Louis BERKHOF – La Revue réformée http://larevuereformee.net Sun, 12 Dec 2010 15:47:30 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.12 6. Les attributs communicables http://larevuereformee.net/articlerr/n222/6-les-attributs-communicables Sun, 12 Dec 2010 17:45:50 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=409 Continuer la lecture ]]> VI. Les attributs communicables1

(Dieu en tant qu’Esprit personnel)

Si les attributs étudiés dans le chapitre précédent soulignent le caractère absolu de l’Etre de Dieu, ceux qui restent à considérer accentuent sa nature personnelle. Par ses attributs communicables, Dieu se révèle comme un être conscient, intelligent, libre, moral et personnel au plus haut degré. L’idée d’existence personnelle est-elle compatible avec le concept d’Absolu? Telle est la question qui attire depuis longtemps l’attention des philosophes et demeure d’actualité. La réponse dépend très largement de la signification donnée au mot « Absolu ». La philosophie reconnaît trois sens possibles à ce mot: le sens agnostique, le sens logique et le sens causal.

– Au sens agnostique, l’Absolu n’ayant de relation avec personne, on n’en peut rien savoir, car les choses ne sont connaissables qu’à travers les relations qu’elles ont les unes avec les autres. Et si l’on n’en peut rien connaître, on ne peut leur conférer une personnalité. Aussi, puisqu’une personnalité est impensable sans relations, l’identifier avec l’Absolu, par essence « sans rapport », est-il impossible.

– Au sens logique, l’individuel est subordonné à l’universel, et l’universel suprême est la réalité ultime, « la substance absolue » chez Spinoza, ou « l’esprit absolu » chez Hegel. L’Absolu peut s’exprimer dans et par le fini, mais rien de ce qui est fini ne peut en exprimer la nature essentielle. Lui attribuer une personnalité serait le limiter à un mode d’être, et détruirait son caractère absolu. En fait, cette notion de l’Absolu constitue un concept purement abstrait et vide de tout contenu.

– Au sens causal, l’Absolu est perçu comme la raison ultime de toutes choses. Il ne dépend de rien, mais toutes choses dépendent de lui. Il n’est pas nécessairement sans relation et peut entrer en communication avec des créatures finies. Une telle conception de l’Absolu est compatible avec le concept de personnalité. Souvenons-nous que celui-ci correspond, pour les philosophes, dans leur argumentation, à ce qu’ils observent chez l’homme; ils perdent ainsi de vue que la personnalité de Dieu est quelque chose d’infiniment plus parfait. A vrai dire, seule la personnalité de Dieu est parfaite; celle de l’homme n’est qu’une copie finie de cet unique original. Enfin, la tri-personnalité qui est en Dieu n’a pas d’analogie en l’être humain.

Plusieurs facteurs naturels, tout à fait similaires à ceux que l’on évoque pour affirmer l’existence de Dieu, sont avancés pour établir la réalité de la personnalité divine:

l) Seul un Dieu personnel peut expliquer la personnalité humaine. L’homme n’est ni indépendant, ni éternel; il est un être fini, avec un commencement et une fin. L’ensemble de ces réalités doit donc être suffisamment expliqué par la source dont elles sont issues. Puisque l’homme est un être personnel, la puissance qui en est l’auteur doit être aussi personnelle. Sinon, l’effet serait supérieur à sa cause, ce qui est tout à fait impossible.

2) L’univers en général témoigne de la personnalité de Dieu. Sa structure révèle très clairement les traces d’une intelligence infinie, d’une sensibilité tout à la fois profonde, élevée et aimante, et d’une volonté toute-puissante. C’est pourquoi nous devons admettre que le monde a été « fabriqué » par un être intelligent, sensible et doté de volonté, c’est-à-dire par une personne.

3) La nature morale et religieuse de l’homme présuppose aussi la personnalité de Dieu. Sa nature morale l’oriente vers le bien, vers ce qui implique nécessairement l’existence d’un légiste suprême. Sa nature religieuse l’incite constamment à entrer en communication personnelle avec un être plus élevé; tous les éléments constitutifs d’une religion quelle qu’elle soit, même panthéiste, sont orientés vers un Dieu personnel. Les notions de pénitence, foi, obéissance, amitié, amour, loyauté dans le service et le sacrifice, confiance dans la vie et la mort sont, en effet, dépourvues de signification si un Dieu personnel ne leur en donne pas une.

Si toutes ces considérations sont exactes et ont une valeur de témoignage, elles ne servent cependant pas de fondement à la doctrine de la personnalité de Dieu. Elles constituent plutôt des preuves de l’auto-révélation de Dieu dans l’Ecriture. Le terme « personne » n’est pas utilisé dans la Bible pour désigner Dieu, même si des mots tels que l’hébreu panim et le grec prosopon, proches de cette idée, le sont. Cependant, l’Ecriture atteste la personnalité de Dieu de plusieurs manières.

La présence de Dieu, telle qu’elle est décrite par les auteurs de l’Ancien et du Nouveau Testament, apparaît clairement comme une présence personnelle. Et les représentations anthropomorphiques et anthropopathiques de Dieu dans l’Ecriture – à ne pas opposer à sa nature spirituelle et à sa sainteté – ne se justifieraient guère si elles ne s’appliquaient pas à une personne réelle, quoique dépourvue de toute limitation humaine. Dieu est représenté comme un Dieu personnel: les hommes peuvent s’entretenir avec lui et avoir confiance en lui; il les soutient dans leurs épreuves et met dans leur cœur la joie de la délivrance et de la victoire. Enfin, la plus haute révélation de Dieu, selon la Bible, est une personne. Jésus-Christ révèle le Père d’une manière si parfaite qu’il a dit à Philippe: « Celui qui m’a vu a vu le Père. » (Jn 14:9) Une démonstration plus détaillée sera faite lors de l’étude des attributs communicables de Dieu.

A) La nature spirituelle de Dieu

La Bible ne nous donne aucune définition de Dieu. Le texte qui s’en approche le plus est la parole du Christ à la femme samaritaine: « Dieu est Esprit. » (Jn 4:24) Jésus tente là de définir Dieu en un seul mot. Il ne dit pas simplement que Dieu est « un » esprit, mais qu’il est Esprit. Cette affirmation claire suffit à justifier l’étude, avant toute autre chose, de la nature spirituelle de Dieu.

En parlant de la nature spirituelle de Dieu, la théologie veut souligner que Dieu est en lui-même un être substantiel, distinct du monde, immatériel, invisible, sans éléments constitutifs ni extension. Ainsi, toutes les qualités essentielles liées au concept parfait d’Esprit se trouvent en lui; en d’autres termes, il est un être conscient qui s’autodétermine. Etant Esprit au sens le plus pur et le plus absolu du mot, il n’est pas composite. L’affirmation que Dieu est Esprit exclut toute idée de corporéité de Dieu et condamne donc les fantaisies de certains des premiers gnostiques, des mystiques du Moyen Age et de toutes les sectes modernes qui attribuent un corps à Dieu.

Il est bien vrai que la Bible parle des mains et des pieds, des yeux et des oreilles, de la bouche et du nez de Dieu. Ce faisant, elle s’exprime de manière anthropomorphique ou figurative qui transcende de très loin notre connaissance humaine; nous n’en pouvons parler qu’en balbutiant à la manière des hommes.

Attribuer un caractère spirituel à Dieu, c’est affirmer également qu’il n’a aucune des propriétés propres à la matière et qu’il échappe à la perception des sens corporels. Paul parle de lui comme du « Roi éternel, immortel, invisible » (1 Tm 1:17), et encore comme du « Roi des rois et du Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir: à lui, honneur et puissance éternelle » (1 Tm 6:15, 16).

B) Les attributs épistémologiques

Dieu est représenté dans l’Ecriture comme lumière et, donc, comme parfait dans sa vie intellectuelle. Les attributs épistémologiques de Dieu comprennent trois perfections: la connaissance, la sagesse et la véracité.

l. La connaissance de Dieu

On peut la définir comme « la perfection, par laquelle il se connaît lui-même d’une manière totalement unique, ainsi que toutes les choses possibles et existantes par un acte simple et éternel ». La Bible atteste abondamment la connaissance de Dieu (1 S 2:3; Jb 12:13; Ps 94:9, 147:4; Es 29:15, 60:20, 28, etc.). En relation avec la connaissance de Dieu, il nous faut considérer sa nature et son étendue.

a) Sa nature

La connaissance de Dieu diffère sur plusieurs points importants de la connaissance de l’homme. Elle est « archétypique », ce qui veut dire qu’il connaît l’univers tel qu’il a voulu qu’il existe dans son plan éternel, antérieur à sa création, sous forme de réalité finie dans le temps et l’espace. Sa connaissance n’est pas, comme la nôtre, venue du dehors; elle est caractérisée par la « perfection absolue ». En tant que telle, elle est « intuitive » plutôt que démonstrative ou discursive. Elle est « innée et immédiate » et ne résulte pas de l’observation ou d’un processus de raisonnement. Etant parfaite, elle est également « simultanée » et non successive, de sorte qu’il voit les choses dans leur totalité, et non pas l’une après l’autre. En outre, elle est « complète » et « pleinement consciente », alors que la connaissance de l’homme est toujours partielle, fréquemment indistincte et souvent incapable de s’élever à la claire lumière de la conscience.

On a distingué entre connaissance « nécessaire » et connaissance « libre » de Dieu. La première est la connaissance que Dieu a de lui-même et de toutes les choses possibles; c’est une connaissance qui s’appuie sur la conscience de son omnipotence, on l’appelle « connaissance nécessaire », parce qu’elle n’est pas déterminée par une action de la volonté divine, on la connaît aussi sous le nom de « connaissance d’intelligence simple », considérant qu’elle est un pur acte de l’intellect divin, sans le concours de sa volonté.

La seconde est la connaissance qu’il a de toutes les choses existantes, c’est-à-dire, des choses qui ont existé dans le passé, qui existent dans le présent, ou qui existeront dans l’avenir. Elle est fondée sur la connaissance infinie que Dieu a de son dessein éternel, qui comprend tout et est immuable, on l’appelle « connaissance libre », parce qu’elle est déterminée par un acte simultané de la volonté, ou encore scientia visionis, « connaissance de la vision ».

b) Son étendue

La connaissance de Dieu n’est pas seulement parfaite en nature, mais aussi dans sa globalité, on parle d’omniscience, parce qu’elle comprend tout. Pour préciser plus clairement cette affirmation, ajoutons que:

– Dieu connaît lui-même et en lui-même tout ce qui provient de lui (connaissance interne).

– Il connaît toutes les choses telles qu’elles se sont passées autrefois, se passent aujourd’hui et se passeront demain réellement, ainsi que leurs véritables relations. Il connaît l’essence cachée des choses, ce que la pensée de l’homme ne peut pas faire. Contrairement à l’homme qui n’observe que les manifestations extérieures de la vie, il pénètre jusqu’au tréfonds du cœur humain. Bien plus, il sait ce qui est possible aussi bien que ce qui se produit réellement; toutes les éventualités d’un événement lui sont connues.

L’omniprésence de Dieu est clairement enseignée par plusieurs passages de l’Ecriture. Il est parfait en connaissance (Jb 37:16), ne regarde pas à l’apparence extérieure mais au cœur (1 S 16:7; 1 Ch 28:9, 17; Ps 139:1-4; Jr 17:10), observe les chemins des hommes (Dt 2:7; Jb 23:10, 24:23, 31:4; Ps 1:6, 119:168), connaît l’endroit où ils habitent (Ps 33:13) et la durée de leur vie (Ps 37:18).

Cette doctrine de la connaissance de Dieu doit être maintenue contre toutes les tendances panthéistes qui représentent Dieu comme la cause inconsciente du monde phénoménal, et contre ceux qui, comme Marcion ou Socinius, croient en un Dieu fini et ne lui attribuent qu’une connaissance limitée.

Une question demeure et demande à être étudiée plus particulièrement: comment Dieu peut-il avoir la pré-connaissance des actions libres des hommes et donc des événements conditionnels? Nous pouvons comprendre que Dieu ait la pré-connaissance des événements gouvernés par la nécessité, mais nous concevons difficilement une connaissance antérieure des actions que les hommes accomplissent librement. Certains, à cause de la difficulté de ce problème, ont été conduits à nier, soit la pré-connaissance de Dieu, soit la liberté humaine.

Il est parfaitement évident que l’Ecriture enseigne la pré-connaissance divine des événements contingents (1 S 23:10-13; 2 R 13:19; Ps 81:14-15; Es 42:9, 48:18; Jr 2:2-3, 38:17-20; Ez 3:6; Mt 11:21). En outre, elle ne nous permet, ni de douter de la liberté de l’homme, ni de refuser la prescience de Dieu. Nous sommes confrontés ici à un problème que nous ne pouvons entièrement résoudre, bien qu’il soit possible d’approcher d’une solution. Dieu a ordonné toutes choses et les a décrétées avec leurs causes et leurs conditions dans l’ordre exact dans lequel elles se réalisent. Sa prescience des choses futures et des événements contingents s’appuie sur sa décision. Ce qui résout le problème.

Mais alors se pose une question: la prédétermination des choses est-elle compatible avec la liberté de l’homme? On peut répondre qu’elle ne l’est certainement pas, si la liberté de la volonté est considérée comme indifferentia (arbitraire), mais ceci est une conception incertaine de la liberté de l’homme. La volonté de l’homme n’est pas quelque chose d’entièrement indéterminé, suspendu dans l’air et qui pourrait osciller capricieusement dans une direction ou dans une autre. Elle est plutôt enracinée dans notre nature même, reliée à nos émotions, à nos instincts les plus profonds, et déterminée par nos facultés intellectuelles et par notre caractère même. Si nous concevons notre liberté humaine comme une lubentia rationalis (autodétermination raisonnable), nous pouvons également dire qu’elle est compatible avec la prescience divine.

Orr déclare: « Il existe une solution à ce problème, bien que nos esprits soient incapables de la saisir. Il faut probablement, au lieu de nier la liberté, en réviser notre conception. Car la liberté, après tout, n’est pas l’arbitraire. Il y a dans toute action rationnelle un ‹pourquoi›, une raison qui provoque l’action. L’homme véritablement libre n’est pas incertain, mais ‹fiable›. En fait, la liberté a ses lois spirituelles et l’Esprit omniscient les connaît bien. Mais il faut reconnaître qu’un élément mystérieux demeure toujours présent. »2

Les théologiens jésuites, luthériens et arminiens ont cru régler le problème en forgeant le concept de scientia media. Par ce nom, ils désignent une connaissance intermédiaire entre la connaissance libre et la connaissance nécessaire de Dieu. Cette scientia media diffère de la première parce que son « objet » n’est pas tout ce qui est possible, mais « une série particulière d’événements futurs », et de la seconde parce que sa cause n’est pas le but éternel de Dieu, mais « un acte libre de la créature simplement prévu par Dieu »3. Dabney précise que ces théologiens l’appellent médiate, parce qu’ils « supposent que Dieu l’obtient, non directement par la connaissance de son propre dessein qu’il réalise, mais indirectement par la perception infinie qu’il a de la manière dont la cause contingente seconde agira, selon des circonstances données extérieures, prévues ou produites par lui-même »4.

Mais ceci ne résout pas du tout le problème. On essaie ainsi de réconcilier deux choses qui s’excluent logiquement l’une l’autre, à savoir, la liberté d’action au sens pélagien et une « certaine » pré-connaissance de cette action. Les actions qui, directement ou indirectement, ne sont nullement déterminées par Dieu, mais qui sont totalement dépendantes de la volonté arbitraire de l’homme, ne peuvent guère être l’objet de la pré-connaissance divine. En outre, on fait dépendre la connaissance divine du choix de l’homme, ce qui ôte, de fait, la certitude que Dieu a de la connaissance des événements futurs, et nie donc de manière implicite l’omniscience de Dieu. Ceci est également contraire à certains passages de l’Ecriture (Ac 2:23; Rm 9:16; Ep 1:11; Ph 2:13).

2. La sagesse de Dieu

On peut la considérer comme un aspect particulier de sa connaissance. Evidemment, connaissance et sagesse ne sont pas équivalentes; bien qu’elles soient étroitement liées, elles ne vont pas toujours de pair. Un homme sans éducation peut être supérieur en sagesse à un savant. La connaissance s’acquiert par l’étude, mais la sagesse provient d’une perception intuitive des choses. La première est théorique, tandis que la seconde est pratique, subordonnant la connaissance à la réalisation d’un but précis. Les deux sont imparfaites en l’homme, mais sont caractérisées en Dieu par une perfection absolue.

La sagesse de Dieu est son intelligence, et elle se manifeste dans l’adaptation de ses moyens à ses desseins. Ceci veut dire qu’il recherche les fins les meilleures possibles et choisit les meilleurs moyens pour réaliser ses projets. H.B. Smith définit la sagesse divine comme « l’attribut de Dieu par lequel il produit les meilleurs résultats possibles par les meilleurs moyens possibles ». Nous pouvons être un peu plus précis et la définir comme « cette perfection de Dieu par laquelle il utilise sa connaissance pour arriver à ses fins de la manière qui le glorifie le plus ». Ceci implique que tous les buts secondaires sont subordonnés au but final qui, selon l’Ecriture, est la gloire de Dieu (Rm 11:33, 14:7-8; Ep 1:11-12; Col 1:16). L’Ecriture se réfère à la sagesse de Dieu dans plusieurs passages et va jusqu’à la personnifier en Proverbes 8; on peut voir cette sagesse de Dieu en particulier dans la création (Ps 19:1-7, 104:1-34), dans la providence (Ps 33:10-11; Rm 8:28) et dans la rédemption (Rm 11:33; 1 Co 2:7; Ep 3:10).

3. La véracité de Dieu

L’Ecriture utilise plusieurs mots pour exprimer la véracité de Dieu: dans l’Ancien Testament ’emeth, ‘amunah et ‘amen, et dans le Nouveau Testament alethes (aletheia), alethinos et pistis; on voit ainsi que l’Ecriture inclut sous ce mot plusieurs idées comme la vérité, la véracité, la fidélité. Lorsque Dieu est appelé vérité, on doit le comprendre au sens large.

– D’abord, il est la vérité au sens « métaphysique », c’est-à-dire qu’en lui le concept de la divinité est parfaitement réalisé. Il est, tel qu’il est, tout ce que Dieu devrait être, et se distingue ainsi de tous les soi-disant dieux, appelés vanités et mensonges (Ps 96:5, 97:7, 115:4-8; Es 44:9, 10).

– Ensuite, il est la vérité au sens « éthique », et se révèle tel qu’il est réellement, de sorte que sa révélation est absolument digne de confiance (Nb 23:19; Rm 3:4; Hé 6:18).

– Enfin, il est aussi la vérité au sens « logique ». Il connaît les choses telles qu’elles sont réellement, et a constitué l’esprit de l’homme pour permettre à ce dernier de connaître, non seulement l’apparence des choses, mais aussi leur réalité.

Ainsi, la vérité de Dieu est le fondement de toute connaissance. Retenons qu’il s’agit de trois aspects différents de la vérité, qui est une en Dieu. Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons définir la véracité ou vérité de Dieu comme « cette perfection de son être par laquelle il répond pleinement au concept de la divinité, est parfaitement digne de confiance dans sa révélation, et voit les choses telles qu’elles existent réellement ». A cause de cette perfection, il est la source de toute vérité, non seulement dans le domaine moral et religieux, mais aussi dans le domaine scientifique. L’Ecriture fait abondamment référence à Dieu comme vérité (Ex 34:6; Nb 23:19; Dt 32:4; Ps 25:10, 31:6; Es 65:16; Jr 10:8, 10-11; Jn 14:6, 17:3; Tt 1:2; Hé 6:18; 1 Jn 5:20-21).

Un autre aspect de cette perfection divine a une grande importance: la fidélité. En vertu de cette dernière, il se souvient toujours de son alliance et accomplit toutes les promesses qu’il a faites à son peuple. Cette fidélité a une signification extrêmement pratique pour le peuple de Dieu. En effet, elle est le fondement de sa confiance, de son espérance et la cause de sa joie. Elle le sauve du désespoir auquel peut facilement mener sa propre infidélité, lui donne le courage de persévérer en dépit des échecs et remplit son cœur d’attente joyeuse, même quand il est conscient de ne plus mériter les bénédictions de Dieu (Nb 23:19; Dt 7:9; Ps 89:33; Es 49:7; 1 Co 1:9; 2 Tm 2:13; Hé 6:17-18, 10:23).

C) Les attributs éthiques

Les attributs éthiques de Dieu sont, en général, considérés comme ses perfections les plus glorieuses. Cela ne veut pas dire qu’un attribut soit en lui-même plus parfait ou plus glorieux qu’un autre, mais par rapport à l’homme, chaque perfection éthique de Dieu brille de sa propre splendeur. On les classe en général sous trois rubriques:

– la bonté de Dieu;

– la sainteté de Dieu;

– et la justice de Dieu.

l. La bonté de Dieu

C’est un terme générique incluant plusieurs attributs que l’on distingue selon leurs objets. On ne devrait pas confondre bonté et bienveillance de Dieu, car la seconde est plus limitée. Nous disons d’une personne qu’elle est bonne quand elle répond entièrement à notre idéal. Quand nous disons que Dieu est bon, nous disons qu’il est, à tous les sens du mot, tout ce que Dieu devrait être, et qu’il répond donc parfaitement au concept exprimé par le mot « Dieu ». Il est bon au sens métaphysique du terme; sa perfection est absolue et sa félicité parfaite en lui. C’est dans ce sens que Jésus a dit au jeune homme riche: « Personne n’est bon, si ce n’est Dieu seul. » (Mc 10:18) Mais si Dieu est bon en lui-même, il l’est également envers ses créatures et peut donc être appelé le fons omnium bonorum. Il est la source de tout bien, et la Bible le représente ainsi de multiples manières. Le psalmiste chante: « Car auprès de toi est la source de la vie; par ta lumière nous voyons la lumière. » (Ps 36:9) Toutes les bonnes choses dont jouissent les créatures dans le présent et qu’elles espèrent pour l’avenir leur viennent de cette source inépuisable. D’autre part, Dieu est aussi le sumum bonum, le bien suprême, pour toutes ses créatures, bien qu’il le soit à des degrés différents et dans la mesure où elles répondent au but de leur existence. Dans cet exposé, nous accentuons naturellement la bonté éthique de Dieu et ses différents aspects, tels que ceux-ci sont déterminés par la nature de ses objets.

a) La bonté de Dieu envers ses créatures en général

On peut la définir comme « cette perfection qui incite Dieu à agir libéralement et avec bienveillance envers toutes ses créatures ». C’est l’affection que le Créateur ressent à l’égard de ses créatures sensibles. Le psalmiste la chante dans ces paroles bien connues: « L’Eternel est bon envers tous, et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres… Tous, avec espoir, tournent les yeux vers toi, c’est toi qui leur donnes leur nourriture en son temps. Tu ouvres ta main et tu rassasies à souhait tout ce qui a vie. » (Ps 145:9, 15-16) Cet intérêt bienveillant de Dieu est révélé dans l’attention qu’il porte au bien-être de ses créatures, bien-être convenant à leur nature. Cette bonté varie naturellement en degrés, selon la capacité des objets à la recevoir. Et bien qu’elle ne soit pas réservée aux croyants, ceux-ci sont les seuls à apprécier pleinement ses bénédictions qu’ils désirent utiliser au service de leur Dieu. La Bible parle de cette bonté de Dieu à plusieurs reprises (Ps 36:6, 104:21; Mt 5:45, 6:26; Lc 6:36; Ac 14:17).

b) L’amour de Dieu

Lorsque la bonté de Dieu s’exerce envers ses créatures rationnelles, elle revêt la forme la plus haute de l’amour; elle peut même se différencier selon les objets sur lesquels elle s’exerce. En général, la bonté de Dieu est distincte de l’amour que l’on peut définir comme « cette perfection par laquelle il est éternellement mu vers l’autocommunication ». Si Dieu est absolument bon en lui-même, son amour ne peut trouver de satisfaction complète que s’il s’exerce en faveur d’un objet doté de la perfection absolue. Il aime ses créatures rationnelles pour l’amour de lui-même ou, en d’autres termes, il s’aime lui-même en elles, ainsi que ses vertus, son œuvre et ses dons. Il ne retire pas complètement son amour au pécheur, malgré son état actuel de péché, bien que le péché lui soit en abomination. En effet, il reconnaît dans le pécheur le porteur de son image (Jn 3:16; Mt 5:44-45). Simultanément, il aime les croyants d’un amour particulier, car ce sont ses enfants spirituels en Christ. C’est à eux qu’il se communique au sens le plus riche du terme, dans toute la plénitude de sa grâce et de sa miséricorde (Jn 16:27; Rm 5:8; 1 Jn 3:1).

c) La grâce de Dieu

Ce mot significatif est la traduction de l’hébreu chanan et du grec charis. Selon l’Ecriture, la grâce n’est pas seulement manifestée par Dieu, mais aussi par les hommes, et indique alors la faveur qu’un être humain manifeste à l’un de ses semblables (Gn 33:8, 10, 18, 39:4, 47:25; Rt 2:2; 1 S 1:28, 16:22). Dans ces textes, la faveur n’est pas nécessairement imméritée. Cependant, on peut dire en général que la grâce est le don libre de son amitié, don accordé par une personne à quelqu’un qui n’y a aucun droit. Ceci est particulièrement vrai quand il s’agit de la grâce de Dieu. Son amour pour l’homme est toujours immérité et quand il le donne aux pécheurs, il est même perdu. La Bible utilise généralement le mot (grâce) pour indiquer « la bonté imméritée ou l’amour de Dieu pour ceux qui l’ont perdu, et qui sont par nature condamnés ». La grâce de Dieu est la source de toutes les bénédictions spirituelles qui sont accordées aux pécheurs (cf. Ep 1:6-7, 2:7-9; Tt 2:11, 3:4-7). Si la Bible parle souvent de la grâce de Dieu comme d’une grâce salvatrice, elle en parle aussi dans un sens plus large (cf. Es 26:10; Jr 16:13).

Sur le plan pratique, la notion de la grâce de Dieu a une importance cruciale pour les hommes pécheurs. C’est par grâce que le chemin de la rédemption leur a été ouvert (Rm 3:24; 2 Co 8:9) et que le message de la rédemption s’est répandu dans le monde (Ac 14:3). Par grâce, les pécheurs reçoivent le don de Dieu en Jésus-Christ (Ac 18:27; Ep 2:8). C’est par grâce qu’ils sont justifiés (Rm 3:24, 4:16; Tt 3:7), qu’ils sont enrichis de toutes bénédictions spirituelles (Jn 1:16; 2 Co 8:9; 2 Th 2:16) et, enfin, qu’ils héritent du salut (Ep 2:8; Tt 2:11). N’ayant absolument aucun mérite personnel, ils sont entièrement dépendants de la grâce de Dieu en Christ.

Dans la théologie moderne, qui croit en la bonté originelle de l’homme et en sa capacité à se tirer d’affaire tout seul, la doctrine du salut par grâce a pratiquement perdu toute valeur; le mot même de grâce a été vidé de toute signification spirituelle et a disparu des discours religieux. On la retient uniquement au sens de « condescendance », comme quelque chose de purement extérieur. Heureusement, on peut constater les signes d’une redécouverte de la notion de péché et d’un réveil du besoin de l’homme de la grâce divine.

d) La miséricorde de Dieu

Un autre aspect important de la bonté et de l’amour de Dieu est sa miséricorde, ou tendre compassion. Le mot hébreu employé plus généralement pour désigner cela est chesed. Il existe cependant un autre mot qui exprime une compassion tendre et profonde; le mot racham, qui est traduit avec justesse par « tendre miséricorde » dans la Bible anglaise. La Septante et le Nouveau Testament emploient le mot grec eleos pour désigner la miséricorde de Dieu.

Si Dieu dans sa grâce considère l’homme comme coupable devant lui et donc comme ayant besoin de pardon, dans sa miséricorde, il le voit comme portant les conséquences du péché, se trouvant dans un état pitoyable et ayant donc besoin de l’aide divine. On peut définir la miséricorde comme « la bonté ou l’amour de Dieu manifesté à ceux qui se trouvent dans la misère ou la détresse et l’angoisse, indépendamment de leurs mérites ».

Dans sa miséricorde, Dieu se révèle comme un Dieu compatissant, qui a pitié de ceux qui sont dans la misère et qui est toujours prêt à soulager leur détresse. Cette miséricorde est généreuse (Dt 5:10; Ps 57:10, 86:5) et les poètes d’Israël se plaisaient à la chanter comme étant éternelle (1 Ch 16:34; 2 Ch 7:6; Ps 136; Esd 3:11).

Dans le Nouveau Testament, on en parle souvent, à côté de la grâce de Dieu, surtout dans les salutations (1 Tm 1:2; 2 Tm 1:1; Tt 1:1). On nous dit régulièrement qu’elle est dévoilée à ceux qui craignent Dieu (Ex 20:2; Dt 7:9; Ps 86:5; Lc 1:50). Cela ne signifie pas cependant qu’elle leur est réservée, bien qu’ils la goûtent plus spécialement.

Les compassions de Dieu se manifestent au profit de toutes ses œuvres (Ps 145:9) et même ceux qui ne le craignent pas y ont part (Ez 18:23, 32, 33:11; Lc 6:35-36). Il n’est pas possible d’opposer justice et miséricorde de Dieu. Cette dernière s’exerce uniquement en harmonie avec la justice la plus stricte de Dieu, qui considère les mérites de Jésus-Christ. La Bible utilise aussi d’autres termes: « pitié », « compassion » et « tendre considération ».

e) La patience de Dieu

La patience de Dieu est encore un autre aspect de sa bonté ou de son amour. L’hébreu utilise l’expression erek ‘aph, qui veut dire littéralement « qui a le nez long » et donc aussi « lent à la colère », tandis que le grec exprime la même idée par le mot makrothumia. C’est « cet aspect de la bonté ou de l’amour de Dieu en vertu duquel il supporte celui qui s’oppose à lui et le méchant en dépit de leur désobéissance sans fin ». Dieu voit que, malgré ses exhortations et ses avertissements, le pécheur s’obstine dans la voie du péché. Sa patience se révèle dans le fait qu’il repousse le jugement que l’homme mérite. L’Ecriture en parle en plusieurs textes (Ex 34:6; Ps 86:15; Rm 2:4, 9:22; 1 P 3:20; 2 P 3:15). Un terme synonyme, mais de connotation légèrement différente, est celui de longanimité.

2. La sainteté de Dieu

Le mot hébreu quadash traduit par « être saint » est dérivé de la racine qad, qui signifie couper ou séparer. C’est l’un des mots religieux les plus remarquables de l’Ancien Testament, et il est appliqué avant tout à Dieu. La même idée est rendue dans le Nouveau Testament par les mots hagiazo et hagios. Il ne faut absolument pas penser que la sainteté est, d’abord, une qualité éthique ou religieuse, comme on le fait souvent, et qu’elle désigne fondamentalement une « position » ou une « relation » existant entre Dieu et une personne ou une chose.

a) Sa nature

La notion scripturaire de la sainteté de Dieu est double. Dans son sens originel, elle exprime l’idée qu’il est absolument distinct de toutes ses créatures, et qu’il est exalté au-dessus d’elles dans une majesté infinie. Comprise ainsi, la sainteté de Dieu est l’un des attributs qui caractérise sa transcendance; elle est parfois considérée comme sa perfection centrale et suprême. Il ne semble pas opportun de dire d’un attribut de Dieu qu’il est plus central et fondamental qu’un autre; mais, si c’était possible, l’insistance scripturaire sur la sainteté de Dieu semblerait justifier ce choix.

