Frère Daniel BOURGEOIS – La Revue réformée http://larevuereformee.net Thu, 18 Aug 2011 11:47:59 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 À la veille du IIIe millénaire – Un point de vue catholique romain http://larevuereformee.net/articlerr/n208/a-la-veille-du-iiie-millenaire-un-point-de-vue-catholique-romain Thu, 18 Aug 2011 13:47:59 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=549 Continuer la lecture ]]> À la veille du IIIe millénaire
Un point de vue catholique romain

Frère Daniel BOURGEOIS*

Comme il est devenu de règle pour toutes les entreprises modernes, on ne peut parler de la prospective et de l’avenir sans, d’abord, commencer par un audit, cette opération de bilan qui analyse l’état de fonctionnement d’un groupe de production, ses atouts, ses qualités, ses faiblesses et ses chances d’avenir. Même si l’Eglise a la chance d’avoir un « grand patron » qui prend tous les risques et défie toutes les prévisions humaines, il n’empêche que – en disant cela, j’annonce la couleur fortement catholicisante de mon propos – l’économie du salut, ou sa gestion divine, passe fondamentalement par une gestion de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les ressources humaines.

Pour ma part, je le crois fondamentalement, il me semble que l’originalité première de la foi chrétienne fondée sur la confession du mystère de l’Incarnation, de la mort et de la Résurrection de Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, est que Dieu veut d’un seul vouloir que son salut atteigne toute la création et que toute la création participe réellement et librement à la dispensation de ce salut: si le salut n’est pas donné d’un seul coup et dans une sorte de totalité achevée, mais s’il est donné dans l’histoire et dans une Alliance qui exige sans cesse de reprendre pas à pas le développement historique et de conduire à son achèvement la création, c’est parce que la toute-puissance divine ne veut, en aucun cas, détruire ou court-circuiter l’économie des moyens humains qu’elle met en jeu et qu’elle fait concourir par pure grâce à son projet et à son action.

La perfection de la création est non seulement d’être sauvée, mais d’être rendue, gratuitement et de façon totalement imméritée, participante de l’acte divin du salut: comme Marie au moment de l’annonce de l’ange, la création tout entière peut dire et doit dire « Je suis la servante du Seigneur », le service désignant non seulement la condition de dépendance totale, mais l’indispensable coopération et coactivité qu’implique ce statut de dépendance.

I. Audit de l’Eglise catholique après vingt siècles d’histoire

Ces préalables étant nettement affirmés, permettez-moi dans un premier temps de vous présenter, de façon sûrement trop cavalière et sommaire, l’audit de l’Eglise du Christ, résumant en quelques paragraphes vingt siècles d’histoire sainte et parfois moins sainte. Je regrouperai mon analyse autour de trois éléments qui conditionneront, ensuite, notre regard prospectif en direction du IIIe millénaire.

A) Une insertion historique réussie

La première chose qui me semble digne de remarque est la manière dont la foi chrétienne a pris racine dans la société des hommes: sur un mode essentiellement pacifique dès l’origine, l’annonce de l’Evangile a su implanter sa vitalité et son dynamisme au cœur de la société méditerranéenne, au prix fort de deux siècles de persécutions, mais en arrivant à proposer sans concession ni compromis une conception radicalement nouvelle des rapports entre l’existence croyante et l’existence civique et politique dans la cité des hommes. A la différence du judaïsme qui se contenta du statut de religio licita dans l’Empire romain et renonça assez vite à s’ouvrir à une perspective universaliste, à la différence de l’islam, qui réussit une expansion prodigieuse et atteignit en moins d’un siècle les limites presque définitives de son expansion, par un processus rigoureux de conquête et d’organisation politiques soumises à des impératifs religieux, la foi chrétienne a trouvé son enracinement historique dans un monde romain pacifié, structuré politiquement par la pax romana et n’a pas eu à s’imposer par la force. Le seul point sur lequel l’Eglise ne céda pas – et c’était certainement un acquis totalement neuf et méconnu par ceux qui lui reprochent d’avoir cédé à la constantinisation – est la liberté religieuse: la relation de tout homme à son Dieu est une donnée immédiate, indispensable et sacrée de son existence et donc, aucune instance politique ni sociale ne peut interférer sur quelque mode de contrainte que ce soit pour réguler, influencer ou modifier cette relation personnelle.

Cette attitude qui dérivait immédiatement de la foi au mystère de la création, c’est-à-dire de la relation ontologique immédiate entre le Créateur et chacune de ses créatures, donna un statut nouveau et irréversible à la dimension sociale de l’existence croyante: l’absolu de la relation avec Dieu pouvait se déployer en toute liberté dans toute la complexité des activités et des liens qui composent la vie sociale. La sainteté de l’existence chrétienne n’était plus désormais réductible à une affaire « extra-terrestre » ou « supra-terrestre »; elle devenait la manifestation gratuite de l’omniprésence du salut de Dieu dans la totalité de l’agir humain sauvé et renouvelé par le salut en Jésus-Christ.

On sait que la mise en œuvre de cette intuition connut plus tard certaines régressions fort regrettables et que certains aspects de la vie de l’Eglise médiévale ne furent pas à la hauteur de ce respect de la liberté fondamentale de toute créature spirituelle face à Dieu. Les exemples – à commencer par la prétendument sainte Inquisition et les consternants épisodes religieux de la conquête de l’Amérique – sont, hélas, trop connus; mais il ne faudrait pas oublier pour autant que ces faits ne nous choquent que parce qu’ils sont en contradiction formelle avec l’histoire profonde et constitutive de la foi chrétienne, qui fut la matrice essentielle – personnellement je pense: exclusive – de la liberté religieuse dans l’histoire de l’humanité.

Je me permets d’insister sur le fait que ce nouveau mode d’intégration de l’existence religieuse dans l’existence humaine « naturelle » de l’homme et de la cité humaine ne fut possible que par une disposition que je crois providentielle, celle de la rencontre de la Révélation judéo-chrétienne avec une culture méditerranéenne de souche grecque et romaine, qui avait déjà profondément réfléchi et mis en œuvre concrètement un modèle de « vivre ensemble » que nous appelons précisément le mode politique et qui considérait déjà la liberté et l’intelligence de l’homme comme les fondements réels et efficaces de la vie sociale des hommes. Il me semble que l’on ne peut sous aucun prétexte sous-estimer le caractère décisif de la rencontre de ces deux éléments: d’une part, le constat philosophique d’une liberté humaine naturelle qui, éclairée par l’intelligence et la raison, se met en recherche de la vérité de l’existence humaine et du sens d’une transcendance et, d’autre part, l’accueil d’une Révélation qui vient accomplir, par pure grâce, cette attente de la liberté spirituelle de l’homme et lui conférer les prémices de cette plénitude par le don de la vie baptismale dans la Pâque du Christ.

