Frédéric HAMMANN – La Revue réformée http://larevuereformee.net Fri, 28 Oct 2011 14:41:42 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.10 L’Église et la spiritualité : état des lieux http://larevuereformee.net/articlerr/n257/l%e2%80%99eglise-et-la-spiritualite-etat-des-lieux Fri, 28 Oct 2011 16:41:42 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=769 Continuer la lecture ]]> L’Église et la spiritualité : état des lieux

Frédéric HAMMANN*

La tâche qui m’incombe est loin d’être une mince affaire ! Quel défi, en effet, de devoir brosser un état des lieux du rapport existant entre ces deux réalités mouvantes que sont aujourd’hui l’Eglise, d’une part, et la spiritualité, d’autre part. En effet, force est de constater que, de nos jours, même si cela n’est pas forcément nouveau, l’articulation entre Eglise et spiritualité est jalonnée de lourdes questions.

L’époque semble révolue où la spiritualité se rapportait avant tout à une certaine conception, parfois mystique, de la relation à Dieu et à une discipline faite de technique et d’exercices particuliers, le tout vécu au sein d’une tradition religieuse donnée et clairement établie. De nos jours, le concept fait davantage référence à l’orientation qu’un individu donne à son vécu dans son rapport à l’ultime, le plus souvent en marge de toute religion définie ou, du moins, dans une relecture très personnelle de celle-ci. Les nombreux ouvrages sur le sujet parlent, entre autres, de nomadisme spirituel, de foi clignotante, de « hors-piste » !

Pour nombre de nos contemporains, l’Eglise apparaît dès lors comme l’institution religieuse dont la modernité a fortement atrophié l’influence et le rayonnement, alors que la spiritualité se présente comme l’expression d’une « verticalité » constitutive de l’être humain. L’anthropologie religieuse est passée par là et le rationalisme de la modernité a cédé une partie de son terrain à l’irrationalisme et à l’imaginaire de l’ultramodernité…

Désenchantement du monde, « réenchantement » du monde, nous ne sommes probablement pas sortis des recompositions et des tensions dialectiques que la modernité a entretenues avec le religieux.

Cependant, comme le dit Frédéric Lenoir, ce sont l’individualisation et la globalisation qui ont profondément modifié le paysage. Ainsi nos contemporains – au sein même des Eglises – (et nous-mêmes jusqu’à quel point ?) ne sont plus prêts à accepter des normes et des dogmes venant « d’en haut » et chaque individu revendique – en tout cas dans la pratique, car cela n’est pas toujours avoué dans le discours ! – le droit de construire son système de sens et de représentation symbolique. « Ce processus d’individualisation de la religion est véritablement la clef de voûte de la compréhension du fait religieux contemporain. »

 C’est l’aboutissement de l’autonomie du Sujet de l’humanisme de la Renaissance.

La difficulté majeure du rapport Eglise/spiritualité m’apparaît donc comme étant celle de la relation entre le contenu objectif de la foi, que l’on pourrait appeler le dogme, et la façon dont celui-ci est approprié et vécu par le fidèle. Si l’on convient, sans trop de peine, à une nécessaire stabilité du dogme, celle-ci est joyeusement relativisée par la liberté que le croyant s’octroie dans le domaine de la spiritualité.

La doctrina pietatis chère à certaines époques (notamment à la Réforme du XVIe siècle) n’est plus qu’un lointain souvenir. Le débat doctrinal fait figure d’ancêtre alors que le partage d’un vécu, ici ou là, commun, semble mieux correspondre à la vie en réseau recherchée de nos jours.

Il est donc devenu nécessaire de faire une grande distinction entre ce qui ressort de la religion (contenu de foi établi, institution, autorité, pratiques définies, etc.) et ce qui apparaît dorénavant comme la multiplicité de l’expression religieuse d’une dimension de la vie humaine (rapport à l’ultime, transcendance, etc.).

En Eglise ou hors de celle-ci, la notion de spiritualité recouvre donc l’aspiration au bonheur, à l’union avec le cosmos et à une identité renouvelée, aspiration si caractéristique de notre époque.

Faut-il se réjouir de ce regain d’intérêt, de cette sensibilité à nouveau affirmée et de cette quête de « transcendance » ? Faut-il y voir une ouverture pour la proclamation de l’Evangile ? Peut-être, mais ne soyons pas naïfs et n’écartons pas trop rapidement le côté tragique, à mon sens, de la situation…

Quelques remarques maintenant concernant l’aspiration à de nouvelles formes de spiritualité au sein même de nos Eglises protestantes.

Sans soutenir la thèse selon laquelle la modernité est le quasi-avènement du protestantisme, il est clair que, pour nombre de protestants, l’individualisme, le pluralisme et le relativisme ambiants ne sont pas forcément problématiques.

Esprit d’ouverture, liberté de choix « en fonction de sa conscience » dominent et il n’est donc pas étonnant de voir fleurir toutes sortes d’approches et de demandes de spiritualité. Ici c’est un rite d’onction d’huile qui réapparaît – parfois justifié par une réflexion plus sociologique que théologique –, là c’est la marche et le pèlerinage, là c’est une redécouverte des retraites et de la méditation silencieuse, là encore des groupes « ignaciens », ou encore une grande place accordée à l’icône et à diverses formes de prières venant de la tradition orthodoxe.

Parfois une quête intense de la volonté de Dieu, vécue de manière très distante par rapport à la révélation biblique, suscite diverses pratiques « charismatiques » pouvant aller jusqu’à rappeler les consultations de l’oracle dans le monde antique

Comment encadrer le rôle de la subjectivité de l’individu ? Comment rester dans une démarche que je qualifierai d’intellectuellement consciente ? Là aussi, les interrogations ne manquent pas.

Bien sûr, ces recherches disent quelque chose d’important sur le manque ressenti par beaucoup au cœur même de leur propre tradition et nous devons être interpellés. La réflexion théologique et la pratique de l’Eglise n’ont pas toujours été à la hauteur de l’articulation essentielle entre foi proclamée, ecclésiale, et vécu personnel. L’union avec Dieu ne se réduit pas à une compréhension intellectuelle de ce qu’est la justification par la foi ! Le sentiment, l’affect, la volonté sont, eux aussi, concernés et doivent être renouvelés par cette union.

Cependant, si cette situation interroge, c’est bien parce qu’elle pose également – au cœur même de nos Eglises – plusieurs problèmes majeurs. Je termine cette conférence introductive en en esquissant trois :

Tout d’abord la question du rapport au monde. La recherche de spiritualité qui se déploie sous nos yeux exprime-t-elle un juste rapport au Dieu créateur en cherchant à aider l’individu à comprendre et à vivre sa vocation de chrétien dans ce monde (mandat culturel, service, renoncement à soi selon l’Evangile) ? Ou est-elle mondaine dans le sens d’une recherche de bonheur ici et maintenant, dans une démarche très égocentrée, loin de la tension eschatologique et de l’attente active du royaume qui vient ?

Deuxièmement, la dimension trinitaire. Cherchons-nous à exprimer une foi trinitaire, ancrée dans l’œuvre du Christ et vivant de la présence de l’Esprit de Dieu en nous ? Dans ce cas, la spiritualité se rapporte à ce que Dieu a fait – et fait encore – pour nous, en nous et à travers nous. Il y a alors union, communion et non pas fusion ni dépersonnalisation.

Finalement, je mentionne le rapport à l’Ecriture, à la liturgie, à un donné normatif extérieur à l’individu. Quelle place le concept d’obéissance occupe-t-il dans l’exercice de notre spiritualité ? Une obéissance non pas subie et avilissante, mais active et responsable. Ainsi les moyens de grâce recevront la place qui leur revient et la trajectoire de la vie spirituelle sera celle de l’histoire de la rédemption.

Si notre spiritualité se fonde dans la justification par la foi, se nourrit réellement de l’Ecriture et se comprend dans une vraie dimension ecclésiale, elle ne sera, alors, ni simple accomplissement de soi, ni contrepartie aux angoisses ou vacuités existentielles. Dans une diversité réelle et constructive, elle témoignera de la vitalité de l’œuvre de Dieu au cœur de son Eglise et de la vie de ses enfants. Et sinon ? …

Veillons à ce que la perte de toute métaphysique, phénomène qui semble n’épargner personne, ne soit pas remplacée – au sein même d’une quête de sens véritable – par une approche qui, au final, se révélerait tristement fonctionnelle et pragmatique

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* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

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« Texte et historicité » http://larevuereformee.net/articlerr/n232/%c2%ab%c2%a0texte-et-historicite%c2%a0%c2%bb Thu, 11 Nov 2010 19:52:58 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=320 Continuer la lecture ]]> « Texte et historicité »

Brèves réflexions au fil d’un colloque

(4 décembre 2004)

Le 4 décembre dernier s’est tenu à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence un colloque universitaire sur le thème: « Texte et historicité ». Plusieurs spécialistes venus de près ou de loin, Alain Besançon (Membre de l’Institut), Henri Blocher (Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine & Wheaton College, aux Etats-Unis), Daniel Bourgeois (Grand Séminaire d’Aix-en-Provence), Zsolt Gereb (Institut de Théologie protestante de Cluj en Roumanie), William Edgar (Westminster Theological Seminary à Philadelphie, Etats-Unis) et Carsten P. Thiede1 (Universités de Paderborn, Bâle et Beer-Sheva), auxquels se sont joints les professeurs de la Faculté, Ronald Bergey, Pierre Berthoud, Gordon Campbell et Paul Wells, se sont penchés sur divers aspects de la question fondamentale de l’historiographie.

Qu’est-ce que l’histoire? Quelle est la fiabilité de documents prétendant faire le compte-rendu de « ce qui a eu lieu »? En quoi les écrivains bibliques représentent-ils la façon dont l’antiquité concevait l’historiographie? Comment aborder, dans le contexte qui est le nôtre, les questions et les enjeux de l’historicité des récits bibliques? Voilà quelques-unes des questions auxquelles se sont confrontées les différentes interventions.

Dans les lignes qui suivent, mon propos n’est pas de faire le compte-rendu des conférences qui ont composé le colloque mais d’esquisser, librement et très simplement, quelques aspects de cette importante thématique. Précisons que les Actes de ce colloque seront publiés prochainement, ce qui permettra, à tous ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion, de se pencher sur l’ensemble des textes et d’avancer ainsi sur un terrain parfois mouvant mais toujours passionnant.

L’importance du thème en question m’apparaît revêtir deux aspects. Le premier consiste à remarquer le fait que le rapport entre les récits bibliques, d’une part, et les événements tels qu’ils ont eu lieu dans l’espace et le temps, d’autre part (le sous-titre du Colloque était: « Récits bibliques et histoire ») nous place au cœur de la foi chrétienne. En effet, que ce soit dans son expression ecclésiale (dimension communautaire) ou dans la vie du fidèle (dimension personnelle), la foi chrétienne se fonde sur ce que Dieu a dit et fait dans l’histoire. Enlevons l’« agir » du Dieu trinitaire des méandres de l’histoire humaine et tout s’écroule! A moins de faire reposer (mais n’est-ce pas là un « repos » bien trompeur ?) la réalité de la foi sur la perception subjective que l’on en a et sur sa propre expérience intérieure.

En second lieu, l’importance du thème a été mise en lumière par sa dimension interdisciplinaire. Voilà le terrain par excellence où le théologien se doit de rencontrer l’historien, le philosophe, le philologue, l’archéologue et peut-être d’autres encore… Regards croisés d’où surgissent parfois des surprises: « Mais pourquoi les théologiens (ou en tous cas certains d’entre eux!) sont-ils si suspicieux là où les historiens (idem?) sont prêts à accorder leur confiance? ». Un autre trait se dessine: malgré tout l’apport de certaines approches philosophiques concernant le « texte », sa « réceptivité », son – ou plutôt ses ­- « sens » et « l’événement qu’il crée à chaque lecture », le texte reste, avant tout, en lien avec son contexte d’origine, et les questions se rapportant à son auteur et à ses motivations restent souvent décisives. Cela implique que notre attitude première soit – en tous cas pour un temps – d’accepter le texte tel qu’il se présente à nous. Comme l’a dit l’un des intervenants: « Le bénéfice du doute doit être accordé au texte; c’est aux arguments soulevés contre la valeur et l’historicité du texte que revient le devoir d’être réellement déterminants! »

D’autres contributions ont exprimé fort bien le fait qu’« historicité » ne signifie pas « neutralité » ou absence de point de vue et elles ont montré qu’au contraire la qualité littéraire du texte est au service de la transmission du message et de l’intention de l’auteur, sans pour autant porter atteinte à la fiabilité historique. La « métaphore » a reçu également une attention particulière et tout un cheminement a été tracé parmi différents courants philosophiques lui accordant une place et des fonctions diverses.

Cela a été aussi l’occasion d’aborder la difficile question de la terminologie: quelles définitions et quelles frontières donner aux termes « récit », « fiction », « mythe », « histoire »? A propos de ce dernier terme, remarquons la polysémie qui est la sienne dans la langue française, puisque « histoire » désigne, à la fois, le cours des événements, le récit qui en est fait ainsi que la simple fiction.

Sur le plan plus spécifique de l’histoire au sens de history (et non pas de story), un tel thème nous rappelle qu’il ne faut jamais perdre de vue que nous ne connaissons jamais les événements en eux-mêmes. Nous sommes confrontés aux événements, nous les re-lisons et ils nous façonnent. Ainsi notre regard n’est toujours que partiel. Aucun historien, pas même le meilleur n’échappe à cela; et qu’il soit de l’antiquité ou des temps modernes n’y change rien (même s’il est évident que, de façon générale, les écrivains bibliques ne font pas de l’histoire au sens de l’historiographie moderne). L’histoire telle que nous la percevons est toujours relative et implique celui qui cherche à l’écrire, à la lire. Mais cela veut-il dire que le récit cesse alors d’être crédible et digne de confiance?

L’histoire – et donc le texte qui se propose d’en rendre compte – serait-elle, par excellence, le lieu du soupçon?

Au contraire. Dans la pensée biblique (puisque nous nous intéressons, ici, avant tout au texte biblique), l’histoire est le lieu privilégié de la révélation de Dieu. Dieu est le Dieu de l’Alliance. Il parle à et chemine avec son peuple. Parler de l’histoire, c’est parler de cette relation et de ses méandres. C’est pour cela que la distinction entre récit historique et fiction est importante et que l’enjeu est de taille. En effet, dire qu’un récit biblique est une fiction, c’est dire qu’il présente la manière par laquelle Dieu pourrait agir dans l’histoire. Le recevoir comme récit historique, s’il se présente comme tel, c’est reconnaître que Dieu a agi ainsi dans l’histoire et que le texte se fait porte-parole de l’« agir » divin.

Finalement, le thème « Texte et historicité » nous a rappelé également que le monde – et donc le cours des événements – n’est pas un système clos dans lequel aucun acte fondamentalement nouveau ne pourrait avoir lieu. Il a été aussi l’occasion de préciser, au milieu de toutes les voix qui s’élèvent, de toute part, pour crier qu’il est devenu impossible de croire en l’histoire, qu’effectivement, nous ne sommes pas appelés à croire en l’histoire mais en Dieu, le Dieu trinitaire, Souverain Maître de l’histoire et du monde qu’il a créé.

Il y aurait, bien sûr, encore d’autres choses à dire, avec plus de finesse, de rigueur, en mentionnant les auteurs qui, lors de ce colloque, ont été cités, commentés, voire convoqués! Mais je m’arrête là, espérant que ces « libres pensées » vous auront donné envie de vous plonger dans les Actes, qui vous donneront les indications et la science que vous n’avez pas trouvés ici.

Frédéric Hammann

1 A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons le décès subit du professeur Carsten P. Thiede, survenu le 14 décembre 2004, à l’âge de 52 ans. Au nom du Conseil des Professeurs de la Faculté, nous exprimons notre vive émotion suite au départ de ce grand spécialiste des questions qui étaient au cœur du Colloque et qui était aussi un homme d’une grande humanité. Que ce soit en papyrologie, au sujet de la datation des textes de la communauté de Qumran ou encore sur diverses questions relatives à la naissance du Nouveau Testament, la contribution de celui qui était Directeur de l’Institut de recherche épistémologique fondamentale de Paderborn (Allemagne) est et restera incontournable.

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MÉDITATION : Jésus face à la mort de Lazare et à sa propre mort http://larevuereformee.net/articlerr/n234/meditation-jesus-face-a-la-mort-de-lazare-et-a-sa-propre-mort Thu, 11 Nov 2010 19:00:36 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=297 Continuer la lecture ]]> MÉDITATION

Jésus face à la mort de Lazare et à sa propre mort

(Lectures bibliques: Jean 11.32-44, 12.20-33)

Frédéric HAMMANN*

Vivre et mourir

Apprendre à vivre, apprendre à mourir

Qui et que suis-je face à ma propre mort?…

En ces jours de mars, nous sommes en chemin vers le Vendredi-Saint et Pâques, et je vous propose ce matin, pour notre méditation, de nous arrêter quelques instants sur le trouble et la souffrance de Jésus de Nazareth dans les textes que nous venons d’entendre.