Il est bien évident cependant que la sainteté, en ce sens du mot, n’est pas vraiment un attribut éthique, qui peut être co-ordonné aux autres, comme l’amour, la grâce et la miséricorde; mais elle est plutôt co-extensive avec et applicable à tout ce qui peut être attribué à Dieu. Il est saint dans tout ce qui le révèle, dans sa bonté et sa grâce, autant que dans sa justice et sa colère. On peut l’appeler la « sainteté-majesté » de Dieu, et il y est fait référence en plusieurs endroits (Ex 15:11; 1 S 2:2; Es 57:15; Os 11:9).

C’est cette sainteté de Dieu que Otto, dans son ouvrage important Das Heilige5, considère comme la perfection la plus essentielle en Dieu, et qu’il appelle « le numinous ». Il la considère comme appartenant à la partie non rationnelle de Dieu, impensable conceptuellement, et qui inclut des idées telles que « l’inaccessibilité absolue » ou « la toute-puissance absolue », ou encore « la majesté solennelle ». Elle éveille en l’homme le sens du néant absolu, la prise de conscience qu’il n’est qu’une créature menant à l’humiliation absolue.

Mais, la sainteté de Dieu a aussi un aspect spécifiquement éthique dans l’Ecriture, et c’est en cela qu’elle nous concerne plus directement. L’aspect éthique de la sainteté divine ne peut être dissocié de l’idée de la sainteté-majesté de Dieu. L’idée fondamentale de la sainteté éthique de Dieu est aussi celle de séparation, mais dans ce cas, il s’agit d’une séparation du mal moral ou du péché. En vertu de sa sainteté, Dieu ne peut avoir aucun rapport avec le péché (Jb 34:10; Ha 1:13). Utilisé dans ce sens, le mot « sainteté » indique la pureté majestueuse de Dieu ou la majesté éthique.

D’autre part, l’idée de sainteté éthique n’est pas simplement négative (séparation du péché); elle a également un contenu positif, celui d’excellence morale ou de perfection éthique. Si l’homme réagit à la sainteté-majesté de Dieu par un sentiment d’insignifiance absolue et de crainte, sa réaction à la sainteté éthique se révèle par un sentiment d’impureté, de conscience du péché (Es 6:5). Otto inclut aussi cet élément dans la sainteté de Dieu, bien qu’il souligne l’autre. Il dit: « La simple crainte, le simple besoin de se protéger de la ‹grandeur absolue› a été ici élevé à ce sentiment: l’homme, dans son impiété naturelle, n’est pas ‹digne› de se tenir dans la présence du Saint, et sa totale indignité personnelle peut arriver jusqu’à salir la sainteté. »6 Cette sainteté éthique de Dieu peut se définir comme cette perfection, en vertu de laquelle il veut et maintient sa propre excellence morale, abhorre le péché et exige la pureté de ses créatures morales.

b) Sa manifestation

La sainteté de Dieu est révélée dans la loi morale implantée, d’une part, au cœur même de l’homme et parlant à sa conscience et, d’autre part, plus particulièrement dans la révélation spéciale de Dieu. Elle apparaît clairement dans la Loi donnée à Israël. Cette Loi, dans tous ses aspects, était calculée pour inculquer à Israël ce qu’est la sainteté de Dieu, et pour exhorter le peuple à mener une vie sainte. Telle était la raison de symboles et de types tels la nation sainte, la terre sainte, la ville sainte, le lieu saint et la prêtrise sainte. La sainteté de Dieu se révélait dans la manière par laquelle Dieu récompensait ceux qui respectaient la Loi, et punissait implacablement ses transgresseurs. La révélation suprême en a été donnée en Jésus-Christ, qui est appelé « le Saint et le Juste » (Ac 3:14). Il a reflété dans sa vie la sainteté parfaite de Dieu. Enfin, celle-ci est également révélée dans l’Eglise en tant que corps du Christ.

Il est frappant de constater que la sainteté est attribuée à Dieu beaucoup plus fréquemment dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau, qui la mentionne occasionnellement (Jn 17:11; 1 P 1:16; Ap 4:8, 6:10). C’est probablement parce que le Nouveau Testament attribue plus particulièrement ce terme à la troisième personne de la Sainte Trinité, celle dont la tâche spéciale est, dans l’économie de la rédemption, de communiquer la sainteté à son peuple.

3. La justice de Dieu

Cet attribut est étroitement lié à la sainteté de Dieu. Shedd parle de la justice de Dieu comme d’« un mode de sa sainteté ». Strong l’appelle simplement « la sainteté transitive ». Cependant, ces termes s’appliquent à ce que l’on appelle généralement la justice « relative » de Dieu, distincte de sa justice « absolue ».

a) L’idée fondamentale de justice

Fondamentalement, la justice est la stricte adhésion à la Loi. Pour les hommes, cela présuppose qu’il y ait une Loi à laquelle ils doivent se conformer. On dit parfois que nous ne pouvons parler de justice de Dieu, parce qu’il n’existe aucune loi à laquelle il est soumis. Mais bien qu’il n’y ait pas de loi au-dessus de Dieu, il existe certainement une loi dans la nature même de Dieu, qui est le modèle le plus élevé possible, et à l’aune duquel toutes les autres lois sont jugées. On distingue généralement justice absolue et justice relative de Dieu.

La première est cette rectitude de la nature divine, en vertu de laquelle Dieu est infiniment juste en lui-même, tandis que la seconde est cette perfection par laquelle il maintient sa sainteté contre toute violation, et montre ainsi à tous égards qu’il est le Saint. C’est à cette justice que le terme « justice » s’applique plus particulièrement. Elle se manifeste spécialement en donnant à chaque homme son dû, en le traitant selon ses mérites. La justice inhérente de Dieu est naturellement le fondement de la justice qu’il révèle dans ses relations avec ses créatures, et que nous allons étudier maintenant.

Les termes hébreux pour « juste » et « justice » sont tsaddik, tsedhek et tsedhakah, et les termes grecs correspondants dikaios et dikaiosune, qui contiennent tous l’idée d’une conformité à un modèle. Cette perfection est régulièrement attribuée à Dieu dans l’Ecriture (Esd 9:15; Né 9:8; Ps 119:137, 145:17; Jr 12:1; Lm 1:18; Dn 9:14; Jn 17:25; 2 Tm 4:8; 1 Jn 2:29, 3:7; Ap 16:5).

b) Distinctions appliquées à la justice de Dieu

Il existe, d’abord, une justice de Dieu en tant que Recteur de l’univers. Cette justice, comme son nom l’indique, est la droiture que Dieu manifeste en tant que Souverain à la fois du bien et du mal. En vertu de cette justice, il a institué un gouvernement moral dans le monde, et a imposé à l’homme une Loi juste, qui promet de récompenser celui qui obéit et menace de punir le transgresseur. Dieu apparaît nettement dans l’Ancien Testament comme le Législateur d’Israël (Es 33:22), du peuple en général (Jc 4:12) et ses lois sont des lois justes (Dt 4:8). La Bible se réfère à cette œuvre de direction divine également au Psaume 99:4 et en Romains 1:32.

Cette première justice est étroitement liée à la « justice distributive » de Dieu. Ce dernier terme sert habituellement à désigner la rectitude de Dieu dans l’exécution de la Loi et la distribution de récompenses ou de punitions (Es 3:10-11; Rm 2:6; 1 P 1:17).

On distingue:

1) « La justice rémunérative », qui se manifeste dans la distribution de récompenses à la fois aux hommes et aux anges (Dt 7:9, 12-13; 2 Ch 6:15; Ps 58:11; Mi 7:20; Mt 25:21, 34; Rm 2:7; Hé 11:26). Elle est véritablement une expression de l’amour de Dieu, lequel distribue ses dons, non seulement sur la base du mérite strict – car la créature ne peut se prévaloir d’aucun mérite absolu devant le Créateur – mais aussi en vertu de sa promesse et de son approbation (Lc 17:10; 1 Co 4:7). Les récompenses de Dieu sont gratuites et jaillissent de l’Alliance qu’il a lui-même établie.

2) « La justice rétributive », qui proportionne le châtiment mérité et les sanctions qui en découlent. Elle est l’expression de la colère divine. Tandis qu’elle serait inutile dans un monde sans péché, elle occupe nécessairement une place très importante dans un monde rempli de péché. En fait, la Bible souligne davantage la récompense du juste que la punition du méchant; mais même cette dernière est assez fréquente (cf. Rm 1:32, 2:9, 12:19; 2 Th 1:8 et beaucoup d’autres passages). A noter que, si l’homme ne mérite pas la récompense qu’il reçoit, il mérite vraiment la punition qui lui est infligée. La justice divine est, de par son origine, nécessairement obligée de punir le mal, mais non de récompenser le bien (Lc 17;10; 1 Co 4:7; Jb 41:11). Beaucoup de théologiens nient la justice strictement rétributive de Dieu et prétendent que Dieu punit le pécheur pour le réformer ou pour détourner les autres du péché; mais ces positions sont insoutenables. Le but premier du châtiment du péché est le maintien du droit et de la justice. Bien sûr, elle peut servir incidemment et peut même être secondairement conçue pour réformer le pécheur et détourner les autres du péché.

D) Les attributs de souveraineté

La souveraineté de Dieu est fortement soulignée dans l’Ecriture. Dieu y est représenté comme le Créateur, et sa volonté comme la cause première de toutes choses. En vertu de son œuvre créatrice, la terre et le ciel et tout ce qu’ils contiennent lui appartiennent. Il est revêtu d’autorité absolue sur les armées du ciel et les habitants de la terre. Il maintient toutes choses par sa force toute-puissante, et en détermine les buts. Il règne comme Roi au sens le plus absolu du mot; toutes choses dépendent de lui et lui sont subordonnées. La souveraineté de Dieu est affirmée avec abondance dans l’Ecriture, mais nous nous limiterons aux quelques passages les plus significatifs (Gn 14:19; Ex 18:11; Dt 10:14, 17; 1 Ch 29:11-12; 2 Ch 20:6; Né 9:6; Ps 22:28, 47:2-3, 7-8, 50:10-12, 95:3-5, 115:3, 135:5-6, 145:11-13; Jr 27:5; Lc 1:53; Ac 17:24-26; Ap 19:6). Deux attributs ressortent particulièrement: la volonté souveraine de Dieu et sa puissance souveraine.

l. La volonté souveraine de Dieu

a) La volonté de Dieu en général

La Bible emploie plusieurs mots pour signifier la volonté de Dieu, à savoir les mots hébreux chaphets, tsebhu et ratson et les mots grecs boule et thelema. L’importance de la volonté divine apparaît de plusieurs manières dans l’Ecriture. Elle y est représentée comme la cause finale de toutes choses: la création du monde, sa conservation (Ps 135:6; Jr 18:6; Ap 4:11), son gouvernement (Pr 21:1; Dn 4:35), l’élection et la réprobation (Rm 9:15-16; Ep 1:11), les souffrances du Christ (Lc 22:42; Ac 2:23), la régénération (Jc 1:18), la sanctification (Ph 2:13), les souffrances des croyants (1 P 3:17), la vie de l’homme et sa destinée (Ac 18:21; Rm 15:32; Jc 4:15), et même les choses les plus petites de la vie (Mt 10:29). A partir de là, la théologie chrétienne a toujours reconnu la volonté de Dieu comme la cause ultime de toutes choses, bien que la philosophie ait quelquefois recherché une cause plus profonde dans l’être même de l’Absolu. Cependant, la tentative de fonder toutes choses dans l’être même de Dieu résulte du panthéisme.

Le mot « volonté » appliqué à Dieu n’a pas toujours la même connotation dans l’Ecriture. Il peut signifier:

– la nature morale de Dieu dans son ensemble, incluant les attributs comme l’amour, la sainteté, la justice, etc.;

– la faculté d’autodétermination, c’est-à-dire le pouvoir de choisir une ligne d’action plutôt qu’une autre;

– le produit de cette activité, qui est le plan ou le but prédéterminé;

– la puissance d’exécuter ce plan et de réaliser ce but (la volonté en action ou l’omnipotence);

– et, enfin, la règle de vie établie pour des créatures rationnelles.

C’est d’abord la volonté de Dieu en tant que faculté d’autodétermination qui nous intéresse maintenant, on peut la définir comme « cette perfection de son être, par laquelle tout acte, même le plus simple, est accompli, soit en faveur de lui-même pour sa joie propre, soit en faveur de ses créatures pour la seule gloire de son nom, et est ainsi le fondement de leur être et du maintien de leur existence ». Ceci inclut naturellement l’idée de causalité, en référence à l’univers et à toutes les créatures qu’il contient.

b) Distinctions appliquées à la volonté de Dieu

On a établi plusieurs distinctions dans la volonté de Dieu. Certaines ne sont guère employées dans la théologie réformée: ainsi la distinction entre volonté « antécédente » et « volonté conséquente » de Dieu, ou celle entre volonté « absolue » et volonté « conditionnelle ». Ces distinctions n’étaient pas seulement causes de malentendus, mais ont donné lieu à des interprétations réellement inacceptables.

Cependant, d’autres distinctions, jugées utiles, ont été généralement acceptées, on peut les énoncer ainsi:

« La volonté décrétive et préceptive de Dieu »

La première est la volonté par laquelle Dieu se propose ou décrète s’il veut accomplir lui-même ce qui arrive, ou s’il promet que cela se produise par l’entremise libre de ses créatures rationnelles. La seconde est la règle de vie que Dieu a établie pour ses créatures morales et qui leur indique ses prescriptions. La première s’accomplit toujours, alors que la seconde est souvent contrecarrée.

« Volonté d’eudokia et volonté d’eurestia »

La distinction entre ces deux volontés n’est pas établie pour en distinguer le but, ou le plaisir, ou le désir de réaliser quelque chose. Elle est cependant en rapport avec ce que nous avons dit précédemment. La volonté d’eudokia ou décrétive comprend ce qui sera certainement accompli, tandis que la volonté d’eurestia ou préceptive recouvre simplement ce que Dieu est heureux de voir faire par ses créatures. Malgré ce que le mot eudokia pourrait nous suggérer, la volonté d’eudokia ne se réfère pas seulement au bien (cf. Mt 11:26). On ne peut pas dire que l’élément de satisfaction ou de délice lui soit toujours associé.

« Volonté de beneplacitum et volonté du signum »

La première expression désigne la volonté de Dieu telle qu’elle est fixée dans son dessein caché, jusqu’à ce qu’il la fasse connaître par une révélation ou un événement. Toute volonté révélée ainsi devient un signum. Cette distinction est censée correspondre à celle établie entre volonté décrétive et volonté préceptive de Dieu, mais on peut difficilement recommander ces expressions. En effet, le bon plaisir de Dieu s’exprime également dans sa volonté préceptive; et sa volonté décrétive nous parvient quelquefois par un signum.

« Volonté secrète et volonté révélée de Dieu »

C’est la distinction la plus commune. La première est la volonté décrétive de Dieu, cachée en grande partie en lui-même, alors que la seconde est la volonté préceptive, révélée dans la Loi et l’Evangile. Cette distinction est fondée sur Deutéronome 29:29. La volonté secrète de Dieu est mentionnée au Psaume 115:3, Daniel 4:17, 25, 32, 35, Romains 9:18-19, 11:33-34, Ephésiens 1:5, 9, 11, et sa volonté révélée en Matthieu 7:21, 12:50, Jean 4:34, 7:17, Romains12:2. Cette dernière est accessible à tout homme et ne se trouve pas loin de nous (Dt 30:14; Rm 10:8). La volonté secrète de Dieu comprend tout ce qu’il désire, soit accomplir, soit permettre, et donc tout ce qui est absolument fixé. La volonté révélée prescrit les devoirs des hommes et indique le chemin à suivre pour pouvoir jouir des bénédictions divines.

c) La liberté de la volonté de Dieu

On se demande souvent si Dieu, dans l’exercice de sa volonté, agit de manière nécessaire ou libre. Il faut y répondre prudemment. Comme il existe en Dieu une scientia necessaria et une scientia libera, de même il existe en lui une voluntas necessaria (volonté nécessaire) et une voluntas libera (volonté libre). Dieu est lui-même l’objet de la première. Il se désire « nécessairement » lui-même, ainsi que sa nature sainte, et les distinctions personnelles existant au sein de la divinité. Ceci signifie qu’il s’aime nécessairement et prend plaisir à contempler ses propres perfections. Néanmoins, il n’est soumis à aucune contrainte, mais agit selon la loi de son être propre; et cette nécessité représente également le degré le plus haut de sa liberté.

Il est bien évident que l’idée de causalité est ici absente, et que la pensée de satisfaction de soi-même ou d’auto-approbation se situe au premier plan. Les créatures de Dieu sont les objets de sa voluntas libera. Dieu détermine volontairement ce que et qui il va créer, ainsi que les temps, les lieux et les circonstances de la vie de ces personnes et de ces choses. Il jalonne le chemin de ses créatures rationnelles, détermine leur destinée, et les utilise pour ses plans. Bien qu’il les dote de liberté, sa volonté contrôle leurs actions. La Bible parle de cette liberté de Dieu en termes absolus (Jb 11:10, 33:13; Ps 115:3; Pr 21:1; Es l0:15, 29:16, 45:9; Mt 20:15; Rm 9:15-18, 20-21; l Co 12:11; Ap 4:11).

L’Eglise a toujours défendu cette liberté, mais a aussi montré que l’on ne peut la considérer comme de l’indifférence absolue. Scot a émis l’idée d’une volonté indéterminée de Dieu, mais l’Eglise a rejeté cette idée d’une volonté aveugle, agissant avec une indifférence parfaite. La liberté de Dieu n’est pas pure indifférence, mais autodétermination rationnelle. Dieu a des raisons pour vouloir ce qu’il fait, qui l’incitent à choisir un but plutôt qu’un autre, et un ensemble de moyens pour accomplir ce but précis. Dans chaque cas prévaut un motif, qui détermine le but choisi et les moyens sélectionnés qui lui sont plus plaisants, encore que nous ne puissions pas déterminer ce motif.

D’une manière générale, on peut dire que Dieu ne peut vouloir ce qui serait contraire à sa nature, son amour, sa sagesse, sa justice ou sa sainteté. Bavinck précise que nous pouvons rarement savoir pourquoi Dieu a voulu une chose plutôt qu’une autre, et que nous ne pouvons ni ne devons chercher aux choses une cause plus profonde que la volonté de Dieu, parce que toutes ces tentatives aboutissent à chercher dans l’être même de Dieu une cause à la créature, en lui dérobant son caractère contingent, et en la rendant nécessaire, éternelle et divine7.

d) Volonté de Dieu et péché

La doctrine de la volonté de Dieu pose souvent de sérieuses questions qui n’ont encore jamais été résolues et qui ne le seront probablement jamais.

l) Si la volonté décrétive de Dieu a déterminé l’entrée du péché dans le monde, Dieu, de ce fait, est devenu l’auteur du péché, et a ainsi véritablement voulu quelque chose de contraire à ses perfections éthiques. Pour échapper à cette difficulté, les arminiens font dépendre la « volonté de Dieu à permettre le péché » de sa prescience des choix de l’homme. Les théologiens réformés, tout en maintenant que la volonté décrétive inclut aussi les actions pécheresses de l’homme (Ac 2:23, 3:18, etc.), sont toujours très prudents et font remarquer que l’on ne doit surtout pas en conclure que Dieu est l’auteur du péché. Ils admettent franchement qu’ils ne peuvent résoudre la difficulté, mais font simultanément quelques distinctions salutaires. La majorité insiste sur le fait que la volonté de Dieu quant au péché consiste simplement à permettre le péché, et non à le réaliser, comme il le fait d’un bien moral. Cette terminologie peut être utilisée, à condition d’être comprise correctement. Il faut se souvenir que « la volonté de Dieu à permettre le péché » est une chose certaine. Pour d’autres, tandis que les termes « volonté » et « vouloir » peuvent inclure une idée de satisfaction de soi-même ou de joie, ils peuvent aussi indiquer une simple détermination de la volonté; ainsi, « la volonté de Dieu à permettre le péché » n’implique pas nécessairement qu’il prenne plaisir au péché.

2) D’autre part, on prétend que les volontés décrétive et préceptive de Dieu sont souvent contradictoires. Sa volonté décrétive permet des choses que sa volonté préceptive défend (cf. Gn 22; Ex 4:13-23; 2 R 20:1-7; Ac 2:23). Cependant, il est très important de maintenir ensemble ces deux volontés, tout en nous souvenant que, si elles nous apparaissent distinctes, elles sont néanmoins fondamentalement une en Dieu. Bien qu’aucune solution parfaitement satisfaisante n’ait été trouvée jusqu’à présent, il est possible de s’en approcher. Quand nous parlons des volontés décrétive et préceptive de Dieu, nous utilisons le mot « volonté » selon deux sens différents. Au premier sens (volonté décrétive), Dieu a déterminé ce qu’il fera ou ce qui arrivera. Au deuxième sens (volonté préceptive), il nous révèle ce que, par devoir, nous sommes tenus de faire8. La loi morale, règle de notre vie, est également l’expression de la volonté de Dieu, de sa sainte nature, et de tout ce que celle-ci exige par essence de toutes les créatures morales. Ajoutons que les volontés décrétive et préceptive de Dieu n’entrent pas en conflit, parce que dans la première il prendrait plaisir au péché, tandis qu’il ne le ferait pas dans la seconde – ou parce que, selon la première, il ne voudrait pas le salut de chaque individu « avec une volonté positive », tandis que dans la seconde il le voudrait. En fait, même dans sa volonté décrétive, Dieu ne prend aucun plaisir au péché; et même dans sa volonté préceptive, il ne veut pas le salut de tout individu « avec une volonté positive ».

2. La puissance souveraine de Dieu

La souveraineté de Dieu trouve son expression, non seulement dans la volonté divine, mais aussi dans l’omnipotence de Dieu, ou le pouvoir qu’il a d’exécuter sa volonté, on peut identifier cette puissance qui est en Dieu avec l’énergie effective de sa nature, ou la définir comme « cette perfection de son être par laquelle il est la causalité absolue et suprême de toutes choses ». Il est courant d’établir une distinction entre:

potentia Dei absoluta (puissance absolue de Dieu) et

potentia Dei ordinata (puissance ordonnée de Dieu).

Cependant, les théologiens réformés ont rejeté cette distinction, du moins telle que la comprenaient les scolastiques, qui soutenaient que Dieu, en vertu de sa puissance absolue, peut se contredire et pourrait même pécher et s’annihiler lui-même. Les théologiens réformés reconnaissent en cette distinction l’expression d’une vérité réelle, bien qu’ils ne la représentent pas toujours de la même manière. Selon Hodge et Shedd, la puissance absolue est la capacité divine, exercée sans l’intervention de causes secondes; tandis que la puissance ordonnée est la capacité de Dieu, exercée par l’opération ordonnée de causes secondes9. L’opinion la plus générale est énoncée par Charnock de la façon suivante: « La puissance absolue de Dieu est cette puissance par laquelle Dieu peut tout faire, même ce qui n’est pas sa volonté, mais qu’il est possible qu’il fasse. La puissance ordonnée de Dieu est celle par laquelle Dieu fait ce qu’il a décrété vouloir faire. Ces deux puissances ne sont pas distinctes, mais constituent une seule et même puissance. Sa puissance ordonnée fait partie de sa puissance absolue, car s’il n’avait pas le pouvoir de faire tout ce qui est possible, il n’aurait peut-être pas le pouvoir de faire tout ce qu’il choisit de faire. »10

La potentia ordinata peut être définie comme « cette perfection de Dieu par laquelle il peut réaliser, par le simple exercice de sa volonté, tout ce qui est présent dans sa volonté ou son dessein. » La puissance de Dieu dans son exercice actuel se limite à ce qui est compris dans son décret éternel. Mais cela ne représente pas ses limites. Dieu pourrait faire plus que cela, si telle était son intention. En ce sens, nous pouvons parler de potentia absoluta, ou de la puissance absolue de Dieu.

Cette position doit être maintenue contre ceux qui, comme Schleiermacher et Strauss, soutiennent que la puissance de Dieu est limitée à ce qu’il accomplit effectivement. Mais en affirmant la puissance absolue de Dieu, il est nécessaire de se garder de tout malentendu. La Bible nous enseigne, d’une part, que la puissance de Dieu s’étend au-delà de ce qui est effectivement réalisé (Gn 18:14; Jr 32:27; Za 8:6; Mt 3:9, 26:53). Nous ne pouvons donc dire que Dieu est incapable de faire ce qu’il ne réalise pas.

Mais, d’autre part, la Bible indique qu’il y a beaucoup de choses que Dieu ne peut faire. Il ne peut ni mentir, ni pécher, ni changer, ni se renier lui-même (Nb 23:19; 1 S 15:29; 2 Tm 2:13; Hé 6:18; Jc 1:13, 17). Sa puissance absolue ne peut être séparée de ses perfections, et il ne peut donc faire des choses contradictoires. L’idée de l’omnipotence de Dieu est exprimée dans le nom ‘El Shaddai. La Bible en parle en termes certains (Jb 9:12; Ps 115:3; Jr 32:17; Mt 19:26; Lc 1:37; Rm 1:20; Ep 1:19). Dieu manifeste sa puissance dans la création (Rm 4:17; Es 44:24), dans les œuvres de la Providence (Hé l:3), et dans la rédemption des pécheurs (1 Co 1:24; Rm 11:16).

VII. LA SAINTE TRINITÉ11

A) La doctrine de la Trinité dans l’histoire

La doctrine de la Trinité a toujours présenté de grandes difficultés et il n’est donc pas étonnant que l’Eglise, dans sa tentative de la formuler, ait été régulièrement tentée de la rationaliser, et d’en donner des définitions non conformes aux données scripturaires.

l. La période pré-réformatrice

Les Juifs de l’époque de Jésus soulignaient très fortement l’unité de Dieu, et l’Eglise chrétienne les a suivis sur ce point. C’est la raison pour laquelle certains théologiens ont entièrement éliminé les distinctions de personnes existant au sein de la Trinité. D’autres n’ont pas réussi à reconnaître la divinité de la deuxième et de la troisième personnes de la Sainte Trinité. Tertullien fut le premier à utiliser le terme « Trinité » et à en formuler la doctrine, d’ailleurs incomplète, puisqu’elle comportait une subordination non justifiée du Fils au Père. Origène est même allé plus loin, en enseignant explicitement que le Fils est subordonné au Père « quant à l’essence », et que le Saint-Esprit est subordonné au Fils. Réduisant ainsi l’essence divine de ces deux personnes, il a fourni un tremplin aux ariens, qui niaient la divinité du Fils et du Saint-Esprit, représentant le Fils comme la première créature du Père, et le Saint-Esprit comme la première créature du Fils.

Ainsi, la consubstantialité du Fils et du Saint-Esprit avec le Père était sacrifiée afin de préserver l’unité de Dieu, les trois personnes de la Divinité différant par le rang. Si les ariens conservaient partiellement la doctrine des trois personnes dans la Divinité, par contre le monarchianisme, qui voulait à la fois préserver l’unité de Dieu et la divinité du Fils, l’a entièrement éliminée. Le monarchianisme dynamique n’a vu en Jésus qu’un homme et dans le Saint-Esprit qu’une influence divine, tandis que le monarchianisme modaliste a simplement considéré le Père, le Fils et le Saint-Esprit comme trois modes de manifestation revêtus successivement par la Divinité. Certains autres théologiens ont perdu de vue l’unité de Dieu, au point qu’ils ont abouti au trithéisme. Quelques monophysites tardifs comme Jean Ascunages et Jean Philoponus sont tombés dans cette erreur, ainsi que le nominaliste Roscelinius au Moyen Age.

L’Eglise commença à formuler sa doctrine de la Trinité au IVe siècle. Le Concile de Nicée (325) déclarait le Fils consubstantiel au Père, tandis que le Concile de Constantinople (381) affirmait la divinité du Saint-Esprit, bien que de manière moins précise. En ce qui concerne l’interrelation entre les trois personnes de la Trinité, la doctrine officielle affirme que le Fils est engendré par le Père, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. La doctrine de la Trinité a été énoncée le plus précisément à l’Est par Jean Damascene, bien qu’il retienne encore un élément de subordination, et à l’Ouest par saint Augustin dans son De Trinitate.

2. La période post-réformatrice

Cette période ne laisse apparaître aucun développement plus précis de la doctrine de la Trinité; par contre, d’aucuns sont revenus à certaines constructions primitives erronées. Les arminiens Episcopius, Curcellaeus et Limborgh ont repris la doctrine de la subordination, avant tout, semble-t-il, pour maintenir l’unité de la Divinité. Ils ont attribué au Père une certaine prééminence sur les autres personnes, « dans l’ordre, la dignité et la puissance ». Une position quelque peu similaire a été adoptée par Samuel Clarke en Angleterre et par le théologien luthérien Kahnis. D’autres ont suivi Sabellius, enseignant une forme de modalisme, comme par exemple Emmanuel Swedenborg, qui soutenait que le Dieu-homme éternel s’est incarné dans le Fils et a opéré par le Saint-Esprit; de même Hegel, qui parle du Père comme Dieu en lui-même, du Fils comme la forme objective de Dieu lui-même, et du Saint-Esprit comme Dieu retournant à lui-même; enfin, Schleiermacher, qui considère simplement les trois personnes de la Trinité comme trois aspects de Dieu: le Père représente Dieu comme l’unité fondamentale de toutes choses, le Fils comme venant dans la personnalité consciente de l’homme et le Saint-Esprit comme vivant dans l’Eglise.

Les sociniens de l’époque de la Réforme ont suivi Arius et sont même allés plus loin que lui, en réduisant le Christ à un homme et le Saint-Esprit à une influence ou une puissance. Ils sont les précurseurs des unitariens et des théologiens libéraux qui parlent de Jésus comme d’un maître divin et confondent le Saint-Esprit avec le Dieu immanent. Enfin, certains théologiens, considérant la notion de Trinité ontologique comme inintelligible, ont choisi de se limiter à la notion d’une simple Trinité économique, telle qu’elle se révèle dans l’œuvre de rédemption et dans l’expérience humaine.

Pendant longtemps, les théologiens se sont désintéressés de la doctrine de la Trinité, et la discussion théologique s’est centrée plus particulièrement sur la personnalité de Dieu. C’est Brunner et Barth qui ont de nouveau attiré l’attention sur son importance. Barth la replace fermement au premier plan, la mettant en relation avec la doctrine de la révélation; il y consacre une grande section dans sa Dogmatique. Matériellement, il fait dériver la doctrine de la Trinité de l’Ecriture, mais formellement et logiquement, il pense qu’elle est contenue dans cette phrase toute simple: « Dieu parle. » Il est Révélateur (le Père), Révélation (le Fils), et acte de Révélation (Saint-Esprit). Il se révèle, il est la Révélation, et il est aussi le contenu de la Révélation. Dieu est identifié à sa Révélation. Il demeure absolument libre et souverain dans sa Révélation. Barth n’est pas sabellien, car il reconnaît trois personnes dans la Divinité. En outre, il ne permet aucune subordination. Il déclare: « Ainsi, à ce Dieu qui, dans une inaltérable unité, est à la fois le Révélateur, l’acte de Révélation et le révélé, est également attribué ce triple mode d’être dans une inaltérable distinction. »12

B. Dieu comme Trinité dans l’unité

Le mot « Trinité » indique simplement l’état d’être trois, sans aucune implication quant à l’unité des trois. Cependant, il est généralement admis en théologie que ce terme technique inclut également les deux idées. Il est bien évident que, lorsque nous parlons de la Trinité de Dieu, nous parlons d’une trinité dans l’unité, et d’une unité trine.

