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Convergences et divergences entre la théologie réformée
et le mouvement juif messianique contemporain
concernant les trois usages de la Loi


Michaël de Luca
Doctorant à l’Evangelische Theologische Faculteit de Louvain et chargé de cours à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence


Problèmes de définition

L’année 2017 fut l’année commémorative des cinq cents ans de la Réforme. Parmi les réflexions suscitées par le mouvement de la Réforme au xvie siècle figurait, entre autres, la question du rôle de la Loi : dans l’économie néotestamentaire de la grâce et du salut par la foi seule, quelle place accorder à la Loi ? Cette Loi a-t-elle encore un rôle à jouer dans la vie de celui ou celle qui a placé sa confiance en Jésus ? Cette question, qui préoccupait les réformateurs dans leur débat avec le catholicisme, préoccupe encore aujourd’hui les milieux juifs messianiques dans leur rapport avec le judaïsme, mais aussi avec le christianisme.

Avant d’aller plus loin sur ce sujet, il nous faut préalablement affronter plusieurs problèmes de définition. Premier terme à clarifier, celui de judaïsme messianique. Pour commencer simplement, disons que le judaïsme messianique est, au départ, un ensemble de courants de pensée regroupant des Juifs qui reconnaissent Jésus (Yechoua) de Nazareth comme le Messie d’Israël, annoncé par les prophètes1.

Le judaïsme messianique contemporain s’est développé à partir des années 1960-1970 aux Etats-Unis2 et en Israël. Pourtant, ce mouvement est né au xixe siècle dans le sillage des grandes missions protestantes3. Le judaïsme messianique tel que nous le connaissons aujourd’hui est très largement issu du protestantisme évangélique, même si l’on trouve au sein de ce mouvement des chrétiens de toutes dénominations. Le judaïsme messianique contemporain, s’il plonge spirituellement ses racines aux temps de Jésus et des premiers apôtres, n’en est pas moins un mouvement moderne avec des racines anciennes, pour reprendre le titre de l’ouvrage de David Stern, l’un des pionniers du mouvement messianique aux Etats-Unis4.

Ce jeune mouvement cherche à se construire une identité propre, à la fois vis-à-vis du christianisme, dont il est issu, et du judaïsme, dont il se réclame. Dans cette perspective, la question du positionnement par rapport à la Loi (Torah) est l’un des éléments théologiques et identitaires forts qui définit en grande partie les lignes de démarcation entre les différentes tendances au sein du mouvement juif messianique. En effet, on ne peut pas sous-estimer l’importance de la Torah dans le judaïsme, alors que le rôle de la Loi n’a pas la même importance dans le christianisme5. La présente contribution cherchera donc à définir quelles sont les lignes de démarcation qui se dessinent autour du rôle de la Loi et de sa pratique parmi les diverses tendances à l’intérieur du judaïsme messianique.

Il convient dès à présent de tenter de définir les contours de la Loi/Torah dont il est question ici, et l’entreprise est complexe à plusieurs titres. En effet, la Loi peut désigner plusieurs ensembles distincts. Pour les réformateurs, la Loi désigne, au sens strict, la Loi mosaïque, et en particulier les Dix Commandements. Plus largement, elle désigne toutes les prescriptions de l’Ancien Testament. Un tri s’opère ensuite entre les prescriptions cérémonielles et les prescriptions éthiques6. Pour le judaïsme, le terme de « Torah » est polysémique. Un Juif peut utiliser le mot Torah pour parler des Dix Commandements, des lois lévitiques, de l’ensemble du Pentateuque, voire des Ecritures saintes, auxquels peuvent s’ajouter les prescriptions de la tradition orale, c’est-à-dire celles du Talmud.

Nous retrouvons globalement les mêmes nuances de sens et d’usage dans le judaïsme messianique quant à la nature de la Torah. Richard Harvey remarque qu’il n’y a pas de consensus sur la définition de Torah parmi les Juifs messianiques, ce qui contribue à brouiller les pistes quand il s’agit de définir les usages de la Loi7. En effet, c’est au cas par cas qu’il faudra reconnaître si un auteur juif messianique parle de la Torah dans un sens restreint (la Loi mosaïque) ou dans un sens large (Torah écrite et Torah orale), ou encore dans l’une des acceptions mentionnées plus haut.

Pour la présente étude, c’est plus particulièrement le sens restreint, c’est-à-dire la Loi/Torah de Moïse, qui sera visé quand nous traiterons des usages de la Loi et du rôle de la Torah dans la vie du croyant. Dans quelle mesure les prescriptions de la Loi mosaïque sont-elles normatives dans la vie du croyant en Jésus ? Comme nous l’avons dit, cette question revêt une importance toute particulière dans le processus de construction théologique et identitaire du judaïsme messianique, comme ce fut hier le cas pour les différents courants de la Réforme.

Dans un premier temps, nous rappellerons quels sont les usages de la Loi envisagés par les réformateurs dans le débat qui était le leur au xvie siècle. Nous ferons ensuite une transition pour évoquer le rôle que tient la Torah dans le judaïsme. Nous traiterons enfin du cas particulier du judaïsme messianique, en voyant quels sont les points de convergence et de divergence entre les positions déjà évoquées et les différents courants juifs messianiques concernant les usages de la Loi/Torah.

Des « trois usages de la Loi » dans la théologie réformée

L’un des débats qui ont animé les réformateurs et leurs continuateurs touche au rapport à la Loi. La Loi, avec ses prescriptions, a-t-elle encore une pertinence dans la vie du croyant ? Dans le contexte de l’époque, c’est d’abord et avant tout la question sotériologique du rapport entre la foi et les œuvres qui était sous-jacente à la question du rapport à la Loi. La réponse d’un Luther sera sans appel : c’est par la foi seule que l’on est sauvé, et non par les œuvres de la Loi, faisant ainsi écho à la parole de l’apôtre Paul en Romains 3.28. C’est ainsi que naît, en quelque sorte, l’opposition entre la foi et les œuvres, entre la Loi qui condamne le pécheur et la grâce qui le justifie gratuitement. Pour autant, faut-il se débarrasser de la Loi et de ses prescriptions sous le régime de la foi et de la grâce ? Du côté de Calvin, on dira que la Loi n’était pourtant pas dénuée de grâce dès l’époque de l’Ancien Testament, et qu’elle n’est pas totalement dénuée d’utilité pour le croyant pourtant sauvé par grâce.

De là, le débat va se cristalliser autour de ce que l’on a appelé, en théologie réformée8, les « trois usages de la Loi » qu’il est possible de résumer ainsi : l’usage pédagogique, l’usage civil (ou politique) et l’usage normatif (ou éthique). A ces trois usages sont associées trois métaphores : la métaphore de la lampe (ou du miroir), celle du garde-fou (le glaive de l’autorité civile) et celle de l’aiguillon9.

L’usage pédagogique renvoie au rôle de la Loi comme pédagogue pour mener le croyant à Christ, en référence à l’épître de Paul aux Galates (3.24). En révélant le péché10, la Loi conduit le chrétien à la repentance et à la foi dans l’œuvre de Jésus. En cela, la Loi est comme une lampe sur le sentier, ou un miroir dans lequel l’homme se découvre pécheur en se regardant tel qu’il est, ce qui le pousse à chercher un rédempteur.

L’usage civil ou politique souligne que la Loi, en tant qu’ordonnance divine révélant le caractère de Dieu, véhicule une portée morale universelle qui dépasse le cadre de la révélation spéciale faite au peuple d’Israël. Cet usage s’appuie également sur le fait que l’autorité civile exerce un pouvoir qui lui est prêté par Dieu pour punir les méfaits11. Dans ce sens, l’autorité civile qui exerce la justice suit indirectement les prescriptions de la Loi pour le bien de la société, d’où la métaphore du garde-fou ou du glaive.

L’usage normatif ou éthique concerne non pas le croyant en quête de Christ (premier usage), mais le croyant qui vit maintenant dans la foi en Jésus comme rédempteur. Il n’est pas question ici, comme nous l’avons dit plus haut, du salut par les œuvres de la Loi, mais de la sanctification. Le chrétien est justifié par la foi seule, mais la Loi agit comme un aiguillon dans la vie du chrétien pour le pousser sans cesse à faire le bien, à renouveler son intelligence et à progresser dans cette injonction de Dieu : « Vous serez saints, car je suis saint. »12 La Loi agit alors comme guide normatif pour la vie chrétienne. C’est sur ce troisième usage de la Loi que porte le débat des réformateurs.

Luther admettait sans peine les deux premiers usages de la Loi, à savoir l’usage civil et l’usage pédagogique. C’est en particulier sur ce dernier que Luther a insisté en reprenant l’image de la Loi comme pédagogue pour mener le croyant à Christ. Le croyant, par la reconnaissance de ses péchés et son impuissance à satisfaire aux exigences de la Loi, est conduit au désespoir de lui-même et à la foi en Jésus-Christ qui, seul, a parfaitement accompli la Loi et a porté sur lui la condamnation du péché. En cela, le but de la Loi est encore et toujours de souligner chez le croyant son incapacité à bien faire afin de l’orienter vers l’œuvre rédemptrice du Christ. Bien qu’il fît une distinction entre « les deux royaumes », c’est-à-dire entre le règne de Christ et l’autorité séculière, Luther admettait un usage civil de la Loi en tant que moyen de restreindre la prolifération du péché dans la société13. Par ailleurs, contrairement à ce qui est généralement affirmé, Luther n’était pas contre un troisième usage de la Loi sur le plan de la sanctification, même si ce n’était pas sur ce point que sa théologie allait mettre l’accent14.

C’est avec Calvin que les trois usages de la Loi seront exposés le plus clairement15. Ce sur quoi Calvin insiste davantage que Luther, c’est sur le troisième usage de la Loi16. Si Luther tire sa conception de la Loi presque exclusivement des épîtres de Paul, Calvin nuance sa vision de la Loi à partir des données de l’Ancien Testament. Pour Calvin, outre l’usage pédagogique et l’usage civil, la Loi conserve pour la vie du croyant un potentiel de sanctification en tant que règle de vie. Elle agit comme un aiguillon (l’image est de Calvin) pour pousser les croyants à bien faire. Fondamentalement, pour bien comprendre l’Evangile, le rappel de la Loi est nécessaire, d’où sa présence dans la liturgie réformée. Rappelons que c’est bien dans le champ de la sanctification, et non pas dans celui de la sotériologie, que se situe cet usage de la Loi17. Il n’est pas question ici d’œuvres méritoires accomplies selon la Loi, mais bien plutôt des bonnes œuvres qui découlent naturellement du salut par la foi et de l’union avec Christ18. Pour Calvin, la Loi de Moïse n’est rien sans Christ19. Pour autant, une fois que nous sommes unis à Christ dans la foi, c’est une grâce que la Loi continue à nous encourager à être saints comme Dieu est saint, à être transformés à l’image de Christ dans la sainteté.

Du débat sur les usages de la Loi dans le protestantisme, il ressort que la Loi est encore utile, non seulement au croyant dans la nouvelle économie de la grâce, pour le conduire à Christ et l’encourager à persévérer dans la sanctification, mais aussi à la société dans son ensemble, car elle tend à limiter le péché et ses conséquences.

Les usages de la Loi dans le judaïsme

Voyons à présent quels sont les usages de la Torah dans le judaïsme. Bien entendu, parler des usages de la Loi dans le judaïsme peut paraître anachronique. Mais si l’on compare le schéma réformé aux rôles de la Torah dans le judaïsme, on peut trouver certains points de contacts.

Dans le judaïsme rabbinique, la notion de Torah peut recouvrir différents sens, comme nous l’avons dit. Le sens premier est celui de révélation divine. La notion de Torah inclut la Torah orale, c’est-à-dire la tradition transmise dans le Talmud20. La Torah écrite est la révélation des paroles de Dieu verbatim – et en cela son autorité est supérieure à la tradition – alors que la Torah orale regroupe les paroles des sages qui ont interprété la Torah écrite21. Néanmoins, l’interprétation des sages est considérée comme inspirée et représente, à côté de la Torah écrite, l’interprétation de la volonté de Dieu pour la vie du croyant. En ce sens, la Torah orale est source d’autorité au même titre que la Torah écrite qu’elle complète, interprète et actualise22. La Torah, dans sa double dimension à la fois écrite et orale, joue un rôle éminent pour la sanctification du croyant. C’est de l’interprétation de la Loi que découle la halakha23, la façon de se conduire pour vivre la foi dans la voie de la sanctification24. L’étude sérieuse de la Torah a une portée spirituelle très forte dans le judaïsme rabbinique puisqu’elle représente le lieu privilégié de la rencontre du croyant avec son Dieu25. Cela va donc au-delà de la notion de norme de conduite du croyant pour atteindre pratiquement une portée sotériologique26. Notons encore que l’étude de la Torah remplace d’une certaine façon les lois cérémonielles relatives aux sacrifices qui se faisaient autrefois dans le Temple27.

Dans le judaïsme rabbinique, la Torah est présentée en tant que révélation particulière faite à Israël. Les nations ont entendu la Torah mais l’ont rejetée. En cela, elles sont allées contre leur vocation créationnelle qui est pour tout homme de connaître la Torah de Dieu28. Il y a donc une portée universelle de la Torah, même si la révélation spéciale a été faite au peuple d’Israël en particulier. Dieu impose l’étude de la Torah à tout homme et rémunère ceux qui font l’effort de le rechercher. Etudier la Torah, c’est sanctifier Dieu, et aimer Dieu c’est aimer sa Torah. C’est parce qu’Israël recherche Dieu au travers de l’étude de la Torah qu’il reçoit en tant que peuple l’approbation de Dieu et, au final, le salut29. On voit donc que, dans le judaïsme rabbinique, l’usage de la Torah et ses bénéfices sont réservés à Israël en tant que peuple.

Enfin, il paraît évident de dire qu’il n’y a pas, dans le judaïsme traditionnel, d’usage pédagogique de la Torah au sens où l’entendent les réformateurs. Ce qui est envisagé, c’est que le Messie, quand il viendra, suivra parfaitement la Torah et enseignera aux Juifs à la suivre dans son entièreté.

