Matthijs J.C. BLOK – La Revue réformée http://larevuereformee.net Wed, 08 Dec 2010 10:53:02 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 Christianisme et quête d’identité en afrique http://larevuereformee.net/articlerr/n228/christianisme-et-quete-didentite-en-afrique Wed, 08 Dec 2010 12:37:34 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=342 Continuer la lecture ]]> Christianisme et quête d’identité
en afrique

La genèse et l’évolution de la théologie africaine
dans la tradition ecclésiale catholique romaine

Matthijs J.C. BLOK*

Le nœud du problème que nous osons croire à la base de la théologie africaine est le fait que, pendant la période de la traite des Noirs et la période de la colonisation, les Africains ont été dépouillés de leur âme et, donc, de leur identité par des Européens. S’il y avait eu un vrai respect vis-à-vis du peuple africain et un comportement fraternel entre les Africains et les Européens, la théologie africaine n’aurait pas un caractère aussi révolutionnaire.

Introduction

Au cours de l’histoire du XXe siècle, les Africains ont fait un effort immense pour justifier l’existence de la théologie africaine et même pour montrer à quel point elle était nécessaire1, tandis que les Européens la considèrent plutôt comme une déviation intolérable de l’Evangile. Trois citations peuvent éclairer et confirmer cette opposition au sujet de la théologie africaine:

« Nous n’avons d’autre désir que de promouvoir ce que vous êtes: chrétiens et Africains… L’expression, c’est-à-dire le langage, la façon de manifester l’unique foi, peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un pluralisme est légitime, même souhaitable. En ce sens, vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain. »2

« L’expression « théologie africaine »… porte en elle le danger du syncrétisme. C’est pourquoi elle est considérée avec soupçon. Il est préférable de parler de « théologie chrétienne » et de définir, ensuite, à quel contexte elle se trouve reliée, par exemple les reflets d’Afrique. »3

« Reconnue par le pape Paul VI, lors de sa visite en Ouganda en 1969, l’expression, devenue un des mots clés dans la théologie africaine, a déjà été citée si souvent qu’on en a presque le dégoût!… Le bilan que l’on a essayé d’esquisser a quelque peu montré comment la théologie africaine est une heureuse entreprise et comment les pionniers de cette théologie étaient des hommes courageux. »4

Comme il serait fort malaisé de parler de la « théologie africaine » sans tenir compte du contexte historique de sa naissance, nous présenterons d’abord, brièvement, deux types de théologies missionnaires: la théologie du « salut des âmes », et la théologie de l’« implantation de l’Eglise ». Ensuite, nous évoquerons la genèse de la théologie africaine avant d’étudier son évolution. Enfin, nous présenterons quelques conclusions. Nous tenterons de visualiser chaque (pré)phase de la théologie africaine à l’aide d’un schéma5 montrant son but, sa façon de considérer les traditions religieuses africaines6 et ses exécutants. Dans le présent article, nous insisterons sur les aspects théologiques et la tradition ecclésiale catholique romaine7.

I. Le contexte historique de la genèse de la théologie africaine

Deux types de théologies missionnaires retiennent l’attention8.

1) La théologie du « salut des âmes » (1460-1920)

De nombreux documents pontificaux et la littérature missionnaire parlent d’une théologie du « salut des âmes ». Il n’est pas dans notre propos d’en faire une étude approfondie; certains points saillants suffiront à en donner une vue appropriée.

En effet, dans sa bulle Romanus Pontifex au roi Alphonse V du Portugal, le pape Nicolas V (1447-1455) se réjouissait de voir bien « des esclaves noirs convertis à la foi catholique ». Le Pontifex romain comptait sur les progrès des conquêtes pour obtenir beaucoup de conversions. En outre, l’encyclique Maximum Illud du pape Benoît XV, datée de 1919, se préoccupe de gagner au Christ le plus d’âmes possible: « Une armée de missionnaires se lève, y lit-on, pour arracher les pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les protégeant contre l’exploitation de maîtres sans conscience. » La pensée, perçue comme une théologie de pénurie9, est claire: le missionnaire est le héros venu combattre et vaincre la puissance du démon dans le but de moraliser les êtres noirs abrutis et de sauver ces malheureux afin qu’ils échappent à l’enfer qui les attend après la mort.

Tirons la conclusion qu’au premier stade d’évangélisation le rôle essentiel de la mission a été de convertir et de gagner au Christ les âmes déchues des indigènes afin qu’elles ne meurent pas dans la misère la plus abjecte qu’est l’enfer.

Schéma

Enumérons trois inconvénients de cette théologie et n’oublions pas son point fort:

La théologie du « salut des âmes » s’appuie malheureusement sur une anthropologie dualiste (corps-âme) qui empêche d’envisager le salut intégral de l’homme.

Elle valorise le salut de l’âme dans la posthistoire, tout en méconnaissant la dimension horizontale de l’histoire concrète.

La crédibilité du message chrétien a été noyée dans les intérêts des puissances commerciales coloniales.

Le point fort de cette théologie est également clair et vise la réconciliation de l’homme pécheur avec Dieu (dimension verticale).

2) La théologie de l’« implantation de l’Eglise » ou de l’« indigénisation »10(1920-1950)

Une seconde théologie, connue surtout à partir des années 1920 grâce à plusieurs documents pontificaux, est celle de l’« implantation de l’Eglise » en pays de mission.

Elle préconise, contrairement à la théologie précédente, d’édifier solidement l’Eglise, sur la « tabula rasa des nations païennes »11, comme l’Occident l’a réalisée tant dans son personnel, dans ses œuvres que dans ses méthodes. Elle manifeste une préoccupation fermement ecclésiocentrique: il s’agit d’insérer les Africains et l’Afrique dans l’Eglise. Pour le pape Pie XI, par exemple, le but des missions, exprimé dans Rerum Ecclesiae (1926), est « d’établir et de fonder solidement l’Eglise de Dieu, et cela par tous les mêmes éléments dont elle fut constituée autrefois chez nous ». Il s’agit donc d’ériger, d’implanter l’Eglise ou, mieux encore, de reconstituer, dans les territoires de mission, des dépendances des Eglises occidentales avec leurs structures administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, etc. D’où la conclusion suivante: « La réalité d’indigénisation consiste en une espèce d’habillage de l’Eglise d’un manteau africain. »12

Schéma

Enumérons quelques inconvénients:

Au lieu de planter la semence de la Parole de Dieu, on a transplanté un grand arbre déjà préfabriqué et formé ailleurs avec ses fleurs et ses fruits.

Le caractère étranger sinon étrange et importé du christianisme en Afrique (copié sur le modèle européen).

La conviction que la tradition africaine est encore en état de natura pura.

Elle est fort probablement inapte à assumer une évangélisation en profondeur des peuples d’Afrique noire.

II. La genèse de la théologie africaine

1) La théologie de l’« adaptation » et des « pierres d’attente » (1950-1965)

a)Introduction

Les partisans de la théologie de l’« adaptation » et des « pierres d’attente » rêvent d’une Eglise à couleur africaine, d’un christianisme à visage africain. Tel est d’ailleurs le titre d’un ouvrage parfaitement expressif et significatif de cette tendance de l’abbé Vincent Mulago13, l’un des grands inspirateurs et promoteurs de la théologie africaine.

Selon l’abbé Mukuna Mutanda, le discours de l’« adaptation » se préoccupe davantage de prendre en compte l’originalité du destinataire de l’Evangile14. La théologie de l’« adaptation » nous rappelle le problème de l’incarnation du message évangélique dans les cultures autres que l’européenne. Elle résulte de la théorie dite des « pierres d’attente ». Cette dernière théorie cherche et découvre chez le destinataire, singulièrement dans sa tradition culturelle et religieuse, des éléments « positifs » et « bons », compatibles avec le christianisme, qui pourrait, éventuellement, les assumer moyennant « purification » et « transfiguration ».

Le pape Pie XII a particulièrement souligné la nécessité de respecter les coutumes et les usages des peuples. Dans sa première encyclique, Summi Pontificatus (1939), il déclare que « tout ce qui, dans ses usages et coutumes, n’est pas indissolublement lié à des erreurs religieuses sera toujours examiné avec bienveillance et, quand ce sera possible, protégé et encouragé »15.

Le souci d’adaptation animait aussi le père Placide Tempels. Même si la démarche scientifique de Tempels est critiquable16, personne ne peut lui contester le mérite de soulever un problème auquel les missionnaires ne faisaient pas encore attention: celui de la prise en compte de la culture africaine dans l’évangélisation. Dans sa publication La philosophie bantu (1945)17, il souligne la nécessité d’utiliser la pensée bantu comme lieu d’expression de la révélation chrétienne18. On considère cela avec raison comme le premier pas vers une théologie africaine: la parution de La philosophie bantu et les réactions provoquées par cet ouvrage témoignent clairement que le débat de principe sur la légitimité d’une théologie africaine est ouvert19.

b) Le cri d’alarme des prêtres noirs

Ce cadre historique général a préparé le plaidoyer collectif d’un groupe de prêtres et de laïcs noirs, exprimé dans l’ouvrage collectif au titre provocant, Des prêtres noirs s’interrogent (1956).

Ce plaidoyer, faisant suite à la renaissance africaine ou à la révolution culturelle provoquée par le mouvement de la négritude à Paris entre 1945-1956 – mouvement qui, au travers des arts et de publications littéraires, politiques, philosophiques et théologiques, cherchait à justifier un certain passé historique20 -, visait, d’abord et surtout, la libération de l’Afrique noire de l’impérialisme occidental et secondement la réhabilitation de l’homme noir sur le plan de son identité culturelle. L’avant-propos de ce livre indique déjà la perspective générale:

« On a assez longtemps pensé nos problèmes pour nous, sans nous, et même malgré nous… Sans vouloir faire du tapage… il nous semble bon de jeter aussi notre mot dans le débat ouvert depuis si longtemps sur l’Afrique. Le prêtre africain doit aussi dire ce qu’il pense de son Eglise en son pays pour faire avancer le royaume de Dieu. »21

Etant le premier manifeste de la théologie africaine en terre africaine, l’ouvrage collectif atteste que la théologie africaine proprement dite a vu le jour22. En fait, ces onze théologiens courageux23 de la première génération – nous y avons déjà fait allusion – n’ont à cœur que de poser la question de l’adaptation du christianisme en terre africaine tout occupée à sélectionner telle croyance, tel rite, à les déclarer acceptables, et à éliminer les autres comme vaine observance. La préoccupation est celle d’une adhésion intime et profonde de l’Afrique au Christ, pour que la vérité chrétienne, dans ce milieu, éclate dans toute sa splendeur et illumine tous les cœurs d’une manière qui, pour nouvelle qu’elle soit, n’aliène pas pour autant l’esprit nègre24. Il est très significatif que l’article de Vincent Mulago se préoccupe, dès le début, de la méthode d’adaptation, qui, selon lui, est la seule méthode susceptible de donner un résultat durable. En voici le contenu: « Ayant pénétré la mentalité, la culture, la philosophie du peuple à conquérir, il faudra ‹greffer› le message chrétien sur l’âme du prosélyte. »25

En ce qui concerne l’impact des réflexions des prêtres africains et haïtiens, Jean Paul Messina a montré que la publication de cet ouvrage a trois significations26:

Affirmer l’africanité dans la catholicité de l’Eglise (conscience chrétienne africaine).

Poser un premier jalon de la théologie africaine dont l’inculturation incarnera la tendance dominante.

Préciser un projet qui, en 1977, sera conçu sous la forme d’un concile africain, pour finalement aboutir à une assemblée synodale en 1994.

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c)Quelques échos

Ce cri d’alarme fut bien accueilli dans les milieux favorables à la négritude ainsi que par plusieurs observateurs et théologiens occidentaux. Le lancement des semaines théologiques par la Faculté de théologie catholique de Kinshasa (depuis 1959)27, l’organisation d’une réunion particulière à Rome par la Société africaine de culture (SAC), créée à Paris en 1956 (1959)28, et les recommandations du Concile Vatican II (1965)29 en témoignent clairement.

Une attention particulière mérite d’être accordée au débat historique à Kinshasa sur la possibilité d’une théologie africaine. Deux positions nettement opposées s’exprimèrent dans ce qu’on appelle le « débat de principe » qui a débuté en 1960 et a continué jusqu’en 1977. La première position, représentée par Th. Tshibangu, prônait une théologie de couleur africaine. La seconde, soutenue par A. Vanneste, préconisait une certaine africanisation de la théologie.

Tshibangu stipule qu’« en Afrique l’Eglise doit devenir et être africaine dans tous les domaines de la vie ecclésiale y compris l’esprit même du christianisme… Si on admet dans la culture africaine un système et un cadre de pensée propre, originaux par certaines accentuations du moins, une théologie de couleur africaine paraît possible. »30

La position de Vanneste comporte deux paliers différents: un niveau pratique constituant une concession à une certaine africanisation (« tout le monde reconnaît l’importance d’élaborer une théologie pratique et casuistique adaptée aux circonstances locales »31); et un niveau scientifique, où est défendue ladite « théologie universelle » comme un défi à la « théologie africaine »:

« … toute particularité tend vers une autodestruction en vue de ressusciter sous une forme plus universelle… Nous devons lutter contre la théologie occidentale, contre la théologie orientale, contre la théologie africaine… Pas question donc d’une ‹nouvelle›théologie chrétienne profondément originale eu égard à la pensée chrétienne traditionnelle. »32

2) Fin d’une perspective

Petit à petit, l’opposition à l’idée d’adaptation commença à se manifester.

A l’occasion de la préparation du Concile Vatican II, Alioune Diop, un laïc sénégalais, a mobilisé tous les intellectuels catholiques au sein de la Société africaine de culture (SAC) pour le colloque de Rome en 1962, sur le thème « Personnalité africaine et catholicisme ».