B) Une réussite assez limitée dans la structuration ecclésiale du peuple de Dieu

Toute expérience religieuse se comprend spontanément sur l’arrière-fond de l’humanité comme totalité: comment une existence croyante ou religieuse individuelle pourrait-elle prétendre saisir la totalité de son destin personnel sans s’inscrire dans la perspective de la participation de toute l’humanité à cette expérience et à cette destinée? Je ne puis me concevoir croyant tout seul: ma propre recherche s’inscrit toujours sur fond d’humanité. Or le problème est de garantir – d’une façon aussi objective et critique que possible – la vérité de l’expérience religieuse dans chacune des existences croyantes individuelles par rapport à la référence fondatrice, sous peine d’aboutir à un morcellement amorphe et à la confusion généralisée (le cas typique étant, dans la tradition réformée, la dispersion sectaire).

La tradition ecclésiale du Ier millénaire a fait face à cette exigence d’unité de la foi par la structuration ecclésiale que je nommerais volontiers l’apostolicité ministérielle: d’un point de vue catholique (et, je crois, orthodoxe également), il s’agit de la structure collégiale de l’épiscopat qui, dès les premières grandes manifestations conciliaires de l’antiquité chrétienne, se posa comme le principe régulateur de la confession de foi de l’Eglise. Malheureusement, suite à la distanciation entre les deux pôles de l’oikouménè, Eglise d’Orient et Eglise d’Occident, ce rôle de référence reconnu à la collégialité apostolique de l’épiscopat ne parvint pas à se maintenir de façon vivante et convaincante. Pour ce qui est de l’Eglise d’Occident, dont l’épiscopat fut de plus en plus défaillant et préoccupé de choses très différentes de celles qu’il aurait dû considérer comme prioritaires, la sauvegarde d’une authentique ministérialité apostolique ne tint qu’à un fil, celui du ministère de l’évêque de Rome, siégeant sur le siège de Pierre et de Paul.

Très vite, par un jeu juridique très complexe – dont l’analyse demanderait à elle seule de trop longues explications –, l’attention théologique prioritaire, et de plus en plus exclusive, portée sur le rôle du siège romain comprit la primauté pontificale sur un modèle social unitaire qui, dans sa pratique, s’inspirait davantage des souvenirs et des nostalgies de l’imperium romanum que des formulations primitives telles que la très célèbre formule d’Ignace d’Antioche: « l’Eglise de Rome qui préside à la charité ». Ainsi, très rapidement, la redécouverte presque exclusivement cléricale du droit romain au début du second millénaire et la nécessité de résoudre une crise majeure à l’époque en Occident, celle du conflit du sacerdotium et de l’imperium, aboutirent à une formulation abrupte de la structure ecclésiale en Occident, symbolisée par la réforme de Grégoire VII: la papauté, ayant été seule à défendre contre les princes la liberté religieuse et le libre choix des évêques, chercha à exploiter ce droit vital de l’autonomie et de la liberté de la religion jusque dans une théorie aberrante qui prétendait que le pouvoir spirituel de l’Eglise devait fonder et réguler le pouvoir temporel des princes (les fameux dictatus papæ).

Cette prise de position politico-religieuse catastrophique à l’aube du second millénaire fut sans doute déterminante pour l’avenir des Eglises: elle focalisait toute la question de la ministérialité apostolique en termes de pouvoir juridique aussi bien ad extra (vis-à-vis de la société civile qui considéra de plus en plus l’Eglise comme une « empêcheuse de tourner en rond ») que ad intra, dans la mesure où la collégialité apostolique allait devenir pratiquement inexistante en acte, à l’exception de quelques événements conciliaires en période de très graves crises. De plus, les débats très formels et caricaturaux sur le problème du conciliarisme au XVe siècle avec, pour arrière-fond, le Grand Schisme et l’échec avéré de l’unité ecclésiale en Occident ne facilitèrent pas les choses et sonnèrent pratiquement le glas de la collégialité apostolique pour quatre siècles. On pourrait dire que les affirmations ecclésiologiques de Vatican II constituent la première tentative de sortir de l’impasse d’une telle structuration juridique de l’apostolicité ministérielle, en proposant une vision à la fois nouvelle et traditionnelle de la collégialité épiscopale avec Pierre à sa tête; mais nous ne sommes qu’au début de cette réforme historique décisive pour le IIIe millénaire.

Je signale que c’est, dans ce contexte spécifique, que s’inscrivit la grande cassure religieuse interne à l’Occident entre les différents courants de la Réforme (Europe du Nord) et le monde latin resté globalement catholique: devant faire face à une caricature de la structure ministérielle de l’Eglise, Luther surtout voulut, par réaction, revenir à une perception de l’unité ecclésiale fondée sur la seule réalité du sacerdoce baptismal, ce qui est insuffisant. L’enjeu de cette division est aujourd’hui encore d’une extrême gravité, dans la mesure où c’est la signification dogmatique et la structuration ministérielle concrète de l’expérience ecclésiale qui sont en cause: il s’agit ultimement de savoir si le sacerdoce baptismal est le seul et unique fondement de la vérité de l’expérience croyante, de façon quasi autofondatrice, et comment et pourquoi le sacerdoce ministériel intervient, totalement finalisé par le sacerdoce baptismal évidemment, mais néanmoins comme une instance nécessaire et réellement fondatrice.

C) Un échec total face au mystère de la judaïté

Le second millénaire s’achève par la prise de conscience de plus en plus lucide et douloureuse d’un drame monstrueux et horrible dans l’histoire de l’Occident. Le peuple juif – qu’il ne faut pas confondre avec l’Etat moderne d’Israël – a été victime depuis une quinzaine de siècles d’une persécution, d’abord spécifiquement religieuse (que l’on nomme aujourd’hui l’antijudaïsme), puis d’un déchaînement de violence aveugle et insensée (que l’on nomme antisémitisme), dont les racines idéologiques semblent être françaises et la mise en œuvre concrète à la fois allemande et russo-soviétique. Même si l’on prend soin, à juste titre, de distinguer entre une persécution sur la base de motifs religieux et une persécution pour des raisons de racisme idéologique, la question essentielle demeure. Pourquoi les Eglises chrétiennes, ces « sauvageons d’olivier », ont-elles développé une attitude de rupture aussi radicale envers l’« olivier franc », « à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les Patriarches et de qui est issu le Christ selon la chair »?1

On aura beau dire et beau faire, en citant des exemples individuels remarquables et héroïques de courage et de sauvetage durant la persécution nazie, le fait est là incontournable: les Eglises chrétiennes ne sont pas dans une situation dogmatiquement clarifiée vis-à-vis d’Israël, qui est la souche et la racine charnelle de leur propre expérience du salut, dans la mesure où Jésus le Fils de Dieu et le Messie promis récapitule en sa chair la totalité d’Israël et que les disciples de Jésus-Christ ne sont pas simplement, comme le suggérait la formule improvisée de Pie XI, « spirituellement des Sémites »; cette formule est ambiguë et insuffisante, car en toute rigueur, les chrétiens sont, avec les Juifs, mystériquement « l’unique Israël de Dieu ». On ne pourra manquer dans un avenir proche d’interroger le lien étrange et pervers qui existe entre un refus religieux d’Israël comme lieu du surgissement historique du salut et de la communauté messianique qu’est l’Eglise d’une part, et la dérive idéologique dont notre siècle aura été l’acteur et le témoin, d’autre part.