Il faut attendre le Moyen Age pour trouver dans le judaïsme un usage civil de la Torah, notamment chez Maïmonide30. En effet, le philosophe juif de langue arabe est le premier dans le judaïsme à défendre que la Torah peut, et même doit, servir aussi de guide pour éclairer la politique des souverains et la vie sociale des non-Juifs. En cela, la Torah joue un rôle universel qui dépasse le mandat religieux de la sanctification des seuls Israélites. Pour Maïmonide, la Torah a aussi comme rôle de donner un cadre moral aux hommes en société, dans l’optique de favoriser la paix et le progrès intellectuel31. On retrouve de tels accents dans la pensée juive plus récente. C’est le cas, par exemple, de Shmuel Trigano qui, dans son ouvrage32 Philosophie de la Loi, fait le rapprochement entre la création et le don de la Torah : les deux forment le cadre de vie de l’homme, à la fois le cadre naturel et le cadre social33.

Selon Maïmonide, « l’ensemble de la Loi a pour but deux choses, à savoir le bien-être de l’âme et celui du corps »34. Et il précise que le bien-être du corps « consiste à ce que la société soit bien gouvernée et que l’état de tous les individus qui la composent s’améliore »35. La Torah a aussi pour effet de restreindre le mal, car elle condamne le péché. Ce qui fait que le tyran ne peut pas tyranniser comme il le voudrait, parce qu’il sait qu’il y a une condamnation morale à le faire. Maïmonide résume ainsi son propos sur le double rôle de la Torah :

La Loi véritable qui, comme nous l’avons dit, est unique, je veux dire la loi de Moïse, notre maître, ne nous est parvenue que pour nous apporter cette double perfection. Elle règle, d’une part, les relations mutuelles des hommes, en faisant cesser parmi eux la violence réciproque et en les polissant par des mœurs nobles et généreuses […], et que par là chaque individu puisse arriver à la première perfection (celle du corps) ; d’autre part, elle améliore les croyances et produit des idées saines, par lesquelles on puisse parvenir à la dernière perfection (celle de l’âme). La Tôrâ parle de l’une et de l’autre, et elle nous apprend que le but de toute la loi est de nous faire parvenir à ces deux perfections36.

Nous voyons là qu’il y a aussi, chez Maïmonide, un usage pédagogique de la Torah, même si l’optique est différente de celle des réformateurs. Pour Maïmonide, le but de la Torah est de préparer le croyant à la sagesse qui mène à la connaissance de Dieu37, et donc au salut. Cette fonction de la Torah concerne en particulier le Juif. En effet, c’est un devoir pour tout Israélite que d’étudier la Torah38. Et, en tant que philosophe, Maïmonide considère que la philosophie est au service de la compréhension de la Torah, laquelle est la base de toutes les vérités fondamentales et la base de toute science.

Donc, ce qui ressort de ce rapide portrait, c’est qu’il y a, dans le judaïsme, une proximité conceptuelle avec le discours des réformateurs concernant deux des trois usages de la Loi, en particulier concernant l’usage civil ou politique. En ce qui concerne l’usage normatif dans la vie du croyant, les données sont différentes. Pour le protestant, c’est une persistance morale de la Loi qui est envisagée, alors que pour le Juif, c’est la base même de la foi et du comportement religieux39.

Tentative de typologie du judaïsme messianique

Avant de traiter du rôle que joue la Torah dans le judaïsme messianique, revenons un moment sur les questions de définition de ce mouvement qui reste, à l’heure actuelle, peu connu du public français. Le judaïsme messianique contemporain est, en particulier, largement issu du protestantisme évangélique. Ceci étant, le judaïsme messianique cherche à se positionner, d’un point de vue identitaire, comme un trait d’union entre le judaïsme traditionnel et le christianisme au sens large. C’est en cela qu’il faut différencier le mouvement des « chrétiens hébreux » (hebrew christians) du xixe siècle qui, tout en soulignant ses racines juives au sein du christianisme, ne prétendait pas être rattaché au judaïsme traditionnel. Au contraire, le mouvement juif messianique contemporain entend tenir par la main d’un côté le judaïsme et de l’autre le christianisme, dans un but souvent affirmé de réconciliation entre les deux religions40.

Le terme « Juif messianique » est devenu le terme commun et généralement accepté41, même si certains Juifs croyant en Jésus préfèrent ne pas s’identifier au mouvement pour diverses raisons, nous allons y revenir. Le terme n’est donc pas parfaitement satisfaisant, comme le souligne d’ailleurs un Juif messianique français :

En fait, l’expression « Juif messianique » n’est pas idéale parce que du côté de la gentilité chrétienne beaucoup, malheureusement, ne comprennent pas pourquoi un Juif doit rester un Juif, et parce que du côté de la Synagogue il n’est pas évident, loin de là, que Jésus soit le Messie. Mais, faute de mieux, beaucoup de Juifs attachés à Jésus l’utilisent quand même dans le double espoir de ne pas être assimilés à des non-Juifs par leurs frères de la gentilité chrétienne et de ne pas être rejetés par leurs frères juifs de la Synagogue42.

Pour tenter de clarifier davantage le champ d’étude qu’est le judaïsme messianique, voici une tentative de typologie inspirée des travaux de l’anthropologue français Franck La Barbe43. Ce dernier tend à distinguer quatre catégories de personnes au sein, ou en marge, du mouvement juif messianique :

1) Les « messianiques orthodoxes » ou « dénominationalistes » : cette branche du judaïsme messianique est la plus proche du judaïsme traditionnel, ou orthodoxe, concernant la pratique, avec un accent particulier sur l’identité juive et la place importante accordée aux traditions juives44. Aux Etats-Unis, une partie de ce mouvement messianique tente de se faire reconnaître officiellement comme une branche du judaïsme45. En France, la tendance est peu représentée46, c’est pourquoi on parlera plutôt de messianiques « dénominationalistes » pour désigner ceux qui, au sein du mouvement, envisagent les assemblées messianiques en tant que dénomination à part entière, avec une insistance sur le respect des traditions juives.

2) Les « messianiques fédératifs » s’apparentent, dans la pratique, à des assemblées évangéliques, avec une insistance plus implicite sur les traditions juives. Ces assemblées sont largement ouvertes aux chrétiens non juifs qui forment, en règle générale, la majorité des membres lors des rassemblements cultuels47. Ce courant cherche à faire reconnaître la particularité culturelle et spirituelle des croyants en Jésus d’origine juive au sein du christianisme. Dans certains cas, une distance très nette est prise vis-à-vis du judaïsme rabbinique48.

3) Les « messianiques non juifs » ou « chrétiens judaïsants » peuvent être affiliés au mouvement hebrew roots qui concerne des chrétiens non juifs qui redécouvrent les racines juives de la foi chrétienne et qui, de ce fait, se rapprochent d’une sensibilité juive (ou du moins perçue comme telle) dans la façon de vivre la foi et le culte. Ce courant ne fait donc pas partie du mouvement juif messianique à proprement parler, mais il s’en rapproche dans la pratique (shabbat, règles alimentaires) et sur certains points de doctrine49. Ces messianiques non juifs peuvent se trouver dans des assemblées juives messianiques, mais pas nécessairement.

4) Les « chrétiens philosémites » ou « israélophiles » : cette catégorie désigne des chrétiens non juifs qui soutiennent l’Etat d’Israël et qui affirment avoir un amour particulier pour le peuple juif. Ce courant est à rapprocher du mouvement « sioniste chrétien »50. A noter que les personnes qui s’inscrivent dans cette catégorie n’ont pas forcément de pratique liée au judaïsme dans leur vie de foi, même si leur sympathie pour les Juifs et Israël tend à les rapprocher du courant juif messianique.

Il faudrait sans doute ajouter à ces quatre catégories, un groupe que l’on pourrait qualifier de « crypto-messianique » ou, pour reprendre l’expression de Robert Blancou, un groupe de messianiques « enclos en milieu chrétien »51. En fait, cette catégorie n’est pas vraiment un groupe en tant que tel, mais plutôt des individus isolés dans les Eglises locales de différentes dénominations. Bien que ces personnes soient objectivement des Juifs croyant en Jésus, elles ne désirent pas toujours être affiliées au courant juif messianique, jugé par elles trop « judaïsant » ou sectaire. D’autres personnes de cette catégorie, au contraire, ont une vision positive du judaïsme messianique et seraient prêtes à rejoindre une assemblée messianique le cas échéant. Il n’y a donc pas vraiment unité d’opinion au sein de cette catégorie, mais il est important de la mentionner car elle concerne (en France en tout cas) de nombreux Juifs croyant en Jésus.

Attention, ces catégories peuvent se chevaucher et leurs opinions s’entrecroiser ! On trouvera parfois des messianiques non juifs (groupe 3) plus attachés aux pratiques du judaïsme orthodoxe que les Juifs messianiques fédératifs (groupe 2), ou des chrétiens philosémites (groupe 4) prônant des positions plus radicales en termes de sionisme que beaucoup de Juifs messianiques fédératifs (groupe 2) ou crypto-messianiques (groupe 5). Il arrive même que des Juifs messianiques soient embarrassés, dans leur recherche de positionnement identitaire vis-à-vis du judaïsme et du christianisme, par des chrétiens non juifs qui, de par leurs pratiques très proches du judaïsme, viennent brouiller les pistes et rendre floues les frontières du judaïsme messianique52.

Finalement, ce sont avant tout les deux premières catégories de la typologie ci-dessus, avec l’addition des Juifs croyant en Jésus de type crypto-messianique, que nous considérerons comme partie intégrante du mouvement juif messianique53. L’expression « chrétien hébreu » est considérée comme désuète, même si certains auteurs s’en réclament encore54 pour se démarquer du mouvement messianique dans sa volonté de rapprochement avec le judaïsme rabbinique. L’expression « Juifs croyant en Jésus » (Jews Believing in Jesus) est sans doute préférable, du point de vue de l’établissement d’une définition de recherche, même si c’est une expression assez générique. Par commodité, nous avons adopté les termes généralement admis, c’est-à-dire ceux de « judaïsme messianique » et de « Juifs messianiques », tout en restant conscient des limites inhérentes à ces nomenclatures55.

Débat sur le rôle de la Loi dans le mouvement juif messianique

La question de savoir si la Loi/Torah a encore une importance pour le croyant sous la nouvelle alliance en Jésus/Yechoua est une question particulièrement importante pour les Juifs messianiques. En effet, de la réponse à cette question dépend en grande partie leur positionnement vis-à-vis du christianisme et du judaïsme.

Quelle importance le Juif messianique doit-il accorder à la Torah et ses prescriptions dans le régime nouveau de la grâce et de la foi en Jésus le Messie ? C’est, somme toute, une question très proche de celle que se posaient les réformateurs au xvie siècle, le sujet de la messianité de Jésus mise à part. Nous allons voir que les réponses au sein du mouvement juif messianique sont très variées et recouvrent un spectre assez large de positions théologiques.

Pour établir un schéma de ces différentes positions, nous nous appuierons sur l’ouvrage de Richard Harvey, Mapping Messianic Theology, ouvrage de référence en la matière56. Harvey étudie les positions théologiques des principaux auteurs messianiques. Il recoupe deux critères en particulier pour établir son classement : d’une part l’orthodoxie professée en termes de christologie, et d’autre part le positionnement par rapport à la Torah. Sur ce deuxième critère, il distingue deux courants majeurs au sein du mouvement messianique : ceux qui ont une attitude positive57 vis-à-vis de la Torah et de sa pratique et ceux qui ont une attitude plutôt négative58. Pour les premiers, la Torah tient une place importante dans la vie et la pratique du Juif croyant en Jésus, alors que, pour les seconds, la place de la Torah est minimisée. Voyons cela plus en détail.

Les Juifs messianiques qui valorisent le rôle de la Torah défendent que la Loi de Moïse et ses prescriptions sont toujours d’actualité pour la sanctification du Juif croyant en Jésus. Suivre les prescriptions de la Loi demeure un commandement de Dieu pour son peuple. C’est ensuite sur la définition des prescriptions applicables qu’il y aura débat. Cela va du respect du shabbat et des fêtes juives, aux prescriptions alimentaires et vestimentaires59. La question est aussi de savoir à qui s’applique la Torah. La réponse du mouvement juif messianique est que les exigences de la Torah ne s’appliquent pas aux croyants en Jésus d’origine païenne. Le passage généralement cité en référence est celui du livre des Actes (chapitre 15) concernant la décision du « concile » de Jérusalem, où ni la circoncision ni la Loi ne sont imposées aux païens qui se convertissent. Poussant ce principe plus loin, certains Juifs messianiques argumentent dans le sens que la Torah ne doit s’appliquer qu’aux croyants juifs, en tant que signe distinctif de leur judéité60, que ceux-ci croient en Jésus ou non. D’autres défendent que le Juif croyant en Jésus ne peut pas être soumis à la Torah telle qu’elle est définie par le judaïsme rabbinique ; il faut que les Juifs messianiques développent leur propre halakha pour se donner des règles à suivre qui soient en accord avec la foi en Yechoua, et non pas simplement importer les règles du judaïsme traditionnel.

Une minorité de Juifs messianiques militent au contraire pour une inclusion des prescriptions de la Torah orale, c’est-à-dire les prescriptions du judaïsme rabbinique, dans la vie et la pratique du judaïsme messianique. Certains défendent cette position dans un but de rapprochement – ou du moins de non-rupture – avec le judaïsme. D’autres insistent sur une perspective de fidélité à la tradition juive, cette tradition ayant de par son statut autorité sur le croyant. C’est la position notamment de Mark Kinzer, l’un des rares auteurs affiliés au mouvement juif messianique qui soit traduit en français61. Kinzer est la voix du groupement messianique Hashivenu qui défend une approche positive de la Torah et encourage le mouvement juif messianique à la maturité, c’est-à-dire à la reconnaissance et à l’acceptation de la tradition rabbinique62.