La contribution la plus originale à ce colloque a été celle de Jean Marc Ela, théologien camerounais. Plutôt que de revendiquer l’adaptation, comme les autres intervenants, Ela en fait une analyse critique. Remarquant que la liturgie romaine est déjà elle-même une adaptation des rites institués par le Christ, il suppose que l’adaptation sollicitée par les Africains pourrait être une adaptation de l’adaptation. Ela écrit à ce sujet: « Le problème d’adaptation ne peut pas se résoudre dans un esprit de copiage, d’instauration mort-née et artificielle, dépourvue d’âme et d’inspiration africaine. »33 Ela propose de dépasser l’adaptation pour une liturgie d’incarnation.

Le cardinal italien Agagianian se trouve également parmi les premiers à exprimer ses doutes. Pour lui, « ce vocable semblait correspondre à une action de l’extérieur, à un procédé d’imitation qui demeure toujours à la superficie sans rejoindre l’âme »34. Bref, la théologie de l’« adaptation » est trop superficielle. Les aménagements de forme ne suffisent pas.

Walbert Bühlmann dénonce aussi la volonté de fonder une Eglise de type occidental en Afrique. Il va plus loin que les prêtres africains, en situant le débat au cœur de la théologie: l’heure de traduire la théologie dans le langage des Africains n’est-elle pas venue? Selon Bühlmann, il est normal que naissent de nouvelles expressions théologiques, qui ne soient pas de simples transferts d’une pensée théologique d’une langue à l’autre, mais une création de l’esprit local: « L’africanisation de l’Eglise, c’est-à-dire l’introduction de l’Afrique dans l’espace ecclésial où elle a sa place de plein droit, s’effectuera dans la mesure où l’africanisation de la théologie en ouvrira le chemin. »35 Il considère dépassée une certaine « théologie de l’adaptation ».

La position si nette et précise du Concile Vatican II a aussi « incité les chrétiens africains à poursuivre une œuvre de pensée chrétienne répondant de plus en plus aux besoins et aux exigences des communautés chrétiennes et de la société africaine en général »36.

Concluons que, dans les années 1960, on a commencé à considérer dépassée la théologie de l’« adaptation » et des « pierres d’attente ». Le défaut majeur semble celui de confondre la révélation chrétienne avec les systèmes de pensée qui ont servi historiquement à l’exprimer. Autrement dit, on s’efforce de donner un « visage africain » à quelque chose de fondamentalement non africain. Le résultat obtenu sera-t-il en mesure d’exprimer les aspirations fondamentales des fidèles africains? Pour l’abbé Mukuna Mutanda, la réponse est claire: « Il n’en reste pas moins vrai qu'(il) laisse insatisfait tout Africain lucide et authentique. »37

III. L’évolution de la théologie africaine

1) La théologie de l’« incarnation » (1965-1980)

A la veille du Concile Vatican II (1962-1965), un nouveau concept s’impose dans le langage de la théologie chrétienne: l’incarnation38. Ce concept englobe l’indigénisation (1920-1950) et l’adaptation (1950-1965) et renvoie à une réalité plus dynamique: il ne s’agit plus seulement de l’insertion de l’Afrique dans l’Eglise, mais aussi de l’insertion de l’Eglise en Afrique.

Trois événements, après le Concile Vatican II, vont insuffler à la théologie africaine une dynamique nouvelle. Il s’agit du discours du pape Paul VI en Ouganda en 1969, du synode romain de 1974 et de l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi en 1975.

a) Le discours du pape Paul VI en Ouganda (1969)

L’intérêt de la première visite qu’un pape rend à l’Afrique noire réside moins dans l’événement en soi que dans l’exhortation Africae Terrarum prononcée par l’évêque de Rome, lors de la clôture du symposium des évêques d’Afrique et de Madagascar. En voici un extrait:

« Nous n’avons d’autre désir que de promouvoir ce que vous êtes: chrétiens et Africains… L’expression, c’est-à-dire le langage, la façon de manifester l’unique foi, peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un pluralisme est légitime, même souhaitable. En ce sens, vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain. »39

Le pape n’a certes pas prononcé l’expression « théologie africaine ». Mais le pape, en parlant de « christianisme africain » et de « pluralisme », abonde dans le sens d’une universalité qui englobe et assume toutes les diversités. Rien ne saurait désormais barrer la route à la réflexion théologique africaine par des spécialistes africains eux-mêmes.

b) Le synode de 1974

Lors de ce synode, c’est surtout la déclaration des évêques d’Afrique qui retient l’attention; elle a pour thème « L’évangélisation du monde contemporain ». L’épiscopat d’Afrique, au sujet de la mission et de la théologie, plaide pour une double rupture avec le passé. On a nécessairement besoin:

– D’une théologie de l’incarnation: « Dans la conception de la mission, les évêques d’Afrique et Madagascar considèrent tout à fait dépassée une certaine théologie de l’adaptation en faveur d’une théologie de l’incarnation. Les jeunes Eglises d’Afrique et Madagascar ne peuvent se dérober à cette exigence fondamentale. »40

– De théologiens compétents et solides: « En tout cas, nous, jeunes Eglises, avons besoin de théologiens compétents et solides. Loin de se méfier systématiquement des théologiens, les évêques les désirent plus nombreux, les encouragent et veulent les voir à côté d’eux dans le travail pastoral et missionnaire. »41

Le synode de 1974 est, de ce point de vue, d’un apport inestimable à la théologie africaine. L’option prise en faveur de l’incarnation et la collaboration envisagée entre l’épiscopat et les théologiens vont fertiliser le discours théologique africain et sa mise en pratique au plan pastoral.

c) L’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de Paul VI (1975)

L’exhortation, qui tente de répondre à la question « suivant quelles méthodes faut-il proclamer l’Evangile pour que sa puissance soit efficace? », revêt une double importance.

– Elle exige la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle de l’homme:

« Nous pourrions exprimer cela en disant: il importe d’évangéliser – non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines – la culture et les cultures de l’homme… partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et Dieu. »42

– Elle conçoit aussi l’évangélisation comme un acte de libération: « La libération n’est pas étrangère à l’évangélisation. »43 Messina résume l’évangélisation, d’après cette exhortation, de la manière suivante:

« L’évangélisation a à s’appuyer sur deux axes, l’un anthropologique (l’homme et sa culture), l’autre théologique (rapport de l’homme avec Dieu)… Le pape Paul VI se propose d’affranchir le discours théologique de son horizon historique occidental et ouvre les pistes de réflexion qui vont devenir les caractéristiques essentielles des théologies du tiers monde: inculturation et libération. »44

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2) La théologie de la « libération » (1970-1980)

Pour mieux comprendre les orientations actuelles de la théologie africaine, il faut également étudier son rapport avec le « libérationnisme » latino-américain.

La théologie de la libération en Amérique latine a évolué à peu près dans les mêmes conditions que la théologie dite africaine, à la seule différence que les circonstances qui l’ont préparée sont plus anciennes que celles qui ont été observées en Afrique.

A part quelques mouvements de jeunes et quelques structures pastorales45, les réunions d’un groupe de théologiens latino-américains ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la théologie de la libération. Ils se proposent d’« intégrer, dans la réflexion théologique, les facteurs sociologiques et de définir une nouvelle ligne d’évangélisation qui tient compte de la pauvreté et du sous-développement »46. Parmi ces théologiens, on retrouve les noms de Gustavo Gutierrez, prêtre péruvien, et Leonardo Boff, franciscain brésilien.

Il est à noter que la théologie de la libération n’est pas un simple savoir scientifique. Elle est plutôt un lieu de vie, une expérience de lutte contre les forces de domination pour le bien des communautés de base et, par conséquent, une théologie du peuple, parce qu’elle surgit de la condition sociale des masses populaires, victimes de la violence politico-économique locale ou internationale47.

Bien qu’on puisse contester, aux théologiens précités, les méthodes d’analyse, les conséquences fondamentales d’une option marxiste48 et les moyens préconisés pour lutter contre la pauvreté49, la théologie de la libération a cependant le mérite de restituer avec force la catégorie de la pauvreté au cœur de la mission évangélisatrice de l’Eglise.

Les liens directs entre la théologie de la libération et l’Afrique ont été établis et élaborés pendant deux rencontres tricontinentales auxquelles plusieurs théologiens d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique assistaient: le colloque de Dar Es-Salaam (1976) et la conférence panafricaine des théologiens du tiers monde à Accra (1977).

a) Le colloque théologique de Dar Es-Salaam (1976)

Après une première rencontre des théologiens d’Asie, d’Amérique et d’Afrique en Belgique (1975), le colloque de Dar Es-Salaam (1976), qui en est la suite officielle, a insisté sur la nécessité pour les Eglises du tiers monde d’« expliquer comment (elles) comprennent la signification de la révélation au milieu de la pauvreté et du sous-développement »50. Les théologiens des trois continents ont été unanimes à rejeter la théologie occidentale, non conforme à leurs yeux aux nouvelles situations que l’Eglise affronte dans les pays du tiers monde. La théologie de la libération se propose de combler le vide créé par le rejet de la théologie dite occidentale.

b) La conférence panafricaine d’Accra (1977)

Il n’est pas sans intérêt de souligner que la conférence s’est donné comme problématique « Libération ou adaptation? La théologie africaine s’interroge »51. Après des prêtres noirs, voilà que la théologie, elle aussi, s’interroge. C’est l’option « libération » qui est prônée ici. Le communiqué final précise que la théologie africaine, par rapport à l’avenir envisagé (la libération), se posera « en théologie en situation, comme une expérience de lutte contre toutes les formes d’oppression et de ségrégation, comme un lieu d’engagement d’où toute tendance sexiste est exclue »52.

En marge de la même conférence, l’Association œcuménique des théologiens africains (AOTA) a été créée. Cette nouvelle association – ayant pour objectif principal d’encourager et de resserrer la coopération entre les théologiens de différentes langues, régions et confessions chrétiennes d’Afrique et adoptant une méthodologie interdisciplinaire – a donné une direction neuve à la théologie africaine. Divisés en tendances « libérationniste » et « culturaliste », les théologiens africains vont nettement se démarquer de l’approche latino-américaine de la libération.

En conclusion, disons que la théologie latino-américaine a apporté en Afrique la prise en compte des sciences humaines pour l’analyse des questions socio-économiques.

Schéma

3) La théologie africaine: entre inculturation et libération (1980-1985)

Au début des années 1980, deux tendances apparaissent nettement dans la théologie africaine: la tendance « culturaliste » et la tendance « libérationniste ».

a) La tendance « libérationniste »

La tendance « libérationniste » est dominée par Jean Marc Ela, théologien camerounais, qui la considère même plus ancienne en Afrique qu’en Amérique latine53. Cette tendance tente de replacer l’Eglise au cœur des questions sociopolitiques. Selon Ela, l’Afrique est encore le continent des exclusions, du chômage et de la croissance sans développement. Il est donc impossible de l’évangéliser sans tenir compte de cette situation. Pour J.M. Ela, la mission de la théologie, dans ce contexte, « n’est autre chose qu’une réflexion à partir de l’expérience vécue… La théologie est un travail de déchiffrage du sens de la Révélation dans le contexte historique où nous prenons conscience de nous-mêmes et de notre situation dans le monde. »54 Comme en Amérique latine, Ela pense que le théologien africain doit être à l’écoute du peuple et savoir interpréter la théologie qui vient de ce peuple. C’est ainsi que le christianisme doit devenir, en Afrique, un facteur de prise de conscience et de libération politique vraie.

b) La tendance « culturaliste »

La critique la plus radicale de la théologie de la libération est due à E. Mveng. Ce jésuite camerounais part du principe que toute théologie est contextuelle. Bien que l’expérience de la domination politique et de l’exploitation économique soit commune aux Latino-Américains et aux Africains, Mveng stipule que la libération, telle qu’elle est envisagée en Amérique latine, n’a rien à voir avec la réalité africaine.

C’est à l’aide de l’histoire que Mveng cherche à justifier son point de vue. Dans l’histoire de l’humanité, il n’y a que les Africains qui aient vécu la période de la traite des Noirs et la période de la colonisation et qui, par conséquent, ont été dépouillés de leur âme. L’Africain est donc apparu, dans ce contexte, comme un « non-être ». Autrement dit, « l’Africain est pauvre parce qu’il n’est pas et non parce qu’il n’a pas. Alors que la pauvreté dont il est question en Amérique latine est matérielle, celle qu’on vit en Afrique est, d’abord et surtout, anthropologique »55.

Tout d’abord, il convient de souligner que l’inculturation se situe en droite ligne de la théologie de l’« incarnation ». Le mystère de l’incarnation révèle l’intervention de Dieu dans l’histoire de l’humanité. L’inculturation se situe donc dans la réalisation existentielle de Jésus. Et parce qu’elle naît de l’incarnation de Jésus, elle implique, elle aussi, mission évangélisatrice. Raison pour laquelle Jean-Paul Messina n’hésite pas à stipuler que l’histoire de la mission, et plus particulièrement de l’Eglise, est marquée par de nombreuses expériences d’inculturation parmi lesquelles l’opposition de Paul, à Antioche, à la tendance d’imposer la loi juive à tous les chrétiens (Ga 2.11-17). D’où sa conclusion: « Il faut donc admettre… que si le concept est récent, la réalité qu’il recouvre est ancienne. »56

4) La théologie de l’« inculturation » (1985-)

L’inculturation est la tendance dominante aujourd’hui.

En 1985, le pape Jean-Paul II publie l’encyclique Slavorum Apostoli, dans laquelle il rend hommage à Cyrille et Méthode, pour avoir su inculturer l’Evangile en pays slaves. La même année, le synode extraordinaire de l’Eglise catholique romaine fait mention de l’inculturation dans un paragraphe du rapport final: l’inculturation est « une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines »57. Depuis, l’usage du mot est devenu officiel.

Messina a montré qu’il y a, dans l’inculturation, un principe dialectique et dynamique: « C’est d’abord l’Evangile qui rejoint la culture pour se laisser traduire dans le langage de celle-ci; c’est ensuite la culture elle-même qui en sort rénovée. L’inculturation opère ainsi une renaissance nouvelle… il y a, dans la logique de l’inculturation, une exigence de recréation. »58 Il est important de le souligner pour contrecarrer le courant « libérationniste » qui reproche à l’inculturation son caractère passéiste ou folklorique.

