écoles de sagesse et d’accompagnement. Vous servez une assemblée de membres potentiels de l’équipe d’accompagnement pastoral. Bien plus, chaque personne que vous accompagnez avec succès devient, d’une certaine manière, un meilleur conseiller pour les autres. J’ai été témoin de cela des centaines de fois.

D’autres conseillers opèrent en tant que professionnels privés dans un cabinet ou en tant que membres d’une équipe de soins dans une institution quasi médicale. Mais les thérapeutes rêvent parfois que les services de relation d’aide puissent s’appuyer réellement sur la communauté. Par exemple, Sigmund Freud a rêvé que des travailleurs sociaux formés à la psychanalyse puissent se déployer dans chaque communauté pour offrir leurs services17. Au cours du siècle dernier, de nombreux psychiatres et psychothérapeutes sérieux ont honnêtement reconnu les limites de la pratique professionnelle confinée dans un cabinet, et ont aspiré à des « services de santé mentale » basés sur la communauté. Cela a beaucoup de sens, étant donné que les problèmes des gens se manifestent à la maison, au travail, dans la rue, au sein des relations, des exigences et des contingences de la vie courante. Mais les conseillers séculiers se sont montrés presque impuissants à réaliser leur rêve.

Vous vivez leur rêve.

Vous travaillez dans le contexte communautaire idéal. L’Église est composée de personnes qui se connaissent, s’aiment et prennent soin les unes des autres dans la vie de tous les jours. Les personnes en souffrance trouvent un sens à leur existence et nouent des relations dans un contexte social naturel. Les personnes qui trouvent ainsi un sens à leur existence et reçoivent de l’amour de la part des autres ne sont plus en souffrance, quelle que soit la gravité de leurs difficultés et de leurs luttes. Nous sommes des enfants bien-aimés, avançant petit à petit sur le chemin de la paix, et nos difficultés et nos luttes sont revêtues d’une nouvelle signification. En principe, le corps vivant de Christ est le lieu idéal pour la pratique de l’accompagnement.

Pourquoi en est-il ainsi ? Jésus-Christ incarne la compassion. Il est volontairement patient envers toutes sortes de personnes en difficulté et adapte son approche à leurs besoins particuliers. Par conséquent, pour les gens confrontés à de grandes difficultés, Jésus-Christ propose une aide pastorale concrète. Il prend soin des faibles. Et, avec les personnes qui se sentent anxieuses, découragées et bouleversées, il apporte réconfort et espérance. Il encourage tendrement les découragés. Mais, envers les personnes opiniâtres, têtues et égocentriques, Jésus-Christ vient avec des défis, des contraintes et des conséquences. Il reprend les indisciplinés qui usent, abusent et mésusent des autres.

Il en est du disciple comme du maître. Le corps de Christ devient davantage lui-même quand il manifeste le Christ : avertissant les indisciplinés, réconfortant ceux qui sont abattus, soutenant les faibles et étant patients envers tous (1Th 5.14). C’est une vision très complète de la relation d’aide. Elle est adaptée à ceux qui ont besoin d’une assistance pratique : les faibles. Elle est adaptée à ceux qui demandent de l’aide : les anxieux et les déprimés. Elle est adaptée à ceux qui ne veulent pas changer : les indisciplinés. Elle est adaptée à chacun d’entre nous – qui sommes généralement un peu les trois à la fois, avons besoin d’être accompagnés de ces trois manières et avons besoin de la patience des autres.

Ce dont nous avons besoin et que nous recevons, nous apprenons à le donner. Certains d’entre nous sont plus à l’aise pour manifester de la compassion. D’autres le sont pour encourager, éclairer et consoler. D’autres encore pour reprendre, corriger, demander des comptes. Chacun de nous devrait faire un peu tout cela. Mais nous avons tous besoin de grandir à l’image de Jésus qui réalise tout cela dans un parfait équilibre. Tous les enfants de Dieu, conjuguant leurs efforts, peuvent accomplir ce que Dieu veut en matière d’accompagnement.