Dans la perspective d’une valorisation du rôle de la Torah, le judaïsme messianique est vécu davantage comme une branche du judaïsme qu’une branche du christianisme, certains allant parfois même jusqu’à un rejet de toute forme de christianisme, et même la remise en question de certains points fondamentaux de doctrine, comme la Trinité et la divinité de Jésus, tels qu’ils ont été développés par le christianisme. En règle générale, c’est juste la nomenclature qui est contestée. Par exemple, les Juifs messianiques préfèrent souvent parler de « tri-unité » de Dieu plutôt que de « trinité », non pas forcément pour des raisons théologiques – le contenu de la doctrine sera le même – mais plutôt pour des raisons de sensibilité de langage : en effet, la terminologie théologique chrétienne peut évoquer chez eux les mauvais souvenirs de l’Inquisition ou d’autres persécutions perpétrées par les chrétiens envers les Juifs, au nom de la théologie. Mais dans certains cas, c’est effectivement le contenu de la doctrine qui est rejeté. En christologie, Harvey mentionne la tentation récurrente de l’adoptionisme63 chez les Juifs messianiques, qui minimisent ainsi la portée de la divinité de Jésus64. Ceux qui vont aussi loin se trouvent en bordure ou en dehors du cercle de l’orthodoxie chrétienne. Notons bien que ces positions contestataires concernent une minorité au sein du mouvement juif messianique. Comme le rappelle Harvey, les confessions de foi juives messianiques publiées depuis le xixe siècle sont orthodoxes du point de vue de la théologie chrétienne65.

Il est intéressant de noter que le débat sur l’usage de la Torah dans le judaïsme messianique a comme arrière-plan de référence la façon dont la Torah est interprétée dans la pratique par le judaïsme orthodoxe. D’une certaine façon, c’est comme si le judaïsme messianique ne pouvait mesurer sa pratique de la Loi qu’à l’aune des pratiques du judaïsme rabbinique qui, pourtant, n’est pas représentatif de l’ensemble du judaïsme.

Pour les Juifs messianiques qui relativisent le rôle de la Torah dans la vie du croyant, c’est justement le danger d’un certain légalisme engendré par les pratiques du judaïsme rabbinique qui est visé. La Torah orale est rejetée comme étant une tradition non biblique et qui, de ce fait, n’a pas (ou n’a plus) voix au chapitre dans la vie du Juif croyant en Jésus. Notons que le fait d’être Juif ici est moins défini en termes religieux qu’en termes ethniques. Ce n’est pas la pratique de la Loi qui fait le Juif, mais bien son appartenance ethnique66. Cela dit, cette appartenance implique un minimum de pratique de la Torah défini comme ce qui fait le consensus a minima de l’identité juive, sur le plan religieux cette fois : à savoir le shabbat, les fêtes juives et éventuellement les pratiques alimentaires, mais de façon facultative.

La Torah joue donc un rôle identitaire particulier dans le judaïsme messianique, que ce soit du côté des maximalistes ou des minimalistes. Dans les deux cas, la Loi garde un degré de pertinence dans la vie du Juif croyant en Jésus. Voyons dans quelle mesure ces conceptions se rapprochent ou s’éloignent de la définition des réformateurs quant aux usages de la Loi.

Convergences et divergences sur le rôle de la Loi

Le judaïsme messianique est donc très divers dans ses positions vis-à-vis du rôle de la Torah dans la vie du Juif croyant en Jésus. L’usage pédagogique est généralement admis, même s’il n’est pas souligné de la même façon que dans le débat des réformateurs. La pratique de la Torah et la recherche de la justification amènent le Juif croyant à se tourner vers Yechoua le Messie, qui a parfaitement accompli la Loi et qui est, de fait, le modèle parfait du Juif pieux et fidèle à la Torah67. C’est sur les deux autres usages de la Loi qu’il y a divergences ou accentuations différentes par rapport à la définition des réformateurs.

Pour les Juifs messianiques favorables à la Torah, qui représentent l’aile majoritaire du mouvement, on trouve des positions qui recoupent à la fois certains points du judaïsme traditionnel et du protestantisme68 dans son rapport à la Loi. Pour cette partie du mouvement messianique, c’est l’usage normatif qui est mis en avant : la Torah garde pleinement son rôle d’agent de sanctification pour le croyant, c’est même une prescription obligatoire pour le Juif. Or, c’est bien là un point original du judaïsme messianique que de considérer que la Torah et ses prescriptions s’appliquent toujours de plein droit au chrétien d’origine juive, mais pas (ou pas nécessairement) au chrétien d’origine païenne.

Cela dit, Stephen Westerholm fait cette remarque intéressante : d’après lui, Luther envisageait que la Loi de Moïse était et restait normative pour les Juifs. En cela, on pourrait trouver un point de rapprochement entre la position juive messianique moderne et l’opinion de Luther. Mais il y a fort à parier que, dans l’opinion de Luther, le fait que la Loi s’applique aux Juifs signifie que les Juifs sont soumis aux contraintes de la Loi par opposition à la grâce qui est dans la foi en Jésus-Christ. Le rapprochement sur ce point est donc limité, en tout cas avec la théologie de Luther. George Knight, prêtre anglican impliqué dans la mission auprès des Juifs avant la Seconde Guerre mondiale, tente de rapprocher christianisme et judaïsme sur la base de l’usage normatif de la Loi. En effet, selon lui, les prescriptions de la Loi de Moïse doivent être au fondement de la vie spirituelle du chrétien comme du Juif69. Il affirme que « Juifs et chrétiens sont intimement liés. Les deux sont enracinés dans la Loi de Moïse. »70 Une telle position pourrait sans doute convenir à un auteur messianique comme Mark Kinzer, qui envisage positivement le rôle de la Torah et de la tradition. Pourtant, les Juifs messianiques ne sont pas si prompts à reconnaître un rôle normatif de la Loi pour les chrétiens non juifs, même parmi ceux qui valorisent le rôle de la Torah.

Cette position particulière vis-à-vis du rôle normatif de la Loi semble cependant nier la possibilité même d’un usage civil de la Loi. Celle-ci est restreinte à la sanctification des seuls Juifs. Il y a là un point de différence avec la théologie réformée. Mais c’est peut-être en partie parce que le mouvement juif messianique est encore jeune et que la réflexion quant aux usages de la Loi n’a pas encore été poussée au-delà de la communauté messianique et de ses règles de vie. On peut donc dire qu’à l’heure actuelle il n’y a pas de position claire dans la littérature juive messianique concernant un éventuel usage civil ou politique de la Loi, y compris chez les auteurs qui ont publié les ouvrages les plus marquants, comme David Stern71, Arnold Fruchtenbaum72 ou David Rudolph73.

Pour les Juifs messianiques « minimalistes », on retrouve plus ou moins les mêmes accents que chez les réformateurs en ce qui concerne l’usage de la Loi. Celle-ci n’a plus force d’obligation, mais elle reste un guide éthique pour le comportement du croyant, qu’il soit juif ou non juif. C’est avant tout la liberté du croyant dans la grâce qui prévaut pour ce qui est de suivre ou non certaines prescriptions de la Loi dans la vie quotidienne. C’est globalement la position de Baruch Maoz, auteur messianique le plus proche des positions théologiques protestantes. Mais on trouvera aussi des réaffirmations régulières de la grâce et de la liberté de choix vis-à-vis des prescriptions de la Torah chez la plupart des auteurs messianiques, y compris chez des auteurs maximalistes comme David Friedman74.

De fait, si un usage civil de la Loi n’est pas nié, si l’usage pédagogique et normatif est réaffirmé, ce qui distingue la position messianique ici, c’est l’accent qui est mis sur l’aspect identitaire de la pratique de certaines prescriptions de la Torah, comme le shabbat et les fêtes en particulier. On peut donc parler ici d’un « usage identitaire » de la Loi, qui fait d’une certaine pratique de la Loi un marqueur distinguant le Juif du non-Juif dans le corps de Christ.

Conclusion

En résumé, nous avons vu que les réformateurs au xvie siècle ont débattu et finalement défini trois principaux usages de la Loi : l’usage pédagogique qui, révélant le péché, mène le croyant à Christ ; l’usage civil ou politique qui met en lumière la portée morale universelle de la Loi de Dieu pour la sphère civile ; et enfin l’usage normatif qui concerne la pertinence de la Loi dans la vie du croyant de la nouvelle alliance en Jésus. De ces trois usages, on trouve des échos dans le judaïsme rabbinique, même en ce qui concerne un usage civil de la Loi, notamment chez Maïmonide. Mais dans la foi et la pratique juive, l’accent est mis sur l’usage normatif : la Torah est la règle de vie par excellence pour le Juif.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver, dans le judaïsme messianique, des accents similaires, à la fois avec le judaïsme traditionnel et avec le christianisme, en particulier dans son expression protestante et évangélique. On peut noter que, des trois usages de la Loi définis par les réformateurs, les Juifs messianiques en retiennent surtout un : l’usage normatif. De là, l’éventail s’étend d’une reconnaissance de la liberté du croyant vis-à-vis de la Loi/Torah (position évangélique classique), jusqu’au maintien d’une application stricte des prescriptions de la Torah, telles que définies par le judaïsme orthodoxe. Entre les deux, de multiples positions se côtoient, avec néanmoins cet accent particulier mis sur le fait que la Torah et ses prescriptions concernent en priorité les Juifs croyant en Jésus, et pas nécessairement les non-Juifs au sein du corps de Christ.

On peut alors parler d’un « usage identitaire » de la Loi. Cet usage original fait ressortir à quel point la question de leur identité est un enjeu important pour les Juifs messianiques, au-delà du débat théologique sur le rôle et les usages de la Loi/Torah75. Le judaïsme messianique est un mouvement relativement récent, encore en pleine construction et donc en pleine phase de définition de soi. Le judaïsme messianique se trouve dans la position délicate de devoir définir ses frontières identitaires, théologiques et ecclésiologiques, à cheval entre le christianisme et le judaïsme. La tâche n’est pas aisée dans un contexte où judaïsme et christianisme s’excluent mutuellement en tant que systèmes religieux.

Nous espérons que cette contribution aura permis au lecteur de mieux cerner les contours de ce mouvement multiforme qu’est le judaïsme messianique contemporain, et de mieux comprendre quels en sont les enjeux, notamment au travers de ce point clé qu’est le rapport à la Loi/Torah pour les Juifs messianiques.


  1.  Il ne faut pas confondre l’expression « judaïsme messianique », utilisée dans cet article, avec d’autres formes de messianismes juifs, comme par exemple les Juifs hassidim du mouvement habad (ou Loubavitch) qui croient que le rabbin Menachem Mendel Schneerson (rebbe Loubavitch), mort en 1994, est le Messie.↩

  2.  La plus connue des organisations juives messianiques est sans doute la mission Juifs pour Jésus (JPJ), fondée par Moshe Roïsen en 1973. Mais JPJ est loin de représenter l’ensemble du mouvement messianique. D’autres organisations du même type existent, comme la mission Chosen People Ministry, et d’autres groupements internationaux comme l’International Messianic Jewish Alliance (IMJA) et l’International Alliance of Messianic Congregations and Synagogues (IAMCS).↩

  3.  La plus ancienne mission auprès des Juifs est la London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews fondée en 1809. A noter aussi la Hebrew Christian Alliance, fondée en 1867, dont l’aile internationale deviendra dans la seconde partie du xxe siècle l’International Messianic Jewish Alliance (IMJA).↩

  4.  D.H. Stern, Messianic Judaism : A Modern Movement with an Ancient Past, Clarksville, Messianic Jewish Publishers, 2007. Cet ouvrage est la troisième édition revue du Messianic Jewish Manifesto publié en 1988 et qui avait fait date pour le mouvement juif messianique.↩

  5.  En fait, les questionnements suscités par les Juifs messianiques rejoignent certaines problématiques soulevées dans le Nouveau Testament. Pour un exposé de la diversité des positions supposées, relatives à la Loi dans le Nouveau Testament, il est intéressant de consulter l’ouvrage de S.J. Wendel et D.M. Miller (eds), Torah Ethics and Early Christian Identity, Grand Rapids, Eerdmans, 2016.↩

  6.  Calvin distingue trois aspects de la Loi : les ordonnances religieuses (ou cérémonielles), les ordonnances civiles et les ordonnances morales ou Loi morale (en particulier le Décalogue). Pour une discussion sur ces points, voir J.V. Fesko, “Calvin and Witsius on the Mosaic Covenant”, in B.D. Estelle, J.V. Fesko et D. VanDrunen (eds), The Law is not of Faith : Essays on Works and Grace in the Mosaic Covenant, Phillipsburg, P&R, 2009, p. 28, 36.↩

  7.  « L’absence de définition commune conduit à un manque de clarté dans le débat juif-messianique, ‹Torah› pouvant signifier une ou plusieurs des choses suivantes : le pentateuque (la loi mosaïque) ; les Ecritures hébraïques (l’Ancien Testament) ; la loi écrite et orale ; la tradition juive (dans ses expressions orthodoxe, conservatrice, réformée, libérale et reconstructionniste) ; le Nouveau Testament et l’enseignement de Jésus ; la ‹loi› par opposition à la ‹grâce› ; des statuts et commandements particuliers. Le terme ‹Torah› fonctionne donc comme un raccourci pour désigner diverses compréhensions de la loi juive, de la plus flexible à la plus rigoureuse. » R.S. Harvey, Mapping Messianic Jewish Theology : an Introduction to Messianic Judaism, Focusing on the Developing Theological Streams Within the Movement, Studies in Messianic Jewish Theology, Carlisle, Paternoster, 2009, p. 142.↩

  8.  C’est le réformateur Philip Mélanchthon qui, le premier, introduit la notion de « triple usage de la Loi » en 1535, alors que Luther parlait seulement des « deux usages de la Loi ».↩

  9.  Ces trois usages sont parfois représentés dans un ordre différent, ordre qui peut avoir son importance, mais pour notre propos l’ordre des usages est indifférent. Pour une description de l’évolution de la nomenclature et du classement des trois usages, voir G.H. Greenhough, “The Reformers’ Attitude to the Law of God”, The Westminster Theological Journal, vol. 39 (1976/1), p. 81-99.↩

