Jachum DOUMA – La Revue réformée http://larevuereformee.net Sat, 27 Aug 2011 10:26:55 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 La place et la tâche de l’éthique médicale : une perspective chrétienne http://larevuereformee.net/articlerr/n199/la-place-et-la-tache-de-lethique-medicale-une-perspective-chretienne Sat, 27 Aug 2011 12:26:55 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=646 Continuer la lecture ]]> La place et la tâche de l’éthique médicale : une perspective chrétienne

Jochum DOUMA*

Lorsque G. A. Lindeboom a publié, aux Pays-Bas, en 1960, ses Essais sur l’éthique médicale[1], son attention s’est tournée vers d’autres questions que celles que traitaient jusque-là les publications européennes. Avant la sortie de son livre, l’éthique médicale n’était guère plus qu’une étiquette sur un flacon plutôt vide. On s’intéressait à des sujets comme le secret professionnel, le rapport généraliste/spécialiste, l’installation du médecin, la transmission de clientèle, l’arrêt d’activité, les honoraires (montant et recouvrement). Les rares personnes soucieuses d’éthique médicale étaient conscientes qu’il s’agissait surtout d’usages et de convenances.

Dans ses Essais sur l’éthique médicale, Lindeboom a visé bien autre chose que la discussion de simples règles de convenance. Il a abordé amplement les questions d’actualité telles que la contraception et l’insémination artificielle. Il s’est démarqué du théologien protestant Joseph Fletcher – célèbre pour son « éthique de situation » – et de son plaidoyer en faveur de l’euthanasie, tout en précisant « qu’il convenait d’être extrêmement prudent et de ne pas condamner l’euthanasie sans raisons profondes ».

Il serait, cependant, exagéré d’affirmer que le livre de Lindeboom a marqué le début de la bioéthique moderne. Il constitue plutôt comme une étape entre deux époques. La tempête déclenchée par l’avortement et l’euthanasie n’a pas encore éclaté. En 1960, les Pays-Bas comme les autres pays européens ont encore des normes médicales. Lindeboom sait que, dès que les questions de principe sont débattues, catholiques romains, réformés et humanistes se séparent. Quant à lui, la foi chrétienne est à la base de son éthique médicale. Cependant, son livre ne donne jamais l’impression que des présupposés différents doivent conduire à l’adoption de comportements médicaux qui le soient également. Le serment d’Hippocrate, comme norme de conduite pour tous les médecins, n’a encore rien perdu de sa valeur. Il pose toujours, pour Lindeboom, les grandes lignes de l’éthique médicale. A certaines époques, il peut faire l’objet d’une réflexion plus approfondie mais, dans l’ensemble, tout problème d’éthique médicale relève de l’un ou l’autre de ses articles.

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Plus de trente ans plus tard, il n’est plus question de consensus en matière d’éthique médicale. Ce bouleversement n’est pas dû seulement aux problèmes de taille que le développement de la technique médicale a suscités. Il y a plus.

Depuis les années 60, la pensée des médecins, des patients et des éthiciens a changé. En quelques années, parfois, on a pu voir des médecins et des éthiciens accepter ce qu’ils refusaient auparavant comme immoral. La violence des controverses, comparée à ce qui se passait avant 1960, a mobilisé une armée de spécialistes dans les milieux religieux, qui se sont consacrés à l’éthique médicale. Quantité d’articles et de livres sont publiés. Aussi, non sans quelque humour, a-t-on pu dire que l’éthique a été sauvée par la médecine!

Comme je suis de ceux qui souhaitent prendre part au vaste débat ouvert, je vais essayer de me situer. Il me semble juste, même au prix d’une trop grande simplification, de distinguer deux courants dans l’éthique médicale; je dis bien « courants » et non pas « partis » entre lesquels peuvent se regrouper les éthiciens. Il y a, d’abord, un courant dominant, et puis, regroupés dans un autre courant, malgré tout ce qui les différencie, l’ensemble de ceux qui ne se reconnaissent pas dans le premier.

I. L’éthique médicale dominante

Dans ce courant, les éthiciens raisonnent de la façon suivante: nous vivons dans une société pluraliste dans laquelle il n’est plus question d’imposer quoi que ce soit par la contrainte; une autorité morale ne peut plus être reconnue par tous. Autrefois, cela était possible, même en matière religieuse. Les guerres de religion appartiennent à l’histoire. La religion est devenue une affaire privée. Aller ou ne pas aller à l’église est une affaire personnelle. La pratique religieuse ne relève plus de la morale publique et la religion ne peut pas influencer des décisions médicales. Il en est ainsi depuis longtemps en Europe.

Des évolutions sont intervenues récemment. C’est ainsi que certaines pratiques concernant la sexualité sont passées du domaine de la morale publique à celui de la morale privée. A chacun de décider s’il veut se marier ou cohabiter, avoir des rapports hétérosexuels ou homosexuels. La morale politique, la morale publique ne sont pas concernées. Plus récemment, il en va de même pour l’avortement, l’euthanasie et le suicide. Qu’une femme veuille interrompre sa grossesse dans les premières semaines ou même plus tard, c’est son affaire. Qu’une personne en ait assez de vivre et souhaite en finir, il faut respecter sa volonté et même, éventuellement, l’aider.

Afin de différencier clairement la morale privée et la morale publique, on parle actuellement de morale large et de morale étroite. La morale large est la morale individuelle, extrêmement variable d’une personne à l’autre, qui comporte, en même temps, un vaste éventail de vertus, un pluralisme d’idéaux, de principes et de règles que chacun peut observer à titre personnel. La morale étroite regroupe seulement les règles indispensables pour que tous puissent vivre et travailler dans la société. Impossible d’agir à sa guise; il faut tenir compte des autres. Tel est l’objet de la morale publique. Chacun doit l’observer; autrement, c’est l’arnarchie sociale. Liberté, joie…, à titre individuel, bien sûr, mais à condition que cela ne soit pas au détriment des autres.

Plus la morale publique est étroite, mieux cela vaut. Cependant tout ce qui peut être de la responsabilité de l’individu n’a pas à relever de la morale publique. Le temps du paternalisme du roi, de l’Etat, du médecin ou de l’Eglise, sachant ce qui est bon pour chacun, est révolu. Autrefois, on pouvait dire de l’Eglise: Roma locuta, causa finita (Rome a parlé, la cause est entendue). Aujourd’hui, on dirait plutôt: Persona locuta, causa finita (l’individu a parlé, la cause est entendue).

Il est évident que cette façon de penser a pour fondement l’idée individualiste de la libre disposition de soi-même. Les éthiciens qui adoptent cette position considèrent comme primordial le principe d’autonomie; ils le situent, par exemple, avant ceux qui concernent la recherche du bien, le refus de nuire à autrui, la justice. Cependant, ils se rendent compte que ce principe de la libre disposition de soi-même n’est pas tout; en pratique, d’autres principes, comme celui d’une répartition équitable des biens (médicaux), peuvent primer, devenir dominants, sans pour autant limiter le droit à disposer de soi-même.

II. Les inconvénients de ce courant

Cette tendance de l’éthique médicale a suscité beaucoup de protestations. Je n’aborderai, ici, que quelques-uns des inconvénients relevés.

i) En premier lieu, nombreux sont ceux qui refusent d’accorder la place centrale au principe d’autonomie, du « nos corps sont à nous ». Sans vouloir revenir au paternalisme du médecin, ils estiment que ce principe déforme la relation médecin/malade. D’autre part, du fait même de leur maladie, nombre de patients ne sont plus vraiment capables de décision autonome. Ils sont devenus fortement dépendants. Le processus de guérison va restaurer leur indépendance. En concédant une place centrale au principe d’autonomie, le rapport entre médecin et malade revêt le caractère d’un contrat avec des droits pour les deux parties, au lieu d’être une relation de confiance dans laquelle le patient n’abdique pas, mais dans laquelle il s’en remet à celui qui recherche son bien-être. L’idée d’autonomie de la personne issue du mouvement des droits de l’homme a donc à être adaptée, et la relation spécifique qui unit le médecin à son malade s’apparente moins à un contrat qu’à une alliance.

Si le principe d’autonomie prédomine dans l’éthique médicale, le malade est rapidement coupé des relations vitales qui, non seulement limitent son autonomie, mais en déterminent la nature. L’individu n’est pas un monde; il est un être humain parmi les autres. Il est imbriqué dans toutes sortes de relations de vie qui limitent son indépendance. Il n’est pas le seigneur, mais l’enfant de son temps. Il peut s’imaginer régner en maître sur la technologie médicale, alors qu’en réalité il en est le jouet tandis que celle-ci se développe de façon quasi indépendante.

Que faire de l’autonomie de l’individu dès lors que se posent les questions de partage des biens médicaux? Le rapport « Choisir et partager » de la Commission Dunning fait bien ressortir que, dans ce domaine, l’approche individualiste ne permet pas de résoudre les énormes problèmes qui se posent. La santé ne se limite pas à la seule question de la relation malade/médecin. L’autonomie est un principe de grande valeur, qu’il est impossible d’appliquer.

ii) Voici un autre inconvénient relevé par beaucoup. Considérer que toutes sortes de décisions relèvent du domaine privé, même lorsqu’il est question de la vie et de la mort, revient à les écarter de tout débat public. Si la société accepte l’avortement et l’euthanasie, seules les précautions à prendre seront discutées. Rien n’aura plus à être débattu au fond. Telle est une des conséquences de l’idée d’autonomie individuelle. En invoquant le principe de la liberté du choix, on coupe court au débat éthique.

Prenons un exemple. Si quelqu’un écrit qu’une commission d’éthique médicale, au sein de laquelle les avis divergent à propos de l’euthanasie, ne peut guère aider un hôpital dans sa réflexion et ses décisions, il écarte du débat la question de savoir si l’euthanasie est une bonne ou une mauvaise chose. La question paraît réglée et il semble impossible, même face à un cas concret, de revenir dessus et de réouvrir le débat au niveau théorique. De nombreux éthiciens voudraient pourtant poursuivre la discussion, en n’oubliant pas qu’ils vivent dans une société pluraliste et que des options, approuvées ou non par la loi, doivent être prises en compte. Ils souhaitent cela, bien que le caractère pluraliste de la société devrait les en décourager. A leurs yeux, mieux vaut continuer à débattre plutôt que d’accepter une situation de léthargie morale. L’éthique médicale ne doit pas se limiter à l’énoncé de quelques principes de précaution et les éthiciens ne sont pas des magistrats qui en vérifient l’application correcte.

Nous avons évoqué plus haut les règles qui régissaient le comportement ou les bonnes moeurs avant 1960. Nombreux sont ceux qui considèrent, de nouveau, l’éthique médicale de cette manière. Ils se demandent, en effet, s’il convient de respecter l’autonomie de chaque individu en lui accordant ce qu’il désire sur la base de sa propre morale. Leur question est aussi de savoir si la distribution des nouveaux moyens offerts sur le marché du médical se fait correctement, c’est-à-dire de manière à ce que le plus grand nombre possible de personnes est aidées le mieux possible. La question de savoir s’il est vraiment souhaitable de développer certaines technologies médicales nouvelles échappe au domaine de l’éthique. La caravane de la technique passe sans que les éthiciens aboient; ceux-ci sont devenus de bons chiens d’escorte.

iii) Dernier inconvénient, étroitement lié au précédent, de l’éthique médicale en cours: la tolérance qui, dans notre société pluraliste, est également recommandée par le discours de l’éthique médicale n’est pas aussi grande qu’on pourrait le croire de prime abord. Certes, personne ne peut trouver mauvais qu’un dialogue s’instaure entre les partenaires et que tous se respectent réciproquement. Mais dans quelle mesure ce respect est-il réellement sincère si, en même temps, certains protagonistes jugent ce débat dépourvu de sens, étant donné leurs convictions personnelles, à leurs yeux saintes ou sacrées? L’invitation au dialogue exclut-elle toute restriction préliminaire? Est-ce que des intuitions malaisées à expliquer, des considérations particulières sur la vie que tous ne partagent pas n’ont pas de rôle à jouer dans les discussions? Une telle exclusion serait étrange, si le pluralisme est vraiment pris au sérieux. Faut-il admettre que la morale étroite exige qu’aucune conception ne puisse être tenue pour sacrée sitôt que le dialogue est ouvert?

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La neutralité envisagée n’est qu’une fiction. Est-il pensable de mener une discussion sur des questions de vie et de mort, de maladie et de souffrance, sans exprimer, implicitement ou explicitement, sa propre conception de la vie? L’ardeur avec laquelle les opposants à la libéralisation de l’avortement et à l’euthanasie, comme aussi ceux qui les défendent expriment leur point de vue, montre clairement que la notion de sacré n’est pas uniquement le fait de ceux qui évoquent le nom de Dieu.

On pourrait penser que de bons arguments devraient conduire un débat à des conclusions raisonnables et responsables, c’est-à-dire acceptables par tous. En fait, n’importe quel point de vue peut être défendu de façon rationnelle. Il en est également ainsi pour celui qui est établi à partir de certains présupposés. Mais il est illusoire, surtout dans une société pluraliste, d’espérer formuler un discours[2] consensuel sur une morale minimale.

III. Une autre position

Après avoir présenté l’éthique médicale dominante, voici une autre position que je fais mienne. Je partage les critiques exposées ci-dessus et reconnais qu’elles sont plus explicites pour dénoncer que pour construire. A ma connaissance, il n’existe qu’un essai de critique fondamentale débouchant sur une éthique médicale nouvelle et bien réfléchie.

Je constate également, chez les critiques, une méfiance fondamentale envers la technologie médicale, que je ne partage pas parce qu’elle est, justement, trop systématique. Cette technologie est le résultat d’un processus scientifique impossible à stopper et dont chacun bénéficie. Elle peut certes dérailler – par exemple, en procédant à des expérimentations sur la vie humaine; aussi ces déraillements doivent-ils être dénoncés de façon concrète.

En me situant dans le contre-courant critique, je précise toujours explicitement que mon éthique médicale s’inscrit dans une perspective chrétienne. Je ne laisse ni mes lecteurs ni mes auditeurs le deviner. Il m’arrive souvent de lire des considérations critiques sur l’éthique dominante qui n’auraient pas pu être écrites sans une conviction chrétienne semblable à la mienne[3]. Je reconnais qu’il n’est pas obligatoire d’en faire état, ni qu’il faille constamment évoquer le nom de Dieu. Une retenue s’impose lorsqu’on est accusé, en le faisant au lieu de parler de phénomène religieux, de quitter le domaine scientifique. Certains théologiens estiment même, qu’au sens strict du terme, il n’y a pas de théologie, mais seulement une science religieuse. Je n’ignore pas qu’il est dangereux de parler de Dieu – Deo verum dicere periculosum est; on le savait déjà dans les temps anciens. On peut aussi faire appel, de façon hypocrite, au nom de Dieu « pour les besoins de la cause »; les non-croyants le discernent souvent. Mais il est aussi grave de se taire sur Dieu lorsqu’on est convaincu, comme je le suis, que nous lui devons notre existence et notre salut.