Je ne nie pas que nos Églises sont éloignées de ce doux rêve – et même très éloignées. Quand il s’agit de gérer les problèmes avec sagesse, l’Église peut ressembler à un état de coma, à une nuit sans sommeil ou à un cauchemar. Mais les échecs de l’Église ne doivent pas l’empêcher de tendre vers la description d’Éphésiens 4. Le rêve deviendra réalité. La relation d’aide communautaire fait partie de notre eschatologie tout autant que de notre présent. Votre tâche maintenant consiste simplement à faire le prochain pas dans la bonne direction.

Je termine avec un dernier commentaire sur le cadre communautaire unique qu’est celui du pasteur. Vous appartenez à une longue tradition d’accompagnement pastoral. Des chrétiens sages vous ont précédés. Choisissez d’apprendre de vos frères.

Tout pasteur aura intérêt à lire La Règle pastorale de Grégoire le Grand, écrite il y a presque mille cinq cents ans. Peut-être avons-nous une meilleure herméneutique, une compréhension doctrinale plus large et une plus grande conscience de la richesse de l’Évangile de Jésus que lui, mais Grégoire a une plus grande conscience de « la Vérité en personne », une plus grande sagesse dans les études de cas, plus de flexibilité pour s’adapter aux différences humaines, un plus grand sens de la responsabilité pastorale, plus d’humilité concernant ses accomplissements, plus de vigilance à l’égard de la subtilité du péché. Marchez sur ses traces !

Tout pasteur aura intérêt à lire Le Pasteur réformé de Richard Baxter (et, si vous êtes vraiment ambitieux, son Christian Directory). Baxter est dense et, comme tous les anciens auteurs, un peu démodé. Vous n’exercerez pas le ministère de la même manière que lui. Mais, si vous lisez Baxter, vous deviendrez un pasteur plus sage. De même, tout pasteur aura intérêt à lire Pastoral Counsel18 de Thomas Oden, et De la vie communautaire de Dietrich Bonhoeffer. Le résumé que fait Oden de la sagesse des siècles passés vous permettra de découvrir de sages pasteurs dont vous ignoriez l’existence. Votre cours d’histoire de l’Église a sans doute exploré le développement de la doctrine et les événements de la politique ecclésiastique. Oden montre comment les pasteurs accomplissaient leur tâche spécifique. La sagesse et l’exemple de Bonhoeffer (1906-1945) vous façonneront et vous nourriront, alors que vous répondez à votre vocation particulière de conseiller.

Tout pasteur aura également intérêt à lire attentivement Cry, the Beloved Country d’Alan Paton, et Gilead de Marilynne Robinson. Pourquoi des livres de fiction ? Pour la même raison qui poussait les pasteurs du xviiie siècle à lire, à la fois, la Bible et Shakespeare. Les bonnes fictions vous donnent une connaissance indirecte des gens. Elles étendent votre connaissance des situations humaines au-delà des limites de votre propre environnement social. Je mentionne ces deux romans en particulier parce qu’ils vous permettront d’observer comment la vie chrétienne et le ministère fonctionnent de l’intérieur, au milieu des détails ordinaires de la vie. Dans chaque livre, la vedette est un pasteur. Chacun, en honnête homme, est aux prises avec des pertes, des regrets, des craintes, des colères, des tristesses. Chacun trouve grâce et chacun se montre compatissant.

Bien sûr, je pense que chaque pasteur a intérêt à lire et à écouter les enseignants du renouveau de la relation d’aide biblique, qui a commencé dans les années 1970. Le ministère pastoral ne retrouve jamais simplement la sagesse du passé dans toute sa richesse. Les auteurs actuels traitent des questions et des problèmes que l’Église n’a jamais traités auparavant, ou n’a jamais traités avec autant de précision. Tout ne va pas résister à l’épreuve du temps, du ministère et de l’Écriture. Vous allez contribuer à séparer la paille du blé.

Il en est des chrétiens comme des pasteurs, chacun de nous tire profit de diverses manières des choses que Dieu utilise pour nous rendre plus sages.

Enfin, que votre vie et votre accompagnement expriment la foi que vous prêchez et chantez ! Vous devez impliquer le corps de Christ dans cet appel à l’accompagnement. La croissance et la persévérance dans la foi en Christ ont toujours été, sont et seront toujours un projet communautaire.