Sur ce problème, les Eglises n’en sont – dans le meilleur des cas – qu’à l’aurore d’une prise de conscience, et on entrevoit à peine les conséquences de cette situation nouvelle: c’est encore l’apôtre Paul qui affirme que « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé »2. Il n’est pas possible que cette parole ne se vérifie pas de façon éclatante dans le terrible drame que je viens d’évoquer ici.

II. regarder en face le IIIe millénaire

Autant le dire d’emblée: je n’ai pas plus que vous, je le suppose, le don de voyance extralucide et je crois que notre regard vers l’avenir ne peut être qu’une suite d’interrogations concernant le mystère de l’Eglise: étant plongés, du fait de notre condition de créatures, dans l’opacité de l’histoire et de la temporalité humaines, il serait ridicule de vouloir proposer plus que des questions et attirer plus spécialement l’attention sur certaines préoccupations actuelles dont on peut penser qu’elles sont comme ces « signes des temps » dont parlait Jésus, et qu’il faut savoir lire à la lumière de la Bonne Nouvelle du Royaume et de l’espérance qu’elle engendre.

Je reprends donc les trois points évoqués précédemment, en cherchant à voir ce qu’ils pourraient suggérer pour l’avenir des Eglises.

A) Approfondir le mystère de la sacramentalité de l’Eglise

J’ai dit plus haut que l’expérience chrétienne était l’une des expériences religieuses de l’humanité qui avait, en fin de compte, trouvé un enracinement socio-historique des plus équilibrés: il suffit pour s’en convaincre de voir à quels dramatiques problèmes doivent actuellement faire face les sociétés façonnées par la religion musulmane, en priant le ciel que les Eglises chrétiennes ne soient pas tentées de nostalgies passéistes et réactionnaires comparables si peu que ce soit à celles de l’islam contemporain.

A vrai dire, notre préoccupation serait plutôt inverse: la greffe de certaines données constitutives de l’expérience chrétienne a si bien réussi, notamment en ce qui concerne la liberté humaine, le sens de l’égalité des personnes humaines concrétisé dans la formulation moderne des droits de l’homme, le sens du service et de la charité, de la solidarité et de l’entraide, la compréhension globale du bonheur de l’homme dans les multiples facettes de sa nature – depuis le soin médical de son corps jusqu’à la promotion de son intelligence par l’éducation et la culture – qu’on est en droit de se demander si les grandes perspectives chrétiennes n’ont pas été digérées ou phagocytées par la cité des hommes. Dans ce phénomène historique que nous appelons la « sécularisation » et dont la notion fit couler beaucoup d’encre durant ces trente dernières années, c’est bien le fait d’une assimilation à s’y méprendre de toute la richesse politique, éthique et sociale de l’Evangile qui inquiéta les théologiens chrétiens. A vrai dire, les plus bruyants d’entre eux n’y sont pas allés de main morte, puisqu’ils se réjouissaient, à l’époque, de ce que l’on pourrait assimiler le message évangélique aux formes les plus grossières et les plus abâtardies de l’idéologie marxiste-léniniste: cette opération hasardeuse prit le nom emblématique de « théologie de la libération ». En fait, il n’y avait pas beaucoup de raisons d’avoir peur: cet amalgame pseudo-théologique est mort avec l’effondrement du mur de Berlin et de l’empire soviético-communiste, montrant une fois de plus que la perspicacité futuriste n’est vraiment pas une spécialité des théologiens du XXe siècle les plus prisés par les médias.

Ces turbulences épisodiques étant désormais, espérons-le, loin derrière nous, la question fondamentale de la sécularisation reste toujours aussi aiguë et devrait amener à réfléchir sur le point que voici et qui me paraît essentiel: le fait d’avoir cru que le message évangélique allait perdre sa spécificité et se dissoudre dans l’anthropologie et la culture occidentales contemporaines n’invite-t-il pas à se demander si l’on n’aurait pas perdu de vue ce qui constituait l’originalité formelle de la foi et de l’existence chrétienne? A force de réduire la foi chrétienne à sa dimension morale, la charité à un comportement purement éthique, de faire de l’acte de foi un acte restreint à sa dimension subjective et volontaire – on pense à l’école franciscaine et à ses redoutables dérivés, l’occamisme et le nominalisme –, on est tombé dans une interprétation purement volontariste de la dogmatique chrétienne au détriment de toutes les possibilités d’intelligence et de sagesse qu’elle contenait. Il me semble que la théologie chrétienne contemporaine a manqué de s’inspirer du meilleur de la tradition patristique – aussi bien grecque que latine – pour reconnaître comme préalable épistémologique de sa réflexion ce qu’on peut nommer la « sacramentalité ». Il s’agit de la possibilité de manifester par des langages et des systèmes symboliques de significations jamais adéquats mais toujours nécessaires pour manifester la réalité du mystère révélé. Cette perception de la sacramentalité est si essentielle à la Révélation elle-même qu’elle en conditionne toutes les modalités d’expression, à commencer par le mystère de l’Incarnation lui-même, dont la formulation chalcédonienne « une seule personne du Fils en deux natures » doit être considérée comme le fondement théologiquement certain et fécond.

Dans son extension ecclésiologique, cette perception est si radicale, englobante et illimitée qu’il faut prendre à la lettre l’affirmation ecclésiologique la plus novatrice du Concile Vatican II, selon laquelle « l’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Vatican II, Lumen Gentium §1). S’il est donc une tâche urgente à accomplir, non seulement au point de vue de la réflexion intellectuelle et dogmatique mais aussi au plan de la vie pastorale de nos Eglises, c’est bien celle de retrouver comment l’Eglise est sacrement du salut au cœur de l’histoire du monde. C’est seulement dans une telle perspective que l’on échappera aussi bien à Charybde qu’à Scylla: d’un côté, les formes diverses d’extrincésisme religieux, les situations de rivalité entre la reconnaissance croyante de la grâce du salut et la reconnaissance philosophique de l’existence naturelle de l’homme et de la société; de l’autre côté, les diverses formes de réduction naturaliste de la Révélation et de la grâce.

B) Le mystère de l’unité de l’Eglise et sa structuration ministérielle

J’ai dit plus haut comment la structuration de l’apostolicité ministérielle s’est progressivement modifiée au cours de ces deux millénaires: pour le dire de façon claire, comme catholique romain, je crois à la réalité dogmatique de la primauté de Pierre et du siège apostolique de Rome. En effet, il me paraît illusoire de penser qu’une quelconque forme collégiale existe sans une référence unitaire structurelle reconnue; et, par ailleurs, il faut tout de même pouvoir rendre compte d’une manière claire de la manière dont le témoignage évangélique situe Pierre de façon si marquée dans le collège des Douze. Mais ce qui me paraît constituer l’obstacle majeur actuellement, aussi bien à l’intérieur de la confession de foi catholique que dans la relation de l’Eglise catholique aux Eglises sœurs, c’est la compréhension juridico-sociale du pouvoir de l’évêque et du siège de Rome par rapport aux autres membres du collège épiscopal et aux Eglises particulières (ou diocésaines). Autre est la réalité dogmatique, autre son interprétation juridique et sociale.