Cette conviction constitue un présupposé qui ne se démontre pas scientifiquement. Mais cela ne signifie pas qu’à partir de là il ne reste plus de travail scientifique à réaliser. Celui qui croit que Dieu est le créateur de la vie ne peut pas faire comme si Dieu n’existait pas, lorsque sa réflexion d’éthique médicale le place face aux questions de la vie et de la mort. Il y a là, pour lui, une occasion d’exposer sa vision personnelle de la vie.

Ma vision personnelle de la vie se trouve dans la révélation de Dieu telle qu’elle nous est donnée dans l’Ecriture sainte. Il est certes possible de se référer faussement à celle-ci, notamment pour les questions d’éthique médicale. Mais il est également justifié de le faire, et c’est mon objectif. Pour cela, il convient de garder présentes à l’esprit les deux parties du grand commandement: aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même. Une tension s’établit parfois entre ces deux parties, c’est pourquoi leur ordre est important: d’abord, Dieu, et ensuite, le prochain. Si notre amour pour Dieu devait avoir pour effet l’anéantissement de personnes vivantes auxquelles nous n’aurions pas offert d’aide dans leur souffrance, il est clair que notre référence à la Bible serait mauvaise.

IV. Notre tâche en ce domaine

Quel est le rôle de l’éthique médicale? Il se définit à la lumière d’une notion biblique essentielle: celle de l’homme, image de Dieu. Cette notion exprime, à la fois, la grande valeur et la grande responsabilité de l’homme. Elle intervient souvent dans les considérations d’éthique médicale.

Etre image de Dieu signifie, en outre, que l’homme vit en relation. Pour l’éthique, les relations suivantes sont fondamentales:

i) La relation avec Dieu[4]. L’homme est créé par Dieu et dépend de lui. La parole de Dieu précède la réponse de l’homme. L’application pratique de cette relation dans l’éthique médicale conduit à ne pas mettre au centre l’idée d’autonomie et de libre disposition de soi, mais celle de responsabilité personnelle. L’élément positif de la notion d’autonomie par rapport au paternalisme est celui de responsabilité personnelle. Cette responsabilité personnelle, dans le cadre de l’éthique médicale, appelle un consentement éclairé du malade et peut le conduire à refuser ou à arrêter un traitement. Le chrétien n’établit pas lui-même sa propre loi, au sens humaniste; son « agir » est une réponse à la parole de Dieu qui l’a touché.

ii) La relation avec d’autres personnes. Si je suis à l’image de Dieu, eux le sont aussi (Mt 7:14). Tout être humain a droit de recevoir son dû, puisqu’il est l’image de Dieu. Cette conception de l’homme n’est pas facile à respecter en pratique: non seulement parce qu’il y a une foule de personnes, mais aussi parce que beaucoup d’entre elles souffrent tant et sont si atteintes dans leur être qu’il devient difficile de discerner en elles l’image de Dieu. Décréter un respect absolu de la vie au point de conférer la même valeur à toutes les minutes est aussi faux que de dire que certaines personnes ont franchi le seuil au-delà duquel on est en droit de mettre fin à leur vie. Nous connaissons l’attention miséricordieuse de Jésus à l’endroit des possédés, des paralysés, des lépreux, des aveugles et des sourds, personnes qui, selon le jugement de leurs contemporains, étaient sous le jugement de Dieu.

iii) Chaque être est au coeur de relations multiples. Cette relation complète la précédente dans laquelle nous avons à donner son dû en justice et en miséricorde à celui que nous côtoyons. Que chacun reçoive ce qui lui revient est un principe qui doit être complété par celui d’une responsabilité partagée. En effet, celui qui place l’autonomie de l’individu au centre verra constamment un concurrent dans son prochain. Le même sentiment est éprouvé dans une situation où des règles contraignantes contrarient notre indépendance et nous font regretter de ne pas obtenir la pleine satisfaction de nos désirs. Celui qui met au centre l’idée de responsabilité acceptera plus facilement le jeu des responsabilités diverses auxquelles il est appelé à faire face. Ma responsabilité devant Dieu doit se conjuguer avec les diverses responsabilités suscitées par les relations de la vie.

Les problèmes énormes devant lesquels se trouvent les services de santé, aujourd’hui, sont une bonne illustration. La relation médecin-malade est dépassée, même si elle reste essentielle. Elle comprend déjà des droits et des devoirs de part et d’autre. Le patient n’est plus soumis, dans une relation de type paternaliste, aux décisions du médecin; et le médecin n’est pas non plus le simple exécutant de la volonté de son patient. Les deux parties ont des responsabilités différentes qui doivent s’accorder. Une différence d’opinion, même sur des sujets comme l’avortement et l’euthanasie, ne doit pas exclure une bonne relation entre elles.

Mais il y a d’autres relations que les seules relations entre médecin et malade. Nous prenons conscience, maintenant que la prospérité n’est plus ce qu’elle a été encore récemment, que l’Etat doit intervenir davantage dans le service de santé. La récession peut même nous obliger à nous contenter de moins de soins médicaux et à prendre une plus grande conscience de notre finitude et de l’obligation de mourir un jour. On n’est pas encore obligé de faire, en matière de soins, tout ce qui est techniquement possible, notamment lorsqu’on est convaincu que la vie véritable est à venir.

Je n’ai pas le temps d’évoquer d’autres relations spécifiques dans le domaine médical, comme, par exemple, le mariage. Celui qui réfléchit sur l’homme en tant qu’image de Dieu a à faire face, dans l’éthique médicale, à un ensemble de relations qui, considérées globalement, compliquent sa tâche.

iv) L’homme est appelé à accomplir un mandat culturel [5]. La gestion de la création lui a été confiée. Les recherches en biologie médicale le font pénétrer de plus en plus profondément dans les secrets de la vie. Le développement extraordinaire des recherches sur l’ADN place l’homme devant le choix de demeurer image de Dieu ou de fonctionner comme Dieu. Autrement dit, veut-il rester un gestionnaire ou faire mieux que Dieu?

Dans la réflexion éthique, la fonction de gestionnaire comporte quatre éléments: cultiver, guérir, protéger et préserver.

  • On peut être actif en cultivant, c’est-à-dire en découvrant les secrets de la vie. Cette démarche comporte des dangers, mais cela n’est pas suffisant pour arrêter la recherche scientifique.
  • On peut être actif en guérissant, y compris par la thérapie somatique des gènes, ce qui permettrait de remédier à des anomalies génétiques diagnostiquées.
  • On peut être actif en protégeant les vies faibles confiées à nos soins. Il y a donc une limite à l’expérimentation lorsqu’elle ne peut pas être menée sans destruction de jeunes vies humaines.
  • On peut être actif en préservant la création qui nous a été confiée et en veillant à ce qu’elle ne soit pas défigurée. Depuis trente ans, la préservation de l’environnement retient l’attention; les techniques biologiques appellent la même vigilance. Nous ne rendons pas les hommes meilleurs, mais nous faisons des hommes améliorés. Il importe de savoir si nous voulons nous engager sur cette voie et, si oui, jusqu’où on peut aller sans faire courir à notre descendance des risques immenses. Celui qui croit que l’homme créé à l’image de Dieu n’est que gérant peut agir, en cultivant, guérissant, protégeant et préservant, comme cooperator cum Deo et non comme creator cum Deo [6].

* J. Douma est professeur honoraire d’éthique à la Faculté de théologie de Kampen (Vrijgemacht), aux Pays-Bas. Cet article est le texte du discours qu’il a prononcé, le 4 février 1994, à l’occasion de sa nomination à la chaire d’éthique médicale chrétienne à la Faculté de médecine de l’Université libre d’Amsterdam. En 1997, la reine des Pays-Bas lui a remis la médaille de l’ordre d’Orange.

1 G. A. Lindeboom, Opstellen over medische ethiek (Kampen: Kok, 1960).

2 Kant en a parlé; c’est aussi ce qui rend son discours si différent de ce qu’on entend par là aujourd’hui. Pour lui, « autonomie » signifie élaboration d’une morale à partir de la raison humaine. Sa morale ne débouche pas sur un droit individuel à disposer de soi, mais a la prétention d’être une morale pour toute l’humanité. Quiconque utilise bien sa raison se soumettra librement à cette morale. Le principe formel de l’éthique de Kant est: « Agis toujours de telle sorte que ce que tu veux puisse devenir une loi naturelle générale« , c’est-à-dire soit valable pour tout le monde. La libre disposition de soi ne signifie pas pour Kant « obéissance à ma raison », mais « obéissance à la raison », comme loi morale valable pour tous. Par exemple, le suicide, qui peut se défendre, aujourd’hui, en faisant appel à l’autonomie de la personne, est refusé par Kant comme étant contraire à la loi morale.

3 Il en est ainsi de catholiques romains orthodoxes, pour qui, dans les questions d’éthique, il convient d’utiliser des arguments « naturels », raisonnables et, par conséquent, généralement acceptables. D’autres catholiques romains, moins orthodoxes ou non orthodoxes, tout en raisonnant aussi « naturellement », parviennent fréquemment à des conclusions très différentes, parce qu’ils ont une vision autre de la foi, de la Bible et de l’autorité du Pape. La lex naturae est souvent une lex culturae, et ce qui est proposé comme droit naturel raisonnable est un droit naturel plus ou moins teinté de christianisme.

4 Que beaucoup de personnes ne vivent pas cette relation, parce qu’elles ne croient pas en Dieu, est un fait qui n’autorise pas les chrétiens à nier qu’elles demeurent images de Dieu. Pensons à l’arche de Dieu lorsqu’elle est arrivée chez les Philistins (1 S 4). Le trône de Dieu est devenu un simple coffre en bois que, pourtant, les Philistins ne pouvaient pas toucher impunément: l’arche de Dieu restait l’arche de Dieu.

5 Voir mon livre Rondom de dood (Kampen: Van den Berg,1987), 48ss. Personne n’arrive, dans la pratique, à faire du respect de la vie un principe absolu. L’autodéfense – également sous sa forme de guerre justifiée par un droit – ôte de sa force à ce principe. Il est également « irréel » d’absolutiser la vie humaine en approuvant tout traitement médical capable de prolonger la vie de quelqu’un ou d’en augmenter la qualité. Dans le texte anglais de la Déclaration de Genève adopté par la World Medical Association, en 1948, il n’y a pas ce que propose la traduction néerlandaise: « Je garderai un respect absolu envers la vie humaine, dès sa conception. » Il y a: I will maintain the utmost respect for human life from the time of conception. The utmost respect laisse plus de liberté que le « respect absolu ».

6 Voir Gn 1:27s où il est écrit que Dieu créa l’homme à son image et, tout de suite après, que l’homme doit remplir et soumettre la terre. Nombreux sont ceux qui parlent, ici, de « mandat culturel ».

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Le baptême des enfants et la conversion – Comparaison entre la foi réformée et les conceptions baptistes http://larevuereformee.net/articlerr/n207/le-bapteme-des-enfants-et-la-conversion-comparaison-entre-la-foi-reformee-et-les-conceptions-baptistes Thu, 18 Aug 2011 14:27:46 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=558 Continuer la lecture ]]> Le baptême des enfants et la conversion
Comparaison entre la foi réformée et les conceptions baptistes

J. DOUMA*

Nombreux sont les chrétiens qui, comme les baptistes auteurs de la Confession de foi baptiste de 16891, ou comme C. H. Spurgeon (1834-1892), le grand prédicateur londonien, pensent que le baptême des petits enfants est antibiblique. Certains vont jusqu’à le qualifier d’hérétique. A leurs yeux, le baptême des enfants conduit à beaucoup d’abus et implique une vision tellement large de l’Eglise que celle-ci perd son caractère biblique.

Il importe de considérer avec sérieux ce qui nous sépare, en tant que réformés, des baptistes soucieux, comme nous, d’être fidèles à l’Ecriture et, parmi eux, de ceux qui adhèrent aux « doctrines de la grâce ».

Une question revient souvent: comment, si l’on tient en estime le baptême des enfants, peut-on accorder à la conversion de l’homme la place que lui donnent les Saintes Ecritures? Autrement dit, les baptistes ont-ils raison de mettre l’accent sur la conversion de l’homme et de n’admettre celui-ci dans l’Eglise du Christ qu’après son baptême?

Ce sujet n’est pas sans importance. Voici comment il nous apparaît que le baptême des enfants n’est pas antibiblique. C’est, en effet, l’étude de la Bible qui nous conduit à justifier le baptême des petits enfants pour les raisons suivantes:

  1. Il y a continuité et ressemblance entre la circoncision et le baptême.

  2. Une seule et même promesse est attachée à ces deux pratiques, même si Abraham a deux sortes de descendance.

  3. Une seule et même promesse est faite au peuple de Dieu.

  4. Les textes du Nouveau Testament ne contredisent pas ce point de vue.

  5. Les enfants de chrétiens sont placés au bénéfice des promesses de l’Alliance.

Analysons ces cinq affirmations.

I. Ressemblances entre la circoncision et le baptême

A) « Enfants d’Abraham »?

Comme nous allons le voir, il nous est impossible d’approuver nos amis baptistes lorsqu’ils rejettent le baptême des enfants. Le livre Children of Abraham (les enfants d’Abraham), de David Kingdon2, un réformé baptiste, nous sera très utile pour nous expliquer, car il présente clairement le point de vue réformé baptiste. Kingdon souhaite laisser parler la Bible. Nous essaierons de faire de même!

i) Une Alliance

L’exposé de D. Kingdon porte sur un point essentiel: le remplacement de la circoncision dans l’Ancien Testament par le baptême dans le Nouveau. Pour un grand nombre de baptistes, la circoncision n’est rien de plus qu’une circoncision « charnelle », un signe extérieur de l’appartenance au peuple d’Israël. Dans le Nouveau Testament, elle n’a plus aucune importance. Aussi, pour eux, n’est-il pas possible de tracer une ligne de la circoncision au baptême. Il n’existe pas de relation entre une affaire strictement nationale dans l’Ancien Testament et le baptême dans le Nouveau Testament.