« Toute culture est avant tout dynamique, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas immuable et indifférent au temps, en portant en elle une dynamique interne qui la rend évolutive… Il convient de redire que la théologie africaine se veut contextuelle, et son élaboration ne sera ni définitive, ni une somme conquérante, mais une recherche permanente. »59

Deux représentants de la théologie de l’inculturation méritent encore d’être mentionnés: Bénézet Bujo et Juvenal Ilunga Maya.

Optant pour une théologie africaine contextuelle qui tienne compte de la vitalité des éléments traditionnels susceptibles de préserver l’Africain/ne du grand naufrage auquel le monde hautement technicisé doit faire face, Bujo exige que la théologie africaine soit une théologie engagée « qui en principe s’oppose à toute manipulation afin d’être contextuelle, prophétique et impartiale tout en prenant parti pour les sans-dignité »60.

La réflexion de Juvenal sur l’inculturation comme formation à la vie authentique suppose une relecture de la théologie africaine, en partant effectivement de la relation qu’elle entend construire entre Evangile et culture. Convaincu que l’expérience de Dieu n’est possible que comme expérience du monde, Juvenal demande à ce que la culture soit la structure normative de la théologie africaine: la théologie africaine

« devra rester tributaire du caractère historique et infiniment varié des expériences de formation d’une vraie vie… Notre thèse est que l’inculturation comme interaction entre Evangile et culture advient dans le processus de formation d’une vie authentique lorsque, au contact des textes fondateurs du christianisme, la personne découvre que, dans cette relation authentique à l’autre, peut se réaliser sa félicité. »61

Schéma

Conclusion

i) La genèse de la théologie africaine est la suite d’une nouvelle façon de considérer les religions traditionnelles africaines, de la lutte pour la libération de l’Afrique noire de l’impérialisme occidental et de la renaissance africaine provoquée par le mouvement de la négritude à Paris entre 1945-1956.

ii) Bien que le débat sur la légitimité d’une théologie africaine ait été ouvert par la publication de La philosophie bantu (1945), la théologie africaine proprement dite est apparue à la veille des indépendances africaines avec la parution de l’ouvrage Des prêtres noirs s’interrogent (1956), posant la question de l’adaptation du christianisme en terre africaine moyennant une purification.

iii) La position si nette et précise du Concile Vatican II a incité les chrétiens africains à poursuivre une œuvre de pensée chrétienne. Rien ne saurait désormais barrer la route à la réflexion théologique africaine par des Africains eux-mêmes (prêtres, théologiens, anthropologues, laïcs masculins et féminins), adoptant de plus en plus une attitude favorable vis-à-vis des traditions religieuses africaines.



iv) Il est notoire que, dans la littérature ayant trait à la genèse et à l’évolution de la théologie africaine, comme dans les documents officiels du magistère à Rome, les termes « incarner l’Evangile », « évangéliser les cultures », « inculturer l’Evangile » sont souvent utilisés comme renvoyant à la même réalité: la théologie africaine

« tente, à partir de l’expérience de vie africaine, de saisir le donné révélé dans la Bible, héritage commun des nations, et de la tradition ecclésiale, pour que le christianisme ne soit plus connoté ici de religion étrangère, mais que sa dimension universelle se perçoive dans sa capacité à accueillir les valeurs culturelles du monde africain, à les assumer et à les sublimer »62.

v) L’évolution de la théologie africaine et les documents officiels du magistère mettent également en évidence différents aspects et moments possibles du processus de l’inculturation. Les divergences se situent, surtout, dans la méthode proposée pour opérer le dialogue entre la foi chrétienne et les traditions religieuses africaines. Avec Juvenal, nous discernons trois méthodes qui, historiquement parlant, caractérisent toutes trois une certaine période historique de la théologie africaine63:

L’intériorisation de l’Evangile dans la culture (1950-1965). Certains théologiens africains considèrent l’inculturation surtout dans la ligne qui va de la Bible et de la tradition aux cultures et religions africaines. Ils s’efforcent de comprendre les langages et les valeurs bibliques et ceux de la tradition, et ils tentent de les traduire dans les catégories des cultures et des religions africaines. Dans cette perspective de l’inculturation, l’accent est mis sur les valeurs évangéliques avec les deux préoccupations suivantes: ne pas trahir l’Evangile et transformer la culture.


La réexpression de l’Evangile dans la culture (1965-1985). D’autres considèrent le processus de l’inculturation dans le sens contraire, c’est-à-dire dans le cheminement qui va de la culture et de la religion africaine aux textes de l’Ecriture et à la tradition chrétienne. Dans cette perspective, ce sont les valeurs profondes de la culture africaine qui déterminent la relecture et la réinterprétation de l’histoire du salut telle qu’elle s’exprime dans la Bible et la tradition. Ici la préoccupation fondamentale est celle de récupérer le patrimoine culturel et religieux de l’Afrique qui enrichit l’Evangile.


L’interaction entre culture et Evangile (1985-). D’autres encore cherchent à intégrer dans le processus de l’inculturation les deux itinéraires examinés ci-dessus. Il s’agit de faire se rencontrer en profondeur les cultures africaines et l’Evangile. Dans la réciprocité entre la culture et l’Evangile, la foi s’enrichit au contact d’une nouvelle culture et découvre en elle-même de nouvelles sensibilités et des valeurs qu’elle apporte à cette culture. La culture aussi est transformée par une réalité qui la dépasse et la transcende. De la rencontre des deux, il résulte une nouvelle synthèse vitale différente à la fois de la religion traditionnelle et de la forme occidentale du christianisme. L’altérité devient alors constitutive de notre identité.


vi) L’inculturation impliquerait l’Eglise dans un processus de confrontation avec les défis de l’Afrique contemporaine, et la pousserait à rejoindre le peuple sur le terrain de sa vie quotidienne. Il convient de préciser, avec Messina, les caractéristiques de la théologie africaine comme suit64:

• Contestataire. Pour se faire reconnaître comme telle, la théologie africaine doit s’affranchir de la tutelle occidentale. Ce que contestent les théologiens africains, c’est la conception que certains de leurs confrères occidentaux ont de l’universalité qui pose deux problèmes: le premier est qu’il y a risque d’identification de l’universalité à la civilisation occidentale; le deuxième est qu’au nom de l’appropriation de l’universalité, les autres expressions culturelles du monde sont facilement exilées à la périphérie. Or, toutes les théologies sont à la fois situationnistes et contextuelles et toutes les théologies participent au bien du corps mystique du Christ qu’est l’Eglise.

• Revendicatif. La théologie africaine se veut également revendicative, parce qu’elle stipule le principe du droit à la différence, qui découle de la réponse que l’Africain est appelé à donner à la révélation chrétienne. Puisque la christologie, par exemple, a été traduite dans les langages d’expression et de compréhension différents aux Romains, Ephésiens, Colossiens et d’autres, sans pour autant compromettre la communion des saints et l’unité dans la foi, le langage religieux, en Afrique, a aussi besoin d’être reformulé dans une symbolique nouvelle pour qu’il soit accessible et compréhensible pour le peuple de Dieu de ce continent.

• Catholique. C’est parce que la tradition ecclésiale se veut catholique, c’est-à-dire universelle, que chaque peuple du monde peut y trouver sa place. Du côté africain, on est plutôt convaincu que l’opposition universalité-pluralité n’est que factice, et que la catholicité est toujours ouverte65.

vii) Nous estimons que E. Mveng dit avec raison que le Noir, en Afrique, est pauvre, parce qu’il n’est pas et non parce qu’il n’a pas. Le cri le plus fondamental et le plus douloureux est que les Africains, pendant la période de la traite des Noirs et la période de la colonisation, ont été dépouillés de leur âme ou bien de leur identité: la pauvreté qu’on vit en Afrique est, d’abord et surtout, anthropologique. C’est la crise d’identité66 qui est prônée, le nœud du problème que nous osons croire être à la base de la théologie africaine même. Voilà le point de départ pour l’élaboration d’une orientation fructueuse de l’avenir de la théologie sur le sol africain.


* M.J.C. Blok est de nationalité néerlandaise et professeur de dogmatique et de missiologie à l’Ecole réformée de théologie (ERT) au sein de l’Eglise réformée confessante au Congo (ERCC), à Lubumbashi, RD Congo.

1 Sur le continent africain, il existe beaucoup de théologies. L’expression « théologie africaine » s’appliquait dans les années 1960 et 1970 aux théologies africaines à la fois noires et subsahariennes (à l’exception de l’Afrique du Sud) au sein des traditions ecclésiales catholiques romaines et protestantes; celles-ci exigeaient une « théologie africaine » adaptée aux traditions culturelles et religieuses africaines. C’est ainsi que nous considérons la théologie africaine dans le présent article. Depuis les années 1980, l’expression « théologie africaine » a un sens général qui englobe toutes les pensées et toutes les expressions théologiques des chrétiens africains. Cf. D. Kapteina, Afrikanische Evangelikale Theologie. Plädoyer für das ganze Evangelium im Kontext Afrikas (Nürnberg: Verlag für Theologie und Religionswissenschaft, 2001), 16 [Edition Afem; Mission Academics, 10].

2 La Documentation catholique, n 1546, 7 septembre 1969, 764-765, citée par J.P. Messina, Christianisme et quête d’identité en Afrique (Yaoundé: Editions Clé, 1999), 125-126.

3 B.H. Kato, « Théologie noire et théologie africaine », La Revue réformée 110 (1977:2), 119.

4 B. Bujo, « Des prêtres noirs s’interrogent. Une théologie issue de la négritude? », La Nouvelle Revue de Science missionnaire 46 (1990:4), 287, 296.

5 Nous remercions cordialement le frère Peter Wierenga de son appui technique.

6 Nous parlons des traditions « religieuses » africaines et non pas des traditions « culturelles » africaines, puisque nous considérons que la religion est le cœur de la culture. Tite Tiénou estime que le « Willowbank Report » (1982) et Paul Tillich défendent la même position, The Theological Task of the Church in Africa (Achimota: African Christian Press, 1982), 18-19 et 23 [Theological Perspectives in Africa 1], cité par Kapteina, op. cit., 17. A aussi paru en français: T. Tiénou, Tâche théologique de l’Eglise en Afrique (Abidjan: Centre des Publications Evangéliques, 1980).

7 Pour l’histoire de la théologie du tiers monde en Afrique en général, cf. J.K. Parratt, « Theologiegeschichte der Dritten Welt. Afrika », dans Theologiegeschichte der Dritten Welt (München: Kaiser, 1991), ou Reinventing Christianity. African Theology Today (Grand Rapids: Eerdmans, 1995). Pour la naissance, l’évolution et l’évaluation de la théologie africaine évangélique, cf. D. Kapteina, op. cit.

8 Nous nous sommes inspirés de l’article du professeur abbé Mukuna Mutanda, « La genèse et l’évolution de la théologie africaine », dans Théologie africaine. Bilan et perspectives (Kinshasa: Facultés catholiques de Kinshasa, 1989), 27-56 [Actes de la dix-septième semaine théologique de Kinshasa, 2-8 avril 1989].

9 O. Bimwenyi-Kweshi fournit avec clarté une réflexion sur sa genèse et ses conditionnements sociopolitiques, Discours négro-africain. Problème des fondements (Paris: Présence Africaine, 1981), 159-164.

10 J.-P. Messina se sert de ce terme (Messina, op. cit., 122).

11 B. Bujo remet en question cette méthode ethnophilosophique ou ethnothéologique. La question soulevée ici est celle qu’on appelle le problème de la « réception ». Bujo écrit: « On ne peut pas s’imaginer que la tradition africaine ait conservé son ‹innocence› originelle, car le colonialisme, le christianisme, le marxisme, l’islam et autres mouvements ont été une provocation qui a interpellé le Négro-Africain à se remettre en question consciemment ou inconsciemment. » Op. cit., 290. Rm 1.21 dit aussi que l’homme ne se trouve plus en état de la natura pura: « Ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces; mais ils se sont égarés dans de vains raisonnements, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. »

12 Messina, op. cit., 122.

13 V. Mulago, Un visage africain du christianisme. L’union vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale (Paris: Présence Africaine, 1965).

14 Mukuna, op. cit., 29.

15 Mukuna, op. cit., 30.

16 Messina, op. cit., 102-103. Cf. aussi F. Eboussi-Boulaga, A Contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique (Paris: Karthala, 1991).

17 P. Tempels, La philosophie bantu (Kinshasa: Limete, 1979) [Edition traduite et révisée par A.J. Smet].

18 Messina, op. cit., 102. Selon Tempels, c’est la notion de « force vitale » qui ouvre et introduit le missionnaire à la pensée philosophique du Bantu qui, dans son existence, a pour idéal la bumi, c’est-à-dire la vie, ce qui lui permet d’annoncer le christianisme qui est la réponse à la quête de cette bumi (vie) pour laquelle « Dieu lui-même a préparé les ancêtres des Bantu », Messina, op. cit., 100-102.

19 E. Mveng, « De Afrikaanse bevrijdingstheologie », Derde Wereldtheologieën 5 (1988), 26. Katja Van Hoever stipule même que Tempels est le premier à montrer la relation dialectique entre le message chrétien et le contexte socio-historique et socioculturel, K.R.H. Van Hoever, Het paradigma ‹leven-dood› in het oeuvre van de Afrikaanse theoloog Engelbert Mveng (Kampen: Kok, 1998), 39 [Kerk en Theologie in Context; 37].

20 « Il faut donc reconnaître qu’avant la libération nationale de la plupart des pays de l’Afrique, la négritude a eu le mérite historique de cristalliser les nègres autour de valeurs dont on doutait ou dont on se moquait. Le négritude a affirmé avec force que l’Afrique, le pays des nègres, possédait une culture originale, que ce n’était pas un continent de ‹sauvages›, comme on ne cessait alors de le proclamer partout en Occident. » A. Dimassi, « La négritude: actualité et perspectives », dans Symposium Leo Frobenius. Perspectives des études africaines contemporaines (3-7 décembre 1973, Yaoundé) (Köln: Verlag Documentation, 1974), 137, cité par Van Hoever, op. cit., 29-30.