  10.  Cette fonction de la Loi est aussi appelée « usage élenctique » en référence à la fonction théologique de la Loi comme révélateur du péché. Fuchs parle de « fonction dénonciatrice ». cf. Eric Fuchs, L’éthique protestante, histoire et enjeux, coll. Champ éthique n° 19, Paris, Les Bergers et les Mages, 1990, p. 37.↩

  11.  Romains 13.1-7.↩

  12.  1P 1.16 en référence à Lv 11.45.↩

  13.  Fuchs explique la pensée de Luther sur cet usage politique de la Loi : « Ainsi Dieu maintient un ordre dans le monde, mais de manière indirecte, par sa main gauche comme dit Luther. Cet ordre politique n’a finalement pas d’autre valeur que d’empêcher par la coercition – le glaive – les méchants de faire le mal. » Fuchs, op. cit., p. 37.↩

  14.  La doctrine du troisième usage de la Loi apparaît dans le luthéranisme dans la Formule de Concorde de 1577.↩

  15.  Cf. Calvin, Institution de la religion chrétienne, Aix-en-Provence/Charols, Kerygma/Excelsis, 2009, II, vii, 11-12 ; II, viii, 7 et 50.↩

  16.  « Comme Luther, [Calvin] reconnaissait l’usus politicus de la Loi, consistant à déterminer la loi civile, fixer la conduite commune et contenir le péché. Comme Luther, Calvin reconnaissait l’usus pedagogus de la Loi, consistant à conduire les hommes au Christ. Mais comme Tyndale, et contrairement à Luther, Calvin reconnaissait l’usus normativus de la Loi, consistant à servir de règle de vie aux croyants. » G.H. Greenhough, “The Reformers’ Attitude to the Law of God”, The Westminster Theological Journal, vol. 39 (1976/1), p. 86-87. Voir aussi W.A. VanGemeren : “The Law is the Perfection of Righteousness in Jesus Christ : A Reformed Perspective”, op. cit., p. 53.↩

  17.  En tant que représentant du courant réformé, W.A. VanGemeren affirme : « Le but de la loi est la croissance chrétienne dans la grâce, et non la justification ou l’obtention de mérites. » W.A. VanGemeren : “The Law is the Perfection of Righteousness in Jesus Christ : A Reformed Perspective”, op. cit., p. 42.↩

  18.  Selon Calvin, la Loi sans Christ ne peut qu’aboutir au légalisme, elle n’est que commandement et jugement. La Loi ne doit donc pas être imposée sur le chrétien comme un joug, elle doit être la suite logique de la foi du croyant.↩

  19.  Cf. Calvin, Commentaire de l’Evangile selon Jean, Genève, Labor et Fides, 1968, chap. I, 17 et V, 46.↩

  20.  L’entrée pour le mot Torah dans le dictionnaire de théologie rabbinique est la suivante : « Le moyen par lequel Dieu, à travers Moïse au Sinaï, se manifeste et se révèle à l’humanité. La Torah comprend une partie écrite et une partie orale. » J. Neusner, Theological Dictionary of Rabbinic Judaism, Part One : Principal Theological Categories, coll. Studies in Judaism, New York, University Press of America, 2005, p. 217 (entrée no 27).↩

  21.  L’entrée no 28 “Oral Torah” dans le dictionnaire de théologie rabbinique indique : « Partie de la révélation de Dieu à Moïse […] qui a été formulée oralement et transmise non au moyen de l’écrit mais de la mémoire, formant la tradition que les sages maîtrisent et transmettent à leurs disciples. » Neusner, op. cit., p. 223.↩

  22.  Il y a débat dans le judaïsme rabbinique pour savoir si la Torah orale est à égalité, inférieure ou supérieure à la Torah écrite (cf. Y. Hag. 1:8 II.2 et aussi R. Zeira). Neusner, op. cit., p. 224. En effet, la tradition orale est en elle-même une explication de la Torah écrite dans le but d’actualiser cette dernière. Pour un éclairage sur le rapport entre tradition orale et tradition écrite dans le Proche-Orient ancien et dans le judaïsme, lire la récente contribution de Mart-Jan Paul, “Oral Tradition in the Old Testament and Judaism”, in Sola Scriptura : Biblical and Theological Perspectives on Scripture, Authority, and Hermeneutics, H. Burger, A. Huijgen et E. Peels (eds), Leiden, Brill, 2018, p. 123-136.↩

  23.  La halakha est en quelque sorte la jurisprudence de la Torah. La racine hébraïque הלך qui signifie « marcher, aller », renvoie à l’idée de règle de comportement.↩

  24.  Cf. Neusner, op. cit., p. 234 et p. 235.↩

  25.  Ibid., p. 220.↩

  26.  En ce qui concerne la portée méritoire de l’étude de la Torah, voir ibid., p. 239 : « L’étude de la Torah est la seule façon d’apprendre comment obtenir des mérites et agir droitement. » Et p. 232 : « L’étude de la Torah est essentielle au salut d’Israël collectivement, ainsi qu’à celui de chaque Israélite individuellement. » (Cf. A.Z. 1:1 I.5-6/3b).↩

  27.  Ibid., p. 229.↩

  28.  Ibid., p. 228.↩

  29.  « Israël est sauvé par l’étude de la Torah. Dieu préfère Israël aux non-Juifs, parce que le premier accepte, étudie et met en pratique la Torah alors que les seconds ne le font pas. C’est pourquoi, à la fin des temps, Dieu sauvera Israël et détruira l’idolâtrie. » (Cf. B.A.Z. 1:1 I.5), ibid., p. 391.↩

  30.  Maïmonide (rabbi Moshe ben Maïmon) est né en Espagne en 1135 et mort en Egypte en 1204. Il était à la fois médecin et philosophe.↩

  31.  « Quant aux autres prescriptions, elles ont pour objet de réfréner les passions de la matière qui entravent l’essor de l’esprit, et aussi d’enseigner la chasteté et la protection du faible. » In H. Sérouya, Maïmonide : sa vie, son œuvre, sa philosophie, coll. Philosophes, Paris, PUF, 1951, p. 58.↩

  32.  S. Trigano, Philosophie de la Loi : l’origine de la politique dans la Tora, coll. Passages, Paris, Cerf, 1991.↩

  33.  Pour paraphraser l’auteur : c’est le Dieu créateur qui est celui qui donne Loi au monde dans son existence, et qui donne Loi aux hommes pour leur existence. Trigano indique aussi que toute loi découle d’une alliance (notion hébraïque du contrat) comme cadre juridique, et que toute juridiction est dépendante de Dieu en tant que Grand Législateur à qui appartient toute autorité. Voir S. Trigano, op. cit., p. 11ss.↩

  34.  Moïse Maïmonide, Le guide des égarés, traduit par Salomon Munk, coll. Les Dix Paroles, Lagrasse, Verdier, 1979, troisième partie, chapitre 27, p. 505.↩

  35.  Ibid., p. 506.↩

  36.  Ibid., p. 507.↩

  37.  « La Torah, comme message de foi et règle de vie adressée au peuple d’Israël, n’a d’autre propos que de préparer l’homme à la Sagesse, laquelle consiste essentiellement et ultimement dans la connaissance de Dieu. Il s’agit donc d’une éducation de l’intelligence. » In T. Wohlman, Thomas d’Aquin et Maïmonide, un dialogue exemplaire, coll. Patrimoines, Paris, Cerf, 1988, p. 169.↩

  38.  Voir la section 3, III, dans Moïse Maïmonide, Le livre de la connaissance, traduit par V. Nikiprowetzky et A. Zaoui, Paris, PUF, 1985. Le livre de la connaissance forme la partie introductive du traité Mishné Torah, qui est une synthèse des fondamentaux de la Torah (écrite et orale) faite par Maïmonide.↩

  39.  A noter le cas particulier du respect du shabbat qui revêt, dans le judaïsme, une importance particulière parmi les Dix Commandements, qui ne relève pas de la Loi morale universelle mais concerne plus particulièrement Israël en tant que peuple. Le shabbat a donc une portée plus spirituelle et identitaire que morale dans ce sens.↩

  40.  En effet, pour les Juifs messianiques, l’antagonisme entre Juifs et chrétiens est vu comme un accident de l’histoire. Lire en particulier D.H. Stern, Messianic Judaism, 2007, p. 35-84. Pour ce qui concerne l’histoire des premiers « Juifs-chrétiens » dans l’Antiquité, voir O. Skarsaune (ed.), Jewish Believers in Jesus : The Early Centuries, Hendrickson, Peabody, 2007, et S.C. Mimouni, Early Judaeo-Christianity. Historical Essays, coll. Interdisciplinary Studies in Ancient Culture and Religion (no 13), Leuven, Peeters, 2012.↩

  41.  « Durant ces trente dernières années, l’expression Juif messianique est devenue le terme de prédilection pour beaucoup de Juifs croyant en Jésus, en Amérique du Nord et en Israël. » J. Wasserman, Messianic Jewish Congregations : Who Sold this Business to the Gentiles ?, Lenham, University Press of America, 2000, p. 16.↩

  42.  R. Blancou, Enfin j’y vois clair : Jésus, les Juifs, l’Eglise, 3e ed., Beaumont-lès-Valence, Emeth, 2011, p. 167.↩

  43.  Cette typologie est mon interprétation des quatre catégories évoquées par Frank La Barbe lors d’une interview en 2017. Franck La Barbe a fait sa thèse de doctorat sur la conversion en milieu pentecôtisant protestant et il s’intéresse depuis quelques années au mouvement juif messianique.↩

  44.  Parmi les principaux auteurs que l’on peut situer dans ce courant, mentionnons David Stern, Dan Juster, John Fischer, David Friedman et Mark Kinzer.↩

  45.  Le judaïsme contemporain se divise en plusieurs branches, parmi lesquelles on distingue le courant orthodoxe, le courant réformé (né au xixe siècle), le courant conservateur et d’autres courants minoritaires. Voir R. Harvey, Mapping Messianic Jewish Theology, p. 142.↩

  46.  Il existe une synagogue messianique à Paris, l’assemblée El-Bethel, rue Omer Talon, dans le XIe arrondissement.↩

  47.  De fait, en France, c’est aussi le cas de la première catégorie d’assemblée messianique.↩

  48.  C’est le cas d’un auteur comme Baruch Maoz, qui défend que le vrai judaïsme consiste à croire en Yechoua le Messie et à suivre ses commandements, et non ceux des rabbins. Cf. B. Maoz, Judaism Is Not Jewish : A Friendly Critique of the Messianic Movement, Ross-shire, Christian Focus, 2003.↩

  49.  Comme par exemple l’importance d’Israël (peuple, Etat, territoire) et une eschatologie millénariste.↩

  50.  On peut classer dans cette catégorie des organisations comme Eben-Ezer et l’Ambassade chrétienne de Jérusalem. Par ailleurs, la plupart des initiatives chrétiennes philosémites sont de l’ordre de l’initiative privée (groupes de prière pour Israël). Nous avons traité la question du sionisme chrétien et de ses origines dans un article précédemment paru dans La Revue réformée. Cf. M. de Luca, « Le développement historique du sionisme chrétien moderne », La Revue réformée 259 (2011/4), p. 66-88.↩

  51.  Robert Blancou fait une distinction intéressante entre « Juifs messianiques » et « Juifs enclos en milieux chrétiens ». Par Juifs messianiques, il entend plutôt des Juifs pratiquants qui découvrent Jésus comme Messie au sein de la Synagogue et/ou qui forment des assemblées juives messianiques. Les Juifs enclos en milieu chrétien sont, selon lui, « une espèce en voie d’apparition » : ce sont des personnes juives, ou qui se découvrent des origines juives, au sein de l’Eglise. cf. R. Blancou, Enfin j’y vois clair, p. 216.↩

  52.  C’est le cas, par exemple, des chrétiens qui reviennent à la pratique du shabbat et parfois aussi aux pratiques alimentaires du judaïsme. Voir à titre d’exemple le manifeste de J. Reymond, Reconnectés à nos racines juives, perspectives sur la dernière réforme, publié à compte d’auteur, septembre 2016.↩

  53.  Cette catégorie est difficilement quantifiable et il n’y a pas, à notre connaissance, d’étude sur le sujet. Mais il convient de les mentionner et de les inclure, au moins en partie, dans une définition plus large du judaïsme messianique qui s’étendrait à l’ensemble des personnes juives qui croient en Jésus comme le Messie.↩

  54.  C’est le cas de B. Maoz cité plus haut.↩

  55.  Rappelons, entre autres limites, que ces termes sont généralement rejetés par les instances du judaïsme qui continuent de voir dans le judaïsme messianique une tentative déguisée d’évangélisation des Juifs.↩

  56.  R. Harvey, Mapping Messianic Jewish Theology : an Introduction to Messianic Judaism, Focusing on the Developing Theological Streams Within the Movement, Studies in Messianic Jewish Theology, Carlisle GB, Paternoster, 2009.↩

  57.  Harvey classe dans cette catégorie la majeure partie des auteurs messianiques, parmi lesquels on peut citer Daniel Juster, David Stern, David Rudolph, David Friedman, John Fischer, Michael Schiffman, Ariel Berkowitz et Joseph Shulam.↩

  58.  On peut citer notamment Baruch Maoz, Arnold Fruchtenbaum (influencé par le dispensationalisme) et Gershon Nerel.↩

  59.  Voir en particulier le chapitre “Torah in Practice” dans le livre de R. Harvey, op. cit., chap. 7, p. 184ss. Pour ce qui concerne les fêtes juives, voir l’étude complète menée par E. van de Poll, Messianic Jews and their Holiday Practice : History, Analysis and Gentile Christian Interest, EDIS – Israelogie n° 9, Frankfurt, Peter Lang, 2015.↩

  60.  C’est notamment la position défendue par le groupe Hashivenu (dont le nom signifie « fais-nous revenir », d’après la racine du verbeשׁוב  « tourner, retourner ») : « Nous croyons que les observances particulières de la Torah sont les signes distinctifs du peuple juif et de son appel. […] L’observation de la Torah est ce qui distingue les Juifs et les Juifs messianiques des non-Juifs et des chrétiens non juifs. » R. Harvey, op. cit., p. 174.↩