Pour nous, à l’inverse, le fait que le baptême soit venu remplacer la circoncision est d’une importance décisive. Si cela était douteux, la défense du baptême des enfants deviendrait précaire. La circoncision est plus qu’un signe « national » et plus qu’une affaire « externe », parce que l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament ne peut, en aucune manière, être ébranlée. L’enjeu en est l’Alliance unique que Dieu a faite avec Abraham et qu’il a scellée pour ses enfants par la circoncision, Alliance qui continue dans la dispensation du Nouveau Testament. Nous croyons que nous sommes, ainsi que nos enfants, de la postérité d’Abraham et que, non seulement les parents croyants, mais aussi leurs enfants peuvent recevoir le signe de l’Alliance. Puisque nos enfants sont des enfants de l’Alliance, le signe de l’Alliance – le baptême dans le Nouveau Testament — ne peut pas leur être refusé.

En quoi le raisonnement de Kingdon est-il donc remarquable? Il fait sienne la position réformée en ne coupant pas les liens entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Il parle d’une seule Eglise, qui est le peuple de Dieu dans tous les temps et dans tous les lieux; d’une seule voie de salut en Jésus-Christ; d’une seule destinée pour tous les saints, la nouvelle Jérusalem. Pour Kingdon, l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament est celle de l’Alliance.

ii) La circoncision n’est pas si charnelle

Quelle implication cela a-t-il, selon Kingdon, sur la relation entre la circoncision et le baptême? A cet égard, Kingdon reconnaît se dissocier de plusieurs baptistes qui, en réaction contre la doctrine du baptême des enfants, considèrent la circoncision comme étant seulement « un enseignement de l’Ancien Testament » (p. 17).

Kingdon explique, tout d’abord, que la circoncision dans l’Ancien Testament n’était pas que « charnelle ». Abraham n’a-t-il pas reçu le signe de la circoncision comme sceau de la justice qu’il avait obtenue par la foi (Rm 4:11)? La Loi ne stipule-t-elle pas que le cœur doit être circoncis?3 Paul ne montre-t-il pas clairement qui est Juif et en quoi consiste la vraie circoncision?

« Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est visible dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu. » (Rm 2:28ss).

Kingdon conclut donc correctement que le rite de la circoncision inclut l’idée que la circoncision du cœur est nécessaire. La circoncision ne se réfère pas seulement à une réalité « naturelle » (exemple: être Israélite, être propriétaire d’une parcelle de terrain en Canaan, etc.). Kingdon rejette également la notion de Karl Barth, qui établit une nette distinction entre la circoncision « charnelle » et le baptême « spirituel »; il n’accepte pas un tel dualisme (pp. 25ss).

Kingdon constate, ensuite, qu’il ne convient pas de rattacher la circoncision à la seule période nationale de l’histoire d’Israël, c’est-à-dire à la loi mosaïque et à la théocratie. La circoncision a été instaurée, en effet, quatre cent trente ans avant le don de la Loi au mont Sinaï (Ga 3:17). Aussi la circoncision n’est-elle pas du tout une affaire « nationale » ou un signe « national », qui ne puisse pas déborder la portée limitée de l’Alliance du Sinaï (p. 27).

iii) Analogie entre la circoncision et le baptême

Si la circoncision est telle, sa signification n’est-elle pas proche de celle du baptême? Kingdon le perçoit bien. Il présente à nouveau des preuves scripturaires convaincantes: la circoncision dans l’Ancien Testament est un symbole de la purification et du renouvellement du cœur; le baptême dans le Nouveau Testament a la même signification, comme le montre Colossiens 2:11ss:

Et c’est en lui que vous avez été circoncis d’une circoncision que la main n’a pas faite, mais de la circoncision de Christ, qui consiste dans le dépouillement du corps de la chair; ayant été ensevelis avec lui par le baptême, vous êtes aussi ressuscités en lui et avec lui, par la foi en la puissance de Dieu, qui l’a ressuscité des morts.

On se dépouille de notre passé dominé par le péché et on revêt le Christ. Les deux signes de l’Alliance, la circoncision et le baptême, transmettent le même message. Ce qui est dit de la circoncision peut l’être également du baptême. Romains 4:11 précise qu’Abraham reçut la circoncision comme un sceau de la justice par la foi; la même chose pourrait être affirmée lorsqu’on reçoit le baptême, dit Kingdon (pp. 28ss).

B) Et pourtant…

Pourtant, Kingdon ne fait pas le pas auquel on s’attendrait. S’il y a une seule Alliance et s’il existe une analogie si claire entre la circoncision et le baptême, pourquoi les enfants de parents croyants ne recevraient-ils pas, aujourd’hui, ce que les enfants recevaient en Israël dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire le signe de l’Alliance? Impossible, dit Kingdon, car même s’il existe une analogie entre la circoncision et le baptême, l’enjeu est maintenant de rechercher le sens et la signification précise de cette analogie. Kingdon introduit alors une distinction entre des éléments dispensationnels et trans-dispensationnels (p. 30).

Une telle distinction ne suscite pas en elle-même d’objection, car l’ancienne et la nouvelle dispensation sont effectivement distinctes. Certains éléments de l’ancienne Alliance ne sont pas repris dans la nouvelle, et certains éléments de la nouvelle Alliance ne se trouvent pas dans l’ancienne. Le problème est de savoir ce que Kingdon fait de cette distinction. Voici son raisonnement.

Abraham a reçu la promesse qu’il aurait de nombreux descendants. Cette promesse s’est accomplie à travers la nation juive et les nombreux descendants d’Ismaël et de ses autres fils (p. 30). Dans la dispensation du Nouveau Testament, cette promesse s’accomplit à travers la multitude des croyants. Le centre d’intérêt n’y est plus l’Israël selon la chair, mais la vraie postérité d’Abraham.

« Et si vous êtes à Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse. » (Ga 3:29)

Selon l’enseignement de Paul, les croyants, et les croyants seulement, constituent la vraie descendance d’Abraham.

Dans la dispensation de l’Ancien Testament, poursuit Kingdon, la promesse du pays a été accomplie par le don de Canaan. Dans la dispensation du Nouveau Testament, elle s’accomplit par l’héritage des croyants en Christ, un héritage qui, contrairement au pays de Canaan, ne peut ni se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir (1 P 1:4). Le principe de l’Alliance avec Abraham, son centre, est « à toi et à tes descendants après toi »; la circoncision ne s’est pas appliquée seulement à Abraham, mais à tous ses descendants mâles, et à chacun de ceux qui avaient quelque rapport avec sa famille: fils de concubines, esclaves, etc. (Gn 13:17ss). Reconnaître que la circoncision a aussi une signification spirituelle n’y change rien, car si celle-ci existe,

cela ne veut pas dire que la signification nationale du signe de l’Alliance pour tous les Israélites mâles peut être simplement ignorée en vue de rendre la signification de la circoncision identique au baptême, lequel n’a bien sûr aucune signification nationale4.

Selon Kingdon, l’Alliance avec Abraham comporte, à la fois, un aspect temporel et un aspect éternel, un objet terrestre et un objet céleste. Pour celui qui est réellement un Israélite marchant sur les traces d’Abraham, la circoncision est le sceau de la justice de sa foi. C’est pourquoi, en vue des bénédictions de nature terrestre de l’Alliance, tous les descendants d’Abraham sont circoncis. Mais Abraham a une double descendance: les enfants selon la chair et les enfants selon l’Esprit (Ga 4:21ss). Aussi, soutient Kingdon, devons-nous parler d’une Alliance unique et nous ne devons pas diviser en deux parties l’Alliance avec Abraham. Cela n’empêche pas de maintenir que l’Alliance avec Abraham contenait des aspects terrestres et des aspects célestes. Quelqu’un peut participer de facto à l’Alliance et ainsi être un membre d’Israël « selon la chair », sans participer au « véritable » Israël. Le signe de l’Alliance (la circoncision) n’a-t-il pas été administré sur un organe masculin précisément pour manifester que le statut d’alliance est transmis d’une génération à l’autre par la naissance physique? Le mot « descendance » dans l’Ancien Testament se réfère d’abord à la descendance charnelle, l’idée d’une descendance spirituelle n’est devenue évidente que dans le Nouveau Testament (p. 33).

C) Evaluation

Tout ceci se trouve déjà clairement formulé dès le début du livre de Kingdon. Pour lui, l’Alliance dans l’Ancien Testament est d’abord une affaire terrestre, temporelle. L’alliance dans le Nouveau Testament est une affaire « spirituelle ». Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les textes sur la circoncision dans le Nouveau Testament. De quoi parlent-ils si ce n’est de la circoncision intérieure, de la régénération et de la foi? Si tel est le noyau de la nouvelle Alliance, il n’est plus possible de maintenir que les jeunes enfants doivent eux aussi être baptisés. Le baptême est pour les régénérés, les convertis et les croyants; et puisqu’il est impossible de s’exprimer ainsi à propos des enfants, les baptiser est exclu. Tel est l’argument de Kingdon que nous allons réfuter.

II. Deux sortes de descendance, une promesse

A) Un revirement incompréhensible

C’est avec raison que Kingdon a montré l’unité de l’Alliance dans l’Ancien et le Nouveau Testament, qu’il a décrit les conséquences de l’analogie entre les deux signes de l’Alliance: la circoncision et le baptême, et qu’il a montré, à l’aide des textes de l’Ecriture, que l’on peut s’exprimer fondamentalement de la même manière au sujet du baptême et de la circoncision. Et cependant, il ne conclut pas que, tout comme la circoncision était pratiquée sur les enfants d’Israël, de même le baptême peut être administré aux enfants des croyants.

S’il l’avait fait, il ne serait pas un réformé baptiste. Comment est-il possible qu’après avoir souligné l’étroite ressemblance entre la circoncision et le baptême, il ait rejeté le baptême des enfants? Cette attitude surprenante peut paraître incompréhensible. En fait, nous allons voir comment Kingdon a quitté la bonne voie sur laquelle il s’est engagé en introduisant des éléments étrangers dans son argumentation.

B) Une Alliance, une promesse

Kingdon reconnaît avec raison que même s’il peut y avoir de nombreuses différences entre l’ancienne et la nouvelle dispensation, il s’agit toujours d’une seule et même Alliance. Poursuivons dans ce sens: il peut y avoir de nombreuses différences entre l’ancienne et la nouvelle dispensation, mais il s’agit toujours d’une seule promesse. Kingdon dit-il également cela? Ecoutons à nouveau ce qu’il dit:

De nombreux descendants furent promis à Abraham. Cette promesse fut accomplie à travers la nation juive ainsi que les nombreux descendants d’Ismaël et des autres fils d’Abraham. Cependant, dans la dispensation du Nouveau Testament, cette promesse fut accomplie à travers la multitude des croyants qui sont la postérité d’Abraham. Le centre d’intérêt n’est pas Israël selon la chair, mais la vraie postérité d’Abraham. (Page 30)

Cette lecture oblige à conclure que la promesse dans l’Ancien Testament est différente de celle qui est faite dans le Nouveau Testament. Mais comment cela se pourrait-il à la lumière de Galates 3:16?

Or, les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance…, c’est-à-dire à Christ.

Sans le Christ, il n’aurait aucunement été question des descendants d’Abraham. La première personne à laquelle nous devons penser lorsque nous parlons des descendants, y compris des descendants de l’Ancien Testament, c’est au Christ. Le centre d’intérêt, non seulement dans le Nouveau Testament, mais aussi dans l’Ancien Testament, est la vraie descendance d’Abraham, c’est-à-dire le Christ, et, en lui, les croyants. Combien il est important de lire l’Ancien Testament comme le Christ et ses apôtres nous ont enseigné à le faire! En lisant Galates 3:16, il est difficile de maintenir ce que dit Kingdon, c’est-à-dire que la promesse faite à Abraham ne concerne que la nation juive et les nombreux descendants d’Ismaël et des autres fils d’Abraham. Le professeur Greijdanus affirme au contraire, à propos de Galates 3:16, que Dieu a donné la promesse à Abraham et à la descendance d’Abraham,

donc à l’ensemble des croyants en Christ, à l’exclusion des enfants d’Abraham qui n’appartiennent pas à cette descendance d’Abraham, Ismaël et les enfants de Kéturah, et plus tard Esaü et ses descendants, plusieurs des descendants de Jacob qui n’ont pas cru ou ne croient pas en Dieu et en son Christ, ainsi que les Gentils incroyants5.

Kingdon maintient exactement l’opposé et ce faisant, il enlève tout fondement à sa thèse selon laquelle l’accomplissement de la promesse dans l’Ancien Testament serait différent de celui qui est évoqué dans le Nouveau Testament. L’Ancien et le Nouveau Testament se préoccupent l’un et l’autre du Christ et de ceux qui croient en lui. C’est pourquoi nous ne pouvons pas être d’accord avec l’affirmation de Kingdon selon laquelle

le mot « descendance » dans l’Ancien Testament se réfère d’abord à la descendance charnelle, la notion d’une descendance spirituelle ne devenant évidente que dans le Nouveau Testament. (Page 33)

Comment un homme professant comme nous que le Christ est la clé de toute l’Ecriture puisse s’exprimer ainsi? Si l’important est le mot « descendance » ou « postérité », comment penser à un autre qu’au Christ? Abraham s’est réjoui de voir le jour du Christ et il l’a vu (Jn 8:56). Dans leurs hymnes, Marie et Zacharie ont fait le lien entre la promesse faite à Abraham et son accomplissement en Jésus-Christ (Lc 1:54, 72). Comment faire autrement que de diriger notre attention vers lui lorsque nous parlons de la promesse faite à Abraham?

C) Charnel et spirituel

Kingdon opère des distinctions qui peuvent facilement devenir des dualismes erronés. D’après lui, l’Ancien Testament promet des biens terrestres et le Nouveau Testament des bénédictions célestes. Il dit de l’Ancien Testament qu’il parle du pays (Canaan), alors que le Nouveau Testament fait allusion à l’héritage spirituel que nous possédons en Christ. Il conviendrait de distinguer entre l’aspect temporel et l’aspect éternel, entre le terrestre et le céleste. Comparons cela au langage de l’Ecriture:

Frères, je ne veux pas que vous l’ignoriez; nos pères ont tous été sous la nuée, ils ont tous passé au travers de la mer, ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, ils ont tous mangé le même aliment spirituel, et ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ. Mais la plupart d’entre eux ne furent pas agréables à Dieu, puisqu’ils tombèrent morts dans le désert. (1 Co 10:1-5)

Le Nouveau Testament évoque un épisode de l’Ancien Testament. Il se réfère à la nourriture et au breuvage, mais en même temps il se réfère à des réalités spirituelles, toutes rattachées au Christ. Les réalités terrestres ne peuvent pas être séparées de celles qui sont célestes, car elles sont toutes des dons de Dieu dans l’Alliance que Dieu, dans le ciel, a établie avec son peuple sur la terre. Il est impossible de dissocier la promesse du pays de Canaan de l’héritage impérissable du Canaan céleste, car les deux vont ensemble. Abraham a reçu la promesse d’un Canaan terrestre, et le même Abraham a désiré un pays céleste (Hé 11:16). Le premier a tracé la voie au second.