21 Des prêtres noirs s’interrogent (Paris: Cerf, 1957), 16 [Rencontres 47].

22 « … la théologie africaine contemporaine… est apparue, à la veille des indépendances africaines… avec la parution, en 1956, de l’ouvrage Des prêtres noirs s’interrogent », E. Mveng, « Et la théologie africaine? Et le Concile Vatican II? » dans L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant (Paris: L’Harmattan, 1985), 222, cité par Van Hoever, op. cit., 40.

23On doit pourtant reconnaître qu’à l’époque où ces prêtres noirs s’interrogent, il fallait beaucoup de courage pour oser poser la question de l’identité chrétienne; il manquait encore la grande ouverture survenue avec le Concile Vatican II (1965).

24Messina, op. cit., 113. L’auteur fournit également un aperçu général du livre et un bref résumé de chaque article, ibidem, 108-113.

25 V. Mulago, « Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu du Congo », dans Des prêtres…, op. cit., 23.

26Messina, op. cit., 113.

27 Depuis 1966 en collaboration avec le Centre d’études des religions africaines (CERA).

28La synthèse de la sous-commission de théologie (qui se situe, à n’en pas douter, dans le cadre de la « théologie de l’adaptation » et des « pierres d’attente ») a recommandé deux points importants: 1) une fidélité critique au passé africain et 2) une grande ouverture aux aspects universels propres aux religions variées: « Il nous faut, y lit-on, êtres lucides en appréciant ce qui est caduque et ce qui est permanent dans les expressions de notre hérédité culturelle » et « ouverts de cœur et d’esprit à tout ce qui est universel dans les valeurs de n’importe quelle culture ou expression religieuse, distinguant, en elles, ce qu’il y a d’universel et, par conséquent, valable pour tout homme, de ce qui est expression propre de leur hérédité culturelle. » O. Bimwenyi-Kweshi, op. cit., 251-252.

29 Le Concile Vatican II (1965) a repris la théorie des « pierres d’attente » dans plusieurs de ses textes. Un exemple pourra suffire. Ad Gentes, no 22, déclare au sujet des jeunes Eglises qu’« elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur et ordonner comme il le faut la vie chrétienne ». Mukuna, op. cit., 30.

30 Mukuna, op. cit., 32-33. Parmi les partisans décidés de la théologie africaine, il convient de citer Vincent Mulago (1968) et Ngindu Mushete (1979), ibidem, 35.

31 Mukuna, op. cit., 37-38.

32 Mukuna, op. cit., 37-43. Mukuna donne d’amples informations sur le déroulement de la discussion et la fin du débat théorique entre Tshibangu et Vanneste, qui, tous deux, reconnaissent finalement « le caractère situé » de toutes les théologies, ibidem, 32-48.

33J.M.Ela, « L’Eglise, le monde noir et le concile », dans Personnalité africaine et catholicisme (Paris: Présence Africaine, 1963), 73, cité par Messina, op. cit., 118.

34 Texte de l’interview (italien) dans l’Osservatore Romano du 19 octobre 1963. Le texte français se trouve dans l’édition française de l’Osservatore Romano du 1er novembre 1963, cité par Bimwenyi-Kweshi, op. cit., 173.

35W. Bühlmann, Afrique (Paris: Desclée de Brouwer, 1967), 232 [collection Visages de l’Eglise], cité par Messina, op. cit., 114.

36Th. Tshibangu, La théologie africaine. Manifeste et programme pour le développement des activités théologiques en Afrique (Kinshasa: Saint Paul Afrique, 1987), 9, cité par Van Hoever, op. cit., 47.

37 Mukuna, op. cit., 30.

38 Messina, op. cit., 123. Le nouveau concept d’incarnation a déjà été lancé dans les années 1950. En 1956, par exemple, l’abbé Vincent Mulago justifie sa méthode d’adaptation missionnaire avec la doctrine de l’incarnation: « L’adaptation n’est point une tactique de ‹propagandiste›… mais une fidélité à la mission de l’Eglise, qui n’est autre que le prolongement de l’Incarnation du Verbe, l’adaptation de Dieu à l’homme… Comme le Christ a assumé une véritable nature humaine, l’Eglise également prend en elle la plénitude de ce qui est authentiquement humain et elle en fait une source de vie surnaturelle. » V. Mulago, « Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu du Congo », dans Des prêtres…, op. cit., 32-33.

39 La Documentation catholique, no 1546, 7 septembre 1969, 764-765, citée par Messina, op. cit., 125-126.

40 La Documentation catholique, no 1664, 17 novembre 1974, 995, citée par Messina, op. cit., 127.

41 Ibidem, 997, citée par Messina, op. cit., 128.

42 La Documentation catholique, no 1689, 4 janvier 1976, 4-5, citée par Messina, op. cit., 130.

43 Ibidem, 6, citée par Messina, op. cit., 131.

44 Messina, op. cit., 129-131.

45 Messina, op. cit., 136.

46 Messina, op. cit., 136.

47 Pour l’approche typique, l’attraction et l’évaluation de la théologie de la libération, cf. P. Wells, « Le Conseil œcuménique des Eglises et la libération », La Revue réformée 146 (1986:2), 72-86.

48 C’est surtout le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui, en 1983, reproche à Gutierrez son approche méthodologique de la théologie de la libération tout en le mettant en garde contre l’influence néfaste du marxisme. M. Alcala, Théologies de la libération (Paris: Cerf, 1985), cité par Messina, op. cit., 139-140.

49 C’est le pape Jean-Paul II qui adhère à l’option préférentielle pour les pauvres dans l’Eglise, mais en prônant une libération « sans haine et sans violence ». La Documentation catholique, no 1884, 18 novembre 1984, 1066-1067, citée par Messina, op. cit., 141. Voir également sa lettre encyclique Centesimus Annus. Jean-Paul II, Centesimus Annus (Paris: Cerf, 1991).

50 C.H. Abesamis (présentateur), Théologies du tiers monde. Du conformisme à l’indépendance. Le colloque de Dar Es-Salaam et ses prolongements (Paris: L’Harmattan, 1977), 5, cité par Messina, op. cit., 142.

51 C’est sous le même titre qu’ont été publiés les actes d’Accra, Appiah-Kubi (présentateur), Libération ou adaptation? La théologie africaine s’interroge. Le colloque d’Accra (Paris: L’Harmattan, 1979).

52 Appiah-Kubi, op. cit., 231-232, cité par Messina, op. cit., 145.

53 Comme expérience de libération, J.M. Ela avance, entre autres, le geste de la prophétesse, de nationalité congolaise, Béatrice Kimpa Vita, fondatrice de l’Eglise antonienne, qui professait déjà un Christ noir au début du XVIIIe siècle, Messina, op. cit., 146. David Bosch la considère comme la première théologienne africaine noire: « Currents and Cross-Currents in South African Black Theology », Journal of Religion in Africa 10 (1974:2), 1-22.

54 J.M. Ela, Le cri de l’homme africain. Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique (Paris: L’Harmattan, 1980), 40-41, cité par Messina, op. cit., 152.

55 E. Mveng, « Eglises et solidarité pour les pauvres en Afrique: la paupérisation anthropologique », dans E. Mveng (ed.), L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant (Paris, L’Harmattan, 1985), 203-213, cité par Messina, op. cit., 147. Cf. aussi Bujo, op. cit., 293.

56 Messina, op. cit., 149.

57 La Documentation catholique, no 1909, 5 janvier 1986, 41, citée par Messina, op. cit., 150.

58 Messina, op. cit., 150, 153.

59 Messina, op. cit., 153-154.

60 Bujo, op. cit., 294 et 296.

61 I.M. Juvenal, « L’inculturation comme formation à la vie authentique. Une relecture de la théologie africaine », La Nouvelle Revue de Science missionnaire 55 (1999:3), 182 et 198.

62 Messina, op. cit., 196.

63 Juvenal, op. cit., 189-192. La ressemblance à la périodisation de l’évolution du christianisme africain (souvent un synonyme de la théologie africaine, cf. Van Hoever, op. cit., 47), proposée par Verstraelen, est frappante, F.J. Verstraelen, « Afrikaans christendom tussen verleden en toekomst », Wereld en zending 10 (1981:1), 6-8.

64 Messina, op. cit., 131-135.

65 Ici, la distinction entre le naturel et le surnaturel, qui caractérise la doctrine de l’Eglise catholique romaine depuis Thomas d’Aquin (1225-1274), est d’une importance vitale. Selon cette doctrine, chacun a une connaissance naturelle et non erronée de Dieu, à laquelle la grâce ajoute quelque chose qui élève la nature. Ainsi il a créé une opposition entre la nature et la grâce (au lieu de l’opposition péché-grâce). Mais la Bible ne connaît pas cette répartition de la réalité en deux étages. La grâce n’est pas un deuxième étage, mais elle renouvelle la nature corrompue. Voilà la vraie conception catholique!

66 Le théologien protestant d’origine ghanéenne Kwame Bediako atteste également que la question la plus cruciale dans la théologie africaine est celle de la crise d’identité, K. Bediako, « Understanding African Theology in the 20th Century », Bulletin for Contextual Theology in Southern Africa and Africa 3 (1996:2), 1-11. La même chose vaut pour le théologien gambien Lamin Sanneh, qui considère la traduction de la Bible en langues maternelles l’instrument le plus développé et approprié pour l’identité d’un peuple, L. Sanneh, « Christian Mission in the Pluralist Milieu: the African Experience », Missiology: an International Review 12 (1984:4), 421-435.

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La contextualisation par transformation, un plaidoyer

Matthijs J.C. BLOK*

La crise d’identité, tel est le nœud du problème à la base de la théologie africaine, selon E. Mveng; et nos recherches lui ont donné raison. Suite à la négation de leur identité d’hommes et de leurs cultures au cours de la période de la traite des Noirs et de la période de la colonisation, la pauvreté est, en Afrique, d’abord et surtout anthropologique1. Cette annihilation anthropologique, qui consiste à rendre quelqu’un pauvre en lui enlevant tout ce qu’il a, tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait est le point de départ à partir duquel doit être élaborée une orientation fructueuse de l’avenir de la théologie sur le sol africain – à laquelle nous aimerions contribuer modestement avec le présent article.

Introduction

La crise d’identité en Afrique a un caractère spécifique, mais elle ne se fait pas sentir uniquement en Afrique. La question de l’identité est l’objet d’études de nombreux théologiens partout dans le monde2. La question de l’identité est une question complexe. Elle concerne à la fois l’identité de l’Evangile, l’identité de la culture et l’identité du christianisme. Ici se pose le défi de la contextualisation.

Nous évoquerons, d’abord, brièvement l’identité de l’Evangile, l’identité de la culture et l’identité du christianisme, en soulignant la nécessité de la contextualisation (I). Ensuite, nous présenterons et évaluerons trois modèles de contextualisation (II) et nous proposerons, avant de conclure, la contextualisation par transformation (III).

I. La nécessité de la contextualisation

1. La contextualisation est présente dans (la proclamation de) la Parole de Dieu

Bien que le terme « contextualisation » n’ait été introduit qu’en 1970 par Shokie Coe3, nous attestons avec P. Wells que la question de la contextualisation est présente dans la Parole de Dieu elle-même: « Toute la révélation biblique en est marquée (…). Tout est sous l’influence du milieu dans lequel la Parole de Dieu a été donnée. »4 En lisant les Ecritures du Nouveau Testament, nous trouvons, par exemple, beaucoup de noms et de titres de Jésus tels que Christ, Seigneur, Sauveur, Agneau de Dieu, Fils de David, Eau vive, Prince de la vie et Tout-Puissant qui témoignent tous d’un aspect spécifique de Jésus dans un contexte spécifique et dans une confrontation spécifique avec d’autres dieux, d’autres facilitations ou d’autres souverains, pour assurer l’impact qu’il faut au message délivré. Deux exemples peuvent nous en convaincre. Les Juifs s’attendaient à l’arrivée du Messie (le Christ). Sur la base de ce que toute la maison d’Israël a vu et entendu de Jésus et de ce que l’Ancien Testament avait déjà prophétisé, Pierre, dans son sermon le jour de la Pentecôte, présente l’Evangile en utilisant le titre juif de « Messie » pour montrer que « Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié » (Ac 2.36). Des cœurs vivement touchés en sont la conséquence (Ac 2.37). Un deuxième exemple: les habitants de Philippes acceptaient l’empereur romain comme leur « seigneur », le kurios ayant toute autorité sur la terre. En Actes 16.22-24, Paul et Silas empruntent ce titre romain de kurios pour annoncer qu’il y a un seul kurios, qui est Jésus-Christ. L’impact du message au cours duquel les apôtres se servent d’un titre culturellement bien connu n’a pas tardé à se manifester: la foule se soulève pleine d’une haine farouche contre Paul et Silas (Ac 16.22-24). Si l’histoire du christianisme n’avait pas été une histoire de contextualisation, la foi chrétienne n’aurait pas duré et des millions de personnes, sur tous les continents, ne se seraient pas converties.

Concluons que la question fondamentale relative à la contextualisation n’est pas celle de la contextualisation. La contextualisation est typique de (la proclamation de) la Parole de Dieu. Nous n’avons donc pas à nous inquiéter de ce terme. Ce qui compte est ce qu’il recouvre.

2. L’identité de l’Evangile, de la culture et du christianisme

Celui qui désire présenter la Parole de Dieu d’une manière culturellement adéquate doit connaître, à la fois, l’identité de l’Evangile, l’identité de la culture dans laquelle l’Evangile se propagera, l’identité du christianisme et les relations réciproques entre ces trois identités.

a) L’identité de l’Evangile

L’identité de l’Evangile concerne la personne et l’œuvre de Jésus-Christ dont les Saintes Ecritures rendent témoignage (Jn 5.39). L’apôtre Jean atteste qu’il a écrit ce qu’il a vu et entendu afin que « vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20.31).

