Monique de HADJETLACHÉ – La Revue réformée http://larevuereformee.net Sat, 27 Aug 2011 17:28:39 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.10 Des mots pour en parler http://larevuereformee.net/articlerr/n192/des-mots-pour-en-parler Sat, 27 Aug 2011 19:28:39 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=724 Continuer la lecture ]]> Des mots pour en parler

1. LE BIEN ET LE MAL

Dans l’une des grandes confessions d’Israël au sujet de Dieu, la Bible expose sa conception particuliére du bien: « Célébrez l’Eternel, dit le psalmiste, car il est bon »1; et le prophéte Esaïe dit:

« Je rappellerai les actes bienveillants de l’Eternel… d’aprés tout le bien que l’Eternel nous a fait; je dirai sa grande bonté envers la maison d’Israël, le bien qu’il leur a fait… »2

Cette conception est maintenue dans le Nouveau Testament, lorsque Jésus indique au jeune homme riche: « Un seul est bon. »3 Ainsi, à la différence de la pensée grecque pour qui le bien est un principe abstrait auquel doivent se conformer la divinité, le monde et l’homme, la Bible décrit le bien, dans sa nature essentielle, comme un attribut du Dieu personnel, créateur du monde.

Lorsque Dieu crée l’univers, l’empreinte de ses attributs (donc, celle du bien) marque tout ce qu’il fait. Ainsi est bon tout ce qui, dans les différents domaines de son œuvre, s’accorde avec le caractére de Dieu et se trouve en conformité avec son plan.

  1. Dans le domaine physique et artistique, Dieu déclare tout « trés bon »4 au sens de « bien fait » ou de « beau ». C’est ainsi que la Bible parle de bon arbre et de bon fruit5, de bonne semence6, de bonne terre7, de bonnes/belles pierres8 et de bon vin9. A la différence de la philosophie grecque et gnostique pour qui la matiére est intrinséquement mauvaise, la Bible affirme, de façon massive, de la premiére à la derniére page, que la création est bonne et, par voie de conséquence, que toutes les structures de la création le sont également: le mariage10, la famille11, le travail12 et l’ordre socio-politique13. Aussi, tout acte qui respecte Dieu et la vie qu’il a créée est-il, en ce sens, bon.
  2. Dans le domaine moral, si Dieu est bon, sa Loi l’est également14, comme aussi sa parole15 et les actes/œuvres bonnes qui leur sont conformes. Celui qui pratique de telles choses « est bon aux yeux de l’Eternel »16. Un comportement moral est donc un bien.

Si Dieu est la source et la norme du bien, il s’ensuit que le mal est, en premier lieu, ce qui n’est pas en conformité avec le caractére ou la volonté de Dieu. On ne trouve nulle part, dans la Bible, soit le dualisme manichéen selon lequel le mal serait une forme aussi puissante et éternelle que le bien, soit l’idée grecque que le mal serait inhérent à la matiére ou le résultat de l’ignorance de l’homme. Dans la Bible, le mal n’a pas de statut ultime et ne provient pas d’une quelconque faiblesse entachant l’œuvre de la création. Sa cause est plutôt éthique, à savoir la rébellion insensée d’Adam et d’Eve dans l’espace et dans le temps. Du péché de l’homme procédent tous les autres maux: les souffrances physiques dues à la dureté de la vie, aux peines et aux douleurs qui aboutissent à la mort physique; les souffrances morales suscitées par les « pensées mauvaises » du cœur17 que tous, Juifs et païens, connaissent également18 de sorte « qu’il n’y a pas de juste, pas même un seul »19, et qui conduisent à la mort spirituelle20.

Face au bien absolu manifesté dans l’œuvre de la création, la rébellion de l’homme produit le mal radical et appelle une nouvelle expression du bien/bonté divin sous la forme d’une rédemption. Cette deuxiéme œuvre de Dieu dépassera en gloire la premiére, car elle ne sera rien moins que la radicale transformation et la glorification de la création tout entiére. Elle comportera la justification et la résurrection de l’homme pécheur21 ainsi que la transformation de l’univers physique en une nouvelle terre et de nouveaux cieux22.

Ce bien « eschatologique », c’est-à-dire « final », est ce que Jésus appelle le royaume de Dieu. Ce royaume constitue le bien suprême, la perle de grand prix pour laquelle il faut vendre tout ce que l’on a23. Ce bien-là relativise tous les biens de la création (sans jamais les mépriser ou les nier). Ainsi ce qui, à premiére vue, n’est pas bon l’est en fait.

« Il est bon, dit Jésus, d’entrer dans la vie manchot ou boiteux plutôt que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel. »24

L’humiliation et la repentance sont « de bons fruits » puisqu’ils font accéder au royaume de Dieu25. Le « gaspillage » d’un parfum de trés grande valeur – qui aurait pu être vendu et son prix donné aux pauvres, mais qui est versé sur le corps de Jésus en vue de sa mort rédemptrice – est reçu par Jésus comme « une action bonne »26.

Puisque « la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu et que la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité »27, même par des « œuvres bonnes »28, il s’ensuit que proclamer, comme doit le faire l’Église, qu’il n’y a qu’un seul moyen pour entrer dans ce royaume (à savoir Jésus-Christ29 et le sang de sa croix30) a pour effet de relativiser, sans pour autant l’éliminer, tout autre bien. Seules sont finalement bonnes les œuvres qui jaillissent de la nouvelle création, œuvres que Dieu a préparées d’avance31 et qui témoignent de « la richesse surabondante de sa grâce par sa bonté envers nous en Christ-Jésus »32.

Le mal ultime, qui dépasse tous les autres33, est commis par ceux qui « méprise(nt) les richesses de sa bonté… sans reconnaître que la bonté de Dieu (les pousse) à la repentance »34. Au mépris du Dieu créateur s’ajoute le mépris du Dieu sauveur. Ceux-là qui « pratique(nt) le mal35 » se privent du bien suprême, c’est-à-dire de « la vie éternelle36« , et ils connaîtront « la colére et la fureur » de Dieu37, c’est-à-dire le mal ultime.

Peter Jones38

2. LE « COEUR »

Les termes bibliques qu’on rend par le mot « cœur » dans les versions françaises ne désignent que rarement le viscére cardiaque39. Plus de 800 fois dans l’Ancien Testament, ils sont employés métaphoriquement – et la métaphore se consolide en concept – pour cette part de la personne qui est l’apanage de l’homme: dans ce sens, « l’animal n’a pas de cœur »40. On présume à bon droit une relation étroite avec l’autre privilége distinctif de l’humanité: être « créé en image de Dieu ». Le Nouveau Testament prolonge en grec l’usage hébraïque.

Le cœur signifie, d’abord, l’être intérieur, ou le centre. Cela ressort des autres emplois métaphoriques, quand il est question du « cœur » de la mer41, du ciel42 ou de la terre43. L’apôtre fait explicitement l’équation avec « l’homme intérieur (caché)44« . Ainsi compris, « cœur » est quasiment interchangeable avec « âme »45 et avec « esprit »46. « Mon cœur » équivaut grosso modo à « je » ou « moi »47.

Toutes les fonctions de la vie intérieure relévent du cœur. Prédomine celle de l’intelligence (204 fois). Le contraste est frappant avec la conception moderne du cœur (courrier du cœur), et avec la notion classique (cœur-courage). Dans la Bible, « manquer de cœur », c’est manquer de jugeote, déraisonner, penser comme un insensé48. Hébreux 10:16, traduisant Jérémie 31:33, rend, littéralement, « le dedans » (hébreu) par « cœur » en grec, et « cœur » (hébreu) par « intelligence » en grec. On note que la dimension de la mémoire est souvent en cause49. Presque aussi fréquemment, il s’agit de volonté (195 fois). La disposition du vouloir procéde du cœur50, avec les desseins et les résolutions51. « Cœur » peut correspondre à « choix »52. Les émotions ne sont pas exclues pour autant (évoquées 166 fois). Le cœur est le siége de la joie53 et de la tristesse54, de la peur55, du trouble56 et de la confiance57, de la haine58 et d’une tendre affection59. La nuance affective est plus fréquente chez l’apôtre Paul, parce qu’il utilise davantage le mot grec habituel pour l’intelligence. Les effets psychosomatiques sont connus : « Un cœur calme est la vie du corps. »60

Le cœur, centre de la personne, est l’organe de la vie morale et religieuse. C’est de lui que jaillit l’amour de Dieu61; que sourd, en sens contraire, ce qui souille l’homme62. C’est du cœur que naît la foi63, et dans le cœur que point la lumiére de l’espérance64. Le cœur de l’homme a part, de façon créaturelle, à l’éternité même65: il transcende la simple succession du temps pour interroger sur l’origine et la fin, sur le sens.

La conscience psychologique et la conscience morale (indissociables) appartiennent au cœur. L’idée d’une connaissance réfléchie sur soi-même s’exprime en Deutéronome 8:5 (littéralement, « tu connaîtras avec ton cœur », cf. Pr 14:10; Ec 7:22). « Le cœur lui battit » dit la crainte d’avoir commis un sacrilége et le sentiment de culpabilité66. C’est le cœur qui fait des reproches67. L’expérience de l’accusation intérieure, et des tentatives pour s’excuser, montre « l’œuvre de la Loi » (judicatrice) écrite dans le cœur des païens eux-mêmes68.

Si le cœur est conscience, et si les reins, soubassement obscur de la personnalité, peuvent être rapprochés de l’inconscient, l’homme biblique ne prétend pas connaître tout son cœur. Le cœur, le cœur tortueux du pécheur, est insondable69. Seul, Dieu sonde et connaît, avec les reins, les cœurs70, et rectifie la voie du fidéle qui s’offre à son examen71.

L’importance du cœur justifie le grand commandement:

« Garde ton coeur plus que toute autre chose, car de lui viennent les sources de la vie. »72

Cette vigilance ne met pas en jeu l’opposition du cœur et de la raison, mais l’orientation des pensées et des choix: le cœur droit, pur, humble, brisé, unifié, sensible (cœur de « chair »), s’oppose au cœur pervers, orgueilleux, partagé, endurci (cœur de « pierre »). Elle combat aussi la dissonance entre le cœur et les lévres, l’hypocrisie73. Seul le Dieu qui dit: « Donne-moi ton cœur »74 rend cette vigilance efficace. C’est lui qui circoncit le cœur naturellement incirconcis75; il y répand son Esprit76; il y inscrit sa loi dans ce sens qu’il conforme réellement les dispositions du cœur à ses préceptes, qu’il fait que l’homme veuille comme Dieu veut77.

L’éthicien retiendra particuliérement l’accent sur l’intention, et l’intrication des aspects affectifs, rationnels et volontaires; plus encore, sur le rôle des options premiéres, sur les racines religieuses du comportement et les présupposés de la vision du monde. Il se rappellera l’invitation à veiller sur son cœur et le donner à Dieu – comme Calvin, qui avait choisi pour sceau personnel un cœur tenu par une main appaumée: « J’offre mon cœur immolé en sacrifice au Seigneur. »78

Henri Blocher79

3. LA CONSCIENCE

Selon Le Petit Robert, la conscience est la « faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger ». On peut distinguer la « conscience psychologique », « faculté d’avoir une connaissance de soi », par laquelle l’être humain prend une distance par rapport à lui-même, se regarde penser et agir, et la « conscience morale », « faculté ou fait de porter un jugement de valeur morale sur ses actes ». Dans le premier cas, la conscience constate un fait; dans le second, elle le juge. C’est la conscience morale qui nous intéresse ici. Mais il convient de souligner le rapport étroit entre les deux formes de conscience: pour porter un jugement sur un acte, il faut pouvoir s’en distancer, observer son propre comportement.

Le Nouveau Testament reconnaît à la conscience le rôle de juge ou de témoin. L’apôtre Paul parle des païens qui, sans connaître la Loi de Dieu, font ce que commande cette loi:

« Ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur; leur conscience en rend témoignage, et leurs raisonnements les accusent et les défendent tour à tour. »80

Ailleurs, Paul évoque le témoignage de sa conscience81 et se recommande à toute conscience humaine82.

On peut donc dire que la conscience est une faculté que posséde tout être humain, qui lui a été donnée par Dieu, pour l’aider à discerner le bien du mal en approuvant ses bonnes actions et en condamnant ses mauvaises. Ainsi, elle ne permet pas aux humains d’oublier qu’ils sont responsables de leur actes, en les rappelant à l’ordre lorsqu’ils s’écartent de la volonté de Dieu.

Généralement, la conscience intervient et prononce un verdict sur un acte aprés qu’il a été accompli. C’est ainsi que Calvin déclare que la conscience est un « sentiment et remords du jugement de Dieu », qu’elle poursuit « celui qui voudrait supprimer ses fautes… pour lui faire sentir qu’il est coupable ». Elle est « comme une garde qui lui est donnée pour l’éveiller et épier, et pour découvrir tout ce qu’il serait bien aise de cacher, s’il pouvait ». Elle est comme un signal d’alerte, attirant notre attention sur une anomalie dans notre comportement.