1. Le caractère personnel de Dieu et la Trinité

Comme nous 1’avons établi précédemment, les attributs communicables de Dieu soulignent son caractère personnel, puisqu’ils le révèlent comme un Etre rationnel et moral. Sa vie est clairement définie dans 1’Ecriture comme une vie personnelle, et il est, bien sûr, primordial de maintenir le concept du Dieu personnel. En effet, sans cela, il ne peut y avoir aucune religion au sens réel du mot: pas de prière, pas de communion personnelle, pas de confiance et pas d’espoir possibles. Puisque l’homme est créé à l’image de Dieu, nous pouvons appréhender quelque chose de la vie personnelle de Dieu, en étudiant la personne humaine. Nous devrions cependant être prudents et ne pas mesurer le caractère personnel de Dieu à l’aune de celui de l’homme. Le caractère personnel originel n’est pas en l’homme mais en Dieu, celui-ci étant archétypique, et celui-là ectypique. Le caractère personnel de l’homme n’est pas identique à celui de Dieu, mais présente simplement quelques similitudes avec lui. Nous ne devrions pas dire que l’homme est personnel, tandis que Dieu est super-personnel (ce terme est inapproprié), car ce qui est super-personnel n’est pas personnel. Il est préférable de dire que ce qui apparaît comme imparfait en l’homme existe avec une infinie perfection en Dieu. La seule différence fondamentale entre les deux est que l’homme est unipersonnel, alors que Dieu est tri-personnel. Cette existence tri-personnelle est une nécessité dans l’Etre Divin et, en aucun cas, le résultat d’un choix de Dieu. Il ne pourrait exister sous aucune autre forme qu’une forme tri-personnelle.

Plusieurs argumentations ont été avancées, dont la plus courante part de l’idée de caractère personnel lui-même. Shedd fonde son raisonnement sur l’auto-conscience « générale » du Dieu trine, distinguée de l’auto-conscience individuelle et particulière de chacune des personnes de la Divinité; en effet, dans l’auto-conscience, le sujet doit se connaître comme un objet et percevoir aussi qu’il se connaît ainsi. Ceci n’est possible en Dieu qu’à cause de son existence trine. Il sait qu’il ne pourrait se contempler lui-même, se connaître lui-même et communier avec lui-même s’il n’était pas trine dans sa constitution13. Barlett présente de façon intéressante une diversité de considérations pour prouver que Dieu est nécessairement tri-personnel14. L’argument du caractère personnel pour prouver la pluralité qui existe en Dieu peut être formulé ainsi: l’homme ne prend conscience de lui-même que lorsqu’il entre en contact avec quelqu’un d’autre. Le caractère personnel ne se développe ni n’existe dans l’isolement, mais seulement en relation avec d’autres personnes. De cette constatation, nous concluons qu’il n’est pas possible de concevoir de caractère personnel en Dieu, sauf s’il existe plusieurs personnes « égales » en lui. Les relations qu’il entretient avec ses créatures ne pourraient rendre compte de son caractère personnel, pas plus que les relations que l’homme entretient avec les animaux ne pourraient expliquer son caractère personnel. L’existence tri-personnelle de Dieu lui procure une plénitude de vie divine. L’apôtre Paul parle de cette pleroma (plénitude) de la Divinité en Ephésiens 3:19, en Colossiens 1:9 et 2:9. Sachant qu’il existe trois personnes en Dieu, il est plus adéquat de dire que Dieu est personnel que de parler de lui comme d’une personne.

2. Preuves scripturaires de la doctrine de la Trinité

Cette doctrine est véritablement une doctrine révélée. D’une part, il est vrai que, par la simple raison humaine, les hommes ont pu proposer quelques arguments pour l’étayer. Ils ont quelquefois abandonné l’idée d’une unité simple en Dieu pour des raisons purement philosophiques, et ont introduit la notion d’un mouvement vivant et d’une auto-distinction.

D’autre part, il est vrai aussi que l’expérience chrétienne semble nécessiter une telle conception de Dieu. Mais en même temps, il faut reconnaître que c’est une doctrine que nous n’aurions ni pu connaître ni été capables de maintenir avec confiance sur la base de l’expérience seule. C’est la révélation spéciale de Dieu qui nous l’a enseignée. Il est donc fondamental d’en rassembler les preuves scripturaires.

a) Preuves vétérotestamentaires

D’un côté, certains des premiers Pères de l’Eglise et certains théologiens tardifs, sans considérer le caractère progressif de la révélation de Dieu, ont prétendu que la doctrine de la Trinité était déjà complètement révélée dans l’Ancien Testament. D’un autre côté, les sociniens et les arminiens pensaient qu’elle ne s’y trouvait pas du tout. Les uns et les autres étaient dans l’erreur. L’Ancien Testament ne contient pas une pleine révélation de l’existence trinitaire de Dieu, mais en contient en revanche plusieurs indications véritables.

C’est d’ailleurs exactement ce que l’on peut attendre de la Bible. Elle ne traite jamais de la doctrine de la Trinité comme d’une vérité abstraite, mais révèle la vie trinitaire dans ses diverses relations comme une réalité vivante, en rapport, en général, avec les œuvres de création et de providence et, en particulier, avec l’œuvre de rédemption. Sa révélation la plus fondamentale est donnée par les faits plutôt que par les mots. Et cette révélation s’éclaire au fur et à mesure que l’œuvre rédemptrice de Dieu est plus clairement révélée, comme l’incarnation du Fils et l’effusion du Saint-Esprit. Plus la réalité glorieuse de la Trinité ressort dans les faits historiques, plus les affirmations de la doctrine deviennent limpides. La révélation complète de la Trinité dans le Nouveau Testament est due au fait que la Parole s’est faite chair et que le Saint-Esprit a fait de l’Eglise sa demeure.

On a parfois voulu trouver la preuve de la doctrine de la Trinité dans la distinction entre YHWH et Elohim et dans la forme plurielle du mot Elohim; le premier argument est injustifié et le second douteux15. Il est possible que les passages dans lesquels Dieu parle de lui-même au pluriel (Gn 1:26, 11:17) contiennent une indication de distinctions personnelles en Dieu. Cependant, même celles-ci n’indiquent pas forcément une Trinité, mais simplement une pluralité de personnes.

On trouve des indications de distinctions personnelles dans les passages qui se réfèrent à l’Ange de l’Eternel (à la fois identifié à l’Eternel lui-même et différencié de lui) – Genèse 16:7-13, 18:1-21, 19:1-28; Malachie 3:1 – et dans les passages dans lesquels la Parole ou la Sagesse de Dieu sont personnifiées (Ps 33:4, 6; Pr 8:12-31). Dans certains cas, plusieurs personnes sont mentionnées (Ps 33:6, 45:6, 7, cp. Hé 1:8, 9). Dans d’autres, Dieu est l’interlocuteur et parle à la fois du Messie et de l’Esprit, ou alors le Messie est l’interlocuteur et parle à la fois de Dieu et de l’Esprit (Es 48:16, 61:1, 63:9, 10). Ainsi, on trouve dans l’Ancien Testament une anticipation claire de la Trinité telle qu’elle nous est révélée dans le Nouveau Testament.

b) Preuves néotestamentaires

Le Nouveau Testament contient une révélation plus claire des distinctions personnelles existant au sein de la Divinité. Si YHWH est représenté dans l’Ancien Testament comme le Rédempteur et le Sauveur de son peuple (Jb 19:25; Ps 19:14, 78:35, 106:21; Es 41:14, 43: 3, 11, 14, 47:4, 49:7, 26, 60:16; Jr 14:3, 50:14; Os 13:3), c’est le Fils de Dieu qui remplit ce rôle dans le Nouveau Testament (Mt 1:21; Lc 1:76-79, 2:17; Jn 4:42; Ac 5:3; Ga 3:13, 4:5; Ph 3:30; Tt 2:13, 14). Si, dans l’Ancien Testament, YHWH habite au milieu d’Israël et dans les cœurs de ceux qui le craignent (Ps 74:2, 135:21; Es 8:18, 57:15; Ez 43:7-9; Jl 3:17, 21; Za 2:10-11), dans le Nouveau Testament, c’est le Saint-Esprit qui habite dans l’Eglise (Ac 2:4; Rm 8:9, 11; 1 Co 3:16; Ga 4:6; Ep 2:22; Jc 4:5). Le Nouveau Testament révèle clairement Dieu, envoyant son Fils dans le monde (Jn 3:16; Ga 4:4; Hé 1:6; 1 Jn 4:9), ainsi que le Père et le Fils envoyant l’Esprit (Jn 14:26, 15:26, 16:7; Ga 4:6). Le Père s’adresse au Fils (Mc 1:11; Lc 3:22), le Fils communie avec le Père (Mt 11:25-26, 26:39; Jn 11:41, 12:27-28), et le Saint-Esprit prie Dieu dans le cœur des croyants (Rm 8:26).

Les trois personnes de la Trinité nous sont ainsi révélées explicitement. Au baptême du Fils, le Père parle depuis le ciel et le Saint-Esprit descend sous la forme d’une colombe (Mt 3:16-17). Dans la mission confiée à l’Eglise par Jésus, celui-ci parle des trois personnes de la Trinité: « … les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » (Mt 28:19) On mentionne aussi ces trois personnes en 1 Corinthiens 12:4-6, 2 Corinthiens 13:14 et 1 Pierre 1:2. Le seul passage indiquant très précisément la tri-unité de Dieu est 1 Jean 5:7, mais son authenticité est douteuse, ce qui l’a fait éliminer des éditions critiques les plus récentes du Nouveau Testament.

3. Exposé de la doctrine de la Trinité

On peut étudier plus brièvement cette doctrine en la reliant aux différentes affirmations qui constituent la quintessence de la foi de l’Eglise sur ce point.

a) L’Etre Divin est constitué d’une seule essence indivisible (ousia, essentia)

Dieu est un dans son Etre essentiel ou dans sa nature. Certains des premiers Pères de l’Eglise ont utilisé le terme substantia comme synonyme d’essentia. Les écrivains postérieurs ont évité cet usage, parce que, dans l’Eglise latine, substantia était utilisé pour traduire à la fois hupostasis et ousia. Ceci était donc ambigu. De nos jours, « substance » et « essence » sont interchangeables. Cela importe peu, pourvu que nous gardions à l’esprit que ces deux mots ont des connotations légèrement différentes. Shedd les distingue ainsi:

« Le terme essence, de esse (être), désigne un être dynamique; il décrit Dieu comme la somme totale de perfections infinies. C’est un mot actif et spirituel. Le mot substance, de substare, implique une virtualité (litt.: une possibilité latente d’être); il décrit Dieu comme le principe fondamental d’activités infinies. C’est un mot passif et matériel. On parlera plus volontiers de substance matérielle que d’essence matérielle. »16

Nous avons déjà étudié précédemment la notion d’unité de Dieu, il n’est donc pas nécessaire d’y revenir en détail. Rappelons simplement qu’elle s’appuie, d’une part sur des textes tels que Deutéronome 6:4, Jacques 2:19, d’autre part sur l’aséité et l’immutabilité de Dieu, et enfin sur le fait qu’il est identique à ses perfections (quand on dit, par exemple, qu’il est la vie, la lumière, la vérité, la justice, etc.).

b) Dans cet Etre Divin unique, il existe trois personnes ou existences individuelles: le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Les différents passages que nous avons déjà évoqués établissent la doctrine de la Trinité. Pour marquer ces distinctions dans la Divinité, les auteurs grecs ont en général employé le terme hupostasis, alors que les auteurs latins ont utilisé le terme persona et quelquefois celui de substantia. Le premier pouvant induire en erreur et le second étant ambigu, les théologiens forgèrent le mot subsistentia. La variété des termes utilisés montre bien que leur inadéquation était parfaitement perçue. On admet en général que le mot « personne » n’est que l’expression imparfaite du concept lui correspondant. Dans le langage courant, il désigne un individu distinct, rationnel et moral, doté d’une conscience propre, et conscient de son identité, malgré les changements possibles autour de lui. L’expérience nous enseigne que, là où il y a une personne, il y a aussi une essence individuelle et distincte. Chaque personne est un individu différent et séparé, doté d’une nature individualisée. Mais en Dieu, il n’y a pas trois individus juxtaposés l’un à l’autre, ni séparés les uns des autres, mais seulement trois consciences personnelles au sein de l’essence Divine, qui n’est pas seulement génériquement mais aussi numériquement une. En conséquence, beaucoup ont préféré parler de trois hypostases en Dieu, de trois modes différents, non pas de manifestation comme l’enseignait Sabellius, mais d’« existence » ou de « subsistance ». Ainsi Calvin écrit: « J’appelle une ‹personne› une ‹subsistance› en l’essence de Dieu, qui, ayant relation à d’autres personnes divines, est distinguée d’elles par une propriété incommunicable. »17

Ceci est parfaitement correct et peut éviter un malentendu, à condition de ne pas oublier que les consciences existant dans l’Etre Divin impliquent un « je », un « tu » et un « il » qui supposent des relations personnelles entre elles (Mt 3:6, 4:1; Jn 1:18, 3:16, 5:20-22, 14:26, 15:26, 16:13-15).

c) La totalité de l’essence de Dieu appartient également à chacune des trois personnes

Cela signifie que l’essence divine ne se répartit pas entre les trois personnes, mais qu’elle est entièrement dans sa perfection absolue dans chacune des trois personnes, de sorte qu’elles ont une unité numérique d’essence. La nature divine se distingue de la nature humaine, parce qu’elle existe d’une manière « totale et indivisible » en plusieurs personnes. Quand on dit de trois personnes humaines qu’elles ont une unité « spécifique » de nature ou d’essence, c’est qu’elles ont une même sorte de nature ou d’essence. Par contre, quand on dit des personnes divines qu’elles ont une unité « numérique » d’essence, c’est qu’elles possèdent une essence identique. On peut considérer la nature ou l’essence humaine comme une espèce dont chaque homme a sa part individuelle, de sorte qu’il y a une unité « d’espèce ». Mais la nature de Dieu est indivisible et donc identique dans les personnes de la Divinité. Elle est numériquement une seule et même nature et, donc, l’unité d’essence dans les personnes est une unité numérique. De cela, il découle que l’essence divine n’existe pas indépendamment des trois personnes. Il n’y a aucune existence en dehors des trois personnes. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de vraie unité, mais une division qui nous conduirait au tétra-théisme. La distinction personnelle est une au sein de l’essence divine. Il s’agit, selon le terme usuel, de trois modes d’existence. Une autre conclusion découle de ce qui précède: il ne peut y avoir aucune subordination de « l’Etre essentiel » d’une personne de la Divinité à l’autre, et donc aucune différence sur le plan de la dignité personnelle. Il faut maintenir cela contre le subordinationisme d’Origène, de certains autres premiers Pères de l’Eglise, des arminiens, de Clarke et d’autres théologiens anglicans. La seule subordination dont nous puissions parler est celle qui concerne l’ordre et la relation. Lorsque nous réfléchissons spécialement aux relations entre les trois personnes de l’essence divine, nous ne disposons de plus aucune analogie. Nous réalisons alors que la Trinité est un mystère bien au-delà de notre compréhension, et c’est là sa gloire incompréhensible. Tout comme la nature humaine est trop riche et trop pleine pour être contenue en un seul individu et ne trouve sa plénitude que dans l’humanité tout entière, ainsi l’Etre de Dieu ne se déploie dans toute sa plénitude que dans la triple existence du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

d) L’existence et le mode d’opération des trois personnes de l’Etre Divin sont marqués par un ordre précis et défini

Il y a un certain ordre dans la Trinité ontologique. En ce qui concerne l’existence personnelle, le Père est premier, le Fils second et le Saint-Esprit troisième. Rappelons ici que cet ordre ne s’applique ni au temps ni à la dignité essentielle des personnes. Il s’applique uniquement à l’ordre logique, selon lequel le Père n’est pas engendré et ne procède de personne, le Fils est éternellement engendré du Père, et l’Esprit Saint procède du Père et du Fils de toute éternité. Etre engendré et procéder ont bien lieu à l’intérieur de l’Etre Divin et impliquent une certaine subordination quant à la manière personnelle d’exister, mais aucune subordination en ce qui concerne la possession de l’essence Divine.

Cette Trinité ontologique et l’ordre qui lui est inhérent constituent le fondement métaphysique de la Trinité économique. Il est donc naturel d’admettre que l’ordre existant au sein de la Trinité essentielle se reflète dans les opera ad extra, attribués plus particulièrement à chacune des personnes. L’Ecriture indique clairement cet ordre par les propositiones distinctionales: ek, dia et en, utilisées pour exprimer l’idée que toutes choses proviennent du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit.

e) Les trois personnes se distinguent par des attributs personnels

Ceux-ci sont également qualifiés d’opera ad intra, parce qu’ils n’ont d’influence qu’à l’intérieur de l’Etre Divin, et non pas sur la créature. Il s’agit d’opérations personnelles qui ne sont pas remplies par les trois personnes, et qui sont incommunicables. L’engendrement est un acte du Père seul, la filiation n’appartient qu’au Fils, la procession ne peut être attribuée qu’au Saint-Esprit. En tant qu’opera ad intra, ces œuvres se distinguent des opera ad extra, c’est-à-dire de ces activités et de ces effets par lesquels la Trinité se manifeste extérieurement. Les opera ad extra ne sont jamais les œuvres d’une seule personne, mais toujours de l’Etre Divin tout entier.

En même temps, il est vrai que, selon l’ordre économique des œuvres de Dieu, certains opera ad extra sont attribués plus particulièrement à une personne, et d’autres plus spécialement à une autre. Bien qu’ils soient tous conjointement l’œuvre des trois personnes, la création est d’abord attribuée au Père, la rédemption au Fils et la sanctification au Saint-Esprit. Cet ordre, selon lequel se déroulent les opérations divines, nous renvoie à l’ordre essentiel de Dieu, et constitue le fondement de ce qu’on appelle, d’une manière générale, la Trinité économique.

f) L’Eglise confesse que la Trinité est un mystère que l’homme ne peut comprendre

La Trinité est un mystère, non pas seulement au sens biblique du terme (vérité d’abord cachée et maintenant révélée), mais aussi au sens profane, selon lequel l’homme ne peut ni comprendre, ni rendre intelligible un tel concept. Nous pouvons appréhender d’une manière intelligible certaines relations et certains modes de manifestation de la Trinité, mais non pas sa nature essentielle.

Tous les efforts qui ont été tentés pour expliquer ce mystère relèvent de la spéculation plutôt que de la théologie. Ils résultent invariablement d’une conception tri-théiste ou modaliste de Dieu, c’est-à-dire d’un refus d’une unité au sein de l’essence divine, ou de la réalité de distinctions personnelles à l’intérieur de cette essence. C’est la relation existant entre les personnes divines au sein de la Trinité qui pose problème, et cela l’Eglise ne peut pas l’effacer. Elle ne peut qu’essayer de formuler une définition appropriée. Elle n’a jamais tenté d’expliquer le mystère de la Trinité, mais uniquement cherché à en formuler la doctrine, de manière à écarter les erreurs qui la menaçaient.

4. Quelques analogies

Depuis le tout début de l’ère chrétienne, on a essayé de rendre compréhensible la notion d’Etre Trinitaire de Dieu (la trinité dans l’unité, et l’unité dans la trinité) à l’aide d’analogies diverses. Bien qu’elles soient toutes imparfaites, on ne peut leur refuser quelque valeur dans la discussion trinitaire. Ceci est particulièrement vrai pour celles qui ont un rapport avec la nature constitutionnelle ou la psychologie de l’homme. Sachant que l’homme a été créé à l’image de Dieu, il est normal de supposer que, s’il y a des traces de vie trinitaire dans la créature, c’est en l’homme qu’elles seront les plus apparentes.

a) Certaines de ces analogies ont été empruntées à la nature inanimée, ou à la vie des plantes, comme l’eau de la fontaine, le ruisseau et la rivière, ou la brume qui se lève, le nuage et la pluie (ou bien la neige et la glace), ou l’arbre avec sa racine, son tronc et ses branches. Ces illustrations et d’autres du même genre sont très imparfaites, car l’idée de personnalité en est entièrement absente. Si elles illustrent bien ce qu’est la nature, elles ne sont plus adéquates quand il s’agit d’éclairer l’essence qui est présente, non pas partiellement, mais totalement, dans chacune des parties ou des formes qui constituent cette nature.

b) D’autres, plus importantes, ont été tirées de la vie de l’homme, surtout de la constitution et des mécanismes de l’esprit humain. On leur a attribué une signification spéciale, parce que l’homme porte en lui l’image de Dieu. Les combinaisons: psychologique (saint Augustin: intellect, affectivité et volonté), ou bien logique (Hegel: thèse, antithèse et synthèse), ou encore métaphysique (Olshausen ou Shedd: sujet, objet et sujet-objet) appartiennent à cette catégorie. Nous avons là une certaine trinité dans l’unité, mais pas de tri-personnalité dans l’unité de substance.

c) On a aussi attiré l’attention sur la nature de l’amour. En effet, il présuppose un sujet et un objet, et exige l’union des deux, de sorte que, lorsque l’amour se manifeste parfaitement, trois éléments sont inclus. Mais il est aisé de constater que cette analogie est erronée, puisqu’elle coordonne deux personnes et une relation. Elle n’illustre nullement une tri-personnalité. D’ailleurs, elle ne se réfère qu’à une qualité et non pas à une substance, que posséderaient en commun le sujet et l’objet.

C. Les trois personnes considérées séparément

1. Le Père, première personne de la Trinité

a) Le nom « Père » appliqué à Dieu

Il n’est pas toujours utilisé dans le même sens dans l’Ecriture:

(1) On l’applique parfois au Dieu trine, origine de toutes les choses créées (1 Co 8:6; Ep 3:15; Hé 12:9; Jc 1:17), mais, le plus souvent, il désigne la première personne de la Trinité, à qui est attribuée plus spécialement l’œuvre de création dans l’Ecriture.

(2) On l’applique également au Dieu trine, pour exprimer la relation théocratique qu’il entretient avec Israël son peuple (Dt 32:6; Es 63:16, 64:8; Jr 3:4; Ml 1:6, 2:10).

(3) Dans le Nouveau Testament, ce nom est en général utilisé pour désigner le Dieu trine comme le Père de tous ses enfants spirituels au sens éthique (Mt 5:45, 6:6-15; Rm 8:16; 1 Jn 3:1).

(4) Dans un sens totalement différent, ce nom s’applique aussi à la première personne de la Trinité, dans sa relation avec la deuxième personne (Jn 1:14, 18, 5:17-26, 8:54, 14:12-13). La première personne est le Père de la seconde au sens métaphysique. Toute paternité terrestre n’est qu’un pâle reflet de cette paternité originelle de Dieu.

b) Caractéristique du Père

Le Père, négativement parlant, n’est ni engendré, ni créé, et positivement, il engendre le Fils, et le Saint-Esprit procède de lui. Il est bien vrai que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, mais ce dernier n’engendre pas parallèlement. Donc, la seule œuvre qui appartient au Père seul est l’engendrement.

c) Les opera ad extra attribués plus particulièrement au Père

Tous les opera ad extra de Dieu sont les œuvres du Dieu trine. Toutefois, le Père se situe au premier plan dans certaines de ces œuvres:

(1) Dans l’œuvre de rédemption, qui comprend aussi l’élection, dont le Fils a été lui-même l’objet (Ps 2:7-9, 40:6-9; Es 53:10; Mt 12:32; Ep 1:3-6).

(2) Dans les œuvres de création et de Providence, spécialement à leur stade initial (1 Co 8:6; Ep 2:9).

(3) Dans l’œuvre de représentation de la Trinité au Conseil de Rédemption, comme l’Etre saint et juste dont le droit a été violé (traduction littérale) (Ps 2:7-9, 40:6-9; Jn 6:37, 38, 17:4-7).

2. Le Fils, deuxième personne de la Trinité

a) Le nom de « Fils » appliqué à la deuxième personne

La deuxième personne de la Trinité est appelée « Fils » ou « Fils de Dieu »:

(1) Au sens métaphysique.

Ceci doit être maintenu fermement contre les sociniens et les unitariens, qui rejettent l’idée d’une Divinité tri-personnelle, voient en Jésus un simple homme, et considèrent son nom de « Fils de Dieu » comme un titre honorifique qui lui a été conféré. Il est bien évident que Jésus-Christ est représenté comme le Fils de Dieu dans l’Ecriture, indépendamment de sa position et de son œuvre de médiateur.

(a) On en parle comme du Fils de Dieu du point de vue de la pré-incarnation, par exemple en Jean 1:14, 18, Galates 4:4.

(b) Il est appelé le Fils unique de Dieu ou du Père, et on ne lui aurait pas attribué ce terme s’il n’avait été le Fils de Dieu que dans un sens officiel et éthique (Jn 1:14, 18, 3:16, 18; 1 Jn 4:9 (cp. 2 S 7:14); Jb 2:1; Ps 2:7; Lc 3:38; Jn 1:12).

(c) Dans certains passages, il est évident, en s’appuyant sur le contexte, que ce nom indique la divinité du Christ (Jn 5:18-25; Hé 1).

(d) Si Jésus enseignait à ses disciples à considérer Dieu comme leur Père et à s’adresser à lui comme à notre Père, il parlait lui-même de Dieu comme de son Père et lui disait Père ou mon Père, montrant ainsi qu’il était conscient d’une relation unique au Père (Mt 6:9, 7:21; Jn 20:17).

(e) Selon Matthieu 11:27, Jésus en tant que Fils de Dieu revendique une connaissance unique de Dieu, telle que personne ne peut la posséder.

(f) Les Juifs ont bien compris que Jésus revendiquait le titre de Fils de Dieu au sens métaphysique, car ils ont considéré comme un blasphème la manière dont il se déclarait lui-même Fils de Dieu (Mt 26:63; Jn 5:18, 10:36).

(2) Au sens officiel ou messianique.

Dans certains passages, le mot est employé au sens officiel ou messianique et au sens métaphysique. Dans d’autres, l’expression « Fils de Dieu » est appliquée au Christ en tant que Médiateur (Mt 8:29, 26:63 – aux deux sens -, 27:40; Jn 1:49, 11:27).

Cette caractéristique de « Fils-Messie » est, bien sûr, reliée à la nature originelle de « Fils » du Christ. C’est seulement parce qu’il est le Fils éternel de Dieu par essence qu’on a pu l’appeler Fils de Dieu en tant que Messie. Du reste, la caractéristique de Fils-Messie reflète la nature de « Fils éternel » du Christ. C’est même pour cela que Dieu est appelé le Dieu du Fils (2 Co 11:31; Ep 1:3) et qu’il est parfois mentionné comme Dieu à côté du Seigneur (Jn 17:3; 1 Co 8:6; Ep 4:5-6).

(3) Au sens naturel.

Le nom de Fils de Dieu est aussi donné à Jésus parce qu’il doit sa naissance au Père. Il a été engendré, selon sa nature humaine, par l’opération surnaturelle du Saint-Esprit, et dans ce sens il est le Fils de Dieu. Luc 1:32, 35 l’indique très clairement. On peut le déduire probablement aussi de Jean 1:13.

b) L’existence personnelle du Fils

Elle doit être maintenue fermement contre les modalistes qui, d’une manière ou d’une autre, refusent d’admettre qu’il existe des distinctions personnelles dans la Divinité. La personnalité du Fils peut être justifiée ainsi:

(1) La manière dont la Bible parle du Père et du Fils l’un à côté de l’autre implique que les deux sont également personnels, et indique une relation personnelle entre les deux.

(2) L’utilisation des qualificatifs « unique » et « premier-né » implique que la relation entre le Père et le Fils, même si elle est unique, peut néanmoins être approximativement représentée comme une relation d’engendrement et de naissance. L’expression « premier-né », que l’on trouve en Colossiens 1:15, Hébreux 1:6, souligne l’engendrement du Fils de toute éternité. Cela signifie simplement qu’il existait avant la création.

(3) L’utilisation parallèle du mot Logos dans l’Ecriture va dans le même sens. On applique ce terme au Fils, non pas d’abord pour exprimer sa relation avec le monde (qui est tout à fait secondaire), mais pour indiquer la relation intime qu’il entretient avec le Père, comme celle qui existe entre la parole et celui qui parle. Contrairement à la philosophie, la Bible considère le Logos comme une personne et l’identifie au Fils de Dieu (Jn 1:1-14; 1 Jn 1:1-3).

(4) Le Fils est décrit comme l’image même de Dieu en 2 Corinthiens 4:4, Colossiens 1:15, Hébreux 1:3. Dieu apparaît clairement dans l’Ecriture comme un Etre personnel. Si le Fils de Dieu est l’image même de Dieu, alors il doit être aussi une personne.

c) L’engendrement du Fils de toute éternité

La qualité personnelle du Fils est d’être engendré du Père de toute éternité, et de partager avec le Père la « spiration » de l’Esprit. La doctrine de l’engendrement du Fils est suggérée par la façon dont la Bible représente la première et la deuxième personne de la Trinité dans une relation Père-Fils. Non seulement les mots « Père » et « Fils » suggèrent un engendrement du second par le premier, mais le Fils est aussi régulièrement appelé « l’unique » (Jn 1:14, 18, 3:16, 18; Hé 11:17; 1 Jn 4:9). Plusieurs particularités sont soulignées au sujet de l’engendrement du Fils:

(1) C’est un acte nécessaire de Dieu.

Origène, l’un des premiers à parler de l’engendrement du Fils, le considérait comme un acte dépendant de la volonté du Père et par conséquent comme un acte libre. D’autres, à différentes époques, ont exprimé la même opinion. Mais Athanase et d’autres ont clairement vu qu’un engendrement dépendant d’un dessein de la volonté du Père entraînerait une existence contingente du Fils et lui ôterait donc sa divinité. Ainsi, le Fils ne serait plus égal et homoousios (d’une même substance) au Père, car le Père existe nécessairement et l’on ne peut concevoir qu’il n’ait pas existé. L’engendrement du Fils doit être considéré comme un acte nécessaire et parfaitement naturel de Dieu. Cela ne veut pas dire qu’il n’a aucun rapport avec la volonté du Père. Celle-ci, quoique simplement concomitante à cet acte nécessaire, a participé joyeusement à ce dernier.

(2) C’est un acte éternel du Père.

Cette affirmation est la suite logique de ce qui précède. Si l’engendrement du Fils est un acte nécessaire du Père, alors il est impossible d’imaginer le Fils comme non engendré, puisqu’il partage naturellement l’éternité du Père. Cela ne signifie pas cependant que c’est un acte accompli dans un passé lointain, mais seulement qu’il s’agit d’un acte éternel, éternellement présent, toujours continué et cependant jamais achevé. Son éternité ne résulte pas seulement de l’éternité de Dieu, mais aussi de l’immutabilité divine et de la véritable divinité du Fils. Tout cela peut être déduit des passages de l’Ecriture qui enseignent la préexistence du Fils et son égalité avec le Père (Mi 5:2; Jn 1:14, 18, 3:16, 5:17-18, 30, 36; Ac 13:33; Jn 17:5; Col 1:16; Hé1:3). L’affirmation du verset 7 du Psaume 2 (« Tu es mon Fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui ») est généralement citée pour prouver l’engendrement du Fils, contrairement à l’opinion de certains qui, s’appuyant sur les textes d’Actes 13:33 et d’Hébreux 1:5, supposent que ces mots se réfèrent à l’élévation de Jésus au rang de Roi messianique et à sa reconnaissance comme Fils de Dieu au sens officiel. Ces mots seraient ainsi probablement liés à la personne contenue en 2 Samuel 7:14, tout comme ils le sont en Hébreux 1:5.