Or, il me semble fort vraisemblable que l’interprétation socio-juridique traditionnellement prévalante de la primauté romaine est trop fortement marquée par la notion juridique d’imperium, issue directement de la compréhension du pouvoir dans le monde romain, cette notion étant simplement transférée du plan politico-militaire à celui de la potestas spiritualis. Le fait que l’on ait couramment utilisé durant tout le Moyen Age la métaphore des « deux glaives » est assez révélateur et indique fort bien cet impensé où le bât blesse. Il est difficile, voire impossible, d’interpréter la notion ignacienne primitive de « présidence à la charité » en termes de potestas imperii, que cet imperium soit exercé sur le collège épiscopal ou sur les Eglises particulières.

Vous devinez, sans doute, les conséquences qu’une reprise rigoureuse et critique des notions de primauté et de collégialité pourrait avoir dans le domaine de la vie ecclésiale, aussi bien pour l’Eglise catholique elle-même où elles ne me semblent pas vraiment mises en œuvre que pour la question du rapport entre les Eglises avec lesquelles elle se trouve, selon la très audacieuse expression de Vatican II, en communio non plena. Si l’on pouvait progresser si peu que ce soit sur cette voie, ce serait un pas de géant: proposer au niveau de l’instance ministérielle – qui provoque a priori un urticaire géant dans toutes les confessions non catholiques romaines – une interprétation de la primauté qui ne soit pas une supériorité de pouvoir calqué sur la structure socio-politique de l’imperium, mais qui soit la garante d’une proposition, d’un service et d’une régulation objectifs de la foi à l’égard de chaque Eglise particulière constituée et respectée. Voilà qui pourrait renouveler de façon radicale la structuration aussi bien du collège épiscopal dans sa relation avec celui qui en est à la tête que de la communion de toutes les Eglises! De ce point de vue, on ne peut que souhaiter voir le IIIe millénaire amorcer une reprise des intuitions ecclésiologiques essentielles du Ier millénaire – je pense plus spécialement à l’équilibre que représentait la structure des grands patriarcats aux IVe et Ve siècles – par-delà les tâtonnements et les audaces réellement discutables et critiquables de l’ecclésiologie occidentale du second millénaire, que cette dernière soit d’inspiration latine-grégorienne ou conditionnée par la réaction réformée.

C) La question du lien entre Israël et les Eglises chrétiennes

On ne peut négliger l’immense problème que les Juifs se posent à eux-mêmes face à leur destin actuel, ce dont témoigne la littérature théologique et philosophique de Buber à Levinas, en passant par Rosenzweig, Arendt, Fackenheim, G. Sholem et le très grand Abraham Heschel. Cependant on aurait tort de considérer ce problème comme purement interne au judaïsme – même si eux-mêmes ont tendance à penser ainsi – et étranger ou annexe dans le cadre de la dogmatique chrétienne. Je me contenterai de poser une seule question: jusqu’ici, on a généralement traité le problème du judaïsme par rapport au christianisme en termes de conversions individuelles plus ou moins retentissantes, qu’il s’agisse de Ratisbonne, de Max Jacob, de Raïssa Maritain ou de Jean-Marie Lustiger. Même si l’on croit rêver et friser la science-fiction, on peut se poser la question autrement et se demander: qu’adviendrait-il si l’on n’avait plus affaire à des processus individuels isolés, mais à un retour important qui puisse prendre une dimension collective ou plutôt communautaire et « communionnelle »? Le problème mérite d’être posé pour la raison suivante: comment comprendre la place d’Israël qui, par le Christ, le Messie qui lui a été envoyé, est la racine historique et ontologique de l’Eglise, comment comprendre la place d’Israël dans cette même communion que nous constituons par grâce, c’est-à-dire l’Eglise des nations, issue de la gentilité? Autrement dit, si Paul a comparé la naissance de l’Eglise des nations à la greffe d’un rameau sauvage sur l’olivier franc, comment faudrait-il comprendre ecclésiologiquement le fait que l’olivier franc entre dans la communion messianique dûment constituée de l’Eglise venant des nations païennes?

Question oiseuse, direz-vous, et la situation actuelle semble indiquer clairement que nous sommes à des années-lumière de ce cas de figure! De plus, l’interprétation classique de Romains 10-11 semble vouloir conclure en termes eschatologiques:

Si leur mise à l’écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission sinon une résurrection d’entre les morts?3

Pourtant, si les Eglises doivent faire un pas, si modeste soit-il, pour élucider ce drame que notre siècle a connu, elles ne le pourront pas sans essayer de penser deux problèmes au moins:

• Tout d’abord quel est leur rapport à Israël dont le faux pas est la source de l’Eglise des Gentils et de sa participation au destin messianique de Jésus, Fils de Dieu?

• Ensuite, quel est leur rapport avec Israël comme cette racine sainte qui doit, en vertu de la fidélité de Dieu à ses promesses, entrer pleinement dans l’accomplissement du dessein de salut de Dieu sur tous les hommes? Peut-être le fait d’avoir méconnu cette grave, irritante et douloureuse question et d’avoir interprété la notion paulinienne de « jalousie » en termes de violence et de rivalité est-il à la racine de ce grave et terrible malentendu.

+ + +

Pour conclure, je voudrais simplement préciser que les réflexions dont je vous ai fait part relèvent d’une unique conviction: face à la parole si célèbre et si galvaudée d’André Malraux qui semblait vouloir dire que la religiosité sera la pierre de touche du siècle prochain, je voulais simplement souligner l’ambiguïté, voire le caractère un peu creux et passablement médiatique d’un tel propos. La religiosité telle que la concevait André Malraux était au mieux une esthétique de la transcendance, dont la structure objective lui importait finalement fort peu.

Je crois, personnellement, que les enjeux humains et spirituels du siècle et même du millénaire à venir ne sont pas d’ordre religieux – si c’était vrai, on pourrait prédire, à coup sûr, la victoire de la Gnose sous toutes ses formes –, mais d’ordre ecclésiologique. Les Eglises chrétiennes ont déjà trop perdu de temps pour en prendre conscience. Pour ma part, j’aurais tendance à penser que l’Eglise catholique romaine a, grâce au Concile Vatican II, manifesté qu’elle était très sensible à cette dimension ecclésiologique de l’avenir de l’humanité. Il n’est pas sans intérêt que le fait du calendrier – en soi, fortuit et purement numérologique – nous invite à retrouver, dans la communion de foi et de charité de son Eglise, ce qui constitue les racines de notre existence de disciples de Jésus-Christ.


* D. Bourgeois est prêtre à la communauté de Saint-Jean-de-Malte, à Aix. Il a fait cet exposé à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, le 20 janvier 1999.