  61.  Mark Kinzer est un Juif messianique américain très impliqué dans les relations œcuméniques, et en particulier dans le dialogue avec le catholicisme. La notion de tradition, sur le plan théologique et pratique, est très importante chez Kinzer. Pour mieux comprendre sa position et sa proximité avec le catholicisme, lire son témoignage dans la traduction récente de l’un de ses ouvrages : M.S. Kinzer, Scrutant son propre mystère. Nostra Aetate, le peuple Juif et l’identité de l’Eglise, Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence, 2016.↩

  62.  Le groupement Hashivenu déclare : « La richesse de la tradition rabbinique fait partie de notre héritage en tant que peuple juif. » D’où il découle naturellement un appel à l’observance de la Torah : « Les Juifs messianiques devraient observer la Torah, la relation et l’alliance particulières de Dieu avec Israël s’exprimant par la Torah. » R. Harvey, op. cit., p. 174.↩

  63.  L’adoptianisme en christologie est une doctrine qui considère que Jésus est né comme un homme ordinaire mais qu’il a été élevé au rang de Fils de Dieu par adoption au moment de son baptême, en vue d’un ministère particulier. Cette doctrine nie la divinité et la préexistence de Jésus comme Fils éternel de Dieu.↩

  64.  Dans ce cas, Jésus est considéré comme exceptionnel par son ministère et par sa piété, notamment dans le respect de la Torah, au point de mériter le titre de Fils de Dieu, mais sans être lui-même de nature divine, cela par souci de maintenir l’unité de Dieu, doctrine fondamentale dans le judaïsme.↩

  65.  « La première confession de foi moderne des Juifs messianiques, composée par Joseph Rabinowitz pour les ‹Israélites de la nouvelle alliance›, affirme les aspects traditionnels de la nature de Dieu. » R. Harvey, op. cit., p. 51.↩

  66.  Maoz fait la distinction entre le fait d’être Juif, sur le plan ethnique, et l’appartenance au judaïsme en tant que religion. Cf. R. Harvey, op. cit., p. 106-107.↩

  67.  Friedman argumente dans ce sens en montrant aussi que les disciples de Jésus/Yechoua étaient des Juifs pieux, très attachés à la pratique de la Torah. Voir D. Friedman, They Loved the Torah : What Yeshua’s First Followers Really Thought About the Law, Baltimore, Lederer Books, 2001.↩

  68.  Nous avons vu qu’un auteur comme Mark Kinzer tend même à se rapprocher des positions du catholicisme dans son rapport à la tradition.↩

  69.  Pour Knight, la Torah est bonne et reste, pour le chrétien, la norme à suivre. Il défend que la Loi demeure le fondement de la vie du croyant, ce qui lui permet de faire le rapprochement entre Juifs et chrétiens sur la base de la Loi de Moïse : « On peut donc aller jusqu’à dire que l’ancienne Loi de Moïse, en tant que partie de la Torah […], est le cadre fondamental de la vie de ceux que Dieu a rachetés. » G.A.F. Knight, Law and Grace : Must a Christian Keep the Law of Moses ?, London, SCM Press, 1962, p. 120.↩

  70.  Ibid., p. 121.↩

  71.  D.H. Stern, Messianic Judaism : A Modern Movement with an Ancient Past, Clarksville, Messianic Jewish Publishers, 2007.↩

  72.  A.G. Fruchtenbaum, The Remnant of Israel : The History, Theology, and Philosophy of the Messianic Jewish Community, San Antonio, Ariel Ministries, 2011.↩

  73.  D. Rudolph et J. Willitts (eds), Introduction to Messianic Judaism : Its Ecclesial Context and Biblical Foundation, Grand Rapids, Zondervan, 2013.↩

  74.  cf. D. Friedman, They Loved the Torah, p. 117-119, chap. 14, « The Torah on How to Observe the Torah ».↩

  75.  La quasi-absence de réflexion sur un usage civil de la Loi dans la littérature juive messianique est un indice qui révèle à quel point le débat est focalisé sur l’usage normatif de la Loi et sa portée pour la vie du Juif, et du non-Juif, croyant en Jésus.↩

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Le développement historique du « sionisme chrétien » moderne http://larevuereformee.net/articlerr/n259/le-developpement-historique-du-%c2%absionisme-chretien%c2%bb-moderne Sun, 04 Mar 2012 20:34:50 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=782 Continuer la lecture ]]> Le développement historique du « sionisme chrétien » moderne

Michaël de LUCA*

Qu’est-ce au juste qu’un « chrétien sioniste » ? Peut-on même dire qu’il existe ce que l’on pourrait qualifier de « sionisme chrétien » ? La question n’est pas absurde pour le lecteur francophone. En effet, si on cherche le terme « sionisme chrétien », on ne trouve pour l’heure aucune définition vraiment claire et synthétique dans la langue de Molière. Autrement dit, le « sionisme chrétien » est une catégorie qui reste à définir. Le terme est plus courant dans la littérature en anglais (sous Christian Zionism). L’objectif principal de notre contribution sera donc d’apporter quelques jalons pour une définition historique de ce « sionisme chrétien ». Il est important de préciser, à ce stade, que nous comprenons le terme « sionisme » comme étant le nationalisme juif né au XIXe siècle et que nous entendons intuitivement le « sionisme chrétien », non pas comme une prétention nationale chrétienne sur le territoire d’Israël, mais comme étant « le mouvement des chrétiens qui soutiennent ce nationalisme juif ». Telle est la définition que nous nous proposons d’adopter pour l’instant et d’approfondir par la suite.

En dehors du fait que le sionisme chrétien est un sujet virtuellement inconnu du grand public, il s’avère être un objet d’étude pour le moins étonnant. On devine qu’il touche aux relations entre le christianisme et le judaïsme mais, dans ce domaine, malheureusement, on pense plus spontanément aux persécutions des siècles passés, à l’antisémitisme et aux horreurs de la Shoah. L’idée d’un christianisme philosémite militant est donc, pour le moins, surprenante au premier abord. Quel rapport positif peut-il bien exister, en effet, entre le christianisme et le sionisme ? Une enquête historique est nécessaire pour déceler le lien de parenté existant entre le mouvement sioniste chrétien et le sionisme juif. Là encore, des surprises nous attendent, comme nous le verrons par la suite. En effet, le fait que le premier congrès sioniste chrétien vienne pratiquement un siècle après le premier congrès sioniste juif ne dit pas tout en ce qui concerne l’interdépendance historique des deux mouvements.

Etonnés, nous le sommes encore en découvrant que ce mouvement, pratiquement inconnu sous nos latitudes françaises, exerce une véritable influence sur la politique internationale outre-Atlantique. Certains experts des relations internationales et de la géopolitique montrent que le soutien que les Etats-Unis apportent à l’Etat d’Israël est déterminé, dans une certaine mesure, par l’influence du mouvement sioniste chrétien[1]. En 2006, le pasteur John Hagee créait le premier « lobby » officiel du sionisme chrétien aux Etats-Unis (Christians United For Israel, CUFI), lequel représente un poids électoral de près de 40 millions d’électeurs et un réseau de près de 200 organisations évangéliques[2]. Et le soutien apporté n’est pas qu’en paroles ou en prières seulement ; en effet, les organisations chrétiennes sionistes américaines contribuent financièrement de façon active, par exemple, pour aider les Juifs qui le désirent à faire leur aliya (retour en Israël).

Certains se demanderont peut-être pourquoi des chrétiens décident tout à coup d’encourager l’immigration juive en Israël, ou bien quel est l’intérêt de soutenir le gouvernement israélien. En réalité, les motivations des sionistes chrétiens ne sont pas d’ordre économique, politique ou stratégique ; elles sont d’abord et avant tout d’ordre théologique, un fait original dans le champ des relations internationales en général et de la politique extérieure américaine en particulier. La théologie du sionisme chrétien insiste à la fois sur deux aspects : l’aspect prophétique et l’aspect eschatologique de certains textes bibliques. Les sionistes chrétiens croient, en effet, que la création de l’Etat d’Israël en 1948 est l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament concernant le retour du peuple juif sur sa terre promise, et que le peuple juif a un rôle fondamental à jouer dans le plan divin concernant la fin des temps et l’avènement du règne du Christ[3]. Le problème est que sur le terrain sensible du Proche-Orient, la théologie sioniste chrétienne n’est pas sans provoquer des réactions d’opposition parfois radicales, y compris parmi la population chrétienne autochtone[4].

Nous n’ignorons pas le caractère sensible d’un tel sujet situé aux frontières du politique et du religieux, là où tous les écarts les plus fâcheux sont possibles, même dans une approche comme la nôtre qui se veut d’abord historique. Conscient de ce fait, c’est donc avec humilité et mesure que nous voudrions tenter de définir plus précisément ce qu’est le « sionisme chrétien » en retraçant ses origines historiques ; cela nous conduira à un rappel préalable de ce que fut le sionisme politique dès la fin du XIXe siècle.

I. Naissance et évolution du nationalisme juif

Il y a souvent eu, au cours de l’histoire, des mouvements de retour de Juifs en Palestine ; ils étaient sporadiques, d’initiatives individuelles et non organisés, souvent liés à des périodes de persécution ou d’expulsion des royaumes chrétiens. Les choses changent radicalement au cours du XIXe siècle, qui voit naître le sionisme politique. L’originalité du sionisme est alors sa portée politique et sa revendication nationaliste ; jusque-là, en effet, le retour en terre d’Israël était un événement uniquement envisagé dans un cadre eschatologique, hors de la sphère d’activité humaine, un fait religieux plutôt qu’un fait politique. Le sionisme politique va contribuer à inverser ce rapport. La naissance du sionisme a été rendue possible par l’évolution des mentalités et par les profonds bouleversements du siècle qui touchent aussi les Juifs d’Europe. A l’extérieur du monde juif, le contexte intellectuel est marqué par les conséquences de la Révolution française, l’influence de la philosophie des Lumières et l’essor des nationalismes dans toute l’Europe. Cet élan nationaliste se retrouve dans les écrits de certains présionistes comme Joseph Natonek qui publie, en 1861, Le Messie ou l’émancipation des Juifs, dans lequel il assimile les espoirs nationalistes à une sorte de messianisme[5]. Notons aussi l’important Moses Hess qui publie, en 1862, Rome et Jérusalem, dans lequel « Rome » fait référence à l’indépendance nationale fraîchement acquise en Italie et « Jérusalem » à l’idée que cette même indépendance est valable pour les Juifs ; en ce sens, il est véritablement un présioniste[6]. Le monde juif du XIXe siècle est aussi très marqué, sur le plan idéologique et éthique, par les thèses socialistes naissantes[7]. Sur le plan culturel, le XIXe siècle est aussi le siècle du romantisme et de la redécouverte de la Palestine par le biais des voyages et de l’engouement nouveau pour l’archéologie. La terre biblique est idéalisée dans les imaginaires romantiques qui se passionnent pour l’Orient. Attias et Benbassa écrivent à propos de l’expédition de Napoléon Bonaparte en Palestine, en 1799, que :

 

« C’est la première fois depuis les Croisades qu’une armée occidentale s’aventure dans cette contrée. L’événement est de taille et bien de nature à échauffer les esprits. » Et ils ajoutent plus loin : « Les courants romantiques en littérature et en art ainsi que la recherche historique et archéologique donnent à ces matériaux un charme tout exotique, et ce flot d’informations atteint aussi le lecteur juif[8]. »

Sur le plan de la politique internationale, le XIXe siècle est marqué par la formation des empires coloniaux européens, qui véhiculent dans leurs colonies le progrès technique et les valeurs du monde occidental dans l’esprit de ce que l’on a appelé la « mission civilisatrice de l’Occident ». On trouve même ces accents surprenants dans la déclaration de Lahanne, un proche de Napoléon III, qui, dès 1860, se prononce en faveur du droit des Juifs à disposer d’une patrie en Terre Sainte :

« Placés comme un vivant trait d’union entre trois mondes, vous devez amener la civilisation chez les peuples encore inexpérimentés, vous devez porter les lumières d’Europe que vous avez recueillies à flots… Marchez, Juifs de tous les pays !…[9] »

Au sein du monde juif de l’époque, ces encouragements de non-Juifs et les écrits des premiers penseurs présionistes reçoivent un accueil très tiède, pour ne pas dire carrément indifférent. Parmi les bouleversements qui touchent la communauté juive dans le courant du XIXe siècle, l’enjeu est ailleurs. En effet, l’émancipation juridique et religieuse des Juifs en Europe leur ouvre les portes de l’assimilation dans la société occidentale comme jamais auparavant. Avineri écrit que « le Juif moderne, émancipé, fait son entrée dans un univers où le nationalisme va croissant, pour s’y voir confronté avec des problèmes d’identité inattendus, d’origine interne ou externe », et il résume ainsi la situation :

« Les Lumières et les conséquences de la Révolution française dans la majeure partie de l’Europe mettent fin à cet équilibre (celui féodal où les Juifs étaient marginalisés des fonctions publiques et autres). La sécularisation et le libéralisme ouvrent la société européenne aux Juifs sur un pied d’égalité. (…) Cette révolution-là sort les Juifs de la plupart des pays européens du statut marginal et de la position périphérique qui étaient les leurs au début du XIXe siècle, pour les pousser vers les positions centrales et même très en vue qu’ils occupent à la fin du siècle[10]. »

Or ce changement de contexte politique et social crée des tensions au sein de la communauté juive, qui se trouve tiraillée entre l’attachement à ses valeurs communautaires et la possibilité radicalement nouvelle d’intégrer à égalité de droits les structures de la société. De ce fait, c’est l’identité juive qui est en question[11]. Deux tendances vont s’affronter : celle qui prône l’assimilation et celle qui défend le particularisme de l’identité religieuse juive. Ce deuxième courant va donner naissance aux communautés juives dites « orthodoxes », qui préféreront la fidélité aux principes de vie de la Torah à l’adoption des valeurs et des mœurs de la culture ambiante. Ces communautés religieuses seront d’ailleurs des adversaires du sionisme politique, considéré comme étant une déviance séculière du judaïsme et une concession faite à l’esprit nationaliste du temps.