L’identité de l’Evangile étant la bonne nouvelle de Jésus-Christ ne s’explique qu’à l’aide de l’identité des Saintes Ecritures, qui nous est présentée en 2 Timothée 3.14-17. L’apôtre Paul donne des conseils à son enfant bien-aimé Timothée, car il y a des gens qui s’opposent à la vérité (2Tm 3.8) et en vue de son départ qui approche (2Tm 4.6). Que faut-il faire? Paul rappelle à Timothée l’éducation chrétienne qu’il a reçue depuis son enfance (vv. 14-15) et il l’encourage à se servir, en tant qu’homme de Dieu, des Ecrits sacrés pour vivre en communion avec Dieu (v. 15b) et pour le servir (vv. 16b-17). Pourquoi? Parce que « toute Ecriture a été soufflée par Dieu ». Telle est la propriété permanente ou bien l’identité de la Bible: Dieu parle par l’Ecriture. Elle est l’instrument dont le Saint-Esprit se sert pour nous faire entendre la voix de Dieu, qui s’est clairement révélé en Jésus-Christ.

b) L’identité de la culture

L’identité de la culture dans laquelle l’Evangile sera propagé varie d’une situation à l’autre. A l’aide de l’image d’un arbre, nous discernons, avec Van der Walt5, quatre « niveaux » qui, chacun pour sa part et tous ensemble, contribuent à façonner l’identité d’un contexte.

Les fruits de l’arbre sont le niveau le plus concret et visible d’une culture. Songez, par exemple, au tableau d’un artiste, au livre d’un auteur, mais aussi à l’enlèvement du prépuce d’un petit garçon ou au bain de la veuve après le décès de son mari.

Etant donné que les fruits ne se produisent que grâce à leur attachement au reste de l’arbre, nous voulons également essayer de découvrir les aspects de la culture à partir de ce qui se trouve « avant » les fruits: 1) les branches (mode de vie), 2) le tronc (vision du monde) et 3) les racines (religion) de l’arbre. Le tableau peint par un Esquimau sera nécessairement inspiré, en partie, par son mode de vie au pôle arctique. Le livre d’un auteur américain contiendra des traits de sa vision du monde. Et l’enlèvement du prépuce chez les peuples bantous en Afrique trouvera sa légitimité, au moins partiellement, dans leur conception religieuse.

Le mot « culture » reçoit plusieurs significations6. Nous nous limiterons à deux seulement: la culture comme segment de la vie et la culture comme ingrédient de la vie.

La première signification considère la culture comme quelque chose qui enrichit la vie humaine. C’est l’ajout d’un niveau « supérieur » à l’existence, la « crème » du gâteau. Songez, par exemple, aux orchestres, à l’art et aux musées. La seconde signification, la culture comme segment de la vie, est un privilège pour les membres de la société qui possèdent le plus d’argent et beaucoup de loisirs.

La culture comme ingrédient de la vie considère la totalité de la vie humaine comme étant de la culture. Dans ce cas, elle est le contraire du mot « nature ». La culture est ainsi le cadre de référence de toute personne, la « levure » du gâteau. Songez, par exemple, à la façon de baigner nos bébés, d’organiser nos mariages, d’agir en cas de conflit, de nous exprimer dans une discussion, d’apprendre quelque chose de nouveau et de réfléchir. La culture comme ingrédient de la vie n’est pas réservée à une section privilégiée de la société. Tout être humain est un être culturel, les marginalisés et les pauvres y compris7.

Dans le présent article, nous parlerons de la culture comme ingrédient de la vie humaine. Or, le problème est que nous sommes à peine conscients de notre propre cadre de référence. La « crème » du gâteau est beaucoup plus simple à identifier que la « levure » qui a servi à faire lever le gâteau! Nous avons tous, consciemment ou inconsciemment, été « programmés » par notre propre culture. C’est comme l’air que nous respirons, comme l’eau dans laquelle le poisson vit. Comment donc l’identifier? Des rencontres avec des peuples d’autres cultures peuvent aider à entrer dans le processus de prise de conscience de notre propre cadre de référence. Un deuxième instrument utile pour discerner plusieurs facettes différentes d’un cadre de référence est un graphique. Dans le graphique ci-dessous, nous discernons seulement, pour plus de simplicité, quatre dimensions dans le phénomène très complexe de la culture, et nous les visualisons à l’aide de quatre cercles à la fois ouverts et concentriques8. Il s’agit, bien sûr, seulement d’un modèle.

Les quatre cercles symbolisent les aspects suivants:

  1. L’aspect de la religion (orientation). Il (le cercle intérieur) décrit la relation de l’homme avec D(d)ieu. Il oriente toute la vie humaine vers la source ultime (réelle ou supposée) de signification et d’autorité.

  1. L’aspect de la vision du monde (identification). Il (le cercle suivant) décrit la relation de l’homme avec le cosmos. Il offre une perspective sur le caractère interrelationnel de la réalité cosmique et précise la place de tout être humain dans la parenté cosmique dans laquelle nous vivons.

  1. L’aspect du mode de vie (socialisation). Il (le troisième cercle) décrit la relation de l’homme avec lui-même et avec la vie en société. Il socialise tout être humain, c’est-à-dire il appelle l’attention sur l’attitude et le comportement de tout être humain (sa façon d’agir et sa manière de s’exprimer) dans ses relations sociales dans tous les domaines de la vie en société (par exemple le mariage, la famille, l’Etat, le commerce, la politique, l’art, etc.).

  1. L’aspect matériel (matérialisation). Il (le cercle extérieur) décrit la relation de l’homme avec les choses créées et fabriquées. Il concerne à la fois l’usage des biens (la nourriture, les vêtements, les machines, les bâtiments, le savoir, la science, etc.) et le résultat concret de l’usage des biens (le cours enseigné, la thèse défendue, le livre publié, l’application scientifique proposée).

Comme tout graphique aide, d’une part, à comprendre ce qui est difficile et simplifie, d’autre part, en même temps la réalité à l’extrême, nous parlerons brièvement de l’utilité et des limitations du graphique.

L’utilité du graphique se résume ainsi:

. Les quatre aspects à discerner ne peuvent jamais être séparés. Cela est souligné par les flèches et la perforation des cercles. Jamais nous ne pouvons nous limiter à un seul aspect si nous voulons évaluer ou changer un cadre de référence. Les quatre aspects s’influencent mutuellement. Notre relation avec le cosmos, avec notre prochain et avec les biens s’explique, au moins partiellement, à l’aide de notre relation avec D(d)ieu. L’inverse est aussi valable: la science, la vie en société et la conception de l’homme ont leur impact sur notre conception de D(d)ieu.

. Les cercles perforés et les flèches indiquent également que la culture a un caractère dynamique. Toute culture change, l’une lentement, l’autre plus rapidement. Elle s’est adaptée et elle continuera à s’adapter toujours à n’importe quelle nouvelle réalité et aux circonstances vécues. Normalement, les aspects extérieurs d’un cadre de référence (la périphérie) changent plus facilement. Les aspects intérieurs (le centre) sont beaucoup plus résistants.

. La religion et la vision du monde forment le centre d’une culture. Elles dirigent les aspects culturels les plus visibles dont les manifestations ne peuvent être bien comprises qu’à leur lumière. Il s’ensuit aussi qu’un changement réel et profond d’une culture doit être orienté à partir du centre de la culture.

Les limitations du graphique sont également évidentes:

. Le graphique n’apporte pas de solution au problème de savoir si nous pouvons considérer la religion (et la vision du monde) comme étant des parties de la culture. Strictement parlant, la culture est marquée par (l’exécution de) notre tâche sur cette terre. Et nous osons croire que cette exécution ou la réponse donnée a été motivée – au moins partiellement – religieusement. Deuxièmement, toute religion et toute vision du monde ont été influencées à leur tour – au moins partiellement – par cette réponse. C’est la raison pour laquelle nous avons jugé opportun de parler dans le phénomène de la culture, non pas de la religion et de la vision du monde en soi, mais de l’aspect de la religion et de la vision du monde.

. Le graphique suscite l’impression d’une culture homogène. Or, surtout à l’époque de la mondialisation, toute culture est en général une culture mixte9. Une des conséquences, parmi tant d’autres, du fait que nos sociétés deviennent de plus en plus des sociétés multiculturelles, est qu’une culture peut avoir plusieurs centres religieux dont, très souvent, l’un d’entre eux tend à devenir dominant. Ce n’est pas pour rien qu’on parle des cultures à la dérive avec, comme résultat obtenu, des âmes déchirées. Songez à la sécularisation qui, en Occident, a chassé le christianisme du centre de la culture vers la périphérie et ne concerne plus la culture tout entière. Songez aussi au clash que l’on observe en Afrique entre la culture traditionnelle africaine et la culture moderne occidentale, clash qui, en plus, fort malheureusement, se produit très souvent dans une situation socio-économique misérable et une situation politique conflictuelle.

. Le graphique représente les aspects structurels de la culture et vise ainsi le système culturel (le niveau conceptuel et les relations logiques dans lesquelles les hommes agissent). Or, la culture contient aussi le niveau socioculturel qui demande une vive attention pour les personnes agissantes et aux relations causales entre les groupes et les individus. Cette distinction conceptuelle entre le système culturel et le niveau socioculturel, appelée « dualité de la culture »10, aide à comprendre les dynamiques du comportement humain et la réalité des contradictions et des complémentarités culturelles. La distinction offre aussi la possibilité de poser des questions sur les convictions tout comme sur les (inter)actions des hommes. Les deux flèches sur le graphique ont pour objet d’indiquer aussi ces actes humains.

Concluons que la culture est un concept à la fois intégré et dynamique que l’homme utilise comme cadre de référence pour générer des stratégies et des réponses aux situations changeantes, qui, à leur tour, influencent aussi le cadre de référence existant. L’identité de la culture dépend des tendances à la fois régionales et globales, elle a été (consciemment ou inconsciemment) créée par l’homme et elle est, puisque mixte, constamment l’objet de discussion11.

c) L’identité du christianisme

La contextualisation, dans sa forme la plus claire, traite de la relation entre l’Evangile et la culture. Or, le problème est que l’Evangile nous atteint à travers des hommes, l’Eglise ou bien le christianisme. Nous ne rencontrons pas l’Evangile proprement dit, mais une réponse humaine à l’Evangile, qui, bien sûr, a été normée par lui, mais qui n’est pas nécessairement identique à l’Evangile.

Concluons avec Van der Walt que l’identité de l’Evangile et l’identité du christianisme diffèrent: l’Evangile est la révélation infaillible de Dieu par ses œuvres, par sa Parole et en Jésus-Christ, tandis que le christianisme est la réponse faillible de l’Eglise à la révélation divine à partir d’une perspective culturelle spécifique12.

d) L’Evangile, la culture et le christianisme en relation

La question fondamentale est la méthode proposée pour opérer le trialogue entre l’Evangile de Jésus-Christ, la culture et le christianisme. De nombreuses méthodes de contextualisation ont été proposées13. Dans la section suivante, nous nous bornerons à trois modèles seulement, étant donné que toutes les méthodes visent soit à l’intériorisation de l’Evangile dans la culture, soit à la réexpression de l’Evangile dans la culture, soit à l’interaction entre culture et Evangile. Nous y ajouterons une évaluation et notre réponse à la préoccupation de la relation entre l’Evangile, la culture et le christianisme.

II. Trois modèles de contextualisation14

1. Présentation

  1. Le modèle de traduction (l’intériorisation de l’Evangile dans la culture)15

Le modèle de traduction commence par la façon dont l’Evangile a été compris dans l’histoire de l’Eglise et dans l’histoire de l’interprétation de la Parole de Dieu afin de fixer sa signification universelle. Ensuite, on tente de traduire les principes essentiels de l’Evangile dans des catégories appropriées d’un contexte sans modifier son sens originel.

La procédure comporte deux étapes. Premièrement, la déculturalisation des données révélatrices dans le but de libérer les principes de l’Evangile des circonstances spécifiques ou bien de la condition culturelle dans lesquels ils ont été révélés. Deuxièmement, la reculturalisation des données révélatrices dans une situation ou culture spécifique dans le but d’exprimer les principes de l’Evangile d’une manière indigène, c’est-à-dire compréhensible par les peuples qui les réceptionnent. L’image souvent utilisée pour visualiser le modèle de traduction est celle d’un grain de blé dans sa balle. Le grain de blé représente ce qui a été traduit dans une situation ou culture nouvelle, tandis que la peau symbolise le contexte dans lequel le grain de blé fut incarné premièrement ou, après reculturalisation, la culture du récepteur dans laquelle le grain de blé vient d’être implanté.

Le mot clef du modèle de traduction, c’est « substitut fonctionnel » ou « équivalent dynamique ». Cela veut dire, comme dans la traduction moderne de la Bible, la distillation des mots et des images bibliques dans leurs formes essentielles, et la traduction de ces concepts dans le langage, les images et les valeurs adéquates de la culture en question. La traduction est probablement le modèle le plus ancien et le plus commun de la contextualisation de l’Evangile. Deux de leurs avocats éminents contemporains sont le linguiste Eugène A. Nida et l’anthropologue Charles H. Kraft.

  1. Le modèle anthropologique (la réexpression de l’Evangile dans la culture)16

Le modèle anthropologique prend son point de départ dans l’humanité, en général, et dans les expériences spirituelles du peuple concerné, en particulier, pour y réexprimer l’Evangile.

Le modèle considère la nature humaine comme étant essentiellement bonne et orientée vers Dieu. Il s’ensuit que, d’une façon générale, les cultures humaines sont à apprécier et à affirmer, à moins qu’elles ne soient devenues despotiques par l’imposition de forces totalitaires. Au sens strict, on ne peut pas parler de la nécessité de la proclamation de l’Evangile de Jésus-Christ, vu que l’expérience humaine en soi est saine et que les cultures humaines composent la matrice dans laquelle le message divin peut se trouver. L’essentiel de l’Evangile, suppose-t-on, est partie intégrante et une réalité existante dans toute culture humaine, grâce à la présence divine parmi eux, et vu que, par la création, tout être humain appartient à Dieu. Le cheminement va de la spiritualité indigène d’un peuple à la réexpression de la foi en termes compatibles avec les expériences propres à un peuple.