Jésus est en marche vers Jérusalem. Il se dirige vers sa mort en sacrifice sur la croix. Il sait ce qui l’attend. Dans l’évangile de Jean – et c’est également le cas dans les synoptiques – la tension se fait de plus en plus perceptible et Jésus, le Christ, le Messie promis et attendu, est de plus en plus seul. Les foules sauront-elles dépasser le stade de l’étonnement et reconnaître en lui ce qu’il est vraiment? Quant aux disciples, leur foi est-elle suffisamment enracinée et mûre pour pouvoir affronter ce qu’ils vivront dans les jours à venir?

Jésus et les siens marchent vers Jérusalem. Pourtant ce n’est pas dans la grande ville – ou à peine hors de ses murs, sur la colline de Golgotha – que le Christ va être confronté à la mort de façon toute particulière. C’est à Béthanie, à quelques kilomètres de là.

Vous connaissez probablement le récit. Lazare est malade et Jésus, averti, reste encore deux jours à l’écart, disant à ses disciples que cette maladie est non pas pour la mort mais pour la gloire de Dieu…

Quand enfin il arrive, il est trop tard, du moins aux yeux de tous. Lazare est mort. Et face à la souffrance et la peine, Jésus est troublé et pleure.

Les termes utilisés pour décrire l’attitude et les sentiments de Jésus sont divers, étonnants, et certains semblent exprimer une sorte d’irritation, presque de colère. C’est un trouble intérieur très grand, mêlé à une peine bien réelle. [Verset 33: enebrimèsato tooi pneumati (il frémit / fut courroucé / fut violemment ému en son esprit); etaraxen heautooi (fut troublé en lui-même). Verset 35: pleura, emploi de dakruein, alors que les pleurs de Marie et des Juifs sont rendus par le verbe klaiein.]

Comment interpréter cela? Que veulent dire ce trouble, ces pleurs?

Les réponses divergent, mais s’excluent-elles vraiment?

Pour les uns, Jésus est peiné par le manque de foi de ceux qui sont là, autour de lui: « Ah, si tu avais été là! » « Il a guéri l’aveugle, ne pouvait-il rien faire pour son ami? » Jésus de Nazareth est-il donc irrité par ces hommes et ces femmes qui n’ont toujours pas compris qui il est réellement?

Pour d’autres, c’est bien Lazare, son ami, qu’il pleure. Mais le Fils de l’homme peut-il vraiment pleurer la mort de Lazare alors qu’il sait ce qu’il est sur le point d’accomplir? N’a-t-il pas déclaré que cette maladie, et donc son dénouement, était pour la gloire de Dieu?

Pour d’autres encore, le trouble du Christ – voire sa colère – est dirigé contre la mort elle-même; cette ennemie qu’il est venu combattre. Face au tombeau de Béthanie, c’est à sa propre mort, imminente, que le Fils de l’homme est renvoyé…

Quelque temps après, à Jérusalem, alors que, cette fois, l’heure est venue, le trouble réapparaît. [12.27: nun hè psuchè mou tetaraktai (verbe identique à celui de 11.33).] « Maintenant mon âme est troublée. Que dirais-je?… Père, sauve-moi de cette heure? Mais c’est pour cela que je suis venu… » Ainsi l’angoisse, voire l’hésitation, ne furent pas uniquement présentes dans la nuit de Gethsémané. Illustration non pas d’une communion rompue entre le Père et le Fils, mais preuve s’il en est que, dans son humanité, Christ est vraiment l’un des nôtres, jusque dans la confrontation avec la mort; même si, alors qu’il prend sur lui la condamnation du genre humain, sa situation est – et que Dieu en soit loué! – unique.

Jésus pleura. Ne voyons pas là seulement une irritation provoquée par le manque de foi de certains. Bien sûr, l’heure approche et l’ultimatum du Maître, le « Crois seulement! », devient plus pressant que jamais; mais, devant le tombeau de Béthanie, le Fils de l’homme est face, non pas uniquement à la non-foi des uns, mais à son obéissance active et totale à la volonté du Père.

« Vivre et mourir… fin de vie et accompagnement. »

Toutes nos paroles face à la souffrance et à la mort seront toujours partielles et souvent maladroites. Mais à la lumière de ce que le Christ a lui-même vécu et accompli, une parole est possible. Parole de foi, d’espérance et de reconnaissance. En Christ et en lui seul, la mort n’est pas l’absurde absolu ni la Fin. La question est alors de savoir ce vers quoi nous portons notre regard. Est-ce vers la fin de cette vie présente, avec parfois l’angoisse d’une éventuelle déchéance, ou est-ce vers la vie que nous avons en lui, par lui et pour lui?

Dans les deux récits que nous avons lus, Jésus est certes confronté à sa propre mort, mais il ne cesse d’être le Bon Berger, le Maître, le pédagogue par excellence, qui se soucie de nous.

Les textes le disent clairement: tout ce qui arrive est destiné avant tout à la foule. En effet, à peine après avoir dit: « Otez la pierre! », Jésus lève les yeux au ciel, rend grâce à Dieu en disant qu’il savait que son Père l’exauce toujours et il précise que c’est pour la foule que cela a lieu. Ensuite seulement, il ordonne à Lazare de sortir. Extraordinaire! Au moment où tous – désemparés peut-être, curieux assurément – doivent avoir les yeux rivés sur le tombeau, ceux du Rédempteur ont déjà quitté cette horizontalité pour s’élever vers le Créateur. Image cinglante de la petitesse de notre foi en regard de la communion entre le Père et le Fils…

Il en va de même au chapitre 12. Quand la voix résonne du ciel, Jésus dit: « Ce n’est pas à cause de moi que cette voix s’est fait entendre; c’est à cause de vous. »

Pour conclure, une chose est sûre: nous sommes-là en présence du Médiateur, vrai homme et vrai Dieu. Il sait de quoi nous sommes faits et connaît notre peu de foi, mais ses larmes expriment une sympathie – au sens le plus fort – bien réelle, de même que l’est aussi son trouble alors qu’il marche vers sa mort, sa mort sur la croix. Mais, heureusement, et sinon nous ne serions pas là, au Vendredi-Saint a succédé le matin de Pâques. Alors, n’oublions jamais qu’il est, lui, l’accompagnant par excellence et que, par grâce, dans la foi, nos vies sont en lui, dès aujourd’hui et pour toujours.

Amen!

* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Le langage et le style oraux ont été volontairement maintenus.

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Anatomie d’une polémique : calvinistes, arminiens et le salut http://larevuereformee.net/articlerr/n236/anatomie-dune-polemique-calvinistes-arminiens-et-le-salut Sun, 07 Nov 2010 17:35:55 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=278 Continuer la lecture ]]> ANATOMIE D’UNE POLÉMIQUE:
CALVINISTES, ARMINIENS ET LE SALUT

Frédéric HAMMANN*

« Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort? » Voilà la question par laquelle s’ouvre le Catéchisme de Heidelberg1, œuvre datant de 1563 et qui, depuis, se dresse comme un véritable symbole – au sens double du terme! – de la foi réformée.

L’objectif de la présente contribution se veut modeste et consiste essentiellement en un rappel de quelques temps forts, textes ou événements, de l’histoire de l’Eglise, qui furent décisifs pour sa compréhension du salut. Tout au long de notre cheminement qui, précisons-le d’emblée, sera thématique et non pas chronologique, nous nous efforcerons de proposer quelques pistes de réflexion et d’analyse visant à souligner la finesse et la portée de notre thème. Nous aurons également le souci de mettre en lumière le caractère éminemment pastoral et pratique des questions qui vont nous occuper.

Une fois encore nous constaterons que la théologie, au même titre que l’Eglise, se vit et se développe en son temps, elle s’incarne dans les questionnements et les enjeux de l’époque qui est sienne même si, comme nous le verrons particulièrement avec notre thématique, une forte continuité existe à travers les âges, signe à la fois de la fidélité du Dieu de l’alliance et du bien pâle « progrès » de l’être humain empêtré dans ses contradictions et sa nature pécheresse.

Par nos haltes aux carrefours de l’histoire, nous aborderons les notions d’« assurance » et de « persévérance ». Nous esquisserons, ensuite, une synthèse théologique et pastorale, avant de conclure.

A) L’assurance, premiers jalons

Revenons à notre citation du Catéchisme de Heidelberg et posons-nous la question de savoir quelle est cette assurance qui est mise en exergue. La réponse à cette première interrogation montrera clairement dans quel état d’esprit la Réforme du XVIe siècle a parlé de persévérance des saints et d’assurance du salut. Dans la version française mentionnée ci-dessus, le terme « assurance » traduit l’original allemand Trost (Was is dein einiger Trost?)2. En réalité, le mot Trost se traduit généralement par « consolation » et le verbe trösten signifie en premier lieu « consoler », « réconforter »3. Notre propos n’est pas de savoir si la traduction française donne le meilleur reflet de l’original, mais de mettre en garde contre une interprétation hâtive que le terme « assurance » pourrait facilement induire chez le lecteur du XXe et du XXIe siècle4. Le Catéchisme ne parle pas d’une assurance dans la foi qui ressemblerait à de l’orgueil ou flirterait avec la suffisance. Non, ce joyau de la pensée réformée place, dès la première ligne, le chrétien face à cette réalité extraordinaire: le désespoir ou l’angoisse n’ont pas de raison d’être, car Dieu a placé notre vie en Christ et le Saint-Esprit lui-même nous assure la vie éternelle. L’assurance dont il s’agit s’enracine dans l’œuvre de Dieu et non pas dans la décision – ou l’indécision – humaine.

Ainsi, quand la théologie réformée parle d’assurance du salut5, elle rappelle que la foi peut être sereine et confiante, car Dieu sait ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Quelle consolation plus grande pourrions-nous désirer?

Cette dimension pastorale est encore accentuée par le choix que représente cette première question. En effet, alors que la plupart des autres catéchismes ou confessions de foi de la Réforme commencent par parler du Dieu Créateur, celui de Heidelberg met en avant le salut, ou plutôt celui dont nous avons tout à recevoir, le Christ, par qui et pour qui tout a été créé (Col 1.16b)6.

C’est, bien sûr, dans un contexte de polémique avec l’Eglise catholique romaine que la Réforme a développé et souligné l’importance de la doctrine de l’assurance du salut. Dans le cadre limité de cette étude et au-delà des abus manifestes de l’Eglise romaine du début du XVIe siècle, notamment avec la question du purgatoire et des indulgences, notons simplement le fait que, dans la théologie catholique, la foi n’est jamais certaine et ferme au sens où l’entend la théologie réformée et que, même si « la foi est un don gratuit que Dieu fait à l’homme. Nous pouvons perdre ce don inestimable. »7 A ce propos, une réflexion approfondie montrerait qu’à travers l’usage de certains termes clefs parfois communs, deux conceptions théologiques fort différentes se développent!

Nous reviendrons ci-dessous sur quelques aspects de la conception de la certitude de la foi dans la pensée de Calvin; au terme de cette première partie, rappelons une fois encore qu’il ne s’agit là ni d’insolence ni de témérité mal placée, mais de la reconnaissance de la fiabilité de Dieu et de ses promesses. Sans cet unique et solide fondement, notre foi ne pourrait résister aux doutes, aux inquiétudes et aux tentations qui nous assaillent et nous épouvantent naturellement8.

B) La persévérance, repères historiques

Si le fait de choisir le Catéchisme de Heidelberg comme point de départ pour notre brève réflexion sur la notion d’assurance revêtait un caractère quelque peu arbitraire, il nous semble, en revanche, inévitable de traiter la question de la persévérance finale à l’aide des Canons du Synode de Dordrecht.

Là encore, l’histoire s’impose à nous, mais cette fois avec une différence de taille. En effet, si le Catéchisme reflète les controverses de son époque, que ce soit face à l’Eglise catholique romaine, comme nous l’avons mentionné, ou dans le cadre des débats luthéro-réformés, il n’en demeure pas moins une œuvre visant à exposer de façon essentiellement positive le contenu général de la foi réformée. Cela ne peut pas être dit, du moins pas de la même manière, des Canons de Dordrecht.

Petit rappel. Le synode qui s’est tenu à Dordrecht, aux Pays-Bas, de 1618 à 1619, eut pour enjeu la question capitale de savoir si la sotériologie (doctrine du salut) telle que l’avait définie la théologie réformée, notamment calvinienne, était légitime, biblique, et devait par conséquent être maintenue ou si, au contraire, une autre approche devait être préférée, approche privilégiant la liberté humaine et la participation de l’homme à son salut. Les Canons de Dordrecht sont donc issus d’un contexte de tension et de lutte ayant pour objet l’attestation de l’orthodoxie réformée ou sa remise en question. Au premier groupe est généralement lié le nom de Jean Calvin et au second celui de Jacob Arminius. Remarquons d’emblée que les deux hommes sont morts avant le synode: Calvin depuis plus de cinquante ans et Arminius depuis neuf ans!9 Ainsi, à Dordrecht, ce n’est non pas deux hommes qui s’affrontent mais deux conceptions théologiques, deux compréhensions différentes prétendant faire justice à l’unique Evangile biblique. Arminius, alors pasteur de l’Eglise réformée à Amsterdam puis professeur à l’Université de Leyde, avait émis des réserves touchant à la doctrine de la prédestination, à l’efficace de la grâce divine telle que l’explicitait la doctrine calvinienne ainsi que, entre autres, à la notion de persévérance des saints (c’est-à-dire des élus, de tout chrétien dont la foi est véritable)10. Son désir n’était pas tant de renverser ces doctrines que de les reformuler. Cependant, des différences essentielles ne tardèrent pas à apparaître. Déjà de son vivant, un « parti » se forma autour de lui et, en 1610, soit un an après la mort d’Arminius, ce groupe composé essentiellement de pasteurs déposa auprès des autorités de l’Eglise réformée une Remontrance11, c’est-à-dire un document critiquant un certain état de fait ou certaines idées et demandant instamment un changement de situation.

C’est à la suite de ce document, constitué de cinq articles, que le Synode national de Dordrecht fut convoqué et qu’il publia, le 6 mai 1619, son « Jugement officiel sur les cinq points doctrinaux controversés »12, document qui, en français, reçut le titre de Canons de Dordrecht13.

L’objectif de cet historique est de souligner le caractère particulier des Canons de Dordrecht. Ceux-ci non seulement sont limités dans leur thématique – à savoir la sotériologie, et ne proposent donc pas une exposition générale de la foi chrétienne – mais sont en plus tributaires de la Remontrance qui les a suscités, puisque, jusque dans leur forme, les Canons reprennent globalement la structure des cinq articles du texte des partisans de la doctrine arminienne.

Ne nous méprenons pas cependant! En disant ce qui précède, nous ne limitons ni la justesse de la théologie exprimée par les Canons, ni ne cherchons à l’enfermer dans un cadre historique ou géographique particulier. Il s’agit simplement de reconnaître l’aspect très particulier du Sitz im Leben de ce monument de la foi réformée et de se poser la question suivante: en respectant la structure de la Remontrance afin de mieux en réfuter le contenu, les auteurs des Canons ont-ils pu exposer la pensée réformée en en respectant le mouvement fondamental et en évitant le risque de la pensée abstraite et théorique? Le fait que le premier chapitre traite de l’élection inconditionnelle de Dieu et que le chapitre – au demeurant superbe – sur la persévérance des saints et la consolation toute pastorale qui y est liée trouve sa place à la fin du document peut laisser songeur… Là aussi, une étude plus approfondie serait nécessaire!

Si cette interrogation semble légitime, la nécessité – chaque jour renouvelée – de souligner la catholicité de ce texte de foi l’est tout autant. A ceux qui pensent que le débat est définitivement dépassé ou qu’il faut être Hollandais pour pouvoir entrer dans une telle problématique (propos entendu parfois!), nous rappelons que le Synode de Dordrecht a rassemblé, à côté des pasteurs et laïcs néerlandais, des théologiens venus notamment de Grande-Bretagne, du Palatinat, de Hesse, de Suisse, de Genève et de Brême, ce qui permet à O. Fatio de dire « [qu’]avec cette participation étrangère, le Synode de Dordrecht apparaît comme une sorte de concile général des Eglises réformées »14. Notons encore que plusieurs de ces théologiens étrangers prirent une part active dans la rédaction des Canons et que, dès 1619, une traduction française en fut faite.

Une chose est sûre: cette mobilisation européenne souligne l’importance et l’enjeu du débat. Il est donc temps d’exposer, même brièvement, le contenu des cinq articles de la Remontrance et de la réponse synodale.