1 Rm 9:5-7.

2 Rm 5:20.

3 Rm 11:15.

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Chercher le bonheur et trouver la joie http://larevuereformee.net/articlerr/n242/chercher-le-bonheur-et-trouver-la-joie Mon, 01 Nov 2010 15:47:49 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=228 Continuer la lecture ]]> Chercher le bonheur
et trouver la joie

Frère Daniel BOURGEOIS*

I

Commençons par un paradoxe: la sagesse populaire proclame avec beaucoup d’assurance que « les gens heureux n’ont pas d’histoire ». On voit bien ce que cela signifie: le bonheur est d’autant plus probable et durable qu’il ne met pas en cause notre présence dans la vie de la société où nous vivons; le bonheur étant plus sûr lorsqu’on vit caché, on aurait plus de chance de le chercher, de le trouver et surtout de le garder si l’on s’abstenait des complications qu’entraîne la vie avec nos semblables et nos proches. Une telle sagesse n’a sûrement pas grand-chose d’évangélique, mais elle pose en fait une question gênante: le bonheur ne serait-il possible que dans cette autonomie et cette suffisance parfaite de moi-même, dans cette dégustation maîtrisée du temps et des actes de la vie, sans dépendre des autres, pas même (surtout pas!) de ses proches, qui estiment toujours avoir sur vous quelques droits pour exiger que vous leur apportiez le bonheur dont ils ont besoin? Au fond, le bonheur ne serait-il qu’une coquille d’escargot qui me protège de toute forme d’ingérence? Le bonheur serait alors la vie « privée », privée de tout, des autres, du passé, des soucis d’avenir, des liens affectifs, des devoirs moraux, de tout donc, sauf peut-être de moi-même? Nous ne sommes pas loin de l’ataraxie (l’absence de troubles dont parlaient certains sages de l’Antiquité) et ma question est de savoir pourquoi nous sommes capables d’imaginer le bonheur en ces termes-là.

Et ne me dites pas que cette manière de voir a disparu de nos jours: nous connaissons tous des gens pour qui le must du progrès technique actuel est de fournir à chaque individu (c’est le mot qui convient dans ce cas) tous les moyens techniques, informatiques, médicaux et psychologiques de « s’en sortir tout seul dans la vie ». Je sais bien que cette attitude ne vise plus le dépouillement ascétique qui consisterait à se couper de tout, mais elle n’accepte le progrès technique et la vie sociale que dans la mesure où ils sont au service de mon bonheur conçu comme autonomie: c’est le mythe du web, la totalité du savoir et de l’information affichée sur mon écran. C’est parce que le monde entier « roule pour moi » que les contraintes sociales deviennent acceptables, c’est parce que le monde est à moi d’abord que je supporte qu’il soit également aux autres. A une condition pourtant: que soit respectée la sacro-sainte formule selon laquelle « ma liberté s’achève là où celle de l’autre commence », qu’on a d’ailleurs tendance à voir de façon inversée, « la liberté des autres doit finir là où la mienne commence ». Le bonheur parfait pour l’humanité surgira le jour où la gestion des libertés formelles dans la société permettra qu’il n’y ait plus de conflits de frontières, entre les individus: prions, mes frères, pour que cela n’arrive jamais!

Pourquoi ai-je commencé par cet exemple passablement sinistre? Parce qu’il me paraît être la meilleure et la plus indubitable preuve de la recherche inconditionnelle du bonheur. Qu’un homme puisse s’imaginer qu’il peut être pour lui-même et par lui-même le moteur et le but de son bonheur, que le désir du bonheur puisse demeurer comme une étoile polaire pour se repérer dans l’immense désert de sa pauvreté individuelle, voilà qui devrait non seulement inspirer beaucoup de compassion, mais surtout un profond étonnement. Oui, même dans cet espace encore plus réduit que le Voyage autour de ma chambre, je puis encore entreprendre cette aventure étrange du voyage à l’intérieur de moi-même dans l’espoir d’y trouver non pas moi-même tel que je suis, tout simplement, sujet errant et tâtonnant, mais me trouver moi-même capable de me rendre heureux, de combler tous mes désirs, et jouissant de cette entreprise. La seule condition pour mener à bien un projet aussi délirant, c’est un minimum de distance et de tension entre moi-même qui désire et moi-même qui me fait, laisse désirer en tant que but à atteindre: « par bonheur » – c’est étrange de le dire –, il y a toujours cette distance irréductible, qui rend la recherche d’autant plus fascinante que le but semble tout proche. On retrouve ici le mythe grec du beau Narcisse: la quête du bonheur peut encore se loger dans la distance minime qui sépare le visage réel et le visage illusoire qui se reflète à la surface de l’eau. La noyade est imminente: Narcisse mourra du bonheur qu’il a connu de se découvrir et de se contempler comme son propre bonheur. Ce qu’un philosophe contemporain a appelé L’erreur de Narcisse est en fait la forme la plus subtile, la plus spirituelle et la plus heureuse du suicide: Narcisse meurt du bonheur de soi.

Il n’est donc personne qui ne cherche le bonheur: même si ce n’est pas une interprétation « orthodoxe », je pense avec Albert Camus qu’« il faut imaginer Sisyphe heureux ». Au fond, le rocher fait corps avec Sisyphe, et le promouvoir vers le sommet de la montagne, c’est littéralement « se pousser » avec toute sa force vers un au-delà assimilé à l’effort de soi sur soi: ce rocher, c’est du bonheur figé, pétrifié, lourd d’absurde et d’une monotone victoire sur soi-même, mais l’homme est encore capable de se penser heureux dans ce vis-à-vis sans avenir et sans joie.

II

Mais quittons Sisyphe pour aller du côté de la révélation judéo-chrétienne. Ne sommes-nous pas ici renvoyés à l’autre extrême, à la quête du bonheur impossible? Quiconque a pressenti si peu que ce soit le mystère de Dieu peut-il vraiment se faire illusion au point, comme nous y invite l’Ecriture, d’« aimer Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces, de toute son âme », avec la même ardeur que Narcisse ou Sisyphe se laissaient fasciner par eux-mêmes comme but de leur quête de bonheur? Entre nous, les chrétiens et les juifs n’auraient-ils pas perdu le sens – tout simplement le bon sens – lorsqu’ils proclament que Dieu est leur bonheur: ne sommes-nous pas des « inconscients » ou des « fous » lorsque nous récitons ou chantons presque sans y penser les paroles du psaume:

« J’ai dit au Seigneur: ‹Tu es mon Dieu,
je n’ai pas d’autre bonheur que toi!›
Seigneur ma part d’héritage et ma coupe…
Une terre de délices vient m’échoir en partage,
un héritage qui me comble de joie. » (Psaume 15)