Il arrive aussi que la conscience fonctionne comme un avertisseur nous prévenant que notre intention, la décision que nous sommes sur le point de prendre est mauvaise, et suscitant en nous un sentiment de malaise à son sujet. En passant outre, nous agirons avec mauvaise conscience. Il n’est jamais bon d’agir contre sa conscience. Car, par elle, Dieu nous met en garde contre les égarements dans lesquels nous risquons de tomber.

S’il est nécessaire de prêter attention aux signaux de la conscience, cela n’est pas suffisant pour éviter erreurs et fautes. En effet, notre conscience morale, si elle joue un rôle que Dieu lui a assigné, le joue parfois mal. Elle n’est pas un guide infaillible pour guider notre comportement. Elle ne nous permet pas de discerner à coup sûr le bien du mal. On ne peut lui accorder une autorité absolue. Pourquoi? Parce que la conscience est elle-même conditionnée, au moins en partie, par l’éducation reçue, le milieu familial ou social, l’air du temps, etc. Elle reste un témoin, mais pas un témoin incorruptible. Si, d’un côté, l’apôtre Paul parle d’une conscience pure, de l’autre, il mentionne une conscience faible83, ou une conscience souillée84.

La conscience faible est la conscience trop scrupuleuse, qui se sent coupable de faits anodins et qui est paralysée par la peur de mal faire. Cette faiblesse provient du besoin qu’a l’homme de se justifier par ses œuvres, donc de la crainte d’être jugé et rejeté par Dieu, s’il reste, en lui, la moindre trace de péché. Le reméde est dans la foi en la grâce de Dieu, qui justifie le pécheur. Une conscience pure est une conscience purifiée par le sacrifice du Christ, la conscience d’un homme qui, assuré de l’amour de Dieu, s’offre à Dieu pour lui plaire et le servir.

La conscience souillée est le résultat de la volonté de l’homme de vivre sa vie à sa guise, en refusant de se laisser instruire et guider par Dieu. L’apôtre Paul dit des païens de son temps:

« Ils ont la pensée obscurcie, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux et de l’endurcissement de leur cœur. Ils ont perdu tout sens moral. »85

La conscience est sensible aux influences du milieu ambiant. Elle se convainc aisément que ce que tout le monde fait ne peut être mauvais. Elle se soucie davantage de l’approbation des hommes que de celle de Dieu. Ainsi, par exemple, beaucoup aujourd’hui se persuadent que l’avortement est parfaitement acceptable, puisqu’il est couramment pratiqué et que la loi l’autorise. D’autre part, comme l’a dit La Rochefoucault, « nos idées et nos convictions prennent trés vite la couleur de nos intérêts. » Lorsque la conscience nous gêne, nous cherchons à l’endormir, à la faire taire. Sans doute nous trouble-t-elle par des remords les premiéres fois mais, une fois l’habitude prise, elle ne nous reproche plus rien. Elle s’est en quelque sorte émoussée. Dans d’autres cas encore, on peut dire qu’elle s’est endurcie, elle en vient à appeler le mal bien, et le bien mal86. En rejetant l’autorité de Dieu, en voulant se faire dieu, juge du bien et du mal, l’homme se prend aux piéges de ses propres raisonnements, si bien que sa conscience approuve des comportements contraires à la volonté de Dieu. C’est pour cela que D. Bonhoeffer pouvait dire « qu’une mauvaise conscience est souvent plus saine qu’une conscience satisfaite. »

Il ne suffit pas de dire « J’ai ma conscience pour moi » ou « Ma conscience ne me reproche rien » pour être dans le vrai. La conscience ne peut être la source unique de l’obligation morale. Elle joue un rôle important et nécessaire en nous avertissant de nos erreurs, de nos égarements pour nous garder dans le chemin de la volonté de Dieu. Mais elle ne peut suffire à orienter notre vie et à nous donner un discernement sûr du bien et du mal. La conscience a besoin d’être éclairée ou réveillée par la Parole de Dieu, dans laquelle Dieu révéle sa volonté, « qui est bonne, agréable et parfaite »87. Sans référence à Dieu, la conscience peut errer ou tromper. L’étymologie du mot nous aide à le comprendre. Con-science (latin: con-scientia, grec: sun-eidésis) veut dire savoir avec. Ce n’est pas l’homme seul avec sa conscience. C’est l’homme avec Dieu, à qui la conscience renvoie. Car, si la conscience juge, ce n’est pas à elle qu’appartiennent le jugement dernier: c’est à Dieu et à lui seul.

Robert Somerville88

4. LA LOI ET LES COMMANDEMENTS

Un simple coup d’œil au Petit Robert révéle la complexité des notions et opinions associées à l’emploi du terme « loi ». Trois domaines principaux d’utilisation du concept peuvent être distingués: juridique, éthique et scientifique.

Dans la Bible, le mot a deux emplois principaux:

  1. il peut désigner les régles édictées par Dieu au Sinaï pour le peuple d’Israël89;
  2. il sert aussi de titre habituel au Pentateuque90 ou à l’Ancien Testament dans son ensemble91.

La distinction proposée reste pourtant partielle. L’une des entités (loi du Sinaï) étant contenue dans la seconde, il n’est pas toujours dans l’intention de l’auteur de les distinguer.

La Loi donnée par Dieu au Sinaï comprend trois types de directives: les préceptes religieux et moraux, les lois proprement dites, civiles ou pénales, et les régles du culte. Cette distinction, suggérée par les étapes successives du don de la Loi, ne doit pas faire oublier la corrélation et l’interpénétration des domaines: culte, droit et morale relévent tous de l’autorité du même Seigneur.

Dans le Nouveau Testament, la loi est souvent opposée à la grâce ou à la foi pour faire ressortir le contraste entre l’ancienne et la nouvelle Alliance92. Même si la Loi ne doit pas être considérée comme abolie93, le mot n’est plus guére employé dans les directives apostoliques, sinon avec des qualificatifs: « loi de Christ94« , « loi de liberté95« , « loi royale96« ; les auteurs du NT, Jean particuliérement, lui préférent le mot de « commandement ».

Pour tenter de définir plus précisément le rapport du chrétien à la loi de Moïse, on s’est appuyé sur la triple distinction évoquée précédemment. On reconnaît ainsi une valeur permanente aux préceptes éthiques et religieux, une valeur transitoire aux régles cultuelles qui étaient « l’ombre des choses à venir », « la réalité » étant maintenant présente en Christ97, et une valeur indicative aux lois civiles.

Dans la même intention, depuis Melanchthon et Calvin, on a proposé de distinguer trois usages de la Loi. Le premier usage, spirituel et théologique, ressort clairement de l’enseignement de Paul: c’est par la loi que l’homme prend connaissance de son péché98. Le second usage, civil ou politique, évoque l’influence, réelle ou souhaitée, de la loi de l’AT sur les lois régissant actuellement la société. Le dernier usage, didactique ou moral, se référe au processus de sanctification du croyant dans lequel la Loi peut servir de repére ou d’aiguillon.

La notion de loi naturelle est associée à la conviction que, même en l’absence de révélation spéciale, les hommes bénéficient par la raison et la conscience de lumiéres suffisantes pour les rendre sensibles aux normes éthiques fondamentales. L’existence de ces lumiéres est indéniable99, mais est-il possible d’en tirer un ensemble défini et cohérent de lois naturelles devant s’imposer à la conscience de tout homme? On peut constater qu’il existe heureusement de nombreuses correspondances, et souvent un accord, entre les lois humaines et la Loi divine, mais en cas de désaccord (lois récentes sur l’avortement), le recours à une loi naturelle est-il possible?

Le légalisme et l’antinomianisme100 ont été dénoncés au cours de l’histoire de l’Église, comme les deux défauts au regard de la Loi. Le légalisme peut être l’introduction dans la nouvelle Alliance de régles qui ne devaient avoir force de loi que dans l’ancienne, ou l’accumulation de régles détaillées tendant à encadrer toute la vie du croyant, ou, enfin, la dépréciation de la doctrine du salut par grâce. La doctrine antinomienne se caractérise par le refus du troisiéme usage de la Loi.

Le devoir de soumission aux lois établies par l’Etat n’est pas formulé en ces termes dans le NT. Il est impliqué par celui de soumission aux autorités légales101. Il est cependant limité par le devoir de résistance et de désobéissance vis-à-vis d’ordres ou de lois manifestement contraires à la volonté de Dieu102.

Dans l’AT, le mot « commandement » désigne spécifiquement les divers articles de la Loi. La tradition juive en dénombre 613 dans le Pentateuque. Les plus connus sont les dix commandements qui constituent le Décalogue103. Le mot est associé à d’autres termes voisins et parfois synonymes tels que prescriptions, ordonnances, déclarations, etc.104, qui renvoient tous, d’une maniére ou d’une autre, à la Loi. Dans le NT, le mot désigne, de maniére privilégiée, les ordres laissés par le maître Jésus à ses disciples, le principal étant celui d’avoir de l’amour les uns pour les autres105. La concentration de la volonté du maître en un seul commandement, qui résume tous les autres, prévient toute dilution, tout éparpillement dans la multiplicité de régles fragmentaires. Elle ne signifie pas pour autant la fin de tout autre commandement, comme le montre bien l’emploi du pluriel, en alternance avec le singulier, dans la premiére épître de Jean106. La mention de l’amour de Dieu et du respect de ses commandements (pluriel), comme test de l’amour pour les enfants de Dieu107, montre bien qu’il serait dangereux de poser l’amour du prochain comme seul principe de conduite, à l’exclusion de tout autre.

Emile Nicole108

5. LE PÉCHÉ ET LA CULPABILITÉ (sens théologique)

Ce que les écrivains bibliques désignent par le terme « péché », c’est la violation de l’ordonnance historique de Dieu. L’homme est déclaré « pécheur » pour souligner qu’il s’est détourné de la voie de vie que Dieu avait tracée devant lui par sa Loi. C’est pourquoi le mot « péché » n’a pas véritablement de sens dans la bouche d’un théologien ou d’un philosophe qui ne croirait pas en l’existence d’un Dieu transcendant et personnel, ni, conjointement, en l’existence, pour l’homme, d’une vocation historique prédéterminée.

Cela dit, en brisant l’ordre de sa vocation, l’homme pécheur n’a pas seulement brisé l’harmonie de sa relation avec Dieu, mais également, par extension, toute harmonie avec lui-même, avec les autres hommes, ainsi qu’avec l’ensemble de la création. Cette violation, bien qu’elle soit, en premier lieu, une réalité verticale (la transgression de la Loi de Dieu), a également des retombées pratiques et horizontales, dans tous les domaines de l’activité humaine auxquels la Loi de Dieu avait fixé des normes de déploiement. Elle entraîne la perversion de sa relation avec l’ensemble de la création dont Dieu lui avait confié le gouvernement et la culture.

La pointe positive de la notion chrétienne de péché, on ne le redira jamais assez, c’est de souligner l’ultime responsabilité de l’homme. Où l’homme doit-il rechercher la cause de son aliénation? C’est au fond de lui-même! C’est au niveau de son « cœur » que le mal a sa racine. Qualifier le mal dont l’homme est atteint de « péché », c’est dire que ce mal n’est pas de nature métaphysique, mais historique; c’est dire que la cause de ce mal ne doit pas être recherchée dans l’une ou l’autre des données constitutives de son existence, mais dans le mésusage que l’homme a pu en faire. Ni l’usage de la liberté, ni la connaissance du bien ou du mal, ni même le devenir historique auquel l’homme était appelé n’exigeaient en eux-mêmes (et donc ne justifiaient) l’expérience de cette rébellion.

Sur ce point, il faut reconnaître que l’affirmation chrétienne selon laquelle l’homme est pécheur par nature n’est pas sans équivoque, une équivoque que l’emprise du néo platonisme sur la théologie chrétienne du Moyen Age n’a pas contribué à dissiper.

Le sens de cette expression, en effet, n’est pas de donner une indication relative à l’origine du péché, ou d’établir un lien de cause à effet entre la nature de l’homme et son péché. Toute l’Écriture s’accorde, au contraire, pour affirmer que la nature originelle de l’homme est bonne et exempte de cette souillure. La création de l’homme ainsi que la mise en mouvement de son histoire sont radicalement antérieures (et donc indépendantes) de l’émergence de cette rébellion. Elles ne lui doivent rien.

C’est aussi là, d’ailleurs, une des significations positives de la notion chrétienne de « chute »: affirmer que le péché n’est pas inhérent à la nature du monde et de l’histoire. Le péché survient, certes, dans l’histoire, mais la nature et l’histoire préexistent à leur corruption par le péché. Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles il demeure pour cette nature une espérance de rédemption en Jésus-Christ. Car, pour l’homme, être affranchi du péché, ce n’est pas à proprement parler être affranchi de sa nature, mais, au contraire, être réconcilié avec elle! (Rm 8:1922) Pour le christianisme, l’homme n’est donc pas « pécheur par nature » dans le même sens où il est « homme » ou « femme » par nature, parce que la nature pécheresse d’un individu conserve toujours un enracinement moral, une causalité historique, dont son identité masculine ou féminine est totalement dépourvue.