Le premier article traite de la cause de l’élection divine. Pour les arminiens, l’élection est conditionnelle et repose sur la prescience que Dieu a de la conversion et de la foi des croyants (Dieu élit ceux dont il sait qu’ils croiront). Selon la pensée réformée réaffirmée à Dordrecht, l’élection gratuite de Dieu a pour seule cause le bon plaisir de Dieu et ne présuppose aucune attitude ou capacité particulière chez les élus.

Dans le deuxième article, les partisans d’Arminius expliquent que, à la suite de l’œuvre de Christ sur la croix, la réconciliation est offerte indistinctement et de façon identique à tout être humain. Les Canons affirment, quant à eux, qu’en Christ le salut est acquis et non simplement offert. L’orthodoxie réformée parle donc d’une réconciliation définie15 et précise avec raison que, dans la perspective arminienne, Christ est susceptible d’être mort pour tous comme… pour personne!

En troisième lieu, la Remontrance affirme que l’homme ne peut pas trouver en lui-même la foi salvatrice, que le libre arbitre ne suffit pas et que ce n’est que par l’œuvre de la grâce que l’homme peut être régénéré et uni à Christ. A ce niveau-là, il faut reconnaître que la position réformée n’a pas beaucoup à redire, si ce n’est à propos de la mention (notoire!) du libre arbitre; c’est probablement pour cette raison que les Canons traitent des articles III et IV au sein d’un unique chapitre. Le quatrième article concerne, en effet, la question de l’efficacité de la grâce divine. La théologie arminienne reconnaît la nécessité de la grâce, mais soutient que l’homme peut résister à cette dernière, même dans le cas où Dieu voudrait le régénérer. Face à ces deux articles, les Canons rappellent que la nature humaine, à la suite du péché originel, est totalement corrompue, ce qui non seulement implique une dimension quantitative (le péché touche tout l’homme), mais également une dimension qualitative (l’homme déchu n’est pas spirituellement affaibli mais spirituellement mort). Il ne peut donc être question de libre arbitre ni de résistance à la grâce, qui mettraient en péril la volonté divine16.

Finalement, le cinquième article concerne la persévérance des saints. Ce qui précède permet déjà de comprendre que pour les arminiens, l’œuvre expiatoire du Christ rendant le salut accessible à l’être humain, celui-ci n’ayant plus qu’à le saisir, la possibilité que l’homme perde ce salut doit être maintenue. Pour l’orthodoxie réformée au contraire, Christ ayant acquis le salut pour les élus, ceux-ci ne peuvent déchoir totalement de la grâce. Ainsi, même dans leurs chutes, leurs doutes et leurs désobéissances, ceux que Dieu connaît par leur nom ne peuvent tomber au point de perdre la grâce de l’adoption et l’état de justification.

Malgré des énoncés théologiques probablement peu familiers au chrétien du début du IIIe millénaire, l’Eglise d’aujourd’hui ne peut pas faire l’économie d’une juste compréhension de ce débat et de ses enjeux puisque – qu’elle en soit consciente ou non – sa pastorale, son évangélisation et sa prédication en seront inévitablement le miroir.

Comment se fait-il que les Eglises réformées européennes d’alors aient saisi cela avec une telle acuité?

C) A la différence des êtres humains, les idées ne meurent guère

Pour être complète, la réponse à la question posée ci-dessus devrait revêtir plusieurs facettes. Nous n’en retiendrons pourtant qu’une seule, le sens de la tradition. Par cette expression, nous faisons référence à la connaissance de l’histoire de l’Eglise et de la théologie qu’avaient alors les théologiens et les pasteurs réformés – faut-il ajouter à cette liste les communautés elles-mêmes? -, connaissance découlant du souci qu’eut la Réformation du XVIe siècle de se définir non pas comme une nouveauté, mais comme une réappropriation de la foi des origines en se plaçant dans la fidélité et la continuité de l’Eglise des premiers siècles.

Ainsi, quand Arminius développa sa pensée, le souvenir d’un certain Pélage ne tarda pas à resurgir; c’est là, vraisemblablement, une des principales raisons qui permirent à l’Eglise réformée des Pays-Bas de réagir avec discernement.

­Pélage et Augustin

C’est au Ve siècle qu’eut lieu, principalement au sein de l’Eglise d’Occident, une des plus décisives controverses touchant au rapport de l’homme à Dieu. Les deux figures emblématiques d’alors furent Pélage et Augustin.

Pélage, moine originaire de Grande-Bretagne, installé à Rome à la fin du IVe, puis en Afrique du Nord au début du Ve siècle, poursuivait un idéal ascétique très exigeant et affirmait que Dieu avait créé l’homme pour qu’il accomplisse, de façon parfaite, tous ses commandements et que rien ne pouvait empêcher la nature humaine de réaliser cette finalité. Ainsi, puisque la perfection était possible pour l’homme, elle devenait « obligation »17. Faisant écho à de fortes aspirations de la société de l’Antiquité tardive, la pensée de Pélage connut un grand retentissement et ce, d’autant plus que Pélage a su s’attirer d’éminents protecteurs! L’idée centrale du « système pélagien » consiste à dire que l’homme est libre et capable de répondre aux exigences que lui adresse son Créateur. Comme le dit P. Brown, « le pélagianisme avait touché une fibre profonde: le besoin pour l’individu de se définir lui-même et de se sentir libre de créer ses propres valeurs au milieu des conventions et des aspects médiocres de la vie de société »18.

Dans une telle perspective, la Chute en Adam se réduisait à la chute d’Adam. La faute du premier homme n’était qu’un mauvais exemple pour les générations à venir et n’impliquait nullement l’ensemble de la nature humaine; celle-ci restait à même d’accomplir la volonté divine et, par conséquent, devait s’empresser de le faire. Il est, dès lors, évident que, dans une telle approche, l’ensemble de la foi chrétienne et des doctrines qui la définissent reçoit une nouvelle signification. A ce propos, G. Plinval mentionne que si Pélage n’hésite pas à conserver les termes classiques provenant du vocabulaire biblique, tels que prédestination, appelés, élus, « il les enlève de la sphère des volontés impénétrables de Dieu pour les faire entrer dans le domaine de l’activité libre de l’homme, adaptant ainsi ces termes de théologie à une morale essentiellement pragmatique »19.

Par rapport à notre thématique, il est intéressant de remarquer que cette anthropologie défendue par Pélage permet à ce dernier de mettre en avant une certitude absolue, une assurance du salut, par la voie d’une obéissance absolue. Certes l’homme pèche, disait Pélage, mais il est capable d’accomplir son salut par lui-même. Nous sommes face à un monergisme humain, l’homme seul assurant son salut20.

Cette approche de la foi chrétienne apparut rapidement dramatique à Augustin, alors évêque d’Hippone; aussi déploya-t-il toute son énergie et sa science théologique pour montrer les conséquences que les positions de Pélage impliquaient nécessairement, tant sur le plan de la souveraineté de Dieu, de l’œuvre du Christ et de la vie chrétienne. Contre la logique de Pélage et, surtout, de ses disciples21, Augustin opposa la grâce de Dieu, en affirmant que l’homme avait tout à recevoir de Dieu et que, à la suite du péché originel, il ne pouvait être question de libre arbitre. Augustin défendit donc un monergisme divin.

Face à Pélage qui, de peur qu’il ne serve à rien d’exhorter les gens à entreprendre une tâche qui leur paraîtrait impossible à accomplir, affirme la valeur de la nature humaine et sa capacité à accomplir la volonté de Dieu, Augustin rétorque en ne reconnaissant qu’une seule obéissance effective, efficace et suffisante, celle de Jésus de Nazareth tout au long de sa vie terrestre et de sa Passion. C’est donc uniquement dans l’union avec le Christ mort et ressuscité que le croyant pourra recevoir les exhortations de l’Evangile et grandir dans la sanctification.

Le pélagianisme fut progressivement condamné par l’Eglise. En 418, le Synode de Carthage en rejeta certaines thèses, puis, en 431, le Concile d’Ephèse le condamna dans son ensemble.

Officiellement la question était close.

Toutefois, si le monergisme humain ne fit pas de véritable réapparition, une conception médiane ne tarda pas à se développer, parfois incidemment, parfois ouvertement. Cette position affirme qu’il y a, dans l’œuvre du salut, collaboration entre Dieu et l’être humain, chacun assumant une part de responsabilité. Cette doctrine reçut le nom de synergisme, « action commune ». Les défenseurs de cette pensée théologique reconnaissaient que la grâce divine était indispensable, mais affirmaient que l’homme demeure acteur de son salut. Sans pour autant devenir la doctrine de l’Eglise, restée officiellement augustinienne, cette media via fut, sous le nom de semi-pélagianisme, assez largement répandue tout au long des siècles; sa force réside probablement dans le fait qu’elle apparaissait – et apparaît toujours! – bien moins choquante à la raison humaine et semblait, à première vue, offrir une sorte de synthèse du donné biblique.

Après que la Réforme calvinienne, dans son souci de fidélité à l’Ecriture, eut réaffirmé que Dieu seul est l’auteur du salut et que la foi est fondamentalement don de Dieu, la résurgence du semi-pélagianisme à travers la pensée arminienne n’est somme toute pas très étonnante.

Augustin et Pélage, Calvin et Arminius… Contrairement aux hommes, les idées ne meurent guère!

D) Entre objectivité et subjectivité…

En se dressant comme la pointe d’un iceberg, les doctrines de l’assurance du salut et de la persévérance des saints révèlent la sotériologie et l’anthropologie si caractéristiques de la pensée réformée et mettent en perspective les différentes confessions chrétiennes22. Dans ce qui précède, nous nous sommes efforcé d’exposer le fait que la persévérance dans la foi et l’assurance du salut ne peuvent exister que parce que leur fondement est en Dieu, lui en qui il n’y a pas ombre de variation. Nous avons donc souligné le caractère objectif de ces deux réalités. Cependant, nous ne pouvons pas terminer cet article sans parler également de ce que nous appellerons la dimension subjective. Par cette expression, nous qualifions la conscience que le croyant a, ou peut avoir, de cette assurance de la foi et de la confiance en sa persévérance. Il nous faut donc distinguer entre ce sur quoi cette assurance repose, à savoir les promesses et l’œuvre de Dieu – qui sont oui et amen en Christ – et la perception que nous en avons. Comme le dit le théologien John Murray: « Les fondations sur lesquelles repose le salut sont tout aussi sûres pour la personne qui n’a pas une pleine assurance [de son salut] que pour la personne qui l’a. »23

Nous touchons là à quelque chose de très important, tant sur le plan de l’expression de la doctrine que sur celui de la pastorale. Car si « cette assurance n’est pas une simple conjecture ou une opinion probable établie sur un espoir douteux, mais une infaillible certitude de foi… », comme le dit la Confession de foi de Westminster, cette assurance infaillible n’appartient pas pour autant à l’essence de la foi24. Autrement dit, le croyant peut normalement avoir l’assurance de son salut – l’adverbe signifiant que cette assurance fait partie des bienfaits que le Saint-Esprit lui applique par l’entremise de la Parole et des moyens de grâce – qui n’est donc pas le fruit d’une révélation extraordinaire; mais il est tout autant légitime de reconnaître qu’un vrai croyant peut attendre longtemps et se battre avec maintes difficultés avant de goûter à cette assurance25. Une fois de plus, nous percevons là la dimension profondément pastorale de la théologie réformée, qui ne se place pas sur le terrain d’une logique abstraite et implacable, mais s’adresse au fidèle dans la réalité de son quotidien. L’assurance du salut ne peut être qu’une assurance de foi et ne peut, par conséquent, que se déployer dans le cadre d’une communion vécue avec le Rédempteur. En d’autres termes, le croyant, lors d’une période de doute et d’incertitude, n’a pas à remettre en question la réalité de l’œuvre de Christ à son égard, mais est appelé, au contraire, à s’appuyer d’autant plus sur celui qui est l’auteur de la foi et qui la mène à son accomplissement, selon la parole de l’épître aux Hébreux.

Cependant, cette distinction entre les dimensions objective et subjective du salut ne doit pas nous faire perdre de vue l’unité qui existe entre elles; unité ne signifiant pas « déduction logique absolue ». Voilà pourquoi Calvin, lorsqu’il traite de la façon dont le fidèle peut grandir dans cette assurance, met l’accent sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit, sur l’obéissance aux commandements divins et sur l’importance d’un examen de conscience humble et honnête. C’est cette même « unité » qui permet au Catéchisme de Heidelberg de répondre à la question de la finalité des œuvres bonnes en affirmant que nous devons les faire, entre autres « … afin que nous puissions aussi être nous-mêmes assurés de notre foi par les fruits qu’elle porte »26. Cette manière de mettre en avant l’expérience de la vie chrétienne, à côté de l’objectivité du salut que Dieu a acquis pour ses élus, au cœur même de l’interrogation que le chrétien peut avoir quant à l’assurance de son salut, a été qualifiée de « syllogisme pratique »27. Dans le cadre de cette étude, nous souhaitons simplement remarquer que cet aspect de la doctrine – qui, utilisé avec prudence, nous semble légitime – rappelle à chaque chrétien que celui qui a l’assurance de son salut se voit ainsi invité à la cultiver, et que celui qui n’a pas cette assurance ne doit pas se décourager mais, au contraire, persévérer dans sa vie de foi et user avec droiture des moyens de grâce que sont la prédication de l’Evangile et les sacrements.

Conclusion

Arrivé au terme de notre cheminement, nous espérons avoir montré les racines et les enjeux de la controverse qui nous occupait tout en soulignant la possibilité, et même la nécessité – surtout dans le cadre d’une réflexion en langue française – d’études ultérieures afin d’appréhender toujours plus fidèlement l’œuvre de Dieu en Christ, de connaître l’héritage qui est le nôtre et d’apprendre à le traduire dans la vie de l’Eglise d’aujourd’hui. Il nous apparaît également, de façon claire, que tout ce qui vient d’être dit concernant les doctrines de l’assurance du salut et de la persévérance des saints souligne la finesse du rapport entre l’élection (qui dépend du décret éternel de Dieu) et l’alliance de grâce (qui s’inscrit dans la durée et de laquelle l’homme est un partenaire actif). Par conséquent, ce n’est que dans une juste mise en perspective de ces deux réalités que sont l’élection et l’alliance de grâce, perspective faite de continuité et de distinction, qu’il est et sera possible de maintenir les deux doctrines qui nous ont occupés, tout en prenant au sérieux les nombreux avertissements et les exhortations de l’Ecriture qui font de tout chrétien un veilleur28.

C’est par la parole de l’apôtre Paul en 1 Corinthiens 10.12-13 que nous concluons: « … que celui qui pense être debout prenne garde de tomber! […] Dieu est fidèle et ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces; mais avec la tentation il donnera aussi le moyen d’en sortir, afin que vous puissiez la supporter. » Il y a là, en effet, et l’exhortation à la foi vécue, vigilante, et l’assurance/consolation qui repose sur le don parfait de Dieu.

1* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

Catéchisme de Heidelberg (Aix-en-Provence: Ed. Kerygma, 1986), 13.

2 Pour le texte original en allemand, voir Ph. Schaff, The Creeds of Christendom (Grand Rapids: Baker Books, 1993), vol. III, 307.

3 La même remarque peut être faite par rapport au néerlandais (les Pays-Bas peuvent être considérés comme la terre d’adoption du Catéchisme de Heidelberg!): le terme choisi dans les traductions est troost (consolation) et non pas zekerheid (assurance).

4 Remarquons que la traduction du Catéchisme présentée dans Confessions et catéchismes de la foi réformée, O. Fatio (éd.) (Genève: Labot & Fides, 1986), 135, dit: « Quelle est ton unique consolation… » De même pour les questions 52, 57 et 58.

5 Voir, entre autres, J. Calvin, Institution chrétienne (Kerygma/Farel, 1978), III, ii (tout le chapitre). Notons aussi que les expressions « assurance du salut » et « assurance de la foi » sont pratiquement synonymes. Pour un exposé fouillé de toute cette thématique, voir J.R. Beeke, The Quest for Full Assurance. The legacy of Calvin and his successors (Grand Rapids: The Banner of Truth Trust, 1999), passim.

6 Cette spécificité du Catéchisme de Heidelberg est bien soulignée par K. Exalto, De enige troost. Inleiding tot de heidelbergse catechismus (Kampen: Kok, 1979), 59ss.

7 Catéchisme de l’Eglise catholique (Paris: Mame/Plon, 1992), 46, § 162.

8 Cf. J. Calvin, op. cit., III, ii, 17.

9 J. Calvin (1509-1564), J. Arminius (1560-1609).

10 Sur la théologie d’Arminius, voir, par exemple, C. Bangs, Arminius. A Study in the Dutch Reformation (Grand Rapids: Zondervan Publishing House, 1985); E. Dekker, Rijker dan Midas. Vrijheid, genade en presdestinatie in de theologie van Jacobus Arminius (1559-1609) (Zoetermeer: Meinema, 1993); R.A. Müller, God, Creation and Providence in the Thought of Jacob Arminius (Grand Rapids: Baker Book House, 1991).