(3) C’est un engendrement de l’existence personnelle, plutôt que de l’essence divine du Fils.

Certains ont laissé supposer que le Père a engendré l’essence du Fils, mais cela reviendrait à dire qu’il a engendré sa propre essence, car l’essence du Père et du Fils est la même. Il est préférable de dire que le Père engendre l’existence personnelle du Fils, et lui communique ainsi l’essence divine dans sa totalité.

Mais ce faisant, nous devons nous garder de l’idée que le Père a d’abord engendré une seconde personne, puis qu’il lui a communiqué l’essence divine. En effet, cela nous mènerait à la conclusion que le Fils n’a pas été engendré de l’essence divine, mais créé ex nihilo. Dans l’engendrement, il y a eu communication d’essence. Cela a été un acte indivisible. Et en vertu de cette communication, le Fils a aussi la vie en lui-même. Ceci est en accord avec l’affirmation de Jésus: « En effet, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. » (Jn 5:26)

(4) Cet engendrement doit être considéré comme spirituel et divin.

Contrairement aux ariens qui disaient que l’engendrement du Fils implique nécessairement une division dans l’Etre Divin, les Pères de l’Eglise soulignaient le fait que cet engendrement doit être considéré, non comme physique et « créaturel » mais comme spirituel et divin, excluant ainsi toute idée de division ou de changement. Il entraîne distinctio et distributio, mais non diversitas ou divisio dans l’Etre de Dieu (Bavinck). C’est dans le couple pensée-parole de l’homme que l’on trouve la meilleure analogie de cette affirmation. La Bible elle-même semble l’indiquer, quand elle parle du Fils comme du Logos.

(5) On peut définir ainsi l’engendrement du Fils: « C’est par un acte éternel et nécessaire de la première personne de la Trinité que celle-ci est, au sein de la Divinité, le fondement d’une existence personnelle seconde semblable à la sienne, à laquelle elle communique la totalité de son essence divine, sans aucune division, aliénation ou changement. »

d) La divinité du Fils

Dans l’Eglise primitive, ébionites, alogiens, monarchianistes dynamiques et ariens l’ont niée. A l’époque de la Réforme, les sociniens les ont suivis et ont considéré Jésus comme un simple homme. Schleiermacher et Ritschl ont soutenu la même thèse, ainsi que l’école libérale (en particulier en Allemagne), les unitariens, les modernistes et les humanistes contemporains. Ce refus ne peut s’expliquer que par une méconnaissance des enseignements de l’Ecriture, pourtant clairs en ce qui concerne la divinité du Christ18.

(l) L’Ecriture affirme explicitement la divinité du Fils (Jn 1:1, 20:28; Rm 9:5; Ph 2:6; Tt 2:13; 1 Jn 5:20).

(2) L’Ecriture lui applique des noms divins (Es 9:6, 40:3; Jr 23:5,-6; Jl 2:32, à comparer avec Ac 2:21, 1 Tm 3:16).

(3) L’Ecriture lui confère des attributs divins comme l’éternité (Es 9:6; Jn 1:1-2; Ap 1:8, 22:13), l’omniprésence (Mt 18:20, 28:20; Jn 3:13), l’omniscience (Jn 2:24-25, 21:17; Ap 2:23), l’omnipotence (Es 9:6; Ph 3:21; Ap 1:8), l’immutabilité (Hé 1:10-12, 13:8), et en général tout attribut appartenant au Père (Col 2:9).

(4) L’Ecriture parle de lui comme accomplissant les œuvres de Dieu comme la création (Jn 1:3, 10; Col 1:16; Hé 1:2, 10), la Providence (Lc 10:22; Jn 3:35, 17:2; Ep 1:22; Col 1:17; Hé 1:3), le pardon des péchés (Mt 9:2-7; Mc 2:7-10; Col 3:13), la résurrection et le jugement (Mt 25:31-32; Jn 5:19-29; Ac 10:42, 17:31; Ph 4:21; 2 Tm 4:1), la dissolution et le renouvellement de toutes choses aux temps eschatologiques (Hé 1:10-12; Ph 3:21; Ap 21:5).

(5) L’Ecriture lui confère l’honneur divin (Jn 5:22-23, 14:1; 1 Co 15:19; 2 Co 13:13; Hé 1:6; Mt 28:19).

e) La place du Fils dans la Trinité économique

Notons que l’ordre existant dans la Trinité économique reflète celui de la Trinité ontologique. Le Fils occupe la deuxième place dans les opera ad extra. C’est du Père que viennent toutes choses, mais elles sont par le Fils (1 Co 8:6). Si le Père est la cause absolue de toutes choses, le Fils en est clairement la « cause médiatrice ». Ainsi, dans la sphère naturelle, le Fils crée et maintient toutes choses (Jn 1:3, 10; Hé 1:2-3). Il est la lumière qui éclaire tout homme dans le monde (Jn 1:9). De même, dans la sphère de rédemption, il accepte d’être le garant de son peuple et d’exécuter le plan de rédemption du Père (Ps 40:7-8). C’est par son incarnation, ses souffrances et sa mort qu’il mène plus particulièrement cette œuvre à bien (Ep 1:3-14). C’est en relation avec cette fonction qu’on lui attribue plus spécialement la sagesse et la puissance (1 Co 1:24; Hé 1:3), la miséricorde et la grâce (2 Co 13:13; Ep 5:2, 25).

3. Le Saint-Esprit, troisième personne de la Trinité

a) Le nom appliqué à la troisième personne de la Trinité

Quand il nous est dit en Jean 4:24 que Dieu est Esprit, ce nom est plus particulièrement appliqué à la troisième personne de la Trinité. Le terme hébreu par lequel il est désigné est ruach, et le terme grec pneuma. Leur racine, à tous deux, comme celle du latin spiritus, signifient « respirer », « souffler ». Ils peuvent donc aussi être rendus par « souffle » (Gn 2:7, 6:17; Ez 37:5, 6) ou « vent » (Gn 8:1; 1 R 19:11; Jn 3:8).

L’Ancien Testament utilise généralement le terme « esprit » sans aucune qualification, ou emploie l’expression « Esprit de Dieu » ou « Esprit du Seigneur ». Il n’emploie l’expression « Saint-Esprit » qu’en Psaume 51:13, Esaïe 63:10-11, alors que c’est celle-ci qui est la plus couramment employée dans le Nouveau Testament pour désigner la troisième personne de la Trinité. Tandis que l’Ancien Testament parle constamment de Dieu comme du « Saint d’Israël » (Ps 71:22, 89:18; Es 10:20, 41:14, 43:3, 48:17), le Nouveau Testament applique rarement l’adjectif « saint » à Dieu en général, mais l’utilise fréquemment pour caractériser l’Esprit: c’est très probablement parce que Dieu se révèle lui-même comme le « Saint » à travers l’œuvre de sanctification de l’Esprit. C’est le Saint-Esprit qui vient habiter dans le cœur des croyants, les met à part pour Dieu et les purifie du péché.

b) La personnalité du Saint-Esprit

Le terme « Esprit de Dieu » ou « Saint-Esprit » n’évoque pas une personnalité d’une manière aussi précise que le terme Fils. D’ailleurs, la personne du Saint-Esprit n’est pas apparue de manière tangible parmi les hommes, comme cela a été le cas pour le Fils de Dieu. C’est pour cette raison que la personne du Saint-Esprit a été souvent mise en question, et elle mérite donc une attention spéciale.

Dans l’Eglise des premiers siècles, la personnalité du Saint-Esprit a été rejetée par les monarchianistes et par les pneumatomaquistes. Les sociniens, à l’époque de la Réforme, puis Schleiermacher, Ritschl, les unitariens, les modernistes contemporains et tous les sabelliens modernes les ont suivis dans cette voie.

On dit souvent aujourd’hui que les passages qui semblent indiquer l’idée de personnalité du Saint-Esprit ne contiennent qu’une simple personnification. Mais les personnifications sont rares dans les écrits du Nouveau Testament, et elles sont aisément reconnaissables. D’ailleurs, une telle explication détruit clairement le sens de certains passages, par exemple Jean 14:26, 16:7-11, Rm 8:26. Les preuves scripturaires de la personnalité du Saint-Esprit sont tout à fait suffisantes:

(1) On le désigne comme une personne. Bien que le mot pneuma soit neutre, c’est le pronom masculin ekeinos qui est utilisé pour le Saint-Esprit en Jean 16:4; on trouve aussi le pronom relatif masculin hos en Ephésiens 1:14. De plus, le nom Parakletos lui est appliqué en Jean 14:26, 15:26, 16:7, et il ne peut être traduit par « consolation » ou être considéré comme le nom d’une quelconque influence abstraite; on voit que le Saint-Esprit est considéré comme une personne, parce qu’il est appelé « Consolateur », comme le Christ à qui le même terme est appliqué en 1 Jean 2:1. Il est vrai que ce terme est suivi du neutre ho et auto en Jean 14:16-18, mais cela provient de la présence de pneuma.

(2) On lui attribue les caractéristiques d’une personne: comme l’intelligence (Jn 14:26, 15:26; Rm 8:16), la volonté (Ac 16:7; 1 Co 12:11), les sentiments (Es 63:10; Ep 4:30). Du reste, il accomplit des actes propres à une personne. Il sonde, parle, témoigne, ordonne, révèle, lutte, crée, intercède, ressuscite les morts, etc. (Gn 1:2, 6:3; Lc 12:12; Jn 14:26, 15:26, 16:8; Ac 8:29, 13:12; Rm 8:11, 1 Co 2:10, 11). Ces actes ne peuvent être le fait d’une simple puissance ou influence, mais proviennent bien d’une personne.

(3) Ses relations avec les autres personnes impliquent sa propre personnalité. Il est juxtaposé aux apôtres (Ac 15:28), il est avec le Christ (Jn 16:14), et avec le Père et le Fils (Mt 28:19; 2 Co 13:13; 1 P 1:1-2; Jude 20-21). Une saine exégèse exige que, dans ces passages, le Saint-Esprit soit considéré comme une personne.

(4) Dans certains passages, le Saint-Esprit est différencié de sa propre puissance (Lc 1:35, 4:14; Ac 10:38; Rm 15:13; 1 Co 2:4). De tels passages deviendraient tautologiques, sans signification et même absurdes, si l’on en déduisait que le Saint-Esprit n’est qu’une simple puissance, on peut le démontrer en remplaçant l’expression « Saint-Esprit » par un mot comme « puissance » ou influence.

c) Relation entre le Saint-Esprit et les autres personnes de la Trinité

Les premières controverses trinitaires aboutirent à la conclusion que le Saint-Esprit, aussi bien que le Fils, est de la même essence que le Père, et lui est donc consubstantiel. Les discussions sans fin, pour savoir si le Saint-Esprit procède du Père seul ou du Père et du Fils conjointement, se terminèrent finalement, en 589 au Synode de Tolède, par l’ajout du mot Filioque dans la version latine du symbole de Nicée-Constantinople: Credimus in Spiritum Sanctum qui a Patre Filioque procedit (« Nous croyons au Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils »). Cette procession du Saint-Esprit, appelée plus simplement « spiration », est sa caractéristique personnelle. Presque tout ce qui a été dit au sujet de l’engendrement du Fils peut être appliqué à la « spiration » du Saint-Esprit, et n’a donc pas besoin d’être répété. Cependant, on peut noter les points suivants, spécifiques au Saint-Esprit:

(1) L’engendrement est l’œuvre du Père seul, tandis que la « spiration » est l’œuvre conjointe du Père et du Fils.

(2) Par l’engendrement, le Fils devient capable de participer à l’œuvre de « spiration », mais le Saint-Esprit n’acquiert pas cette puissance.

(3) Dans l’ordre logique, l’engendrement précède la « spiration ».

Rappelons-nous simplement que cela n’implique pas la subordination d’essence du Saint-Esprit au Fils. Dans la « spiration », comme dans l’engendrement, il y a communication de toute l’essence divine, de telle façon que le Saint-Esprit est sur le même plan d’égalité que le Père et le Fils. La doctrine de la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils est fondée sur Jean 15:26 et sur le fait que l’Esprit est aussi appelé l’Esprit du Christ, ou l’Esprit du Fils (Rm 8:9; Ga 4:6), et est envoyé par le Christ dans le monde.

La « spiration » peut être définie comme: « Cet acte éternel et nécessaire de la première et de la deuxième personne de la Trinité, par lequel, à l’intérieur de l’Etre Divin, elles deviennent le fondement de l’existence personnelle du Saint-Esprit, et mettent la troisième personne en possession de la totalité de l’essence divine, sans division, aliénation ou changement. »

« Le Saint-Esprit est dans la plus étroite relation avec les autres personnes de la Trinité », parce qu’il procède à la fois du Père et du Fils.

De 1 Corinthiens 2:10-11, nous pouvons inférer, non que le Saint-Esprit est la conscience d’exister de Dieu, mais qu’il est en aussi étroite relation avec Dieu que l’âme d’un homme l’est avec lui-même. En 2 Corinthiens 3:17, nous lisons: « Maintenant, le Seigneur c’est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Ici, le Seigneur (Christ) est identifié à l’Esprit, non avec sa personnalité, mais avec sa manière d’agir. Dans le même passage, l’Esprit est appelé « l’Esprit du Seigneur ». L’envoi du Saint-Esprit dans l’Eglise au jour de la Pentecôte est fondé sur son unité avec le Père et le Fils. Il vient, en tant que Parakletos, prendre la place du Christ et accomplir son œuvre sur la terre, c’est-à-dire enseigner, proclamer, témoigner, etc., comme le Fils l’a fait. En ce qui concerne le Fils, cette œuvre de révélation demeure en union avec le Père. De la même façon, l’œuvre du Saint-Esprit est fondée sur son unité avec le Père et le Fils (Jn 16:14-15). Notons les paroles de Jésus dans ce passage: « Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. »

d) La divinité du Saint-Esprit

Celle-ci peut être établie de la même manière que celle du Fils, à partir de l’Ecriture.

(1) L’Ecriture donne au Saint-Esprit des noms divins (Ex 17:7, cf. Hé 3:7-9; Ac 5:3-4; 1 Co 3:16; 2 Tm 3:16, cf. 2 P 1:21).

(2) L’Ecriture lui attribue des perfections divines, telles que l’omniprésence (Ps 139:7-10), l’omniscience (Es 40:13, 14, cf. Rm 11:34, 1 Co 2:10-11), l’omnipotence (1 Co 12:11; Rm 15:19), et l’éternité (Hé 9:14).

(3) Il accomplit des œuvres divines, comme la création (Gn 1:2; Jb 26:13, 33:4), le « renouvellement providentiel » (Ps 104:30), la régénération (Jn 3:5-6; Tt 3:5) et la résurrection des morts (Rm 8:11).

(4) L’Ecriture lui accorde l’honneur divin (Mt 28:19; Rm 9:11; 2 Co 13:13).

e) L’œuvre du Saint-Esprit dans l’économie divine

Certaines œuvres sont plus spécialement accomplies par le Saint-Esprit, non seulement dans l’économie générale de Dieu, mais aussi dans l’économie de la rédemption. En général, la tâche spéciale du Saint-Esprit est de conduire les choses à leur plénitude, en agissant immédiatement dans la créature et sur elle. Comme il est lui-même la personne qui complète la Trinité, ainsi son œuvre achève l’œuvre de Dieu dans toutes ses relations avec ses créatures. Il complète l’œuvre du Fils, comme l’œuvre de celui-ci complète l’œuvre du Père. Il est important de s’en souvenir, car si l’on isole l’œuvre du Saint-Esprit de l’œuvre objective du Fils, on ne peut que tomber dans un faux mysticisme. L’œuvre du Saint-Esprit intègre ce qui suit dans la sphère naturelle:

(1) L’engendrement de la vie: comme ce qui existe provient du Père, et est par le Fils, ainsi la vie est médiatisée par le Saint-Esprit (Gn 1:3; Jb 26:13; Ps 33:6; Ps 104:30). A cet égard, il met la touche finale à l’œuvre de création.

(2) L’inspiration générale et la qualification des hommes. Le Saint-Esprit inspire et qualifie les hommes pour les tâches qu’il leur confie dans les domaines de la science, de l’art, etc. (Ex 28:3, 31:2, 3, 6, 35:35; 1 S 11:6, 16:13-14).

L’œuvre du Saint-Esprit est encore plus importante dans la sphère de la rédemption. Notons les points suivants:

(1) La préparation et la qualification du Christ en vue de son œuvre de médiateur.

Il a préparé un corps au Christ, et l’a rendu capable de se sacrifier pour le péché (Lc 1:35; Hé 10:5-7). Dans les mots « tu m’as formé un corps », l’auteur de l’épître aux Hébreux suit la Septante. Ici, la signification est la suivante: « Tu m’as rendu capable, par la préparation d’un corps saint, de devenir un réel sacrifice. » A son baptême, le Christ a été oint du Saint-Esprit (Lc 3:22) et a reçu sans mesure les dons nécessaires à son ministère (Jn 3:24).

(2) L’inspiration du Saint-Esprit.

Le Saint-Esprit a inspiré l’Ecriture et a donné aux hommes la révélation spéciale de Dieu (1 Co 2:13; 2 P 1:21) et la connaissance de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus.

(3) La constitution et la croissance de l’Eglise. Le Saint-Esprit constitue et développe l’Eglise, corps mystique de Jésus-Christ, par la régénération et la sanctification. En l’habitant, il en devient le principe de la vie nouvelle (Ep 1:22-23, 2:22; 1 Co 3:16, 12:4ss).

(4) Il enseigne et conduit l’Eglise.

Le Saint-Esprit témoigne du Christ et conduit l’Eglise dans toute la vérité. Ainsi, il manifeste la gloire de Dieu et du Christ, augmente la connaissance du Sauveur, garde l’Eglise de l’erreur et la prépare pour sa destinée éternelle (Jn 14:2, 15:26, 16:13-14; Ac 5:32; Hé 10:15; 1 Jn 2:27).


1 Systematic Theology, chap. VII.

2 Orr, op. cit., 30.

3 A.A. Hodge, Outlines of Theology, 147.

4 Dabney, op. cit., 156.

5 Otto, Das Heilige, trad. angl., The Idea of the Holy.

6 Ibid., 56.

7 Bavinck, Gereformeerd Dogmatik, II, 241.

8 Cf. Bavinck, ibid., 246ss; Dabney, op. cit., 162.

9 Shedd, op. cit., I, 361ss; C. Hodge, Systematic Theology, I, 410s.

10 Charnock, Existence and Attributes of God, II, 12. Cf. Bavinck, op. cit., 252; Kuyper, op. cit., 421s.

11 Systematic Theology, chap. VIII.

12 K. Barth, The Doctrine of the Word of God, 344.

13 Shedd, Dogmatic Theology, I, 393s, 251ss, 178ss.

14 Barlett, The Triune God, II.

15 Cf. Rottenberg, De Triniteit in Israéls Godsbegrip, 19ss.

16 Shedd, op. cit., 271.

17 J. Calvin, Institution chrétienne, I, XIII, 6.

18 Ceci a été résumé, avec beaucoup de compétence, dans des ouvrages tels que The Divinity of the Lord de Liddon, The Lord of Glory de Warfield et Our Lord de Robinson.

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5. Les attributs incommunicables http://larevuereformee.net/articlerr/n222/5-les-attributs-incommunicables Sun, 12 Dec 2010 17:45:21 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=408 Continuer la lecture ]]> V. Les attributs incommunicables1

(Dieu en tant qu’être absolu)

Il est tout à fait courant en théologie de parler de Dieu comme de l’être absolu. Toutefois, le terme « absolu » est plus philosophique que théologique. En métaphysique, le terme « l’Absolu » désigne la cause ultime de toute existence, et parce que les théistes en parlent aussi de la même manière, on pense quelquefois que l’Absolu de la philosophie et le Dieu du théisme sont identiques. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi. En fait, la conception habituelle de l’Absolu rend impossible l’assimilation de ce dernier au Dieu de la Bible et de la théologie chrétienne.

Le terme « Absolu » est dérivé du latin absolutus, composé de ab (de) et de solvere (détacher), et signifie donc libre de toute condition, ou libre de toute limitation ou restriction. On a développé cette pensée fondamentale de diverses manières, de sorte que l’on a considéré l’Absolu comme celui qui est libre de toutes conditions (l’inconditionné ou l’auto-existant), de toutes relations (le non-relié), de toutes imperfections (le parfait), ou libre de toutes distinctions ou différences phénoménales, telles que la matière et l’esprit, l’être et les attributs, le sujet et l’objet, l’apparence et la réalité (le réel, ou la réalité ultime).

La réponse à la question de savoir si l’on peut identifier l’Absolu de la philosophie et le Dieu de la théologie dépend de la conception que l’on a de l’Absolu.

Quand Spinoza conçoit l’Absolu comme un être qui subsiste par lui-même, dont les réalités individuelles de ce monde ne sont que des modes transitoires, il identifie Dieu avec le monde, et il nous est impossible d’assimiler son Absolu à Dieu.

Lorsque Hegel envisage l’Absolu comme l’unité d’être et de pensée, totalité de toutes choses, incluant toutes les relations et dans lequel toutes les discordances du présent sont résolues dans une parfaite unité, nous nous trouvons à nouveau dans l’impossibilité de considérer son Absolu comme Dieu.

Et lorsque Bradley dit que son Absolu n’est relié à rien, et qu’il ne peut y avoir aucune relation pratique entre lui et une volonté finie, nous sommes d’accord avec lui pour dire que son Absolu ne peut pas être le Dieu de la religion chrétienne, car ce dernier entre en relations avec des créatures finies. Bradley ne peut concevoir le Dieu de la religion autrement que comme un Dieu fini.

Mais lorsque l’Absolu est défini comme la cause première de tout ce qui existe, ou comme la cause ultime de toute réalité, ou alors comme l’être auto-existant, alors on peut l’identifier au Dieu de la théologie. Il est l’infini, dont aucune relation ne conditionne l’existence, parce qu’il se suffit à lui-même; en même temps, il peut « librement » entrer en relations avec sa création dans son ensemble et avec ses créatures.

Si les attributs incommunicables mettent en relief l’absoluité de l’Etre de Dieu, les attributs communicables soulignent le fait qu’il entre en communication avec ses créatures. Dans ce chapitre, nous considérerons les perfections de Dieu suivantes: aséité, immutabilité, infinité et unité.

A) L’aséité de Dieu

Dieu est indépendant, c’est-à-dire que le fondement de son existence est en lui-même. On exprime parfois cette idée en disant qu’il est causa sui (sa propre cause), mais cette expression n’est guère précise, puisque Dieu est incréé, existe par la nécessité de son être propre, et donc existe nécessairement. Par contre, l’homme n’existe pas nécessairement, et a la cause de son existence en dehors de lui-même.

L’idée de l’aséité de Dieu a été généralement exprimée par le terme aseitas, signifiant « qui trouve son origine en lui-même », mais les théologiens réformés lui ont plus couramment substitué le mot independentia (indépendance), exprimant ainsi que Dieu est indépendant non seulement dans son être, mais aussi en toutes choses: dans ses vertus, décrets, œuvres, etc. On peut dire que la créature humaine possède une faible trace de cette perfection divine; bien que dans une dépendance absolue vis-à-vis de Dieu, la créature humaine a son existence propre, distincte de celle de Dieu. Cet attribut de Dieu est généralement reconnu et a des implications dans les religions païennes et dans l’Absolu de la philosophie. Quand l’Absolu est considéré comme un être indépendant et comme la cause ultime de toutes choses, comme celui qui entre volontairement en communication avec d’autres êtres, on peut alors l’identifier au Dieu de la théologie.

En tant que Dieu indépendant, il n’est pas seulement indépendant en lui-même, mais fait aussi dépendre chaque chose de lui. Cette aséité de Dieu s’exprime dans le tétragramme sacré YHWH. C’est uniquement en tant qu’être indépendant que Dieu peut donner l’assurance qu’il restera éternellement le même dans sa relation avec son peuple. On trouve dans l’Ecriture des indications complémentaires:

– ainsi nous savons que « comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même » (Jn 5:26);

– ailleurs, nous apprenons qu’il est indépendant de toutes choses et que tout n’existe que par lui (Ps 94:8ss, Es 40:18ss, Ac 7:25);

– dans d’autres textes bibliques, il est affirmé qu’il est indépendant dans sa pensée (Rm 1l:33, 34), dans sa volonté (Dn 4:35; Rm 9:19; Ep 1:5; Ap 4:11), dans sa puissance (Ps 115:3) et dans son conseil (Ps 33:11).

B) L’immutabilité de Dieu

L’immutabilité de Dieu est nécessairement concomitante à son aséité. Par cette perfection de Dieu, on veut exprimer qu’il n’y a de changement ni dans son être, ni dans ses perfections, ni dans ses desseins et ses promesses. En vertu de cet attribut, il est exalté au-dessus de tout, et est libre de toute croissance positive ou négative dans son être ou ses perfections. Sa connaissance et ses plans, ses principes moraux et ses volontés demeurent les mêmes pour toujours. Même la raison nous enseigne qu’aucun changement n’est possible en Dieu, puisqu’un changement s’opère soit positivement, soit négativement. Mais en Dieu en tant que perfection absolue, amélioration ou détérioration sont l’une et l’autre impossibles.

Cette immutabilité de Dieu est clairement enseignée dans certains passages de l’Ecriture (tels que Ex 3:14; Ps 102:26-28; Es 41:4, 48:12; Ml 3:6; Rm 1:23; Hé 1:11-12; Jc 1:17). En même temps, plusieurs passages de l’Ecriture semblent admettre des possibilités de changement en Dieu. Celui qui est éternel n’a-t-il pas agi dans la création du monde, ne s’est-il pas incarné en Jésus-Christ et n’a-t-il pas fait de l’Eglise sa demeure par le Saint-Esprit? N’est-il pas celui qui se révèle, qui se cache, qui va et qui vient, qui se repent, qui change son intention et qui traite l’homme différemment avant ou après sa conversion? (Cf. Ex 32:10-14; Jon 3:10; Pr 11:20, 12:22; Ps 18:26-27). Cette objection est, dans une certaine mesure, fondée sur un malentendu.

L’immutabilité divine ne devrait pas être comprise comme « l’immobilité », comme s’il n’y avait aucun mouvement en Dieu. Il est même courant en théologie de parler de Dieu comme actus purus, c’est-à-dire comme étant toujours en action. La Bible nous enseigne que Dieu est en communications multiples avec les hommes, comme s’il vivait leur vie avec eux. Il y a changement autour de lui, dans les relations entre les hommes et lui, mais aucun changement dans son être, ses attributs, son dessein, ses motifs d’action ou ses promesses. De toute éternité, son but était de créer, et il n’y a eu aucun changement en lui lorsque ce but s’est réalisé par un acte unique et éternel de sa volonté.

L’incarnation n’a apporté aucun changement dans l’être ou les perfections de Dieu, pas plus que son dessein, car c’était son bon plaisir éternel d’envoyer le Fils de son amour dans le monde. Et si l’Ecriture évoque son repentir, son changement d’intention, de relation avec les pécheurs qui se repentent, nous devrions nous souvenir que ce n’est là qu’une manière anthropomorphique de parler. En réalité, le changement n’est pas en Dieu mais dans l’homme et dans ses relations avec Dieu. Il est important de maintenir fermement l’affirmation de l’immutabilité de Dieu

– contre la doctrine pélagienne et arminienne, selon laquelle si Dieu n’est sujet à aucun changement dans son être, il l’est dans sa connaissance et sa volonté, de sorte que ses décisions sont, jusqu’à un certain point, dépendantes des actions de l’homme;

– contre la notion panthéiste qui prétend que Dieu est un devenir éternel plutôt qu’un être absolu, et que l’absolu inconscient se développe graduellement dans la personnalité consciente de homme;

– contre la tendance actuelle de certains à parler d’un Dieu fini qui lutte et se développe graduellement.

C) L’infinité de Dieu

Par « infinité », nous voulons signifier que Dieu n’est pas du tout limité. En attribuant cette perfection à Dieu, nous nions qu’il y ait ou qu’il puisse y avoir une quelconque limitation à l’être divin ou à ses attributs. Cela signifie qu’il n’est en aucune façon limité par l’espace-temps et l’univers, ou confiné à ce dernier. Cela n’implique pas son identité avec la totalité des choses existantes, ni n’exclut la co-existence des choses dérivées et finies auxquelles il accorde son soutien.

L’infinité de Dieu doit être conçue comme intensive plutôt qu’extensive, et ne devrait pas être confondue avec une extension illimitée, comme si Dieu était répandu à travers l’univers tout entier, une partie étant ici et l’autre là, car Dieu ne possède pas de corps et donc pas d’extension spatiale. On ne devrait pas davantage considérer cette infinité comme un concept simplement négatif, bien qu’il soit parfaitement vrai que nous ne pouvons nous en former une idée positive. C’est une réalité en Dieu, qui n’est pleinement comprise que par lui-même. Nous distinguerons divers aspects de l’infinité de Dieu.

l. Sa perfection absolue

C’est l’infinité de l’être divin considéré en lui-même. On devrait comprendre cette notion, non pas quantitativement mais qualitativement, car elle qualifie tous les attributs communicables de Dieu. La puissance infinie n’est pas une quantité absolue, mais une source inépuisable de puissance. De même, la sainteté infinie n’est pas une quantité illimitée de sainteté, mais une sainteté qui est qualitativement dépourvue de toute limitation ou imperfection. On peut dire la même chose de la connaissance infinie et de la sagesse, de l’amour infini et de la justice. Orr dit: « Peut-être pouvons-nous affirmer que l’infinité de Dieu est en dernier ressort:

a) une absence interne et qualitative de toute limitation ou imperfection;

b) une potentialité illimitée. »2

Dans ce sens, l’infinité de Dieu est simplement identique à la perfection de son être divin, on en trouve les preuves scripturaires en Job 11:7-10; Psaume 145:3; Hébreux 5:8.

2. Son éternité

L’infinité de Dieu par rapport au temps s’appelle son éternité. La Bible représente l’éternité de Dieu sous la forme d’une durée à travers des générations sans fin (Ps 90:2, 102:12; Ep 3:21). Cependant, nous devrions nous souvenir qu’en parlant comme elle le fait, la Bible utilise le langage populaire et non celui de la philosophie. En général, nous pensons à l’éternité de Dieu de la même façon, c’est-à-dire comme à une durée prolongée à la fois vers l’avant et vers l’arrière. Mais ceci n’est qu’une manière symbolique et populaire de représenter ce qui, en réalité, dépasse le temps et en diffère essentiellement.

L’éternité, au sens strict du mot, est attribuée à ce qui transcende toutes les limitations temporelles. L’Ecriture reconnaît cette éternité à Dieu en 2 Pierre 3:8. « Le temps, dit Orr, concerne exclusivement le monde des objets qui existent et qui se succèdent continuellement. Dieu remplit le temps et se trouve dans chacune de ses parties, mais en réalité son éternité ne s’inscrit pas dans le temps; elle se situe plutôt en contraste par rapport à lui. »3Notre existence est jalonnée de jours et de semaines, de mois et d’année; il n’en est pas ainsi de l’existence de Dieu.

Notre vie est divisée en passé, présent et futur, mais une telle division n’existe pas dans la vie de Dieu. Il est l’Eternel « Je suis ». Son éternité peut être définie comme « cette perfection par laquelle il transcende toutes les limites temporelles et toutes les successions de moments, et par laquelle l’ensemble de son existence s’inscrit dans un présent indivisible ». La relation de l’éternité au temps constitue l’un des problèmes les plus difficiles en philosophie et en théologie, peut-être sans solution dans l’état actuel des choses.