  1. Traduit intégralement avec la permission de la Christian Counseling and Educational Foundation (CCEF) par Jean-Philippe Bru. La responsabilité de la traduction repose entièrement sur le traducteur (copyright © Christian Counseling and Educational Foundation, 2015). L’article original a été écrit par David Powlison et est paru dans le Journal of Biblical Counseling (vol. 26, numéro 1, copyright © 2012) sous le titre « The Pastor as Counselor ». Tout le contenu est protégé par copyright et ne doit pas être reproduit sans la permission écrite du CCEF. Pour plus de renseignements sur les cours, conférences, formation à distance et autres services, vous pouvez consulter www.ccef.org.↩

  2. Sally Fitzgerald, sous dir., The Habit of Being : The Letters of Flannery O’Connor, New York, Farrar, Straus, Giroux, 1979, p. 229.↩

  3. W.W. Meissner, « The Psychotherapies : Individual, Family, and Group », in The Harvard Guide to Psychiatry, sous dir. Armand Nicholi, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1999, p. 418-419.↩

  4. Ibid., p. 418.↩

  5. Sigmund Freud, The Question of Lay Analysis, New York, W.W. Norton, 1969, 1re édition 1926, p. 108.↩

  6. Les lecteurs qui voudraient creuser davantage apprécieront Armand Nicholi, « The Therapist-Patient Relationship », in The Harvard Guide to Psychiatry, p. 7-22. Voir aussi Peter Kramer, Moments of Engagement, New York, W.W. Norton, 1989, en particulier p. 182-218 ; et l’ouvrage classique de Perry London, The Modes and Morals of Psychotherapy, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1964.↩

  7. Tous les thérapeutes n’adhèrent pas à la réserve prisée par les psychothérapeutes psychodynamiques. Par exemple, Virginia Satir, Albert Ellis, Marsha Linehan ou Steven Hayes apportent une « présence » dynamique et charismatique dans la relation et expriment librement leurs opinions, émotions, réactions, assertions et témoignage personnel. Dans leur cas, qu’est-ce qui leur donne le droit d’imposer si librement leurs valeurs et perspectives aux autres ? Les psychothérapeutes les plus détachés voient avec raison le danger de charlatanisme inhérent aux psychothérapies les plus intrusives. Mais les conseillers les plus intrusifs voient avec raison que les valeurs sont « induites » dans toute forme de relation d’aide, et qu’une prétention à la neutralité ne fait que masquer ce processus. Seule la foi chrétienne contient un principe permettant aux valeurs d’être ouvertement et constamment induites sans intimidation ni manipulation.↩

  8. Pour en savoir plus sur le temps qu’un pasteur devrait consacrer à la relation d’aide et le genre de personnes qu’il devrait accompagner, voir « Pastoral Counseling », in David Powlison, Speaking Truth in Love, Greensboro, New Growth Press, 2005, p. 127-132.↩

  9. Grégoire le Grand, Règle pastorale, Sources chrétiennes n° 381, Cerf, Paris, 1993, I, 1, p. 129.↩

  10. Ibid., III, 37, p. 525.↩

  11. Ibid., III, prologue, p. 259 ; III, 36, p. 521.↩

  12. Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire et Le livre de prières de la Bible, nouvelle édition traduite de l’allemand par Bernard Lauret avec la collaboration de Henry Mottu, Labor et Fides, Genève, 2007, p. 101.↩

  13. Richard Baxter, The Reformed Pastor, Edinburgh, Banner of Truth, 1974, 1re édition 1656, I, i, 2, p. 61.↩

  14. Ibid., I, i, 3, 63.↩

  15. Pour en savoir plus sur la manière dont le rôle du conseiller est conçu dans le ministère chrétien et dans les psychothérapies séculières, voir David Powlison, « Familial Counseling : The Paradigm for Counselor-Counselee Relationships in 1 Thessalonians 5 », The Journal of Biblical Counseling, 25:1, 2007, p. 2-16.↩

  16. Un conseiller étrange, en raison de convictions religieuses personnelles, pourrait prendre certaines libertés par rapport à la démarche professionnelle. Mais, en règle générale, il n’y a pas de prière.↩