11 Il existe encore à ce jour aux Pays-Bas une union d’Eglises appelée Remonstrantse Broederschap, issue directement de ce débat théologique et de cette situation historique précise.

12 Selon le titre en latin du document original. Cf. J.N. Bakhuizen van den Brink (ed.), De Nederlandsche Belijdenisgeschriften (Amsterdam: Uitg. Holland, 1940), 218ss.

13 La version originale des Canons, comme celle des cinq articles de la Remontrance arminienne, se trouvent dans Ph. Schaff, op. cit., vol. III, 545ss.

14 O. Fatio (éd.), op. cit., 309.

15 Le terme « défini » nous paraît être plus adéquat que celui de « limité ». En effet, la doctrine calvinienne cherche non pas à limiter l’œuvre du Christ comme si celle-ci était imparfaite, mais, au contraire, à en montrer la perfection et l’efficace. L’adjectif « limité » découle du célèbre moyen mnémotechnique anglais TULIP (Total depravity; Unconditional election; Limited atonment; Irresistible grace; Perseverance of the Saints). Signalons, au passage, que la fameuse fleur du plat pays ne respecte pas l’ordre des trois premiers articles.

16 Il est important de comprendre que c’est au sujet de la régénération que la théologie réformée parle de la grâce irrésistible ou inamissible. Dire que la grâce de Dieu soit souveraine n’exclut pas que l’homme puisse, avant sa régénération ou même après celle-ci, résister à la grâce. Cependant, cette « résistance » n’est que temporaire et se déploie dans le cadre de la patience de Dieu et de la sanctification du croyant.

17 Pour l’ensemble de ce paragraphe, nous avons utilisé P. Brown, La vie de saint Augustin (Paris: Seuil, 1971), chap. 29, « Pélage et le pélagianisme »; J. Pelikan, La tradition chrétienne (Paris: PUF, 1994), vol. I, « L’émergence de la tradition catholique 100-600 », 306-346; G. Plinval, Essai sur le style et la langue de Pélage. Suivi du traité inédit « De l’endurcissement du cœur du pharaon » (Fribourg: Librairie de l’Université, 1947); Ph. Schaff, History of the Christian Church (Grand Rapids: Eerdmans, 1994), vol. III, « Nicene and post-Nicene Christianity », 783ss.

18 P. Brown, op. cit., 411.

19 G. Plinval, op. cit., 123.

20 En grec, mono-ergon: une seule action (dans notre contexte: un seul acteur).

21 J. Pelikan rappelle qu’il ne faut pas perdre de vue la différence entre Pélage et les pélagiens, et il précise que « Pélage lui-même manquait à un haut degré d’intérêt pour le dogme; Julien d’Eclane [contemporain et disciple de Pélage] jouait le rôle d’architecte du « dogme » pélagien et fut le dernier, et probablement le plus dangereux, des adversaires d’Augustin, et que Céleste [lui aussi fidèle disciple de Pélage], à ce qu’il semblait à Augustin, proclamait ouvertement ce qui était la doctrine secrète de Pélage », op. cit., 327-328. Cela met en évidence le fait que le souci de Pélage a été religieux et moral avant d’être « théologique »; mais cela illustre également les limites d’une telle distinction…

22 Rappelons qu’en développant ces doctrines, la théologie réformée souligne sa spécificité face à l’Eglise catholique romaine, à l’humanisme, au luthéranisme (dans une moindre mesure, cependant) et à ce que nous pourrions appeler « le mouvement évangélique arminien » (évangélique étant pris ici dans le sens « moderne et sociologique » et non comme qualificatif de « biblique »).

23 J. Murray, « The Assurance of Faith », in Collected Writings of J. Murray (Edinburgh: The Banner of Truth Trust, 1977), vol. II, 264-274, 270.

24 Ces deux affirmations se trouvent au chapitre XVIII: « L’assurance de la grâce et du salut ». Cf. Les Textes de Westminster (Aix-en-Provence: Kerygma, 1988), 34-35.

25 Sur l’ensemble de ces questions, le texte de la Confession de foi de Westminster, cité ci-dessus, est remarquable.

26 Question 86 (c’est nous qui soulignons).

27 Voir à ce propos K. Barth, Dogmatique (Genève: Labor & Fides, 1958), II.2* (vol. VIII de l’éd. française), 332ss.; J.R. Beeke, op. cit., 131-141; C. Graafland, « Van syllogismus practicus naar syllogismus mysticus », in W. Balke (red.), Wegen en gestalten in het gereformeerd protestantisme (Amsterdam: Ton Bolland, 1976), 105-122; C. Graafland, « Warheid in het binnenste », in Een vaste burcht voor de kerk der eeuwen (Kampen: Kok, 1989), 53-81; G.P. Hartvelt, Symboliek. Een beschrijving van kernen van christelijke belijden (Kampen: Kok, 1991), 199ss. Il est intéressant de voir que Hartvelt établit un parallèle entre un glissement (abusif) du syllogisme pratique et une certaine conception de l’œuvre du Saint-Esprit propre à la mouvance pentecôtiste contemporaine, et qu’il qualifie de Syllogismus pneumaticus.

28 L’importance de la distinction entre « alliance » et « élection » est très bien mise en lumière par J. van Genderen, Verbond en Verkiezing (Kampen: Kok, 1983), passim. Pour une interprétation des textes bibliques respectant la dimension d’avertissement, d’exhortation, tout en affirmant les doctrines de l’assurance et de la persévérance, voir par exemple G. Berkouwer, Faith and Perseverance (Grand Rapids: Eerdmans, 1958), chap. IV.

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LE RÔLE DE L’ÉCRITURE DANS L’IDENTITÉ PROTESTANTE (II) – Sola Scriptura : antidote contre l’isolement ! http://larevuereformee.net/articlerr/n239/le-role-de-l%e2%80%99ecriture-dans-l%e2%80%99identite-protestante-ii-sola-scriptura-antidote-contre-l%e2%80%99isolement Sat, 06 Nov 2010 19:59:12 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=261 Continuer la lecture ]]> LE RÔLE DE L’ÉCRITURE
DANS L’IDENTITÉ PROTESTANTE (II)
Sola Scriptura:
antidote contre l’isolement!

Frédéric HAMMANN*

Sola Scriptura, « l’Ecriture seule »! Impossible, nous semble-t-il, d’aborder la question de l’identité protestante sans nous arrêter quelques instants à cette célèbre formule. En effet, et bien qu’elle n’apparaisse finalement que rarement sous la plume des réformateurs, cette expression témoigne avec pertinence de la centralité accordée à la Bible dans la pensée de la Réforme, tant en matière de doctrine qu’en matière de vie quotidienne. Il n’est donc pas surprenant de trouver, dans de nombreux ouvrages ou articles traitant notamment de la théologie de Luther, un chapitre intitulé – tout simplement – Sola Scriptura1.

Afin de pouvoir définir le bagage identitaire que porte en elle cette formule, nous devons interroger les trois axes que sont:

– le contexte historique et théologique dans lequel cette affirmation de l’Ecriture seule s’est développée;

– la portée herméneutique de l’expression;

– sa pertinence pour aujourd’hui.

I. Ecriture et tradition: surgissement nouveau d’un débat déjà ancien

A travers la problématique du sola Scriptura, c’est toute l’articulation entre l’Ecriture et la tradition qui se retrouve projeté sur le devant de la scène ecclésiale des premières décennies du XVIe siècle. Avant d’esquisser les grandes lignes de ce débat, rappelons d’emblée cette vérité fondamentale – pourtant ignorée de trop de protestants – selon laquelle les réformateurs2, par leur affirmation de la centralité et de la suffisance de l’Ecriture, n’ont jamais exprimé un refus de la tradition en tant que telle. La question n’est donc pas de savoir si nous pouvons nous passer de la tradition, mais plutôt de déterminer quelle est la définition de sa nature et de son statut.

Ainsi, déjà au XVIe siècle, nous avons affaire non pas à une formule qui isole, qui éloigne le croyant de l’Eglise, mais à une mise en perspective, à une clarification essentielle de ce qui fait autorité et est normatif. Et qui dit autorité dit relation et hiérarchie; des concepts très éloignés de celui d’« isolationnisme ».

Nous avons ci-dessus mentionné la « suffisance » de l’Ecriture. Cette notion nous permet d’expliciter davantage la tension et l’incompréhension qui ne feront que s’accentuer entre la pensée réformatrice, d’une part, et les autorités de l’Eglise catholique romaine, d’autre part. Effectivement, et comme l’explique très bien l’historien H. Oberman dans un article au titre fort évocateur3, c’est autour de la notion de la suffisance de l’Ecriture que l’évolution du rapport et de l’articulation entre Ecriture et tradition s’est cristallisée. Selon Oberman, l’Eglise des premiers siècles considère que l’Ecriture contient l’intégralité (in toto) du kérygme, de la révélation divine. Pour les Pères, la tradition ne peut donc, en aucun cas, être comprise comme révélation extra-biblique4. Ecriture et tradition coexistent alors dans une sorte de convergence mutuelle, la seconde n’étant que l’interprétation et l’application contextuelle du contenu de la première. A la suite d’Oberman, appelons cette position « tradition I ».

C’est durant le Moyen Age, probablement à partir de la fin du IVe siècle, que la situation se modifie radicalement – bien que progressivement – suite à l’émergence d’un concept nouveau, celui de traditions orales et post-apostoliques faisant, elles aussi, pleinement autorité5. Les tenants de cette nouvelle compréhension de l’articulation entre Ecriture et tradition ne rejettent pas explicitement la suffisance matérielle de l’Ecriture (celle-ci contient toute la révélation divine), mais insistent sur son insuffisance formelle (l’Ecriture, étant obscure en elle-même, ne peut être authentiquement interprétée que par l’autorité ecclésiale). Non seulement la tradition devient nécessaire et déterminante pour que le sens de l’Ecriture soit révélé mais, de plus, elle devient le lieu où les « silences » du texte biblique sont comblés et leur contenu dévoilé. Cette position, qui a parfois recours à Jean 20.30 pour fonder sa légitimité, est appelée par Oberman « tradition II »6. Signalons encore que cette conception de la tradition s’est largement répandue dans l’Eglise médiévale, jusqu’à devenir la théorie selon laquelle la révélation divine est constituée de deux éléments: l’Ecriture (Parole de Dieu écrite) et la tradition (l’ensemble des traditions orales et extra-bibliques). Sans entrer dans le débat de savoir s’il est légitime de parler d’une « théorie des deux sources », toutes deux revendiquant la même origine divine, il est néanmoins clair qu’une telle position ne peut que relativiser fortement l’autorité et la portée de l’Ecriture, puisque celle-ci n’est qu’une facette de la révélation divine, le magistère de l’Eglise étant de plus nécessaire à l’intelligibilité de son contenu.

Après avoir exposé ce que nous venons de mentionner, Oberman poursuit en disant que le sola Scriptura, qui se trouve à la base de la théologie de Luther, n’est pas un rejet de la tradition de l’Eglise, mais le signe que son entreprise théologique et réformatrice se déploie dans le contexte de la « tradition I », alors que toute l’Eglise à laquelle il s’adresse a adopté la perspective de la « tradition II »7.

Pour terminer cette première partie de notre étude, remarquons que, notamment sous les assauts du mouvement réformateur, l’Eglise a été poussée à préciser officiellement le rapport entre Ecriture et tradition. Comme le dit Marc Lienhard:

« Luther n’était, certes, pas le premier à recourir à l’Ecriture sainte pour critiquer l’Eglise établie. Les Vaudois l’avaient fait avant lui aux XIIe et XIIIe siècles, puis les Hussites au XVe siècle. L’autorité de l’Ecriture avait été opposée aux traditions purement humaines. Mais la question des rapports entre Ecriture et tradition n’en fut pas approfondie pour autant. De fait, tout au long du Moyen Age, les conciles et le magistère du pape avaient autorité en matière de foi à côté de l’Ecriture. Les doctrines qu’ils proclamaient sur la base de l’Ecriture ou de la tradition liaient la chrétienté. Aux critiques était opposée l’affirmation qu’en matière d’interprétation de l’Ecriture sainte le dernier mot revenait au magistère. C’est précisément sur ce point que porta la protestation de Luther. Il libère d’une certaine manière l’Ecriture par rapport au magistère. Il rétablit la prééminence de l’Ecriture par rapport à l’Eglise qui enseigne et qui écoute. Les évêques, les conciles et les papes peuvent errer et ont erré. On ne doit suivre leur enseignement que s’il s’avère conforme à l’Ecriture. »8

C’est à tout cela que répondra le Concile de Trente, en 1546, dans son quatrième décret!

II. Sola Scriptura: bien davantage qu’un slogan!

Face aux revendications du magistère de l’Eglise, les réformateurs, puis leurs successeurs, vont développer ce qui est couramment appelé les propriétés (ou « caractères ») de l’Ecriture, à savoir – entre autres – son autorité, sa clarté, sa suffisance, sa nécessité et sa perfection. Pour Luther et Calvin notamment, ce travail se fera essentiellement au travers de leur œuvre de commentateurs de l’Ecriture ou dans le cadre de traités doctrinaux particuliers, comme celui Du serf arbitre, et non pas d’emblée de façon systématique. C’est alors qu’apparaît à plusieurs reprises une formule qui peut être comprise comme une conséquence herméneutique du sola Scriptura: « L’Ecriture est son propre interprète » (Sacra Scriptura sui ipsius interpres)9. Ce principe d’interprétation illustre fort bien l’attitude des réformateurs face à l’Ecriture sainte, en mettant en avant la clarté et la suffisance de la révélation biblique et en soulignant avec force qu’aucune autorité humaine ne peut être juge de l’Ecriture puisque celle-ci est, dans le mystère de l’inspiration et à travers l’œuvre des auteurs humains, d’origine divine. Bien sûr, cela ne signifie pas que tous les passages de l’Ecriture sont clairs et faciles à comprendre; cela veut dire que c’est dans l’Ecriture elle-même qu’il faut chercher le sens des textes qui paraissent obscurs à notre entendement limité et déchu. Précisons encore que cette compréhension du sola Scriptura implique le respect du tota Scriptura, à savoir qu’il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble de la révélation biblique dans l’élaboration de la doctrine chrétienne10. C’est cette affirmation de l’unité de la Bible qui a permis à Luther, et à Calvin à sa suite, de considérer que le Christ est la porte d’entrée, la clé d’interprétation qui ouvre à la compréhension de l’Ecriture. C’est avant tout en tant qu’Evangile, en tant que proclamation du salut acquis et révélé en Christ que l’Ecriture est claire et pleinement suffisante. Comme l’a dit Jaroslav Pelikan, « l’Eglise n’avait pas besoin d’un Luther pour lui dire que la Bible était véridique. Mais elle avait besoin d’un Luther pour lui dire qu’elle était cette vérité. »11

Assurément, ce principe scripturaire est bien davantage qu’un slogan et comporte, dans ses ramifications légitimes, des implications herméneutiques fondamentales. Il nous rappelle que le statut des Ecritures implique une méthode d’interprétation particulière. Ce n’est que lorsque cette vérité est niée que le sola Scriptura, étant vidé de son contenu, n’apparaît plus que sous la forme d’un simple slogan, d’un étendard sous lequel tout ralliement n’a plus de réelle pertinence.

Avant de conclure cette section, arrêtons-nous encore quelques instants sur deux aspects importants de l’herméneutique des réformateurs, étroitement liés au principe scripturaire.

– Le premier consiste à reconnaître que l’interprétation de l’Ecriture par elle-même implique la règle selon laquelle il faut interpréter un passage selon le sens littéral le plus simple, cette règle ne devant être abandonnée que si, de toute évidence, le langage du texte est imagé12.

Il est très intéressant de remarquer qu’en cela les réformateurs se placent dans un courant qui les précède13 et qui consiste en une remise en question du quadriga. Ce schéma d’interprétation selon lequel il faut, à côté du sens littéral d’un texte, distinguer les sens allégorique, tropologique (moral) et anagogique (eschatologique) était très largement répandu depuis le Ve siècle et avait permis à l’Eglise de trouver un fondement scripturaire aux traditions humaines les plus diverses. Un recours abusif à l’allégorie justifiait bien des pratiques! Comme le dit Gerhard Ebeling:

« Avec cette méthode, on pouvait faire fructifier le texte biblique de manière multiple sans danger pour le dogme de l’Eglise. Mais on s’aveuglait aussi par là même sur le vrai danger de cette démarche. La relation avec le texte manquait totalement de sérieux. On pouvait à tout moment échapper à l’écoute stricte du texte lui-même. Et quand un conflit risquait d’éclater avec la doctrine de l’Eglise, il fallait employer l’art de l’interprétation quasiment comme art de la réinterprétation voilée. »14

Richard Muller souligne lui aussi que la prise de distance par rapport au quadriga a eu pour conséquence, entre autres, d’accentuer la séparation entre le donné scripturaire et les traditions post-apostoliques15.