Si donc les confessions de foi chrétienne (à la suite de l’apôtre Paul en Ep 2:3) déclarent que l’homme est « pécheur par nature », ce n’est pas pour donner une indication sur l’origine de son péché, mais c’est pour en souligner l’étendue ou la radicalité; pour dire que cette corruption, dés que l’homme y a donné prise, a affecté de façon irrémédiable toutes les composantes de son être, elle s’est comme incrustée en lui, elle a pénétré jusqu’à sa nature. Cette corruption fait désormais corps avec lui. Pour reprendre une expression de Jérémie, l’homme corrompu ne pourrait pas davantage se débarrasser de sa corruption qu’un léopard ne pourrait effacer les taches de son pelage, ou un Ethiopien la couleur noire de sa peau109.

Cette expression veut aussi souligner la gravité de la situation dans laquelle les hommes se sont placés: ayant péché, tous les hommes sont désormais esclaves de leur péché. Le péché n’est pas seulement un acte ponctuel, il est à proprement parler une « chute », une cassure. L’homme qui est tombé est enfermé dans sa transgression. Il a perdu jusqu’à la possibilité de se déterminer différemment, jusqu’à la liberté de faire un autre choix. Dans le combat qu’il peut continuer à mener contre sa propre corruption, l’homme serait irrémédiablement perdant, si Dieu lui-même, dans sa grâce, n’intervenait pour le secourir.

Soulignant ainsi l’ultime responsabilité de l’homme, c’est toute vision dualiste du monde et de la condition humaine que le christianisme refuse. A ses yeux, la liberté de l’homme n’est pas vaincue par une force maléfique extérieure à elle, et qui tiendrait ses aspirations profondes en échec110, idée que véhiculent certaines approches contemporaines du probléme du mal.

Une autre précision importante, c’est que le péché dont il est question dans l’Écriture sainte n’est pas seulement un acte subjectif de rébellion, mais aussi, et même d’abord, la situation objective de tout homme. Il est essentiel de distinguer le péché, ou la culpabilité au sens chrétien du terme, du sentiment de culpabilité sur lequel la psychologie moderne a fixé son attention, car il n’y a pas nécessairement de concordance entre les deux.

Quatre remarques doivent être faites à ce sujet:

  1. Contrairement à l’opinion courante, le péché n’est pas nécessairement (comme pour l’auteur du Petit Robert) « un acte conscient par lequel on contrevient aux volontés divines ». Le péché dont l’Écriture reconnaît l’homme coupable ne se réduit pas aux limites de sa conscience. L’homme, en effet, peut également être inculpé pour des fautes commises par inadvertance111, ou pour avoir tout simplement manqué à ses devoirs. Pour reprendre une ancienne expression, l’homme est autant pécheur par « omission » que par « commission ». Et cette faute, même si elle est commise par ignorance ou inconscience – c’est, ici, un point essentiel – n’en reste pas moins une faute personnelle! La réalité du péché s’étend à toute violation de la Loi de Dieu, fût-elle involontaire.
  2. N’oublions pas non plus que la Bible présente tout homme comme ayant perverti dans sa chute ses capacités originelles. En conséquence, l’homme déchu ne saurait vouloir évaluer sa culpabilité objective à la mesure de la conscience subjective qu’il peut avoir conservée. Ce n’est pas à son actuelle capacité d’autodétermination qu’il peut prendre la mesure de sa responsabilité. En matiére de péché, l’inconscience n’est pas une circonstance atténuante. Cette méconnaissance est même, selon l’Écriture, un des traits fondamentaux du péché. C’est pourquoi le psalmiste demande à Dieu de lui pardonner jusqu’aux fautes dont il n’a pas la connaissance112.
  3. En corollaire, une juste connaissance de son péché ne peut être, pour l’homme corrompu, que le fait d’une révélation du Saint-Esprit. Comme la corruption de l’homme s’étend jusqu’à la conscience que celui-ci peut avoir de sa propre corruption, une œuvre régénératrice est à cet égard nécessaire.
  4. Cette conscience corrompue a non seulement la capacité de taire au sujet la partie la plus essentielle de sa faute, mais aussi celle de lui mentir dans le peu qu’elle lui dit! Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer, dans la conscience subjective d’un individu, un sentiment de culpabilité maladif, une disposition morale de nature perverse, pas tant par la faute à laquelle elle s’accroche (qui peut être une faute réelle) que par l’esprit malfaisant qui l’anime: un acharnement morbide du sujet contre lui-même, qui n’a pour fin que son autodestruction. A l’encontre de cela, la connaissance du péché que le Saint-Esprit veut éveiller dans le cœur de l’homme est une connaissance qui le porte à la repentance et à la grâce. C’est une conscience qui, tel un pédagogue, conduit le sujet au Christ…, une conscience qui a pour fin, non son écrasement et sa mort, mais sa libération et sa vie.

En somme, dans la perspective biblique, l’homme n’est pas capable de prendre la mesure de sa culpabilité avant d’avoir levé les yeux vers la croix du Christ, et reçu, au travers d’elle, la révélation de l’ampleur de sa dette. De telle sorte que, dans son expérience d’homme, juste conscience du péché et réception du pardon de Dieu sont deux choses concomitantes! Elles sont les deux fruits complémentaires d’une même rencontre avec Jésus-Christ!

Michel Johner113

6. LA CULPABILITÉ (sens psychologique)

L’homme se veut libre, débarrassé de toute aliénation. Et, cependant:

« Selon une ironie propre à la culpabilité humaine, le mouvement d’affranchissement, dont « la mort de Dieu » devait être l’acte de fondation, se renverse aujourd’hui en un universel sentiment de l’impossible innocence: même si Dieu est mort, plus rien n’est permis. »114

La psychanalyse a indéniablement apporté un éclairage nouveau et largement admis sur l’origine du sentiment de culpabilité, sa nature en grande partie inconsciente et son caractére universel dans l’être humain. Cette compréhension n’est pas en opposition avec ce que nous révéle la Bible.

L’observation clinique montre que la culpabilité peut revêtir des visages divers: des plus communs aux plus pathologiques. Si le sentiment de culpabilité repose, souvent, sur un reproche justifié que le sujet se fait, il peut aussi être paradoxalement absent chez certains criminels, ou être dramatiquement exacerbé chez des personnes qui se font des reproches en apparence totalement absurdes ou injustifiés. Il peut aussi exister sous la forme d’un sentiment diffus d’indignité personnelle ou de faute sans qu’il puisse être rapporté à quelque chose de précis. Dans bien des cas, une culpabilité inconsciente peut être mise au jour. Le sentiment de culpabilité est souvent sous-tendu par des désirs dont la nature réelle est méconnue du sujet (sentiments agressifs, en particulier). Ces sentiments refoulés peuvent être retournés sur le sujet lui-même (dépression, conduites d’échec ou autopunition, suicide, actes délinquants dont le but inconscient est la punition).

Deux mythes ont servi à Freud pour mettre en forme sa conception de l’ontogenése, c’est-à-dire de la construction interne de l’être humain. Le mythe du meurtre du pére primitif, avec la prescription du tabou totémique, est pour Freud à l’origine de la culpabilité de l’espéce, de l’idée de faute originelle et des sentiments religieux. Le mythe du complexe d’Œdipe, avec l’interdit de l’inceste, structure l’individu. Le complexe d’Œdipe trouve son issue avec la constitution du sur-moi: instance psychique inconsciente, faite à partir de l’intériorisation des interdits parentaux et sociaux. Le sur-moi est à l’origine de la conscience morale, de la formation des idéaux. Sa rigueur peut être extrême, conduisant alors à des formes pathologiques de la culpabilité (névrose obsessionnelle, en particulier)115.

Certains auteurs (Klein, Spitz) font remonter l’origine du sur-moi à un stade encore plus précoce. Pour eux, il résulte de l’ambivalence (amour-haine) du nourrisson envers sa mére, et de la menace de châtiment ou d’abandon, ou de perte d’amour qu’il projette en retour. En France, Lacan insiste sur le rapport structurel que, dans le complexe d’Œdipe, le désir humain entretient originellement avec l’interdit, c’est-à-dire la loi, la parole du pére symbolique.

Ces conceptions mettent la culpabilité au cœur de l’homme, dans une aliénation fondamentale et fondatrice. Ainsi l’individu est condamné à la culpabilité, non seulement par la contrainte qu’exercent sur ses pulsions les interdictions sociales, mais par la nature même de l’inconscient qui le constitue dans une aliénation fondamentale, et voue son désir à une radicale contradiction interne116.

La Bible met en relief des perspectives qui ne sont pas sans lien avec ce qui vient d’être exposé. Paul Tournier117 constate l’existence de deux mentalités opposées tout au long de la Bible:

  • La mentalité « infantile moraliste des tabous », qui plonge l’homme dans une angoisse sans issue. C’est celle que reléve Freud lorsqu’il met en accusation la religion (qu’il assimile, à tort, à la foi). C’est celle qui met Dieu en place de pére primitif, despote incontesté, punitif… ou en place de mére, dont on craint la perte d’amour, en représailles de l’ambivalence. Le rapport avec un tel Dieu est effectivement un rapport névrotique, infantile.
  • La mentalité prophétique, qui situe la culpabilité dans le cœur de l’homme. L’homme est dans l’impossibilité de satisfaire aux exigences de la Loi de Dieu118, mais Dieu, alors, prend l’initiative par le pardon accordé à l’homme qui confesse son inévitable culpabilité au lieu de se justifier: c’est l’évangile, bonne nouvelle.

Dans l’épître aux Romains, Paul reprend trés précisément le rapport qui lie péché et foi119, ainsi que l’aliénation fondamentale du désir humain120. Le cœur humain est complexe: le mal peut se glisser jusque dans les vertus; ce peut être l’orgueil qui rend vertueux, ou le désir d’être bien vu, ou la peur infantile de perdre l’affection de Dieu… On ne peut guére échapper à cette contradiction.

Paul Tournier différencie « vraie » et « fausse » culpabilité. Spirituellement, la vraie culpabilité n’est pas celle qui est liée à une loi sociale (qui n’est souvent que culpabilité névrotique). La vraie culpabilité est celle qui se situe face à Dieu, dans la conscience douloureuse de rupture avec l’ordre divin. Mais elle ne plonge pas l’homme dans l’angoisse: elle est, au contraire, comme le souligne Marc Oraison121, découverte d’une tout autre perspective, présente dans tous les textes prophétiques: abandon d’une image de Dieu, reproduction du mythique « sujet-supposé-savoir » impitoyable, et découverte du Dieu « sujet-supposé-aimer » miséricordieux sans restriction, qui révéle l’Amour aux hommes, sauve au lieu de punir, et se révéle pleinement en Jésus-Christ.

La psychanalyse aide à cerner la culpabilité humaine, mais ne lui donne pas de solution. La Bible ouvre le chemin de la réponse. Et pourtant le moralisme et l’intolérance reviennent facilement dans l’Église, avec leur lot de culpabilités névrotiques, car, bien ancré en chacun de nous, notre sur-moi nous entraîne à la tentation permanente et vaine de vouloir mériter l’Amour au lieu de l’accepter comme un cadeau de Dieu qui « par-donne » en Jésus-Christ.