  17. Freud, The Question of Lay Analysis, New York, W.W. Norton, 1969, 1re édition 1926, p. 98-99.↩

  18. Thomas C. Oden, Pastoral Counsel, vol. 3, in Classical Pastoral Care, Grand Rapids, Baker, 1987.↩

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Quelques balises pour la relation d’aide http://larevuereformee.net/articlerr/n275/quelques-balises-pour-la-relation-daide Wed, 08 Nov 2017 14:47:12 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=967 Continuer la lecture ]]> Quelques balises pour la relation d’aide1

David Powlison2

L’une des questions les plus courantes posées aux personnes engagées dans la relation d’aide biblique3 est la suivante : « En quoi la relation d’aide biblique est-elle différente des autres approches ? » C’est une excellente question, car les différences qui existent entre les approches ne sont pas sans importance. Elles ont une incidence sur la forme de nos interventions et les objectifs que nous nous fixons. Elles ne sont pas non plus sans conséquences pour la personne que vous cherchez à aider.

Penchons-nous donc sur cette question.

Considérons tout d’abord la grande variété des approches. D’innombrables voix proposent de résoudre nos problèmes, de changer ce qui ne va pas chez nous. Mais qu’est-ce qui peut réellement nous aider ?

Devrions-nous…

  • Analyser les répercussions de notre éducation familiale sur notre comportement ?
  • Faire ce que Dieu ordonne en faisant abstraction de nos sentiments ?
  • Suivre nos sentiments ?
  • Prendre le temps de prier et jeûner ?
  • Prendre du Prozac ?
  • Trouver une personne digne de confiance à qui ouvrir notre cœur ?
  • Prendre notre vie en main ?
  • Chasser le démon qui s’est immiscé dans notre âme ?
  • Contrecarrer le dialogue négatif que nous avons avec nous-mêmes par des affirmations bibliques positives ?
  • Proclamer notre nouvelle identité en Christ ?
  • Identifier et examiner nos traumatismes ?
  • Faire de l’exercice et arrêter la caféine ?
  • Écouter de bonnes prédications et passer du temps avec Dieu ?

Nombre de ces conseils contiennent un brin de vérité. Certains sont plutôt légers. D’autres sont carrément malsains. Et aucun ne va assez loin. Alors comment faire le tri? Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Comment savoir par où commencer ? Comment parvenir à une approche cohérente ?

Ou, pour aborder la question différemment : qui peut vous aider ? Avez-vous besoin de dix séances avec un psychothérapeute ? D’une retraite avec un directeur spirituel ? D’une visite chez le médecin ? D’une confrontation avec un exorciste ? D’un programme d’exercice physique établi par un coach personnel ? De participer à un groupe de soutien hebdomadaire ? D’un entretien avec votre pasteur ? De passer du temps avec vos amis ?

Notre quête thérapeutique est d’autant plus complexe que toutes les activités et personnes que nous venons de mentionner peuvent se combiner et varier de mille façons. Et comme si cela n’était pas assez compliqué, le domaine de la relation d’aide est toujours en ébullition, changeant et instable. Les nouveautés, les modes et les divergences d’opinion se succèdent, dans l’Église comme dans la culture environnante. Les théories et les thérapies changent, se transforment, se combinent, innovent et se réinventent sans cesse. Il y a toujours un nouveau best-seller, un nouveau remède miracle qui surpasse tous ses concurrents.

Mais qu’est-ce que la « relation d’aide biblique » ? En quoi consiste la sagesse véritable ? La plupart des réponses et des personnes que nous venons de mentionner pourraient se réclamer de la relation d’aide chrétienne. Aucun conseiller se réclamant du nom de Jésus-Christ ne voudrait faire de la « relation d’aide non biblique ».

Alors, comment répondre correctement à une question aussi importante et compliquée ? Comment développer une sagesse authentique, capable d’offrir une aide digne de notre Seigneur ?

Plutôt que d’essayer de dresser la liste des forces et des faiblesses de toutes les démarches existantes, j’estime qu’il est plus utile d’acquérir des aptitudes permettant de faire preuve de discernement. L’objectif des quatre questions suivantes est de vous aider à évaluer de manière juste et précise n’importe quelle approche. En apprenant à évaluer avec discernement toute nouvelle approche apparaissant sur le marché, vous devenez capable de mesurer les forces et les faiblesses des approches particulières prônées par les milieux que vous fréquentez.