Le mot clef du modèle anthropologique est « authenticité » ou « inversion culturelle ». L’image dont on se sert dans ce modèle n’est pas celle du vin neuf dans des outres neuves, mais la production d’un vin plus neuf et plus vrai à distiller dans la conscience religieuse du peuple concerné et, par conséquent, compatible avec la spiritualité qui lui est propre.

c) Le modèle de synthèse (l’interaction entre culture et Evangile) 17

Le modèle de synthèse fait attention à la fois aux signes et aux symboles essentiels de la culture et au message et à l’esprit de l’Evangile et à sa proclamation tout au long de l’histoire de l’Eglise. De la rencontre des deux, il résulte une nouvelle synthèse vitale différente, à la fois, de la compréhension traditionnelle de la culture d’un peuple et de la compréhension traditionnelle de l’Evangile: une nouvelle théologie contextuelle est développée.

La procédure comporte deux étapes. On commence par l’analyse des symboles d’une culture en inventoriant non seulement les expressions et les pratiques concrètes, mais aussi les contextes et leurs significations dans ce contexte. La même chose est faite, ensuite, aussi pour l’Evangile et la tradition ecclésiale. L’interaction ou bien la corrélation des symboles primaires de la culture et de l’Evangile facilite la naissance d’une nouvelle théologie vitale.

Le mot clef du modèle de synthèse est « altérité » ou « corrélation ». La culture et l’Evangile sont deux sources interdépendantes, qui, en se fécondant, ont comme fruit une nouvelle synthèse supérieure18.

2. Evaluation

Les trois modèles contiennent des points forts.

Le modèle de traduction s’efforce d’être fidèle aux données bibliques cherchant à discerner ses principes essentiels. Il essaie également de tenir compte de l’histoire de l’interprétation des données bibliques, permettant des variations quant à leur compréhension et leur application durant l’histoire dans des contextes différents. Le modèle aide aussi à discerner les principes essentiels de leur habillage situationniste et culturel. Un quatrième point fort du modèle de traduction est l’effort fait pour prendre au sérieux la situation et la culture du récepteur, cherchant comment exprimer le mieux les points essentiels de l’Evangile pour un peuple vivant dans une autre culture.

Le modèle anthropologique souligne justement l’importance de l’expression de l’identité propre d’un peuple et pourvoit une base de dialogue utile. Il soulève la dignité et la valeur de tout homme, une vérité biblique très importante. Souvent, le modèle aide aussi à regarder la foi chrétienne d’une manière neuve puisque formulée dans les termes de la culture particulière concernée. Vu la crise d’identité, surtout en Afrique, c’est très important!

Le modèle de synthèse considère que la culture et l’Evangile sont tous deux constitutifs de la naissance d’un christianisme culturellement adéquat. Il reconnaît également que le christianisme ne peut pas être transféré ou transplanté simplement d’une culture à l’autre. Le modèle se sert aussi des résultats de la linguistique et de l’anthropologie qui, évidemment, facilitent beaucoup l’analyse d’une culture.

Les inconvénients ne manquent pas non plus.

Dans le modèle de traduction, la distinction entre les principes essentiels de l’Evangile et son enveloppe situationniste-culturelle est, d’abord, souvent difficile à trouver et suggère, ensuite, l’existence d’une sorte de méta-théologie supraculturelle et intemporelle. Le modèle semble aussi trop superficiel: l’aménagement de forme n’aboutit souvent qu’à une simple insertion d’une habitude chrétienne dans la vision (traditionnelle) du monde déjà existante. Une autre difficulté réside au niveau des exécutants. Ce sont souvent des experts venant de l’étranger qui cherchent à comprendre et à décoder les coutumes, les valeurs et les convictions des récepteurs. Le danger réel est que leurs jugements quant à la signification des coutumes et à la cohérence de la vision du monde des récepteurs risquent d’être trop superficiels. Finalement, il faut se demander si la proclamation de l’Evangile dans une autre culture ne demande pas plus que la découverte d’une forme d’expression équivalente.

Le modèle anthropologique peut facilement devenir victime d’un romantisme culturel qui, sur la base d’une conception statique de la culture et à la Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe siècle, s’oppose à toute forme de changement soit religieux, soit culturel ou social, soit personnel ou communal, tout en fossilisant la « culture primitive de l’indigène heureux ». Il semble aussi que l’identité essentielle se trouve dans l’héritage culturel auquel l’adjectif « chrétien » a été ajouté n’indiquant qu’un aspect (important) de leur pensée. Considérant comme triviale la proclamation de la rédemption en Christ, le modèle semble aussi minimiser, pour ne pas dire effacer, la notion du péché, présente dans chaque personne et dans toute société.

La difficulté dans le modèle de synthèse réside, d’abord, dans le fait que les Saintes Ecritures ne possèdent pas d’autorité intrinsèque révélatrice: la vérité biblique en soi n’existe pas dans le modèle de synthèse. Elle doit toujours naître de nouveau dans l’interaction avec la culture. Dans le meilleur des cas, l’Evangile se trouve sur un pied d’égalité avec la culture. Un deuxième point faible est le problème à caractère épistémologique de la corrélation entre l’Evangile et la culture: est-il vrai que l’Evangile ne peut pas être compris sans la culture?

3. Conclusion

La discussion sur la contextualisation tourne autour de la question de savoir comment la relation entre l’Evangile, la culture et le christianisme doit être décrite. Concluons que l’Evangile est la révélation infaillible de Dieu par ses œuvres, par sa Parole et en Jésus-Christ face à laquelle l’homme faillible (non chrétien tout comme chrétien) réagit19 à partir de sa perspective culturelle spécifique composée de plusieurs éléments, parmi lesquels la religion et la vision du monde sont les plus décisifs.

L’état pécheur de l’homme implique qu’il n’y a pas de cadres de référence neutres ni de réponses totalement adéquates à l’Evangile. Les réactions à l’Evangile dans la culture aussi bien que dans le christianisme sont toutes deux des réponses faillibles.

Voilà la raison pour laquelle ni la culture ni le christianisme ne peuvent rester hors d’atteinte dans l’affaire de la contextualisation. Nous avons besoin d’un couteau à double tranchant, d’une méthode de contextualisation qui traite, à la fois, tout aspect culturel aussi bien que le christianisme à la lumière de la révélation divine. Une telle méthode antithétique aura un quadruple profit. Elle s’occupe intensivement de la culture, elle identifie tout homme comme pécheur par nature, elle reconnaît la faillibilité de toute réponse humaine à l’Evangile et elle veille à la normativité de l’Evangile qui nous est annoncé dans les Saintes Ecritures. Nous osons croire que la méthode de la contextualisation par transformation répondra aux quatre exigences ainsi formulées.

III. La contextualisation par transformation20

La contextualisation par transformation est étroitement liée à la doctrine de la conversion21. Le fond dont il s’agit dans la contextualisation par transformation est très bien exprimé dans l’exhortation de Paul en Romains 12.1-2: « Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés (en grec metamorphousthe) par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, agréable et parfait. » Les deux versets contiennent au moins cinq points saillants qui retiennent l’attention. Nous les inventorions (1), pour y distiller ensuite sept critères (2) et trois indicateurs (3). On continue par la pratique (4) et le résultat (5) de la contextualisation par transformation, pour terminer par sa valeur (6).

1. Les ingrédients de la contextualisation par transformation

. Vivre de la miséricorde de Dieu (motivation). Tout ce que Paul demande en Romains 12.1-2 trouve son appui dans les compassions de Dieu. Concluons, d’abord, que la contextualisation par la transformation ne commence pas par (l’activité de) l’homme, ni par la perspective culturelle spécifique du « monde présent », mais par les compassions de Dieu. Le point de départ est la miséricorde de Dieu qui nous a été accordée en Jésus-Christ. Cette bonne nouvelle aboutit au cri de joie que tout est de lui, par lui et pour lui! A lui la gloire dans toutes les siècles! Amen! (Rm 11.36) La contextualisation par transformation n’est pas une sinécure. Retenons, avant toutes choses, qu’elle découle de la grande miséricorde qui nous a été faite par Dieu en Jésus-Christ et qu’elle doit être considérée, par conséquent, comme un acte de reconnaissance. Voilà sa motivation!

. Vivre devant la face de Dieu (orientation). Sur la base des compassions de Dieu, Paul nous demande d’offrir nos corps à Dieu. Etant donné que la Bible ne soutient pas une conception dichotomique de l’homme, le mot « corps » ne fait pas allusion à quelque chose de séparé de nos âmes, mais à toute notre existence humaine, à la personne de l’homme tout entier. La contextualisation par transformation n’est pas une sinécure. Reconnaissons que Dieu, qui est plein de compassion, a droit à toute notre vie. Consacrons-nous donc entièrement à lui! Menons une vie sainte et agréable devant la face de Dieu! Voilà notre culte raisonnable, vu les compassions de Dieu! C’est l’aspect de l’orientation.

. Vivre au sein de l’Eglise de Dieu (identification). Sur la base des compassions de Dieu, Paul nous situe dans la communauté des frères et sœurs (cf. aussi Rm 12.3-16). Concluons que la contextualisation par transformation n’est pas la tâche de quelques individus, ni d’un groupe spécifique, mais de l’Eglise de Dieu tout entière. La contextualisation par transformation n’est pas une sinécure. Concluons que nous n’avons pas uniquement la joie de pouvoir vivre devant la face de Dieu, mais aussi de pouvoir appartenir à la communauté élue autour de Jésus-Christ. Voilà notre position commune vu les compassions de Dieu! C’est l’aspect de l’identification.

. Vivre dans le monde de Dieu (socialisation et matérialisation). Sur la base des compassions de Dieu, Paul nous demande d’être transformés toujours de nouveau (Paul utilise un participe présent) par le renouvellement de l’intelligence. Notre culte devant la face de Dieu (orientation) et notre place au sein de l’Eglise de Dieu (identification) ont aussi des implications pour notre vie pratique de chaque jour dans la société. Le combat ne se limite pas au changement du cœur, ni au maintien et à la propagation de l’Eglise, mais s’étend aussi aux implications des compassions de Dieu dans tous les domaines de la vie. Pour atteindre cet objectif, il ne faut pas moins qu’une transformation continue. Or, la conformation au monde présent – le contraire! – nous menace, puisque, qu’on le désire ou pas, l’Eglise chrétienne en général et tout chrétien en particulier font partie de leur milieu culturel. Personne ne peut vivre en dehors d’une culture spécifique. Même si l’Eglise chrétienne s’isole de son environnement, rejetant la culture dominante, elle crée au même moment sa propre culture! En Romains 12.2, Paul ne s’oppose pas à la culture, mais à l’attitude d’accommodation à la culture: « Ne vous conformez pas au monde présent. » Une confrontation profonde avec « le monde présent » du XXIe siècle22 est donc indispensable. La réponse correcte n’est pas de fuir la culture environnante, ni de nous conformer à la culture, ni de la perfectionner, mais de l’identifier dans le but de la transformer dans toutes ses dimensions. La contextualisation par transformation n’est pas une sinécure. Concluons qu’une étude approfondie de la culture (chrétienne) environnante – par laquelle nous avons été influencés consciemment ou inconsciemment – est indispensable afin de pouvoir la transformer par le renouvellement permanent de l’intelligence, stimulant ainsi l’élaboration d’une science et d’une attitude chrétiennes dans tous les domaines de la vie en société (la philosophie, l’anthropologie, la politique, l’économie, l’éducation, etc.). Voilà notre tâche permanente dans le monde de Dieu, vu les compassions de Dieu. Ce sont les aspects de la socialisation et de la matérialisation.

. Vivre selon la volonté de Dieu (intention). Sur la base des compassions de Dieu, l’œuvre de la contextualisation par transformation aboutira à une vie selon la volonté de Dieu. Toute notre vie au service de Dieu vise à la transformation de la création déformée, et cela selon la volonté de Dieu, qui est bonne, agréable et parfaite! C’est ainsi que le cri de joie devient de plus en plus intense: tout est de lui, par lui et pour lui! A lui gloire dans tous les siècles! Amen! (Rm 11.36) Voilà son intention!

Concluons que la contextualisation par transformation

trouve son appui dans la miséricorde que Dieu nous fait en Jésus-Christ (pourquoi),

exige une vie sainte et agréable devant la face de Dieu (comment),

est la tâche de l’Eglise de Dieu tout entière (qui),

se confronte au « monde présent » et s’étend à tous les domaines de la vie (quoi),

ne se termine qu’avec le retour de Jésus-Christ (quand),

vise à vivre selon la volonté de Dieu (à quoi).

2. Les critères de la contextualisation par transformation

Formulons sur la base de l’enseignement biblique les critères suivants pour la contextualisation par transformation. Les compassions de Dieu le Père

. nous ont été montrées en Jésus-Christ. Nous croyons qu’en Jésus-Christ tout ce qui était nécessaire à notre salut nous a été offert et donné (Ac 4.12). En se séparant de lui on renonce à la miséricorde du Père, en laquelle nous devons avoir notre seul refuge (Confession de La Rochelle, art. 13). La contextualisation par transformation considère le Fils de Dieu comme l’unique Sauveur (solus Christus).

. nous ont été communiquées dans les Saintes Ecritures. Nous croyons que les Saintes Ecritures, qui rendent témoignage de l’unique Sauveur Jésus-Christ, ont Dieu pour origine et qu’elles détiennent leur autorité de Dieu seul (2Tm 3.16). Rien ne peut être opposé à cette Ecriture Sainte. Au contraire: toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées d’après elle (Confession de La Rochelle, art. 5). La contextualisation par transformation considère la Parole de Dieu comme l’unique règle de foi, de vie et de toute vérité (sola scriptura).

. nous identifient comme pécheurs devant la face de Dieu. Nous croyons que l’homme – qui a été créé pur, sans la moindre tache et conforme à l’image de Dieu – est par sa propre faute déchu de la grâce qu’il avait reçue (Gn 3.17). Il s’est ainsi séparé de Dieu au point que sa nature est désormais entièrement corrompue. L’homme n’a de liberté à bien faire que celle que Dieu lui donne en Jésus-Christ (Confession de La Rochelle, art. 9). La contextualisation par transformation considère la grâce de Dieu comme l’unique motif de notre salut (sola gratia).