Le Christ céleste ne pouvait pas venir sur terre sans qu’il y ait eu un acte de procréation. C’est pourquoi il faut refuser de suivre Kingdon lorsqu’il affirme que la dispensation de l’Ancien Testament s’intéresse à la descendance « charnelle » à la différence de la dispensation du Nouveau Testament, qui parle d’une descendance « spirituelle ». Selon Galates 3:16, cette descendance est charnelle, le Christ. Dieu a utilisé la lignée charnelle des générations pour accomplir son œuvre spirituelle.

Pourquoi en serait-il différemment dans la nouvelle Alliance? « Car la promesse est pour vous et pour vos enfants », dit Pierre le jour de la Pentecôte (Ac 2:39). Les enfants de l’ancienne Alliance ont reçu le sceau de cette promesse au moyen de la circoncision; nos enfants ne pourraient-ils donc pas le recevoir maintenant par le signe du baptême? Ne séparons pas ce que Dieu a uni; la promesse faite à Abraham était pour lui et pour ses descendants. Dans son Alliance, Dieu a uni le terrestre et le céleste, le charnel et le spirituel. L’arbre dont la racine est Abraham a développé de nombreuses branches durant des milliers de générations. Pourquoi la lignée des générations serait-elle interrompue maintenant que nous avons été greffés sur l’arbre d’Abraham (Rm 11:17ss)?

D) Deux sortes de descendance d’Abraham

Pour un vrai Israélite marchant sur les traces d’Abraham, la circoncision est le sceau de la justice de la foi, dit Kingdon; mais il ajoute que tous les descendants d’Abraham ont été circoncis en vue des bénédictions de l’Alliance qui avaient un caractère terrestre. Il parle ainsi des deux sortes de descendance d’Abraham, les enfants selon la chair et les enfants selon l’Esprit (Ga 4:21ss).

Impossible d’être d’accord avec Kingdon lorsque, parlant de la circoncision « générale », il pense aux bénédictions de l’Alliance qui n’ont qu’un caractère terrestre. Comment soutenir ce raisonnement si on prend au sérieux le passage de 1 Corinthiens 10? La plupart de ceux qui ne furent pas agréables à Dieu ont également mangé la nourriture spirituelle et bu le breuvage spirituel. Cela fait de leur incrédulité une chose des plus sérieuses. L’auteur de la lettre aux Hébreux dit que l’Evangile leur a été prêché, « mais la parole qu’ils avaient écoutée ne leur servit de rien, car ceux qui l’entendirent ne la reçurent pas avec foi » (Hé 4:2).

N’opposons pas la circoncision d’un Israélite (le croyant pieux) à celle d’un autre Israélite (celui qui est tourné vers les choses terrestres), lorsque nous observons l’œuvre de Dieu. Car l’Evangile leur a été prêché à tous et il a été permis à tous de manger et de boire à la source du Christ: tous étaient des enfants d’Abraham. Mais certains des fils se sont comportés comme des enfants illégitimes. Ce sont des fils selon la chair: il agissent « charnellement » et montrent ainsi qu’ils ne sont pas reliés spirituellement à Abraham. Paul dit à leur sujet:

Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est apparente dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu. (Rm 2:28ss)

S’il y a bien deux sortes de descendance, il n’y a pas deux sortes de promesse, comme le pense Kingdon. Paul lui-même reconnaît qu’il y a beaucoup d’avantages à être Juif et que la circoncision a une grande valeur. Même si certains n’ont pas cru, leur infidélité n’annule pas la fidélité de Dieu (Rm 3:1-4). En d’autres termes, la circoncision est restée un don puissant et efficace, même si de nombreux Israélites circoncis ont vécu une vie infidèle. Par la circoncision, Dieu a scellé sa promesse aussi bien pour eux que pour les croyants. Mais, par leur impiété, ils ont rejeté avec mépris la promesse et ils ont perdu les bénédictions. Ils ont gardé le signe, mais ils ont méprisé la chose signifiée. Comment s’étonner alors des paroles de Paul en Romains 2:28, qui ne remettent pas en question, un seul instant, la signification de la circoncision.

E) Une question

Les frères baptistes, tout en reconnaissant qu’il existe deux sortes de descendance dans l’ancienne Alliance – l’une circoncise d’une façon et l’autre d’une manière différente –, considèrent que, dans la nouvelle dispensation, le baptême est pour les convertis, pour les régénérés, la descendance spirituelle d’Abraham. Désormais, il n’est plus question de descendance selon la chair, du père à son fils, de la mère à sa fille. Les deux sortes de descendance de l’ancienne dispensation doivent, dans la nouvelle, laisser placer à la descendance authentique: les croyants et les croyants seulement.

Notre question est celle-ci: « Est-il inconcevable qu’il y ait dans vos Eglises des personnes baptisées qui mènent une vie hypocrite et qui abandonnent ouvertement la foi qu’elles ont un jour professée, alors que, par leur baptême, elles participent à la nouvelle Alliance avec Dieu? Si, dans la nouvelle dispensation, il se trouve des incroyants parmi les personnes baptisées, cela ne signifie-t-il pas qu’il y a deux sortes de descendance? Ne savons-nous pas que beaucoup diront au Christ: « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé… en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles? » A ces gens, il sera dit ouvertement: « Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » (Mt 7:23)

Ne peut-on pas dire exactement du baptême dans la nouvelle dispensation ce que Paul disait au sujet de la circoncision de nombreux juifs? Comme, par exemple:

Le véritable chrétien n’est pas celui qui s’appelle chrétien et qui est baptisé avec le baptême d’eau. Le vrai chrétien est celui qui l’est intérieurement, et le vrai baptême est celui d’une bonne conscience devant Dieu, dans l’esprit, pas seulement pour la forme. Sa louange ne vient pas des hommes, mais de Dieu.

Si cela est juste – à savoir que, dans l’une et l’autre, il y a des gens qui désacralisent et rompent l’Alliance avec Dieu –, pourquoi ne pas administrer le baptême aux enfants de croyants? Paul sait que plusieurs de ces derniers méprisaient leur circoncision; il n’en conclut pas pour autant que la circoncision, dans l’ancienne Alliance, était en elle-même une mauvaise chose. Au contraire, l’infidélité de plusieurs n’annule pas la fidélité de Dieu. Pourquoi alors ne serait-il pas permis de baptiser les enfants de la nouvelle Alliance, dans laquelle on retrouve aussi (hélas!) deux sortes de descendants d’Abraham? La règle selon laquelle l’infidélité de milliers d’enfants baptisés n’annule pas la fidélité de Dieu s’applique ici également. La promesse est et demeure pour Abraham et sa descendance.

III. La même promesse: pays et peuple

A) Le blé et la mauvaise herbe

Nous ne voyons pas la différence que Kingdon discerne entre l’ancienne et la nouvelle Alliance, à savoir qu’il y aurait deux sortes de descendance dans l’ancienne et seulement une sorte dans la nouvelle. Comme dans l’ancienne Alliance, il existe, dans la nouvelle, des gens qui rompent l’Alliance. Si la réalité de la rupture de l’Alliance n’a pas été un obstacle à la circoncision de tous les garçons âgés de huit jours, pourquoi ne pas administrer le baptême à tous les enfants de la nouvelle Alliance? C’est là un sujet important à examiner en détail.

Kingdon dit clairement comment les réformés baptistes et lui voient l’Eglise. L’Eglise n’est pas une réalité invisible. Elle est la communauté des « saints visibles », manifestement régénérés par le Saint-Esprit. Il n’a jamais été prévu, dit Kingdon, que l’Eglise soit un champ où poussent, à la fois, le blé et les mauvaises herbes. L’Eglise est une communauté formée de ceux qui sont « sanctifiés en Jésus-Christ, appelés à être saints », comme dit Paul6. C’est là un point important pour Kingdon. Nous ne voulons pas moins que lui laisser l’Eglise visible se cacher derrière l’Eglise invisible, car celle-ci deviendrait l’Eglise des régénérés, ayant une relation intérieure et spirituelle avec le Christ, tandis que l’Eglise visible aurait seulement une relation extérieure avec lui (p. 57). Résultat: la discipline est négligée, et la parabole du blé et de la mauvaise herbe (Mt 13:24-30) pourrait alors servir d’explication. Le Christ ne nous a-t-il pas demandé de laisser pousser ensemble le blé et la mauvaise herbe jusqu’à la récolte?

Nous exprimons avec plaisir notre gratitude pour la réponse de Kingdon à ce raisonnement. Tous ceux qui connaissent le mal qui s’attache à une Eglise d’Etat comprendront pourquoi Kingdon dénonce la tendance à remplacer la croyance en l’Eglise, communauté visible de croyants, par une « croyance » en une Eglise invisible. Plusieurs réformés baptistes, avant de le devenir, ont vu de leurs propres yeux la misère d’une Eglise sans discipline, dans laquelle croyants et incroyants peuvent y faire baptiser leurs enfants. Cette pratique est de l’indiscipline, qui dégrade le saint sacrement du baptême en le transformant en un rite vide. Quel pouvoir ce baptême peut-il avoir?

A cet égard, nous comprenons les réformés baptistes, et si nous avions à choisir entre le baptême des enfants dans une Eglise d’Etat indisciplinée et le baptême des adultes dans une Eglise réformée baptiste, nous choisirions ce dernier. Mais, heureusement, nous n’avons pas besoin de choisir. Nous professons, avec les réformés baptistes, que l’Eglise est une communauté sainte de vrais croyants en Christ, qui fondent en lui l’espérance de leur salut, qui sont lavés par son sang et qui sont sanctifiés et scellés par le Saint-Esprit.

Mais nous nous opposons à eux en ajoutant immédiatement que les croyants et leurs descendants reçoivent une place dans l’Eglise de Jésus-Christ. Nous avons en horreur l’Eglise d’Etat, mais nous professons que l’Eglise est un peuple, un peuple avec des pères, des mères et des enfants, un peuple avec des familles. Nous ne baptisons pas n’importe quel enfant amené dans l’Eglise; nous baptisons les enfants de croyants.

B) Appelés à être saints

Lorsque nous reconnaissons, comme Kingdon, que l’Eglise est la communauté des croyants, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas aussi deux sortes d’enfants d’Abraham dans la nouvelle dispensation. Nous maintenons que ce qui s’applique à la vraie circoncision et au vrai Juif s’applique également au vrai baptême et au vrai chrétien. Ce que les juifs et ce que les chrétiens en ont fait n’est d’aucune manière décisif pour le droit à la circoncision et le droit au baptême. Que Dieu n’ait pas été content de nombreux circoncis n’a pas eu pour effet d’annuler sa fidélité, scellée dans leur circoncision. Il en est de même pour de nombreux baptisés: leur infidélité n’annule pas sa fidélité confirmée dans leur baptême.

Les réformés baptistes disent que la nouvelle Alliance a été établie avec la descendance d’Abraham: les croyants et seulement les croyants. Mais regardons ceux qui furent baptisés dans le Nouveau Testament et, tout d’abord, les adultes. Kingdon cite 1 Corinthiens 1:2: l’Eglise de Dieu à Corinthe était composée de ceux qui sont « sanctifiés en Jésus-Christ, appelés à être saints ». D’accord, puisque Paul le dit. Nous présumons que ces saints ont été baptisés correctement. Mais combien d’entre eux ne se distinguaient pas des incroyants dans leur doctrine et dans leur vie, comme on le voit dans le reste de la lettre, par exemple l’homme de 1 Corinthiens 5? Paul doit leur dire: « Vous êtes encore charnels. » (3:2) Pensons, par exemple, à leur manière de célébrer la sainte cène à Corinthe. Les considérerions-nous comme des chrétiens baptisés? L’ancien Israël, dont la plupart ont péri au désert, ne les aurait-il pas reniés (1 Co 10)? Et que dire des Galates? Que dire de Démas, qui a abandonné Paul par amour pour le monde présent? Que dire d’Alexandre le forgeron, qui lui a causé beaucoup de tort (2 Tm 4:10, 14)? Tous ceux-là n’ont-ils pas été baptisés et admis dans l’Eglise du Christ?

Appelés à être saints! L’appel du Christ est commun; mais tous les appelés ne sont pas élus. Ceux qui étaient incroyants parmi les juifs sont appelés enfants du Royaume, dit Calvin en se rapportant à Matthieu 8:12. Ces enfants seront jetés dans les ténèbres du dehors, bien qu’ils soient des enfants. La promesse de Dieu leur a été également faite et l’on ne peut pas nier que le salut ait été offert à tous, continue Calvin. Le nom d’Eglise peut être accordé à tous ceux qui reçoivent la promesse, quoique, à l’intérieur même du sanctuaire de Dieu, seuls ceux en qui la promesse de Dieu a été confirmée par la foi sont considérés comme étant fils de Dieu.

Calvin a écrit cela dans son commentaire sur Genèse 17:7, et nous y souscrivons de tout cœur. Il existe deux sortes d’enfants, qui ont été dotés de la même promesse de l’Evangile et placés dans la même Alliance. On ne le dira jamais assez: leur infidélité n’annule pas la fidélité de Dieu. Dieu était sérieux lorsqu’il a établi son Alliance avec eux tous et qu’il l’a scellée pour tous par la circoncision et par le baptême.

Nous nous attristons du revirement de Kingdon lorsqu’il se trompe en disant que Dieu donne la grâce de son Alliance seulement aux élus. Ce faisant, il conteste le sérieux avec lequel Dieu a également promis sa grâce aux enfants circoncis et baptisés non élus. Ou bien le baptême administré à des personnes qui, plus tard, abandonneront la foi n’a-t-il, pour les réformés baptistes, aucune signification spirituelle réelle? Cela ne conduit-il pas à une Alliance « externe » à côté d’une alliance « interne », à un « charnel » à côté d’un « spirituel », un « visible » à côté d’un « invisible », aussi bien pour le baptême que pour l’Eglise?

Ainsi il ne faut pas commencer par les mystères de l’élection et de la réprobation de l’homme, ni par ceux de la conversion réelle ou fausse de l’homme. Il convient plutôt de commencer par l’appel de Dieu, son Alliance et ses promesses certaines. En vertu de ces promesses, nous nous adressons à tous les gens de l’Eglise en tant que saints appelés. Vous êtes au Christ, alors ne soyez pas charnels, dit Paul (1 Co 3:3, 23). Construire, non pas sur la certitude de la Parole de Dieu, mais sur la solidité de la conversion de l’homme, c’est construire sur du sable.