Monique de Hadjetlaché122


  • 1 Ps 118:1.
  • 2 Es 63:7.
  • 3 Mt 19:17.
  • 4 Gn 1:31.
  • 5 Mt 12:33.
  • 6 Mt 13:37.
  • 7 Lc 8:15.
  • 8 Lc 21:5.
  • 9 Jn 2:10.
  • 10 Gn 2:18-24, « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ».
  • 11 Gn 1:28; Ex 20:12; Ep 6:1-4.
  • 12 Gn 1:26, 2:15, 20; Ex 20:9; II Th 3:10.
  • 13 Gn 3:24; Rm 13:1-7; I Tm 2:3; Tt 3:1; I P 2:16.
  • 14 Ps 34:14, 37:27; Rm 7:16.
  • 15 Hé 6:5.
  • 16 Ml 2:17, cp. Nb 24:1; Dt 6:18.
  • 17 Mc 7:21.
  • 18 Rm 1:19-32, 2:1-6, 12-24.
  • 19 Rm 3:9.
  • 20 Rm 5:12.
  • 21 Rm 8:23.
  • 22 Rm 8:21; Ap 21:1-4.
  • 23 Mt 13:46.
  • 24 Mt 18:8.
  • 25 Mt 3:10.
  • 26 Mt 26:10.
  • 27 I Co 15:50.
  • 28 Ep 2:9.
  • 29 Jn 14:6; Ac 4:12.
  • 30 Ep 2:13; Hé 10:19-20.
  • 31 Ep 2:10.
  • 32 Ep 2:7.
  • 33 Rm 2:8.
  • 34 Rm 2:4.
  • 35 Rm 2:9.
  • 36 Rm 2:7.
  • 37 Rm 2:8.
  • 38 Peter Jones est professeur de Nouveau Testament au Westminster Seminary, Escondido, Californie.
  • 39 I S 25:37, sur le cœur de Nabal physiquement frappé, constituant l’exception la plus notoire.
  • 40 Comme le note E. Jacob, « Homme, A.T. », Vocabulaire biblique, sous la direction de J. von Allmen (Neuchâtel et Paris: Delachaux & Niestlé, 1964), 64, note.
  • 41 Ex 15:8.
  • 42 Dt 4:11.
  • 43 Mt 12:40.
  • 44 I P 3:4.
  • 45 Témoin le parallélisme en Ps 13:3, 32:
  • 2 ss; Pr 2:10, etc.
  • 46 Ps 34:19, 51:12, 19, 143:4, etc.
  • 47 Ps 27:3.
  • 48 Pr 6:12, 7:7, etc.
  • 49 Es 46:8; Jr 3:16; Lc 21:14.
  • 50 Ex 35:21, 26.
  • 51 Jg 5:15, ironique; Pr 16:9; I Co 4:5.
  • 52 I S 13:14.
  • 53 Pr 27:11; Ac 14:17.
  • 54 Né 2:2; Jn 16:6.
  • 55 Es 35:4.
  • 56 Jn 14:1.
  • 57 Pr 31:11.
  • 58 Lc 19:17.
  • 59 II Co 6:11.
  • 60 Pr 14:30.
  • 61 Dt 6:5, 13:4, etc.
  • 62 Mt 15:
  • 18 s.
  • 63 Rm 10:9s.
  • 64 II P 1:19.
  • 65 Ec 3:11.
  • 66 I S 24:6; II S 24:10.
  • 67 Jb 27:6; I Jn 3:20.
  • 68 Rm 2:15.
  • 69 Jr 17:9.
  • 70 I R 8:39; Pr 21:2; Ac 1:24.
  • 71 Ps 139:23s.
  • 72 Pr 4:23.
  • 73 Es 29:13; Mt 15:8.
  • 74 Pr 23:26.
  • 75 Dt 30:6; Rm 2:29.
  • 76 Ga 4:6.
  • 77 Jr 31:33; II Co 3:3.
  • 78 R. Stauffer, L’humanité de Calvin (Cahiers théologiques 51; Neuchâtel et Paris: Delachaux & Niestlé, 1964), 64, note.
  • 79 Henri Blocher est professeur de théologie systématique à la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.
  • 80 Rm 2:15.
  • 81 Rm 9:1; II Co 1:12.
  • 82 II Co 4:2.
  • 83 I Co 8:7.
  • 84 Tt 1:15. Voir P. Wells, « Dieu et la conscience de l’homme », revue Ichthus, n° 39, 1974-1.
  • 85 Ep 4:18-19.
  • 86 Es 5:20.
  • 87 Rm 12:2.
  • 88 Robert Somerville est professeur honoraire de la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.
  • 89 Ml 3:22; Jn 1:17; Ga 3:19.
  • 90 Mt 5:17.
  • 91 Mt 5:18; Jn 10:34.
  • 92 Jn 1:17; Rm 3:21-22.
  • 93 Mt 5:17.
  • 94 Ga 6:2.
  • 95 Jc 1:25, 2:12.
  • 96 Jc 2:8.
  • 97 Col 2:17.
  • 98 Rm 3:20.
  • 99 Rm 1:19; 2:14.
  • 100 Antinomianisme : anti-nomos (en grec, loi). Il correspond à un comportement opposé à la Loi de Dieu, qui ne la prend pas en considération. Pour sespartisans, l’amour est le seul principe de vie.
  • 101 Rm 13:1-7; I P 2:13-17.
  • 102 Ac 4:19.
  • 103 Ex 20:1-17; Dt 5:6-22.
  • 104 Dt 4:45.
  • 105 Jn 13:34; 15:12.
  • 106 I Jn 3:22-24.
  • 107 I Jn 5:2-3.
  • 108 Emile Nicole est doyen de la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, où il enseigne l’Ancien Testament.
  • 109 Jr 13:23.
  • 110 Cf. Mt 15:11, 18.
  • 111 Cf., par exemple, Lv 4:2, 22, etc.
  • 112 Ps 19:13.
  • 113 Michel Johner est professeur d’éthique à la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence et pasteur à Marseille.
  • 114 C. Baladier, « La culpabilité », Encyclopedia Universalis V:223.
  • 115 M.Th. Laveyssiére, Freud. Choix de textes (Masson, 1977), 226-227.
  • 116 C. Baladier, ibid., 224.
  • 117 P. Tournier, Vraie et fausse culpabilité (Neuchâtel: Delachaux & Niestlé, 1985), 126-144.
  • 118 Rm 3:9-19.
  • 119 Rm 7:7-11.
  • 120 Rm 7:19.
  • 121 M. Oraison, La culpabilité (Paris: Seuil, 1974), 102.
  • 122 Monique de Hadjetlaché est psychiatre à Nîmes.
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La question de l’homoparentalité http://larevuereformee.net/articlerr/n220/la-question-de-lhomoparentalite Wed, 15 Dec 2010 15:10:44 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=423 Continuer la lecture ]]> La question de l’homoparentalité

Etat des lieux

Monique de HADJETLACHÉ*

Sujet piégé par excellence que celui qui m’a été confié. Je ne suis en aucune façon une spécialiste de la question. Je m’intéresse de très longue date à la parentalité, car je crois que cette question est cruciale pour ma pratique, je fais également partie des animateurs de l’Ecole des parents du Gard, ce qui me conduit à travailler avec de nombreuses familles et groupes que mon travail lui-même ne m’amènerait pas à rencontrer.

A chacune de nos conférences-débats, ces dernières années, il y a toujours eu quelqu’un pour poser la question de l’homoparentalité, mais, le plus souvent, c’est une question piège, et non un réel désir de réfléchir vraiment, en acceptant un débat ouvert. Aucune analyse n’est sans présupposé.

Cependant, certaines personnes sont assez honnêtes pour reconnaître des faits qui les dérangent. Mais nous sommes tous déterminés par la culture à laquelle nous appartenons, par l’idéologie à laquelle nous adhérons. Il n’y a pas d’objectivité possible, puisque nous sommes directement concernés en tant qu’humains. Je n’échappe pas moi-même à cette subjectivité. Mais elle ne me gêne pas; au contraire, je la revendique. Je n’apporte pas ici une parole de maître, mais des éléments de réflexion, à partir de ma pratique, des choses que j’ai lues, sur lesquelles j’ai réfléchi, seule ou avec d’autres personnes.

Essayons seulement ensemble de ne pas nous fermer à des réflexions qui nous semblent a priori étrangères ou étranges.

Quelques réflexions préliminaires

La conception du couple, de l’amour lui-même, des relations entre les sexes, des rôles masculin et féminin, de la masculinité, de la féminité, de la parentalité… tout cela a été en mouvement dans ces dernières décennies. Pour les enfants, on parle maintenant de « trajectoire familiale », car ils sont amenés à vivre, au fil du déroulement de leur vie d’enfant, des situations diverses qui se succèdent: famille « traditionnelle » (père-mère-enfants), famille monoparentale, famille recomposée, parfois aussi, plus rarement, situation où l’un de leurs parents vit avec quelqu’un du même sexe. Ce n’est pas simple pour eux. Comment, dans tous les changements, trouver des repères structurants?

Cependant ne nous y trompons pas. Tout n’était pas si rose avant.

Plus de trente-cinq ans de pratique m’ont amenée à réviser mes idées sur l’humanité, à voir au-delà de la première impression. Pendant longtemps, du moment que les apparences étaient sauves, ça allait! Il y a eu parfois beaucoup d’hypocrisie. Notre génération a au moins le mérite de désirer plus d’authenticité, de conformité entre ce qui est donné à voir et ce qui est réellement. Il ne faut pas oublier que beaucoup de choses terribles se sont déroulées dans des vies apparemment « bien sous tous rapports ». Je vous en donnerai un exemple tout récent. Informé d’une action en justice pour abus sexuel concernant un de ses petits-enfants, un grand-père n’a fait que ce seul commentaire: « De mon temps, on avait plus de pudeur, on n’étalait pas ça sur la place publique. » Sa réponse sous-entend bien des choses… Mais de l’enfant lui-même, il ne s’est pas préoccupé davantage.

L’homosexualité existait aussi, et même l’homoparentalité, mais cachées.

On questionne l’homoparentalité. Mais avez-vous réfléchi qu’avant d’être des parents homosexuels réels ou potentiels, ces hommes ou ces femmes ont été des enfants issus, dans la plupart des cas, de familles classiques, hétérosexuelles? Alors, on peut aussi se questionner sur les dysfonctionnements des liens familiaux qui les ont amenés à cette destinée. En psychiatrie, on constate que la plupart des pathologies se construisent à travers trois générations, qui y participent, chacune pour son compte, l’éclosion des troubles avérés n’étant évidente qu’à la troisième.

Les homosexuels d’aujourd’hui ont donc été « préparés » dans des familles apparemment classiques, et sauf exception, hétérosexuelles.

Réfléchir à tout cela, expliquer ne suffisent pas. La société d’aujourd’hui remet en question beaucoup d’idées reçues, mais elle tend à ne plus proposer de repères. C’est dangereux, déstructurant. Freud lui-même précisait aux analystes que, lors d’une cure, il fallait être vigilant à « ne jamais laisser le Moi vide d’identification ». On peut questionner, mais pas détruire sans poser les jalons d’autres constructions.

La question pourrait être formulée de façon un peu plus concrète ainsi: Les homosexuels seraient-ils forcément de mauvais parents? Si oui, pourquoi? Sinon, qu’est-ce qui leur permettrait de remplir leur fonction d’une façon correcte?1

Voici maintenant quelques réflexions sur la fonction de parent, et sur ce qui paraît fondamental pour la construction d’un enfant.

• Puis je vous tracerai quelques grandes lignes de la genèse de l’homosexualité.

• Nous pourrons alors voir quels aspects de l’homoparentalité peuvent poser problème ou non, et en quoi. Les réponses sont complexes, car, vous le verrez, il n’y a pas une seule façon d’être homosexuel, ni une seule façon de concevoir l’homoparentalité.

• Enfin, je partagerai avec vous quelques réflexions personnelles sur le plan spirituel.

I. La parentalité: son rôle dans la construction de l’enfant

C’est dans son premier milieu de vie que l’enfant ou bien trouve matière à se développer harmonieusement, ou bien se trouve d’emblée en difficulté. Je cite, pour mémoire, les travaux de Spitz sur l’hospitalisme: il ne suffit pas de nourrir et de prendre soin corporellement d’un nourrisson pour qu’il se développe. Que doit apporter ce premier milieu, outre la nourriture, le vêtement?

De la tendresse, de l’amour, de la chaleur.

– Des limites, des parapets de sécurité.

– Des repères.

C’est sur ce dernier point que portent les réserves les plus fondées par rapport à la question de l’homoparentalité. Les autres aspects ne posent pas de problème.

Quels sont les repères réellement structuraux, incontournables, ceux sans lesquels un enfant ne peut pas valablement se construire, et ceux qui peuvent sans dommage différer d’une famille à une autre, d’une éducation à une autre, d’une religion à une autre?

Dans une réunion de l’EPE, quelqu’un a dit: « L’évolution a ébranlé nos propres repères. » Et a poursuivi: « On ne sait plus ce à quoi on tient.. » C’est intéressant. « Ce à quoi on tient » peut être entendu de deux façons: ce qui a de la valeur pour nous, ou ce à quoi on se tient… Nous aurons affaire à ces deux aspects ce soir.

Il ne faut jamais oublier que l’éducation ne consiste pas à mettre dans un moule, même s’il est très beau, mais consiste à permettre à l’enfant de se préparer à partir, d’être apte à partir, en ayant des racines et des ailes.

Repérer: déterminer la place de quelque chose dans un espace. Cela se fait à partir de points de repère. Les points de repère sont des choses qui portent une marque telle qu’on peut les reconnaître; et, à partir de plusieurs points de repère, on peut savoir où l’on est, on peut se situer. En géométrie plane, il faut au moins deux points de repère différents pour pouvoir en positionner un troisième. C’est la même chose pour l’humain: il faut la triangulation pour qu’un enfant se structure. Le père vient différencier la dyade mère-enfant, en danger d’être trop fusionnelle.

Un des membres de l’école des parents nous précisait l’autre jour que, dans le vocabulaire militaire, un point de repère a trois caractéristiques: il doit être fixe, il doit être unique, et il doit être connu. On pourrait le dire autrement: toujours à sa place, fiable, bien identifié, différencié des autres. C’est plein d’enseignements pour nous.

Pour construire son identité, pour devenir un adulte qui, un jour, pourra partir et prendre sa vie en main, l’enfant doit rencontrer un certain nombre de repères structuraux, qui lui permettront de se situer dans le monde des humains, dans la vie, de découvrir son identité, de se différencier. Pour qu’un repère fonctionne, il faut qu’il soit symbolisé. Par exemple, le mot « maman » n’est réellement symbolisé que lorsque le mot à lui seul peut évoquer la mère, alors qu’elle est absente.