Que peut bien signifier ce « changement d’adresse » du bonheur de l’homme? La quête du bonheur peut-elle être orientée vers cette transcendance que Dieu lui-même n’a jamais cherché à dissimuler à travers les métaphores du ciel, de l’inaccessibilité, de la toute-puissance et de l’infini? Que peut bien signifier le fait de chercher quand le terme est inaccessible? Pourtant, le message était sans ambiguïté possible puisque le Christ lui-même avait inauguré sa prédication par des Béatitudes, des proclamations de bonheur. Nous avons besoin, je le crois, de nous remettre devant l’incongruité de la Révélation biblique qui offusquait tellement le monde gréco-romain: vouloir trouver son bonheur en Dieu, ou accepter que Dieu soit son bonheur, cela témoignait aux yeux des sages de l’Antiquité païenne d’une insupportable et ridicule prétention, car ils avaient accepté une fois pour toutes que le bonheur ne pouvait être autre chose que l’épanouissement de l’homme dans son ordre propre, dans sa nature d’homme et non pas dans une improbable perspective de divinisation qui n’était matière qu’à récits mythologiques et à contes de fées! Le bonheur, c’est la mesure, c’est la bonne proportion, c’est la sagesse qui proportionne notre activité à des buts humains réalisables, c’est le juste épanouissement de nos désirs dans ce qu’ils ont de « réaliste » et donc de « réalisable »: plus encore que la politique, le bonheur se construit selon l’« art du possible ». On comprend qu’à l’époque de saint Augustin encore, alors que le christianisme avait obtenu droit de cité et pignon sur rue, la vieille aristocratie romaine ait vu dans ce ralliement la cause de tous les malheurs, et notamment la vraie raison de la chute de Rome: un tel reproche n’était pas simplement motivé par des griefs théologiques du style « on nous a changé la religion », mais plus profondément par une inquiétude et une suspicion, celle d’avoir « cassé » le bonheur de la sagesse antique, un peu comme on dit aujourd’hui: « Ils nous ont cassé la baraque! »

Pourtant le succès du christianisme s’explique assez bien: c’était la première fois que le bonheur était l’objet d’une proposition universelle, puisque offerte par Dieu à toute l’humanité et même à toute la création visible et invisible, et c’était aussi la proposition d’un bonheur parfait puisque c’est Dieu lui-même qui proposait. Cette capacité de bonheur fondée sur un nouveau statut de l’homme défini comme capax Dei, capable de Dieu, allait transformer le destin de l’Occident. Pour le dire avec humour et en forçant un peu le trait, le Paradis des chrétiens devenait le premier grand pas dans la découverte démocratique du droit de chaque homme au bonheur: ce n’était pas d’abord l’égalité de droits et de devoirs qui faisait l’objet de ce nouveau discours, c’était l’égalité fondamentale devant le destin: tout homme, à la seule condition qu’il l’accepte, se trouvait donc orienté de fait vers un bonheur transcendant, au-delà de tous ses désirs, mais inscrit dans son désir, puisque c’est Dieu qui imagine votre bonheur. Avec un pouvoir d’anticipation qui dépasse la précision de toutes les analyses de marché, Dieu a son système d’enquête, le plus perfectionné qui soit, puisqu’il se fonde sur la connaissance intime qu’il a de chacun de nous:

« Seigneur, tu m’as éprouvé, tu me connais,
tu sais quand je m’assieds, quand je me lève;
du haut des cieux, tu connais mon désir.
Avant que la parole ne parvienne à mes lèvres,
déjà, Seigneur, tu la sais tout entière.
Seigneur, tu as posé ta main sur moi. » (Psaume 138)

On comprend que cette promesse divine de bonheur ait pu devenir l’élément constitutif d’un nouveau lien social qui, par delà toutes les différences et toutes les inégalités sociales, politiques et culturelles, était capable de réunir dans un seul élan toute la multitude des nations qui accueillaient cette promesse. De ce point de vue, il me semble important de préciser que la notion même d’Eglise était fondamentalement perçue à travers cette intuition de la promesse divine universelle de bonheur: quoi qu’il en soit de sa structure hiérarchique, de sa collusion avec le pouvoir temporel, de ses divisions internes pour des questions dogmatiques, l’Eglise était alors comprise comme le lieu d’accueil de la présence de Dieu parmi les hommes et comme le lieu d’ouverture eschatologique à l’avènement « de la bienheureuse espérance », la venue du Christ en gloire. Ce n’est plus, hélas, la manière spontanée dont on envisage l’Eglise aujourd’hui…

Ainsi, la question du bonheur ne se posait plus d’abord en termes d’accomplissement de soi, mais selon trois critères théologiques fondamentaux qui allaient dominer toutes les grandes questions théologiques en Occident jusqu’à nos jours.

a) Le bonheur est donné et son nom véritable, c’est la « grâce »

Quand on lit les traités d’éthique d’Aristote, on est frappé par le fait que le bonheur est le résultat d’une activité: il explique que « le bonheur est une activité de l’âme en conformité avec la vertu en sa forme la plus parfaite »1: c’est donc une activité humaine que le sage maîtrise totalement et rationnellement par lui-même et pour lui-même. Platon, sur ce point, ne pensait pas tellement différemment, à ceci près qu’il comptait sur une éducation disciplinaire et quasi totalitaire pour donner aux gardiens de la cité idéale le goût du vrai bonheur. Or, dès l’origine, les chrétiens n’ont jamais envisagé le bonheur de cette façon: même les parénèses les plus vigoureuses de Paul dans ses épîtres n’ont jamais présenté l’accomplissement de notre existence humaine comme un programme de self made man. Que, bien plus tard, l’enseignement de l’Eglise ait pris la tonalité sévère de traités de morale, en grande partie sous l’effet du jansénisme, est, sans doute, assez regrettable, mais même ce durcissement n’a jamais totalement effacé la certitude du bonheur comme don.

b) Le bonheur proposé à tous

Nous l’avons dit, il s’agissait d’une nouveauté profonde: face à une civilisation antique élitiste, marquée par sa croyance au destin, par l’inégalité foncière des qualités humaines en fonction de la naissance, de l’appartenance à un milieu, de la richesse patrimoniale, il était certainement révolutionnaire de dire que ce bonheur était pour tous, sans discrimination possible. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un texte de saint Augustin, parlant avec un certain humour de ce bonheur comme s’il s’agissait d’un objet de marketing:

« Ce bonheur est à vendre; achète-le si tu veux! Ne t’inquiète pas excessivement de savoir comment payer un bien si précieux. Après tout, il ne vaut que ce que tu as… Pour le payer, ne cherche pas ce que tu possèdes, mais ce que tu es, car c’est toi qui en es le prix, et il vaut autant que toi. Donne-toi, et tu l’auras. Pourquoi donc te troubler? Pourquoi t’inquiéter? Faut-il que tu ailles bien loin pour te trouver ou pour t’acheter? Livre-toi tel que tu es, et tu l’obtiendras. »2

Avant donc de penser et de présenter le mystère chrétien comme un système de rétribution du bien et du mal entre les justes et les pécheurs, c’est cette proposition universelle de bonheur qui fait la spécificité de la prédication chrétienne. Un ordre renouvelé de la société humaine découle de cette perception: le fait que nous soyons tous inscrits dans un unique projet de bonheur, le fait que le bonheur soit donné et non pas mérité, le fait qu’il soit proposé en respectant infiniment la liberté de chacun et donc sans contrainte, le fait qu’il ne puisse être revendiqué comme un droit par personne. C’est à cette universalité de la proposition du bonheur que se rattache de façon prioritaire le rôle de l’Eglise. On ne peut s’empêcher de déplorer le terrible malentendu qui s’instaura par la suite, lorsque l’Eglise chercha à se définir par rapport aux diverses formes sociales et politiques du pouvoir. Sans le vouloir évidemment, l’Eglise provoquait un soupçon sur sa raison d’être: il est naturel que le pouvoir soit traité en termes politiques, il est moins évident que l’annonce du bonheur puisse résister à un tel traitement. La gratuité de l’Evangile et du bonheur en fit les frais. On peut se demander si la parabole du Grand Inquisiteur, que Dostoïevski a développée de façon provocante et polémique dans Les frères Karamazov, ne doit pas être relue aujourd’hui comme une invitation adressée à tous les chrétiens pour laisser ressurgir ce visage de l’Eglise, comme servante et messagère du bonheur de Dieu.