– L’autre aspect est l’accent placé sur le Saint-Esprit dans l’interprétation de l’Ecriture. En lien avec « l’Ecriture seule » et « l’Ecriture est son propre interprète », les réformateurs – avec cette fois-ci Calvin à leur tête – déclarent que l’Esprit est l’unique interprète de la Parole biblique16. Ce qu’il est capital de comprendre ici, c’est que cette insistance sur le rôle de l’Esprit dans la compréhension de l’Ecriture ne s’oppose en rien au fait que l’Ecriture soit sa propre lumière. Les deux expressions résonnent, au contraire, comme des synonymes17 puisque l’Esprit de Dieu est l’auteur de l’Ecriture sainte. En disant cela, nous soulignons une dimension essentielle du sola Scriptura que nous reprendrons dans la dernière partie de cet article. Affirmer que seule l’Ecriture est révélation divine et autorité définitive en matière de foi, c’est aussi s’opposer aux mouvements spiritualistes de toutes sortes qui, déjà au XVIe siècle, étaient très actifs dans ce que l’on appelle la Réforme radicale.

L’Esprit parle « par » et « avec » l’Ecriture18. C’est à travers la médiation de l’Ecriture qu’Il vient jusqu’à nous et nous ouvre les Ecritures. « Il faut diligemment travailler tant à ouïr qu’à lire l’Ecriture, si nous voulons recevoir quelque fruit et utilité de l’Esprit de Dieu », écrivait Calvin19.

III. Une vérité à redécouvrir!

Nous espérons que ce qui précède a déjà permis à diverses pistes de réflexion de surgir ici ou là dans le but de nous aider à comprendre, vivre et actualiser notre héritage théologique et ecclésial. Voici trois points sur lesquels le sola Scriptura devrait interpeller les protestants du XXIe siècle que nous sommes:

a) Tout d’abord – même s’il est évident que cette thématique reste d’actualité dans le cadre des débats œcuméniques entre protestants et catholiques romains –, c’est avant tout en tant que protestants que nous devons nous réapproprier ce principe scripturaire si cher aux réformateurs. En effet, en affirmant que l’auteur de l’Ecriture est Dieu lui-même et que, par conséquent, le texte biblique est l’autorité ultime en matière de doctrine et de vie, le principe du sola Scriptura apparaît comme un schibboleth qui ne peut laisser indifférent aucun courant du protestantisme contemporain.

Comme il est facile de placer – souvent inconsciemment et insidieusement – d’autres « autorités » à côté de l’Ecriture sainte! Parfois, il s’agit de nos habitudes, qu’elles soient « philosophiques », « sociologiques » ou « ecclésiales ». Parfois, c’est notre expérience et notre subjectivité qui prennent la première place. Parfois encore, il s’agit de ce que l’Esprit « nous a mis sur le cœur », selon l’expression bien connue… (quand nous ne parlons pas de « révélations »!).

Ne perdons jamais de vue que l’attitude des réformateurs face à l’Ecriture s’est développée par rapport tant au mouvement spiritualiste qu’à l’Eglise catholique. Dans Les Articles de Smalkalde, Luther s’exprime en ces termes:

« Dieu ne donne à personne son Esprit ou la grâce, sinon par ou avec la Parole externe préalable. C’est là notre sauvegarde contre les enthousiastes, autrement dit les esprits qui se flattent d’avoir l’Esprit indépendamment de la Parole et avant elle, et qui, par suite, jugent, interprètent et étendent l’Ecriture ou la parole orale selon leur gré. »20

Comme d’autres l’ont dit avant nous, perdre de vue le lien fondamental entre la révélation biblique et le Saint-Esprit, c’est retourner l’expression « l’Ecriture seule » en un « chacun tout seul avec l’Ecriture »!

b) La deuxième « redécouverte » consistera en quelques remarques herméneutiques.

Le sola Scriptura, lié au tota Scriptura, doit rappeler l’unité et la progression de la révélation biblique. Ainsi les textes n’ont pas à être isolés et utilisés comme autant de coups d’épée dans nos débats théologiques, le risque de faire dire à l’Ecriture ce qu’elle ne dit pas – risque auquel personne n’échappe totalement, faut-il le souligner? – ne devenant alors que trop réel. A ce propos, il est bon de nous remettre en mémoire le fait que le terme « hérésie » provient d’un mot grec signifiant « choix, préférence, goût particulier ». Avant d’être fausse doctrine, l’hérésie est « sélection » et s’oppose, donc, de façon directe au tota Scriptura par son refus de considérer ce que déclare l’ensemble de l’Ecriture. D’ailleurs, ce fut précisément le respect du couple sola et tota Scriptura qui a fondé et permis l’élaboration des diverses confessions de foi de la Réforme. Celles-ci expriment l’unité de la foi chrétienne réformée tout en répondant à des contextes et des situations particuliers, que ce soit sur le plan politique ou ecclésial, par exemple.

Une autre facette de l’herméneutique des réformateurs du XVIe siècle doit interpeller les modernes – ou même post-modernes – que nous sommes. Sans nier les cinq siècles qui nous séparent du contexte intellectuel qui a été le leur, faut-il pour autant considérer leur approche de l’Ecriture comme nécessairement révolue? Nous sommes convaincus que, sur deux points, tout au moins, la réponse à cette question doit être négative21.

– Premièrement, la règle selon laquelle « l’Ecriture est son propre interprète » sous-entend que le texte biblique nous transmet non seulement des faits, mais des faits interprétés. Dans l’Ecriture, l’événement et son interprétation vont de pair, cette dernière n’étant pas quelque chose qui se surajouterait par la suite. Cela signifie que le sens d’un texte se trouve dans le texte lui-même et dans son articulation avec l’ensemble de la Révélation, et non pas hors de lui-même dans un « au-delà du texte » qu’il faudrait recréer à l’aide de telle ou telle méthode.

– Deuxièmement, l’insistance accordée au sens original du texte doit, elle aussi, être redécouverte. La recherche du sens tel que l’auteur l’a conçu doit rester prioritaire et ce malgré les affirmations de la pensée ambiante à la suite de Gadamer et bien d’autres. Cela ne veut pas dire que le sens d’un passage soit épuisé dans sa signification originale, mais cela signifie que les diverses facettes du sens du texte qui peuvent être mises en lumière selon les époques ou les situations particulières du lecteur – qu’il soit individu ou communauté – ne sont véritablement légitimes que lorsqu’elles maintiennent une certaine articulation et une tension avec le sens originel. Et si, au sein même de l’Ecriture, un texte reçoit différents niveaux d’interprétation, cela est dû précisément à l’unité et à la progression de la révélation. Cette gradation de sens sera alors mise en lumière par l’analogie de l’Ecriture. La question de la signification d’un texte ne peut donc en aucun cas se définir comme une pluralité de sens toujours à recréer dans un va-et-vient entre le texte et le lecteur.

Pour illustrer notre propos dans le cadre de l’homilétique, le principe scripturaire implique qu’un travail exégétique sérieux visant à dégager le sens original du texte précède toujours la recherche d’applications et d’actualisation, car, si elles sont effectivement distinctes, ces deux facettes doivent coexister puisqu’un contexte donné (le Sitz im Leben) ne limite pas d’emblée la portée du sens. La prédication n’est le fruit ni d’une recherche « historique » au-delà du texte, ni d’une créativité poétique toute personnelle; elle est proclamation de l’agir et de la fidélité du Dieu de l’alliance.

c) Finalement, et cela est capital, le sola Scriptura doit faire aimer l’Eglise! La problématique qui nous a occupés tout au long de cet exposé ne réside pas dans une opposition de type « l’Ecriture ou la tradition », mais consiste à reconnaître que l’Ecriture est toujours première et que, par conséquent, la tradition, si elle se veut légitime, doit lui être subordonnée. Ainsi le sola Scriptura n’exclut pas l’Eglise; au contraire, il lui permet de vivre le semper reformanda: Eglise toujours à réformer. Il est navrant de constater à quel point le protestantisme contemporain oublie que le lieu privilégié de la méditation et de l’interprétation de l’Ecriture est l’Eglise. Entre affirmer, d’une part, que le croyant peut, dans un face-à-face avec le texte biblique, y découvrir de façon vivante et personnelle le Christ mort et ressuscité sans devoir passer nécessairement par l’autorité ecclésiale, et prétendre, d’autre part, que l’on peut faire fi de deux mille ans de réflexion ecclésiale ou se passer de la méditation priante des textes bibliques au sein d’une communauté, il y a là un pas qu’aucun réformé et/ou évangélique ne devrait franchir!

L’enjeu, pour le chrétien, est donc non pas de façonner sa propre interprétation du message biblique, mais de s’approprier ce message et d’être ainsi pleinement intégré à la communauté ecclésiale qui traverse les âges. C’est là que nos préjugés, nos présupposés et nos habitudes – même intellectuelles! – peuvent être sondés et amenés, petit à petit, à l’obéissance captive du Christ.

Loin de mener à l’isolement, le principe scripturaire – tel qu’il fut remis en lumière et développé par les réformateurs – nous permet de clarifier la question de l’autorité qui, comme nous l’avons déjà signalé, est un concept relationnel, impliquant une certaine hiérarchie. Nous sommes persuadés qu’une redécouverte de la richesse de ce principe, en reconnaissant à la Parole du Dieu Créateur de toutes choses la primauté qui lui revient, peut devenir le chemin sur lequel l’Eglise du XXIe siècle pourra, humblement et fermement, être sel de la terre et lumière du monde.

En ayant ainsi, nous l’espérons, débroussaillé quelque peu un thème clé de l’identité protestante, nous conclurons simplement en disant que, lorsque le sola tombe, c’est le Scriptura qui ne se relève pas.


1* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

A titre d’exemple: Bernard Lohse, Martin Luther’s Theology. Its Historical and Systematic Development (Edinburgh: T&T Clark, 1999), chap. 20; Matthieu Arnold, « La théologie de Martin Luther et la théologie contemporaine », RHPR, 84 (2004:1), 53-75, 57.

2 Dans cet exposé, il s’agira essentiellement de Luther et de Calvin. Cependant, nous utilisons le terme « réformateurs » dans un sens générique, pensant que, au-delà des nuances et de leurs divergences, il est possible de parler d’une attitude et d’une pensée communes aux réformateurs, notamment sur le sujet du rapport entre Ecriture et tradition.

3 « Quo Vadis, Petre? Tradition from Irenaeus to Humani Generis », in The Dawn of the Reformation (Edinburgh: T&T Clark, 1992), 269-296. Cet article est le texte d’une conférence donnée à l’Université de Harvard en 1962 et il a été publié pour la première fois en 1963. Du même auteur, voir également The Harvest of Medieval Theology (Grand Rapids: Eerdmans, 1967), 361-393.

4 « Quo Vadis, Petre? », 271.

5 Ibid., 276.

6 Ibid., 280.

7 Ibid., 283.

8 M. Lienhard, Martin Luther, un temps, une vie, un message (Genève: Labor & Fides, 1991), 325. Du même auteur, voir aussi « Les réformateurs protestants du XVIe siècle et la papauté », Positions luthériennes, 46 (1998:2), 157-173.

9 Pour des références aux œuvres des réformateurs, voir, par exemple, M. Arnold, art. cit., note 1, 57-62; M. Lienhard, op. cit., 326-328; B. Kamphuis, Klare taal. De duidelijkheid van de Schrift, Kamper Bijdrage XXIX (Barneveld: De Vuurbaak, 1988), 42.

10 Nous pourrions aussi parler, dans ce cadre-là, de l’analogie de l’Ecriture et de l’analogie de la foi.

11 J. Pelikan, Obedient Rebels (New York: Harper and Row, 1964), 21, cité par Klaas Runia, « The Hermeneutics of the Reformers », Calvin Theological Journal, 19 (1984), 121-152, 123.

12 Cf. M. Lienhard, op. cit., 328.

13 Pensons notamment à Thomas d’Aquin et Nicolas de Lyre. Cf. K. Runia, art. cit., 12.

14 G. Ebeling, Luther. Introduction à une réflexion théologique (Genève: Labor & Fides, 1983), 91-92.

15 R.A. Muller, Post-Reformation Reformed Dogmatics, II, « Holy Scripture: The Cognitive Foundation of Theology » (Grand Rapids: Baker Books, 1993), 43.

16 Pour Luther, voir notamment la première partie du traité Du serf arbitre (WA: 18, 609) et, pour Calvin, voir son commentaire de 2P 1.20-21 et IC, I, 9, 1-3 et III, 2, 34.

17 Cf. P. Althaus, The Theology of Martin Luther (Philadelphia: Westminster Press, 1966), 3, cité par K. Runia, art. cit., 133. B. Kamphuis parle, pour sa part, de deux facettes d’une même réalité. Cf. op. cit., 42.

18 Pour une discussion concernant la distinction entre le cum verbo et le per verbum et la place de ces expressions dans l’œuvre de Luther et de Calvin ainsi que dans les confessions de foi du XVIe siècle, voir K. Runia, « Prediking, Prediker en Heilige Geest », in In het krachtenveld van de Geest (Kampen: Kok, 1992), 169-182.

19 IC, I, 9, 2.

20 « Les Articles de Smalkalde », III, 8, 448, in A. Birmelé & M. Lienhard (eds.), La foi des Eglises luthériennes. Confessions et catéchismes (Paris/Genève: Cerf/Labor & Fides, 1991), 272.

21 Voir à ce propos K. Runia, art. cit., 148-152, ainsi que Richard Muller, « The Significance of Precritical Exegesis: Retrospect and Prospect », in R. Muller & J. Thompson (eds.), Biblical Interpretation in the Era of the Reformation (Grand Rapids: Eerdmans, 1996), 335-345.

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« ÉCLAT ET ÉCLIPSE » Pour une lecture de la présence de Dieu dans la vie du croyant http://larevuereformee.net/articlerr/n242/%c2%ab%c2%a0eclat-et-eclipse%c2%a0%c2%bb-pour-une-lecture-de-la-presence-de-dieu-dans-la-vie-du-croyant Mon, 01 Nov 2010 16:02:56 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=232 Continuer la lecture ]]> « ÉCLAT ET ÉCLIPSE »

Pour une lecture de la présence de Dieu dans la vie du croyant

Frédéric HAMMANN*

En 1953, le philosophe juif Martin Buber publie, en allemand, un ouvrage auquel il donne le titre Gottesfinsternis; la traduction française portera, quant à elle, celui d’Eclipse de Dieu1. Davantage qu’un simple titre, cette expression s’apparente plutôt à un véritable concept. Quelles en sont les lignes directrices? Quelle pertinence cette notion peut-elle avoir pour notre temps? Quel est son apport à la thématique de la présence de Dieu dans la vie du croyant?2

Buber commence le premier chapitre de cet ouvrage par la phrase suivante: « Le vrai visage d’une époque se reconnaît de la façon la plus sûre au rapport régnant en elle entre la religion et la réalité. »3 Trente ans auparavant, le théologien néerlandais Klaas Schilder a publié un recueil de réflexions bibliques et a commencé l’une d’elles, sur un texte d’Esaïe, en écrivant: « Ils sont peu nombreux ceux qui ont compris les paroles venant du ciel. Ils sont encore moins nombreux ceux qui ont compris le silence en provenance du ciel. »4

L’adéquation entre, d’une part, le contenu de notre foi – c’est-à-dire le contenu objectif et défini de la foi chrétienne – et, d’autre part, la réalité de notre vécu communautaire et personnel est une question fondamentale, tant sur le plan de la réflexion théologique que sur celui de la vie du croyant dans le quotidien de son existence. Au cœur de cette articulation se trouve la problématique du déchiffrage de la présence de Dieu.

Souvenons-nous du Catéchisme de Heidelberg, qui définit la vraie foi en disant qu’elle n’est pas seulement « une connaissance certaine par laquelle je tiens pour vrai tout ce que Dieu nous a révélé par sa Parole, mais qu’elle est aussi une confiance du cœur par laquelle je sais que c’est aussi à moi que Dieu accorde la rémission des péchés, la justice et le bonheur éternel »5.

Pourtant – reconnaissons-le! – nous nous heurtons parfois, voire fréquemment, à des situations particulières où Dieu semble absent. Comment les interpréter? Quelle signification faut-il leur donner? Cette « absence » est-elle impression ou réalité? Ou, au contraire, la volonté de donner une signification à ces temps particuliers dépasserait-elle déjà le cadre de la foi?