C) Pays et peuple

Plusieurs choses ont changé avec la venue de la nouvelle Alliance: le sang versé lors de la circoncision n’a plus à l’être après la mort du Christ sur la croix; tout le service du temple a été aboli; ce qui auparavant « n’était pas un peuple » (les Gentils) est maintenant devenu le peuple de Dieu, etc. Dieu est resté le Dieu d’un peuple. L’ancien Israël a préparé le nouvel Israël. Les enfants devraient-ils, soudainement, être exclus?

C’est pourtant ce que Kingdon veut maintenir. Il reproche aux partisans du baptême des enfants d’en finir avec l’ancienne dispensation sur un point, mais pas sur un autre. Pourquoi les croyants ne sont-ils plus héritiers du pays de Canaan alors que la promesse « toi et tes descendants après toi » serait toujours valide? Les deux se trouvent en Genèse 17. Pourquoi annuler une promesse (que l’on dit être valide seulement pour Abraham et l’Israël de l’ancienne dispensation) et maintenir l’autre en vigueur? N’est-ce pas incohérent (p. 39)?

A cette remarque, nous répondons que nous ne voulons pas abandonner la promesse concernant le « pays ». Abraham lui-même ne l’a pas fait, lorsqu’il aspirait à une meilleure patrie, une patrie céleste (Hé 11:9-10). Nous ne le faisons pas lorsque nous nous rappelons avec Paul qu’Abraham devait hériter le monde (Rm 4:13). En Romains 4, la promesse de Genèse 17 est exposée à nos yeux avec plus de richesse. Nous sommes destinés à posséder le monde entier. L’avant-goût qu’en a eu Israël se transformera en un accomplissement mondial lorsque le jour du Christ se lèvera. Comment serait-il possible d’abandonner la promesse de Genèse 17? Sur la base de la promesse de Dieu à Abraham, nous espérons de très nombreuses bénédictions « terrestres ». Il n’y a pas de honte à l’affirmer, nous qui appartenons à la nouvelle dispensation, nous ne voyons aucune incompatibilité entre des bénédictions « terrestres » et des bénédictions « spirituelles ».

Si la promesse du pays, de la terre et du monde entier n’est pas annulée, faudrait-il annuler celle selon laquelle toutes ces bénédictions sont pour nous et pour nos enfants? La nouvelle dispensation serait-elle plus pauvre que l’ancienne? Nos enfants seraient-ils vraiment en dehors de l’Eglise?

Le Nouveau Testament est rempli de textes qui montrent que Dieu et son Christ veulent un peuple qui leur appartienne7. Plus d’une fois, le Nouveau Testament précise que des maisons ont été baptisées8. Il n’est pas dit que des enfants ont été baptisés; mais le mot « maison » n’indique-t-il pas qu’un père baptisé n’est pas seul au monde et qu’il forme une unité avec sa famille? C’est pourquoi Paul, dans ses lettres, ne s’adresse pas seulement aux adultes, mais aussi aux enfants9. Ceux-ci appartiennent à la maison. Même si un seul de leurs parents est croyant, ils occupent une position spécifique: ils ne sont pas « impurs », mais « saints » (1 Co 7:14).

Le croyant n’a pas à être arraché aux relations dans lesquelles Dieu l’a placé. C’est précisément parce que nous n’abandonnons pas la promesse concernant le pays et le monde que nous tenons également à la riche promesse selon laquelle l’héritage du Christ n’est pas en dehors du développement « terrestre » très ordinaire des générations!

IV. Des textes du Nouveau Testament

A) La décision est prise

L’examen du livre Children of Abraham, de David Kingdon, nous a confirmés dans la conviction que le baptême est venu remplacer la circoncision. Les arguments avancés par l’auteur en faveur du point de vue baptiste ne tiennent pas devant les Saintes Ecritures. L’unité de l’ancienne et de la nouvelle Alliance est tellement évidente qu’il est impossible, à la fois, d’accepter la circoncision des enfants de l’ancienne Alliance et de rejeter, par la suite, le baptême des enfants dans la nouvelle Alliance.

Nous ne sommes pas d’accord avec Kingdon lorsqu’il oppose l’ancienne Alliance, qui mettrait tout l’accent sur les biens « terrestres » et sur la descendance « charnelle » d’Abraham, et la nouvelle Alliance, qui évoquerait l’héritage « spirituel » et la descendance « spirituelle » d’Abraham.

Nous ne sommes pas d’accord avec Kingdon lorsqu’il traite de deux sortes de descendances d’Abraham dans l’ancienne Alliance, refuse qu’elles existent dans la nouvelle. Ce qui s’applique à la vraie circoncision et au vrai Juif dans l’ancienne dispensation s’applique tout autant au vrai baptême et au vrai chrétien dans la nouvelle. Que des membres de l’Alliance ne se comportent pas comme des enfants, mais comme des fils illégitimes, ne date pas seulement des temps passés: cela s’observe encore aujourd’hui. Ils ont reçu les mêmes promesses que les autres, mais ils ont méprisé la grâce de Dieu. C’est pourquoi nous avons exprimé notre désaccord lorsque Kingdon a voulu n’appliquer les promesses qu’aux élus.

Nous ne sommes pas non plus d’accord lorsque Kingdon dit que, dans la nouvelle Alliance, Dieu veut un peuple (tout comme dans l’ancienne Alliance), mais qui ne soit composé que des croyants et non de leurs enfants. Comment admettre que le croyant soit arraché des relations dans lesquelles Dieu l’a placé?

B) Le reste

Ce que Kingdon indique sur le « reste » du peuple d’Israël avant et après l’exil n’est pas plus convaincant. Pour lui, les tenants du baptême des enfants concentrent leur attention sur les périodes plus anciennes de l’histoire d’Israël et oublient ce qui est dit dans la Bible à propos du reste, le « reste » du peuple de Dieu. Le texte de Jérémie 31 ne s’applique-t-il pas à ce reste?

Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël, après ces jours-là, oracle de l’Eternel. Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Celui-ci n’enseignera plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant: Connaissez l’Eternel! Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand, oracle de l’Eternel; car je pardonnerai leur faute et je ne me souviendrai plus de leur péché. (Versets 33-34)

Kingdon estime que ce passage implique que, pour être membre de cette nouvelle Alliance, il faut une nouvelle naissance spirituelle. Ainsi, nul n’est membre de l’Alliance à moins d’être né de nouveau. Cela est vrai du plus petit jusqu’au plus grand, sans exception. Qui peut nier que la nouvelle Alliance soit bien différente de l’ancienne, qu’elle n’est pas basée sur la naissance naturelle mais uniquement et simplement sur la nouvelle naissance spirituelle? (Pages 74ss)

i) Quiconque lit les textes bibliques concernant le peuple à qui il fut permis, par la grâce de Dieu, de revenir de l’exil comme un « reste », est obligé d’admettre que ces juifs ne se sont pas tous comportés comme des croyants régénérés (c’est le moins qu’on puisse dire). A ce moment-là également, il s’est trouvé de la mauvaise herbe dans le champ de blé. Pourtant, cela n’a pas empêché le Seigneur de s’adresser à eux tous comme au peuple du Seigneur, les enfants n’étant pas oubliés10.

ii) Hébreux 8 est le meilleur commentaire qui soit de Jérémie 31; on n’y lit pas que l’ancienne Alliance incluait des croyants et des incroyants tandis que la nouvelle Alliance ne pourrait comporter que des personnes régénérées. La différence entre l’ancienne et la nouvelle est la suivante: dans la nouvelle Alliance, il n’y a plus une caste sacerdotale que « l’homme ordinaire » ou le « laïc » doit suivre à grande distance; nous pouvons désormais « nous tenir sur nos jambes », sans médiateurs. Le plus petit, comme le plus important, peut connaître le Seigneur sans prêtre comme médiateur. Voilà ce qui devrait être souligné lorsque nous lisons Jérémie 31. Pour l’auteur de la lettre aux Hébreux, cette alliance nouvelle a été scellée par le Christ. Les destinataires de l’épître constituent un peuple dans lequel on trouve des gens qui, tout comme dans l’ancienne Alliance, seront perdus s’ils ne reçoivent pas avec foi la parole prêchée11.

iii) Il importe de ne pas trop accentuer le mot tous dans Jérémie 31. On ne le fait pas en lisant Jérémie 9:26 où il est dit que toute la maison d’Israël avait le cœur incirconcis. Les circoncis de cœur ont toujours été présents parmi le peuple de Dieu, même au temps où le Seigneur a prononcé les paroles sévères de Jérémie 9:26. « Tout » ne veut pas dire tous sans exception. Ne peut-on pas tout autant le comprendre comme toutes sortes d’hommes, de tout genre et de toute condition? Cela ne convient-il pas mieux au contexte dans lequel Jérémie parle du plus petit et du plus grand?

iv) L’accomplissement de la promesse de Jérémie 31 se fait par étapes. Et l’accomplissement le plus riche reste à venir. Alors, toutes les nations « viendront se prosterner devant le Seigneur » (Ps 86:9); « tous les rois de la terre le loueront » (Ps 138:4); « l’Esprit sera répandu sur toute chair » (Jl 2:28); et alors, tous, au plein sens du mot, connaîtront le Seigneur, du plus petit jusqu’au plus grand (Jr 31:34).

Le message concernant le « reste » annonce l’approche d’une Alliance nouvelle, meilleure et plus riche que l’ancienne. Mais nulle part il n’indique que cette Alliance n’admettra pas les petits enfants. Après l’exil, Dieu a voulu un peuple qui dure jusqu’à mille générations. Cela est bien différent d’un rassemblement d’individus régénérés, arrachés à leurs liens familiaux.

C) Des textes

Il existe, dans le Nouveau Testament, quelques textes auxquels se réfèrent habituellement les tenants du baptême des enfants: la bénédiction des enfants par Jésus et la parole de Pierre le jour de la Pentecôte: « La promesse est pour vous et pour vos enfants. » Evidemment, Kingdon s’exprime à leur sujet et les rejette comme fondement du baptême des enfants (pp. 81ss).

Quant à nous, ces textes en confirment le bien-fondé. « Confirment » est le mot juste. En effet, il en va pour le baptême comme pour les prétendues preuves de l’existence de Dieu avancées dans l’Eglise chrétienne au long des siècles; ces preuves ne peuvent pas amener un incroyant à se convertir, mais elles peuvent confirmer la foi de celui qui croit.

De même, quiconque ne reconnaît pas clairement l’unité de l’ancienne et de la nouvelle Alliance et, sur cette base, ne confesse pas le baptême des enfants ne l’acceptera pas davantage en considérant la bénédiction des enfants par Jésus ou les paroles de Pierre le jour de la Pentecôte. Il donnera à ces deux événements une explication différente de celle des tenants du baptême des enfants.

Si le Nouveau Testament n’évoque pas explicitement le baptême des enfants, ce silence est significatif à la lumière de tout ce que nous avons dit jusqu’à maintenant. Quiconque voit la nouvelle Alliance comme l’accomplissement de l’ancienne (l’accomplissement est une chose différente de la dissolution) prend pour acquis que les enfants, eux aussi, peuvent bénéficier de la plus grande richesse de la nouvelle Alliance, ne pense pas que cela est dû au fait que la chair et le sang pourraient hériter le Royaume de Dieu. S’il le pense, il nous faut reconnaître qu’il n’est pas du tout sûr que les enfants puissent également participer à l’Alliance de Dieu. Toutefois, l’appel de Dieu est irrévocable. Il lui a plu de sceller son Alliance avec Abraham et sa descendance, et il y demeure fidèle.

Puisqu’il a plu à Dieu d’agir au fil des générations, de sorte que les enfants aussi peuvent avoir une place dans son Alliance, la confirmation du baptême des enfants transparaît des textes où il est précisé que des maisons furent baptisées12, ou que Jésus a béni les enfants13, ou encore que la promesse est « pour vous et pour vos enfants » (Ac 2:39); il en est de même lorsque nous lisons le passage où Paul élabore un parallèle entre la circoncision et le baptême (Col 2:11ss). Que dit Kingdon à propos de ces textes? Nous nous en tiendrons à ses remarques sur la bénédiction que Jésus a donnée aux enfants et sur les paroles de Pierre le jour de la Pentecôte.

D) Ne les empêchez pas

Kingdon ne peut pas nier que les enfants amenés à Jésus étaient également des petits enfants. Luc 18 emploie un mot (ta brephè) qui se réfère clairement à des bébés qui ont, peut-être, même été amenés à Jésus dans les bras de leurs mères. Kingdon ne nie pas non plus que l’expression « le Royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent » ne signifie pas seulement que le Royaume est pour les adultes devenus comme des petits enfants, c’est-à-dire qui se savent eux-mêmes complètement dépendants, etc. Pour lui, il y a plus qu’une comparaison entre adultes et enfants, car les enfants eux-mêmes sont compris dans les paroles du Seigneur Jésus.

Nous sommes entièrement d’accord. Deux éléments sont présents: d’une part, les enfants servent d’exemple14; d’autre part, il existe une relation entre le Christ et les enfants eux-mêmes. Ce sont eux qui sont bénis, n’est-ce pas? Le Royaume des cieux est donc également pour eux (Mt 19:14ss).

Ensuite Kingdon se réfère à Marc 10:15:

Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas.

Et il commente que ce n’est pas la passivité des enfants qui est mise en valeur, mais leur réceptivité; ils ont accepté le Sauveur. Quand Jésus les a appelés, les enfants sont venus et se sont jetés eux-mêmes dans ses bras pour être bénis. « Ainsi, venir à la foi en lui, c’est devenir un héritier du royaume. » (Page 86)

Le parti pris baptiste prévaut ici sur une exégèse solide: ces petits enfants, peut-être portés par leur mère, deviennent de petits croyants, qui vont à Jésus par eux-mêmes.

Les enfants d’Israël sont conduits à Jésus qui les bénit. C’est pourquoi nous professons que la bénédiction précède la foi. Kingdon, un représentant des réformés baptistes, professe que la foi précède la bénédiction. Les enfants d’Israël vont à Jésus, qui les bénit.

Les enfants des croyants peuvent être baptisés, car la promesse de Dieu précède leur foi: tel est le point de vue réformé. Les enfants de croyants ne doivent pas être baptisés; la foi doit être présente avant que la promesse puisse être confirmée par le baptême: tel est le point de vue baptiste.

E) Pour vous et pour vos enfants

Le jour de la Pentecôte, Pierre a dit à ses auditeurs, les juifs:

Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera (Ac 2:39).