3. Son immensité

L’infinité de Dieu peut aussi être considérée par rapport à l’espace. On parle alors d’immensité. On peut la définir comme « cette perfection de l’être divin par laquelle il transcende toutes les limitations spatiales et se trouve cependant présent en chaque point de l’espace avec son être tout entier ». Cet attribut a un côté négatif et un côté positif, précisant, d’une part, qu’aucune limitation de l’espace n’atteint l’être divin et, d’autre part, que Dieu est au-dessus de l’espace et en remplit chaque partie « avec tout son être ». Ces derniers mots veulent seulement prévenir l’idée que Dieu serait diffusé à travers l’espace, de sorte qu’une partie de son être serait présent à un endroit et une autre partie à un autre endroit. On peut envisager trois modes de présence dans l’espace:

– les corps sont dans l’espace et ce dernier les limite;

– les esprits finis sont définitivement dans l’espace, puisqu’ils ne sont pas partout, mais seulement dans un endroit bien défini;

– enfin, Dieu est omniprésent dans l’espace parce qu’il remplit l’espace entier. Il n’est absent d’aucune de ses parties, ni davantage présent en une partie que dans une autre.

En un certain sens, les termes « immensité » et « omniprésence » appliqués à Dieu signifient la même chose, et on peut donc les considérer comme synonymes. Cependant, il convient de noter soigneusement leur différence de perspective: « l’immensité » souligne le fait que Dieu transcende tout l’espace et n’est pas sujet à ses limitations, tandis que « l’omniprésence » signifie qu’il remplit néanmoins chaque partie de l’espace avec son être tout entier. Le premier terme accentue la transcendance et le second l’immanence de Dieu. Dieu est immanent dans toutes ses créatures, dans sa création tout entière, mais n’est en aucun cas limité par elle.

En ce qui concerne les relations qui existent entre Dieu et le monde, nous devons éviter:

– d’un côté, la conception panthéiste très caractéristique de la majorité des penseurs contemporains, avec son refus de la transcendance de Dieu et son affirmation que l’Etre de Dieu est réellement la substance de toutes choses;

– et, de l’autre côté, la conception déiste selon laquelle Dieu est véritablement présent dans la création per potentiam (par sa puissance), mais non per essentiam et naturam (par son être même et sa nature), et dirige le monde à distance. Bien que Dieu soit distinct du monde et ne puisse pas être identifié à lui, il est cependant présent dans chaque partie de sa création, pas uniquement per potentiam, mais aussi per essentiam.

Ceci ne signifie pas cependant qu’il soit présent de manière égale et avec la même intensité dans toutes ses créatures. La nature de son habitation dans ses créatures est fonction de celles-ci. Il n’habite pas sur la terre comme il le fait au ciel, dans les animaux comme dans l’homme, dans l’inorganique comme dans la création organique, dans les méchants comme dans les justes, dans l’Eglise comme en Christ. Son immanence varie presque à l’infini, de même que l’intensité par laquelle elle révèle Dieu à ceux qui ont des yeux pour voir.

L’omniprésence de Dieu est clairement révélée dans l’Ecriture. La terre et le ciel ne peuvent le contenir (1 R 8:27; Es 66:1; Ac 7:48, 49) et, en même temps, il les remplit tous les deux et tout en restant proche (Ps 139:7-10; Jr 23:23-24; Ac 17:27-28).

D) L’unité de Dieu

On distingue unitas singularitatis et unitas simplicitatis.

l. L’unitas singularitatis

Cet attribut souligne à la fois l’unité et l’unicité de Dieu, le fait qu’il est numériquement un et unique en tant que tel. Ceci implique qu’il n’existe qu’un seul être divin, que par nature il ne peut y en avoir qu’un, et que tout ce qui existe est de lui, par lui et pour lui. La Bible nous enseigne en plusieurs passages qu’il n’existe qu’un seul vrai Dieu. Salomon a plaidé avec Dieu pour soutenir la cause de son peuple. « Ainsi tous les peuples de la terre reconnaîtront que c’est l’Eternel qui est Dieu. Il n’y en a point d’autre. » (1 R 8:60) Et Paul écrit aux Corinthiens: « Néanmoins pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes. » (1 Co 8:6) De manière similaire, il écrit à Timothée: « Car il y a un seul Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ-Jésus homme. » (1 Tm 2:5)

D’autres passages n’accentuent pas tant l’unité numérique de Dieu que son unicité. C’est le cas des paroles bien connues de Deutéronome 6:4: « Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un. » Le mot hébreu ‘echad, traduit par « un », peut aussi être rendu par « unique », ce qui semblerait être une meilleure traduction. Keil souligne le fait que ce passage n’enseigne pas l’unité numérique de Dieu, mais plutôt le fait que YHWH est le seul Dieu qui soit en droit de porter le nom YHWH. C’est également le sens du terme employé en Zacharie 14:9. La même idée se retrouve dans la question rhétorique de Exode 15:11: « Qui est comme toi parmi les dieux, ô Eternel? Qui est comme toi magnifique en sainteté, redoutable et digne de louanges, opérant des miracles? » Ceci exclut toute conception polythéiste de Dieu.

2. L’unitas simplicitatis

Tandis que l’unité dont nous venons de parler sépare Dieu de tous les autres êtres, la perfection que nous considérons maintenant exprime l’unité intérieure et qualitative de l’être divin. Lorsque nous parlons de la simplicité de Dieu, nous utilisons ce terme pour le décrire comme un être simple, libre de toute division ou parties, et donc de tout mélange hétérogène. Cela signifie que Dieu n’est pas composite et n’est susceptible d’aucune division. Cela implique, entre autres choses, que l’essence divine n’est pas composée de trois parties qui seraient les trois personnes de la Trinité, que l’essence de Dieu et ses perfections ne sont pas distinctes, et que ses attributs ne sont pas surajoutés à son essence. Puisque essence et attributs sont un, la Bible peut parler de Dieu comme lumière et vie, comme justice et amour, l’identifiant ainsi avec ses perfections. La simplicité de Dieu découle de deux de ses autres perfections:

– de son aséité, qui exclut l’idée que quelque chose l’a précédé, comme dans le cas de choses composées;

– et de son immutabilité, que l’on ne pourrait attribuer à sa nature si elle était hétérogène.

La simplicité de Dieu a été très discutée au Moyen Age, et niée par les sociniens et les arminiens. L’Ecriture ne l’affirme pas explicitement, mais le dit implicitement quand elle parle de Dieu comme justice, vérité, sagesse, lumière, vie, amour, etc., et indique ainsi que chacune de ces propriétés, à cause de leur perfection absolue, est identique avec son être.

Dans les ouvrages récents de théologie, la simplicité de Dieu n’est pas mentionnée. Beaucoup de théologiens la nient positivement, soit parce qu’elle est considérée comme une abstraction purement métaphysique, soit parce que, selon eux, elle entre en conflit avec la doctrine de la Trinité. Dabney croit que la substance de Dieu n’est pas composite, mais nie le fait qu’en lui substance et attributs soient une seule et même chose. Il prétend que Dieu n’est pas plus simple à cet égard que les esprits finis4.


1 Systematic Theology, chap. VI.

2 Orr, op. cit., 26.

3 Ibid., 26.

4 Dabney, Systematic and Polemic Theology, 44ss.

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4. Les attributs de Dieu en général http://larevuereformee.net/articlerr/n222/4-les-attributs-de-dieu-en-general Sun, 12 Dec 2010 17:44:41 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=407 Continuer la lecture ]]> IV. Les attributs de Dieu en général1

A) Evaluation des termes utilisés

Le mot « attribut » n’est pas idéal, puisqu’il implique l’idée d’ajouter ou d’assigner quelque chose à quelqu’un et peut donc créer l’impression que quelque chose est ajouté à l’Etre divin. Sans aucun doute, le terme « propriété » est meilleur, car il indique quelque chose qui est propre à Dieu et à Dieu seulement. Naturellement, le fait que certains de ses attributs sont communicables semble affaiblir le caractère absolu de Dieu lui-même, puisque, dans une certaine mesure, ils ne sont pas propres à Dieu seul. Donc, même ce terme (propriété) suggère une distinction entre l’essence, ou la nature, de Dieu et ce qui lui est propre. Somme toute, il est préférable de parler des « perfections » ou des « vertus » de Dieu, en précisant bien, cependant, que, dans ce cas, le mot « vertus » n’est pas utilisé en un sens purement éthique. Ainsi:

a) nous suivons l’usage de la Bible qui utilise le terme arete, traduit par « vertus » ou « excellences » en 1 Pierre 2:9;

b) nous évitons de laisser entendre que quelque chose est ajouté à l’Etre de Dieu.

Ses vertus ne sont pas ajoutées à son Etre, mais celui-ci est le pleroma (plénitude) de celles-là et se révèle en elles. Nous pouvons les définir comme les « perfections attribuées à l’Etre divin par l’Ecriture, ou visiblement exercées par Dieu dans ses œuvres de création, de providence et de rédemption ». Si nous continuons encore à utiliser le mot « attribut », c’est parce que son emploi est courant, mais nous en excluons radicalement l’idée que quelque chose peut être ajouté à l’Etre de Dieu.

B) Méthode de détermination des attributs de Dieu

Les scolastiques, dans leur tentative de construire une théologie naturelle, ont établi trois manières de déterminer les attributs de Dieu, qu’ils ont désignées ainsi:

– la via causalitatis;

– la via negationis;

– et la via eminentiae.

« Par le principe de causalité », nous passons des phénomènes que nous observons autour de nous dans le monde à l’idée d’une cause première, de la contemplation de la création à l’idée d’un Créateur tout-puissant, et de l’observation du gouvernement moral du monde à l’idée d’un Souverain sage et puissant.

« Par le principe de négation », nous purgeons notre conception de Dieu de toutes les imperfections vues dans ses créatures, parce qu’elles sont incompatibles avec l’idée d’un Etre parfait, et nous lui attribuons la perfection opposée. En nous appuyant sur ce principe, nous parlons de Dieu comme indépendant, infini, incorporel, immense, immortel et incompréhensible.

Et enfin, « par le principe de l’éminence » qui postule que ce qui existe dans un effet préexiste dans sa cause, et même au sens le plus absolu en Dieu en tant qu’Etre le plus parfait, nous attribuons à Dieu de façon éminente les perfections relatives que nous découvrons en l’homme. Cette méthode peut attirer certains, parce qu’elle va du connu vers l’inconnu, mais elle ne convient pas à la théologie systématique. Elle part de ce qu’elle trouve en l’homme et en déduit ce qui peut être trouvé en Dieu. Ainsi, elle fait de l’homme la mesure de Dieu. Ce n’est assurément pas une bonne méthode théologique. Bien plus, elle fonde sa connaissance de Dieu sur des conclusions humaines, plus que sur l’auto-révélation de Dieu dans sa divine Parole. Et cependant, c’est la seule source adéquate de la connaissance de Dieu. Si cette méthode peut être suivie dans une théologie prétendument naturelle, elle ne trouve pas sa place dans une théologie de la révélation.

On peut dire la même chose des méthodes proposées par les représentants modernes de la théologie expérimentale. On en trouve un exemple typique dans l’ouvrage de Macintosh, La théologie, science empirique2,qui présente trois manières de procéder. Nous pouvons partir de nos intuitions de la réalité de Dieu, de ces certitudes irraisonnées qui sont fermement enracinées dans l’expérience immédiate. L’une de ces certitudes est que l’objet de notre dépendance religieuse est pleinement suffisant pour nos besoins impératifs. On peut, en particulier, tirer des déductions de la vie de Jésus et de la vie des chrétiens partout où ils sont. Nous pouvons également prendre notre point de départ, non dans les certitudes de l’homme, mais dans ses besoins. Le postulat fondamental peut alors être formulé ainsi: Dieu est absolument suffisant et digne de confiance en ce qui concerne les besoins religieux de l’homme. A partir de là, l’homme peut élaborer sa doctrine des attributs de Dieu. Et, enfin, il est également possible de suivre une méthode plus pragmatique, fondée sur le principe suivant: nous pouvons comprendre les choses et les personnes jusqu’à un certain point, au-delà de la perception immédiate que nous en avons en observant ce qu’elles font. Macintosh trouve nécessaire de faire usage de ces trois méthodes.

Ritschl part de l’idée que Dieu est amour, et nous suggère d’en tirer les conséquences. Puisque l’amour est personnel, cela implique que Dieu est une personne, et ceci nous fournit un principe d’interprétation du monde et de la vie de l’homme. La pensée que Dieu est amour implique également la certitude qu’il peut réaliser son dessein d’amour, parce que sa volonté est souverainement efficace dans le monde. D’où l’idée d’un Créateur tout-puissant. De là, nous déduisons aussi l’éternité de Dieu, puisque, organisant toutes choses en vue de son Royaume, il a, dès le début, la prescience de la fin des choses. D’une manière un peu semblable, W. A. Brown déclare: « Nous obtenons notre connaissance des attributs en analysant notre idée de Dieu déjà acquise en Christ; et nous les disposons de manière à donner aux caractéristiques saillantes de cette idée l’expression la plus claire. »3

Toutes ces méthodes trouvent leur point de départ dans l’expérience humaine, plus que dans la Parole de Dieu. Elles ignorent délibérément la limpide auto-révélation de Dieu dans l’Ecriture et exaltent l’idée de la découverte humaine de Dieu. Ceux qui s’appuient sur de telles méthodes se font une idée exagérée de leur propre capacité à découvrir Dieu et à déterminer inductivement sa nature par des « méthodes scientifiques » reconnues. En même temps, ils se détournent de l’unique chemin qui pourrait les conduire à une réelle connaissance de Dieu, à savoir sa révélation spéciale, apparemment oublieux du fait que seul l’Esprit Saint peut sonder les profondeurs de Dieu et nous les révéler. Leur méthode les oblige à ramener Dieu au niveau de l’homme, à accentuer son immanence aux dépens de sa transcendance, et à le placer en continuité avec le monde. Le résultat final de leur philosophie est un Dieu fabriqué à l’image de l’homme.

James condamne tout intellectualisme religieux et maintient que la théologie scolastique a complètement échoué dans sa tentative, tant de définir les attributs de Dieu d’une manière scientifique, que d’établir son existence. Faisant référence au livre de Job, il dit: « Ratiociner est une façon relativement superficielle et irréelle d’appréhender la divinité. » Il termine son argumentation par ces mots significatifs: « En toute sincérité, je pense que nous devons conclure qu’il est vain de vouloir démontrer la vérité des expériences religieuses directes par des moyens purement intellectuels. »4

Il a davantage confiance en une méthode pragmatique à la recherche d’un Dieu qui fait face aux besoins de l’homme. D’après lui, il suffit de croire qu’« au-delà de chaque homme et d’une certaine façon en continuité avec lui, il existe une puissance plus grande qui lui est favorable, à lui et à ses idéaux. Tout ce que les faits exigent, c’est que cette puissance soit autre et plus grande que nos ‹moi› conscients. N’importe quoi de plus grand fera l’affaire du moment qu’il est suffisamment grand pour justifier notre confiance en sa capacité à nous faire franchir le pas suivant. Il n’a pas besoin d’être infini, ni solitaire. On peut même concevoir qu’il soit seulement un ‹moi› plus grand et plus ressemblant à Dieu, dont le ‹moi› présent serait alors l’expression mutilée; dans ce cas, l’univers pourrait être un amas de tels ‹moi›, de degrés et de globalité différents, sans aucune unité absolue réalisée en lui. »5 Ainsi, il ne nous reste que l’idée d’un Dieu fini6.

La seule manière concevable d’obtenir une connaissance fiable des attributs divins est d’étudier l’auto-révélation de Dieu dans l’Ecriture. Il est vrai que nous pouvons acquérir une connaissance de la grandeur, de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu par l’étude de la nature, mais pour avoir une conception adéquate de ces attributs, il sera nécessaire de se tourner vers la Parole de Dieu. Dans la théologie de la révélation, nous cherchons à savoir, à partir de la Parole de Dieu, quels sont les attributs de l’Etre divin. L’homme ne tire pas de Dieu sa connaissance comme il le ferait pour d’autres objets d’étude, mais Dieu la lui transmet de lui-même, et l’homme ne peut que l’accepter et se l’approprier. Pour cela, il est, bien sûr, très important que l’homme soit créé à l’image de Dieu, car il trouve ainsi des analogies utiles dans sa propre vie. Cette méthode peut être appelée a posteriori, puisqu’elle prend son point de départ, non dans un être parfait et abstrait, mais dans la plénitude de l’auto-révélation divine, et qu’à la lumière de celle-ci elle cherche à connaître l’Etre divin. Elle se distingue ainsi de la méthode a priori des scolastiques qui déduisaient les attributs de Dieu du concept d’un être parfait.

C) Les diverses classifications des attributs

La question de la classification des attributs divins a attiré l’attention des théologiens depuis longtemps. Plusieurs classifications ont été suggérées, dont la plupart comportent deux classes générales. Ces classes sont désignées par des noms différents, mais elles demeurent les mêmes en substance. Elles représentent simplement les divers points de vue dont les plus importants sont les suivants:

1. Certains parlent « d’attributs naturels et moraux »

Les premiers, tels que l’aséité, la simplicité, l’infinité, etc., appartiennent à la nature constitutionnelle de Dieu, distincte de sa volonté. Les seconds, tels que la vérité, la bonté, la miséricorde, la justice, la sainteté, etc., le qualifient en tant qu’être moral. L’objection que l’on peut faire à ce classement est que les attributs prétendument moraux sont tout autant naturels (c’est-à-dire originels) en Dieu que les autres. Dabney préfère cette classification mais admet, compte tenu de l’objection ci-dessus, que les termes n’en sont pas heureux. Il parlerait plus volontiers d’attributs moraux et non moraux.

2. D’autres distinguent « attributs absolus et attributs relatifs »

Les premiers appartiennent à l’essence de Dieu considérée en elle-même, tandis que les seconds appartiennent à l’essence divine considérée en relation avec sa création. Dans les attributs absolus, on inclut l’aséité, l’immensité, l’éternité, et dans les attributs relatifs l’omniprésence et l’omniscience. Ce classement semble partir de l’hypothèse que nous pouvons avoir quelque connaissance de Dieu tel qu’il est en lui-même, entièrement en dehors des relations qu’il entretient avec ses créatures. Mais ceci n’est pas exact, et donc, à proprement parler, toutes les perfections de Dieu sont relatives, indiquant ce qu’il est, en relation avec le monde. Strong ne reconnaît manifestement pas l’objection et donne la préférence à cette classification.

3. D’autres encore répartissent les perfections divines en « attributs immanents ou intransitifs » et « attributs révélés ou transitifs »

Strong combine cette division à la précédente, quand il parle d’attributs « absolus ou immanents » et d’attributs « relatifs ou transitifs ». Les premiers sont ceux qui ne sortent pas et qui n’opèrent pas hors de l’essence divine, mais qui demeurent immanents, comme l’immensité, la simplicité, l’éternité, etc.; les seconds sont ceux qui produisent des effets extérieurs à Dieu, comme l’omnipotence, la bienveillance, la justice, etc. Mais si certains attributs divins sont purement immanents, il semblerait que toute connaissance en soit exclue. Smith fait remarquer que chacun d’entre eux doit être à la fois immanent et transitif.

4. La classification la plus commune distingue « attributs incommunicables » et « attributs communicables »

Les premiers sont ceux qui n’offrent aucune analogie avec aucune créature: ainsi l’aséité, la simplicité, l’immensité, etc.; les seconds ceux avec lesquels les propriétés de l’esprit humain présentent une analogie: ainsi la puissance, la bonté, la miséricorde, la justice, etc. Cette distinction n’a pas rencontré la faveur des luthériens, mais elle a toujours été courante dans les milieux réformés; on la trouve dans des œuvres aussi représentatives que celles des professeurs de Leyde, Mastricht et Turretin7. Dès le début, on a senti cependant que cette distinction était insoutenable sans de plus amples précisions, car, d’un certain point de vue, on peut dire de chaque attribut qu’il est communicable. Aucune des perfections divines n’est communicable dans la perfection infinie telle qu’elle existe en Dieu et, en même temps, il existe de plus faibles traces en l’homme de ces prétendus attributs incommunicables de Dieu.

Chez les théologiens réformés plus récents, on a tendance à abandonner cette distinction en faveur d’autres divisions. Dick, Shedd et Vos retiennent l’ancienne division. Kuyper ne s’en satisfait pas et reproduit en elle sesvirtutes per antithesin, et ses virtutes per synthesin. Bavinck, après avoir suivi un autre ordre dans la première édition de sa Dogmatique, y retourne dans la deuxième édition. Honig préfère suivre la classification proposée par Bavinck dans sa première édition. Et, enfin, H.B. Smith, C. Hodge et Thornwell suivent une division suggérée par le Catéchisme de Westminster.

Cependant, la classification des attributs en deux principaux chapitres, telle que nous venons de la définir, est réellement inhérente à toutes les autres divisions, de sorte que l’on peut leur reprocher à toutes de diviser apparemment l’Etre de Dieu en deux parties: d’abord, Dieu en tant qu’Etre absolu tel qu’il est en lui-même et, ensuite, Dieu en tant qu’Etre personnel tel qu’il est en relation avec ses créatures. On peut dire qu’une telle manière d’envisager Dieu n’aboutit pas à une conception unitaire et harmonieuse des attributs divins.

On peut, cependant, éviter la difficulté en ayant clairement compris que les deux classes d’attributs ne sont pas strictement co-ordonnées, mais que les attributs appartenant à la première classe qualifient tous ceux qui appartiennent à la seconde, de sorte que l’on peut dire que Dieu est un, absolu, immuable et infini dans sa connaissance et sa sagesse, sa bonté et son amour, sa grâce et sa miséricorde, sa justice et sa sainteté. Si nous gardons cela à l’esprit et que nous nous souvenons qu’aucun des attributs de Dieu n’est incommunicable au sens où il n’en existe aucune trace en l’homme, et qu’aucun d’entre eux n’est communicable au sens où on les trouve en l’homme tout comme en Dieu, nous ne voyons aucune raison valable de renoncer à cet ancien classement devenu si familier en théologie réformée. Pour des raisons pratiques, il semble préférable de le conserver.


1 Systematic Theology, chap. V.

2 Macintosh, Theology as an Empirical Science, 159ss.

3 Brown, Christian Theology in Outline, 101.

4 James, Varieties of Religious Experience, 455.

5 Ibid., 525.

6 Cf. Baillie, Our Knowledge of God, 251ss.

7 Synopsis Puriotis Theologicae.

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2. La relation entre l’être et les attributs de Dieu http://larevuereformee.net/articlerr/n222/2-la-relation-entre-letre-et-les-attributs-de-dieu Sun, 12 Dec 2010 17:43:52 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=406 Continuer la lecture ]]> II. La relation entre l’être et les attributs de Dieu1

Certains dogmaticiens, avant d’étudier les attributs de Dieu, consacrent un ou plusieurs chapitres à son Etre. C’est ce qu’ont fait par exemple Mastricht, Ebrard, Kuyper et Shedd. D’autres préfèrent étudier l’Etre de Dieu en relation avec ses attributs, considérant que c’est par eux que Dieu s’est révélé. C’est la méthode la plus commune, suivie dans le Synopsis Puriotis Theologicae, ainsi que dans les ouvrages de théologie depuis Turretin jusqu’à Mark, Brakel, Bavinck, Hodge et Honig. Cette manière différente de voir les choses n’indique aucun désaccord fondamental entre ces auteurs. Tous admettent que les attributs ne sont ni de simples mots auxquels ne correspond aucune réalité, ni des parties séparées d’un Dieu composite, mais des qualités essentielles qui révèlent l’Etre de Dieu, et avec lequel il peut être identifié. Certains cherchent à distinguer l’Etre et les attributs de Dieu plus fortement que d’autres: c’est là, semble-t-il, leur seule différence.

A) L’Etre de Dieu

Il est évident que l’on ne peut pas définir scientifiquement l’Etre de Dieu. Si nous devions donner une définition logique de Dieu, nous devrions commencer par chercher un concept supérieur, par lequel Dieu pourrait être relié à d’autres concepts; et nous devrions faire ressortir les caractéristiques qui ne seraient applicables qu’à Dieu. On ne peut donner de Dieu une définition « génético-synthétique », puisqu’il n’est pas un Dieu parmi d’autres pouvant être soumis à un genre unique; on peut tout au plus envisager une définition « analytico-descriptive », désignant simplement les caractéristiques d’une personne ou d’une chose, mais laissant l’être essentiel inexpliqué. Et même une telle définition ne peut pas être complète; elle peut seulement être partielle, parce qu’il est impossible de donner une description positive (par opposition à négative) et exhaustive de Dieu. Cela consisterait en une énumération de tous les attributs connus de Dieu, et ceux-ci sont en grande partie de caractère négatif.

La Bible ne considère jamais Dieu comme un concept abstrait, mais le décrit toujours comme le Dieu Vivant, en relations variées avec ses créatures, relations qui indiquent plusieurs attributs différents. Dans sa Dictaten Dogmatiek2, Kuyper dit que Dieu, personnifié par la Sagesse, parle de son essence en Proverbes 8:14, lorsqu’il s’attribue le terme tushiyyach, traduit par wesen en hollandais. Cependant, cette traduction est très douteuse, et l’anglais counsel (conseil, avis; dessein, intention; avocat) est préférable. On a également fait remarquer que la Bible parle de la nature de Dieu en 2 Pierre 1: 4, mais ceci ne peut guère se référer à l’Etre essentiel de Dieu, car nous ne sommes pas faits participants de l’essence divine.

On a cru trouver une indication de l’essence même de Dieu dans le nom YHWH, interprété par Dieu lui-même: « Je suis celui qui suis. » De ce passage, on a déduit que Dieu était un être abstrait; et ceci a été interprété comme signifiant soit l’aséité, soit la stabilité maîtrisée, soit l’indépendance absolue.

Un autre passage est régulièrement cité comme contenant une indication sur l’essence divine, et comme constituant la définition la plus approchante que l’on puisse trouver dans la Bible à ce sujet, à savoir Jean 4:24: « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité. » Cette affirmation du Christ est clairement indicative de la nature spirituelle de Dieu. Les deux conceptions dérivées de ces passages se rencontrent régulièrement en théologie pour désigner l’Etre même de Dieu.

En somme, on peut dire que l’Ecriture n’exalte aucun attribut de Dieu aux dépens des autres, mais les représente comme étant en parfaite harmonie dans l’Etre divin. Il se peut que l’un ou l’autre attribut soit souligné, mais l’Ecriture entend accorder à chacun d’eux la force qu’il mérite. L’Etre de Dieu est caractérisé par une profondeur, une plénitude, une diversité et une gloire bien au-delà de notre compréhension; la Bible le représente comme un tout glorieux et harmonieux sans aucune contradiction inhérente à lui-même. Cette plénitude de vie ne trouve son expression nulle part ailleurs que dans les perfections de Dieu.

La doctrine de Dieu de certains des premiers Pères de l’Eglise était clairement influencée par la philosophie grecque et, comme le dit Seeberg: « Ils n’ont pas été au-delà du concept purement abstrait, selon lequel l’Etre Divin consiste en une existence absolue sans attributs. » Pendant un certain temps, les théologiens ont été en général plutôt enclins à accentuer la transcendance de Dieu, et à supposer impossible une connaissance adéquate ou une définition de l’essence divine.

Pendant la controverse trinitaire, la distinction entre l’unique essence et les trois personnes de la divinité a été fortement accentuée, mais l’essence a été perçue, en général, comme au-delà de la compréhension humaine. Grégoire de Naziance a cependant osé affirmer: « Pour autant que nous puissions le discerner, ho on et ho theos représentent mieux que d’autres termes les noms de l’essence divine, et des deux ho on est préférable. » Grégoire l’a considéré comme une description de l’être absolu. Augustin avait une conception de l’essence de Dieu très proche de celle de Grégoire.

Au Moyen Age, on avait tendance, soit à nier que l’homme puisse avoir une connaissance de Dieu, soit à réduire au minimum une telle connaissance. Ainsi, Thomas d’Aquin a parlé de l’aséité de Dieu et Duns Scot de son infinité; on a pris l’habitude de parler de Dieu en tant qu’actus purus à cause de sa simplicité.

Les réformateurs et leurs successeurs ont aussi considéré l’essence divine comme incompréhensible, mais ils n’en ont pas exclu toute connaissance, bien que Luther ait utilisé un langage très fort sur ce point. Ils ont souligné l’unité, la simplicité et la nature spirituelle de Dieu. Les mots de la Confessio Belgica sont bien caractéristiques: « Nous croyons tous du cœur, et confessons de la bouche, qu’il existe un seul Etre, simple et spirituel, que nous appelons Dieu. »3

Plus tard, philosophes et théologiens ont identifié l’essence de Dieu à l’être abstrait, la substance universelle, la pure pensée, la causalité absolue, l’amour, la personnalité et à sa sainteté majestueuse ou divine.

B) La possibilité de connaître l’Etre de Dieu

De ce qui précède, il apparaît déjà que, dès les premiers siècles, les esprits les plus brillants de l’Eglise ont été préoccupés par la question de connaître Dieu dans son Etre essentiel.

Dans l’Eglise primitive, au Moyen Age et à l’époque de la Réforme, le consensus était que Dieu, au plus profond de son Etre, est incompréhensible. Dans certains cas, le langage utilisé est si fort qu’il ne permet pas la moindre connaissance de l’Etre de Dieu, du moins en apparence. En même temps, certains de ceux qui l’emploient semblent avoir une connaissance considérable de l’Etre de Dieu. Un malentendu peut facilement résulter de la difficulté à considérer exactement la question posée, et de la négligence à distinguer entre connaissance et compréhension.

Les scolastiques ont réduit toutes les spéculations concernant l’Etre divin à trois questions: An sit Deus? Quid sit Deus? Qualis sit Deus? La première question concerne l’existence de Dieu, la seconde sa nature ou son essence et la troisième ses attributs. Dans ce paragraphe, c’est surtout la deuxième question qui retiendra notre attention. La question devient alors: Qu’est Dieu? Quelle est la nature de sa constitution intérieure? Qu’est-ce qui fait qu’il est ce qu’il est? Pour répondre à cette question de manière adéquate, nous devrions pouvoir comprendre Dieu et offrir une explication satisfaisante de son Etre divin. Or, ceci est totalement impossible. Le fini ne peut comprendre l’infini. La question de Tsophar à Job: « Peux-tu découvrir les profondeurs de Dieu, ou découvrir ce qui touche à la perfection du Tout-Puissant? » (Jb 11:7) a une connotation très fortement négative. Et si nous considérons la deuxième question seule, indépendamment de la troisième, la connotation négative de notre réponse devient encore plus radicale. En dehors de la révélation de Dieu dans ses attributs, nous n’avons pas la moindre connaissance de l’Etre de Dieu. Mais dans la mesure où Dieu se révèle dans ses attributs, nous avons également une connaissance de son Etre divin, même si notre connaissance est sujette à nos limitations humaines.

Luther utilise quelques expressions très fortes pour désigner notre incapacité à connaître quoi que ce soit de l’Etre ou de l’essence de Dieu. D’un côté, il distingue le Deus absconditus (Dieu caché) et le Deus revelatus (Dieu révélé), mais de l’autre côté, il affirme aussi qu’en connaissant le Dieu révélé, nous ne parvenons à le connaître que dans son mystère. En cela, il veut dire que même dans sa révélation, Dieu ne s’est pas manifesté entièrement « tel qu’il est essentiellement », mais que son essence demeure toujours voilée par une obscurité impénétrable. Nous ne connaissons Dieu que dans la mesure où il entre en relations avec nous.