De ces diverses interrogations découlent non seulement les termes clés de notre réflexion, mais également le fait que notre propos portera essentiellement sur la notion d’éclipse plutôt que sur celle d’éclat, bien que les deux ne soient pas totalement distinctes. Ce choix se justifie, nous semble-t-il, dans la constatation que, dans nos vies quotidiennes, nous abordons la thématique de la présence un peu comme celle de la santé, à savoir quand il y a un problème! Le philosophe réformé Stoker fait le même parallèle au début de son ouvrage sur la recherche de « sens »: c’est suite à la prise de conscience de la déficience que nous nous mettons en recherche6.

Petit zoom lexicographique

Ce qui précède aura permis de comprendre que les termes clés de notre réflexion seront les substantifs « présence », « absence », « éclipse » et l’adjectif « caché ». Remarquons d’emblée qu’il n’est pas aisé de les définir avec précision. Nous nous bornerons donc à baliser le terrain.

De la présence, nous dirons que c’est être à un endroit donné à un temps donné. Le terme vient du latin praeesse: marcher devant, être à la tête de. Dans de nombreux récits de l’Antiquité, ce terme qualifie, sur le plan religieux, la divinité qui se tient devant; c’est-à-dire qui protège, qui est pour le peuple ou le fidèle. Cette même idée se retrouve dans les textes bibliques, dans le livre de l’Exode, par exemple, où Dieu est présent en permanence à la tête du peuple, soit dans la colonne de nuée, soit dans celle de feu. Nous avons là l’articulation typique entre présence et protection7. A côté du sens qui vient d’être évoqué, signalons que, parfois, l’adjectif présent a plus spécifiquement le sens d’agissant. Est présent ce qui agit actuellement en moi et autour de moi.

Bien que partielles, ces remarques nous permettent d’expliciter quelque peu la notion de présence et, par extension, éclairent déjà celle d’absence. En effet, par opposition à la présence-protection, l’absence pourrait être comprise comme le fait de cesser d’être favorable. Ainsi, parler du Dieu absent qualifierait davantage une attitude de sa part plutôt que de faire appel à une « localisation » de Dieu, toujours en butte à la question de son infinité et de son omniprésence8. Mentionnons toutefois le fait que, dans le langage commun, absent signifie généralement ne pas être là alors qu’on pourrait l’être ou qu’on l’a déjà été9.

Concernant l’adjectif caché, nous nous bornerons à souligner qu’il se rapporte à un être ou à un objet présent, mais de façon non perceptible pour autrui. Le terme se réfère donc davantage à une présence qu’à une absence. Si je suis absent, je n’ai pas besoin de me cacher! L’Ecriture parlant à plusieurs reprises du Dieu caché, ou du Dieu qui se cache, il est important de comprendre la portée de la remarque ci-dessus.

Une autre difficulté apparaît alors, qui n’est pas sans enjeux pour notre réflexion sur la présence de Dieu dans la vie du croyant. C’est celle des anthropomorphismes. Formulons-la ainsi: quelle place et quelle valeur donner, dans notre discours théologique, aux présentations de Dieu qui lui attribuent des caractéristiques humaines? La théologie chrétienne classique parle de préférence d’un Dieu personnel, et non pas d’une personne, réservant cette notion aux hypostases au sein de la Trinité: la personne du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit. Dieu est personnel – il a une identité et une individualité propres, il pense, agit et entre en relation10 – mais il est et demeure une seule et simple essence, spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible et ineffable, pour reprendre les termes du premier article de la Confession de La Rochelle. Il est capital de bien garder cela à l’esprit quand nous parlons de la présence et de (l’éventuelle) absence de Dieu.

Avant de revenir à la notion d’« éclipse », remarquons encore que le terme biblique de « parousie » est trop souvent rendu de façon bien malheureuse par « retour », sous-entendant ainsi une absence temporaire. Oui, la parousie est la venue du Christ, sa présence imminente, son avenir; mais elle se réfère à l’unité de l’histoire de Jésus dans ses diverses manifestations et ne doit pas être comprise comme le retour de l’Absent11.

Quant à la notion d’Eclipse de Dieu, il est évident que l’expression française peine à rendre l’intensité de l’original allemand. En effet, le terme Gottesfinsternis met en avant ce qui est sombre, pesant et obscur. Dieu se charge de ténèbres. La traduction française résonne à nos oreilles de façon moins tragique (qui ne s’est jamais éclipsé d’une réunion peu passionnante?!) et nous avons donc un effort à faire afin d’en saisir la gravité. Parler d’éclipse de Dieu, c’est affirmer que, parfois, Dieu s’entoure d’obscurité, tient en suspens sa main agissante (mais nous sommes à nouveau dans l’anthropomorphisme) comme pour laisser libre cours à, par exemple, la barbarie humaine12.

Eclipse de Dieu contre « mort de Dieu »

Buber le dit avec force: la foi n’est pas un sentiment de l’âme mais elle est l’entrée dans la réalité effective13. Alors, comment, avec les yeux de la foi, appréhender l’absurde? C’est dans le cadre de sa réponse à cette question que Buber va, suite à la Shoah, développer la notion d’Eclipse de Dieu.

Disons d’emblée que c’est une riposte – outrée? – aux philosophies de la mort de Dieu; riposte presque anticipée puisque ce sont surtout les années 1960 qui seront la décennie de la théologie de la mort de Dieu. Mais, depuis Nietzsche – entre autres – et son cri « Dieu est mort »14, le cœur de cette pensée philosophico-théologique est déjà très répandu. D’ailleurs l’essentiel de Gottesfinsternis consiste en une critique des philosophies de Nietzsche, Heidegger et Sartre, ainsi que de la psychologie de Jung, auquel l’auteur de Je et Tu reproche de, sans cesse, dépasser les domaines de la psychologie et de la psychiatrie pour s’avancer sur celui de la métaphysique. Ce n’est donc pas en affirmant que toutes nos représentations de Dieu sont mortes à tout jamais, ni en affirmant la mort de Dieu lui-même (voir les débats ultérieurs entre Vahanian, Altizer, Cox et van Buren) que nous construirons quelque chose, dit Buber, mais en redécouvrant la vérité biblique fondamentale selon laquelle Dieu se cache, Dieu détourne sa face. Saisissons l’interpellation et esquissons un rapide parcours biblique.

Quand Dieu se cache: l’écho des Ecritures 

Dans son livre Shadow Sides, E. Peels a relevé de nombreux textes de l’Ancien Testament exprimant, de façon plus ou moins directe, le fait que Dieu se détourne et se cache15. Il y a, tout d’abord, les textes dans lesquels Dieu annonce qu’il va cacher sa face, comme par exemple Deutéronome 31.17-18. Viennent ensuite les cris du psalmiste demandant à Dieu le pourquoi de son absence, de son éloignement. A ce titre, voir le Psaume 10.1 (« Pourquoi, Eternel, te tiens-tu éloigné? »); 88.15 (« Pourquoi, Eternel, me caches-tu ta face? »); sans oublier la parole du Psaume 22.2, qui culminera dans la bouche de Christ en croix: « Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi m’as-tu abandonné? » Parfois – mais rarement – la capacité qu’a Dieu de se cacher semble être considérée positivement, car illustrant sa vitalité, et ce par opposition aux idoles16.

Job, quant à lui, perçoit l’absence de Dieu comme l’action injuste d’un ennemi (13.24), tout en confessant, en même temps, la présence invisible mais oppressante de Dieu (7.19, 23.8-9).

D’autres textes, en revanche, mettent en avant une sorte de corrélation entre Dieu qui cache sa face et le peuple qui s’absente de la présence de Dieu. La prière doit alors être non pas « Reviens Seigneur », mais « Fais-nous revenir vers toi, Eternel, et nous reviendrons » (cf. Lam 5.16-20).

Deux textes encore méritent notre attention. Dans 1 Rois 8.12-13, alors que le Temple vient d’être construit et qu’il est empli de la gloire de l’Eternel, Salomon s’écrie: « L’Eternel a dit qu’il demeurerait dans l’obscurité! J’ai enfin bâti une résidence pour toi, un lieu où tu habiteras éternellement. » Difficile de saisir l’articulation de la pensée du roi d’Israël. L’obscurité fait-elle référence à la nuée mystérieuse et glorieuse qui prend possession du Temple? Auquel cas il y aurait harmonisation entre les deux parties de la parole de Salomon; ou faut-il voir dans cette juxtaposition l’expression de la volonté humaine cherchant à s’assurer la présence protectrice de Dieu – Dieu pour nous – et de Le convaincre de ne plus cacher sa face? Nous laisserons la question ouverte.

Finalement, arrêtons-nous un court instant sur Esaïe 54.7-8. Le thème de ce chapitre d’Esaïe est le renouvellement de l’alliance et le rappel que Dieu est l’époux fidèle, le Rédempteur, le Saint d’Israël, celui qui se nomme Dieu de toute la terre (v. 5). Et au milieu de ces accents clairement messianiques surgit, soudain, un aveu de la part du Très-Haut: « Un court instant je t’avais abandonnée… Dans un débordement d’indignation, je t’avais un instant dérobé ma face. » Nous avons affaire là non pas à un sentiment d’abandon, sentiment que le peuple a pu connaître à diverses reprises, mais à un abandon réel de la part de Dieu, et reconnu comme tel. Dieu a effectivement, brièvement certes, mais effectivement abandonné son peuple. Toutefois l’unicité de cet « aveu » divin ne doit pas nous amener à douter de la présence de Dieu et de sa fidélité à ses promesses. Ne devons-nous pas, au contraire, voir dans cette forme d’hapax une préfiguration de l’unique abandon, celui qu’endura le Christ à Golgotha et auquel nous faisions déjà allusion ci-dessus avec la citation du Psaume 22? Le contexte des chapitres 50 à 55 du livre d’Esaïe nous incline à le penser.

La force de l’expression

Ce qui est frappant dans le concept d’Eclipse de Dieu, c’est qu’il implique la pérennité du lien de la foi: la souffrance est là, mais elle s’exprime dans un cri de foi, dans un refus d’abandonner Dieu ou de conclure à un véritable abandon de sa part. Silence ne veut pas dire absence car, comme le dit cette phrase souvent rencontrée dans les ouvrages consultés: « Le silence est une pause dans la conversation. » Le silence est une pause qui, à sa manière, appartient au dialogue. Schilder, dans la méditation mentionnée plus haut, écrit que le silence de Dieu est toujours – au sens de continue d’être – Dieu qui agit. Il qualifie même ce silence de « supersonique » (!), indiquant par là que c’est aussi une manière que Dieu a de nous parler, même si nous n’entendons pas sa voix17.

Dans ce cri de foi résonne la grande différence entre le croyant de tous les temps et l’homme moderne. Celui qui veut vivre sous le regard de Dieu doit être prêt à voir un certain parallèle entre, d’une part, Dieu qui se cache et, d’autre part, sa sainteté, sa colère, son jugement. Mais une telle relation, même fine, est impensable pour nos contemporains; elle est le blasphème par excellence! La distance est donc grande entre le « Où es-tu mon Dieu? », reflet de la foi qui lutte, et le « Où est Dieu? », lancé en l’air comme une provocation et qui, généralement, n’attend pas la moindre réponse.

Dieu peut se taire et tantôt se cacher, sa lumière – parfois brûlante – cessant du même coup d’éclairer nos vies et le monde dans lequel nous vivons. Il y a là une réalité biblique. Ainsi ce n’est pas toujours une impression; ce n’est pas d’emblée notre propre cécité qui est en cause, comme si Dieu ne pouvait qu’être là, perceptiblement, et que, par conséquent, c’est uniquement moi qui ne le verrais pas. Non, parfois il se cache vraiment. C’est, encore une fois, toute la thématique du livre de Job.

Cette réalité de Dieu qui voile sa face et fait silence, gardons-nous de la négliger, que ce soit en la considérant a priori comme marginale, ou en lui opposant de façon quasi automatique des remèdes par trop stéréotypés. « Le vrai visage de notre vie se découvre dans le rapport entre notre foi et la réalité concrète de notre existence », pourrions-nous dire pour paraphraser Buber. L’Ecriture, dans sa richesse et sa diversité, nous montre qu’il n’existe pas une seule interprétation du fait que Dieu se cache, mais que la situation est plus fine, plus complexe.

Avant d’évoquer rapidement certaines raisons possibles à l’éclipse de Dieu, arrêtons-nous un instant sur l’ouvrage d’Emil Fackenheim, La présence de Dieu dans l’histoire18. L’auteur, penseur juif devenu progressivement disciple de Buber, dresse plusieurs distinctions susceptibles d’enrichir notre réflexion. Nous en mentionnerons trois.

Tout d’abord, dit Fackenheim, la présence de Dieu est parfois salvatrice, il s’agit alors des grands actes libérateurs de Dieu dans l’histoire – et par extension dans nos vies19 –, mais elle est souvent prescriptive: Dieu est présent dans son commandement. Voilà un rappel qui ne paraît pas superflu dans le contexte actuel, notamment ecclésial!

Ensuite, cet auteur souligne que si la distinction entre passé, présent et futur est pertinente dans notre appréhension de la réalité, il nous faut avec force affirmer que Dieu ne peut être le Dieu de l’un s’il ne l’est pas des deux autres. Ainsi, il n’y a pas de sens à croire en un Dieu du futur si je nie le fait qu’il est également le Dieu du présent. Nous sommes à nouveau au cœur de notre propos, qui est l’articulation du contenu de notre foi avec notre vécu.

La troisième distinction que nous relevons est celle établie entre les « expériences fondatrices » (révélation de Dieu, vocation, etc., qu’elles soient communautaires ou personnelles) et les « événements décisifs »20. Les premières fondent, créent la relation, alors que les seconds portent plutôt en eux la mise en question de la rencontre fondatrice. La question cruciale étant alors de savoir comment une fidélité renouvelée sera malgré tout susceptible de s’en dégager.

Les raisons possibles de l’éclipse de Dieu

Sans tomber dans les réponses toutes faites contre lesquelles nous mettions en garde précédemment et en nous souvenant qu’elles n’épuiseront jamais le mystère de l’agir divin, voici toutefois trois raisons qui, au regard de l’Ecriture, peuvent nous aider à décrypter le pourquoi de l’éclipse de Dieu.

La première réside dans la désobéissance de l’homme. C’est, en effet, en réaction au péché du peuple, à son idolâtrie, que Dieu cache sa face. Nombreux sont les textes prophétiques qui illustrent cela et témoignent ainsi de la réalité et de la vitalité de l’alliance: la promesse de la présence protectrice de Dieu s’accompagne des exigences adressées au peuple. « Soyez saints comme je suis saint! » Une autre explication à envisager est celle de la mise à l’épreuve: continuerons-nous à affirmer et vivre notre foi au cœur de la tourmente? Que deviennent la relation et la confiance quand surgit l’épreuve et gronde la « contestation »?21 Finalement, il ne nous faut pas oublier la gradation de la révélation. Dieu, dans l’histoire, se révèle progressivement et, s’il reste fondamentalement incompréhensible, il permet au croyant de la nouvelle alliance de saisir ce que les prophètes n’auront qu’entrevu (Mt 13.17; 1P 1.10-12). Ainsi toute réflexion sur le thème de la présence de Dieu ne peut faire l’économie de la révélation de Dieu en Jésus-Christ et d’une lecture approfondie – et même décisive – du Vendredi-Saint et du matin de Pâques.

Cette remarque nous introduit dans ce qui sera la dernière partie de notre étude.

Quelques pistes théologiques pour faire un pas de plus

Une saine compréhension des trois thèmes suivants est nécessaire à une approche équilibrée de la présence de Dieu dans nos vies: la nature de notre connaissance de Dieu, la dimension trinitaire de la foi chrétienne et ce que Calvin appelait « la méditation de la vie à venir ».

1. Notre connaissance de Dieu

Celle-ci est et sera toujours partielle puisque nous ne connaîtrons jamais Dieu en lui-même, mais elle n’en est pas moins réelle et vraie, notamment en ce qui concerne la relation que nous pouvons avoir avec notre Créateur et le salut qu’il nous a acquis en Christ. Souvenons-nous de Luther pour qui la notion du Dieu caché, le Deus absconditus, recouvrait deux réalités distinctes: tout d’abord, Dieu est caché en dehors de sa révélation – pas de connaissance naturelle de Dieu, la seule connaissance véritable se trouvant dans l’union avec Christ – et, secondement, Dieu se cache lui-même dans sa révélation22. Faut-il suivre le réformateur de Wittenberg dans cette seconde affirmation? Pas sûr. Recevons-la simplement comme le rappel que notre connaissance est limitée non seulement par notre nature pécheresse mais également par notre statut de créature; cette réalité-là n’étant pas appelée, même dans le Royaume, à être levée. Plutôt que de parler de Dieu qui demeure caché, affirmons de préférence que Dieu ne cesse d’être transcendant et incompréhensible même dans sa révélation, et ajoutons que ces caractères ne nous cachent pas l’Eternel mais nous permettent, au contraire, de le connaître comme tel23. Ce qui changera en revanche, lors de l’accomplissement des temps, c’est le fait que Dieu cessera de cacher sa face, au sens d’éclipse temporaire dans l’histoire, et qu’il sera alors pleinement au milieu des siens (cf. Ap 22).