Celui qui confesse que Dieu accomplit sa promesse au fil des générations ne voit ici aucune difficulté. Il est tout au plus permis de se demander si les gens visés par « tous ceux qui sont au loin » sont les Gentils ou les juifs de la diaspora. Mais le mot « enfants », dans la phrase « la promesse est pour vous et vos enfants », se rapporte de toute évidence aux enfants de ceux à qui Pierre s’adressait, à des enfants qui avaient leur place dans l’Alliance par le signe de la circoncision. La promesse, accomplie en Christ, est maintenant pour les parents auditeurs et pour leurs enfants.

Selon Kingdon, tel n’est pas le cas. Car la dernière partie du verset, « en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera », se rapporterait à ceux qui sont au loin aussi bien qu’aux enfants. Tous ne font partie des héritiers de la promesse que dans la mesure où Dieu les appellera. Tant qu’ils ne répondent pas par la foi, il n’est pas évident que la promesse soit pour eux. S’ils croient, la promesse sera également pour eux.

Grammaticalement, il est possible que les mots « en aussi grand nombre » se rapportent également aux « enfants ». Mais cela déprécie la fermeté de la promesse de Dieu. En acceptant l’exégèse de Kingdon, je ne pourrais pas dire que mes enfants bénéficient de la promesse de l’Alliance. Je reste incertain jusqu’à ce que leur foi (et dans le berceau, ils ne croient pas) manifeste que Dieu les a appelés.

V. Les enfants: sous la colère ou sous la promesse?

A) Sous la colère de Dieu

Pour Kingdon, nous devons traiter nos enfants comme des inconvertis jusqu’à ce qu’il y ait une claire démonstration d’un changement salutaire dans leur vie (p. 10). Tout comme les autres enfants, les enfants de croyants sont sous la colère de Dieu (pp. 61, 63). Nos enfants doivent être traités comme des non-chrétiens. Nous ne pouvons pas leur dire: « Sois un bon enfant chrétien »; nous devons plutôt les exhorter à se repentir et à croire en l’Evangile (p. 64).

Les enfants qui meurent dans leur enfance sont-ils donc perdus? Kingdon est loin de l’affirmer. Dieu est assez puissant pour sauver tous les enfants qui meurent en bas âge; seulement, il ne nous a pas dit s’il le fait ou non15.

Lorsque Dieu sauve des enfants, cela se produit de la même façon que pour les adultes: par la nouvelle naissance. Selon les paroles de Jésus à Nicodème (Jn 3:5), tant que quelqu’un n’est pas né de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu. « La chair et le sang ne peuvent pas entrer dans le Royaume de Dieu », dit Paul aux Corinthiens (1 Co 15:50). C’est pourquoi nous devons maintenir que les plus petits enfants ne peuvent pas être sauvés sans nouvelle naissance.

Mais est-il possible de parler de nouvelle naissance, de foi et de conversion à propos des petits enfants? Il est à l’évidence impossible de dire si un enfant au berceau croit ou est converti? Face à cela, Kingdon insiste pour dire que l’incapacité psychologique n’est pas une barrière à l’opération de l’Esprit de Dieu pour le salut de petits enfants (p. 96). Dieu est capable de régénérer des petits enfants par sa grâce libre et souveraine. Aucun non régénéré ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Les bébés et les enfants doivent donc être régénérés pour pouvoir jouir de la bénédiction du ciel. Et si Dieu peut remplir de son Saint-Esprit certaines personnes dans le ventre maternel, comme il l’a fait avec Jean-Baptiste (Lc 1:15), il peut certainement régénérer en bas âge. Que nous comprenions cette réalité ou non n’importe pas (pp. 96ss).

Des petits enfants peuvent donc être sauvés. Et pourtant, pour Kingdon, nous n’aurions aucune certitude au sujet de nos propres enfants. Il écrit littéralement que nous pouvons « seulement adopter une attitude agnostique respectueuse et pleine d’espoir » (p. 98). Il nous est permis d’espérer, mais l’incertitude demeure et, jusqu’aux dernières pages de son livre, Kingdon indique que nous devons traiter nos enfants comme s’ils étaient inconvertis (p. 99). Ce sont, certes, des enfants privilégiés, parce qu’ils sont dans la sphère de la prédication de l’Eglise. Toutefois, ce privilège ne fait pas d’eux des enfants chrétiens. Ils ne peuvent le devenir que par une conversion réelle. Tant que cette conversion n’est pas évidente, ils demeurent sous la colère de Dieu, de sorte qu’ils ne sont pas des enfants de Dieu, mais des enfants de la colère de Dieu!

B) Considérés comme nés de nouveau?

A la place de l’incertitude de Kingdon, nous maintenons la certitude de l’Alliance que Dieu a établie avec les croyants et leurs enfants. Solide fondement, s’il en est! Après la mort de l’un de nos petits enfants, nous ne pourrions professer qu’un « agnosticisme respectueux et plein d’espoir »? Fondés sur les Saintes Ecritures, nous considérons cette attitude d’incertitude comme n’étant ni respectueuse ni empreinte d’espoir.

Est-il vrai, comme on l’objecte au point de vue réformé sur le baptême des enfants, que celui-ci enseigne un baptême fondé sur une régénération présupposée? Selon Kingdon, ce serait la position classique parmi les tenants réformés du baptême des enfants (pp. 64, 98). Et il cite, parmi d’autres, Abraham Kuyper (1837-1920) (p. 62). Comparer le point de vue de Kuyper à celui des réformés baptistes est assez fascinant.

Kuyper a estimé que nos enfants doivent être considérés comme nés de nouveau et peuvent, en conséquence, être baptisés. Kingdon les considère comme inconvertis (car ils sont des enfants de colère) et, en conséquence, ne doivent pas être baptisés. La différence entre les deux est claire, mais la ressemblance l’est également!

Pour Kuyper, l’Alliance de Dieu n’est établie qu’avec les élus, les régénérés. Le baptême étant le sceau de l’Alliance, il doit être administré, pour être pleinement valable, aux seules personnes élues. Or, comme sur les fonts baptismaux, on ignore quel enfant est élu et quel enfant ne l’est pas, le baptême est source d’une grande incertitude. Aussi, selon Kuyper, ne pouvons-nous que présumer que l’enfant baptisé naîtra de nouveau.

Malgré ses critiques à l’égard de Kuyper et d’autres, Kingdon a une pensée qui présente beaucoup de points communs avec celle de ses opposants. Il en est ainsi de son opinion selon laquelle l’Alliance de Dieu est établie avec les élus, c’est-à-dire les régénérés ou les croyants. Il reste dans l’incertitude à l’égard des nouveau-nés. Un enfant au berceau peut être soit régénéré et ainsi sauvé s’il meurt, ou le contraire.

A propos des enfants, Kuyper a une vision optimiste et Kingdon une vision pessimiste. Kuyper savait bien que plusieurs des enfants baptisés se manifesteraient comme irrégénérés plus tard; pourtant il considérait tous les enfants baptisés comme des enfants régénérés. Kingdon, s’il croit volontiers que les enfants les plus petits peuvent également être régénérés, n’en considère pas moins tous les enfants comme étant sous la colère, des enfants qui n’ont pas reçu le Royaume de Dieu.

Différence radicale entre les deux théologiens et cependant grande ressemblance aussi! Ils partent, l’un et l’autre, de ce qui est présent ou absent chez l’enfant de parents croyants. Kuyper présume la régénération de l’enfant et le baptise; Kingdon présume le contraire et rejette le baptême des enfants.

C) Appel et promesse

A Kingdon, nous aimerions faire remarquer que si nous ne pouvons pas souscrire à son point de vue sur le baptême des enfants, nous ne partageons pas davantage celui d’Abraham Kuyper, qui ne s’accorde pas avec la doctrine des Saintes Ecritures. Les deux points de vue nous privent d’une certitude fondée sur l’Ecriture au sujet de nos enfants.

Dieu nous a appelés, nous et nos enfants, dans son Alliance. Cet appel de Dieu précède toute foi, toute conversion, toute régénération chez les adultes et chez les enfants. Tous ceux qui sont appelés par l’Evangile le sont par Dieu. Aussi, lorsque Dieu dit que la promesse de l’Alliance est pour les croyants et leurs enfants, n’avons-nous aucune incertitude quant à l’appel adressé à nos enfants. Ceux-ci sont des enfants de l’Alliance, des enfants de Dieu. En conséquence, nous les baptisons non parce que quelque chose serait présent en eux (régénération, foi, conversion), mais parce que quelque chose a été exprimé à leur sujet: la promesse de la rémission des péchés et de la vie éternelle.

Un enfant au berceau ne croit pas. Chercher en lui un germe de la foi au lieu de la foi, comme l’a fait Kuyper, c’est faire de la scolastique. Même s’il ne croit pas dans son jeune âge, il n’en est pas moins un enfant de Dieu. Celui qui justifie l’impie (Rm 4:5) ne pourrait-il pas accepter nos enfants par grâce? Remarquez bien que ce n’est pas parce qu’ils sont nos enfants, mais parce qu’il lui a plu, dans sa grâce souveraine, de nous appeler et de nous introduire, nous et nos enfants, dans son Alliance.

Est-il correct de dire qu’un enfant au berceau peut être régénéré? On ne naît de nouveau que « par la parole vivante et permanente de Dieu » (1 P 1:23). Cette parole doit être proclamée et écoutée, de telle sorte que des êtres nouveaux soient formés par l’écoute de la Parole de Dieu et par l’opération du Saint-Esprit. Comme un petit enfant ne peut pas encore écouter cette Parole, il ne faut pas, s’il meurt, lui appliquer les paroles que Jésus a dites à Nicodème. En parlant à celui-ci, Jésus s’est adressé à un adulte, qui doit donner une réponse fidèle à l’appel de Dieu et qui n’entrera pas dans le Royaume de Dieu sans la régénération. En même temps, Jésus appelle également les petits enfants d’Israël et les bénit, parce que le Royaume des cieux est pour eux.

Il est bien vrai que la chair et le sang des enfants n’hériteront pas le Royaume de Dieu (1 Co 15:50). La chair et le sang des régénérés ne l’hériteront pas davantage, car même la personne la plus sainte commence à peine à faire preuve d’une obéissance nouvelle et a besoin d’un grand changement pour que s’opère la transition du périssable vers l’impérissable. Il en est de même pour les enfants qui ne sont pas passés par la lutte de la foi et de la conversion. Comment se déroule tout cela est le secret de Dieu.

D) Comment considérer les enfants?

A la différence de Kingdon, nous ne considérons pas nos enfants – baptisés sur la base du commandement et de la promesse de Dieu – comme des enfants sous la colère de Dieu. Si nos enfants sont des enfants de Dieu à qui est faite la promesse de la rémission des péchés et de la vie éternelle, ils ne sont donc pas sous la colère de Dieu. Si Dieu bénit en Christ les enfants, personne ne devrait aller à l’encontre de cette bénédiction. Sans en être conscients, nos enfants sont participants de la condamnation en Adam et reçus comme enfants de Dieu par grâce en Christ.

Mais nous ne considérons pas non plus nos enfants comme des enfants régénérés. Nous les considérons comme des enfants de l’Alliance à qui nous devons dispenser une instruction afin qu’ils comprennent le sens de leur baptême. La promesse est pour eux aussi bien que pour les adultes et l’exigence de la foi et de la conversion s’applique tout autant à eux. Ils doivent dire Amen à leur baptême en croyant et en se convertissant. Partant de la richesse qu’ils ont reçue, nous nous adressons à eux en leur montrant leur responsabilité. Ils sont enfants de Dieu, mais ils doivent également vivre comme des enfants de Dieu.

Nous osons aussi affirmer avec calme, contrairement à l’opinion de Kingdon, que nos enfants sont des enfants chrétiens. Par l’appel de Dieu (et non à cause de leur propre « christianisme »), ils sont séparés des enfants de ce monde et ils doivent, en conséquence, se comporter comme des enfants de Dieu. Cela ne va pas de soi; comme Kingdon, nous sommes contre toute fausse assurance. Nous sommes d’accord avec lui qu’il ne faut pas présumer que nos enfants sont régénérés, car une telle présomption nourrit une fausse assurance (p. 64). Mais ce n’est pas nourrir une fausse assurance que de dire, contrairement à Kingdon: « Tu es un enfant chrétien »; puis d’ajouter, avec Kingdon; « Repens-toi et crois en l’Evangile! » Car la conversion et la foi sont une affaire quotidienne, un appel pour nous, adultes, aussi bien que pour nos enfants.

Il est également clair que nous avons une certitude devant la tombe de nos enfants. Puisque nous pouvons connaître la volonté et l’appel de Dieu à partir de sa Parole – qui atteste que les enfants de croyants sont saints non par nature mais en vertu de l’Alliance de grâce –, les parents chrétiens n’ont pas à douter de l’élection et du salut de leurs enfants qu’il plaît à Dieu de retirer de cette vie dans leur enfance16.

E) Un dernier mot

Nous avons amplement passé en revue le livre de David Kingdon. Il y a beaucoup de choses derrière la question du baptême des enfants. Nous espérons sincèrement que la discussion de la grande différence entre les réformés baptistes et nous-mêmes stimulera davantage les contacts entre nous. Nous apprécions beaucoup chez eux leur confession sans détour de la souveraineté de Dieu et de sa libre grâce. Ce n’est pas l’homme mais Dieu qui décide. D’où l’aversion de ces réformés baptistes envers tout arminianisme.

Un dernier mot à ce sujet. En continuant à rejeter le baptême des enfants, nos amis baptistes ne mettent-ils pas finalement l’accent sur la décision de l’homme et sur sa conversion? La théologie de la conversion, qui domine les doctrines baptistes du baptême et de l’Eglise, regarde en aval, en ce qui concerne les enfants, vers le moment de leur réponse au Christ (p. 21). Malheureusement, elle ne regarde pas en amont, à ce que Dieu a fait d’abord, c’est-à-dire à l’introduction dans son Alliance des croyants avec leurs enfants. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi, je vous ai choisis. » (Jn 15:16) Cela est également vrai à propos de nos jeunes enfants. Leur conversion est seconde tandis que l’appel dont ils sont l’objet, accompagné du saint baptême, est premier.


* Le Dr J. Douma est professeur honoraire d’éthique au Collège théologique des Eglises réformées (libérées) à Kampen, aux Pays-Bas. Ce texte reproduit, de façon quelque peu abrégée, une série d’articles parus dans l’hebdomadaire De Reformatie (août à octobre 1976), dont le Dr Douma est l’éditeur. L’Inter League Publication Board, qui a réédité leur traduction anglaise à l’intention, notamment, des groupes d’études bibliques des Eglises réformées du Canada, en a autorisé la traduction réalisée par le pasteur P. Bédard.