. nous poussent à une vie sainte et agréable devant la face de Dieu. Nous croyons que Dieu nous fait participer à la justice de Jésus-Christ par la foi seule (Jn 3.16, Rm 1.17). C’est par cette foi, reçue par la grâce secrète du Saint-Esprit, que nous avons été régénérés, afin que nous vivions d’une vie nouvelle, c’est-à-dire une vie sainte et dans la crainte de Dieu (Confession de La Rochelle, art. 22). La contextualisation par transformation considère la foi en Jésus-Christ comme l’unique moyen par lequel nous embrassons le salut afin de mener ainsi une vie sainte et agréable coram Deo (sola fide).

. nous situent dans la communion des saints autour de Jésus-Christ. Nous croyons que nous faisons partie du corps du Christ, racheté pour Dieu par Jésus-Christ: « des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation » (Ap 5.9). Parmi tout le genre humain, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin, le Fils de Dieu assemble autour de lui une communauté élue pour la vie éternelle (Catéchisme de Heidelberg, 21.54). La contextualisation par transformation considère la communauté chrétienne de tout temps (hier, aujourd’hui et demain) et de tout lieu (locale, nationale et internationale) comme l’agent de l’œuvre de la contextualisation (tota ecclesia).

. nous exhortent à transformer tous les domaines de la vie. Nous croyons que Dieu a droit à toute notre vie. Nous n’appartenons pas à nous-mêmes. « Soit que nous vivions soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. » (Rm 8.14) Une approche à la fois sensible, (auto)critique, radicale et totale en est la conséquence: amenons toute pensée captive à l’obéissance au Christ (2Co 10.5), tout en étant prêts à nous défendre contre quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous (1P 3.15). Dans la vie comme dans la mort, j’appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur (Catéchisme de Heidelberg, 1.1). La contextualisation par transformation considère tous les domaines de la vie en société comme continuellement l’objet de l’œuvre de la contextualisation (tota vita).

. nous stimulent à vivre selon la volonté de Dieu et pour la gloire de Dieu. Nous croyons que l’œuvre de la contextualisation par transformation aboutira à une vie agréable aux yeux de Dieu (Rm 12.2). Une telle vie lui rend hommage et loue l’Eternel Dieu aujourd’hui et à jamais. Au Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit, soient honneur et gloire aux siècles des siècles. Amen. (Canons de Dordrecht, V-XV) La contextualisation par transformation considère la gloire de Dieu comme l’unique objectif de l’œuvre de la contextualisation (soli Deo gloria).

Résumons que la contextualisation par transformation considère

le Fils de Dieu comme l’unique Sauveur (solus Christus),

la Parole de Dieu comme l’unique règle de foi, de vie et de toute vérité (sola scriptura),

la grâce de Dieu comme l’unique motif de notre salut (sola gratia),

la foi en Dieu comme l’unique moyen pour embrasser le salut (sola fide),

l’Eglise de Dieu tout entière comme agent (tota ecclesia),

la vie tout entière devant la face de Dieu comme objet (tota vita),

la gloire de Dieu comme unique objectif de la contextualisation (soli Deo gloria).

3. Les indicateurs de la contextualisation par transformation

Comment concrétiser dans la pratique les critères de la contextualisation par transformation? A l’instar de Haak23, nous aimerions discerner les trois indicateurs suivants, en montrant où ils concernent les aspects culturels.

. Restructuration. Nous appelons « restructuration » un changement dans la localisation des éléments d’identité d’une culture. Ils ne sont plus placés dans le cadre de l’autodélivrance de l’homme, mais dans celui de la grâce imméritée de Dieu. Au lieu de faire un effort continu pour mener une vie agréable aux yeux de D(d)ieu, des ancêtres ou de la communauté par nos propres moyens humains, on reçoit de la part de Dieu, par pure grâce, gratuitement, une nouvelle identité en Jésus-Christ. Nous n’avons plus à nous sauver nous-mêmes. Nous avons été sauvés par la grâce de Dieu en Jésus-Christ! Raison pour laquelle nous n’amenons plus toute pensée captive à l’obéissance de l’autonomie humaine, mais à l’obéissance au Christ (2Co 10.5). Il s’attribue toute notre vie24 pour la libérer et la renouveler complètement. La conséquence en est très salutaire: la peur ne dominera plus sur nous. Au contraire. La joie de la reconnaissance pour la grâce imméritée devient caractéristique de notre vie. Bref, le cadre de l’autodélivrance qui tue a été remplacé par le cadre de la grâce qui rend vivant. C’est l’aspect de l’identification.

. Re-orientation. La « re-orientation » donne une nouvelle direction aux éléments de l’identité de la culture. Au lieu de viser les idoles et les hommes, l’homme cherche à servir le Dieu vivant et vrai, et son Fils Jésus-Christ (1Th 1.9-10). Au lieu de glorifier les prétendus dieux, l’homme ressuscité avec le Christ « cherche les choses d’en haut où le Christ est assis à la droite de Dieu ». Par l’Esprit, nous pensons à ce qui est en haut et non à ce qui est sur la terre, en bas (Col 3.2). Nous n’envisageons plus ce qui nous plaît, mais ce qui plaît aux yeux de Christ. Habillés par l’homme nouveau qu’est le Christ, la direction de notre vie change radicalement. La conséquence en est très salutaire: l’égoïsme ou le tribalisme ne dominera plus sur nous. Au contraire. Tout sera orienté vers la gloire du Dieu trinitaire. Bref, la louange a été détournée des idoles vers le seul vrai Dieu et l’unique Sauveur Jésus-Christ. C’est l’aspect de l’orientation.

. Revitalisation. La revitalisation libère les éléments d’identité de la culture de l’esclavage du péché pour les réemployer, de bon cœur et avec joie, pour notre nouveau Maître (Rm 6.11-14). Au lieu de livrer ses membres au péché comme armes pour l’injustice, l’homme ressuscité avec le Christ se livre désormais, lui-même et ses membres, à Dieu comme armes pour la justice (Rm 6.13). Nous dénonçons les œuvres stériles des ténèbres pour marcher, désormais, comme des enfants de la lumière (Ep 5.8-11). Il s’agit, au fond, de la restauration de l’homme à l’image de Dieu et du réemploi des choses créées par Dieu pour Dieu. La conséquence en est, de nouveau, très salutaire: le péché ne dominera plus sur nous. Au contraire. Toute la création commence de nouveau à fonctionner comme initialement prévu. Bref: l’emploi des choses créées a été revitalisé et n’est plus au service de l’injustice, mais de nouveau au service de la justice.

Ce sont les dimensions de la socialisation et de la matérialisation.

Concluons que la contextualisation par transformation est une approche intégrale qui vise à une nouvelle identité de l’homme de Dieu tout entier. Cette identité est reçue de la part de Dieu et est à vivre devant lui.

Il s’agit d’une vie

a) dans la grâce de Dieu (restructuration – identification);

b) pour la gloire de Dieu (re-orientation – orientation);

c) (ré)employant les choses créées par Dieu au service de Dieu (revitalisation – socialisation et matérialisation).

4. La pratique de la contextualisation par transformation

Comment procéder maintenant concrètement dans la pratique? Vu qu’on vient de constater qu’il faut changer le cadre, la direction et l’emploi des dimensions culturelles d’identité, il faut les connaître. C’est pourquoi nous commençons avec la description du phénomène culturel en question: qu’est-ce qui se passe, comment, où, quand et par qui?

En deuxième lieu, il faut formuler la signification ou bien la raison d’être du phénomène. Une description « neutre » ou phénoménologique ne suffit pas. Il faut savoir pourquoi ce qui se passe se passe.

L’étape suivante est l’étude de la description et de la signification du phénomène culturel à la lumière de la Parole de Dieu: comment évaluer ce qui se passe.

La quatrième et dernière étape est consacrée à la formulation d’une alternative chrétienne pour le phénomène culturel en question, à l’aide des trois indicateurs de la contextualisation par transformation: comment réemployer ce qui se passe (revitalisation) en tant qu’homme de Dieu qui vit de la grâce de Dieu (restructuration) et pour la gloire de Dieu (re-orientation).

Une illustration concrète de la contextualisation par transformation sera l’objet d’un

troisième article.

5. Le résultat de la contextualisation par transformation

Nous sommes conscients que le résultat de la contextualisation par transformation sera et restera faillible et provisoire. Notre foi chrétienne et notre vie chrétienne ne seront jamais une expression impeccable de la Parole et de la volonté de Dieu.

L’enseignement biblique nous oblige à cette modestie. Juste après Romains 12.1-2, Paul ajoute de façon très significative: « Par la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun d’entre vous de ne pas avoir de prétentions excessives et déraisonnables, mais d’être assez raisonnable pour avoir de la modération. » (Rm 12.3) Notre vie nouvelle dans la grâce de Dieu, pour la gloire de Dieu et au service de Dieu exige de l’humilité quant au résultat obtenu. Puis, la foi chrétienne (Gn 12.1, Rm 12.1, Hé 12.1) et la vraie conversion (Catéchisme de Heidelberg, 33) sont, dès le début et jusqu’au retour du Christ, des voies à suivre jusqu’au bout, des processus continus. Paul en témoigne clairement dans un autre contexte: « Ce n’est pas que j’aie déjà remporté le prix ou que j’aie déjà atteint la perfection. » (Ph 3.12a) Les vingt et un siècles de l’histoire de l’Eglise chrétienne nous poussent également à la modération. Nous songeons particulièrement à la contextualisation de l’Europe par l’empereur Constantin le Grand, mais aussi à l’œuvre missionnaire de l’Eglise d’Occident en Afrique et à tout sentiment de supériorité. Attestons que le résultat de la contextualisation par transformation est un résultat faillible et provisoire des êtres humains simul iustus et peccator (Martin Luther).

Cela n’empêche pas que l’objectif poursuivi de la contextualisation restera une vie transformée par la grâce de Dieu, pour la gloire de Dieu, tout en (ré)employant les choses créées par Dieu au service de Dieu. Puisqu’il est convaincu de courir encore vers le but, Paul déclare ouvertement: « Mais je poursuis (ma course) afin de le saisir, puisque moi aussi, j’ai été saisi par le Christ-Jésus. » (Ph 3.12b)

Paul indique que la contextualisation par transformation est la tâche commune de tous les membres du corps de Christ (Rm 12.4-21). L’identification des chrétiens à des êtres humains simul iustus et peccator implique leur interdépendance. Au sein de l’Eglise universelle de Jésus-Christ, nous avons la joie de pouvoir nous entraider dans le processus continu et complexe de la contextualisation par transformation. La contextualisation par transformation peut s’effectuer dans l’ambiance de l’oïkoumene. Tous les membres du corps du Christ y sont impliqués, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a départie (Rm 12:3b)!

6. La valeur de la contextualisation par transformation

Nous osons croire que la contextualisation par transformation peut contribuer à résoudre la crise d’identité qui sévit en Afrique et partout ailleurs. Les compassions de Dieu, qui nous ont été faites en Jésus-Christ, constituent notre identité commune. Elles n’ont pas pour base ce que nous avons ou ce que nous faisons, mais ce que nous sommes par pure grâce: enfants de Dieu. Nous estimons qu’une telle identité nouvelle reçue de la part de Dieu est la réponse adéquate et efficace à la « crise de dépersonnalisation »25 en Afrique, puisqu’elle réalise la « conversion »26 de l’âme africaine à la véritable dignité: vivre à l’image de Dieu, c’est-à-dire vivre grâce à la nouvelle identité reçue de la part de Dieu (restructuration ­– identification), vivre pour la gloire de Dieu (re-orientation – orientation) et vivre au service de Dieu (revitalisation – socialisation et matérialisation).

Conclusion

i) La contextualisation est propre à la Parole de Dieu elle-même. La question fondamentale autour de la contextualisation n’a pas trait à la légitimité de la contextualisation, mais à sa définition.

ii) L’identité de l’Evangile a « tout à faire » avec Jésus-Christ dont les Saintes Ecritures, qui ont été soufflées par Dieu (2Tm 3.16), rendent témoignage (Jn 5.39).

iii) L’identité de la culture est difficile à préciser. Nous discernons quatre aspects à ce phénomène très complexe, à savoir la religion (orientation), la vision du monde (identification), le mode de vie (socialisation) et l’aspect matériel (matérialisation).

iv) L’identité du christianisme diffère de l’identité de l’Evangile. Elle est la réponse faillible de l’Eglise à la révélation divine à partir d’une perspective culturelle spécifique.

v) La relation entre l’Evangile, la culture et le christianisme proposée dans le modèle de traduction (l’intériorisation de l’Evangile dans la culture), dans le modèle anthropologique (la réexpression de l’Evangile dans la culture) et dans le modèle de synthèse (l’interaction entre culture et Evangile) ne satisfait pas. Nous avons besoin d’une méthode de contextualisation qui traite, à la fois, tout aspect culturel aussi bien que le christianisme à la lumière de la révélation infaillible de Dieu. Cette méthode antithétique offre un quadruple profit. Elle s’occupe intensivement de la culture, elle identifie tout homme comme pécheur par nature, elle reconnaît la faillibilité de toute réponse humaine à l’Evangile et elle veille à la normativité de l’Evangile qui nous est annoncé dans les Saintes Ecritures. Nous osons croire que la méthode de la contextualisation par transformation répond à ces quatre exigences.

vi) Le fond de la contextualisation par transformation est très bien exprimé en Romains 12.1-2. Celle-ci trouve son appui dans la miséricorde de Dieu (cf. Rm 12.1), qui nous a été accordée en Jésus-Christ (cf. Rm 11.31-32). Elle doit, par conséquent, être considérée comme un acte de reconnaissance.

vii) La contextualisation par transformation considère comme critères:

. le Fils de Dieu, l’unique Sauveur (solus Christus),

. la Parole de Dieu, l’unique règle de foi, de vie et de toute vérité (sola scriptura),

. la grâce de Dieu, l’unique motif de notre salut (sola gratia),

. la foi en Dieu, l’unique moyen pour embrasser le salut (sola fide),

. l’Eglise de Dieu tout entière, l’agent (tota ecclesia),

. la vie tout entière devant la face de Dieu, l’objet (tota vita),

. et la gloire de Dieu, l’unique objectif de la contextualisation (soli Deo gloria).

viii) La contextualisation par transformation est une approche intégrale qui vise à une nouvelle identité de l’homme, reçue de Dieu et à vivre devant lui. Il s’agit d’une vie

. dans la grâce de Dieu (restructuration – identification),

. pour la gloire de Dieu (re-orientation – orientation),

. tout en (ré)employant les choses créées par Dieu au service de Dieu (revitalisation – socialisation et matérialisation).

ix) La pratique de la contextualisation par transformation comporte quatre étapes, à savoir la description, la signification, l’évaluation et la transformation d’un phénomène culturel.

x) Le résultat de la contextualisation par transformation est faillible et provisoire. Notre vie transformée par la grâce de Dieu, pour la gloire de Dieu et au service de Dieu exige de la modération (cf. Rm 12.3), sans toutefois amoindrir le but poursuivi à saisir, puisque, nous aussi, nous avons été saisis par le Christ-Jésus (cf. Ph 3.12).

xi) Nous osons croire que la méthode de la contextualisation par transformation peut contribuer à résoudre la crise d’identité en Afrique. Les compassions de Dieu, qui nous ont été accordées en Jésus-Christ, constituent notre identité. Elles n’ont pas pour base ce que nous avons ou ce que nous faisons, mais ce que nous sommes par pure grâce: enfants de Dieu!