C’est, en effet, dans un contexte soit d’indifférence générale ou, pire, d’opposition de la part des communautés religieuses que commence à germer la pensée sioniste dans le courant du XIXe siècle. La plupart des responsables religieux de l’époque considèrent les aspirations sionistes comme illégitimes sur le plan théologique et néfastes pour l’identité religieuse juive, comme le résume bien Alain Dieckhoff :

« Le sionisme est, pour les traditionalistes, sacrilège pour deux raisons. D’abord, en invitant les Juifs à immigrer en Eretz Israel en masse, pour construire une société autonome, le mouvement sioniste cherche à opérer, par des moyens humains, une pseudo-rédemption alors même que le rassemblement des dispersés ne peut être que l’œuvre exclusive et miraculeuse de Dieu. Ensuite, parce que le sionisme, idéologie séculière défendue par les transgresseurs des règles les plus sacrées du judaïsme, a pour objectif avoué de normaliser l’existence juive dans un cadre politique, faisant ainsi disparaître l’unique vocation, éternelle, des Juifs : être un peuple de prêtres sanctifiant, partout et toujours, le Nom de Dieu. Le sionisme est donc doublement invalide sur le plan théologique : d’une part, parce qu’il remet radicalement en cause la vision messianique ‹ passive ›, d’autre part, parce qu’il entend gommer la spécificité religieuse du peuple juif[12]. »

Le sionisme politique s’est volontairement constitué en marge, voire en rupture totale, avec la tradition religieuse juive, et Dieckhoff va jusqu’à dire ceci :

« Si le judaïsme est avant tout un théocentrisme, le sionisme, lui, est un anthropocentrisme ; ce n’est plus Dieu qui, par son verbe, établit une alliance éternelle avec des tribus nomades qu’il institue en un peuple, mais le peuple lui-même qui, présent à lui-même, immédiatement, donne sens à son histoire. »

Il se trouve cependant quelques religieux, assez rares, pour justifier et défendre le sionisme, comme par exemple Judah Alkalaï et Zvi Kalischer, deux rabbins de la première moitié du XIXe siècle, qui sont parmi les premiers à tenter de concilier les aspirations nationalistes de leur temps et la tradition juive. Ils encouragent le retour et la colonisation de la terre d’Israël comme première étape de la rédemption préparant la venue du Messie[13]. Celui dont les thèses ont été le plus influentes est, sans aucun doute, le Rav Kook dans la seconde moitié du siècle et, surtout, par la suite au XXe siècle. Il développe une théologie assez originale pour l’époque. Pour le Rav Kook, les militants sionistes laïques sont, en réalité, les instruments de la providence divine qui les dépasse et qui consiste dans la préparation des juifs au Retour. Autrement dit, les sionistes font la volonté de Dieu malgré eux, comme il l’écrit lui-même :

« Subjectivement, [les pionniers sionistes] peuvent penser qu’ils se trouvent motivés par des idées politiques (…) alors qu’en réalité ils agissent dans le cadre cosmique de la volonté divine, où la motivation qu’ils croient laïque et même athée sert seulement de paravent à la signification réelle de leur action : celle-ci participe au mouvement rédempteur de Dieu. Ces gens-là peuvent contribuer à la venue ultime du Messie, même sans y croire. (…) Eux-mêmes l’ignorent, mais ils se trouvent au service de l’œuvre divine. » Et Avineri ajoute ce commentaire : « De cette manière, le repeuplement du Pays d’Israël, même par des athées blasphémateurs, devient une étape sur la voie du salut. (…) Cette dialectique permet à Kook d’affirmer que le judaïsme religieux doit considérer le sionisme non sous sa forme extérieure mais à travers son contenu immanent[14]. »

De cette façon, ces rabbins tentent de donner une légitimité au sionisme politique, même à son insu, mais malheureusement pour eux, comme le souligne Greilsammer : « (…) le grand public juif ne s’intéressait pas du tout, dans les années 1850-1870, à leurs thèses. Celles-ci étaient soit complètement négligées, soit jugées utopiques et tournées en dérision dans les cercles intellectuels[15]. » En réalité, ce sont à la fois l’antisémitisme persistant et les persécutions, notamment en Russie, qui donnent une pertinence au sionisme politique vers la fin du siècle. Après l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881, des pogroms sont organisés et de nombreux Juifs se voient contraints de fuir la Russie[16]. Ce regain de violence pousse certains intellectuels juifs, comme Léon Pinsker, à envisager qu’un Etat pour les Juifs serait une solution à l’antisémitisme[17]. C’est aussi à cette époque que naît le mouvement Hibbat Zion (Amants de Sion, 1882), dont l’objectif est d’aider au retour et à l’installation des Juifs qui voudraient faire leur aliya en Palestine.

De même, l’assimilation montre ses limites, notamment en France avec l’affaire Dreyfus qui, d’ailleurs, choqua beaucoup Theodore Herzl, qui était présent pour couvrir l’événement en qualité de journaliste. Ce n’est pas tant l’antisémitisme des Français qui le troubla que le fait que le capitaine Dreyfus était un Juif parfaitement intégré, assimilé à la culture de son pays et pourtant l’objet de discriminations[18]. Déjà Moses , à son époque, soulignait les limites de l’assimilation en la soupçonnant de n’être qu’un leurre[19]. Ces événements vont contribuer à la prise de conscience que la création d’un Etat pour les Juifs pourrait être la solution à la « Question juive » ; c’est, en tout cas, la conviction de Herzl dans son fameux essai L’Etat des Juifs, en 1896. Véritable manifeste du sionisme politique, l’auteur y revendique avec force « que l’on nous donne la pleine souveraineté sur une parcelle suffisante de la surface du globe, de manière à satisfaire les besoins légitimes de notre peuple. Nous nous occuperons de tout le reste. » Et il précise plus loin : « La Palestine reste notre patrie historique inoubliable[20]. » Ceci étant, l’Etat envisagé sera un Etat clairement laïque, comme l’affirme Herzl :

« Aurons-nous une théocratie ? Non ! Si la foi maintient notre unité, la science nous libère. C’est pourquoi nous ne permettrons pas aux velléités de nos chefs religieux d’émerger (…). [l’armée et le clergé] n’ont pas à s’immiscer dans les affaires de l’Etat qui les distingue, car cette ingérence provoquerait des difficultés extérieures et intérieures. Chacun est aussi libre dans sa foi ou son incroyance que dans sa nationalité[21]. »

Le père fondateur du sionisme politique organise le congrès de Bâle en 1897. Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on peut parler historiquement de naissance du « sionisme ». Le programme formule ainsi son objectif : « Le sionisme vise à obtenir, pour le peuple juif, la création d’un foyer [national] reconnu et garanti par le droit public en Palestine. » Le génie politique de Herzl fut de faire de la « Question juive » une question politique, et même de politique internationale, et non plus une question religieuse ou raciale[22]. Le sionisme du XIXe siècle est donc bien, d’abord et avant tout, une entreprise politique. Longtemps ignoré par la communauté juive, ce sionisme politique ne devient fédérateur qu’au XXe siècle et le mouvement s’achemine vers sa concrétisation.

L’épopée sioniste prend de l’ampleur au XXe siècle malgré des débuts difficiles. Chaim Weizmann, le successeur de Herzl à la tête du mouvement sioniste international, poursuit les efforts diplomatiques en faveur de la création d’un Etat juif. Un temps, l’Argentine ou un pays d’Afrique, comme l’Ouganda, furent proposés pour établir un foyer national juif, mais rapidement rejetés. C’est sur la Palestine que se porte résolument la volonté politique du sionisme. Des vagues régulières d’aliya sont organisées et des colonies s’établissent. Puis intervient la Première Guerre mondiale, qui voit s’écrouler l’Empire ottoman. C’est dans ce contexte de guerre que le premier espoir concret se fait jour pour les sionistes : la Déclaration Balfour de 1917 envisage favorablement la création d’un foyer national juif en Palestine, laquelle passe sous mandat britannique. C’est alors que le sionisme devient dans la communauté juive un véritable mouvement de masse pourvu d’un large soutien. L’entre-deux-guerres est aussi une période marquée par les premiers heurts entre colons juifs et communauté palestinienne autochtone[23].

Cependant la Déclaration Balfour ne fut pas suivie dans les faits et l’immigration juive fut même régulée, voire limitée, par la puissance mandataire. Ce n’est qu’après le drame de la Shoah et la mort de 6 millions de Juifs dans les camps de concentration nazis, lors de la Seconde Guerre mondiale, que la communauté internationale décide de faire droit aux revendications sionistes. C’est ainsi que l’Organisation des Nations Unies met en place un plan de partage de la Palestine qui aboutit à la création de l’Etat d’Israël, lequel concrétise enfin les aspirations nationales juives. Dans un contexte de tension militaire extrême, puisque les voisins arabes sont sur le pied de guerre, David Ben Gourion déclare l’indépendance d’Israël le 14 mai 1948.

Mais quid du sionisme après la création de l’Etat d’Israël ? En effet, le but premier du sionisme politique étant atteint, que va devenir l’idéologie sioniste ? En fait, dans le contexte difficile des conflits israélo-arabes répétés et de la guerre froide, le sionisme incarné dans l’Etat d’Israël va évoluer. C’est la campagne militaire israélienne de 1967 qui marque un tournant. La guerre des Six Jours est particulière, car elle relève d’une initiative militaire israélienne et que, après une campagne éclair, Israël récupère notamment Jérusalem-est. C’est un événement marquant qui fait dire à André Neher : « A Jérusalem, nous sommes aujourd’hui les témoins d’un tiquoun (perfectionnement) de caractère prophétique, mystique et messianique[24]. » Cette citation marque bien le tournant : le vocabulaire religieux fait son entrée avec une profondeur nouvelle dans le champ de la rhétorique sioniste. Des Juifs religieux prennent l’initiative d’aller s’installer en Judée et en Samarie (Cisjordanie) et dans la bande de Gaza. Le parti Gush Emunin est créé pour représenter ces colons israéliens qui, s’inspirant des mêmes motifs que le sionisme religieux du XIXe siècle, justifient leur colonisation sur une base messianique. Le nouveau sionisme est donc radicalement religieux[25]. Comme l’écrit Finkielkraut, « 1967 : cette fatidique victoire raviva le messianisme endormi du mouvement religieux[26] », et pas seulement au sein du judaïsme religieux mais aussi au sein de ce christianisme sensible au destin d’Israël, ce sionisme chrétien, dont nous allons parler à présent.

II. Histoire à rebours du sionisme chrétien

Pourquoi une histoire « à rebours » du sionisme chrétien ? Tout simplement parce qu’il n’y a pas encore, à notre connaissance, d’ouvrage intitulé « Histoire du sionisme chrétien », en français. De fait, pour connaître d’où vient le mouvement que nous qualifions de « sionisme chrétien », un travail d’enquête est nécessaire. C’est principalement à partir de sources secondaires (c’est-à-dire qui touchent, en premier lieu, à l’histoire du sionisme politique tel que nous venons de le décrire) que nous allons tenter de remonter la piste vers les origines de ce mouvement de pensée chrétien[27]. Nous remonterons le cours du temps en voyant, tout d’abord, comment le sionisme chrétien se révèle au XXe siècle, puis nous verrons quelle a été l’influence de ce courant au XIXe siècle, en particulier sur le sionisme politique, et, enfin, nous essaierons de montrer que ce mouvement plonge ses racines jusqu’au temps de la Réforme au XVIe siècle.

Remontons donc la filière historique du sionisme chrétien, en commençant par son influence au cours du XXe siècle. C’est, en effet, dans l’actualité de la deuxième partie de ce siècle en particulier que le sionisme chrétien trouve sa légitimité. Jacques Ellul, en introduction de son ouvrage au titre explicite, Un chrétien pour Israël, dit que ce qui l’a amené à s’intéresser au sort d’Israël, c’est la victoire israélienne contre ses adversaires arabes en surnombre en 1948 :

 

« Leur victoire me parut être une sorte de miracle. Et je me posai alors des questions simples : et si effectivement c’était le retour dans la Terre promise ? Et si Israël était toujours le peuple de Dieu, non point rejeté ? Et si tout cela obéissait au dessein de Dieu dans l’Histoire ?[28] »

A ces questions, Jean-Marc Thobois répond clairement :

« Ainsi historiquement, il est indiscutable que les événements que nous vivons depuis près d’un siècle s’inscrivent dans la ligne prophétique qui parcourt toute la Bible, et qu’ils ont donc une profonde signification spirituelle. » Et, plus loin : « Nous vivons un temps exceptionnel. Depuis déjà plus d’un siècle, les antiques prophéties relatives à la résurrection d’Israël s’accomplissent. Le rassemblement des exilés est en cours. » « Le miracle est évident pour tous : les Ecritures s’accomplissent sous nos yeux[29]. »

On peut donc qualifier le XXe siècle de « siècle du sionisme chrétien » à la fois parce que c’est au cours de ce siècle que les événements les plus importants pour le réveil de sa théologie se sont produits, mais aussi parce que c’est au XXe siècle qu’a été organisé le premier congrès sioniste chrétien durant lequel le terme lui-même a été adopté[30]. Ce congrès a eu lieu, en 1985, à Bâle, dans les locaux mêmes qui avaient accueilli le premier congrès sioniste organisé par Theodor Herzl en 1897. Lors de ce congrès, près de 600 délégués chrétiens de vingt pays différents ont adopté les points suivants :

1. Non à l’antisémitisme et appel aux chrétiens à reconnaître l’alliance éternelle de Dieu avec « son peuple et sa terre ».

2. Appel aux Juifs à reconnaître l’aspect prophétique de la création de leur Etat (et non leurs propres forces) et encouragement à l’aliya avec le soutien des chrétiens.

3. Appel aux nations à rétablir leurs ambassades à Jérusalem en reconnaissance que « c’est la ville éternelle, donnée par Dieu » aux Juifs, et « reconnaître la Judée et la Samarie comme appartenant à cette terre biblique ».