Ce qui précède nous permet d’affirmer que notre connaissance de Dieu, loin d’être théorique et abstraite, est fondamentalement pratique, alliancielle et sotériologique. Steinmetz relève avec à propos le fait que Luther a très bien saisi que: « Dans son autorévélation, Dieu dit aux pécheurs tout ce qu’ils ont besoin de savoir, et non pas tout ce qu’ils aimeraient savoir. »24 En d’autres termes, et pour résumer, nous pouvons dire que la question épistémologique possède un caractère essentiellement spirituel.

2. La dimension trinitaire de la foi chrétienne

De toute éternité Dieu est trine. Cela signifie que le thème de sa présence dans l’histoire et dans nos vies doit être abordé non pas à partir d’un discours général sur un Dieu qui serait l’Etre absolu, plus ou moins impersonnel, ou – à l’opposé – à partir d’une déification de l’homme qui culminerait en Jésus de Nazareth, mais en partant toujours de la réalité trinitaire du Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit25. Tout décryptage de nos vies doit donc nécessairement faire une halte substantielle dans l’abaissement du Fils et son aboutissement sur la croix de Golgotha, lieu où culmine l’amour divin, avant de saisir la victoire éclatante du matin de Pâques et le don de l’Esprit. La progression et de la révélation et de l’histoire du salut nous permet de reconnaître en Jésus-Christ la Parole (et non le silence divin!) faite chair et de l’entendre nous dire: « Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à l’accomplissement des temps. » (Mt 28.20) C’est grâce à cette réalité extraordinaire que Peels peut écrire: « Jésus a été abandonné afin que nous ne le soyons jamais. »26 Sur ce point, il est aussi intéressant de remarquer que Velema se demande si la pensée de Buber sur ce thème de l’éclipse de Dieu n’est pas trop marquée par le fait qu’il ne pouvait appréhender la réalité de la Shoah sous l’angle de la Trinité27.

3. La méditation de la vie future ou l’« exigence eschatologique »

Dans le Livre III de l’Institution chrétienne, Calvin développe longuement le lien qui existe entre la vie présente et la vie future28. Il y explique que notre existence actuelle ne peut être interprétée qu’à la lumière de la vie que Christ nous réserve dans le royaume. Cela signifie que, pour l’instant, nous sommes voyageurs sur cette terre et demeurons loin du Seigneur (2Co 5.6). Commentant ce verset, qu’il traduit d’ailleurs par « nous sommes absents du Seigneur », Calvin écrit: « Il [Dieu] est présent à ses fidèles, par une plus grande efficacité de son Esprit: il vit en eux, il réside au milieu d’eux, voire au-dedans d’eux. Mais cependant il est absent de nous, parce qu’il ne se présente point à nous face à face, pour autant que nous sommes encore en exil, éloignés de son Royaume, et n’avons point encore cette bienheureuse immortalité dont jouissent les anges qui sont avec lui. »29 Voilà pourquoi la méditation de la vie à venir est essentielle et apparaît comme une dimension agissante de notre sanctification plutôt que comme le reflet d’une attitude quiétiste. Ainsi notre réflexion sur la présence de Dieu dans nos vies ne doit jamais être séparée de notre marche dans sa présence, c’est-à-dire de notre obéissance à sa volonté révélée. C’est notamment dans cette articulation que se manifestera l’œuvre du Saint-Esprit30. S’il y a une distinction réelle entre la vie présente et la vie à venir, il n’en est pas moins capital de saisir la continuité qui, dans la foi et en Christ, existe déjà entre les deux. La promesse de la présence parfaite de Dieu pour les siens lors de la consommation des temps est un véritable réconfort, car les « derniers jours » ne sont pas futurs mais déjà présents en Jésus-Christ, dans son incarnation et sa résurrection. La nouvelle création est cachée, certes, mais elle est déjà réalité31.

Conclusion

Le croyant, uni à Christ dans sa mort et sa résurrection, est appelé à accepter comme donnée la situation dans laquelle il se trouve. Toutefois, cela ne signifie nullement qu’il doive se résigner à tout. Non, il peut au contraire dénoncer le caractère hostile des faits et les traiter comme des défis qui lui sont adressés. Dans les temps d’éclipse de Dieu – quand Dieu présent cache sa face – il plongera ses regards sur le Christ du Vendredi-Saint et du matin de Pâques en sachant que, dans l’obscurité, sa meilleure assurance réside dans les promesses de Dieu et non dans son propre vécu32. Souhaitons qu’il puisse vivre cela dans la méditation de la vie à venir, cette vie qui, déjà, est réalité en Christ!

1* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Ce texte reproduit une conférence donnée à la Faculté le jour de la rentrée académique d’octobre 2006.

Gottesfinsternis (Zurich: Manesse, 1953); Eclipse de Dieu (Paris: Nouvelle Cité, 1987).

2 Nous précisons d’emblée que la présente étude n’est, en aucun cas, une exposition ni une analyse de la pensée de Buber, mais une réflexion personnelle sur le thème de la présence de Dieu, s’inspirant de certains traits bubériens.

3 Eclipse de Dieu, 15.

4 K. Schilder, Licht in de rook (Delft: Meinema, 2de druk 1925), chap. IV « Rustig Toezien », 69.

5 Catéchisme de Heidelberg (Aix-en-Provence/Krimpen a/d Ijssel: Kerygma/Fondation d’Entraide Chrétienne Réformée, 1986), 7e Dimanche, Quest. 21.

6 W. Stoker, Is the Quest of Meaning the Quest of God? (Amsterdam/Atlanta: Rodopi, 1996), 8.

7 Voir par exemple Ex 13.21 et la note donnée par la Bible d’étude version Semeur 2000 (sl.: Excelsis, 2001), « colonne de nuée… colonne de feu: symbole visible de la présence de Dieu parmi son peuple et de sa protection » (italique: FH).

8 Il serait intéressant, à ce propos, d’étudier des textes tels que Gn 28.16 (« Certainement, Dieu est présent en cet endroit et moi je ne le savais pas »), Ps 139.7 (« … où fuirais-je loin de ta face? ») ou encore le thème de la gloire de Dieu qui quitte le Temple (Ezéchiel).

9 Cf. A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie (Quadrige) (Paris: PUF, 1999), vol. I, 3-4.

10 Les trois critères « identité, individualité, relation » sont eux aussi développés par Stoker, qui se réfère aux travaux de P. Schoonenberg. Cf. G.D.J. Dingemans, De tijd van de verborgen God (’s-Gravenhage: Boekencentrum, 1990), 69. Nous nous interrogeons, cependant, sur la justesse de celui de « individualité »; ne faudrait-il pas l’utiliser uniquement dans le cadre de la notion de « personne »?

11 Cf. P. Wells, « Jésus-Christ et l’eschatologie », La Revue réformée 57 (2006:2), 69-80, 76.

12 Cette façon d’expliciter ce concept d’éclipse de Dieu nous paraît être fidèle à l’emploi bubérien. Signalons toutefois qu’un usage quelque peu différent de cette expression s’est développé, aux Pays-Bas notamment, visant à qualifier l’étape ultime de la sécularisation. L’éclipse de Dieu apparaît alors comme le signe d’une société qui a écarté Dieu hors de son champ de vision. Cet emploi particulier met en avant l’action de l’homme cherchant à éloigner toute idée de Dieu. A titre d’exemple, mentionnant la réaction de l’Eglise catholique romaine qui, au début de l’été 2006, a parlé d’éclipse de Dieu au sujet de la légalisation du mariage homosexuel en Espagne. Dans le cadre de notre étude, nous ne retenons pas cet usage particulier. La question de savoir si l’expression est alors adéquate est d’ailleurs très discutée.

13 Eclipse de Dieu, « Avant-propos », 7.

14 Cf. la parabole du fou dans le livre III du Le Gai Savoir. Les interprétations de ce célèbre mot de Nietzsche sont multiples, mais les traits essentiels de sa pensée semblent être triples: le Dieu de la métaphysique est mort; le Dieu des moralistes est mort; le Dieu chrétien est mort, non Jésus. A titre d’exemple, voir N. Schiffers, « Analyses sur le mot de Nietzsche ‹Dieu est mort », Concilium 165 (1981), 101-118.

15 E. Peels, Shadow Sides. God in the Old Testament (sl: Paternoster, 2003), chap. 2, « The Mystery of God in the Old Testament », 22-40.

16 Voir Es 45.15: « Tu es un Dieu qui te caches » et la note de la Bible d’étude version Semeur 2000.

17 Op. cit., 77.

18 Emil Fackenheim, La présence de Dieu dans l’histoire (Lagrasse: Verdier, 1980), 37ss. Pour une introduction succincte à Fackenheim, voir Bernard D. Dupuy, « Un théologien juif de l’Holocauste, Emil Fackenheim », Foi & Vie 73 (1974:4), 11-21.

19 Nous donnons volontairement à ces trois « distinctions » un cadre plus large que ne le fait l’auteur.

20 Fackenheim emprunte cette distinction à I. Greenberg (root experience/epoch-making); op. cit., 12.

21 Nous pensons ici à la notion d’Anfechtung si présente au cœur de l’existence et de la réflexion de Luther; l’épreuve qui semble contester et mettre en doute divers articles de foi mais qui est peut-être le lieu où (l’abîme d’où) nous interpellerons notre Dieu de façon renouvelée.

22 Voir à ce propos D. Steinmetz, « Luther and the Hidden God », in Luther in Context (Grand Rapids: Baker Book House, 2002), 23-31.

23 En disant cela, nous sommes loin d’une des erreurs théologiques fréquentes aujourd’hui qui considère que Dieu est caché dans sa révélation dans le sens où ce serait à l’homme de le dévoiler. Dans une telle perspective, la révélation de Dieu cesse d’être un acte souverain et nous nous trouvons là face à une sorte de synergisme appliqué au domaine de la révélation.

24 Art. cit., 26.

25 Nous sommes souvent frappés de voir à quel point de nombreux chrétiens, d’appartenances ecclésiales fort diverses, parlent de manière très générale de « Dieu » et ne se réfèrent à la distinction des personnes divines que de façon très sporadique. L’importance de la doctrine de la Trinité est réapparue au premier plan de la réflexion théologique depuis une quinzaine d’années environ. Ce renouveau, qui parfois remet en cause l’approche d’Augustin (et donc de la théologie occidentale) au profit de celle des Grands Cappadociens, souligne l’impact de cette doctrine sur l’ensemble du corpus théologique. Voir notamment les travaux de C. Gunton en Angleterre et de Ch. Schwöbel en Allemagne.

26 Op. cit., 38.

27 W.H. Velema, Nieuw zicht op gereformeerde spiritualiteit (Kampen: Kok, 1990), 195.

28 Inst., III.9.1-6 et III.10.1-6. Pour ce qui suit, nous nous sommes inspiré de A. Baars, « Meditatio futurae vitae bij Calvijn », Theologia Reformata 47 (2004:3), 225-247.

29 J. Calvin, Commentaires bibliques. Deuxième épître aux Corinthiens (Aix-en-Provence/Marne-la-Vallée: Kerygma/Farel, 2000), 78.

30 Cf. 2 Co 4.16 et le commentaire que Calvin en donne.

31 Cf. P. Wells, art. cit., 78-79. Sur cette question, mentionnons encore I. Dalferth, qui rappelle que l’eschatologie ne concerne pas uniquement les choses dernières au sens chronologique, mais qu’elle contient aussi la notion de « réalité ultime ». Ainsi, le discours théologique doit exposer non une série de topoi particuliers, mais la réalité eschatologique du Christ ressuscité. Dalferth peut donc dire que l’eschatologie contient les clés herméneutiques de notre vie et de notre connaissance présentes. Cette approche de l’eschatologie comme compréhension de l’agir divin culminant en Christ ne peut être, selon notre auteur, que trinitaire. Dans cette perspective, la doctrine de la Trinité n’est pas seulement le résumé de la grammaire de la foi, mais également le cadre régulateur de toute vie chrétienne. I. Dalferth, « The Eschatological Roots of the Doctrine of the Trinity », in Ch. Schwöbel (ed.), Trinitarian Theology Today (Edinburgh: T&T Clark, 1995), 147-170.

32 En effet, si notre expérience peut parfois confirmer la Parole, elle n’est jamais appelée à être le critère ou la source de notre connaissance de Dieu, ni notre guide dans la foi.

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Frédéric HAMMANN*

Comme un cheveu sur la soupe…

Comment, en ce début de XXIe siècle, faut-il aborder le thème de la réprobation? Voilà une question fort concrète qui, je dois l’avouer, m’a passablement occupé l’esprit avant que je puisse rédiger les quelques pages qui suivent. Si, durant la première moitié du XXe siècle, la doctrine de la prédestination a été remise à l’ordre du jour au sein du protestantisme, même en francophonie (!), par le renouveau engendré par la pensée théologique de Karl Barth1, il nous faut bien reconnaître que cette thématique semble avoir depuis lors sérieusement déserté l’Eglise, que ce soit sur le plan des débats théologiques (académiques ou synodaux) ou sur celui de la prédication dominicale. Pourtant, historiquement parlant, cette doctrine de la prédestination – que Calvin appelait d’ailleurs le cœur de l’Eglise – a été étudiée et développée avant tout en raison de considérations pastorales et ecclésiologiques et ne représente donc point d’emblée un goût douteux et exagéré pour toutes sortes de considérations métaphysiques fort éloignées du donné scripturaire2. Cela dit, soulignons sans tarder qu’avec ce sujet, notamment dans tout ce qui a trait à la réprobation, nous sommes confrontés à un mystère face auquel les limites de notre entendement humain nous apparaissent de façon particulièrement aiguë et où une grande prudence sera de mise.

Calvin et quelques commentateurs «calvinistes»

Pour Calvin, il n’est pas pensable de confesser la doctrine de l’élection sans affirmer également celle de la réprobation. Dans l’Institution chrétienne, nous lisons notamment: «Plusieurs, alors, faisant semblant de vouloir maintenir l’honneur de Dieu et d’éviter qu’il ne soit calomnié, acceptent bien l’élection, mais affirment que personne n’est réprouvé. C’est un point de vue irréfléchi et superficiel, car l’élection n’existerait pas si elle n’était pas la contrepartie de la réprobation.»3

Quelques pages auparavant, il donnait la définition suivante: «Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque être humain. Car Dieu ne les crée pas tous dans une même condition, mais il ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin pour laquelle est créé l’être humain, nous disons que celui-ci est prédestiné à la mort ou à la vie.»4 Il est aisé de comprendre que, sur la base de telles affirmations, nombreux sont ceux qui ont considéré que le réformateur de Genève enseignait une symétrie et un parallélisme entre l’élection et la réprobation5. De plus, comme le remarque F. Wendel, «Calvin ne s’est jamais contenté d’affirmer que Dieu, dans sa bonté, élisait au salut un certain nombre d’hommes pris dans la masse des pécheurs; il pensait que ceux qui n’avaient pas été élus avaient aussi fait l’objet d’un décret spécial de réprobation»6. Wendel précise que, sur ce point, Calvin se sépare d’Augustin pour qui, seuls, les élus sont l’objet d’une décision spéciale qui les retire de la massa perditionis, alors que les réprouvés sont simplement abandonnés par Dieu à la ruine que leurs péchés leur ont fait encourir. Ce qui apparaît là comme une spécificité de la pensée de Calvin est également souligné par A. Lecerf qui, commentant Calvin de manière on ne peut plus limpide, écrit :

«La pensée est claire: elle a le tranchant du glaive: certains pécheurs ont été prédestinés à sortir de la corruption où ils sont plongés et à parvenir au salut, et cela en dehors de toutes prévisions d’œuvres quelconques, méritoires ou simplement utiles. Ceux qui ne sont pas les objets de cette élection gratuite sont prédestinés, du fait même de cette prétérition, à recevoir le juste salaire de leur rébellion. C’est la réprobation. Il est évident que, de la part du Tout-Puissant, une telle prétérition a la signification d’un acte positif. Ce qu’il prévoit comme devant arriver certainement et qu’il n’empêche pas, il en décrète, par cela même, l’avènement.»7

Ce qui précède ne doit toutefois pas nous faire oublier que, d’une part, il est faux de considérer la doctrine de la prédestination comme étant le motif central de la théologie de Calvin et que, d’autre part, d’éminents spécialistes considèrent que, en tenant compte de l’ensemble de la pensée du réformateur sur cette question difficile, la réprobation ne représente pas à ses yeux l’exact vis-à-vis de l’élection et qu’il n’y a donc pas de symétrie entre les deux. Dans son commentaire du premier catéchisme de Calvin, I. John Hesselink écrit: «En aucun cas, Calvin enseigne qu’il y a une symétrie ou un parallélisme entre l’élection et la réprobation, comme c’est le cas chez quelques néocalvinistes.»8 Et s’il est vrai que R. Muller peut mettre en avant la dimension déterministe de la pensée de Calvin, il n’en conclut pas moins que «la réprobation n’apparaît pas comme l’exact pendant de l’élection. Elle intervient en dehors de Christ et, en conséquence, séparément de toute connaissance médiate de Dieu.» Muller peut donc dire que la réprobation se trouve dans un réel isolement par rapport aux autres doctrines; ce qui n’est pas le cas de l’élection9. D’une toute autre façon, cet isolement de la réprobation transparaît de la conclusion que Marijn de Kroon apporte à la section qu’il a consacrée au thème de la prédestination, dans sa belle étude sur le lien entre l’honneur de Dieu et le salut de l’homme chez Calvin. Il conclut en disant que la doctrine de la réprobation est le seul point de la théologie de Calvin où le salut de l’homme ne sert pas l’honneur de Dieu et il ajoute que, puisque cela représente une violation de son principe clé, il est aisé de donner raison à Hunter lorsque celui-ci affirme que Calvin était loin d’être heureux avec la doctrine de la double prédestination10. Il n’est pas sûr que nous devions suivre cette conclusion11 et, en tous les cas, la question est de savoir quel sens donner au terme «heureux» dans cette affirmation!