IIi

Tout cela est magnifique et on ne demande qu’à y croire. Mais n’est-ce pas un peu facile de se réfugier derrière cette théologie du bonheur qui ne le voit que de l’autre côté, comme une promesse pour la vie après la vie, alors que pour nos contemporains, cette perspective est très problématique: aujourd’hui, il nous faut du bonheur « tout de suite ». Allez proclamer la foi aujourd’hui et essayez de baser tout votre discours sur le bonheur dans l’autre monde: le succès est loin d’être garanti. Et vous risquez bien plus de déclencher le scepticisme, le rire ou – pourquoi pas? – l’indignation et la colère de la part de votre auditeur! On ne peut régler cette immense question dans le cadre de cet exposé. Simplement trois ouvertures.

a) Le bonheur ne serait-il pas une maladie incurable?

Est-il vraiment possible que la question du bonheur soit résolue dans le cadre exclusif de notre vie humaine ici-bas? Je ne pose pas ici la question de façon apologétique, pour convaincre un objectant, mais je nous la pose, à vous comme à moi-même, en tant que croyants. Si la question du bonheur devait trouver son dénouement uniquement à partir des données de la vie des hommes et du monde « tel qu’il va », je crains fort que personne d’entre nous ne serait venu à cette rencontre. L’idée même que la question du bonheur trouve dans les conditions présentes sa solution est, me semble-t-il, la pire conséquence des idéologies modernes du progrès et de l’amélioration des conditions de l’humanité. Il suffit de s’être posé une seconde la question du bonheur pour s’apercevoir qu’elle libère en nous une aspiration infinie et que toute tentative qui consisterait à vouloir canaliser de l’extérieur ou de l’intérieur cette aspiration par des données empiriques, des procédés psychologiques ou des manipulations sociales est proprement inacceptable. Nous avons, parfois, accusé notre présent mode de vie d’être uniquement consumériste, notre liberté de presse d’être laxiste, nos systèmes de communication d’être manipulateurs. C’est tout à fait probable qu’il y ait de cela, même en corrigeant le côté masochiste et autoflagellant de notre culture contemporaine. Mais il n’en reste pas moins que le seul fait de dénoncer tout cela est la preuve que, au milieu d’un monde d’abondance et de satiété, nous ne pouvons pas admettre que, d’une manière ou d’une autre, la liberté de chacun à faire face à la question du bonheur ne peut, en aucun cas, être canalisée dans un schéma socialement prédéterminé et téléguidé, à quelque niveau que ce soit. Notre tradition de pensée a peut-être rejeté le Dieu des chrétiens, mais elle a gardé le goût du bonheur qu’ils proposaient. Nous avons encore la force de critiquer le bonheur comme idole, même si nous ne savons plus qui nous a donné les moyens de déjouer ce piège.

Il me semble donc que, dans le contexte contemporain qui peut être ressenti comme une attitude globale de révolte de l’esprit, la question de la dynamique et de la finalité du bonheur reste entière. Tant qu’il y aura un être humain qui pensera de façon critique, tant que la totalité de l’humanité ne sera pas embrigadée dans des mécanismes sociaux qui prétendent gérer le bonheur, mon bonheur et la question qu’il pose ne pourront jamais être détournés au profit d’une quelconque causalité ou finalité totalement maîtrisées. Que l’homme contemporain soit malade de la question du bonheur est finalement un symptôme rassurant: c’est qu’il ne s’est accommodé d’aucun des traitements de choc que lui a prescrits une certaine modernité.

b) Pas de bonheur qui ne soit donné

Ici encore, on pourrait dire: « Soit, je n’ai besoin de personne pour me fabriquer un bonheur ‹prêt-à-porter› dont je ne veux à aucun prix. Mais alors, je puis bien me fabriquer un petit bonheur à ma mesure: revenons doucement à la sagesse grecque et nous serons tranquilles, chacun cultivant son jardin. » Ici encore, je mets au défi quiconque de m’expliquer comment il pourrait être, à lui seul, l’artisan de son propre bonheur. C’est un fait que nous ne naissons pas par nous-mêmes; nous ne nous formons pas par nous-mêmes; si l’on en croit l’auteur du Temps du désir, nous n’avons sans doute pas découvert seuls que nous étions des êtres de désir et non pas de besoin: il a fallu la présence active de nos parents pour éveiller en nous cette blessure qui ne guérira jamais, à savoir le fait que la relation dans laquelle nous aimons et nous sommes aimés ne correspond pas à un simple besoin physique que nous pourrions gérer, mais qu’elle se manifeste comme un champ infini et insatiable d’expériences possibles auxquelles les « autres » nous ouvrent l’accès. La question du bonheur est liée au champ de l’altérité. Ne pourrions-nous pas interpréter dans ce sens, à la lumière de certains textes de Hannah Arendt, le fait que le domaine du politique est aujourd’hui envahi plus que jamais par celui du « social »? Le champ du social, si difficile à définir, met effectivement en jeu toutes les relations concrètes d’altérité qui se jouent dans ma vie et qui ne me mettent pas en relation directe avec l’institution politique comme citoyen, mais comme un sujet humain qui a besoin de la société pour parvenir à l’exercice d’une vie humaine personnelle.

Nous sommes donc, ici aussi, en plein paradoxe: nous n’acceptons aucune figure imposée du bonheur, mais nous savons que toute expérience vraiment profonde de mon bonheur implique toujours la présence d’une autre personne, même à la limite si je suis seul à éprouver ce bonheur. Autrement dit, le bonheur porte en lui cette apparente contradiction qu’il ne se réduit jamais à une expérience purement finie et limitée au sujet, il porte en lui cette ouverture inexplicable vers un ailleurs, une altérité. Et cette altérité prend toujours un visage humain qui médiatise pour moi cette expérience du bonheur: c’est banal de constater cela à propos de l’amour humain, de la vie familiale ou de l’amitié humaine, mais c’est vrai aussi de tous ces liens d’affection, de confiance, de collaboration qui jalonnent notre vie la plus quotidienne (la vie sociale précisément) et qui lui donnent à chaque fois une sorte d’ouverture vers un ailleurs. Car ce bonheur ne vient pas uniquement de moi-même qui l’éprouve, ni de celui ou de celle par qui je le reçois et sans qui je ne l’aurais sans doute jamais goûté. Même dans l’immanence de la relation interpersonnelle, il y a quelque chose qui s’appelle la « grâce ». La gratuité du bonheur comme don n’est pas un luxe, c’est une nécessité.