Les seuls repères que nous emportons avec nous pour plus tard sont ceux qui sont réellement symbolisés. La parole est l’instrument de cette symbolisation, mais la parole ancrée dans l’expérience vécue. Ce sont des mots qui ont pris corps, et pour celui qui les entend, et avant cela pour celui qui les énonce. En effet, ne se transmet que ce qui est ancré dans l’expérience vécue, le discours seul ne suffit pas: ne peut prendre sens que ce qui est réellement ressenti.

Il m’est arrivé de voir des enfants qui avaient des difficultés avec la logique mathématique. Or, dans plusieurs cas, ce qui est ressorti du travail que j’ai fait avec eux, ce sont d’énormes trous au niveau des repères familiaux. Comment acquérir la moindre logique, s’il n’y a plus aucune logique familiale. C’est dans la famille que l’on apprend à compter, à se compter et à penser que chacun compte pour quelque chose (dans toutes les acceptions du terme). Si ce n’est pas le cas, alors, tout devient illogique.

Nous l’avons dit: un repère ne suffit pas pour se positionner, il en faut au moins deux, différents et distincts. En principe, le père et la mère, les deux lignées parentales. Cela permet le repérage des places respectives des père et mère, de leur sexe – homme et femme -, de leur lignée, mais aussi de la succession des générations. Ce repérage est fondamental. Pour qu’il se constitue, il faut que chacun soit bien à sa place. On pourrait dire que les parents sont des poteaux indicateurs et des supports d’identification, qui permettront au complexe d’Œdipe de se déployer et de se résoudre dans une intégration, par l’enfant, de sa propre identité sexuée.

J’ai indiqué que, pour fonctionner, un repère doit être intériorisé, symbolisé. Cela veut dire que le repère n’est pas directement dépendant de la présence physique. Un parent peut ne pas être là dans la réalité et avoir une existence symbolique tout à fait réelle, fonctionner comme repère.

Ainsi se découvrent pour l’enfant: moi, non moi; différence des générations; différence des sexes; vie, mort; dedans, dehors; passé, présent…; toutes ces oppositions signifiantes fondamentales.

Mais cela ne peut se faire sans la parole et sans que certains interdits structurants soient posés. Le premier est bien évidemment l’interdit de l’inceste, inceste qu’il faut entendre dans un sens large: il y a inceste, sur le plan psychique, toutes les fois que l’adulte se trompe de place et prend l’enfant comme objet de sa jouissance personnelle, que le mode en soit génital ou pas. La loi sociale ne punit que l’inceste sexuel, mais les situations affectivement incestueuses sont tout aussi graves pour la santé psychique de l’enfant.

Les parents doivent être des parapets de protection pour l’enfant en posant à bon escient les interdits nécessaires à sa sécurité et à celle d’autrui; cela lui permet de vivre sa vie d’enfant en sachant que quelqu’un veille sur lui, saura le protéger, contre lui-même ou contre un danger extérieur.

II. Quelques mots sur l’homosexualité

Il n’y a pas une homosexualité, mais des homosexualités. Et pas un ou une homosexuel(le) type, mais des êtres humains tous différents, même s’ils ont en commun d’avoir une orientation sexuelle particulière.

Il est fait, parfois, des descriptions très négatives de la personnalité des homosexuels: immatures, soumis à leurs pulsions, pris dans des attitudes de repli, de peur, d’échec, égocentriques, critiques, voyant d’une façon faussée passé, présent et avenir… Ces réflexions sont dans le prolongement des conceptions du XIXe siècle: l’homosexuel était un taré, un dégénéré, une espèce maudite. Ce n’est pas mon expérience.

Cela me paraît malhonnête. Ceux qui tiennent ces propos ne connaissent pas réellement les personnes dont ils parlent, et en font une caricature. Aucun trait de caractère ne me paraît spécifique des homosexuels. Chaque trait pourrait aussi bien exister chez des hétérosexuels.

Le seul point incontestable, c’est le choix du partenaire sexuel de même sexe.

Pour pallier un tel rejet, certains homosexuels ou certains médecins ont essayé de prouver que l’homosexualité était une disposition innée, constitutionnelle, et donc que l’individu lui-même n’y était pour rien. Cette hypothèse, sous des aspects divers (développement de certaines parties du cerveau, problèmes hormonaux…) n’a jamais été ni prouvée, ni totalement écartée.

Freud, par sa description du devenir de la sexualité infantile et de ses avatars, a ouvert une autre voie: la sexualité humaine est complexe, le petit enfant va s’attacher massivement à ses premiers objets d’amour: père et mère. Les choix d’amour concernent les deux sexes, et il en résulte une bisexualité psychique dont on retrouve des traces chez tous, y compris les hétérosexuels. On peut faire un rêve à tonalité homosexuelle, avoir un fantasme de ce type sans être homosexuel pour autant. La bisexualité psychique existe à l’état latent chez chacun.

Mais pourquoi chez certains se fait-il un choix d’objet homosexuel exclusif?

La réponse de Freud est claire: il y a un choix psychique inconscient lié à un déni de la différence des sexes, un complexe de castration mal dépassé, ou à un avatar du développement de l’Œdipe. Bref, il y a eu fixation à un moment du processus de construction de l’identité sexuelle. Ce qui ne veut en aucun cas signifier que la personnalité entière du sujet est resté à ce stade.

L’homosexualité a longtemps été décrite dans les manuels de psychopathologie dans le chapitre des perversions sexuelles. Cela est remis en question depuis quelques décennies. La psychopathologie a beaucoup changé. A notre époque, on ne rencontre plus les grands tableaux cliniques que décrivaient les premiers psychiatres. De plus en plus de configurations cliniques échappent à des classifications univoques.

Freud classait l’homosexualité dans les perversions, mais cela n’avait, dans sa pensée, aucune connotation morale; cela définissait simplement une structure psychique différente de la névrose et de la psychose. D’ailleurs, il disait que l’enfant est un pervers polymorphe, par son investissement de zones érogènes très parcellaires, lors des phases orale, anale, génitale…

L’Association internationale de psychanalyse (IPA) n’a pas suivi Freud dans son regard dénué de jugement sur l’homosexualité. Pendant longtemps, elle a fermé ses portes aux candidats analystes homosexuels. En France, Lacan a repris la position de Freud. Depuis les années 70, il n’y a plus d’exclusion des analystes à cet égard. Le fait même qu’il y ait « fixation » à un certain moment du développement de l’identité sexuelle est contesté par certains intellectuels homosexuels: ce serait simplement une autre façon de vivre la sexualité, ce que reflète l’analyse historique que fait Jonathan Ned Katz dans un livre récemment paru, sous le titre L’invention de l’hétérosexualité:

« La division homosexuel/hétérosexuel date d’environ un siècle. Il s’agissait alors d’une façon nouvelle de classer et de juger la société et ses membres. (…) La division homosexuel/hétérosexuel ne repose pas sur une nature immuable mais constitue une nouvelle modalité historique d’organisation de la sexualité. L’hétérosexualité n’a pas seulement été imposée, elle a été inventée, créée de toutes pièces notamment par ces médecins du XIXe qui avaient à justifier qu’on puisse faire l’amour sans intention de procréer. »

Nous le voyons, les positions peuvent être poussées à l’extrême. Mais au-delà de ces combats idéologiques, il y a le vécu au quotidien d’hommes et de femmes qui ne demandent pas plus que vivre le mieux possible ce qu’ils vivent, sans être rejetés ou devoir cacher leur relation.

Sur la genèse de leur homosexualité, ce que j’entends en consultation n’est pas du tout univoque: ainsi Sophie me raconte la déception de ses parents qu’elle ne soit pas née garçon…, elle a grandi en essayant d’être l’enfant dont ils avaient rêvé… Les enfants se sacrifient souvent eux-mêmes pour leurs parents. Charles est resté si attaché à sa mère qu’aucune femme ne peut occuper sa place, qui n’est jamais devenue vacante. Yves n’a pu s’identifier à son père dont la violence a terrorisé son enfance. Pour lui, être un homme, c’est être ainsi. Lui est un doux… il ne peut être un homme… Paule s’est identifiée à la mère phallique, qui a tous les attributs… point n’est alors besoin de l’autre sexe!

Je m’arrêterai là. Il y a encore bien d’autres configurations possibles. Ceci simplement pour vous montrer que si l’un ou l’autre accède à la parentalité, ce qui se rejouera avec son enfant ne sera pas du tout de la même nature. Et ce qui se rejouera sera en majeure partie inconscient tout comme le sont les raisons profondes de son inclination homosexuelle.

Même si chaque histoire est une histoire singulière, je distinguerai avec l’analyste belge Serge André deux types d’homosexualité:

1. L’homosexualité névrotique qui a son point de fixation au moment de l’Œdipe. Le sexe propre peut être l’objet d’un rejet. L’autre sexe peut sembler hors d’atteinte, fait peur. Un attachement trop fort peut en empêcher un nouveau… Mais la différence des sexes est bien construite. Cette forme est souvent vécue dans l’angoisse, la culpabilité. Ce sont des personnes de ce type que l’on rencontre dans un cadre thérapeutique.

2. L’homosexualité perverse qui a une origine plus précoce. Elle comporte un déni de la différence des sexes et de la castration. Nul besoin de l’autre sexe: je fais mieux que quelqu’un du sexe opposé! Il n’y a aucun manque. Ceci peut être vrai tout autant pour l’homme que pour la femme.

Si certains viennent en thérapie, c’est en général pour des raisons autres que leur homosexualité.

III. Et l’homoparentalité?

Je ne connais pas de statistique officielle. Dans la population que je reçois, la proportion est très faible. Cependant… un document que j’ai reçu émanant de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens fait état d’une statistique: 11% des lesbiennes et 7% des gays auraient des enfants, le pourcentage des homosexuels étant estimé à 4 à 6% de la population générale. Bien sûr, il s’agit là d’une analyse orientée…

Parfois cette situation n’est qu’un moment transitoire de l’histoire de vie. Ainsi Thomas, que j’avais suivi lorsqu’il avait 7 ans, est revenu me voir à 15 ans, de sa propre initiative. Ses parents avaient divorcé et sa mère vivait alors avec une compagne. Il avait besoin d’en parler. Il n’est venu que trois fois. Différenciant tout à fait bien sa vie et celle de sa mère, de mon point de vue, il allait bien. Il était suffisamment structuré pour aborder son adolescence, assuré dans son identité propre… D’ailleurs, peu après, sa mère a repris une vie hétérosexuelle.

Dans les histoires de longue durée, je voudrais distinguer deux cas de figure qui me semblent complètement différents dans leur dynamique:

– l’un des membres du couple homosexuel est déjà parent, parfois les deux;

– le couple homosexuel fait le projet à deux de devenir parents.

1. Un membre d’un couple homosexuel est déjà père ou mère

C’est la situation la plus fréquemment rencontrée, en tout cas à mon niveau. On est devant un état de fait. Il me paraît souhaitable que le parent continue à assumer sa fonction. Le maintien de la parentalité des deux parents est, sauf exception, la solution à favoriser pour que l’enfant garde tous ses liens affectifs. Le cas échéant, un suivi psychologique est nécessaire.

La situation homosexuelle étant socialement problématique, les parents homosexuels aimants sont souvent beaucoup plus attentifs que la moyenne des parents hétérosexuels se remettant en couple, alors même qu’ils sont parfois très meurtris par leur expérience hétérosexuelle, qu’ils ont mal vécue, souvent dans l’irrespect.

Je pense à une femme, dont la blessure était encore très à vif, qui a mis un an avant de pouvoir me dire le prénom de son ex-mari. Cependant, malgré cela, elle avait à cœur que les enfants puissent voir régulièrement leur père; elle a fait suivre son fils aîné par un psychologue lorsqu’il a paru en difficulté. Ses enfants n’étant pas tout petits, leur identité sexuée était déjà bien affirmée. Leur mère veillait à ce que sa compagne garde une juste place et a toujours essayé de favoriser des sorties, repas avec d’autres adultes des deux sexes. A aucun moment, je n’ai ressenti un espoir secret de voir l’un de ses enfants faire le même choix qu’elle, au contraire.

Ces nouvelles maisonnées se considèrent comme des familles recomposées2. On est frappé par la vigilance qu’elles mettent à situer chacun. Le parent géniteur reste papa ou maman, l’autre adulte de même sexe est considéré comme un beau-parent, nommé par son prénom le plus souvent. Ces familles tiennent à ce que les deux sexes soient présents dans leur entourage, et que les enfants gardent des liens, d’une façon régulière, avec l’autre parent géniteur, que celui-ci vive en couple hétéro ou homosexuel.

Ces « parents » sont très favorables à la transparence et ont dit à leurs enfants leur choix d’amour avec, bien sûr, des mots adaptés à l’âge de l’enfant. Certains enfants ne les ont d’ailleurs pas épargnés: « Ça va pas la tête? » dit une petite fille à sa mère qui lui expliquait sa nouvelle situation. Les enfants n’approuvent pas forcément, mais aucun des enfants ne semble avoir rejeté durablement son parent à cause de son choix de vie.