Calvin parle également de l’incompréhensibilité de l’essence de Dieu. Il maintient qu’on est loin d’avoir découvert Dieu dans les profondeurs de son Etre. En parlant du quid et de la qualis de Dieu, il dit qu’il est inutile de spéculer sur le premier, alors que notre intérêt pratique réside dans la seconde. Il déclare: « Ceux qui s’appliquent si fortement à décider cette question ‹qu’est-ce que Dieu› (quid sit Deus) ne font que se jouer avec de froides et vaines spéculations, puisqu’il nous importe beaucoup plus de connaître ce qu’il est (qualis sit) et ce qui est convenable à sa nature. »4Tandis qu’il perçoit que l’on ne peut connaître les perfections de Dieu, il ne nie pas que nous puissions connaître quelque chose de son Etre ou de sa nature. Cependant, cette connaissance ne peut être obtenue par des méthodes a priori, mais seulement d’une manière a posteriori, à partir des attributs qu’il considère comme de réels déterminatifs de la nature de Dieu. Ceux-ci nous communiquent au moins quelque connaissance de ce qu’est Dieu, mais surtout de ce qu’il est en relation avec nous.

Quand nous parlons de notre connaissance de l’Etre de Dieu, nous devons absolument éviter la position de Cousin, assez rare dans l’histoire de la philosophie, selon laquelle Dieu, même dans les profondeurs de son Etre, n’est pas incompréhensible du tout, mais essentiellement intelligible; nous devons également nous écarter de l’agnosticisme de Hamilton et de Mansel, selon lesquels nous ne pouvons avoir aucune connaissance de l’Etre de Dieu. Nous ne pouvons ni comprendre Dieu, ni avoir de lui une connaissance absolue et exhaustive; en revanche, une connaissance relative ou partielle de l’Etre divin nous est accessible.

Il est parfaitement vrai d’affirmer que cette connaissance de Dieu n’est possible que parce qu’il s’est lui-même mis en relations avec ses créatures morales, et s’est révélé à elles. Même si elle est conditionnée par notre humanité, cette connaissance de la nature absolue de Dieu demeure cependant vraie et réelle, quoique toujours partielle.

Il existe une différence entre une connaissance absolue et une connaissance relative ou partielle d’un être absolu. On ne peut pas dire que l’homme ne connaît que les relations dans lesquelles Dieu se situe par rapport à ses créatures. Il serait impossible d’avoir une conception correcte de ces relations sans connaître quelque chose à la fois de Dieu et de l’homme. Dire que nous ne pouvons rien connaître de l’Etre de Dieu, mais que nous ne pouvons connaître que ses relations, revient à dire que nous ne pouvons pas le connaître du tout, ni faire de lui l’objet de notre religion. Orr déclare: « Nous ne pouvons connaître Dieu dans les profondeurs de son être absolu. Mais nous pouvons tout au moins le connaître dans la mesure où il se révèle lui-même dans sa relation avec nous. La question donc n’est pas de savoir s’il existe une possibilité de connaître Dieu dans le caractère insondable de son être, mais de savoir si nous pouvons connaître Dieu ‹lorsqu’il entre en relation› avec le monde et avec nous-mêmes. Dieu est entré en relations avec nous par les révélations qu’il nous a données de lui-même, et ‹suprêmement› en Jésus-Christ. Nous, chrétiens, affirmons humblement que, par cette auto-révélation, nous avons une connaissance réelle et véritable du caractère et de la volonté du vrai Dieu. Il n’est pas davantage correct de dire que cette connaissance que nous avons de Dieu n’est que ‹relative›. C’est également, en partie, une connaissance de la nature ‹absolue de Dieu. »5

Ces dernières affirmations veulent probablement prévenir l’idée que toute notre connaissance de Dieu est simplement relative à l’esprit humain, de sorte que nous n’avons aucune assurance que cela corresponde à la réalité telle qu’elle existe en Dieu.

C) L’Etre de Dieu révélé par ses attributs

De la simplicité de Dieu, on déduit que Dieu et ses attributs sont un. Les attributs ne peuvent être considérés comme autant de différentes parties qui entrent dans la composition de Dieu, car Dieu n’est, pas plus que les hommes, composé de différentes parties. Les attributs ne peuvent pas davantage être considérés comme rajoutés à l’Etre de Dieu – bien que le mot attribut, dérivé de ad et de tribuere, puisse en donner l’impression – car aucune addition n’a jamais été faite à l’Etre de Dieu, qui est éternellement parfait. On dit communément en théologie que les attributs de Dieu sont Dieu lui-même, en tant qu’il s’est lui-même révélé à nous. Les scolastiques ont souligné le fait que Dieu est tout ce qu’il a. Il a la vie, la lumière, la sagesse, l’amour, la justice, et l’on peut dire, sur la base de l’Ecriture, qu’il est vie, lumière, sagesse, amour et justice.

Les scolastiques sont allés plus loin dans leurs affirmations en disant que l’essence entière de Dieu est identique à chacun des attributs, de sorte que la connaissance de Dieu est Dieu, la volonté de Dieu est Dieu, etc. Certains d’entre eux sont allés si loin qu’ils ont dit que chaque attribut est identique à chaque autre attribut, et qu’il n’existe aucune distinction logique en Dieu. Il s’agit là d’un extrême très dangereux.

Alors que l’on peut dire qu’il y a interpénétration des attributs en Dieu, et qu’ils forment un tout harmonieux, nous tendons vers le panthéisme lorsque nous éliminons toutes distinctions en Dieu, et disons que son aséité est son infinité, sa connaissance sa volonté, son amour sa justice et vice versa. Une des caractéristiques des nominalistes était d’effacer toutes distinctions réelles en Dieu. En affirmant de réelles distinctions en Dieu, correspondant à ses attributs, ils craignaient de compromettre l’unité et la simplicité de Dieu; leur but était donc louable. Selon eux, les perfections de l’Etre divin n’existent que dans nos pensées, sans aucune réalité correspondante dans l’Etre divin.

Les réalistes, de leur côté, ont affirmé la réalité des perfections divines. Ils ont réalisé que la théorie des nominalistes, logiquement appliquée, conduirait vers un refus panthéiste d’un Dieu personnel; ils ont donc considéré comme étant de la dernière importance de maintenir la réalité objective des attributs en Dieu. En même temps, ils ont cherché à sauvegarder l’unité et la simplicité de Dieu, en maintenant que l’essence entière se trouve dans chaque attribut: Dieu est Tout en tout, Tout en chaque. Thomas d’Aquin avait la même idée quand il affirmait que les attributs ne révèlent pas ce que Dieu est en lui-même dans les profondeurs de son être, mais uniquement ce qu’il est en relation avec ses créatures.

Naturellement, nous devons veiller à ne pas séparer essence divine et attributs divins, et également veiller à ne pas avoir une conception erronée de la relation des attributs entre eux. Les attributs sont de réels déterminatifs de l’Etre divin ou, en d’autres termes, des qualités inhérentes à l’Etre de Dieu. Shedd en parle comme d’« une description analytique et très proche de l’essence »6. En un sens, ils sont identiques, de sorte que l’on peut dire que les perfections de Dieu sont Dieu lui-même tel qu’il s’est révélé à nous. Il est même possible d’aller plus loin et de dire avec Shedd: « L’essence entière est dans chaque attribut, et l’attribut dans l’essence. »7De plus, en raison de la relation étroite dans laquelle ils sont l’un par rapport à l’autre, on peut dire que la connaissance des attributs porte en elle la connaissance de l’essence divine. Ce serait une erreur de concevoir l’essence de Dieu comme existant par elle-même, antérieurement aux attributs, et les attributs comme des particularités additives et accidentelles de l’Etre divin. Ils constituent des qualités essentielles de Dieu, inhérentes à son Etre même, et co-existantes avec lui. On ne peut altérer ces qualités sans altérer aussi l’Etre essentiel de Dieu. Et puisqu’ils constituent des qualités essentielles, chacun d’eux nous révèle un aspect de l’Etre de Dieu.


1 Systematic Theology, chap. III.

2 Kuyper, Dictaten Dogmatiek, « De Deo » I, 28.

3 Confessio Belgica, art. 1.

4 Calvin, Institution de la religion chrétienne, I, II, 2.

5 Orr, Side-Lights on Christian Doctrine, 11.

6 Shedd, Dogmatic Theology, I, 334.

7 Ibid., 334.

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3. Les noms de Dieu http://larevuereformee.net/articlerr/n222/3-les-noms-de-dieu Sun, 12 Dec 2010 17:42:57 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=405 Continuer la lecture ]]> III. Les noms de Dieu1

A) Les noms de Dieu en général

Si la Bible mentionne plusieurs noms de Dieu, elle parle également du « nom » de Dieu au singulier comme, par exemple, dans les passages suivants:

« Tu ne prendras pas le nom de l’Eternel, ton Dieu, en vain. » (Ex 20:7)

« Que ton nom est magnifique sur toute la terre! » (Ps 8:1)

« Comme ton nom, ô Dieu, ta louange retentit jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ps 48:11)

« Son nom est grand en Israël. » (Ps 76:2)

« Le nom de l’Eternel est une tour forte; le juste y court et s’y trouve hors d’atteinte. » (Ps 18:10)

Dans ces versets, le « nom » désigne la manière que Dieu a de se manifester à son peuple, ou simplement sa personne, de sorte qu’il devient synonyme de Dieu. Cet usage est dû au fait que, dans la pensée orientale, un nom n’était jamais considéré comme un simple vocable, mais comme l’expression de la nature de la chose désignée. Connaître le nom d’une personne, c’était avoir autorité sur elle; les noms des différents dieux étaient utilisés dans les incantations pour exercer un pouvoir sur eux.

Au sens le plus général du mot, le nom de Dieu est son auto-révélation. C’est une désignation de lui-même, non tel qu’il existe dans les profondeurs de son Etre divin, mais tel qu’il se révèle spécialement dans ses relations à l’homme. Pour nous, le nom général de Dieu est diversifié en plusieurs noms, exprimant ainsi les divers côtés de l’être de Dieu. C’est seulement parce que Dieu s’est révélé par son nom (nomen editum) que nous pouvons à présent le nommer par ce nom sous diverses formes (nomina edita). Les noms de Dieu ne sont pas une invention de l’homme, mais ont une origine divine, bien qu’ils soient tous empruntés au langage humain, et dérivés de relations humaines et terrestres. Ils sont anthropomorphiques et indiquent une approche condescendante de Dieu vers l’homme.

Les noms de Dieu constituent une difficulté pour la pensée humaine. Dieu est « l’Incompréhensible », infiniment exalté au-dessus de tout ce qui est temporel; mais, par ses noms, il s’abaisse vers tout ce qui est fini, et devient semblable à l’homme. D’un côté, il nous est impossible de le nommer et, de l’autre côté, il possède plusieurs noms. Comment expliquer cela? Sur quels plans ces noms sont-ils appliqués au Dieu infini et incompréhensible? On devrait se rappeler qu’ils ne sont, ni une invention de l’homme, ni un témoignage de sa perception personnelle de l’être même de Dieu. C’est Dieu lui-même qui nous les donne avec l’assurance qu’ils contiennent, dans une certaine mesure, une révélation de son être. Cela a été possible par le fait que la création est et était censée être une révélation de Dieu. C’est parce que le Dieu Incompréhensible s’est révélé dans ses œuvres que l’homme peut le nommer. Pour se faire connaître à l’homme, Dieu devait s’abaisser au niveau de l’homme, s’accommoder à la conscience humaine finie et limitée, et parler un langage humain. Si le fait de nommer Dieu par des noms anthropomorphiques implique une limitation de Dieu, comme certains le prétendent, alors ceci doit être vrai à un degré bien plus élevé de la révélation de Dieu dans la création. Dans ce cas, le monde ne révèle pas mais dissimule plutôt Dieu; l’homme n’est donc pas en relation avec Dieu, mais forme simplement une antithèse avec lui. Nous en sommes donc réduits à un agnosticisme sans espoir.

Ce qui a été dit du nom de Dieu en général nous permet d’inclure dans les noms de Dieu, non seulement les appellatifs qui le décrivent comme un Etre indépendant et personnel, et par lesquels on s’adresse à lui, mais également les attributs de Dieu – et par voie de conséquence, non simplement les attributs de l’Etre divin en général, mais également ceux qui qualifient les différentes personnes de la Trinité. H. Bavinck fonde sa division des noms de Dieu sur cette large conception, et distingue les nomina propria (noms propres), des nomina essentialia (noms essentiels ou attributs) et des nomina personalia (noms personnels tels que Père, Fils et Saint-Esprit). Dans ce chapitre, nous nous limiterons à la discussion de ceux de la première catégorie.

B) Les noms de l’Ancien Testament et leur signification

1. ‘El, ‘Elohim, et ‘Elyon

Le nom le plus simple par lequel Dieu est désigné dans l’Ancien Testament est le nom ‘El, qui est probablement un dérivé de ‘ul, soit dans le sens d’être premier, d’être seigneur, soit dans celui d’être fort et puissant. Le nom ‘Elohim (singulier ‘Eloah) provient probablement de la même racine, ou de ‘alah (être frappé de peur) et désigne ainsi Dieu comme le fort et le puissant, ou comme un objet de frayeur. Le nom se rencontre rarement au singulier, sauf en poésie. Le pluriel doit être considéré comme intensif et sert donc à indiquer la plénitude du pouvoir. Le nom ‘Elyon est dérivé de ‘alah (monter, être élevé) et désigne Dieu comme celui qui est élevé et exalté (Gn 14:19-20; Nb 24:16; Es 14:14). On le trouve spécialement en poésie. Ces noms ne sont cependant pas des nomina propria au sens strict du mot, car ils sont également utilisés pour les idoles (Ps 95:3 et 5), pour les hommes (Gn 33:10; Ex 7:1) et pour les autorités (Jg 5:8; Ex 21:6, 22:8-10; Ps 82:1).

2. ‘Adonai

Ce nom est relié aux précédents par son sens. Il est dérivé soit de dun (din), soit de ‘adan, qui signifient tous les deux juger, régner et désigne donc Dieu comme le Souverain tout-puissant, de qui tout est sujet, et à qui l’homme est relié en tant que serviteur. Dans les temps primitifs, c’était le nom courant utilisé par le peuple d’Israël pour s’adresser à Dieu. Plus tard, c’est le nom YHWH qui prévalut largement. Tous les noms mentionnés jusqu’ici décrivent Dieu comme celui qui est élevé et exalté, le Dieu transcendant. Les noms suivants indiquent que cet Etre exalté condescend à entrer en relation avec ses créatures.

3. Shaddai et ‘El Shaddai

Le nom Shaddai est dérivé de shadad, être puissant, et fait ressortir le fait que Dieu possède tout pouvoir dans le ciel et sur la terre. D’autres cependant le font dériver de shad, seigneur. Il diffère de manière importante de ‘Elohim, le Dieu de la création et de la nature par le fait qu’il considère Dieu comme assujettissant toutes les forces de la nature, et les subordonnant à l’œuvre de la grâce divine. Tout en soulignant la grandeur de Dieu, il le représente, non comme un objet de crainte et de terreur, mais comme la source de bénédiction et de consolation. C’est le nom sous lequel Dieu est apparu à Abraham, le père des croyants (Ex 6:2).

4. YHWH et YHWH Tsebhaoth

C’est spécialement sous le nom de YHWH, qui a progressivement supplanté les noms plus primitifs, que Dieu s’est révélé comme le Dieu de grâce. On l’a toujours considéré comme le nom de Dieu le plus sacré et le plus distinctif, le nom incommunicable. Les Juifs l’utilisaient avec une très grande crainte, puisqu’ils lisent Lévitique 24:16 ainsi: « Celui qui blasphèmera le nom de yhwh sera puni de mort. » Et donc, en lisant les Ecritures, ils lui ont substitué soit ‘Adonai, soit Elohim. Les massorètes, tout en laissant les consonnes intactes, leur ont attaché les voyelles de l’un de ces deux noms, en général celles de ‘Adonai. La dérivation réelle du nom, sa prononciation originelle et sa signification sont plus ou moins perdues dans la nuit des temps. Le Pentateuque rattache le nom au verbe hébreu hayah, être (Ex 3:13-14). En nous appuyant sur ce passage, nous pouvons supposer que le nom est, selon toute probabilité, dérivé d’une forme archaïque de ce verbe, à savoir hawah. En ce qui concerne la forme, on peut le considérer comme un imparfait qal ou hiphil à la première personne; mais la première solution est probablement la meilleure. Le sens en est donné en Exode 3:14: « Je suis celui qui suis », que l’on peut aussi traduire: « Je serai celui que je serai ». Interprété de cette manière, le nom indique l’immutabilité de Dieu. Cependant, ce n’est pas tant l’immutabilité de son Etre essentiel qui est en question que l’immutabilité de la relation à son peuple. Le nom contient l’assurance que Dieu sera pour le peuple de l’époque de Moïse ce qu’il a été pour ses pères Abraham, Isaac et Jacob. Il souligne que la fidélité de Dieu dans l’Alliance constitue son nom propre « par excellence » (Ex 15:3; Ps 83:19; Os 12:6; Es 42:8), et n’est utilisé pour aucun autre que le Dieu d’Israël. Le caractère exclusif du nom provient du fait qu’il ne se présente jamais au pluriel ou accompagné d’un suffixe. Il en existe des formes abrégées, Yah et Yahu, que l’on trouve en particulier dans les noms composés.

Le nom YHWH est souvent renforcé par l’adjonction tsebhaoth. Origène et Jérôme la considèrent comme une apposition, parce que YHWH ne permet pas d’état construit. Mais cette interprétation n’est pas suffisamment étayée et ne donne guère un sens intelligible. Il est assez difficile de déterminer à quoi se réfère le mot tsebhaoth. Il existe trois opinions à ce sujet:

a) Les armées d’Israël

On peut douter de la justesse de cette interprétation. La plupart des passages sur lesquels elle s’appuie ne prouvent pas grand-chose. Seuls trois d’entre eux contiennent un semblant de preuve – 1 Samuel 4:4, 17:45, 2 Samuel 6:2 – tandis que l’un d’eux – 2 Rois 19:3 – est plutôt défavorable. Si le pluriel tsebhaoth est utilisé pour les armées du peuple d’Israël, l’armée est régulièrement indiquée par le singulier. Ceci contredit donc l’hypothèse que, dans le nom considéré, le terme se réfère à l’armée d’Israël. Du reste, il apparaît clairement, tout au moins dans les Prophètes, que le nom « YHWH des armées » ne se réfère pas à YHWH comme le dieu de la guerre. Et si le sens du nom a changé, qu’est-ce qui a causé ce changement?

b) Les étoiles

En parlant de l’armée du ciel, l’Ecriture utilise toujours le singulier et jamais le pluriel. D’ailleurs, si les étoiles sont appelées l’armée du ciel, elles ne sont jamais désignées comme l’armée de Dieu.

c) Les anges

Cette interprétation est préférable. Le nom YHWH tsebhaoth se trouve souvent en relation avec des passages où des anges sont mentionnés (1 S 4:4; 2 S 6:2; Es 37:16; Os 12:4-5; Ps 80:1, 4ss, 89:6-8). Les anges sont régulièrement représentés comme une armée qui entoure le trône de Dieu (Gn 28:12, 32:2; Jos 5:14; 1 R 22:19; Ps 68:17, 103:21, 148:2; Es 6:2). Il est vrai que, quand on parle des anges, c’est aussi le singulier qui est généralement employé, mais ceci ne constitue pas une objection suffisante, puisque la Bible précise qu’il existe plusieurs divisions d’anges (Gn 32:2; Dt 33:2; Ps 68:17). Bien plus, cette interprétation est en harmonie avec la signification du nom, qui n’a pas de connotation guerrière, mais exprime la gloire de Dieu en tant que Roi (Dt 32:2; 1 R 22:19; Ps 24:10; Es 6:3, 24:23; Za 14:16). L’expression « YHWH des armées » désigne donc Dieu comme le roi de gloire, entouré d’armées angéliques, gouvernant le ciel et la terre dans l’intérêt de son peuple et recevant la gloire de toutes ses créatures.

C) Les noms du Nouveau Testament et leur interprétation

1. Theos

Le Nouveau Testament a les équivalents grecs des noms de l’Ancien Testament. Pour ‘El, ‘Elohim et ‘Elyon, il a Theos qui est le nom le plus courant appliqué à Dieu. Comme ‘Elohim, il peut, par accommodation, être utilisé pour les dieux païens, bien qu’au sens strict, il exprime la divinité essentielle. ‘Elyon est traduit par Hupsistos Theos (Mc 5:7; Lc 1:32, 35, 75; Ac 7:48, 16:17; Hé 7:1). Les noms Shaddai et ‘El Shaddai sont rendus par Pantokrator et Theos Pantokrator (2 Co 6:18; Ap 1:8, 4:8, 11:17, 15:3, 16:7, 14). Cependant, on trouve plus généralement Theos au génitif singulier indiquant la possession (tels que mou, sou, hemon, humon), parce que, en Christ, Dieu peut être considéré comme le Dieu de tous et de chacun de ses enfants. En ce qui concerne la religion, le concept national de l’Ancien Testament a fait place, dans le Nouveau Testament, au concept d’individu.

2. Kurios

Le nom YHWH est parfois expliqué par des variations de nature descriptive, telles que « l’Alpha et l’Oméga », « Celui qui est, qui était et qui vient », « le commencement et la fin », « le premier et le dernier » (Ap 1:4, 8, 17, 2:8, 21:6, 22:13). En ce qui concerne le reste, le Nouveau Testament suit la Septante qui lui a substitué ‘Adonai, et a traduit ce dernier par Kurios, dérivé de kuros, puissance. Ce nom n’a pas exactement la même connotation que YHWH, mais désigne Dieu comme le Puissant, le Seigneur, le Possesseur, le Souverain qui a le pouvoir légal et l’autorité. Le mot n’est pas seulement utilisé pour Dieu, mais aussi pour le Christ.

3. Pater

On dit souvent que le Nouveau Testament a introduit un nouveau nom de Dieu, à savoir Pater (Père). Mais ceci n’est guère correct. Le nom de Père est utilisé pour parler de la divinité, même dans les religions païennes. Il est souvent employé dans l’Ancien Testament pour désigner la relation existant entre Dieu et Israël (Dt 32:6; Ps 103:13; Es 63:16, 64:8; Jr 3:4, 19, 31:9; Ml 1:6, 2:10) tandis qu’Israël est appelé le fils de Dieu (Ex 4:22; Dt 14:1, 32:19; Es 1:2; Jr 31:20; Os 1:10, 11:1). Dans cette optique, le nom exprime la relation spéciale théocratique dans laquelle Dieu se tient à l’égard d’Israël. Dans les passages suivants du Nouveau Testament, il est utilisé au sens général d’auteur ou de créateur (1 Co 8:6; Ep 3:15; Hé 12:9). Partout ailleurs, il sert à exprimer, soit la relation spéciale dans laquelle la première personne de la Trinité se tient à l’égard du Christ en tant que Fils de Dieu, en un sens métaphysique ou de médiation, soit la relation éthique dans laquelle Dieu se tient à l’égard de tous les croyants en tant que ses enfants spirituels.


1 Systematic Theology, chap. IV.

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1. La connaissabilité de Dieu http://larevuereformee.net/articlerr/n222/1-la-connaissabilite-de-dieu Sun, 12 Dec 2010 17:41:57 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=404 Continuer la lecture ]]> I. La connaissabilité de Dieu1

A) Dieu incompréhensible, mais cependant connaissable

L’Eglise chrétienne confesse, d’une part, que Dieu est incompréhensible, mais, d’autre part, qu’il peut être connu, et que cette connaissance est une condition nécessaire au salut. Elle reconnaît la force de la question de Tsophar: « Peux-tu découvrir les profondeurs de Dieu, ou découvrir ce qui touche à la perfection du Tout-Puissant? » (Jb 11:7), et la pertinence de l’interrogation d’Esaïe: « A qui voulez-vous comparer Dieu? Et quelle représentation dresserez-vous de lui? » (Es 40:18) Mais en même temps, l’Eglise reste attentive à l’affirmation de Jésus: « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17:13) Elle se réjouit de savoir que « le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître celui qui est le Véritable; et nous sommes dans le Véritable en son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 5:20). Les deux idées incluses dans ces passages ont toujours été maintenues côte à côte dans l’Eglise chrétienne.

Les premiers Pères de l’Eglise ont parlé du Dieu invisible comme d’un Etre incréé, anonyme, éternel, incompréhensible et immuable. Ils n’ont guère été au-delà de l’ancienne idée grecque selon laquelle l’Etre Divin existe de manière absolue et sans attributs. En même temps, ils ont confessé que Dieu se révèle lui-même dans le Logos, et peut par conséquent être connu en vue du salut. Eunomius, un arien du IVe siècle, a soutenu « la simplicité de Dieu »: il n’y a rien en Dieu qui ne soit compris et connu par l’intelligence humaine; sa théorie a été rejetée par les théologiens les plus éminents de l’Eglise. Les scolastiques ont établi une distinction entre le quid et le qualis de Dieu; ils ont avancé que nous ne savons pas ce qu’est Dieu dans son Etre essentiel, mais que nous pouvons connaître quelque chose de sa nature, de ce qu’il est envers nous, tel qu’il se révèle dans ses attributs divins.

Les mêmes idées générales ont été exprimées par les réformateurs, mais sans qu’ils puissent être d’accord avec les scolastiques sur la possibilité d’acquérir, par la raison humaine autonome et à partir de la révélation générale, une connaissance réelle de Dieu. Luther parle, à plusieurs reprises, de Dieu comme le Deus Absconditus (Dieu caché) qu’il distingue de Dieu, le Deus Revelatus (Dieu révélé). Parfois, il va jusqu’à parler du Dieu « révélé » comme d’un Dieu encore « caché », puisque inconnaissable, même à travers sa révélation spéciale. Pour Calvin, Dieu dans les profondeurs de son être « déborde » tout ce que l’on peut connaître de lui. « Son essence, dit-il, est incompréhensible, de sorte que sa divinité échappe totalement à tout sens humain. » Les réformateurs ne nient pas que l’homme puisse appréhender quelque chose de la nature de Dieu à partir de sa création, mais ils maintiennent qu’il ne peut acquérir une connaissance véritable de Dieu qu’à partir de la révélation spéciale et par l’illumination du Saint-Esprit.

Sous l’influence de la théologie panthéisante de l’immanence, un changement est survenu, inspiré par Hegel et Schleiermacher. La transcendance de Dieu est « mise en sourdine », ignorée ou niée explicitement. Dieu est rabaissé au niveau du monde, placé en continuité avec lui, et considéré ainsi comme moins incompréhensible, bien qu’encore enveloppé de mystère. La révélation spéciale au sens d’une communication directe de Dieu vers l’homme est repoussée. On peut atteindre à une connaissance suffisante de Dieu sans cette révélation, puisque l’homme peut découvrir Dieu dans les profondeurs de son être intérieur, dans l’univers matériel, et, par-dessus tout, en Jésus-Christ – tout cela n’étant que des manifestations extérieures du Dieu immanent. C’est contre cette tendance théologique que Karl Barth s’est élevé. Pour lui, Dieu ne doit être trouvé ni dans la nature, ni dans l’histoire, ni dans l’expérience humaine quelle qu’elle soit, mais uniquement dans la révélation qui nous est donnée par la Bible. Ses vigoureuses affirmations relatives au Dieu caché tiennent davantage du langage de Luther que de celui de Calvin.

La théologie réformée soutient que Dieu peut être connu, mais qu’il est impossible à l’homme d’avoir de lui une connaissance exhaustive et parfaite. Avoir une telle connaissance de Dieu équivaudrait à le comprendre, et ceci est hors de question: Finitum non possit capere infinitum. En outre, l’homme est dans l’incapacité de donner, au sens propre du terme, une définition de Dieu; au mieux, il énoncera une description partielle. Une définition logique est impossible, parce que Dieu ne peut être objet d’analyse. Simultanément, l’homme acquerra une connaissance de Dieu parfaitement adéquate à la réalisation du dessein divin dans sa vie. Mais une connaissance vraie de Dieu ne peut être obtenue que si Dieu se révèle lui-même, et si l’homme l’accepte avec une foi comparable à celle de l’enfant. La religion présuppose nécessairement une telle connaissance, elle constitue la relation la plus sacrée qui soit entre un homme et son Dieu, relation dans laquelle l’homme est conscient à la fois de la grandeur absolue et de la majesté de Dieu comme Etre suprême, et de sa propre et totale insignifiance ainsi que de sa sujétion au Très-Haut et au Saint. Il s’ensuit que la religion présuppose la connaissance de Dieu en l’homme. Si l’être humain était absolument laissé dans l’ignorance de « l’être » de Dieu, il lui serait impossible d’adopter une attitude religieuse. Il n’y aurait ni vénération, ni piété, ni crainte de Dieu, ni culte.

B) Refus de la connaissabilité de Dieu

La possibilité de connaître Dieu a été niée sur différents plans. Ce refus est généralement fondé sur les limites supposées de la faculté cognitive de l’homme. L’idée fondamentale est que l’esprit humain est incapable de connaître quoi que ce soit au-delà et derrière les phénomènes naturels, il est donc nécessairement ignorant du supra-perceptible et du divin. Huxley a été le premier à appliquer le nom « d’agnostiques » à ceux qui assument cette position, y compris lui-même. Les agnostiques se situent entièrement au niveau des sceptiques des premiers siècles et de la philosophie grecque. Ils n’aiment pas être taxés d’athéisme, puisqu’ils ne nient pas absolument qu’il y ait un Dieu. Ils déclarent seulement ne pouvoir dire s’il existe ou non; et à supposer qu’il existe, ils doutent d’en avoir une connaissance réelle.

Hume est considéré comme le père de l’agnosticisme moderne. Il ne conteste pas l’existence de Dieu, mais pour lui nos pensées sur Dieu sont et ne peuvent être qu’anthropomorphiques. Il est impossible d’admettre une réalité correspondant aux attributs que nous accordons à Dieu. L’agnosticisme de Hume repose sur le principe général selon lequel toute connaissance est fondée sur l’expérience.

Le développement de la pensée agnostique est dû à Kant qui a recherché par la philosophie les limites de la raison et de la compréhension humaine. La raison théorique ne connaît que des phénomènes, elle ignore nécessairement ce qui leur est sous-jacent, c’est-à-dire la cause, le moteur, le responsable. En conséquence, il nous est impossible d’avoir une quelconque connaissance de Dieu.

D’après Lotze, les phénomènes, physiques ou mentaux, sont toujours reliés à une substance sous-jacente; dès lors que l’on connaît, on peut expliciter la substance dont ils sont des manifestations. Le philosophe écossais Hamilton, sans être entièrement d’accord avec Kant, a partagé son agnosticisme intellectuel. Pour lui, l’esprit humain ne connaît que ce qui est « conditionné » et en interrelations; l’Absolu et l’Infini n’ayant pas ces caractéristiques, il nous est impossible d’en avoir la moindre notion, sans pour autant nier leur existence. Il dit: « Par la foi, nous appréhendons ce qui se trouve au-delà de notre connaissance. » Mansel a popularisé la pensée de Hamilton, dont il était très proche. L’impossibilité de concevoir un Etre infini n’exclut pas la croyance à son existence. Idée peu convaincante, car l’Absolu et l’Infini n’existent pas nécessairement en dehors de toutes relations, et peuvent au contraire entrer en interrelations (avec nous); connaître les choses uniquement « par relations » n’implique pas que cette connaissance ainsi acquise soit relative ou irréelle.