c) Le bonheur est imprévisible

Une autre composante contemporaine de l’approche du bonheur est son caractère imprévisible. Certes, cette dimension était déjà reconnue dans la plupart des civilisations, mais pour d’autres motifs: c’était le destin, la fatalité. Aujourd’hui, c’est une autre raison: il faut que le bonheur soit une surprise. Au risque de vous faire sourire, je crois que c’est la raison pour laquelle les anniversaires sont préparés dans le plus grand secret: rien de plus prévisible qu’un anniversaire, puisque la date est normalement fixée par l’état civil et le calendrier des postes et, pourtant, il faut que ce soit une surprise. La surprise, c’est l’inattendu, c’est l’immotivé, c’est la surabondance. A mon avis, c’est encore une trace de la transcendance: nous ne sommes plus habitués à penser un Dieu qui surprend l’homme et, pourtant, c’est une des données les plus fondamentales de la foi chrétienne. L’Incarnation, c’est une surprise avant d’être l’humiliation de Dieu dans la chair. Le ressort de la surprise, c’est à la fois l’adaptation au destinataire, car il faut bien que la manière dont lui advient tel message ou tel cadeau soit enracinée dans ses attentes, mais c’est aussi le caractère désarmant de ce qui est proposé; comme on dit aujourd’hui, sans donner de qualificatif: « C’est trop! » En fait, le bonheur, la chose la plus prisée et la plus désirée, a toujours dans son surgissement cette simple qualification: « C’est trop! »

C’est peut-être ici que nous pourrions situer l’articulation entre le bonheur et la joie. La joie s’explique encore moins que le bonheur et les anciens eux-mêmes tenaient plus volontiers des discours sur le plaisir que sur la joie, la joie étant toujours plus ou moins suspectée d’excès et de transports incontrôlés. Pourtant, la joie des chrétiens n’est pas d’abord le fait qu’« on s’éclate » et qu’on envahit la scène de la communauté humaine par des cris et des gestes qui tiennent plus de l’exhibitionnisme que du bonheur. Non, la joie est tout simplement ce moment où le cœur humain est comme étonné de se retrouver plus grand que lui-même: ni orgueil, ni démesure, mais la découverte jusque-là insoupçonnée d’un exister plus grave, plus profond, plus dense; pour reprendre mon exemple tout simple et naïf de l’anniversaire, c’est le moment où l’on se dit: « Ah! je n’aurais jamais cru que je puisse être aimé à ce point. » La joie, à ce stade, est telle qu’elle ne peut pas être uniquement dans la positivité d’une satisfaction de soi: elle est tout le contraire des figures de Narcisse et de Sisyphe. C’est le moment où je découvre que ma fragilité est ce qui est aimé en moi, c’est ce décentrement de moi-même vers ce qui le porte et lui donne sa vérité. C’est pourquoi la joie est toujours proche des larmes et que l’on ne peut écouter certains grands morceaux de musique sans pleurer. La joie, c’est le moment où je mesure que le don est trop grand et que ce n’est qu’en reconnaissant humblement ma pauvreté que je puis le recevoir.

La joie est, sans doute, le trésor de la vie personnelle et le trésor du monde créé: la création et le salut sont des mystères de joie. Simplement, il ne faut pas être déçu par l’impression que la joie est si souvent la grande absente de notre existence et de la vie du monde. Nous sommes souvent très critiques, et nous avons raison, par rapport à toutes les parodies et tous les succédanés de joies préfabriquées dont les plus en vogue actuellement sont sans doute les stupéfiants. Pourtant, si la vraie joie n’apparaît pas tout le temps au grand jour, c’est peut-être parce que son temps n’est pas encore venu. Je suis très intrigué par le fait que Jésus, comme Paul, a toujours comparé l’ouverture des temps messianiques à un accouchement. Dans l’évangile de Jean, d’abord:

« La femme, quand elle est sur le point d’accoucher, s’attriste, parce que son heure est venue, mais quand elle a enfanté, elle oublie les douleurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde. » (Jn 16.21)

Saint Paul dit la même chose:

« Nous le savons, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement; et non pas elle seule, nous-mêmes, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement. » (Rm 8.23)

C’est vrai que notre histoire actuelle, aussi bien au plan humain qu’au plan spirituel, est comme un enfantement, et ce n’est pas toujours la joie. Mais l’enfantement n’est-il pas ce moment où la mère apparaît dans sa féminité la plus démunie? Au sommet de sa fécondité et dans la dépendance totale du processus où elle est engagée à cause de l’enfant à qui elle donne la vie, dans la souffrance et la mise hors de soi. Nous n’avons pas dans le monde présent d’autre signe précurseur plus grand de la joie: c’est l’endurance de la vie à travers l’épreuve. Il n’y a de véritable victoire et de vraie joie qu’à ce prix…

Annexe 

Voici un autre passage de saint Augustin assez original qui exprime l’étrangeté du bonheur à venir par rapport au statut de la vie présente.

« Nous ne sommes point devenus chrétiens en vue des félicités de la vie présente, mais en vue de je ne sais quel autre bonheur que Dieu nous promet et que nous ne saurions comprendre encore; car c’est de ce bonheur qu’il est dit: ‹Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme, c’est ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment.› Aussi l’homme n’ayant jamais goûté un bonheur si grand, si excellent, si ineffable, nous avions besoin de la promesse d’un Dieu. Non, l’obscurcissement où vit aujourd’hui le cœur humain ne lui permet pas de comprendre les divines promesses, et on ne saurait nous montrer, dans l’état actuel, ce que nous deviendrons plus tard (…).

 »Voici un enfant qui vient de naître: il ne peut ni parler, ni marcher, ni rien faire; mais supposons qu’il puisse comprendre ce qu’on lui dit qu’il est, comme nous voyons ordinairement les enfants, faibles, ne pouvant guère qu’être couchés et incapables de se passer d’un secours étranger, quoique d’après notre supposition, il comprenne quand on lui parle. Figurons-nous donc qu’on lui dise: ‹Tel que tu me vois aujourd’hui marcher, travailler et parler, tel tu seras dans quelques années.› En considérant, d’une part, sa faiblesse et, d’autre part, l’état de celui qui lui tient ce langage, il n’y croirait pas et pourtant il aurait sous les yeux la réalité de la promesse qui lui est faite. A nous aussi qui sommes, comme des enfants, retenus dans ce corps avec ses infirmités, on nous promet de grandes choses, mais nous n’en voyons pas la réalité, et pour croire ce que nous ne voyons pas et mériter de voir ce que nous croyons, il faut affermir notre foi. »3

1* Frère D. Bourgeois est membre de la communauté apostolique de Saint-Jean-de-Malte et professeur de dogmatique au Grand Séminaire, à Aix-en-Provence. Ce texte est la transcription d’une conférence donnée à La Baume-les-Aix, le 18 novembre 2006.

E.N. 1098a15.

2 Saint Augustin, Sermon 127, 3.

3 Saint Augustin, Sermon 127, 1.

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