Le moment le plus critique est celui de l’adolescence. D’une part, l’enfant est lui-même dans sa quête identitaire, d’autre part le regard social est beaucoup plus important à cet âge: plusieurs ont cessé d’amener des copains à la maison par peur des questions ou réflexions, alors que, plus jeunes, ils les invitaient volontiers.

Ces parents ont conscience de la difficulté supplémentaire qui attend leur enfant du fait de leur choix, et essaient de l’armer, en particulier par une notion très puissante de respect de l’autre. Toutes les situations ne sont pas idylliques, loin de là, mais aucun des parents homosexuels que j’ai eu l’occasion de rencontrer ne m’a paru prendre son rôle à la légère… Les autres, peut-être ne les ai-je pas rencontrés!

2. Plus problématique à mes yeux est la décision d’avoir un enfant dans un couple homosexuel.

Le couple de deux femmes ou de deux hommes est par essence un couple infertile. Si une femme homosexuelle souhaite devenir mère, il lui faudra avoir recours soit à un ami qui accepte, soit à une insémination artificielle, soit à l’adoption. Mais, en France, l’insémination avec donneur anonyme n’est pas accessible à une femme seule, encore moins à un couple dont l’homosexualité est déclarée. L’adoption est exceptionnellement accordée dans ces mêmes conditions. Il faut alors contourner la loi, ou aller à l’étranger. Pour les hommes, il en est de même pour l’adoption. C’est un chemin qui nécessite beaucoup de combativité. Dans cette lutte, on peut basculer assez facilement du désir « au droit à ».

La revendication du « droit à l’enfant » me fait toujours frémir. On peut avoir droit à quelque chose, mais pas à quelqu’un! Je comprends la souffrance de quelqu’un qui désire ardemment un enfant, qui désire concrétiser son amour par un enfant qui sera élevé par le couple. Ce désir, qui existe dans l’amour hétérosexuel, peut exister tout autant chez des homosexuels. Mais pour moi, le désir n’est pas le droit. Certains homosexuels partagent cette position, comme Brigitte: « Je suis triste de ne pas avoir d’enfant, mais je ne me sens pas le droit d’imposer à un enfant une vie qui sera forcément plus difficile. »

Personnellement, je suis plus réservée que ne le sont certains collègues. En effet, de nombreuses questions se posent. Pour deux femmes: Qui va porter l’enfant? Qui sera sa mère? Pour que les positions soient tout à fait claires, il faut vraiment un long cheminement. Je pense à la réflexion naïve de deux jeunes femmes dont l’une, après insémination, a accouché d’une petite fille: « C’est pas important qui est la mère biologique, une de nous l’a portée, mais ça aurait tout aussi bien pu être l’autre! Elle nous appellera toutes deux maman, et quand elle voudra, elle choisira! » C’est gentil, mais je crains beaucoup pour l’avenir psychique de cet enfant, si la situation reste dans ce flou.

Pour qu’un tel choix de parentalité soit possible, il faudrait:

– que chaque membre du couple homosexuel ait fait le deuil de l’enfant qu’il aurait aimé faire à l’autre;

– que l’un des deux ait renoncé à sa paternité ou maternité possible, au moins à ce moment-là, et accepte d’être seulement comme un beau-parent pour l’enfant à venir;

– que l’hétérosexualité de l’origine soit claire et puisse être dite à l’enfant: « Je n’ai pas pu te fabriquer avec un homme que j’aurais aimé, parce que c’est une femme que j’ai aimée… Mais un homme a donné sa graine pour que tu puisses être là et je l’en remercie. » Cela signifie qu’est dépassé un fantasme de création à deux ou de création tout seul;

– l’adoption est un peu plus simple, car peuvent être évoqués l’attente, le couple géniteur… Il y a moins d’ambiguïté possible.

La parentalité choisie dans un couple d’homosexuels hommes nécessite encore plus de renoncements profonds. Elle suscite fréquemment d’encore plus vives réactions. C’est peut-être parce que nous y sommes moins habitués: en effet, dans le passé, de nombreux enfants ont été confiés à des femmes célibataires, parfois vivant à deux. Mais, à cette époque, personne ne s’interrogeait vraiment ni sur l’intimité des adultes en question, ni sur les repères identificatoires des enfants. Pourtant, je ne suis pas sûre que le problème soit vraiment plus simple pour un enfant élevé par deux femmes.

Les couples homosexuels qui envisagent de se battre pour avoir ou pour adopter un enfant sont, en général, beaucoup plus combatifs que ceux qui ont déjà des enfants. On peut les comprendre, mais cela n’empêche pas les réserves.

Certains argumentent qu’il n’y a pas de problème pour l’enfant: il y a bien triangulation de la relation et séparation mère-enfant, puisque la compagne peut faire tiers séparateur. C’est vrai en un sens, mais c’est faire bon marché de la différence des sexes et des identifications sexuées de la petite enfance, qui prennent appui sur les liens d’amour les plus précoces et privilégiés, et qui permettront à l’enfant, l’Œdipe traversé, d’assumer son propre sexe en renonçant à être tout à la fois.

Il est vrai que, dans ces couples aussi, il peut y avoir le souci réel de donner à l’enfant les deux références sexuées par une vie très ouverte. Mais, à mon sens, cette vie sociale n’a de réel impact que plus tard, bien tard… Seule une prise en compte précoce, non ambiguë par la mère du père d’origine dans le cas d’une fécondation, ou des parents géniteurs dans le cas d’une adoption, peut donner la place juste. Or, est-il réellement possible que ce soit vraiment intégré au plus profond des membres du couple homosexuel, car la problématique inconsciente qui a amené à l’homosexualité continue d’être présente? Il ne suffit pas d’avoir des paroles auxquelles on adhère intellectuellement; il faut que ces paroles aient pris sens profondément pour celui qui les prononce.

Ceux qui justifient l’homoparentalité sans restriction séparent avec juste raison parenté (liens biologiques) et parentalité (fonctions exercées par ceux qui élèvent l’enfant). Mais ils oublient que la parentalité s’appuie sur un système symbolique, doit être exercée par des personnes dont la place est claire, parfaitement repérable par l’enfant. Les places ne sont jamais similaires, interchangeables. Pour moi, l’enfant ne peut être l’enfant d’un « couple » homoparental, il ne peut être que celui d’un père ou d’une mère géniteur ou adoptant et d’un beau-parent, compagnon ou compagne du parent.

Le PACS, à mes yeux, a sa raison d’être. Même s’il comporte d’autres enjeux, le PACS permet de reconnaître un lien, de ne pas laisser démuni un compagnon ou une compagne après des années de vie partagée; il permet aussi, en cas de maladie ou de décès, que celui ou celle qui partageait une éducation au quotidien avec le parent légal continue à avoir une place. Cette continuité possible du lien affectif et éducatif me paraît une bonne chose pour l’enfant.

On ne peut tout de même pas nier qu’il faudra au parent, à son compagnon ou sa compagne et à l’enfant un travail psychique considérable pour que l’enfant se construise à peu près correctement.

Il est vrai qu’on n’en demande pas tant aux parents hétérosexuels qui conçoivent n’importe comment. Mais ils ne demandent pas à la loi sociale de cautionner leur choix.

De fait, les milieux gays et lesbiens fermés, comme d’ailleurs les milieux hétérosexuels similaires, sont très hédonistes, centrés principalement sur la recherche de plaisir. Il me semble peu probable qu’ils désirent s’embarrasser d’enfants, sauf s’ils décident de faire de l’enfant un fer de lance de leur combat. Mais alors, c’est grave pour l’enfant qui est enjeu et non plus désiré pour lui-même. Ce n’est malheureusement pas la seule situation qui comporte ce risque pour l’enfant: dans trop de couples, hétérosexuels, qui se déchirent, l’enfant est pris en otage.

Même si les enfants ont des capacités de résilience3, comme l’on dit à l’heure actuelle, assez extraordinaires, il est important de leur donner le meilleur possible, de ne pas les amener à la limite extrême.

IV. Et la Bible? Que dit-elle?

Les repères bibliques impliquent la référence à une Parole qui dépasse la parole humaine: celle de Dieu dans la Bible, parole qui fait tiers pour les humains. Bien sûr, la Bible enseigne l’amour sans limite de Dieu pour l’homme malade et pécheur, qu’est chacun de nous (et pas les homosexuels plus particulièrement). Elle enseigne aussi le respect; elle incite à ne pas juger.

La Bible ne parle pas très souvent de l’homosexualité, mais lorsqu’elle en parle, on est étonné de sa sévérité: acte contre nature, qui est une abomination… L’homosexualité y est comparée à l’idolâtrie. Il me semble que cette comparaison rejoint ce que je relevais au plan psychanalytique: le déni de la castration, le refus du manque structurel de l’homme. Quelque part, dénier le manque, c’est vouloir être soi-même Dieu. Relevons au passage que cette tentation n’est pas l’apanage des seuls homosexuels! Mais ils l’illustrent peut-être avec une clarté particulière.

Dès la Genèse, le couple hétérosexuel est indéniablement dans le plan de Dieu pour l’humanité: homme et femme il les créa, pour être « en vis-à-vis ». Bien plus, cette altérité fondamentale du couple est choisie comme symbole du lien de l’Eglise au Christ. Je risquerai une interprétation: de la même façon que la mère introduit le père pour l’enfant, accepte d’être le canal d’un autre, de la même façon, l’Eglise est appelée à être le canal de la Parole d’un Autre, dans une altérité encore plus radicale, celle de l’homme avec son Dieu.

Deux remarques pour terminer4: dès la Genèse, Dieu est le séparateur, celui qui permet l’existence distincte et la nomination. Satan, le diviseur, remet dans la confusion, dans l’informe. Dans l’homosexualité, le centre du problème tourne bien autour de la question de la distinction et du même.

En grec, trois mots traduisent notre mot français « amour »:

Eros: l’amour charnel, l’amour passion, qui peut dévorer son objet. Il est exigeant, parfois dominateur. Cet amour-là, notre société le connaît bien.

Phila: l’amitié. Dans une relation d’amitié, rien n’est à prouver. On se sent tranquille, compris. Il y a réciprocité. L’amitié est parfois plus vécue dans les relations de même sexe, et il est bien dommage que, dans les couples hétérosexuels, il n’y ait pas un peu plus d’amitié.

Agapé: aimer parce qu’on est aimé, le fruit de l’amour divin, qui peut transcender les deux autres, amour inconditionnel qui n’attend pas la réciprocité, même s’il la désire, dimension de l’amour qui est introduite dans les épîtres de Paul. L’amour parental bien compris a sans doute à voir avec celui-là.

Un mot pour terminer: ne nous trompons pas de combat. Pour un vrai témoignage, une lutte positive, ne faudrait-il pas que les couples chrétiens hétérosexuels redécouvrent plus d’amour: éros, phila et agapé, plus de respect, dans une ouverture aux autres. Notre société est en crise de parentalité. Elle manque cruellement de pères: non pas de pères petits tyrans, imposant leur loi personnelle, mais de pères soumis, eux aussi, à la loi dont ils sont porteurs, vraiment présents, attentifs à leurs enfants, exerçant leur autorité dans un lien d’amour. Notre société manque aussi de parents vivant une réelle altérité, respectueuse de la différence de chacun, dégagée de tout assujettissement de l’un par l’autre. L’hétérosexualité pourrait être plus qu’un simple mot!


* Monique de Hadjetlaché est médecin psychiatre à Nîmes.

1 Je n’ai eu en thérapie qu’un nombre limité de personnes homosexuelles qui étaient parents ou ont désiré l’être. Mais, même si mon expérience personnelle est relativement restreinte, elle concorde en grande partie avec ce que j’ai pu lire sur le sujet. En outre, il se trouve que l’un de mes neveux, Philippe Kaiser, a soutenu il y a quelques mois un mémoire à l’Institut de travail social de Genève, sur la question de l’homoparentalité, à partir de la rencontre et de l’analyse du fonctionnement de six familles homoparentales. Je crois pouvoir dire que ces rencontres l’ont beaucoup intéressé et l’ont amené à revoir certains de ses présupposés.

2 Mon neveu Philippe Kaiser, dans son étude, fait les mêmes constatations.

3 La résilience est la capacité d’un métal à plier sans se rompre.

4 A ce sujet, voir l’article de P.Wells dans le numéro 217, 2002-2, de la revue (n.d.l.r.).

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La sexualité aujourd’hui : Épanouie ou brisée ? http://larevuereformee.net/articlerr/n229/la-sexualite-aujourdhui-epanouie-ou-brisee Mon, 22 Nov 2010 22:58:49 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=334 Continuer la lecture ]]> La sexualité aujourd’hui : Épanouie ou brisée ?