Premièrement, comment Dieu est-il dépeint ?

Le Dieu qui se révèle dans l’Écriture, dans l’histoire et dans le cœur des hommes occupe-t-il une place centrale dans la compréhension de ce qui est vraiment essentiel à l’être humain ? La complexité de la souffrance, du deuil et des épreuves est-elle prise en compte ? La complexité du bien dont l’homme est capable et des innombrables bénédictions de la vie présente occupe-t-elle une place suffisante ? La complexité du péché est-elle prise en considération ? Quels sont le rôle et l’importance de Jésus-Christ en rapport avec ces différents domaines ? La foi chrétienne décrit clairement ce qui ne va pas chez nous, ce qui ne va pas autour de nous, ce qui est bon en nous et ce qui est bon autour de nous. Et dans toutes ces choses, la source de la vraie connaissance, de la vraie compréhension et de la vraie sagesse est présentée en termes relationnels. Dieu s’intéresse à nous et s’approche de nous ; nous nous intéressons à lui et nous nous approchons de lui. Par exemple :

Moi, je suis pauvre et malheureux, mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon aide et mon libérateur, mon Dieu, ne tarde pas ! (Psaume 40.18)

Cette conception de Dieu et de l’homme fait-elle partie intégrante de la relation d’aide ? Les modèles défaillants de relation d’aide ne donnent jamais au Christ la place qui lui revient. Ils négligent, déforment ou donnent une fausse image de celui à qui nous devons rendre compte. Aussi nous induisent-ils en erreur. Mais celui qui sonde les cœurs, celui devant qui tout genou fléchira, le sauveur des pécheurs, le refuge de ceux qui souffrent, celui qui est à l’origine de tout don parfait insiste pour recevoir ce qui lui est dû. La sagesse biblique considère tous les phénomènes humains avec ce Dieu à l’esprit.

Deuxièmement, comment la nature humaine est-elle interprétée ?

Quelle conception de la motivation humaine est-elle mise en avant ? Quelle est la réponse donnée à la question essentielle : « Pourquoi fais-tu ce que tu fais ? » En particulier, les êtres humains sont-ils compris comme étant en relation active et incessante avec Dieu ? Aucun modèle profane de relation d’aide ne comprend correctement la théorie de la motivation. Est-il clairement admis que le cœur humain est au service soit de ses convoitises trompeuses, soit du Dieu de vérité ? Tout être humain soit s’attache à Jésus-Christ, soit se détourne de lui. Si vous ne comprenez pas correctement l’état du cœur humain, vous ne fixerez pas correctement les objectifs de la relation d’aide. Vous ne pourrez pas comprendre ce qui ne va pas. Vous ne comprendrez pas ce qu’un être humain est appelé à devenir. Vous ne pourrez pas définir correctement ce qu’est la réussite, dans la vie ou en relation d’aide.

Les modèles défaillants de relation d’aide comprennent toujours mal le cœur humain. Ils supposent, théorisent et avancent des interprétations erronées sur ce qui nous fait avancer. La sagesse biblique considère tous les phénomènes humains en gardant à l’esprit la question : « Qu’est-ce que tu aimes, crois, sers et crains aujourd’hui ? »

Troisièmement, comment les situations sont-elles évaluées ?

La scène sur laquelle nous vivons – ce qui nous entoure, nous influence, nous contrarie, nous limite – constitue-t-elle notre seul horizon ? Ou la voyons-nous comme le cadre dans lequel nous vivons devant Dieu ? Interprétons-nous les circonstances de notre vie à partir d’un seul élément, au détriment des autres ? Notre passé, notre présent ou notre futur ? Notre corps physique, notre situation sociale ou une emprise démoniaque sur notre âme ?