1* M.J.C. Blok est de nationalité néerlandaise et a été, de 1998-2003, professeur de dogmatique et de missiologie à l’Ecole réformée de théologie (ERT) au sein de l’Eglise réformée confessante au Congo (ERCC), à Lubumbashi, RD Congo. Actuellement, il est pasteur au sein des Eglises réformées dites libérées à Utrecht. Son adresse: Stolberglaan 9, 3583 XJ Utrecht (thijsblok@filternet.nl).

Voir l’article précédent à ce sujet dans cette revue; M.J.C. Blok, « Christianisme et quête d’identité en Afrique. La genèse et l’évolution de la théologie africaine dans la tradition ecclésiale catholique romaine », La Revue réformée 228 (2004:3), 29.

2 Cf. A.G. Honig, Ontwikkeling en culturele identiteit in twintig jaar oecumenische theologische bezinning (Kampen: Kok, 1981) [Kamper Cahiers, 44]. K. Bediako, Theology and Identity. The Impact of Culture upon Christian Thought in the Second Century and Modern Africa (Oxford: Regnum Books, 1992). B.J. van der Walt, « The Crying Need for a Christian Worldview and a Christian Philosophy in Africa », Orientation. International Circular of the Potchefstroom University for Christian Higher Education (1994), 162-207. T.R. Thompson, The One in the Many. Christian Identity in a Multicultural World (Lenham: University of America Press, 1998). W.M. Alston and M. Welker, Reformed Theology. Identity and Ecumenicity (Grand Rapids: Eerdmans, 2003). M.E. Brinkman en D. van Keulen, Christian Identity in Cross-Cultural Perspective (Zoetermeer: Meinema, 2003).

3 B.J. Nicholls, Contextualization: A Theology of Gospel and Culture (Downers Grove: InterVarsity Press), 21 [Outreach and Identity: Evangelical Theological Monographs 3].

4 P. Wells, « Sur la contextualisation biblique », La Revue réformée 184 (1995:1), 44. Louwerse stipule dans le même ordre d’idée: « In order to be clearly understood, God’s self-revelation to human beings has to be in a dynamic way that is contextually appropriate. » J. Louwerse, Una (West-New Guinea) Worldview and a Reformed Model for Contextualizing Cross-Cultural Communication of the Gospel (s.l. s.n., 1988), 55.

5 B.J. Van der Walt, Transformed by the Renewing of Your Mind. Shaping a Biblical Worldview and a Christian Perspective on Scholarship (Potchefstroom: The Institute for Contemporary Christianity in Africa, 2001), 44. Dans ce paragraphe, nous nous sommes beaucoup inspiré de ce livre.

6 Nous nous sommes limité à une description de la signification du mot « culture », car le concept de la culture nous semble trop complexe et dynamique pour envisager d’en proposer une définition précise.

7 B.J. Walsh et J.R. Middleton, The Transforming Vision. Shaping a Christian World View (Downers Grove: InterVarsity Press), 100.

8 L’image d’un arbre avec ses fruits, ses branches, son tronc et ses racines revient ainsi sous une autre forme.

9 M.S. Archer, Culture and Agency: The Place of Culture in Social Theory (Cambridge: University Press, 1988), 1-21, cité par S. Lingenfelter, Transforming Culture. A Challenge for Christian Mission (Grand Rapids: Baker Book House), 205.

10 Ibid., 134, cité par Lingenfelter, op. cit., 204.

11 Cf. Michael A. Rynkiewich, « The World in My Parish: Rethinking the Standard Missiological Model », Missiology: an International Review 30 (2002:3), 314-316.

12 Van der Walt, op. cit., 59.

13 Nicholls mentionne deux modèles, Nicholls, op. cit., 24-28. Hesselgrave et Rommen énumèrent cinq méthodes, D.J. Hesselgrave et E. Rommen, Contextualization. Meanings, Methods and Models (Grand Rapids: Baker Book House, 1989), 144-151 et 199-211. Bevans parle de six projets, S.B. Bevans, « Models of Contextual Theology », Missiology: an International Review 13 (1985:2), 185-202. Longenecker arrive au nombre de sept, R.L. Longenecker, New Wine into Fresh Wineskins. Contextualizing the Early Christian Confessions (Peabody: Hendrickson Publishers, 1999), 136-153. Blaser discerne cinq modèles, tous caractérisés par la tension entre universalité et particularité, K. Blaser, « Christliche Theologie vor der Vielfalt der Kontexte », Zeitschrift fur Mission 10 (1984:1), 8-14, cité par Frei, F. Frei, « Kontextuelle Theologie », dans Theologien der Dritten Welt. EATWOT als Herausforderung westlicher Theologie und Kirche (Immensee: Neue Zeitschrift fur Missionswissenschaft, 1990), 150.

14 Nous nous sommes inspiré du travail de Longenecker, op. cit., 136-153.

15 Cf. Wells et Finnern. Wells stipule qu’« une bonne contextualisation du texte biblique s’obtient en ‹tirant› celui-ci, en le transposant, du passé dans le présent de telle sorte que son sens originel ne subisse pas de modification », Wells, op. cit., 46. Finnern discerne trois phases dans sa méthode de contextualisation: il commence par une analyse du passage biblique dans sa culture d’origine (est-il interculturel-normatif ou culturel-relatif?), pour y distiller ensuite des principes interculturels ou bien généraux qui, finalement, doivent être appliqués à la culture cible en question, S. Finnern, « Schritte zur Kontextualisierung biblischer Aussagen », Evangelikale Missiologie 17 (2001:1), 8-9.

16 Cf. Nyimi, Tappa et Ozankom. Nyimi s’engage dans une théologie africaine périphérique dans laquelle la personne humaine, qui récapitule dans sa vocation toutes les forces intérieures d’amour et de lumière ainsi que les forces corporelles, cosmiques et sociales de justice, s’engage dans le processus du devenir personnel d’homme, dans le processus de sa libération et de l’inversion des mécanismes idéologiques de réduction ontologique, épistémologique et même religieuse de l’homme en Afrique noire, M.M. Nyimi, Inversion culturelle et déplacement de la pratique chrétienne africaine. Préface à une théologie périphérique (Kampen: Kok, 1993). Tappa atteste que l’Eglise devra se mettre à l’école de la vie de l’Afrique traditionnelle et se bâtir sur les expériences de Dieu des Africaines et Africains, et non l’inverse, L. Tappa, « Se mettre à l’école de la vie. Vers une théologie de la mission communautaire en Afrique », La Nouvelle Revue de Science missionnaire 56 (2000:3), 185-190. Ozankom vise à montrer, sur la base de l’œuvre théologique de trois auteurs congolais (V. Mulago, O. Bimwenyi, B. Bujo), qu’il est possible, à partir de la façon africaine de concevoir l’union vitale (cf. V. Mulago), de comprendre et de dire ce qu’est Dieu (cf. O. Bimwenyi) et d’interpréter le rôle des ancêtres (cf. B. Bujo), de formuler une théologie africaine en dialogue avec l’héritage chrétien universel, C. Ozankom, « Zwischen Anpassung und Integration. Zur Bedeutung des sozio-kulturellen Kontextes in der afrikanischen Theologie », La Nouvelle Revue de Science missionnaire 57 (2001:3), 181-202.

17 Cf. Zago et Magesa. Zago examine des rencontres religieuses dans un monde de plus en plus mondial et pluriel et stipule que le seul procédé constructif pour l’humanité et même les religions est le dialogue, qui suppose respect mutuel et coopération dans le but d’aplanir ensemble la route qui aboutira à notre destination eschatologique, M. Zago, « The New Millenium and the Emerging Religious Encounters », Missiology: an International Review 28 (2000:1), 5-18. Magesa propose que l’Eglise en Afrique, consciente de son identité propre, soit une Eglise qui dresse ses oreilles, écoutant bien tout le monde dans un processus d’ensemble dans lequel autant d’hommes et de groupes que possible participent et décident ainsi ce que chrétiennement il faut faire, L. Magesa, « Het veranderende Afrika en de grenzen van contextualisatie », Wereld en zending 31 (2002:1), 54-62.

18 Cela concorde très bien avec le concept de théandricité tel que Mulago le décrit: « Pour mieux comprendre l’attitude religieuse des Africains, nous devons nous défaire de la dialectique qui caractérise la pensée occidentale et selon laquelle l’exaltation de l’homme signifierait le rejet de Dieu (voir l’opposition anthropocentrique-théocentrique). Non, la religion africaine s’articule autour de deux vérités-croyances comme autour de deux centres vitaux: Dieu et l’homme. » V. Mulago, La religion traditionnelle des Bantu et leur vision du monde (Kinshasa: PUZ, 1973), 150 [Bibliothèque du Centre d’Etudes des Religions Africaines 1].

19 La conviction de la culture comme réponse à la Parole de Dieu a été empruntée à Onvlee. Onvlee atteste que le secret le plus profond de la culture est le fait que l’homme, quoi qu’il en soit, l’a reçue de Dieu et qu’il lui a (positivement ou négativement) répondu, L. Onvlee, Cultuur als antwoord (’s Gravenhage: Nijhoff, 1973).

20 Nous nous sommes inspiré de Hiebert, Haak, Fernando et Lingenfelter. Hiebert demande une vive attention à la contextualisation comme processus dans lequel on traite des coutumes au lieu de les accepter ou de les rejeter simplement, P.G. Hiebert, Anthropological Insights for Missionaries (Grand Rapids: Baker Book House, 1985), 188. Haak définit la véritable contextualisation comme une transformation et oriente l’Eglise dans ce processus, C.J. Haak, Metamorfose. Intercultureel begeleiden van kerken in een niet-christelijke omgeving (Zoetermeer: Boekencentrum, 2002), 61-84. Fernando suggère un modèle qui répond adéquatement aux inquiétudes traditionnelles d’une manière authentiquement chrétienne et biblique, K. Fernando, The Triumph of Christ in African Perspective. A Study of Demonology and Redemption in the African Context (Carlisle: Paternoster Press, 1999), 400. Lingenfelter propose une stratégie « conversionniste » qui vise à la rédemption de l’homme et à la transformation de la culture à la lumière des Saintes Ecritures, Lingenfelter, op. cit., 203-212.

21 Lingenfelter, op. cit., 204, 207.

22 Dans le présent article, il n’est pas dans notre propos de faire une étude approfondie du monde présent. B.J. Van der Walt constate avec regret que le sécularisme est le courant d’air qui domine le contexte religieux en dehors et au sein de l’Eglise chrétienne en Occident et aussi, de plus en plus, en Afrique. Van der Walt stipule que le sécularisme est une religion alternative (1) dans laquelle l’homme autonome (2) avec les moyens puissants de la science, de la technologie et de l’économie (3) se trouve au centre de l’adoration (4) et dans laquelle on sépare le « saint » (la foi personnelle) et le « séculier » (la vie publique) (5), Van der Walt, op. cit., 108. La conséquence néfaste de cette approche dualiste est que la pensée, les pratiques et les institutions religieuses perdent leur signification sociale dans la vie pratique et publique de chaque jour. Pour le problème du dualisme et l’ascension du sécularisme, cf. aussi Walsh et Middleton, op. cit., 93-129. Pour une étude du monde présent en Occident, cf. P.J. Barrett, « The Gospel and Western Culture. On the Ideas of Lesslie Newbigin », Missionalia 27 (1999:1), 62-72, et M. Goheen, « Liberating the Gospel from its Modern Cage. An Interpretation of Lesslie Newbigin’s Gospel and Modern Culture Project », Missionalia 30 (2002:3), 360-375.

23 Haak, op. cit., 76-82.

24 Bavinck l’avait exprimé avec le terme possessio, ce qui signifie appropriation, occupation, mainmise. L’Eternel Dieu, étant le seul propriétaire légitime du monde entier et de tout homme, s’approprie toute la vie de toutes les nations en Jésus-Christ, à qui il a donné tout pouvoir dans le ciel et sur la terre, J.H. Bavinck, Inleiding in de zendingswetenschap (Kampen: Kok, 1954), 181-182.

25 L’expression est de E. Mveng, « A la recherche d’un nouveau dialogue entre le christianisme, le génie culturel et les religions africaines », Flambeau 48 (1975), 225-247, cité par Van Hoever, K.R.H. Van Hoever, Het paradigma ‘leven-dood’ in het oeuvre van de Afrikaanse theoloog Engelbert Mveng (Kampen: Kok, 1998), 193 [Kerk en Theologie in Context 37].

26 Selon l’expression de E. Mveng, « Christianisme et culture africaine. La Bible notre héritage », in L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant (Paris: L’Harmattan, 1985), 66-69, cité par Van Hoever, op. cit., 199.

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