4. Menace contre les pays qui s’opposent à Israël, en particulier les pays arabes et l’URSS.

5. Appel aux nations à la reconnaissance de l’Etat d’Israël et à cesser les boycotts et autres mesures restrictives.

6. (Conclusion) Prière pour la paix au Moyen-Orient et dans le monde selon la promesse prophétique de Dieu[31].

Même si ce congrès est passé largement inaperçu sur le plan médiatique, certaines initiatives des sionistes chrétiens ont eu une audience bien plus large. Ces grandes campagnes de publicité dans certains journaux à grand tirage aux Etats-Unis, en 1977 et 1997 notamment, en sont un bon exemple[32]. L’appel à soutenir Israël y est clair. Henri Tincq rapporte dans un article du Monde que, au début des années 2000, près de 30 millions de protestants américains se disaient convaincus que la politique d’Ariel Sharon et les revendications en faveur du Grand Israël reposaient « sur une légitimité divine fondée dans les prophéties bibliques »[33]. Avec de tels scores d’opinion et une légitimation aussi forte, il n’est pas étonnant que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ait affirmé, en 1998, devant une assemblée de chrétiens sionistes américains : « Nous n’avons pas de meilleurs alliés que les gens assis dans cette salle[34]. » Le sionisme chrétien, en particulier aux Etats-Unis, exerce une influence concrète que les journalistes tendent à considérer comme celle d’un lobby chrétien prosioniste. Le sionisme chrétien devient même, petit à petit, un élément ambiant de la culture religieuse américaine[35]. Pratiquement, les chrétiens sionistes aujourd’hui contribuent activement (c’est-à-dire financièrement) à diverses activités ou œuvres en faveur d’Israël comme par exemple : l’aide à l’aliya des Juifs de l’ex-URSS et leur installation en Israël[36] ; l’encouragement au tourisme[37] ; et, plus étonnant, le financement du projet de construction du Troisième Temple ainsi que la formation de ses futurs prêtres[38].

En réalité, ce sont les événements de 1967 (réunification de Jérusalem) et de 1948 (création de l’Etat d’Israël) qui ont contribué à faire naître (ou renaître) cette ferveur parmi les chrétiens évangéliques américains[39]. De tels événements étaient, en effet, de nature à confirmer dans l’actualité, avec une force quasi incontestable, les idées d’un courant sioniste chrétien qui existait déjà depuis longtemps et trouvait ainsi matière à s’épanouir. Mais si nous remontons un peu dans le temps, pour beaucoup de sionistes chrétiens, l’un des principaux tournants du XXe siècle est la fameuse Déclaration Balfour, en 1917, dans laquelle la future puissance mandataire britannique se déclarait en faveur de la création d’un foyer national pour les Juifs. Cette date est une étape historique pour le sionisme politique, comme nous l’avons vu plus haut. Mais il est intéressant de noter que cette sympathie pour la cause juive chez les dirigeants britanniques trouve, en partie, sa source dans un endroit inattendu : l’école du dimanche (!) que ces dirigeants ont fréquentée toute leur enfance à la fin du siècle précédent et qui a contribué à façonner leur culture biblique.

A la fin du XIXe siècle, John Nelson Darby, le fondateur des Assemblées de frères, pose les bases d’une théologie originale que l’on appellera le dispensationalisme. Cette théologie met particulièrement l’accent sur la centralité d’Israël en tant que peuple de Dieu, pivot de toute l’histoire biblique, d’Abraham jusqu’au retour du Christ. Le peuple d’Israël a un rôle de premier plan à jouer après la Parousie, lors du Millénium, c’est-à-dire le règne de mille ans du Christ sur terre, l’ultime dispensation dans le schéma eschatologique hérité de Darby. Cette théologie a eu une grande influence dès la fin du XIXe siècle dans les milieux chrétiens anglophones des deux côtés de l’Atlantique. Or, la place centrale d’Israël dans ce schéma n’est pas sans lien avec la sensibilité du sionisme chrétien. Gerald Bray en souligne l’influence, en particulier, dans l’éducation des dirigeants britanniques[40]. Weizmann, le successeur de Theodore Herzl à la tête du sionisme politique, écrit dans ses Mémoires que les responsables britanniques « étaient profondément religieux, croyaient en la Bible : pour eux, le retour du peuple juif en Palestine était une réalité si bien que nous, les sionistes, représentions une grande tradition pour laquelle ils avaient beaucoup de respect[41] ».

L’une des initiatives les plus marquantes des chrétiens en faveur du sionisme à la fin du XIXe siècle est, sans aucun doute, celle de William Blackstone. Influencé par le dispensationalisme, celui-ci, avec le soutien de plusieurs autres pasteurs américains, prit l’initiative en 1890 de présenter, au président des Etats-Unis de l’époque, un mémoire intitulé Palestine for the Jews, qui militait en faveur de l’installation des Juifs en Palestine[42]. Mais, comme le note Laqueur, « l’accueil fait par les Juifs à ces nobles idées de non-Juifs et de Juifs apostats bien intentionnés fut dans l’ensemble tiède[43] ». C’est comme si, en cette fin de XIXe siècle, en pleins bouleversements politiques, les premiers sionistes juifs et leurs sympathisants chrétiens n’étaient pas sur la même longueur d’onde. En effet, les historiens s’accordent pour dire que les réactions juives aux initiatives encourageantes du sionisme chrétien étaient soit nulles, soit amusées, soit plutôt méfiantes. Moses Hess, en précurseur du sionisme politique, mettait en garde ses confrères : « (…) il ne s’agit pas de prendre pour passion philosémite une lubie religieuse chrétienne d’où qu’elle vienne (…)[44]. » David New relate que Theodore Herzl, qui était plus un athée qu’un homme aux motivations très spirituelles, fut amusé de recevoir un jour une Bible de la part d’un chrétien qui avait pris soin de souligner dans l’Ancien Testament tous les passages qui concernaient les promesses de retour des Juifs en terre d’Israël pour lui signifier que son entreprise était l’accomplissement de ces prophéties[45].

Ce décalage provient peut-être du fait que, lorsque les Juifs de la fin du XIXe siècle mettent en place le sionisme politique, ils découvrent avec étonnement que des chrétiens les attendaient sur cette voie depuis longtemps. Là encore les historiens du sionisme, même lorsqu’ils ne le font que de façon furtive, admettent qu’un certain sionisme chrétien a précédé l’avènement du sionisme politique juif. Dès le début du siècle, en Angleterre en particulier, des idées qui s’apparentent au sionisme chrétien circulent dans les milieux intellectuels anglais. Henry Laurens écrit que « le protestantisme biblique des Britanniques leur faisait déjà envisager, même sur une base millénariste, la perspective d’un retour des Juifs dans leur terre d’origine (…)[46] ». L’auteur illustre, ensuite, son propos avec le cas du ministre des Affaires étrangères britannique, Palmerston, qui dès 1840 militait déjà auprès du sultan ottoman pour qu’il accepte l’installation des Juifs en Palestine. Une autre personnalité de l’époque, Antony Ashley Cooper, comte de Shaftesbury, œuvra dans le même sens en adressant à Palmerston un mémorandum en faveur de la colonisation juive en Palestine[47]. Dès 1808, Cooper contribue à créer une société visant à promouvoir, dans les milieux intellectuels, l’idée de la restauration du peuple juif en Terre Sainte. Y. Manor note qu’à la même époque, « en 1839, un journal anglais, The Globe, publie une série d’articles préconisant la création d’un Etat indépendant en Syrie et Palestine avec un peuplement juif massif[48] ».

D’après ce que nous venons de voir, il apparaît que les conceptions du sionisme chrétien précèdent celles du sionisme politique juif et lui ont même préparé la voie. Perrin écrit d’ailleurs à ce propos :

« En réalité l’idée d’une restauration politique juive en Palestine a d’abord germé hors du monde juif. Ce    sont principalement des intellectuels protestants qui sont les auteurs de diverses propositions. (…) Ils se rattachent à tout un courant du puritanisme anglo-saxon qui, par confiance dans la vérité de la parole divine, acceptait comme littérales les promesses à Israël formulées dans la Bible juive et reprises dans le Nouveau Testament[49]. » (Nous ajoutons les italiques.)

Le sionisme chrétien plonge donc ses racines en profondeur dans l’histoire du protestantisme. Jonathan Jack relate cette anecdote significative dans son étude du dispensationalisme[50] : lorsque J.N. Darby élabora son schéma théologique, il fut influencé par l’eschatologie d’Edward Irving. Ce dernier s’était lui-même inspiré de l’ouvrage d’un certain Ben Ezra (un Juif converti espagnol du XVIIIe siècle qui écrit sur la Parousie). Irving avait eu connaissance de cet ouvrage par l’intermédiaire de brochures sur la fin des temps publiées en 1826 par un bibliothécaire de Cantorbéry. Le livre de Ben Ezra avait été traduit en anglais dix ans plus tôt, en 1816, et déposé à la Bibliothèque de Cantorbéry. Et l’auteur de conclure : « Le livre de Ben Ezra joua donc un rôle déterminant dans ce renouveau d’intérêt pour un rétablissement de la nation juive en Palestine » et pour l’eschatologie millénariste en général en Angleterre au début du XIXe siècle. Mais ce qui rend l’anecdote d’autant plus intéressante, c’est qu’en fait ce pseudo Ben Ezra n’était pas du tout un Juif converti, mais plutôt un jésuite du nom de Manuel Lacunza (1731-1801) ! Cela montre que l’intérêt pour l’eschatologie et le sort des Juifs était déjà présent au XVIIIe siècle et pas uniquement réservé aux milieux protestants.

C’est pourtant, en particulier, dans le monde protestant anglophone que germent les premières idées qui préfigurent le sionisme chrétien. L’eschatologie millénariste a, au passage, marqué de son empreinte les mouvements de Réveils piétistes du XIXe siècle et aussi imprégné les milieux puritains américains dès le XVIIIe siècle. Laqueur constate ceci :

« Depuis l’époque des puritains (fin XVIe-XVIIe siècle), la question juive, ou plus exactement le rôle des Juifs dans l’accomplissement des prophéties, c’est-à-dire la réalisation de la fin des temps, est centrale chez les millénaristes protestants. Interprétant certains passages du livre de Daniel et de l’Apocalypse de saint Jean, ils posent que les Juifs se convertiront à la suite de leur rassemblement en Terre Sainte, étape nécessaire pour l’avènement du royaume du Christ sur terre[51]. » (Nous ajoutons les italiques.)

De l’autre côté de l’Atlantique, la plupart des historiens considèrent que la sympathie des chrétiens américains envers les Juifs vient non seulement d’un intérêt marqué pour l’Ancien Testament, mais aussi d’un facteur historique : selon eux, les pionniers américains, constitués en grande partie de protestants chassés du Vieux Continent, au XVIIe siècle notamment, se découvraient des affinités avec le peuple hébreu des récits bibliques, exilé mais promis à une terre nouvelle avec les Ecritures Saintes comme loi.

En réalité, il semble que l’idée d’un retour des Juifs en Terre Sainte liée à des conceptions millénaristes remonte plus loin encore dans l’histoire, comme le notent Attias et Benbassa :

« Elle se dessine en fait dès le XVIe siècle, en Angleterre, dans les milieux protestants. La Réforme a suscité dans ce pays, d’où les Juifs ont été expulsés en 1290, un regain d’intérêt pour le peuple juif. La découverte des Ecritures en langue vernaculaire devait, en effet, exercer une profonde influence sur les mentalités des protestants anglais et sur leur attitude à l’égard des Juifs et de leur éventuel retour en Terre Sainte[52]. »

C’est la redécouverte de la Bible et, en particulier, des textes de l’Ancien Testament qui ouvre la voie à une redécouverte du peuple juif et de son rôle dans le plan de Dieu. Les principes de la Réforme, notamment le principe du Sola Scriptura (autorité de l’Ecriture seule), et l’importance de la notion d’alliance qui contribuent à reconsidérer la condition des Juifs en tant que peuple de Dieu. En effet, depuis les Pères de l’Eglise, la tradition théologique était plutôt celle du « remplacement » et de la réprobation des Juifs comme « peuple déicide » : parce que les Juifs ont rejeté Jésus comme Messie, et qu’ils sont responsables de sa crucifixion, les Pères considéraient que les Juifs étaient un peuple maudit et définitivement rejeté (voir la légende du Juif errant). L’accès nouveau à la Bible, allié au principe du sacerdoce universel qui place tous les croyants à égalité devant le texte biblique, ainsi que la contestation de la tradition catholique au XVIe siècle créent un espace nouveau d’interprétation de la Bible et, notamment, de la place des Juifs. Notons qu’on ne trouve pourtant pas chez Calvin, et encore moins chez Luther, de philosémitisme très marqué. Pourtant, de la Réforme jusqu’aux années 1640, certains protestants développent au contact de la Bible (de l’Apocalypse en particulier) une eschatologie qui implique le retour des Juifs en Terre Sainte comme préalable à la Parousie. Après cette date, Attias et Benbassa constatent que « c’est bientôt tout un courant millénariste qui se met en place, marquant de son empreinte l’attitude des Anglais à l’égard des Juifs et allant jusqu’à demander l’abolition de l’acte d’expulsion de 1290 (…)[53] ». Et nous avons vu l’influence grandissante que ces conceptions millénaristes ont eue jusqu’au XIXe siècle lors de la naissance du sionisme. C’est pourquoi certains auteurs préfèrent parler des « millénaristes » protestants plutôt que de « sionistes chrétiens ». Cette terminologie est assez pertinente dans le sens où les conceptions eschatologiques millénaristes sont à la base du développement des conceptions sionistes chrétiennes.