Et maintenant?

Afin de faire un pas de plus dans notre réflexion, nous devons à présent nous poser la question de savoir ce que nous pouvons – et ce que nous devons – dire au sujet du décret divin.

S’aventurer sur ce terrain-là n’est pas chose aisée, car le risque est grand de quitter le langage concret et dynamique de l’Ecriture et de s’enfoncer dans des considérations hypothétiques, qui ne seraient plus dictées que par une logique tout humaine. Remarquons à ce titre que la mention que nous faisions, au début de cet article, de la dimension fondamentalement pastorale et ecclésiale de la doctrine qui nous occupe n’est pas une garantie absolue face à ce risque. Nous ne sommes d’ailleurs pas loin de penser que, plus d’une fois, la théologie dans laquelle nous nous plaçons n’a pas su éviter ce danger12.

La difficulté consiste à tenir le juste équilibre entre le respect que nous devons à la révélation biblique, à toute la révélation biblique, et à l’étude théologique qui en découle, d’une part, et au mystère qui, d’autre part, y est intrinsèquement lié. Comme le dit Lecerf: «Il [le mystère] est l’atmosphère de la foi. Sans lui, elle ne pourrait respirer et ne tarderait pas à périr faute d’air vivifiant. On ne peut adorer ce qu’on comprend.»13

«Le décret éternel de Dieu» est le titre donné au troisième chapitre de La Confession de foi de Westminster, dans lequel sont abordées les doctrines de l’élection et de la réprobation14. A nos yeux, nous avons là un texte qui expose et synthétise avec fidélité le donné biblique15, même si certaines questions quant à la structure et à la place de ce chapitre dans l’ensemble de la confession peuvent être légitimes16. De ce texte, nous relevons les points suivants:

–  Bien que le péché trouve, d’une certaine manière, sa place dans le décret divin – rien n’échappant au contrôle de la volonté divine, Dieu n’en est en aucune manière l’auteur (§1).

–  Si «certains hommes et certains anges sont prédestinés à la vie éternelle, d’autres sont pré-ordonnés à la mort éternelle» (§3). Nous voyons là un emploi différencié des verbes qui va dans le sens de l’affirmation d’une asymétrie entre élection et réprobation.

–  Après avoir parlé (§6) de ceux que Dieu a élus en Christ et des moyens mis en œuvre en vue de leur salut, le texte poursuit en disant (§7): «Quant au reste du genre humain, il a plu à Dieu de ne pas le choisir.» Là aussi le contraste est clair: si les élus sont rachetés par Christ, appelés efficacement à la foi, justifiés, adoptés et sanctifiés, les autres – à savoir les réprouvés – ne sont simplement «pas choisis». Cette formulation, qui nous semble conforme à l’Ecriture17, exprime une différence par rapport aux passages de l’Institution dans lesquels Calvin parle d’un décret spécial de réprobation dont les réprouvés sont l’objet. Ainsi, sur cet aspect-là, il ne nous paraît pas nécessaire de suivre la pensée du réformateur. Notons d’ailleurs que les autres grandes confessions de foi réformées se situent dans la perspective des textes de Westminster: la Confession de La Rochelle, après avoir indiqué que Dieu retire les élus de la corruption et de la condamnation générale, ajoute que «… nous croyons qu’il laisse les autres dans cette corruption et condamnation»18. Les Canons de Dordrecht font de même: «Selon ce décret, Dieu amollit par grâce le cœur des élus, quelque durs qu’ils soient, et les fléchit à croire; mais, par un juste jugement, il laisse ceux qui ne sont point élus dans leur méchanceté et leur dureté.»19

Le théologien W. Shedd, grand défenseur du calvinisme classique, durant les remises en question qu’il a subies au milieu du XIXe siècle dans certains milieux confessants aux Etats-Unis, dit que «lorsque Dieu agit efficacement sur la volonté humaine, il y a élection. Lorsque Dieu n’agit pas efficacement sur la volonté humaine, il y a réprobation.»20 Cette différence entre la pensée de Calvin et (une partie de) la tradition réformée ultérieure réside, sans doute, dans le fait que le premier rejetait la distinction entre volonté efficiente et volonté permissive. Shedd affirme l’importance de cette distinction et différencie les décrets efficaces des décrets permissifs et ajoute que les seconds ne sont pas indicateurs de ce que Dieu approuve ou de ce en quoi il trouve son plaisir21.

Le dernier aspect que nous voulons brièvement aborder maintenant est celui du débat entre infralapsaires et supralapsaires. Ces termes se rapportent à un débat théologique complexe qui fut parfois vif et mouvementé!22 La question centrale au cœur de cette problématique est de savoir si le décret divin concernant la prédestination précède ou suit celui de permettre la chute. Il est clair qu’il s’agit là, non pas de chronologie, le décret divin étant fondamentalement un et éternel, mais de l’ordre logique des dispositions – peut-être devrions-nous dire des «intentions» – divines. Les tenants de l’infralapsarisme soutiennent la thèse selon laquelle le décret de prédestination suit celui de permettre la chute. Cela veut dire que c’est l’homme déchu que Dieu décide de sauver ou de ne pas sauver. Pour les tenants du supralapsarisme, le décret concernant la prédestination précède la chute. Les infralapsaires craignent que la position «supra» ne finisse par expliquer le mal, lui accordant une quasi-nécessité, dont le but serait la réalisation du dessein de Dieu. Une autre objection contre la thèse supralapsariste est le risque de ne faire de la création du monde qu’un moyen, afin que se réalise l’accomplissement du décret de Dieu dans l’élection et la réprobation (ciel et enfer)23.

Nous terminons cette section en disant que l’ensemble des confessions de foi réformées se placent dans la perspective infralapsaire, puisqu’elles confessent le fait que Dieu a choisi les élus parmi le genre humain déchu. C’est là également notre position, car cette approche nous semble davantage conforme au donné scripturaire, mais nous mentionnons toutefois le fait que le bien-fondé de cette problématique nous apparaît comme fragile, puisque celle-ci nous fait entrer dans des considérations au sujet de la temporalité de Dieu et de ses intentions; sujets sur lesquels la révélation biblique est fort peu loquace!

Conclusion

Arrivés au terme de cette réflexion, nous nous proposons de conclure en posant les dix affirmations suivantes. A leur manière, elles témoigneront de la dimension lacunaire et partielle de ce qui précède…

1. L’Ecriture affirme la souveraineté de Dieu en toutes choses et cela implique la doctrine de l’élection et celle de la réprobation.

2.  Le décret de réprobation par lequel Dieu laisse de côté «l’ensemble des non-élus» ne fait d’aucun homme un pécheur. Si la raison de la réprobation (ici sous l’angle de la prétérition) se trouve dans la volonté mystérieuse de Dieu, la cause de la damnation d’un pécheur ne se trouve qu’en lui, dans son péché et dans son obstination à ne pas croire.

3.  Nous pensons qu’il n’est pas conforme aux textes bibliques de présenter les doctrines de l’élection et de la réprobation de façon parallèle et symétrique. La seconde apparaît davantage comme l’ombre de l’élection que comme son exact vis-à-vis.

4.  Il n’est pas nécessaire, ni théologiquement ni bibliquement parlant, de considérer que tout homme fait l’objet d’un décret particulier de la part de Dieu. Il est légitime de penser que les élus font l’objet d’un tel décret, alors que les autres sont simplement laissés de côté.

5.  Les aspects de causalité présents dans la doctrine de la prédestination telle qu’elle est comprise par la théologie réformée classique ne sont pas d’emblée contraires au message de l’Ecriture. A ce propos, il est significatif de voir que le théologien G. Berkouwer, en voulant se détacher de plus en plus de cette dimension causale au profit d’une approche plus existentielle, a fini par devoir quitter clairement le terrain de la foi réformée que l’on trouve explicitée dans les confessions de foi que nous avons mentionnées ci-dessus24.

6.  Nous devons toujours parler de l’élection comme étant élection en Christ. Comme le dit R. Muller, Christ est le lieu où temporalité et éternité se rencontrent; c’est dans la personne du Médiateur que le décret éternel et son exécution historique se rejoignent25.

7.  Si nous pouvons affirmer que la finalité directe de l’élection est le salut des pécheurs et que sa finalité ultime est de manifester la gloire et la grâce de Dieu, il nous faut être prudents lorsque nous parlons de finalité de la réprobation. Si celle-ci peut être vue dans la manifestation de la justice de Dieu, nous ne sommes pas convaincus qu’il faille, avec Shedd, essayer de trouver certaines justifications à la chute, comme celle de considérer que le péché a permis à certains attributs de Dieu d’être manifestés alors qu’ils ne l’auraient pas été sans la chute26.

8.  Le Dieu qui élit est le Dieu de l’alliance; le Dieu bon, saint et juste. C’est le Dieu qui se révèle en Christ. Il n’est pas un tyran et n’est ni capricieux ni arbitraire. Cependant sa volonté nous dépasse et nous avons à le confesser.

9.  La prédication de l’Evangile doit être adressée à tout homme. Et il est important de nous rappeler que nous ne prêchons pas avant tout à des élus ou à des réprouvés, mais à des pécheurs auxquels Dieu commande de se repentir et de croire.

10.  Finalement, si la prédication de l’élection en Christ doit être un sujet de joie et de louange pour le croyant – la «gratuité» de son salut représentant le meilleur gage de sa persévérance – il serait inadmissible de dire à quelqu’un que, s’il ne croit pas, c’est parce qu’il est réprouvé. De même personne ne peut se dire réprouvé ni, par conséquent, s’adonner au péché. Au contraire, la parole qui doit sans cesse retentir au sein du peuple de l’alliance et au cœur même de toute la création est celle qui dit: «Je place devant toi la vie et la mort, choisis la vie!»

1* F. Hammann est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

Nous pensons notamment au Congrès international de théologie calviniste qui s’est tenu à Genève en 1936 et dont les Actes ont été réunis dans: De l’élection éternelle de Dieu (Genève: Labor et Fides, 1936).

2 Voir, par exemple, concernant Calvin, F. Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse (Genève: Labor et Fides, 1985), 200-201.

3 J. Calvin, Institution chrétienne (Kerygma/Excelsis, nouvelle édition de 2009, à paraître), III,xxiii,1.

4 Ibid., III,xxi,5.

5 On parle alors d’eodem modo; la position avançant la thèse de l’asymétrie étant quant à elle qualifiée de non eodem modo.

6 F. Wendel, op. cit., 212-213.

7 A. Lecerf, «La prédestination d’après Calvin», Etudes calvinistes (Aix-en-Provence: Kerygma, sd.), 25-31, 26.

8 I. John Hesselink, Calvin’s First Catechism. A Commentary (Louisville, Kentucky: Westminster John Knox Press, 1997), 96.

9 R.A. Muller, Christ and the Decree. Christology and Predestination in Reformed Theology from Calvin to Perkins (Grand Rapids, Michigan: Baker Book House, 1986), 24-25.

10 M. de Kroon, The Honour of God and Human Salvation (Edinburgh & New York: T&T Clark, 2001), 144.

11 Nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas là en présence de la tentation toujours récurrente de vouloir trouver un motif ou un thème central à la théologie de Calvin; tentative qui oublie que ce dernier est un commentateur de l’Ecriture sainte – avec les paradoxes que cela implique – avant d’être un systématicien au sens moderne du terme.

12 A ce propos, John Hesselink, op. cit., 95, rappelle que Calvin dit qu’il serait insensé et impie de vouloir pénétrer les décrets divins, mais il se demande si le réformateur a vraiment toujours respecté son propre avertissement et, précise Hesselink, surtout lorsqu’il s’agit de la doctrine de la réprobation.

13 A. Lecerf, art. cit., 28.

14 La Confession de foi de Westminster (Aix-en-Provence: Kerygma, 1988), 8-10.

15 Pour les diverses références bibliques ayant trait à notre thématique, nous renvoyons le lecteur à celles (nombreuses!) qui sont mentionnées dans ce chapitre III de la Confession.

16 La Confession de La Rochelle, pour sa part, expose la doctrine de l’élection dans sa section christologique et l’article en question s’intitule «Notre élection en Jésus-Christ». Il nous paraît clair que cette approche reflète davantage la réalité historique de notre salut, telle qu’elle est révélée dans l’Ecriture. Cf. Confession de La Rochelle (Aix-en-Provence /Krimpen aan den Ijssel: Kerygma/Fondation d’Entraide Chrétienne Réformée, 1988), art. 12.

17 Un travail plus approfondi nécessiterait l’étude de Rm 9.13b: «J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü» (cf. Ml 1.3). Parmi les commentateurs réformés, signalons que W. Shedd, C. Hodge et J. Murray pensent que le verbe haïr doit être compris comme «je n’ai pas aimé», alors que S. Greijdanus considère qu’il ne faut, en aucun cas, en affadir le sens. Pour les trois derniers théologiens mentionnés ici, voir le passage ad hoc dans leurs commentaires de l’épître aux Romains.

18 Art. 12.

19 Le solide fondement. Canons de Dordrecht (Aix-en-Provence/Krimpen aan den Ijssel: Kerygma/ Fondation d’Entraide Chrétienne Réformée, 1988), I/VI. C’est nous qui soulignons.

20 W.G.T. Shedd, Dogmatic Theology (Nashville: Thomas Nelson Publishers, 1980), vol. I, 430. En donnant la définition des termes en présence dans le débat, Shedd explique que la prétérition est le fait que Dieu laisse [italique FH] certains hommes dans leur péché; la damnation est le fait qu’il les condamne en raison de sa justice et à cause de leurs fautes. La réprobation comporte ces deux aspects (433).

21 W. Shedd, op. cit., 405-407. Sur ce point Shedd fait appel à F. Turrettin. A ce sujet, R. Muller, op. cit., 66, explique la différence existant entre Calvin et Vermingli quant à la question de la volonté passive de Dieu. Vermingli, qui accepte cette notion alors que Calvin la rejette, a une approche moins déterministe des décrets que celle de Calvin.

22 Voir par exemple H.M. Yoo, Raad en Daad. Infra- en supralapsarisme in de nederlandse gereformeerde theologie van de 19e en 20e eeuw (Kampen: Dissertatie-Uitgeverij Mondiss, 1990).

23 C’est, notamment, K. Schilder qui a développé cet argument. Selon lui, le monde a une valeur aux yeux de Dieu dès l’origine et sert en tant que tel à manifester sa gloire, et cela non pas uniquement en vue de ce qu’il sera dans son parachèvement eschatologique. Cf., entre autres, K. Schilder, Heidelbergsche Catechismus (Goes: Oosterbaan & Le Cointre, 1950), Deel III, 453ss. Il est intéressant de remarquer que c’est en commentant le premier article du Credo, la création par Dieu du ciel et de la terre (9e dimanche, question 26 du Catéchisme de Heidelberg), que Schilder discute cette question de l’infra-supralapsarisme.

24 Au sujet de la position de G. Berkouwer et de son évolution voir: A. Baker, Berkouwer’s Doctrine of Election: Balance or Imbalance? (P&R, 1981) et C. Graafland, Van Calvijn tot Barth. Oorsprong en ontwikkeling van de leer der verkiezing in het Gereformeerd Protestantisme (‘s-Gravenhage: Boekencentrum, 1987), 329-358.

25 R. Muller, op. cit., 72.

26 W. Shedd, op. cit., 421.

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