Comte, le père du positivisme, était aussi agnostique en matière de religion. Selon lui, l’homme ne peut connaître que les phénomènes physiques et leurs lois. Ses sens sont à l’origine de toute pensée véritable; il ne peut rien connaître, sinon les phénomènes que ses yeux appréhendent et leurs interrelations. On peut réduire les phénomènes mentaux aux phénomènes matériels, que l’homme ne peut dépasser par la science. Même les phénomènes de conscience immédiate sont exclus, ainsi que tout ce qui leur est sous-jacent. La théologie spéculative représente l’enfance de la pensée. Aucune affirmation positive relative à l’existence de Dieu ne peut être formulée, et ainsi le théisme et le déisme se trouvent l’un et l’autre condamnés.

Cependant, à la fin de sa vie, Comte perçut le besoin d’une religion qu’il intitula « religion de l’humanité ». Bien plus que Comte, Spencer est considéré comme le grand interprète de l’agnosticisme scientifique moderne. Très fortement influencé par la doctrine de la relativité de la connaissance de Hamilton, et par la notion de l’Absolu de Mansel, il développe sa doctrine de l’Inconnaissable, terme par lequel il désigne tout ce qui peut être absolu, premier ou ultime dans l’ordre de l’univers, Dieu compris. Il part de l’assertion selon laquelle existe une réalité derrière les phénomènes, mais il maintient que toute réflexion sur cette réalité conduit à des contradictions. Cette réalité ultime est absolument impénétrable. Accepter l’existence d’une puissance ultime, personnelle ou impersonnelle, n’en donne cependant pas la notion. De manière inconséquente, il consacre néanmoins une grande partie de ses Premiers principes au développement du contenu positif de l’Inconnaissable, comme s’il était réel, connu. Son influence s’est étendue à d’autres agnostiques, tels que Huxley, Fiske, et Clifford. L’agnosticisme se retrouve maintes fois dans l’humanisme moderne. D’après Barnes, « dans l’état actuel de la connaissance, seule la position agnostique peut être soutenue par une personne dotée d’un esprit scientifique et critique »2.

L’argument agnostique a revêtu plusieurs autres interprétations; en voici quelques-unes.

1. « L’homme ne connaît que par analogie. » Nous ne connaissons que ce qui présente une analogie avec notre propre nature ou notre expérience: Simila similibus percipiuntur. Mais s’il est vrai que nous apprenons beaucoup par association, nous apprenons aussi par contraste. Dans bien des cas, ce sont précisément les différences qui retiennent notre attention. Les scolastiques ont parlé de la via negationis, par laquelle ils exclurent de Dieu, par la pensée, les imperfections de la créature. Nous ne devrions pas oublier que l’homme est créé à l’image de Dieu, et qu’il y a des analogies importantes entre la nature divine et la nature humaine.

2. « L’homme ne connaît réellement que ce qu’il peut saisir totalement. » En résumé, l’idée est que l’homme ne peut comprendre Dieu qui est infini, ne peut avoir de lui une connaissance exhaustive et ne peut donc le connaître. Mais ce raisonnement part de l’assertion gratuite selon laquelle la connaissance partielle ne peut pas être une connaissance réelle, affirmation qui invaliderait toute notre connaissance, puisqu’elle reste bien en deçà de la plénitude. La connaissance de Dieu, quoique non exhaustive, peut cependant être très réelle, parfaitement adéquate et appropriée à nos besoins présents.

3. « Tous les attributs de Dieu sont négatifs et n’offrent donc aucune connaissance réelle. » Selon Hamilton, l’absolu et l’infini ne peuvent être conçus que comme une négation du pensable; ce qui signifie que nous ne pouvons en avoir aucune conception. Mais s’il est vrai que beaucoup d’attributs de Dieu ont une forme négative, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne puissent transmettre une idée positive. L’aséité de Dieu inclut la notion positive de l’existence en soi. En outre, des idées comme l’amour, le caractère spirituel, la sainteté sont positives.

4. « Toute notre connaissance est relative au sujet qui connaît. » On dit que nous connaissons les objets, non pas tels qu’ils sont objectivement, mais uniquement par rapport à nos sens et à nos facultés. Dans le processus de connaissance, nous les déformons et les colorons. En un sens, il est parfaitement vrai que toute notre connaissance est subjectivement conditionnée; mais affirmer que, parce que nous ne connaissons les choses que par la médiation de nos sens et de nos facultés, nous ne les connaissons pas telles qu’elles sont, c’est faux; dans la mesure où nous avons une connaisance réelle des choses, cette connaissance correspond à la réalité objective. Les lois de la perception et de la pensée ne sont pas arbitraires, elles correspondent à la nature des objets. Sans cette correspondance, non seulement la connaissance de Dieu, mais aussi toute connaissance vraie serait complètement impossible.

D’aucuns ont assimilé la position de Barth à une sorte d’agnosticisme. Pour Zerbe, l’agnosticisme pratique domine la pensée de Barth et fait de lui une victime de l’inconnaissabilité kantienne de l’objet-en-soi; il cite: « L’épître aux Romains est une révélation du Dieu inconnu; Dieu va vers l’homme, et non l’homme vers Dieu. Même après la révélation, l’homme ne peut connaître Dieu, car il est toujours le Dieu inconnu. Lorsqu’il se manifeste à nous, il est plus éloigné que jamais. »3 Zerbe trouve l’agnosticisme de Barth, comme celui de Spencer, inconsistant. Il note: « On a dit de Spencer qu’il savait beaucoup de choses au sujet de l’Inconnaissable, de même pour Barth, […] comment est-il arrivé à une connaissance si poussée du Dieu inconnu? »4 De même, Dickie affirme: « En parlant d’un Dieu transcendant, Barth semble parler d’un Dieu dont nous ne pouvons rien savoir. »5

C’est pertinent, Barth ne se veut pas agnostique, même si certaines de ses affirmations prêtent à une interprétation agnostique. Il insiste sur le Dieu caché que l’on ne peut connaître ni par la nature, ni par l’histoire, ni par l’expérience, mais seulement par la révélation donnée en Christ, en réponse à la foi. Même à travers cette révélation, Dieu apparaît uniquement comme le Dieu caché, et par sa révélation rend plus que jamais conscient de la distance qui le sépare de l’homme. L’on en déduit que nous apprenons par la révélation que Dieu ne peut être connu, que nous nous trouvons finalement face à un Dieu inconnu. Devançant cette remarque, Barth écrit: « L’affirmation selon laquelle nous voyons Dieu comme le Dieu caché à la lumière de la révélation n’exclut pas l’idée que, par la révélation, nous puissions également acquérir une connaissance importante et utile de Dieu, lorsqu’il entre en relation avec son peuple. » Pour Barth, « le Dieu inconnu » signifie en réalité « le Dieu incompréhensible ». Le Dieu qui se révèle est Dieu en action. Par sa révélation, nous apprenons à le connaître dans « ses opérations », mais n’acquérons aucune connaissance réelle de son être intérieur.

Le passage suivant tiré de La doctrine de la Parole de Dieu6 est assez explicite: « Sur cette liberté (liberté de Dieu) repose le caractère inconcevable de Dieu et l’inadéquation de toute connaissance du Dieu révélé. Il en est ainsi également de la Trinité, qui ne nous est, elle, révélée que par les opérations de Dieu et qui donc nous demeure incompréhensible en elle-même. La manière dont nous avons imaginé la Trinité, d’abord par l’Ecriture, ensuite dans la doctrine de la Trinité telle que l’a formulée l’Eglise, relève d’une compréhension purement humaine. Comparée à la réalité de Dieu en lui-même, elle est non seulement relative, mais totalement distincte. Seule la grâce donne sens et vérité à cette affirmation de la tri-unité de Dieu. »

C) Auto-révélation, nécessité préalable à toute connaissance de Dieu

1. Dieu se fait connaître à l’homme

D’après Kuyper, la théologie, en tant que connaissance de Dieu, diffère considérablement des autres connaissances. Dans toutes les sciences, l’homme se place « au-dessus » de l’objet de ses investigations, et en déduit son savoir par la méthode qui lui semble la plus appropriée. Par contre, en théologie, il ne se situe pas au-dessus, mais plutôt « au-dessous » de l’objet de sa recherche. En d’autres termes, l’homme ne peut connaître Dieu que dans la mesure où celui-ci se fait connaître activement. Dieu est avant tout le sujet qui se révèle à l’homme; il ne peut devenir un objet d’étude pour l’homme que dans les limites où ce dernier s’approprie et reflète la connaissance qui lui est transmise par la révélation. Sans révélation, l’homme n’aurait jamais rien pu savoir de Dieu. Et même après que Dieu se fut lui-même révélé de manière objective, ce n’est pas la raison humaine qui découvre Dieu, mais bien plutôt Dieu qui se donne à connaître

dans la foi.

Ainsi, en s’attachant à l’étude de la Parole de Dieu par sa raison sanctifiée, l’homme peut, sous la conduite du Saint-Esprit, acquérir une connaissance de Dieu de plus en plus profonde. Barth souligne que l’homme ne peut connaître Dieu que lorsque celui-ci s’approche de lui par un acte de révélation. Il n’existe aucun chemin de l’homme vers Dieu; le chemin est de Dieu vers l’homme, et Barth répète constamment que Dieu est invariablement le « maître du jeu », et jamais l’objet. La révélation est toujours quelque chose de purement subjectif, et ne peut devenir quelque chose d’objectif semblable à la Parole écrite, ni un objet d’étude en tant que tel. Elle est donnée une fois pour toutes en Jésus-Christ et parvient aux hommes en Christ d’une manière existentielle. Bien qu’il y ait des éléments de vérité dans ce que dit Barth, sa doctrine de la révélation est étrangère à la théologie réformée.

On doit maintenir que la théologie serait tout à fait impossible sans une auto-révélation de Dieu. Quand nous parlons de « révélation », nous utilisons le terme au sens strict du mot. Nous ne voulons pas dire par là que Dieu se laisse découvrir passivement: Dieu se fait lui-même connaître activement. Il n’est pas question ici, comme beaucoup de modernes le penseraient, d’une perspicacité spirituelle approfondie qui mènerait à une découverte de plus en plus intense de Dieu par l’homme; il s’agit d’un acte surnaturel d’autocommunication, volontaire et intentionnel du Dieu Vivant.

Ce raisonnement est vrai aussi pour l’étude de l’homme. Même après que la psychologie eut étudié l’homme de manière plutôt exhaustive, Carrel a pu encore écrire un ouvrage très convaincant au sujet de L’homme, cet inconnu. « Car qui, parmi les hommes, dit l’apôtre Paul, sait ce qui concerne l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui? De même, personne ne connaît ce qui concerne Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. » (l Co 2:11) Le Saint-Esprit sonde toutes choses, même les profondeurs de Dieu, et les révèle à l’homme. Dieu s’est fait connaître. A côté de la connaissance « archétypique » de Dieu que l’on trouve en Dieu lui-même, il existe une connaissance « ectypique » de Dieu, donnée à l’homme par révélation. Cette dernière est à la première ce qu’une copie est à l’original, et ne possède pas le même degré de clarté et de perfection. Toute notre connaissance de Dieu provient de l’auto-révélation de Dieu dans la nature et dans l’Ecriture, elle est ainsi d’un côté « ectypique » et analogique, et de l’autre côté également vraie et précise, puisque c’est une copie de la connaissance « archétypique » que Dieu a de lui-même.

2. Connaissance innée de Dieu et connaissance acquise de Dieu (cognitio insita et cognitio acquisita)

On distingue généralement la connaissance innée de Dieu de la connaissance acquise de Dieu. Ce n’est pas une distinction strictement logique, parce que, en dernière analyse, toute connaissance humaine est acquise. La théorie des idées innées est plus philosophique que théologique, on en trouve les racines dans la « doctrine des idées » de Platon, mais c’est Cicéron qui l’a développée dans son De Natura Deorum. En philosophie moderne, Descartes a été le premier à enseigner l’innéité du concept de Dieu. Il n’a pas cru nécessaire de considérer cette innéité au sens où le concept de Dieu serait consciemment présent dans l’esprit humain dès le départ; il en traite au sens où l’homme a une tendance naturelle à former ce concept lorsque son esprit atteint la maturité. Finalement, la théorie a été formulée ainsi: certaines idées, parmi lesquelles celle de Dieu est la plus remarquable, sont infuses, présentes dans la conscience humaine depuis la naissance. C’est à cette expression de la « doctrine des idées » que Locke s’est attaqué, bien qu’il soit tombé dans l’autre extrême de l’empirisme philosophique.

La théologie réformée a également rejeté cette doctrine ainsi formulée. Certains de ses représentants ont retenu le terme « d’idées innées », tout en leur donnant une autre connotation; d’autres ont préféré parler d’une cognitio Dei insita, connaissance de Dieu implantée ou greffée. Cette cognitio Dei insita ne consiste pas en idées ou notions déjà formées présentes en l’homme au moment de sa naissance; pourtant, elle est plus qu’une simple capacité, permettant à l’homme de connaître Dieu; c’est une connaissance inhérente à la structure de l’esprit humain. Elle existe en lui spontanément, sous l’influence de la semen religionis implantée en l’homme par sa création à l’image de Dieu. L’homme – constitué tel qu’il est – ne l’acquiert pas par un processus laborieux de raisonnement et d’argumentation, elle lui est une « nécessité »; elle se distingue de toute autre connaissance qui serait conditionnée par sa volonté.

La connaissance acquise s’obtient par l’étude de la révélation de Dieu. Elle ne naît pas spontanément dans l’esprit humain, mais résulte d’une recherche consciente et soutenue de la connaissance. On ne peut se l’approprier que par un processus de perception et de réflexion, de raisonnement et d’argumentation. Sous l’influence de l’idéalisme hégélien et de la théorie moderne de l’évolution, la connaissance infuse de Dieu a été « sur-accentuée »; Barth nie l’existence d’une telle connaissance.

3. Révélation générale et révélation spéciale

La Bible témoigne d’une double révélation de Dieu:

a) Une révélation dans la nature, tout autour de nous, dans la conscience humaine, et dans la façon providentielle dont le monde est régi. Citons quelques passages spécifiques à la révélation générale. « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue céleste annonce l’œuvre de ses mains. Le jour en donne instruction au jour, la nuit en donne connaissance à la nuit. » (Ps 19:1-2) « Quoiqu’il n’ait cessé de rendre témoignage de ce qu’il est par ses bienfaits en vous donnant du ciel les pluies et les saisons fertiles, en vous comblant de nourriture et de bonheur dans le cœur. » (Ac 14:17) « Ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, car Dieu le leur a manifesté. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. » (Rm 1:19-20)

b) Une révélation concrétisée dans la Bible en tant que Parole de Dieu. L’Ecriture en parle d’une manière aussi évidente qu’abondante, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. « L’Eternel fit avertir solennellement Israël et Juda par l’intermédiaire de tous ses prophètes, de tous les voyants, et leur dit: Revenez de vos mauvaises voies et observez mes commandements et mes prescriptions, en suivant entièrement la loi que j’ai ordonnée à vos pères et que je vous ai envoyée par l’intermédiaire de mes serviteurs les prophètes. » (2 R 17:13) « Il a fait connaître ses voies à Moïse, ses hauts faits aux fils d’Israël. » (Ps 103:7) « Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître. » (Jn 1:18) « Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par le Fils en ces jours qui sont les derniers. » (Hé 1:1-2)

Sur la base de ces données scripturaires, on a pris l’habitude de parler d’une révélation naturelle et d’une révélation surnaturelle. Cette distinction appliquée à l’idée de révélation est, d’abord, fondée sur la manière par laquelle elle est communiquée à l’homme. Ensuite, elle a été en partie expliquée par la nature de son contenu.

Le mode de révélation est naturel lorsque la révélation est fournie par la nature, c’est-à-dire, par la création visible avec ses lois ordinaires et ses forces. Il est surnaturel lorsqu’elle est communiquée à l’homme d’une manière supérieure, quand Dieu parle directement ou par des messagers spéciaux. La substance de la révélation est dite naturelle si la raison humaine peut l’appréhender à partir de l’étude de la nature et surnaturelle si elle ne peut être connue ni par la nature, ni par la seule raison humaine. De là, la coutume prise au Moyen Age d’opposer raison et révélation.

En théologie protestante, on a souvent appelé la révélation naturelle revelatio realis, et la révélation surnaturelle revelatio verbalis, parce que la première est contenue dans les choses et la seconde dans les mots. Mais avec le temps, on a estimé que la différenciation entre révélation naturelle et révélation surnaturelle était ambiguë. En effet, toute révélation est surnaturelle à l’origine, ainsi que dans son contenu en tant que révélation. Dans son Nature et Histoire7 (ouvrage sur la révélation), Ewald parle de la révélation dans la nature comme d’une « révélation indirecte » et de la révélation dans l’Ecriture – qu’il considère d’ailleurs comme la seule digne de ce nom – comme d’une « révélation directe ». Une distinction plus commune s’est progressivement introduite dans le langage courant: celle de révélation générale et de révélation spéciale. Warfield les caractérise ainsi: « La première serait, en général, adressée à toutes les créatures intelligentes, et donc accessible à tout homme; la seconde s’adresserait à une catégorie spéciale, les pécheurs, à qui Dieu ferait connaître son salut. L’une vise à faire face et à suppléer au besoin naturel des créatures de connaître Dieu; l’autre à sauver les pécheurs brisés et détournés de leur péché et de ses conséquences. »8

La révélation générale est enracinée dans la création, et adressée à la raison humaine; elle atteint son but en réalisant la vocation créationnelle de l’homme: connaître Dieu et jouir d’être en communion avec lui. La révélation spéciale est enracinée dans le plan rédempteur de Dieu, et adressée à l’homme en tant que pécheur; on peut la comprendre correctement et se l’approprier seulement par la foi. Son dessein est de préserver la vocation créationnelle de l’homme, malgré la distorsion provoquée par le péché. En considérant le plan éternel de rédemption, on devrait pouvoir dire que cette révélation spéciale n’est pas intervenue « après coup », mais se trouvait déjà dans le plan originel de Dieu.

Que de diversités d’opinion quant à la « relation » entre ces deux révélations! Selon la scolastique, la révélation naturelle fournit à la raison humaine les données nécessaires pour construire une théologie scientifique naturelle. Mais, si elle permet à l’homme de parvenir à une connaissance scientifique de Dieu en tant qu’il est cause ultime de toutes choses, elle ne prévoit pas la connaissance des mystères comme la Trinité, l’incarnation, la rédemption. Cette connaissance, complétée par la révélation spéciale, n’est pas rationnellement démontrable, elle doit être acceptée par la foi. Le slogan Credo ut intelligam a guidé certains des premiers scolastiques; après avoir accepté les vérités de la révélation spéciale par la foi, ils ont jugé nécessaire d’élever la foi au niveau de la compréhension par une démonstration rationnelle de ces vérités, tout au moins par la preuve de leur rationalité.

Thomas d’Aquin a pensé toute explication rationnelle impossible, sauf dans la mesure où la révélation spéciale contient des vérités qui sont partie intégrante de la révélation naturelle. Mais les mystères qui constituent le véritable contenu de la révélation surnaturelle ne permettent aucune démonstration logique. Il a maintenu, néanmoins, qu’il ne peut y avoir conflit entre les vérités de la révélation naturelle et celles de la révélation surnaturelle. S’il paraît y en avoir, c’est que quelque chose est faux dans ce système philosophique. Malgré tout, il a reconnu qu’à côté de la structure élevée par la foi sur la base de la révélation surnaturelle existe une structure théologique et scientifique fondée sur la révélation naturelle. On admet une donnée, dans la première, parce qu’elle est révélée, dans la seconde, parce qu’elle est perçue comme vraie à la lumière de la raison naturelle. La démonstration logique qui est hors de question dans l’une est la méthode naturelle de preuve dans l’autre.

Les réformateurs ont rejeté le dualisme des scolastiques et ont cherché à faire la synthèse de la double révélation de Dieu. Pour eux, la raison humaine ne peut construire un système scientifique de théologie sur la base pure et simple de la révélation naturelle; l’entrée du péché dans le monde a considérablement obscurci l’œuvre de Dieu dans la nature, et l’a en partie voilée, rendue illisible. De plus, l’homme a été frappé de cécité spirituelle; il est donc devenu incapable de lire correctement ce que Dieu avait clairement et distinctement inscrit à l’origine dans la création. Afin de remédier à ce drame et pour éviter l’anéantissement de ses projets, Dieu est intervenu à deux niveaux. Eliminant tout risque d’incompréhension, il a réinscrit dans la révélation surnaturelle les vérités déjà contenues dans la révélation naturelle, puis, pensant aux besoins de l’homme, il les a interprétées et introduites dans la révélation surnaturelle de rédemption. Bien plus, il a guéri la cécité spirituelle de l’homme par l’œuvre de la régénération, de la sanctification et de l’illumination spirituelle, permettant ainsi à l’homme d’obtenir une véritable connaissance de Dieu, connaissance qui porte en elle l’assurance de la vie éternelle.

Lorsque le vent glacial du rationalisme a balayé l’Europe, la révélation naturelle a été privilégiée aux dépens de la révélation surnaturelle. Conscient de ses capacités personnelles et de sa bonté, l’homme s’est lui-même intoxiqué, refusant d’écouter et de se soumettre à la voix de l’autorité qui lui parlait dans l’Ecriture; il a accordé une confiance totale aux possibilités de la raison humaine à le conduire hors du labyrinthe de l’ignorance et de l’erreur jusqu’à la clarté de la connaissance. Ceux qui ont maintenu que la révélation naturelle était suffisante pour enseigner à l’homme toutes les vérités nécessaires admettaient aussi que l’on pouvait les appréhender plus rapidement à l’aide de la révélation surnaturelle. D’autres n’ont pas voulu reconnaître l’autorité absolue de la révélation surnaturelle, à moins que son contenu ne soit démontré par la raison. Enfin, le déisme, sous certaines de ses formes, n’a pas seulement rejeté la nécessité, mais aussi la possibilité et la réalité de la révélation surnaturelle. Dans la pensée de Schleiermacher, l’accent se déplace de l’objectif vers le subjectif, de la révélation vers la religion – et ceci sans aucune distinction entre religion naturelle et religion révélée. Le terme « révélation » est encore retenu, mais au sens d’un approfondissement spirituel de l’homme – cet approfondissement ne se faisant pas sans recherche personnelle assidue. Révélation d’un côté, découverte humaine de l’autre, points de vue tout à fait caractéristiques de la théologie moderne. Knudson dit: « La distinction entre théologie naturelle et théologie révélée est tombée aujourd’hui en désuétude. La tendance actuelle est de ne tracer aucune ligne distinctive entre la révélation et la raison naturelle, mais de considérer les perceptions supérieures de la raison comme étant elles-mêmes des vérités divines. Il n’existe aucun corpus doctrinal précis de vérités révélées s’opposant aux vérités de la raison. Toute vérité aujourd’hui repose sur son aptitude à recourir à la raison humaine. »9

C’est cette explication de la révélation que Barth a très fortement dénoncée. Il s’est particulièrement intéressé à la révélation, et a voulu ramener l’Eglise du subjectif à l’objectif, de la religion à la révélation. Pour lui, la religion est, à l’origine, le produit des efforts de l’homme pour trouver Dieu, et la révélation « la recherche par Dieu de l’homme » en Jésus-Christ. Barth ne connaît aucune révélation dans la nature. La révélation n’existe jamais de manière horizontale, mais elle nous vient toujours d’en haut de manière perpendiculaire. La révélation, c’est toujours Dieu qui agit, qui parle, qui apporte quelque chose d’entièrement nouveau à l’homme, quelque chose dont il n’a pu avoir aucune connaissance préalable et qui ne devient une véritable révélation que pour celui qui accepte l’objet de la révélation dans une foi donnée par Dieu. Jésus-Christ est la révélation de Dieu, et seul celui qui connaît Jésus-Christ peut appréhender quelque chose de la révélation. La révélation est un acte de grâce, par lequel l’homme devient conscient de sa condition pécheresse, mais aussi du pardon et de la bienveillance libre et gratuite de Dieu en Jésus-Christ. Barth l’appelle même « réconciliation ». Puisque Dieu est toujours souverain et libre dans sa révélation, celle-ci ne peut jamais revêtir une forme objective, concrète et nettement délimitée vers laquelle l’homme peut se tourner à tout moment pour s’instruire. C’est donc une erreur de considérer la Bible comme la révélation de Dieu dans un sens autre que secondaire. Elle est témoin et signe de la révélation de Dieu.

On peut dire la même chose, quoique dans un sens dérivé, de la prédication de l’Evangile. Quelle que soit la médiation par laquelle la parole de Dieu parvient à l’homme dans le hic et nunc de sa vie, il la reconnaît toujours comme une parole qui lui est adressée directement, qui lui vient d’en haut de manière perpendiculaire. Cette reconnaissance s’effectue par une opération spéciale du Saint-Esprit, que l’on peut appeler un testimonium Spiritus Sancti individuel. La révélation de Dieu a été donnée « une fois pour toutes » en Jésus-Christ: non pas dans son apparence historique, mais dans la supra-historicité, dans laquelle les réalités du monde éternel telles que l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ deviennent évidentes. Et si la révélation de Dieu est également continue – comme elle l’est du reste – elle l’est uniquement au sens où Dieu continue à parler à des pécheurs individuels à un moment précis de leur existence, par la révélation en Christ, médiatisée par la Bible et par la prédication. Ainsi, il ne nous reste que, d’une part, de simples flashes de la révélation parvenus à des individus qui sont les seuls à en avoir l’assurance absolue et, d’autre part, des témoins faillibles, signes de la révélation en Jésus-Christ, fondement plutôt précaire pour la théologie. Comment s’étonner que Barth émette des doutes quant à la possibilité de construire une doctrine de Dieu? L’humanité ne possède aucune révélation infaillible de Dieu, elle n’a connaissance de la révélation unique de Dieu en Jésus-Christ, et de son prolongement par des révélations spéciales à certains hommes, que par l’attestation de témoins faillibles.


1 Systematic Theology, chap. II.

2 H.E. Barnes, The Twilight of Christianity, 260.

3 Zerbe, The Karl Barth Theology, 82.

4 Ibid., 84.

5 Dickie, Revelation and Response, 187.

6 Barth, The Doctrine of the Word of God, 426.

7 Ewald, Revelation: its Nature and Record, 5ss.

8 Warfield, Revelation and Inspiration, 6.

9 Knudson, The Doctrine of God, 173.

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7. La sainte trinité http://larevuereformee.net/articlerr/n222/7-la-sainte-trinite Sun, 12 Dec 2010 17:40:14 +0000 http://larevuereformee.net/?post_type=articlerr&p=402 Continuer la lecture ]]> VII. La sainte trinité1

A) La doctrine de la Trinité dans l’histoire

La doctrine de la Trinité a toujours présenté de grandes difficultés et il n’est donc pas étonnant que l’Eglise, dans sa tentative de la formuler, ait été régulièrement tentée de la rationaliser, et d’en donner des définitions non conformes aux données scripturaires.

l. La période pré-réformatrice

Les Juifs de l’époque de Jésus soulignaient très fortement l’unité de Dieu, et l’Eglise chrétienne les a suivis sur ce point. C’est la raison pour laquelle certains théologiens ont entièrement éliminé les distinctions de personnes existant au sein de la Trinité. D’autres n’ont pas réussi à reconnaître la divinité de la deuxième et de la troisième personnes de la Sainte Trinité. Tertullien fut le premier à utiliser le terme « Trinité » et à en formuler la doctrine, d’ailleurs incomplète, puisqu’elle comportait une subordination non justifiée du Fils au Père. Origène est même allé plus loin, en enseignant explicitement que le Fils est subordonné au Père « quant à l’essence », et que le Saint-Esprit est subordonné au Fils. Réduisant ainsi l’essence divine de ces deux personnes, il a fourni un tremplin aux ariens, qui niaient la divinité du Fils et du Saint-Esprit, représentant le Fils comme la première créature du Père, et le Saint-Esprit comme la première créature du Fils.

Ainsi, la consubstantialité du Fils et du Saint-Esprit avec le Père était sacrifiée afin de préserver l’unité de Dieu, les trois personnes de la Divinité différant par le rang. Si les ariens conservaient partiellement la doctrine des trois personnes dans la Divinité, par contre le monarchianisme, qui voulait à la fois préserver l’unité de Dieu et la divinité du Fils, l’a entièrement éliminée. Le monarchianisme dynamique n’a vu en Jésus qu’un homme et dans le Saint-Esprit qu’une influence divine, tandis que le monarchianisme modaliste a simplement considéré le Père, le Fils et le Saint-Esprit comme trois modes de manifestation revêtus successivement par la Divinité. Certains autres théologiens ont perdu de vue l’unité de Dieu, au point qu’ils ont abouti au trithéisme. Quelques monophysites tardifs comme Jean Ascunages et Jean Philoponus sont tombés dans cette erreur, ainsi que le nominaliste Roscelinius au Moyen Age.

L’Eglise commença à formuler sa doctrine de la Trinité au IVe siècle. Le Concile de Nicée (325) déclarait le Fils consubstantiel au Père, tandis que le Concile de Constantinople (381) affirmait la divinité du Saint-Esprit, bien que de manière moins précise. En ce qui concerne l’interrelation entre les trois personnes de la Trinité, la doctrine officielle affirme que le Fils est engendré par le Père, et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. La doctrine de la Trinité a été énoncée le plus précisément à l’Est par Jean Damascene, bien qu’il retienne encore un élément de subordination, et à l’Ouest par saint Augustin dans son De Trinitate.

2. La période post-réformatrice

Cette période ne laisse apparaître aucun développement plus précis de la doctrine de la Trinité; par contre, d’aucuns sont revenus à certaines constructions primitives erronées. Les arminiens Episcopius, Curcellaeus et Limborgh ont repris la doctrine de la subordination, avant tout, semble-t-il, pour maintenir l’unité de la Divinité. Ils ont attribué au Père une certaine prééminence sur les autres personnes, « dans l’ordre, la dignité et la puissance ». Une position quelque peu similaire a été adoptée par Samuel Clarke en Angleterre et par le théologien luthérien Kahnis. D’autres ont suivi Sabellius, enseignant une forme de modalisme, comme par exemple Emmanuel Swedenborg, qui soutenait que le Dieu-homme éternel s’est incarné dans le Fils et a opéré par le Saint-Esprit; de même Hegel, qui parle du Père comme Dieu en lui-même, du Fils comme la forme objective de Dieu lui-même, et du Saint-Esprit comme Dieu retournant à lui-même; enfin, Schleiermacher, qui considère simplement les trois personnes de la Trinité comme trois aspects de Dieu: le Père représente Dieu comme l’unité fondamentale de toutes choses, le Fils comme venant dans la personnalité consciente de l’homme et le Saint-Esprit comme vivant dans l’Eglise.

Les sociniens de l’époque de la Réforme ont suivi Arius et sont même allés plus loin que lui, en réduisant le Christ à un homme et le Saint-Esprit à une influence ou une puissance. Ils sont les précurseurs des unitariens et des théologiens libéraux qui parlent de Jésus comme d’un maître divin et confondent le Saint-Esprit avec le Dieu immanent. Enfin, certains théologiens, considérant la notion de Trinité ontologique comme inintelligible, ont choisi de se limiter à la notion d’une simple Trinité économique, telle qu’elle se révèle dans l’œuvre de rédemption et dans l’expérience humaine.