Monique de HADJETLACHÉ*

Je ne suis pas sexologue, pas sociologue non plus. C’est à partir de mon expérience de praticien que j’aborderai le sujet qui m’a été demandé. J’ai travaillé pendant de très nombreuses années comme psychiatre-psychanalyste. J’ai, à ce titre, entendu de nombreuses personnes – enfants, conjoints, parents – me parler d’eux-mêmes, de leurs traumatismes, de leurs joies, de leurs insatisfactions et de leurs questionnements. Ce sont eux qui m’ont beaucoup appris.

Je suis une toute récente abonnée de l’internet… un mois à peine. Par curiosité, pour préparer ma réflexion d’aujourd’hui, j’ai tapé en recherche: « statistiques sexualité »… La réponse a été: 24 920 sites. Ne sachant comment me débrouiller face à cette surabondance, j’ai prudemment battu en retraite! Nous sommes dans une civilisation du trop, du trop-plein, une civilisation qui ne supporte pas le manque, ni l’attente… Et nous voici en plein cœur de notre sujet.

Peut-être d’ici à peu de temps, un portable qu’on aura oublié d’éteindre va-t-il se mettre à sonner « Joindre » et être joint à tout moment et partout! Quel confort! Mais ce n’est pas sans soulever des questions! Car comment vont se construire dedans et dehors, présence et absence, attente et retrouvailles, s’il y a une omniprésence? Notre société est une société du trop, du plein, qui ne sait plus faire avec la frustration, le temps, l’attente, la lente construction, la limite.

Notre époque se vante parfois d’avoir dépassé limites et tabous. La sexualité a sa rubrique dans tous les magazines, la radio, la télé, l’internet… La « libération sexuelle », la possibilité de limitation des naissances, le travail de la femme et son indépendance financière possible ont profondément modifié les relations entre les sexes. Mais beaucoup ont du mal à se situer dans ces nouvelles donnes, et ont peur d’y perdre leur identité. Les couples sont plus instables et, souvent, ne savent pas utiliser le conflit pour faire mûrir la relation. La rupture est fréquemment la seule issue envisagée.

Cependant, « réussir » son couple fait partie des objectifs prioritaires exprimés par la plupart des gens. Le « droit à » une sexualité épanouie semble une revendication légitime. Mais la réalité intime est-elle à l’image de ces belles affirmations, tant pour la femme que pour l’homme? Freud, au début du siècle passé, accusait, non sans raison, la morale bourgeoise et la religion d’avoir réprimé d’une façon préjudiciable les pulsions sexuelles, favorisant ainsi des pathologies névrotiques, en particulier hystériques. Mais, aujourd’hui, l’obligation de jouissance n’a-t-elle pas, elle aussi, des effets?

Revenons un peu au passé. J’ai reçu, il y a fort longtemps, un homme qui est venu me confier sa détresse: chrétien engagé, il s’était toujours senti coupable de ses désirs sexuels, pourtant destinés à sa femme légitime. Il ne s’était senti libéré de ce sentiment de culpabilité qu’en de rares circonstances: lors de la conception volontaire de leurs trois enfants. Ce n’est pas beaucoup! On trouve, ici, une conception religieuse dans laquelle la procréation est la seule justification de la sexualité. Nous reviendrons sur cette question.

En avait-il parlé avec sa femme? Non, car il n’osait pas; ils n’avaient jamais abordé ce sujet ensemble. A son pasteur? Non, car celui-ci lui aurait dit qu’il avait un problème spirituel. Je lui ai suggéré de dire à sa femme qu’il était venu me voir et de lui proposer de l’accompagner. Ils sont venus tous deux, et ce fut émouvant et troublant de voir ce couple d’âge mûr découvrir leurs désirs, oser les exprimer, ce qui a complètement changé leur relation… Pour eux, le corps était mauvais. Ils fondaient cette idée sur une compréhension abusive et une traduction erronée du mot grec signifiant chair, assimilé au corps.

Pendant mon enfance, j’ai entendu mon père parler du rapport Kinsey, qui était alors une révolution, et je l’ai vu militer pour la limitation des naissances et l’accouchement sans douleurs (idées très controversées à l’époque pour des motifs religieux). Il argumentait Bible en main. La sexualité est voulue par Dieu, pour le bonheur de l’homme, mais elle doit être soumise à une éthique.

A l’époque, tout était bon pour assimiler la sexualité au mal. Pour beaucoup, le péché originel ne pouvait être que l’acte sexuel! J’ai rencontré des gens, parfois même des soignants, persuadés que la masturbation rendait débile, ou sourd… C’était une conception répandue alors. D’autres traquaient toute manifestation de cet ordre, chez eux ou chez leurs proches, au point que cela devenait une obsession constante. Une « fille-mère », comme on disait à l’époque, était rejetée et assimilée à une putain. (Le terme actuel de mère célibataire ne me semble guère plus satisfaisant, car il élimine le père géniteur de l’enfant.) Cela fait presque cinquante ans. Les temps ont bien changé… du moins apparemment.

On pourrait renier le passé ou, au contraire, avoir envie d’y revenir, comme à un temps idyllique, où on ne faisait pas n’importe quoi. Mais ce n’est pas aussi simple: je peux vous dire que j’ai vu, ces dernières années, des personnes de 50 ans, 60 ans, venir me parler de traumatismes vécus dans leur enfance, sur le plan sexuel, dont ils ne pouvaient parler qu’à présent parce que, maintenant, ces choses-là se disent. Ce n’est pas rare, et leur vie entière en a parfois été brisée.

J’ai rencontré des gens épanouis, vivant une sexualité heureuse. J’en ai vu qui sont restés prisonniers d’une vie complètement insatisfaisante, par peur de la rupture, ou par crainte d’oser aborder réellement leurs problèmes. Toute généralisation est toujours mensongère.

On peut se poser une question: les valeurs que nous avons essayé de transmettre, les modèles que nous avons parfois incarnés, qu’ont-ils été pour que les générations suivantes aient eu aussi peu envie de les reproduire? On a souvent reproché une certaine hypocrisie, qui recouvrait d’un voile pudique tout ce qui était non conforme au discours affiché. Mais ce reproche n’est-il pas d’une éternelle actualité?

Faut-il pour autant qu’il n’y ait plus de limites, plus de repères, sinon celui du plaisir de l’individu? Peut-on tout voir, tout entendre, tout savoir, tout mettre en acte? Est-ce plus constructeur?

Aujourd’hui, qu’en est-il ? La « libération sexuelle » a-t-elle apporté plus de bonheur?

J’étais interne en psychiatrie dans les années 1968. L’internat était un lieu sympathique et quelque peu remuant, les mœurs y étaient plutôt assez légères. Mais je crois que nous formulons tous beaucoup trop vite des jugements catégoriques sur autrui. L’être humain est, par essence, comme nous le rappelle l’apôtre Paul, un être contradictoire, animé de désirs opposés. C’est ainsi qu’un soir, l’une des internes, dont nous connaissions, par notre proximité de vie, les nombreux amants, nous étonna fortement en nous confiant que son aspiration profonde aurait été une relation dans la durée, la fidélité, qu’elle avait toujours été incapable de vivre. J’avais été très surprise.

Je viens de lire un livre, sorti récemment, écrit par deux collègues, les docteurs Valleur et Matisiak, intitulé: Sexe, passion et jeux vidéo – Les nouvelles formes d’addiction1. Le sexe peut avoir fonction de drogue. Ce livre est intéressant pour notre réflexion, car il situe bien les deux faces opposées de la question sur le plan de la sexualité: on peut être addict d’un trop d’agir, on peut aussi être addict d’une position de dépendance passive, dans une relation unique.

Certaines personnes peuvent présenter une sorte d’abus, d’excès, une dépendance compulsive à l’acte sexuel, cet acte étant nécessaire au soulagement de leur angoisse sous-jacente. La multiplication des « objets de consommation » sexuels essayant de masquer, de recouvrir l’angoissante question de la castration, du manque structurel de l’être humain. D’autres trouvent dans la dépendance à un conjoint imaginé invulnérable une réassurance de nature infantile indispensable à leur équilibre psychique. La relation à deux peut alors devenir repli relationnel, fermeture, mais aussi fragilité, car elle ne peut survivre à la disparition ou à l’évolution de l’un des deux. Fantasme fusionnel, qui n’a pas évolué, et n’a pas permis de construire une relation d’altérité. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a pas de vraie relation d’altérité. Il y a consommation dans un but narcissique. Il n’y a pas rencontre.

Actuellement, on assiste au déferlement d’une sexualité narcissique, c’est-à-dire dans laquelle l’amour de soi y est presque exclusivement concerné.

Notre civilisation favorise la consommation: votre voiture tombe en panne… changez-en, on ne répare plus, on jette et on change! On ne sait plus attendre, différer, rêver, patiemment construire et réparer. Est-ce plus heureux? Je ne le crois pas. La surenchère des objets enlève beaucoup de leur valeur. Ils deviennent interchangeables, sans valeur spécifique. On en a un exemple avec les enfants gavés de cadeaux à Noël; certains les regardent tout juste et peuvent même dire: « C’est tout? » – déjà insatisfaits avant même d’y avoir goûté. Plus rien n’apporte alors de joie durable, on ne sait plus ce qu’est le plaisir de l’attente. Dans cette dynamique, il ne faut jamais de vide, mais toujours plus, de plus en plus… Il y a une idéologie qui bannit la frustration. Or la frustration, à condition, bien sûr, qu’elle ne soit pas abusive, est créatrice, oblige à inventer autre chose, apprend à différer, à construire.

Les adolescents n’ont parfois pas le temps de rêver avant d’être engagés dans une sexualité qui n’a pas encore de sens pour eux, mais qu’ils engagent, pour ne pas paraître débiles ou arriérés. Ceci est davantage vrai, me semble-t-il, pour les filles. C’est ainsi que, dans une boîte à questions proposée à des adolescentes pratiquement toutes engagées dans une vie sexuelle précoce, plus de la moitié des questions tournaient autour de: « A quoi ça sert à une fille d’avoir des relations sexuelles? » Leur réponse était: « Pour garder mon copain, ne pas être abandonnée. » (Cet abandon redouté était pour la plupart témoin de leur immense quête affective, liée à des carences préalables.) La sexualité, ici, n’est pas une sexualité adulte, mais le comblement d’un manque affectif.

Je parlais du plaisir de l’attente: ne peuvent vivre ce plaisir que ceux qui, par leurs expériences infantiles, sont assurés que quelque chose peut être attendu, avec l’assurance tranquille que cela arrivera, même si c’est sous une forme différente de celle qu’ils avaient imaginée. Pour les personnes trop « carencées », quand rien n’est jamais assuré, si l’on tient quelque chose, mieux vaut ne pas le lâcher, car on ne sait pas ce que sera demain.

Ne nous hâtons pas vers des conclusions rapides! D’après les statistiques, l’âge du premier rapport sexuel n’a que très peu bougé. Les relations n’étaient probablement pas beaucoup plus satisfaisantes lorsque, dans le passé, les choses étaient programmées par les adultes. Et les jeunes ne sont peut-être pas tels que nous nous les représentons.

Cependant, pour l’avoir entendu souvent dans ma pratique, beaucoup de jeunes et de moins jeunes ont peur de l’attachement, par peur de souffrir, « parce que ça ne durera pas ». Le « contrat » est assez souvent, dès le départ, celui d’un non-engagement. Alors, la sexualité vécue ainsi ampute le sujet, elle le coupe d’une partie de ses affects, qu’il doit alors réprimer. Le plus souvent, l’un des partenaires l’impose plus ou moins à l’autre, même si l’autre l’accepte, parce que c’est la seule alternative. On pourrait dire que la génitalité (qui n’implique que le corps) remplace la sexualité de deux personnes qui se rencontrent dans la différence et dans la totalité de leurs êtres. On est dans le domaine de l’avoir, et non plus de l’être, de la rencontre. Mais ne caricaturons pas, beaucoup – nous compris – oscillent entre les deux positions.

Corps et relation, les deux racines de la sexualité

J’ai déjà évoqué le rapport sexualité-procréation. Les Eglises ont, parfois, pu faire de la procréation la seule justification de la sexualité, niant que le plaisir partagé des corps puisse être dans la volonté créatrice de Dieu. Personnellement, en tant que chrétienne, lorsque je vois la richesse des terminaisons sensorielles du corps, je ne peux croire en un Dieu qui ne l’aurait créée que pour en priver l’homme. Je crois, au contraire, que notre corps, dans sa dimension de plaisir, est un choix du Créateur.

Pour que la relation sexuelle soit correctement ancrée, deux dimensions sont à bien repérer. Celle de l’altérité et celle de la limite humaine, la castration symbolique.

La loi symbolique, qui pose des interdits structurants, en particulier l’interdit de l’inceste au sens large du terme, permet de n’être pas dans la loi de la jungle, la loi du plus fort, qui utilise l’autre comme un objet pour sa jouissance, en lui déniant toute valeur de sujet.

D’autre part, la sexualité, justement par son lien avec la procréation, est rappel de notre finitude d’humains, nous signifie que nous sommes mortels. C’est bien parce que nous sommes mortels qu’il est si important, pour nous, de laisser une trace de notre passage sur terre, quelque chose qui nous survivra et nous perpétuera. Le plus souvent, cela se fait à travers nos enfants, mais pas exclusivement.