1 Par crainte de la persécution, cette confession ébauchée en 1677 n’a été signée qu’en 1689. Ces baptistes sont appelés baptistes particuliers. Contrairement aux baptistes généraux et arminiens, ils adhèrent à la doctrine de l’élection inconditionnelle et à la grâce particulière. Voir 1689: Confession de foi réformée baptiste (Chalon-sur-Saône: Europresse, 1994). Cette confession de foi rappelle la Confession de foi de Westminster de 1649.

2 Le livre de D. Kingdon, Children of Abraham (19 ), dont H. Blocher a tiré nombre d’arguments présentés dans Le péché et la rédemption (Vaux-sur-Seine: Fac Etude, 1982-1983).

3 Dt 10:16; 30:6; voir Jr 4:4.

4 Page 31, voir Ga 3:27-29.

5 Commentary on Galatians (Amsterdam: van Bottenburg, 1936), 225.

6 1 Co 1:2, pp. 57ss.

7 Voir Mt 1:1; 2:6; 28:19; Mc 13:10; Lc 1:17; 2:31; 24:47; Ac 15:14; Rm 4:17; 2 Co 6:16; Ga 3:8; Tt 2:14; Hé 4:9; 8:10; 1 P 2:9ss; Jude 5; Ap 21:3, 24.

8 Ac 16:15, 33; 18:8; 1 Co 1:16.

9 Col 3:20; Ep 6:1.

10 Esd 9:12; 10:1; 10:3: les enfants de mères étrangères, tout comme leurs mères, n’appartiennent pas au peuple; Né 7:5ss: les fils aussi sont inscrits; Ml 2:15.

11 Hé 4:2; 6:4ss; 10:26ss; 12:14ss.

12 Ac 16:15, 33; 18:8; 1 Co 1:16.

13 Mt 19:13ss; Mc 10:13ss; Lc 18:15ss.

14 Mt 18:1ss, « devenez comme des petits enfants ».

15 Pages 10, 94, 97ss.

16 Voir Canons de Dordrecht, I, 17.

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Contribution protestante à la réflexion sur la bioéthique http://larevuereformee.net/articlerr/n215/contribution-protestante-a-la-reflexion-sur-la-bioethique Wed, 17 Aug 2011 13:40:51 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=468 Continuer la lecture ]]> Contribution protestante à la réflexion sur la bioéthique

Jachum DOUMA*

 

Tout le monde sait qu’aujourd’hui le caractère de la bioéthique est beaucoup plus polyvalent qu’il ne l’a été pendant les siècles précédents. Le serment d’Hippocrate ne bénéficie plus, maintenant, dans le monde de la médecine, du degré d’autorité qu’il a connu pendant près de vingt siècles. L’euthanasie et l’avortement, pourtant condamnés dans le serment d’Hippocrate, sont devenus des actes légitimes.

 

Qu’est-ce qui a causé ce changement? L’augmentation du pouvoir de la médecine n’explique que partiellement cette évolution en bioéthique. Certes, ce pouvoir médical toujours croissant n’a pas cessé de soulever de nouvelles questions; par exemple, là où il s’agit de prolonger l’agonie. Mais, en même temps, un autre changement a eu lieu qui est beaucoup plus profond. C’est un changement dans la pensée médicale.

 

Ce changement dans la pensée n’est pas le propre de la médecine. C’est plutôt un phénomène général qui s’est également, et peut-être même surtout, manifesté dans le domaine médical.

 

En bref, ce changement revient à ne plus vouloir suivre la voie indiquée par le groupe social, l’Eglise ou la communauté religieuse. Ils préfèrent déterminer individuellement ce qu’ils considèrent comme bien ou mal. Pour justifier cette attitude, ils invoqueront le droit à l’autodétermination, le droit des individus à disposer d’eux-mêmes.

 

Un nombre toujours croissant de choses qui, autrefois, étaient sanctionnées ou bien condamnées par la morale publique, sont devenues des affaires dont on décide individuellement. Ainsi, il relève de chacun de décider si l’on veut vivre comme homosexuel ou comme hétérosexuel, si l’on veut se marier ou vivre en concubinage, avoir un enfant ou se faire avorter, avoir des enfants par la voie naturelle ou de manière artificielle, même après la ménopause. Et, de plus en plus, il appartient à la liberté individuelle d’un malade de déterminer s’il fera en sorte que sa vie touche à sa fin au moment où il meurt « simplement » ou s’il la quittera au moyen de l’euthanasie ou du suicide.

 

De nos jours, on fait une distinction accrue entre morale et éthique. La morale est comprise comme les règles dont nous avons besoin pour vivre ensemble et pour travailler ensemble. Nous ne pouvons pas nous passer de ces règles qui nous aident à protéger la vie et les biens de chacun, à respecter les conventions, à régler la circulation, etc. A ce terme, on opposera celui d’éthique, qui désigne alors toute la gamme d’idéaux, de principes et de règles individuelles. La morale est ressentie par beaucoup comme un domaine suranné et étriqué (vieilli et fermé), tandis que l’éthique est considérée comme plus noble, parce qu’elle relève de la responsabilité et de la liberté individuelles. Du lot de règles publiques qui constituent la morale, on exclura autant que possible tout ce qui peut être transféré au domaine privé. L’homme moderne se ralliera volontiers au slogan: plus d’éthique, moins de morale.

 

Il faut dire que l’extension du pouvoir médical a fortement favorisé cette évolution. Mais l’inverse est également vrai: les gens encouragent le pouvoir médical à s’étendre pour qu’ils puissent toujours davantage et de façon plus efficace déterminer leur propre vie. Sans doute faut-il parler d’interaction. La technique actuelle et l’homme actuel vont de pair, l’un et l’autre.

 

L’accent mis, de nos jours, sur l’autodétermination ne peut pas être séparé de la sécularisation. Cette notion de sécularisation a plusieurs significations; ici, j’entends une attitude dans la vie où les personnes ne basent plus leur conduite sur la Révélation divine, mais sur leurs propres vues. L’autodétermination et la sécularisation se rejoignent en ceci qu’on n’accepte plus de qualifier quelque chose de bien ou de mal parce que quelqu’un d’autre en a décidé ainsi, même si cet autre est Dieu. Ainsi, Dieu ne constitue plus un facteur pertinent dans nos vies et dans notre société. On lui accorde de vivre une vie de retraité, pendant un petit temps encore, dans les Eglises, dans les familles, dans les organismes et les institutions chrétiennes. Mais il n’y a plus de place pour Dieu dans la vie publique et dans le domaine culturel. Il a été déclaré être la dernière chose qu’il aurait voulu être dans le monde: une Privatsache, une « chose » personnelle.

 

I. Une perspective chrétienne?

 

A) Définition de la bioéthique, point de vue protestant

Quelle est alors la contribution protestante à la réflexion sur la bioéthique? En ce qui me concerne, cette contribution consiste à réfléchir sur l’aspect moral de nos actions dans la perspective chrétienne donnée dans l’Ecriture sainte. En effet, ce qui caractérise une éthique protestante – à la différence de l’éthique catholique romaine, qui se base surtout sur le droit naturel –, c’est l’usage qu’elle fait de l’Ecriture sainte.

 

En parlant de perspective chrétienne, j’indique donc que, bien que nos points de vue diffèrent, nous nous consacrons aux même thèmes que tous ceux qui s’occupent de bioéthique. Les musulmans, les bouddhistes, les juifs, les catholiques, les protestants et les humanistes diffèrent d’opinions, mais ils abordent tous les mêmes sujets, du moins s’ils veulent rester actuels dans leurs paroles et dans leurs écrits sur la bioéthique.

 

Que faut-il entendre par perspective chrétienne? Au sens large, il arrive qu’on utilise la notion de « chrétien » comme signifiant « influencé par le christianisme ». Toute notre culture a été influencée par le christianisme. Aussi, dans le monde occidental, l’œuvre de tout bioéthicien, aussi sécularisé soit-il, porte-t-elle les empreintes du christianisme.

 

La notion de « chrétien » restera très vague si elle se limite à renvoyer à quelques mots clés du langage biblique, tels que l’amour, la miséricorde ou la justice. Ces mots ont bien souvent un sens indépendant de leurs racines bibliques. Un « nuage » d’amour ou de justice ajouté à l’éthique n’en fait pas pour autant une éthique chrétienne.

 

L’expression « perspective chrétienne » devient plus claire si on ajoute que cette perspective est donnée par l’Ecriture sainte. Ainsi, pour une éthique protestante – y compris la bioéthique – qui respecte le Sola Scriptura de la Réforme, l’Ecriture sainte est d’une importance capitale. L’Ecriture est la seule source qui puisse révéler ce qu’implique le qualificatif « chrétien », qui est un mot dérivé du nom de Jésus-Christ.

 

B) Problèmes liés à l’utilisation de l’Ecriture

Même si on admet que les mots « chrétiens » et « Ecriture sainte » sont indissolublement liés, il reste à considérer comment on se réfère à l’Ecriture.

 

a) En invoquant des textes bibliques, toutes sortes de points de vue contradictoires ont été défendus. On s’est basé sur la Bible aussi bien pour défendre que pour condamner l’esclavage. L’apartheid en Afrique du Sud a été soutenu par des réformés orthodoxes qui ont fondé leur opinion sur l’Ecriture et, plus tard, leurs descendants ont fait de même pour le condamner.

 

Ce genre de choses arrive aussi en médecine. Les Témoins de Jéhovah s’appuient sur Lévitique 7:26 et Actes 15:28, où il est écrit qu’il faut s’abstenir du sang, pour condamner les transfusions de sang. Ils sont les seuls à les condamner; tous les autres considèrent que donner du sang pour des transfusions est tout à fait autorisé par la Bible.

 

b) Il y a une grande différence entre le passé et le présent. Les relations sociales dans les familles et les communautés sont structurées d’une tout autre façon qu’autrefois. A la différence des temps anciens, la démocratie et le respect des droits de l’homme sont des préoccupations de notre époque.

 

Autrefois, la médecine était exercée tout autrement qu’aujourd’hui. Pour bon nombre de sujets, nous ne trouvons même aucun parallèle, aucun point de repère dans les temps bibliques; par exemple, en matière de transplantation d’organes, de fécondation in vitro et d’examen de l’ADN. Comment alors obtenir, sur ces sujets, une perspective chrétienne? Cela nous oblige à être modestes. Cependant, nous ne devons pas pour autant hausser les épaules dès qu’il est envisagé d’invoquer les Ecritures. Certes, il convient de reconnaître que des chrétiens ont abusé de la Bible et en abusent toujours de bien des façons; mais ce mauvais usage ne disqualifie pas le bon usage de la Bible. De même, le fait que les temps ont bien changé et que l’Ecriture ne mentionne pas toutes sortes de sujets de la médecine moderne ne prouve pas que la Bible n’ait pas, ou ait peu, d’importance pour notre (bio)éthique.

 

c) Il faut aussi se garder de ce j’appellerai le biblicisme, à savoir toute « atomisation », tout usage atomisé, parcellisé de la Bible, qui isole les textes de leur contexte pour les appliquer d’une manière absolue.

 

Le biblicisme cherche et s’attend à ce qu’il y ait des textes spéciaux pour tous les sujets en médecine. Si on veut faire un bon usage de la Bible, on doit procéder d’une autre manière. Les données médicales qui figurent dans la Bible ne sauraient servir de base à une bioéthique chrétienne. Les informations sur les maladies et leur traitement sont peu nombreuses et, de nos jours, il est inutile, ou presque, de s’en servir. En ce qui concerne l’aspect médical de la bioéthique, la Bible ne fournit donc pas de matériaux. Aussi semble-t-il que nous devions invoquer la Bible d’une autre façon pour que son enseignement ait de la valeur pour notre bioéthique.

 

A l’époque du Nouveau Testament déjà, les chrétiens n’avaient pas de réponses toutes prêtes à leurs problèmes. Ainsi saint Paul souhaite à ses lecteurs que leur amour abonde de plus en plus « en connaissance et en vraie sensibilité… pour le discernement du bien et du mal »1. Il est sous-entendu, dans ces textes, que ces personnes n’avaient pas plus que nous toutes les réponses à leur disposition. Pour eux, la Bible, dans la mesure où elle était achevée, ne fonctionnait pas comme un manuel à consulter où ils auraient trouvé tous les renseignements nécessaires. Même les premiers chrétiens ont dû apprendre à discerner quelle était la volonté de Dieu, ce qui était bon, agréable à Dieu et parfait (Rm 12:2). Eux comme nous, nous avons à trouver la réponse dans des situations chaque fois nouvelles. La Bible n’est pas un code d’éthique, valable pour toutes les époques. Ce que nous avons reçu, c’est la promesse que le Saint-Esprit nous conduira (Jn 16:13), notamment dans l’examen de l’Ecriture qui est « utile pour enseigner, pour convaincre, pour redresser, pour éduquer dans la justice afin que l’homme de Dieu soit adapté et préparé à toute œuvre bonne »2. Ceux qui se laissent conduire par l’Esprit et par la Parole auront suffisamment de discernement pour trouver, à partir de ce qu’ils savent des Saintes Ecritures, une réponse juste dans les situations nouvelles.

 

II. Comment se référer à la Bible

 

Si ce n’est pas d’une manière « bibliciste » qu’il faut se référer à la Bible pour élaborer une éthique médicale, comment faire? Il existe trois manières appropriées qui sont liées à notre motivation, à nos motifs de base et à nos normes.

 

A) Notre motivation

Le mot « motivation » provient du mot latin movere qui signifie « mouvoir ». Qu’est-ce qui nous met en mouvement, si nous sommes médecins ou infirmières, pour porter secours aux patients? Pourquoi prenons-nous fait et cause pour les malades, les faibles et les handicapés? Les motivations divergent. Les chrétiens et les non-chrétiens travaillent dans les mêmes établissements hospitaliers; pourtant, leurs motivations peuvent différer. Il va de soi qu’un chrétien puise sa motivation dans l’Evangile de Jésus-Christ.

 

Depuis toujours, la charité chrétienne a mis les hommes en mouvement pour porter aide et assistance aux malades et aux infirmes. La Bible en donne l’exemple par excellence en la personne de Jésus-Christ. La vue des malades et des miséreux l’a toujours conduit à utiliser son pouvoir de guérison en leur faveur. Le motif Christus medicus, Christ le médecin, a beaucoup influencé les chrétiens en les incitant à pratiquer l’assistance médicale.