Conclusion

En conclusion, en ce qui concerne notre premier objectif qui était de synthétiser une définition du sionisme chrétien, voici où nous sommes parvenus et ce que nous pouvons dire : le « sionisme chrétien » désigne un mouvement chrétien dont la vocation se veut de soutenir le sionisme politique juif, parce qu’il voit en lui et dans son développement historique, depuis sa naissance au XIXe siècle jusqu’à sa concrétisation dans la création de l’Etat d’Israël en 1948, l’accomplissement des prophéties bibliques. Le sionisme chrétien n’est pas au premier chef une idéologie politique prosioniste, mais plutôt une théologie particulière qui conduit certains chrétiens à soutenir le sionisme. Nous avons même souligné le fait que les idées du sionisme chrétien précèdent historiquement l’avènement du sionisme politique juif. De fait, il peut sembler inexact de parler de « sionisme chrétien » si celui-ci n’est pas d’essence politique et s’il existait avant le nationalisme juif. En fait, c’est par affinité d’objectifs que nous pensons que ce rapprochement est légitime. Cependant, les motivations théologiques du sionisme chrétien sont très différentes de celles que pouvaient nourrir le sionisme juif (mouvement laïque à l’origine). Nous avons remarqué aussi que la lecture sioniste chrétienne de la Bible est une lecture littérale des prophéties bibliques appliquées à l’actualité contemporaine concernant Israël, et que cette lecture est nourrie d’espérances millénaristes. Ce millénarisme sioniste chrétien s’inscrit dans une longue tradition protestante qui remonte aux Puritains et même plus loin jusqu’au XVIe siècle, au temps de la Réforme, dans les principes du Sola Scriptura et du « sacerdoce universel », ainsi que l’importance de la notion d’« alliance » et de « peuple de Dieu ». Autrement dit, pour remettre les choses dans leur ordre chronologique normal, on trouve en germe dans les principes de la Réforme au XVIe siècle des clefs d’interprétation de la Bible qui rendent possible une lecture millénariste ; celle-ci se développe dans les milieux puritains anglais puis américains aux XVIIe-XVIIIe siècles, débouche au XIXe siècle sur un soutien enthousiaste au sionisme politique juif puis, au XXe siècle, conduit à l’Etat d’Israël après sa création en 1948. Voici, en quelque sorte, le cheminement historique de ce mouvement que nous avons qualifié de « sionisme chrétien ».

Notons, pour finir, que la question que pose le sionisme chrétien au protestantisme aujourd’hui n’est pas d’abord une question d’orientation politique (favorable ou non au sionisme) ; elle est, avant tout, une question d’interprétation de la Bible, interprétation qui peut avoir, ensuite, des conséquences dans le champ politique. Ce sujet de l’herméneutique est vraiment fondamental, car il est la source de nombreuses divergences, notamment au sein du monde évangélique. C’est pourquoi il est urgent de poursuivre une réflexion sérieuse.


* M. de Luca est étudiant en Master 2 Recherche à la Faculté Jean Calvin, à Aix-en-Provence.

[1] Voir C. Belin, Israel’s Improbable Allies : Christian Zionism and its Strategic Consequences for the United States, Israel and the Palestinians, contribution de l’auteur à une conférence du Middle East Institue, Columbia University, 13 mars 2008.

[2] A titre de comparaison, le puissant lobby pro-israélien des Juifs américains représente environ 6 millions d’électeurs.

[3] F. Encel, un spécialiste de la géopolitique au Proche-Orient, donne la définition suivante : « Le courant communément appelé sionisme chrétien, essentiellement représenté dans les Eglises évangéliques américaines et, marginalement, dans certains milieux protestants français, britanniques et scandinaves, correspond à une volonté non pas de s’installer en Israël à la manière du sionisme, mais d’aider et d’encourager les Juifs à le faire. Cette volonté s’articule autour d’une série d’interprétations de la Bible valorisant le rôle eschatologique du peuple juif dans la Parousie et l’avènement de la fin des temps. » In Encel et Thual, Géopolitique d’Israël : dictionnaire pour sortir des fantasmes, Paris, Seuil, 2004, 368-369.

[4] Un texte collectif (la Déclaration de Jérusalem sur le sionisme chrétien) signé en 2008 par des évêques locaux condamne avec force cette approche théologique à cause de ses implications politiques.

[5] Voir D. Boyer, Les origines du sionisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.

[6] Voir M. Cohen, Du rêve sioniste à la réalité israélienne, Paris, La Découverte, 1990.

[7] M. Hess était lui-même à la fois socialiste et nationaliste. Il est intéressant de noter que le sionisme a connu d’importants courants de gauche en son sein et même la concurrence, sur le plan politique, du mouvement Bund (mouvement du socialisme juif antisioniste). Voir S. Avineri, Histoire de la pensée sioniste : les origines intellectuelles de l’Etat juif, Paris, Lattès, 1982, et aussi, sur les thèses de M. Hess, A. Dieckhoff, L’invention d’une nation : Israël et la modernité politique, Paris, Gallimard, 1993.

[8] In J.-C. Attias et E. Benbassa, Israël, la terre et le sacré, 2e édition, Paris, Flammarion, 2001, respectivement 187 et 190.

[9] Cité dans D. Perrin, Palestine, une terre, deux peuples, Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 2000, 92.

[10] S. Avineri, op.cit., 22 pour la première citation dans le texte et 19 pour la citation longue.

[11] « Le judaïsme se retrouvait réduit à n’être plus qu’une ‹ confession › parmi d’autres et non plus cette communauté structurée, ce peuple que la discrimination même dont il avait été l’objet jusqu’alors avait contribué à maintenir. » In J. Madaule, Israël et le poids de l’élection : d’Abraham à aujourd’hui, Paris, Centurion, 1983, 121.

[12] A. Dieckhoff, op. cit., 157, ainsi que la citation suivante.

[13] Cette distinction d’une rédemption par étapes est nouvelle dans le judaïsme de l’époque. C’est l’idée que les hommes sont participants du travail de rédemption qu’ils peuvent préparer par leurs actions, en l’occurrence le retour en Eretz Israel. Cette vision tranche avec la vision traditionnelle où c’est l’avènement du Messie qui amène, à la fois, la rédemption du peuple et son retour en Terre Sainte.

[14] S. Avineri, op.cit., 259-260.

[15] I. Greilsammer, Le sionisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, 21.

[16] Les pogroms russes et la politique antisémite du gouvernement tsariste obligèrent près de 3 millions de Juifs à quitter la Russie entre 1882 et 1914. Seule une infime partie d’entre eux se rendirent en Palestine.

[17] L. Pinsker, un humaniste juif de Pologne, pensait que l’antisémitisme était provoqué par la paranoïa des Etats qui tendent à penser que les Juifs sont une sorte de « menace fantôme » permanente. Dans son influent manifeste pour « l’auto-émancipation des Juifs », en 1882, il pense au sionisme comme solution à cet antisémitisme. Herzl le rejoindra sur ce point. C’est aussi à cette époque qu’un certain Eliezer Ben Yehouda va s’installer en Palestine et y fait renaître la langue hébraïque (il est le fondateur de l’hébreu moderne), élément primordial à la future formation d’une conscience nationale. Voir sur ce point Greilsammer, op. cit., 24.

[18] S. Avineri exprime le désarroi de Herzl ainsi : « Ce qui lui parut particulièrement scandaleux fut qu’il s’agissait là d’un Juif totalement émancipé, parfaitement intégré et on ne peut plus laïque. On pouvait difficilement être plus patriote, plus militariste, et plus ‹ non juif ›, dans le sens accepté du terme, que le capitaine Alfred Dreyfus. » In S. Avinari, op. cit., 23.

[19] Voir Y. Manor, Naissance du sionisme politique, Paris, Gallimard, 1981, 31.

[20] T. Herzl et C. Klein, L’Etat des Juifs ; suivi de : Essai sur le sionisme : de l’Etat des Juifs à l’Etat d’Israël, Paris, La Découverte, 2003, 41 et 44.

[21] Ibid., 94.

[22] Voir Y. Manor, op. cit., 258ss.

[23] En 1920 et 1929, les Palestiniens provoquent des grèves et des émeutes pour contester la colonisation juive. Ces événements sont le prélude d’une plus grande révolte, qui aura lieu entre 1936 et 1939. A cause de ces troubles, certains craignent que les ambitions du sionisme ne soient un facteur de réveil d’un nationalisme palestinien antagoniste. C’est ce que souligne un analyste dans un ouvrage de 1920 aux accents visionnaires : « Il importe, pour le repos du monde, de ne pas ouvrir en plein XXe siècle une question de ce genre qu’on ne pourra plus fermer après ; il importe de ne pas poser un problème qui sera le point de départ de nouvelles querelles, d’âpres animosités religieuses. » Et, plus loin : « Les sionistes, sans s’en douter, sont en voie de faire dresser dans l’autre camp les consciences [nationalistes] endormies (…). » In N. Moussalli, Le sionisme et la Palestine, Genève, Abar, 1919, 51.

[24] A. Neher, Un maillon dans la chaîne : André Neher, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1995, 136.

[25] Comme le remarque K. Armstrong au sujet de cette évolution de vocable dès 1967 : « Israel, which was founded by defiantly secular idealists, seems to be swinging toward religion. » In K. Armstrong, Holy War : the Crusades and their Impact on Today’s World, New York, Anchor Books, 2001, 314.

[26] A. Finkielkraut, La réprobation d’Israël, Paris, Denoël-Gonthier, 1983.

[27] Dans une certaine mesure, notre travail dans les pages qui vont suivre s’apparente à du défrichage historique ; qu’on nous pardonne donc certaines imprécisions ou, parfois, des pistes de réflexion qui ne prétendront pas être autre chose étant donné le manque de matériaux à notre disposition.

[28] J. Ellul, Un chrétien pour Israël, Paris, Editions du Rocher, 1986, 13.

[29] J.-M. Thobois, Je ne veux pas que vous ignoriez ce mystère…, Montmeyran, Emeth Editions, 2007. Respectivement 162, 164 et 165. En ce qui concerne les deux dernières citations, l’auteur désigne en particulier le retour des Juifs de l’ex-URSS, mais son propos vaut pour l’ensemble des événements historiques concernant Israël au XXe siècle.

[30] François Celier, qui nous relate l’événement, affirme qu’il préfère le terme de « sionisme biblique » à celui de sionisme chrétien (adopté à Bâle en 1985), car il craint que le terme de « sionisme chrétien » soit mal interprété par les détracteurs du sionisme politique. Voir F. Celier, La folie de Dieu, Editions Concordia, 1986.

[31] Rapporté par F. Celier, ibid., 185-189.

[32] En 1997 paraissait dans le New York Times (du 18 avril) un encart publicitaire intitulé Christians Call for a United Jerusalem, avec le texte suivant : « Join us in our holy mission to ensure that Jerusalem will remain the undivided, eternal capital of Israel. The battle for Jerusalem has begun, and it is time for believers in Christ to support our Jewish brethren and the State of Israel. The time for unity with Jewish people is now. » In S. Sizer, « Christian Zionism : Justifying Apartheid in the Name of God », Churchman, n° 115, 2001, 157.

[33] H. Tincq, « Le ‹ sionisme chrétien › inspire certains bataillons électoraux de M. Bush », Le Monde, 20 octobre 2004.

[34] Propos du premier ministre israélien tenus devant une assemblée de Voices United for Israel, réseau d’organisations évangéliques américaines prosionistes, réunie à Orlando (Floride). Propos rapportés dans l’article d’H. Tincq au Monde, ibid.

[35] Voir P. Johnson, « Mainline Churches and United States Middle East Policy », in Haddad, art. cit., op. cit., 111.

[36] Y compris dans des implantations en Cisjordanie. Encel note que, entre 1994 et 2002, l’un des plus puissants mouvements sionistes chrétiens américains, la Fraternité internationale des chrétiens et des juifs (International Fellowship of Christians and Jews, fondée en 1983), a récolté presque 65 millions de dollars au profit de l’immigration juive en Israël, tandis qu’une autre congrégation très active baptisée Christians for Israel/USA a financé, depuis 1991, l’émigration vers Israël (l’aliya) de 65 000 Juifs d’ex-Union soviétique. » In Encel, « Le sionisme chrétien », Hérodote, La Découverte, 2005, 45.

[37] L’Ambassade chrétienne de Jérusalem organise, par exemple, chaque année des excursions d’été pour les jeunes et un grand rassemblement annuel pour la fête de Soukkoth.

[38] D. Brickner cite en exemple la Aterah Kohanim, qui a pour vocation de former les futurs prêtres du Troisième Temple, financé par le projet Cornerstone qui récolte des fonds pour cette entreprise ; mais aussi le Temple Mount Faithful, qui est un autre groupe chargé de préparer la reconstruction du Temple de Jérusalem. Voir D. Brickner, Future Hope, 2nd ed., San Francisco (CA), Purple Pomegranate Productions, 1999, 60-62.

[39] Mais pas seulement, cf. le cas de J. Ellul cité plus haut.

[40] Gerald Bray écrit dans ce sens : « The coming to power of a generation of politicians influenced from childhood by Sunday School teaching is of the greatest importance for our understanding of the political development of Palestine in the early years of this century. (…) given the fact that it was this milieu which, in 1917, became the instrument for achieving the aims of the Jewish Zionists, we can hardly ignore the role played by dispensationalist evangelicalism in the history of events. » In G. Bray, « The Promises Made to Abraham and the Destiny of Israel », The Scottish Bulletin of Evangelical Theology, n° 7, 1989, 79.

[41] G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, Paris, Fayard, 2002, 30.

[42] Voir D.S. New, 2001, Holy War : the Rise of Militant Christian, Jewish and Islamic Fundamentalism, Jefferson (Caroline du Nord), McFarland, 2001.

[43] W. Laqueur, Histoire du sionisme, 76.

[44] Cité dans Bensoussan, op. cit., 30.

[45] Voir D. New, op. cit., 34.

[46] H. Laurens, La question de Palestine (tome premier) : 1799-1922, l’invention de la Terre Sainte, Paris, Fayard, 1999, 18.

[47] Ibid., 52.

[48] Y. Manor, Naissance du sionisme politique, 26.

[49] D. Perrin, Palestine : une terre, deux peuples, 90.

[50] Voir J. Jack, L’Etat moderne d’Israël, fruit de la prophétie biblique ? Une analyse du sionisme et du dispensationalisme à la lumière de la révélation biblique, mémoire soutenu à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, 1982, 13ss.

[51] Laqueur, op. cit., 18.

[52] J.-C. Attias et E. Benbassa, Israël, la terre et le sacré, op. cit., 183.

[53] Ibid.

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