Du fait de la contraception, de la possibilité de réguler des naissances, le lien sexualité-procréation est moins évident. Mais la relative maîtrise de la procréation ne doit pas nous faire évacuer la dimension de notre finitude. Nous pouvons nous croire tout-puissants. Ce n’est qu’un leurre. Si nous croyons cela, nous sommes alors dans le déni, dans les restes de la toute-puissance infantile. C’est souvent du réel que nous revient ce qui est dénié. A un moment où l’on pouvait se croire dans l’invulnérabilité, où pouvait se profiler l’idée d’une jouissance sans limite, la dimension de la mort a fait retour par le canal du sida. J’ai retenu une phrase, entendue un jour, du psychanalyste Serge Leclaire: « La question n’est pas d’être sans entraves, sans limites, mais de savoir à quoi l’on est assujetti. » Ce que, dans notre jargon, nous appelons la castration, le sujet « barré » cher à Lacan.

Un collègue se vantait un jour de pouvoir avoir neuf coïts consécutifs avec sa partenaire. Je ne suis pas allée vérifier! Mais les propos même interrogent. Qu’est-ce qui est présenté là? Un « moi » enflé d’orgueil… pas une relation. Cela me fait penser à la grenouille qui voulait devenir un bœuf, dans la fable de La Fontaine. Où est le sujet lui-même, et où est l’autre comme sujet? On est dans la performance, on n’est plus dans la richesse du lien humain. La quantité ne peut jamais remplacer la qualité, le vrai lien relationnel, le lien d’amour. Lorsque la sexualité se réduit à l’usage de l’autre, considéré plus ou moins comme objet de consommation, on n’est plus dans la vraie dimension de l’humain, on n’est plus dans la relation voulue par Dieu.

Ne nous y trompons pas, une telle utilisation n’existe pas uniquement dans des débauches sexuelles. Elle peut aussi exister dans des couples « fidèles », mais où l’autre, sur le plan de la sexualité, n’est plus vis-à-vis, mais objet de consommation. Il me semble que la vraie fidélité implique non seulement l’abstinence de relations sexuelles hors du couple, mais un lien réel, de sujet à sujet. La fidélité se réfère à la foi, à la relation de confiance. Cependant, même dans un couple qui s’aime et se respecte, il peut y avoir des moments où l’on n’est pas dans une vraie relation. Il arrive aussi que la relation sexuelle soit utilisée comme monnaie d’échange, indépendamment de tout désir, ou comme outil de pression: pour se réconcilier comme pour punir, ou pour obtenir quelque chose. Cela a dû nous arriver à tous un jour ou l’autre. Mais la parole et le pardon sont des outils beaucoup plus constructeurs que l’effacement par une apparence de rencontre.

Une pseudo-liberté

Certains pensent que la plus grande liberté est de « tout » essayer. On voit ainsi certains multiplier les expériences sexuelles, sous toutes sortes de formes et avec les deux sexes… voire avec les animaux ou même, comme cela m’a été rapporté un jour, avec un cobra autour du cou! On peut tout inventer… avec des supports divers, vidéos ou autres. Cela peut être revendiqué comme choix délibéré ou comme liberté suprême. Cela m’interroge. Que cela recouvre-t-il? Ce peut être la recherche angoissée d’un plaisir qui sans cesse échappe. Ce peut être une véritable addiction ne laissant guère de repos, même si le sujet n’a aucune conscience de ce caractère addictif.

Pour d’autres, la réalité d’autres tendances en eux est source de souffrance, de conflit. Leur abord de la sexualité est marqué par des difficultés en lien avec la construction de leur identité sexuée, souvent de façon très précoce. Ceux qui sont en souffrance demandent surtout à être respectés, à ne pas être jugés, mais ils ne sont en général pas dans une revendication militante de leur position. Ils peuvent cependant le devenir parfois, en particulier sous la pression d’autres personnes.

La pornographie, quant à elle, fait appel le plus souvent à ce que Freud appelle les pulsions partielles: orales, anales, voyeuristes, exhibitionnistes, sadiques, masochistes, des pulsions isolées tant de l’ensemble de la relation sexuelle que d’un lien relationnel de respect. Les images de femmes ou d’enfants qui sous-tendent la pornographie sont le plus souvent avilissantes et véhiculent une charge certaine d’hostilité, de destructivité. L’accessibilité plus grande de la pornographie, la diffusion des revues, sa présence sur des sites internet peut fragiliser certains adultes, mais aussi des adolescents en quête de leur identité.

Certains réduisent la sexualité à la dimension de la jouissance, ramenée au pur plaisir du corps, avec l’illusion d’une possible jouissance infinie. C’est la réduire à une activité purement narcissique, qui efface la subjectivité de chacun. C’est aussi se cacher ce que chacun de nous expérimente au plus profond de lui: tout plaisir est éphémère, et nous échappe toujours. C’est cela notre humanité! Parfois, cette recherche de jouissance absolue ne passe que par le fantasme, qui peut alors, à l’extrême, se passer entièrement de la relation.

Pour moi, toutes ces pratiques sont sous-tendues par un refus de la limite humaine, le « tout » est déni de la castration, de la différence des sexes. On croit que l’on a « tout », ce n’est qu’illusion. Accepter de renoncer à un possible permet d’aller plus loin sur la voie que l’on a choisie. Certes, il y a toujours une part narcissique, mais elle passe par le canal de l’autre: fierté légitime de donner du plaisir, tout autant que d’en recevoir, plaisir narcissique de se sentir désirable et désiré.

Elisabeth Roudinesco s’est intéressée à l’évolution de la famille et de ses formes. On trouve dans les civilisations toutes sortes de modalités d’organisation familiale. Mais les études de Lévi-Strauss ont bien mis en relief que certaines sont durables et d’autres pas. Elle en déduit: « Autrement dit, il faut bien admettre que c’est à l’intérieur des deux grands ordres du biologique (différence sexuelle) et du symbolique (prohibition de l’inceste et autres interdits) que se sont déployés, pendant des siècles, non seulement les transformations propres à l’institution familiale, mais aussi le regard porté sur elle au fil des générations. »2 Elle questionne aussi les raisons de l’oppression de la femme depuis si longtemps. Les débordements des femmes ont toujours fait peur; si l’ordre maternel est incontesté, le féminin a longtemps senti le soufre: femme capable d’ensorceler, sorcière, putain opposée à l’image sainte de la Vierge, femme passionnée et dans la démesure… le masculin étant bien sûr rangé du côté de la raison. « Ce n’est pas moi, c’est la femme! » Nous connaissons cela depuis la Genèse!

Il y a la peur de voir une sexualité sauvage et dévastatrice des femmes, que seule semble pouvoir endiguer la fonction maternelle, la jouissance féminine étant vécue comme susceptible d’effacer la différence des sexes. Certains hommes semblent confirmer ce fantasme par la survenue d’une impuissance, s’ils n’ont plus leur rôle de domination absolue. On parle de crise de la masculinité.

Colette Chiland, dans un livre que je recommande, Le sexe mène le monde, elle aussi, parle longuement de l’oppression et de la peur du féminin: « La femme est un objet d’envie de la part des hommes, une envie refoulée de leur pouvoir maternant, et du même coup d’un pouvoir de créativité fondamental. Ce pourquoi les femmes sont dangereuses; il faut les opprimer pour réprimer la peur et l’envie qu’elles inspirent. »3 Aujourd’hui, les pères osent être plus proches de leurs enfants, ils découvrent une nouvelle dimension de la relation. La parentalité est maintenant l’affaire des deux. Ce ne peut être, par essence, qu’un équilibre à affiner sans cesse, à rétablir. En effet, des choses contradictoires sont toujours en jeu.

Je citerai à nouveau E. Roudinesco. Freud a introduit une théorie anthropologique de la famille et de la société fondée sur deux éléments majeurs: la culpabilité (liée au meurtre du père), la loi morale. « Et on peut en déduire l’idée, si l’on se veut freudien, que les conditions de la liberté subjective et l’exercice du désir supposent toujours un conflit entre l’un et le multiple, entre l’autorité et la contestation de l’autorité, entre l’universel et la différence, mais qu’ils ne se confondent jamais avec la jouissance pulsionnelle illimitée telle qu’on la voit à l’œuvre dans le crime, la cruauté, la pornographie ou la négation systématique de toute forme de logos séparateur ou de l’ordre symbolique. »4 Je partage tout à fait sa position.

Mais si l’on sort de l’oppression, il est difficile de rentrer dans une vraie dimension de la différence, qui donne place à chacun dans son identité différenciée, sans qu’elle soit assortie d’une échelle de valeurs. Nous avons encore du chemin à faire pour qu’une différence puisse se vivre sans l’inquiétude d’une annulation par l’autre. Pour cela, il est nécessaire que chacun sache qu’il ne se suffit pas à lui tout seul.

Il m’apparaît qu’à travers ses excès, ses errements, notre siècle cherche, à tâtons, avec des essais-erreurs, une voie plus juste. On a souvent utilisé les textes de Paul pour justifier une position dominante de l’homme, et une soumission de la femme. Mais n’est-ce pas enlever tout une partie du message, la soumission n’est jamais imposée, et la place de chef consiste à donner sa vie, à se faire serviteur… Ce qui ouvre des perspectives tout autres. Dieu nous veut en vis-à-vis. Notre différence est richesse, pour chacun de nous et pour les autres.

La sensibilité et la sensualité ne sont pas identiques chez un homme et chez une femme. La rencontre humaine n’est jamais simple. Les rythmes personnels ne sont pas faciles à accorder. La rencontre sexuelle, dans une dimension de vraie rencontre, implique un « lâcher prise », dans une confiance réciproque, une confiance dans l’autre, une prise en compte à la fois de soi et de l’autre, une possibilité de montrer et de partager son plaisir, tout en étant attentif au plaisir de l’autre, à ses attentes. Ce n’est pas simple. Cela ne se résume pas au déclenchement d’une éjaculation ou d’un orgasme. D’ailleurs, l’injonction à jouir, sous peine de paraître refoulé, arriéré, ou de décevoir ou de perdre le partenaire, amène certains, ou plutôt certaines, à simuler le plaisir… barrant ainsi la possibilité d’un réel échange. Cela n’est pas un phénomène nouveau, il a toujours existé. Mais il est plus mal vécu encore à notre époque.

La vraie rencontre sexuée n’est pas chose simple. Elle signifie partage de l’intime de soi. Je me suis aperçue en écoutant les personnes qui sont venues se confier à moi, au fil de toutes mes années de travail, que les deux domaines les plus intimes de l’être humain, ceux que l’on ne partage réellement qu’en des moments très privilégiés, sont la sexualité et la prière. Dans l’un et l’autre champ, on peut avoir un partage superficiel, partiel assez souvent, mais un partage profond, authentique, qui n’est plus dans le paraître, est une chose rare et précieuse.

Ce partage implique aussi une relation dans la durée, une responsabilité partagée, le dépassement d’un certain nombre d’incompréhensions et d’obstacles, le respect de jardins secrets de chacun. Ce n’est pas la transparence.

Le chemin n’est pas facile. C’est le défi qui est lancé, à savoir celui de retrouver les fondements d’une vie plus juste, épanouissante, même si elle ne peut être que dans une tension entre des termes opposés: attachement et autonomie, répression des instincts et avènement du désir, groupe et individu… Je rajouterai plaisir des corps (eros), mais aussi amitié (philae), amour dans sa dimension divine (agape). Alors, si nous y accédons, le sexuel peut ne pas être réduit à la génitalité.

« Tout est permis, mais tout n’est pas utile, tout est permis mais tout n’édifie pas. » Cette phrase de saint Paul peut être un guide aussi en matière de comportement sexuel: la liberté de l’un doit se faire dans le respect de la limite de l’autre, afin que nul ne vive quelque chose qui ne serait pas intégrable pour lui, s’imposerait par la violence, qu’elle soit violence agie ou qu’elle soit celle des mots.

En tant que chrétienne, je crois que Dieu nous appelle à découvrir la relation entre les êtres, telle qu’il l’a créée: dans le respect, la différence, l’amour dans sa dimension affective autant que corporelle, de plaisir. Il s’agit de se réapproprier une dimension intime de notre être, pour lui permettre, dans notre limite d’humains, de s’épanouir dans la relation à l’autre.

La sexualité, vécue dans une pleine dimension, ne peut se passer d’une éthique.


Monique de Hadjetlaché est psychiatre-psychanalyste dans le Gard.

1 M. Valleur, J.C. Matisiak, Sexe, passion et jeux vidéo – Les nouvelles formes d’addiction (Paris: Flammarion, 2003).

2 E. Roudinesco, La famille en désordre (Paris: Fayard, 2002), 20.

3 C. Chiland, Le sexe mène le monde (Paris: Calmann Lévi, 1999), 80.

4 E. Roudinesco, op. cit., 103.

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