 

Des passages bibliques y ont particulièrement contribué. Dans la parabole du Bon Samaritain, Jésus raconte comment un homme, ayant été dépouillé et roué de coups par des bandits, s’est trouvé à moitié mort au bord de la route. Un prêtre, puis un lévite (donc un autre ecclésiastique d’importance) l’ont vu, mais l’ont abandonné à son triste sort. Ensuite, un Samaritain, un étranger pour les Juifs, a été « ému de compassion » en le voyant. Il a bandé ses plaies, y a versé de l’huile et du vin et a pris des mesures pour que l’homme soit bien soigné. A la question de Jésus: « Lequel des trois s’est-il montré le prochain de l’homme blessé? » la réponse est: « C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. » Jésus y joint les mots suivants: « Va, et toi, fais de même. » (Lc 10:25ss)

 

Dans la description que Jésus donne du Jugement dernier, il dit:

 

Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

 

Et quand les justes lui demandent quand ils l’ont vu avoir faim, soif, être étranger, nu ou en prison, et quand ils l’ont aidé ou visité, il répond:

 

En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. (Mt 25:31ss)

 

On pourrait penser que tout cela appartient à un passé lointain. Car, qui de nos jours, voit encore dans la santé publique une forme de miséricorde? Nous payons nos cotisations et, après, c’est donnant donnant.

 

La miséricorde a cédé la place au contrat entre un patient autonome et son aide médical. Pourtant, on constate un malaise croissant face à la mentalité qu’engendre cette manière de penser la santé publique en termes de contrat. Faut-il, par exemple, considérer la relation soignant-soigné comme contractuelle, ou devrions-nous plutôt la caractériser comme une relation d’alliance?

 

B) Les motifs de base

L’importance de l’Ecriture sainte pour la bioéthique protestante ne s’épuise pas dans sa façon de nous motiver. Il est vrai que plusieurs éthiciens chrétiens voudraient limiter l’élément chrétien à la motivation qui sous-tend la pensée et l’action. Car, disent-ils, en matière de soins médicaux, les chrétiens et les non-chrétiens accomplissent exactement le même travail. Des motivations différentes ne peuvent-elles pas conduire aux mêmes actions? En quoi un appel explicite à la Bible aurait-il quelque importance pour faire un même travail?

Malheureusement, il faut combattre ce raisonnement. L’identité des actes médicaux n’est plus évidente. Admettons qu’il en ait été ainsi à l’époque où le serment d’Hippocrate était respecté. De nos jours, ce n’est plus le cas. L’un ne voit pas d’objection à pratiquer l’interruption volontaire de grossesse (l’IVG), tandis que l’autre la condamne. Et on pourrait énumérer un grand nombre d’autres sujets qui suscitent des différences dans le secteur des soins médicaux. Le problème dépasse donc la seule question de la motivation.

 

Voilà pourquoi une deuxième manière d’utiliser la Bible est indispensable. L’Ecriture sainte nous fournit aussi l’orientation nécessaire pour trouver notre chemin dans le domaine des questions médico-éthiques. Pour définir cette orientation, je mentionnerai trois points de repère essentiels de la foi chrétienne.

a) La création

En parlant de la création, nous confessons que Dieu a créé l’homme et qu’il l’a créé à son image (Gn 1:27). Le contexte de ce verset indique que l’homme domine sur toutes les autres choses créées (les poissons, les oiseaux et les animaux de la terre). Et l’homme qui domine sur la terre représente, en cela, l’image de Dieu qui domine sur tout ce qui existe.

 

On peut donc accorder une grande valeur à la position de l’homme. L’homme coopère avec Dieu et il reçoit la mission de cultiver la terre. La position élevée de l’homme dans la création se manifeste aussi dans sa différence essentielle d’avec les animaux. Imaginons que ce ne soit pas le cas. Quel droit aurions-nous, pour ne citer qu’un exemple, de faire des expériences sur les animaux au bénéfice de la santé humaine? C’est ainsi que le biomédecin Peter Singer trouve que – par principe – les animaux ont le même droit à la vie que l’homme. Des espèces telles que l’homme, le singe, la baleine, le cochon et la souris ont un point commun crucial: elles éprouvent la douleur et connaissent le désir. Voilà pourquoi P. Singer ne voit aucune raison de protéger la vie de l’homme au détriment de la vie des animaux. Il parle d’espécisme comme d’une forme de racisme. Selon lui, nous avons tort d’élever l’espèce (angl. species) humaine au-dessus des autres espèces. Tuer des chimpanzés, des baleines ou des dauphins revient à commettre un crime identique à celui de tuer des hommes handicapés, dont les facultés intellectuelles sont à peu près au même niveau. Si, en revanche, nous suivons la conception chrétienne, qui s’organise autour du caractère unique de l’homme, la conclusion de Singer est inacceptable. D’après la conception chrétienne, ce ne sont pas les qualités de l’homme et des animaux qui déterminent leur valeur, mais la position que Dieu leur a donnée. Cette optique chrétienne permet aussi de comprendre pourquoi les hommes ont le droit de se nourrir de viande (Gn 9:3) ou de se servir des animaux d’une autre manière (par exemple, à des fins expérimentales).

 

Si l’homme est supérieur aux animaux, il est cependant inférieur à Dieu. Sa position, à la fois élevée et humble, se trouve la mieux exprimée dans la métaphore de l’intendant. L’homme, en tant qu’intendant, n’est pas Dieu lui-même, il n’est pas non plus co-créateur, mais il administre ce monde en tant que représentant de Dieu. La notion d’intendance est importante pour la réflexion à propos du domaine médical.

 

L’homme est-il co-opérateur ou co-créateur? Dans les discussions actuelles sur la bioéthique, cette question est devenue importante. Supposons que l’homme soit co-créateur. Il aurait, dans ce cas, une marge de décision beaucoup plus large en matière de vie et de mort. Supposons que nous soyons en mesure de développer des techniques qui changent le dispositif génétique de l’homme, en sorte qu’il puisse être constitué autrement qu’il ne l’est actuellement: je ne vois pas ce qui interdirait à l’homme d’en faire usage, s’il n’est pas un humble intendant mais un co-créateur avec Dieu.

 

Croire que l’homme est la créature de Dieu nous contraint à l’humilité en matière de biotechnique. Tout le techniquement possible ne doit pas nécessairement être réalisé. Croire que Dieu est le Créateur et que nous sommes « seulement » des intendants doit nous incliner à beaucoup de modestie quant à nos objectifs médico-techniques.

 

Une autre donnée importante découlant de la création, c’est que Dieu a créé les humains homme et femme et qu’il a lié le fait de « devenir une seule chair » (Gn 2:24) à la relation conjugale. Cette donnée a du poids pour notre orientation en ce qui concerne les aspects médico-éthiques de la technologie de la procréation. Est-ce que tout y est permis, selon des modèles que nous pourrions choisir en toute liberté – de l’insémination artificielle jusqu’à la mère porteuse – ou le modèle créationnel est-il impératif dans son orientation?

 

b) La chute

Il s’agit de la chute (le péché) de l’homme. Selon le témoignage biblique, cette chute a été tellement radicale que l’homme a été abandonné à la mort et que, sans l’intervention divine, il aurait été perdu pour toujours. La gloire originelle du monde et celle de l’homme sont perdues et nul effort humain ne saurait les rétablir.

 

Quelle en est la signification pour notre réflexion médico-éthique?

 

Reconnaître la chute de l’homme entraîne une certaine vision de la souffrance. La souffrance et la mort ne sont pas des données « naturelles », qui feraient indissolublement et nécessairement partie de la vie. La mort et la vie ne sont pas pour l’homme des réalités jumelles. Un chrétien voit dans la souffrance et dans la mort le châtiment de Dieu pour le péché de l’homme.

 

En confessant que Dieu, après la chute, a fixé une limite à la vie de l’homme, nous acceptons consciemment notre finitude. Cela nous oblige à considérer d’un regard critique tous les efforts médicaux ayant pour but le prolongement artificiel de la vie. Mais un chrétien portera un regard tout aussi critique sur les efforts médicaux destinés à éliminer la souffrance et la mort. La vie vient de Dieu et, même dans la souffrance et dans la mort, nous pouvons voir sa main.

 

Il n’est pas en notre pouvoir de nous soustraire aux dispositions que Dieu a prises à notre égard, suite à la chute. Et ceci a des conséquences sur notre manière d’envisager les problèmes portant sur la signification ou l’inutilité de la souffrance, l’acceptabilité ou non de l’euthanasie et du suicide.

 

c) La re-création

On pourrait « typer », définir toute l’œuvre de Jésus-Christ comme étant celle du Christus medicus. C’est lui qui guérit le monde de sa chute et le ramène à une gloire plus grande que celle qu’il avait reçue lorsqu’il a été créé. L’œuvre de Christ est le renouvellement de toutes choses.

 

Quelle en est la signification pour notre orientation en matière de bioéthique? Voici quelques exemples.

 

Un médecin n’est pas un évangéliste, mais il serait opportun qu’il ait toujours à l’esprit ces paroles du médecin Ambroise Paré: « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. » Et la consolation se révèle dans toute sa profondeur lorsqu’on arrive à l’orienter vers le Christus medicus.

 

Une autre donnée est que Jésus a guéri des malades et ressuscité des morts. D’une part, nous devons accepter la réalité de la maladie et de la mort et, d’autre part, l’œuvre de Christ nous fournit l’argument pour les combattre, car ce sont des pouvoirs étrangers qui n’existeront plus dans le monde nouveau. Etant donné que Christ a pleinement subi la douleur, la souffrance et la mort, nous n’avons pas à refuser les moyens qui adoucissent la douleur et la souffrance. Nous n’avons pas à suivre l’exemple de Pascal et d’autres qui les ont refusés au nom de l’« imitation de Jésus-Christ ».

 

Le problème de la signification de la souffrance a été mentionné à propos de la chute. Quand nous parlons de la souffrance, il ne faut pas seulement regarder en arrière et penser à la chute. Il faut aussi porter le regard vers l’avant, vers notre re-création. C’est dans l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle que nous devons accepter la finitude de notre vie. L’apôtre Paul estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour l’homme qui soupire, et pour la création qui soupire aussi après cette révélation (Rm 8:18ss). Cela a des conséquences sur notre manière d’envisager le problème de l’euthanasie. Il faut savoir que, pendant des siècles, le terme « euthanasie » a été interprété par le monde chrétien comme « bien mourir », c’est-à-dire mourir dans la crainte de Dieu. Pour ces chrétiens, la mort n’était rien d’autre que l’entrée dans la vie éternelle.

Je voudrais préciser encore que Jésus-Christ, dans son œuvre de guérison, a témoigné un grand intérêt envers ceux qui menaient, selon ses contemporains, une vie de qualité inférieure, à savoir les démoniaques, les lunatiques, les paralytiques, les lépreux, les aveugles et les sourds. On peut même dire que le serment d’Hippocrate, d’origine païenne, qui a été adopté pratiquement mot pour mot par les chrétiens, a reçu une nouvelle interprétation du fait de la miséricorde chrétienne. La miséricorde chrétienne ne s’applique pas seulement aux malades dont la guérison pourrait contribuer à la gloire du médecin, mais à chaque vie humaine, quand bien même celle-ci apparaît comme inférieure aux standards habituels. Le monde antique, en revanche, ne voyait pas d’objections à tuer une vie déformée. Platon et Aristote l’ont ouvertement déclaré. Les malades qu’on ne pouvait plus guérir, de telle sorte qu’ils aient de l’utilité pour la société, y étaient stigmatisés et déclassés, attitude liée, sans doute, au culte de la beauté et de la jeunesse dans les temps de l’antiquité grecque.

C) Etablir des normes

L’Ecriture donne aussi des commandements et des règles explicites d’importance pour la bioéthique. Elle ne nous apporte pas seulement une motivation et une orientation, elle nous fournit aussi des normes.

 

Ces normes sont les commandements et les règles qui déterminent notre conduite. Nous décidons souvent de faire ceci ou cela sans nous soucier de la motivation générale tirée de la Bible ou de l’orientation découlant des points essentiels de l’enseignement biblique. Un commandement particulier ou une règle concrète énoncés dans la Bible sont déjà suffisants pour nous conduire à une décision. Autrement dit, en matière de bioéthique, ce ne sont pas seulement des thèmes existant dans la Bible qui peuvent nous servir de motivations et d’orientation, mais aussi le recours direct et concret à des passages bibliques. Ainsi nous trouvons un des principes de base de la bioéthique dans le sixième commandement : « Tu ne commettras pas de meurtre. » Un autre principe de base valable pour toutes les relations humaines, notamment pour le secteur médical de la vie, est le commandement: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Un troisième principe qui n’est pas moins important pour l’équité en matière de politique de la santé publique s’exprime dans la règle d’or: « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. »

 

III. Conclusion

 

Mon propos a été d’indiquer le caractère spécifique d’une éthique médicale pratiquée dans une perspective protestante. Le mot « chrétien » renvoie à Christ, et ce que nous savons de son œuvre nous vient des Sainte Ecritures. Mais on pourrait avoir l’impression d’une approche unilatérale si je n’indiquais pas, pour éviter tout malentendu, qu’une bioéthique chrétienne connaît d’autres sources que la Bible pour nourrir sa réflexion. Seul un biblicisme naïf peut le nier.

 

Il faut avoir des connaissances médicales pour pouvoir construire un jugement éthique. Une telle connaissance nous est fournie par la science et non par la Bible. Elle constitue les prémisses de toute conception éthique solide. Nous pouvons ici profiter des idées éthiques catholiques romaines basées sur le droit naturel. En effet, celui qui trouve le droit naturel insuffisant n’affirme pas pour autant qu’un appel à la nature (raisonnable) de l’homme est forcément erroné.

 

On peut tirer profit des exposés faits par des éthiciens ne voulant argumenter que d’un point de vue « raisonnable », sans recourir à des arguments religieux. Même si nous ne sommes pas d’avis que seuls les arguments rationnels sont décisifs, nous ne prétendons pas pour autant qu’une chrétien peut se passer des raisonnements consistants. Heureusement, il reste possible d’aboutir à des accords sur de nombreux sujets, malgré des divergences fondamentales d’arrière-plan. Il y a encore beaucoup de sens commun et… de « bon sens » raisonnable.

 

Ainsi il existe différentes sources dans lesquelles il est possible et nécessaire de puiser pour construire notre discours médico-éthique. Mais à l’Ecriture, le chrétien accordera ce qu’il ne pourra reconnaître à aucune des autres sources, à savoir la compétence de trancher les débats lorsque sa voix s’élève nettement contre les autres voix. On ne peut pas dénier à l’Ecriture son droit de veto. Ce droit de veto, je le considère comme une prémisse indispensable à toute bioéthique protestante digne de ce nom.


* Le professeur J. Douma est professeur honoraire d’éthique à l’Université théologique des Eglises réformées (libérées) à Kampen, aux Pays-Bas. Texte d’une conférence faite à Aix-en-Provence.

1 Ph 1:9; Col 1:9, comparez He 5:14; Ep 5:10.

2 2Tm 3:16

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