Les modèles défaillants de relation d’aide ne comprennent jamais correctement le monde dans lequel nous vivons. Ils attribuent généralement une autorité déterminante à un seul élément de notre vie. Notre culture est actuellement obsédée par la causalité biologique, selon laquelle nos problèmes trouvent leur origine dans notre corps. L’idée la plus vigoureuse rivalisant avec cette obsession est celle de causalité sociologique, selon laquelle ce que les autres disent et font a une influence sur vous. Dans certains milieux chrétiens, la causalité démonologique se voit attribuer une autorité décisive – c’est-à-dire que quelqu’un qui n’est pas vous vous contrôle. Voici, par exemple, trois manières d’expliquer un trouble alimentaire :

  • Explication biologique : « Vous avez un trouble de l’alimentation parce que vous souffrez d’un trouble obsessionnel compulsif d’origine génétique. »
  • Explication sociologique : « Vous souffrez d’un trouble de l’alimentation parce que vos besoins d’amour et d’estime de soi n’ont pas été satisfaits par vos parents et vos amis. »
  • Explication démonologique : « Vous êtes l’esclave d’obsessions alimentaires parce qu’un démon a une emprise sur votre âme. »

Mais aucun de ces facteurs n’est décisif. Il se peut que vous soyez né avec certaines tendances ; il est possible que vous ayez manqué d’affection de la part de vos parents ; il est vrai que Satan rôde comme un lion rugissant. Mais seule une foi chrétienne équilibrée comprend comment le cœur humain réagit aux diverses influences qu’il subit. La sagesse biblique considère que tous les éléments de notre vie sont importants, mais elle attribue l’autorité finale à la personne dans son contexte biologique, social et spirituel. Et puisque les personnes déchues sont fondamentalement orientées vers le mal, seule la grâce de Dieu peut vaincre nos pulsions intérieures.

Quatrièmement, comment les méthodes et les objectifs de la relation d’aide sont-ils conçus ?

La relation d’aide vise-t-elle la guérison de l’âme et la transformation de l’homme pécheur par la grâce de Dieu à l’image du Christ au milieu des épreuves de la vie ? Réconforte-t-elle ceux qui sont perturbés et bouscule-t-elle ceux qui ont l’impression trompeuse que tout va bien ? Nous aide-t-elle à vaincre nos péchés et nous console-t-elle de nos peines ? L’épanouissement qu’elle cherche à produire est-il fondé sur la rédemption et la communion avec Dieu ?

Les modèles défaillants de relation d’aide se trompent toujours sur les méthodes et les objectifs de la relation d’aide. Le conseiller peut agir comme un archéologue qui explore votre passé et votre vie intérieure pour vous aider à identifier le problème. Ou il peut agir comme un mécanicien qui répare ce qui ne fonctionne pas de manière satisfaisante dans vos pensées et vos attitudes. Ou comme un entraîneur qui vous encourage et formule un plan de jeu pour vous aider à réussir dans la vie. Ou comme un ami qui vous accepte tel que vous êtes. Ou comme un proche qui répond à votre besoin psychologique d’être aimé. Ou comme un philosophe qui propose une interprétation plausible de votre vie sans mettre Dieu dans l’équation. Ou comme un médecin qui prescrit des médicaments pour que vous vous sentiez mieux. La sagesse biblique considère la relation d’aide comme une œuvre puissante et rédemptrice de la grâce et de la vérité de Jésus-Christ. La transformation de nos pensées, de nos émotions et de nos attitudes découlent de notre relation avec lui.

Toutes les démarches de relation d’aide, même celles qui se disent chrétiennes ou bibliques, doivent être soigneusement évaluées. Ces quatre questions simples nous aident à faire preuve du discernement dont nous avons tellement besoin ! Je pense qu’en apprenant à vous servir de ces vérités, vous deviendrez un conseiller biblique digne de ce nom, un berger capable de prendre soin des âmes. Vous apprendrez à identifier les sagesses terrestres qui cherchent à vous détourner de la sagesse véritable. Si l’un d’entre nous manque de sagesse – et nous en manquons tous – qu’il la demande à Dieu qui la lui donnera, car il donne à tous généreusement et sans faire de reproche (Jacques 1.5).


  1. L’article original a été publié dans le Journal of Biblical Counseling et traduit en français par Vincent Collet.↩
  2. David Powlison enseigne à la Christian Counseling and Educational Foundation et édite le Journal of Biblical Counseling.↩
  3. Biblical counseling en anglais.↩
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