Pendant longtemps, les théologiens se sont désintéressés de la doctrine de la Trinité, et la discussion théologique s’est centrée plus particulièrement sur la personnalité de Dieu. C’est Brunner et Barth qui ont de nouveau attiré l’attention sur son importance. Barth la replace fermement au premier plan, la mettant en relation avec la doctrine de la révélation; il y consacre une grande section dans sa Dogmatique. Matériellement, il fait dériver la doctrine de la Trinité de l’Ecriture, mais formellement et logiquement, il pense qu’elle est contenue dans cette phrase toute simple: « Dieu parle. » Il est Révélateur (le Père), Révélation (le Fils), et acte de Révélation (Saint-Esprit). Il se révèle, il est la Révélation, et il est aussi le contenu de la Révélation. Dieu est identifié à sa Révélation. Il demeure absolument libre et souverain dans sa Révélation. Barth n’est pas sabellien, car il reconnaît trois personnes dans la Divinité. En outre, il ne permet aucune subordination. Il déclare: « Ainsi, à ce Dieu qui, dans une inaltérable unité, est à la fois le Révélateur, l’acte de Révélation et le révélé, est également attribué ce triple mode d’être dans une inaltérable distinction. »2

B. Dieu comme Trinité dans l’unité

Le mot « Trinité » indique simplement l’état d’être trois, sans aucune implication quant à l’unité des trois. Cependant, il est généralement admis en théologie que ce terme technique inclut également les deux idées. Il est bien évident que, lorsque nous parlons de la Trinité de Dieu, nous parlons d’une trinité dans l’unité, et d’une unité trine.

1. Le caractère personnel de Dieu et la Trinité

Comme nous 1’avons établi précédemment, les attributs communicables de Dieu soulignent son caractère personnel, puisqu’ils le révèlent comme un Etre rationnel et moral. Sa vie est clairement définie dans 1’Ecriture comme une vie personnelle, et il est, bien sûr, primordial de maintenir le concept du Dieu personnel. En effet, sans cela, il ne peut y avoir aucune religion au sens réel du mot: pas de prière, pas de communion personnelle, pas de confiance et pas d’espoir possibles. Puisque l’homme est créé à l’image de Dieu, nous pouvons appréhender quelque chose de la vie personnelle de Dieu, en étudiant la personne humaine. Nous devrions cependant être prudents et ne pas mesurer le caractère personnel de Dieu à l’aune de celui de l’homme. Le caractère personnel originel n’est pas en l’homme mais en Dieu, celui-ci étant archétypique, et celui-là ectypique. Le caractère personnel de l’homme n’est pas identique à celui de Dieu, mais présente simplement quelques similitudes avec lui. Nous ne devrions pas dire que l’homme est personnel, tandis que Dieu est super-personnel (ce terme est inapproprié), car ce qui est super-personnel n’est pas personnel. Il est préférable de dire que ce qui apparaît comme imparfait en l’homme existe avec une infinie perfection en Dieu. La seule différence fondamentale entre les deux est que l’homme est unipersonnel, alors que Dieu est tri-personnel. Cette existence tri-personnelle est une nécessité dans l’Etre Divin et, en aucun cas, le résultat d’un choix de Dieu. Il ne pourrait exister sous aucune autre forme qu’une forme tri-personnelle.

Plusieurs argumentations ont été avancées, dont la plus courante part de l’idée de caractère personnel lui-même. Shedd fonde son raisonnement sur l’auto-conscience « générale » du Dieu trine, distinguée de l’auto-conscience individuelle et particulière de chacune des personnes de la Divinité; en effet, dans l’auto-conscience, le sujet doit se connaître comme un objet et percevoir aussi qu’il se connaît ainsi. Ceci n’est possible en Dieu qu’à cause de son existence trine. Il sait qu’il ne pourrait se contempler lui-même, se connaître lui-même et communier avec lui-même s’il n’était pas trine dans sa constitution3. Barlett présente de façon intéressante une diversité de considérations pour prouver que Dieu est nécessairement tri-personnel4. L’argument du caractère personnel pour prouver la pluralité qui existe en Dieu peut être formulé ainsi: l’homme ne prend conscience de lui-même que lorsqu’il entre en contact avec quelqu’un d’autre. Le caractère personnel ne se développe ni n’existe dans l’isolement, mais seulement en relation avec d’autres personnes. De cette constatation, nous concluons qu’il n’est pas possible de concevoir de caractère personnel en Dieu, sauf s’il existe plusieurs personnes « égales » en lui. Les relations qu’il entretient avec ses créatures ne pourraient rendre compte de son caractère personnel, pas plus que les relations que l’homme entretient avec les animaux ne pourraient expliquer son caractère personnel. L’existence tri-personnelle de Dieu lui procure une plénitude de vie divine. L’apôtre Paul parle de cette pleroma (plénitude) de la Divinité en Ephésiens 3:19, en Colossiens 1:9 et 2:9. Sachant qu’il existe trois personnes en Dieu, il est plus adéquat de dire que Dieu est personnel que de parler de lui comme d’une personne.

2. Preuves scripturaires de la doctrine de la Trinité

Cette doctrine est véritablement une doctrine révélée. D’une part, il est vrai que, par la simple raison humaine, les hommes ont pu proposer quelques arguments pour l’étayer. Ils ont quelquefois abandonné l’idée d’une unité simple en Dieu pour des raisons purement philosophiques, et ont introduit la notion d’un mouvement vivant et d’une auto-distinction.

D’autre part, il est vrai aussi que l’expérience chrétienne semble nécessiter une telle conception de Dieu. Mais en même temps, il faut reconnaître que c’est une doctrine que nous n’aurions ni pu connaître ni été capables de maintenir avec confiance sur la base de l’expérience seule. C’est la révélation spéciale de Dieu qui nous l’a enseignée. Il est donc fondamental d’en rassembler les preuves scripturaires.

a) Preuves vétérotestamentaires

D’un côté, certains des premiers Pères de l’Eglise et certains théologiens tardifs, sans considérer le caractère progressif de la révélation de Dieu, ont prétendu que la doctrine de la Trinité était déjà complètement révélée dans l’Ancien Testament. D’un autre côté, les sociniens et les arminiens pensaient qu’elle ne s’y trouvait pas du tout. Les uns et les autres étaient dans l’erreur. L’Ancien Testament ne contient pas une pleine révélation de l’existence trinitaire de Dieu, mais en contient en revanche plusieurs indications véritables.

C’est d’ailleurs exactement ce que l’on peut attendre de la Bible. Elle ne traite jamais de la doctrine de la Trinité comme d’une vérité abstraite, mais révèle la vie trinitaire dans ses diverses relations comme une réalité vivante, en rapport, en général, avec les œuvres de création et de providence et, en particulier, avec l’œuvre de rédemption. Sa révélation la plus fondamentale est donnée par les faits plutôt que par les mots. Et cette révélation s’éclaire au fur et à mesure que l’œuvre rédemptrice de Dieu est plus clairement révélée, comme l’incarnation du Fils et l’effusion du Saint-Esprit. Plus la réalité glorieuse de la Trinité ressort dans les faits historiques, plus les affirmations de la doctrine deviennent limpides. La révélation complète de la Trinité dans le Nouveau Testament est due au fait que la Parole s’est faite chair et que le Saint-Esprit a fait de l’Eglise sa demeure.

On a parfois voulu trouver la preuve de la doctrine de la Trinité dans la distinction entre YHWH et Elohim et dans la forme plurielle du mot Elohim; le premier argument est injustifié et le second douteux5. Il est possible que les passages dans lesquels Dieu parle de lui-même au pluriel (Gn 1:26, 11:17) contiennent une indication de distinctions personnelles en Dieu. Cependant, même celles-ci n’indiquent pas forcément une Trinité, mais simplement une pluralité de personnes.

On trouve des indications de distinctions personnelles dans les passages qui se réfèrent à l’Ange de l’Eternel (à la fois identifié à l’Eternel lui-même et différencié de lui) – Genèse 16:7-13, 18:1-21, 19:1-28; Malachie 3:1 – et dans les passages dans lesquels la Parole ou la Sagesse de Dieu sont personnifiées (Ps 33:4, 6; Pr 8:12-31). Dans certains cas, plusieurs personnes sont mentionnées (Ps 33:6, 45:6, 7, cp. Hé 1:8, 9). Dans d’autres, Dieu est l’interlocuteur et parle à la fois du Messie et de l’Esprit, ou alors le Messie est l’interlocuteur et parle à la fois de Dieu et de l’Esprit (Es 48:16, 61:1, 63:9, 10). Ainsi, on trouve dans l’Ancien Testament une anticipation claire de la Trinité telle qu’elle nous est révélée dans le Nouveau Testament.

b) Preuves néotestamentaires

Le Nouveau Testament contient une révélation plus claire des distinctions personnelles existant au sein de la Divinité. Si YHWH est représenté dans l’Ancien Testament comme le Rédempteur et le Sauveur de son peuple (Jb 19:25; Ps 19:14, 78:35, 106:21; Es 41:14, 43: 3, 11, 14, 47:4, 49:7, 26, 60:16; Jr 14:3, 50:14; Os 13:3), c’est le Fils de Dieu qui remplit ce rôle dans le Nouveau Testament (Mt 1:21; Lc 1:76-79, 2:17; Jn 4:42; Ac 5:3; Ga 3:13, 4:5; Ph 3:30; Tt 2:13, 14). Si, dans l’Ancien Testament, YHWH habite au milieu d’Israël et dans les cœurs de ceux qui le craignent (Ps 74:2, 135:21; Es 8:18, 57:15; Ez 43:7-9; Jl 3:17, 21; Za 2:10-11), dans le Nouveau Testament, c’est le Saint-Esprit qui habite dans l’Eglise (Ac 2:4; Rm 8:9, 11; 1 Co 3:16; Ga 4:6; Ep 2:22; Jc 4:5). Le Nouveau Testament révèle clairement Dieu, envoyant son Fils dans le monde (Jn 3:16; Ga 4:4; Hé 1:6; 1 Jn 4:9), ainsi que le Père et le Fils envoyant l’Esprit (Jn 14:26, 15:26, 16:7; Ga 4:6). Le Père s’adresse au Fils (Mc 1:11; Lc 3:22), le Fils communie avec le Père (Mt 11:25-26, 26:39; Jn 11:41, 12:27-28), et le Saint-Esprit prie Dieu dans le cœur des croyants (Rm 8:26).

Les trois personnes de la Trinité nous sont ainsi révélées explicitement. Au baptême du Fils, le Père parle depuis le ciel et le Saint-Esprit descend sous la forme d’une colombe (Mt 3:16-17). Dans la mission confiée à l’Eglise par Jésus, celui-ci parle des trois personnes de la Trinité: « … les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » (Mt 28:19) On mentionne aussi ces trois personnes en 1 Corinthiens 12:4-6, 2 Corinthiens 13:14 et 1 Pierre 1:2. Le seul passage indiquant très précisément la tri-unité de Dieu est 1 Jean 5:7, mais son authenticité est douteuse, ce qui l’a fait éliminer des éditions critiques les plus récentes du Nouveau Testament.

3. Exposé de la doctrine de la Trinité

On peut étudier plus brièvement cette doctrine en la reliant aux différentes affirmations qui constituent la quintessence de la foi de l’Eglise sur ce point.

a) L’Etre Divin est constitué d’une seule essence indivisible (ousia, essentia)

Dieu est un dans son Etre essentiel ou dans sa nature. Certains des premiers Pères de l’Eglise ont utilisé le terme substantia comme synonyme d’essentia. Les écrivains postérieurs ont évité cet usage, parce que, dans l’Eglise latine, substantia était utilisé pour traduire à la fois hupostasis et ousia. Ceci était donc ambigu. De nos jours, « substance » et « essence » sont interchangeables. Cela importe peu, pourvu que nous gardions à l’esprit que ces deux mots ont des connotations légèrement différentes. Shedd les distingue ainsi:

« Le terme essence, de esse (être), désigne un être dynamique; il décrit Dieu comme la somme totale de perfections infinies. C’est un mot actif et spirituel. Le mot substance, de substare, implique une virtualité (litt.: une possibilité latente d’être); il décrit Dieu comme le principe fondamental d’activités infinies. C’est un mot passif et matériel. On parlera plus volontiers de substance matérielle que d’essence matérielle. »6

Nous avons déjà étudié précédemment la notion d’unité de Dieu, il n’est donc pas nécessaire d’y revenir en détail. Rappelons simplement qu’elle s’appuie, d’une part sur des textes tels que Deutéronome 6:4, Jacques 2:19, d’autre part sur l’aséité et l’immutabilité de Dieu, et enfin sur le fait qu’il est identique à ses perfections (quand on dit, par exemple, qu’il est la vie, la lumière, la vérité, la justice, etc.).

b) Dans cet Etre Divin unique, il existe trois personnes ou existences individuelles: le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Les différents passages que nous avons déjà évoqués établissent la doctrine de la Trinité. Pour marquer ces distinctions dans la Divinité, les auteurs grecs ont en général employé le terme hupostasis, alors que les auteurs latins ont utilisé le terme persona et quelquefois celui de substantia. Le premier pouvant induire en erreur et le second étant ambigu, les théologiens forgèrent le mot subsistentia. La variété des termes utilisés montre bien que leur inadéquation était parfaitement perçue. On admet en général que le mot « personne » n’est que l’expression imparfaite du concept lui correspondant. Dans le langage courant, il désigne un individu distinct, rationnel et moral, doté d’une conscience propre, et conscient de son identité, malgré les changements possibles autour de lui. L’expérience nous enseigne que, là où il y a une personne, il y a aussi une essence individuelle et distincte. Chaque personne est un individu différent et séparé, doté d’une nature individualisée. Mais en Dieu, il n’y a pas trois individus juxtaposés l’un à l’autre, ni séparés les uns des autres, mais seulement trois consciences personnelles au sein de l’essence Divine, qui n’est pas seulement génériquement mais aussi numériquement une. En conséquence, beaucoup ont préféré parler de trois hypostases en Dieu, de trois modes différents, non pas de manifestation comme l’enseignait Sabellius, mais d’« existence » ou de « subsistance ». Ainsi Calvin écrit: « J’appelle une ‹personne› une ‹subsistance› en l’essence de Dieu, qui, ayant relation à d’autres personnes divines, est distinguée d’elles par une propriété incommunicable. »7

Ceci est parfaitement correct et peut éviter un malentendu, à condition de ne pas oublier que les consciences existant dans l’Etre Divin impliquent un « je », un « tu » et un « il » qui supposent des relations personnelles entre elles (Mt 3:6, 4:1; Jn 1:18, 3:16, 5:20-22, 14:26, 15:26, 16:13-15).

c) La totalité de l’essence de Dieu appartient également à chacune des trois personnes

Cela signifie que l’essence divine ne se répartit pas entre les trois personnes, mais qu’elle est entièrement dans sa perfection absolue dans chacune des trois personnes, de sorte qu’elles ont une unité numérique d’essence. La nature divine se distingue de la nature humaine, parce qu’elle existe d’une manière « totale et indivisible » en plusieurs personnes. Quand on dit de trois personnes humaines qu’elles ont une unité « spécifique » de nature ou d’essence, c’est qu’elles ont une même sorte de nature ou d’essence. Par contre, quand on dit des personnes divines qu’elles ont une unité « numérique » d’essence, c’est qu’elles possèdent une essence identique. On peut considérer la nature ou l’essence humaine comme une espèce dont chaque homme a sa part individuelle, de sorte qu’il y a une unité « d’espèce ». Mais la nature de Dieu est indivisible et donc identique dans les personnes de la Divinité. Elle est numériquement une seule et même nature et, donc, l’unité d’essence dans les personnes est une unité numérique. De cela, il découle que l’essence divine n’existe pas indépendamment des trois personnes. Il n’y a aucune existence en dehors des trois personnes. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de vraie unité, mais une division qui nous conduirait au tétra-théisme. La distinction personnelle est une au sein de l’essence divine. Il s’agit, selon le terme usuel, de trois modes d’existence. Une autre conclusion découle de ce qui précède: il ne peut y avoir aucune subordination de « l’Etre essentiel » d’une personne de la Divinité à l’autre, et donc aucune différence sur le plan de la dignité personnelle. Il faut maintenir cela contre le subordinationisme d’Origène, de certains autres premiers Pères de l’Eglise, des arminiens, de Clarke et d’autres théologiens anglicans. La seule subordination dont nous puissions parler est celle qui concerne l’ordre et la relation. Lorsque nous réfléchissons spécialement aux relations entre les trois personnes de l’essence divine, nous ne disposons de plus aucune analogie. Nous réalisons alors que la Trinité est un mystère bien au-delà de notre compréhension, et c’est là sa gloire incompréhensible. Tout comme la nature humaine est trop riche et trop pleine pour être contenue en un seul individu et ne trouve sa plénitude que dans l’humanité tout entière, ainsi l’Etre de Dieu ne se déploie dans toute sa plénitude que dans la triple existence du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

d) L’existence et le mode d’opération des trois personnes de l’Etre Divin sont marqués par un ordre précis et défini

Il y a un certain ordre dans la Trinité ontologique. En ce qui concerne l’existence personnelle, le Père est premier, le Fils second et le Saint-Esprit troisième. Rappelons ici que cet ordre ne s’applique ni au temps ni à la dignité essentielle des personnes. Il s’applique uniquement à l’ordre logique, selon lequel le Père n’est pas engendré et ne procède de personne, le Fils est éternellement engendré du Père, et l’Esprit Saint procède du Père et du Fils de toute éternité. Etre engendré et procéder ont bien lieu à l’intérieur de l’Etre Divin et impliquent une certaine subordination quant à la manière personnelle d’exister, mais aucune subordination en ce qui concerne la possession de l’essence Divine.

Cette Trinité ontologique et l’ordre qui lui est inhérent constituent le fondement métaphysique de la Trinité économique. Il est donc naturel d’admettre que l’ordre existant au sein de la Trinité essentielle se reflète dans les opera ad extra, attribués plus particulièrement à chacune des personnes. L’Ecriture indique clairement cet ordre par les propositiones distinctionales: ek, dia et en, utilisées pour exprimer l’idée que toutes choses proviennent du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit.

e) Les trois personnes se distinguent par des attributs personnels

Ceux-ci sont également qualifiés d’opera ad intra, parce qu’ils n’ont d’influence qu’à l’intérieur de l’Etre Divin, et non pas sur la créature. Il s’agit d’opérations personnelles qui ne sont pas remplies par les trois personnes, et qui sont incommunicables. L’engendrement est un acte du Père seul, la filiation n’appartient qu’au Fils, la procession ne peut être attribuée qu’au Saint-Esprit. En tant qu’opera ad intra, ces œuvres se distinguent des opera ad extra, c’est-à-dire de ces activités et de ces effets par lesquels la Trinité se manifeste extérieurement. Les opera ad extra ne sont jamais les œuvres d’une seule personne, mais toujours de l’Etre Divin tout entier.

En même temps, il est vrai que, selon l’ordre économique des œuvres de Dieu, certains opera ad extra sont attribués plus particulièrement à une personne, et d’autres plus spécialement à une autre. Bien qu’ils soient tous conjointement l’œuvre des trois personnes, la création est d’abord attribuée au Père, la rédemption au Fils et la sanctification au Saint-Esprit. Cet ordre, selon lequel se déroulent les opérations divines, nous renvoie à l’ordre essentiel de Dieu, et constitue le fondement de ce qu’on appelle, d’une manière générale, la Trinité économique.

f) L’Eglise confesse que la Trinité est un mystère que l’homme ne peut comprendre

La Trinité est un mystère, non pas seulement au sens biblique du terme (vérité d’abord cachée et maintenant révélée), mais aussi au sens profane, selon lequel l’homme ne peut ni comprendre, ni rendre intelligible un tel concept. Nous pouvons appréhender d’une manière intelligible certaines relations et certains modes de manifestation de la Trinité, mais non pas sa nature essentielle.

Tous les efforts qui ont été tentés pour expliquer ce mystère relèvent de la spéculation plutôt que de la théologie. Ils résultent invariablement d’une conception tri-théiste ou modaliste de Dieu, c’est-à-dire d’un refus d’une unité au sein de l’essence divine, ou de la réalité de distinctions personnelles à l’intérieur de cette essence. C’est la relation existant entre les personnes divines au sein de la Trinité qui pose problème, et cela l’Eglise ne peut pas l’effacer. Elle ne peut qu’essayer de formuler une définition appropriée. Elle n’a jamais tenté d’expliquer le mystère de la Trinité, mais uniquement cherché à en formuler la doctrine, de manière à écarter les erreurs qui la menaçaient.

4. Quelques analogies

Depuis le tout début de l’ère chrétienne, on a essayé de rendre compréhensible la notion d’Etre Trinitaire de Dieu (la trinité dans l’unité, et l’unité dans la trinité) à l’aide d’analogies diverses. Bien qu’elles soient toutes imparfaites, on ne peut leur refuser quelque valeur dans la discussion trinitaire. Ceci est particulièrement vrai pour celles qui ont un rapport avec la nature constitutionnelle ou la psychologie de l’homme. Sachant que l’homme a été créé à l’image de Dieu, il est normal de supposer que, s’il y a des traces de vie trinitaire dans la créature, c’est en l’homme qu’elles seront les plus apparentes.

a) Certaines de ces analogies ont été empruntées à la nature inanimée, ou à la vie des plantes, comme l’eau de la fontaine, le ruisseau et la rivière, ou la brume qui se lève, le nuage et la pluie (ou bien la neige et la glace), ou l’arbre avec sa racine, son tronc et ses branches. Ces illustrations et d’autres du même genre sont très imparfaites, car l’idée de personnalité en est entièrement absente. Si elles illustrent bien ce qu’est la nature, elles ne sont plus adéquates quand il s’agit d’éclairer l’essence qui est présente, non pas partiellement, mais totalement, dans chacune des parties ou des formes qui constituent cette nature.

b) D’autres, plus importantes, ont été tirées de la vie de l’homme, surtout de la constitution et des mécanismes de l’esprit humain. On leur a attribué une signification spéciale, parce que l’homme porte en lui l’image de Dieu. Les combinaisons: psychologique (saint Augustin: intellect, affectivité et volonté), ou bien logique (Hegel: thèse, antithèse et synthèse), ou encore métaphysique (Olshausen ou Shedd: sujet, objet et sujet-objet) appartiennent à cette catégorie. Nous avons là une certaine trinité dans l’unité, mais pas de tri-personnalité dans l’unité de substance.

c) On a aussi attiré l’attention sur la nature de l’amour. En effet, il présuppose un sujet et un objet, et exige l’union des deux, de sorte que, lorsque l’amour se manifeste parfaitement, trois éléments sont inclus. Mais il est aisé de constater que cette analogie est erronée, puisqu’elle coordonne deux personnes et une relation. Elle n’illustre nullement une tri-personnalité. D’ailleurs, elle ne se réfère qu’à une qualité et non pas à une substance, que posséderaient en commun le sujet et l’objet.

C. Les trois personnes considérées séparément

1. Le Père, première personne de la Trinité

a) Le nom « Père » appliqué à Dieu

Il n’est pas toujours utilisé dans le même sens dans l’Ecriture:

(1) On l’applique parfois au Dieu trine, origine de toutes les choses créées (1 Co 8:6; Ep 3:15; Hé 12:9; Jc 1:17), mais, le plus souvent, il désigne la première personne de la Trinité, à qui est attribuée plus spécialement l’œuvre de création dans l’Ecriture.

(2) On l’applique également au Dieu trine, pour exprimer la relation théocratique qu’il entretient avec Israël son peuple (Dt 32:6; Es 63:16, 64:8; Jr 3:4; Ml 1:6, 2:10).

(3) Dans le Nouveau Testament, ce nom est en général utilisé pour désigner le Dieu trine comme le Père de tous ses enfants spirituels au sens éthique (Mt 5:45, 6:6-15; Rm 8:16; 1 Jn 3:1).

(4) Dans un sens totalement différent, ce nom s’applique aussi à la première personne de la Trinité, dans sa relation avec la deuxième personne (Jn 1:14, 18, 5:17-26, 8:54, 14:12-13). La première personne est le Père de la seconde au sens métaphysique. Toute paternité terrestre n’est qu’un pâle reflet de cette paternité originelle de Dieu.

b) Caractéristique du Père

Le Père, négativement parlant, n’est ni engendré, ni créé, et positivement, il engendre le Fils, et le Saint-Esprit procède de lui. Il est bien vrai que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, mais ce dernier n’engendre pas parallèlement. Donc, la seule œuvre qui appartient au Père seul est l’engendrement.

c) Les opera ad extra attribués plus particulièrement au Père

Tous les opera ad extra de Dieu sont les œuvres du Dieu trine. Toutefois, le Père se situe au premier plan dans certaines de ces œuvres:

(1) Dans l’œuvre de rédemption, qui comprend aussi l’élection, dont le Fils a été lui-même l’objet (Ps 2:7-9, 40:6-9; Es 53:10; Mt 12:32; Ep 1:3-6).

(2) Dans les œuvres de création et de Providence, spécialement à leur stade initial (1 Co 8:6; Ep 2:9).

(3) Dans l’œuvre de représentation de la Trinité au Conseil de Rédemption, comme l’Etre saint et juste dont le droit a été violé (traduction littérale) (Ps 2:7-9, 40:6-9; Jn 6:37, 38, 17:4-7).

2. Le Fils, deuxième personne de la Trinité

a) Le nom de « Fils » appliqué à la deuxième personne

La deuxième personne de la Trinité est appelée « Fils » ou « Fils de Dieu »:

(1) Au sens métaphysique.

Ceci doit être maintenu fermement contre les sociniens et les unitariens, qui rejettent l’idée d’une Divinité tri-personnelle, voient en Jésus un simple homme, et considèrent son nom de « Fils de Dieu » comme un titre honorifique qui lui a été conféré. Il est bien évident que Jésus-Christ est représenté comme le Fils de Dieu dans l’Ecriture, indépendamment de sa position et de son œuvre de médiateur.

(a) On en parle comme du Fils de Dieu du point de vue de la pré-incarnation, par exemple en Jean 1:14, 18, Galates 4:4.

(b) Il est appelé le Fils unique de Dieu ou du Père, et on ne lui aurait pas attribué ce terme s’il n’avait été le Fils de Dieu que dans un sens officiel et éthique (Jn 1:14, 18, 3:16, 18; 1 Jn 4:9 (cp. 2 S 7:14); Jb 2:1; Ps 2:7; Lc 3:38; Jn 1:12).

(c) Dans certains passages, il est évident, en s’appuyant sur le contexte, que ce nom indique la divinité du Christ (Jn 5:18-25; Hé 1).

(d) Si Jésus enseignait à ses disciples à considérer Dieu comme leur Père et à s’adresser à lui comme à notre Père, il parlait lui-même de Dieu comme de son Père et lui disait Père ou mon Père, montrant ainsi qu’il était conscient d’une relation unique au Père (Mt 6:9, 7:21; Jn 20:17).

(e) Selon Matthieu 11:27, Jésus en tant que Fils de Dieu revendique une connaissance unique de Dieu, telle que personne ne peut la posséder.

(f) Les Juifs ont bien compris que Jésus revendiquait le titre de Fils de Dieu au sens métaphysique, car ils ont considéré comme un blasphème la manière dont il se déclarait lui-même Fils de Dieu (Mt 26:63; Jn 5:18, 10:36).

(2) Au sens officiel ou messianique.

Dans certains passages, le mot est employé au sens officiel ou messianique et au sens métaphysique. Dans d’autres, l’expression « Fils de Dieu » est appliquée au Christ en tant que Médiateur (Mt 8:29, 26:63 – aux deux sens -, 27:40; Jn 1:49, 11:27).

Cette caractéristique de « Fils-Messie » est, bien sûr, reliée à la nature originelle de « Fils » du Christ. C’est seulement parce qu’il est le Fils éternel de Dieu par essence qu’on a pu l’appeler Fils de Dieu en tant que Messie. Du reste, la caractéristique de Fils-Messie reflète la nature de « Fils éternel » du Christ. C’est même pour cela que Dieu est appelé le Dieu du Fils (2 Co 11:31; Ep 1:3) et qu’il est parfois mentionné comme Dieu à côté du Seigneur (Jn 17:3; 1 Co 8:6; Ep 4:5-6).

(3) Au sens naturel.

Le nom de Fils de Dieu est aussi donné à Jésus parce qu’il doit sa naissance au Père. Il a été engendré, selon sa nature humaine, par l’opération surnaturelle du Saint-Esprit, et dans ce sens il est le Fils de Dieu. Luc 1:32, 35 l’indique très clairement. On peut le déduire probablement aussi de Jean 1:13.

b) L’existence personnelle du Fils

Elle doit être maintenue fermement contre les modalistes qui, d’une manière ou d’une autre, refusent d’admettre qu’il existe des distinctions personnelles dans la Divinité. La personnalité du Fils peut être justifiée ainsi:

(1) La manière dont la Bible parle du Père et du Fils l’un à côté de l’autre implique que les deux sont également personnels, et indique une relation personnelle entre les deux.

(2) L’utilisation des qualificatifs « unique » et « premier-né » implique que la relation entre le Père et le Fils, même si elle est unique, peut néanmoins être approximativement représentée comme une relation d’engendrement et de naissance. L’expression « premier-né », que l’on trouve en Colossiens 1:15, Hébreux 1:6, souligne l’engendrement du Fils de toute éternité. Cela signifie simplement qu’il existait avant la création.

(3) L’utilisation parallèle du mot Logos dans l’Ecriture va dans le même sens. On applique ce terme au Fils, non pas d’abord pour exprimer sa relation avec le monde (qui est tout à fait secondaire), mais pour indiquer la relation intime qu’il entretient avec le Père, comme celle qui existe entre la parole et celui qui parle. Contrairement à la philosophie, la Bible considère le Logos comme une personne et l’identifie au Fils de Dieu (Jn 1:1-14; 1 Jn 1:1-3).

(4) Le Fils est décrit comme l’image même de Dieu en 2 Corinthiens 4:4, Colossiens 1:15, Hébreux 1:3. Dieu apparaît clairement dans l’Ecriture comme un Etre personnel. Si le Fils de Dieu est l’image même de Dieu, alors il doit être aussi une personne.

c) L’engendrement du Fils de toute éternité

La qualité personnelle du Fils est d’être engendré du Père de toute éternité, et de partager avec le Père la « spiration » de l’Esprit. La doctrine de l’engendrement du Fils est suggérée par la façon dont la Bible représente la première et la deuxième personne de la Trinité dans une relation Père-Fils. Non seulement les mots « Père » et « Fils » suggèrent un engendrement du second par le premier, mais le Fils est aussi régulièrement appelé « l’unique » (Jn 1:14, 18, 3:16, 18; Hé 11:17; 1 Jn 4:9). Plusieurs particularités sont soulignées au sujet de l’engendrement du Fils:

(1) C’est un acte nécessaire de Dieu.

Origène, l’un des premiers à parler de l’engendrement du Fils, le considérait comme un acte dépendant de la volonté du Père et par conséquent comme un acte libre. D’autres, à différentes époques, ont exprimé la même opinion. Mais Athanase et d’autres ont clairement vu qu’un engendrement dépendant d’un dessein de la volonté du Père entraînerait une existence contingente du Fils et lui ôterait donc sa divinité. Ainsi, le Fils ne serait plus égal et homoousios (d’une même substance) au Père, car le Père existe nécessairement et l’on ne peut concevoir qu’il n’ait pas existé. L’engendrement du Fils doit être considéré comme un acte nécessaire et parfaitement naturel de Dieu. Cela ne veut pas dire qu’il n’a aucun rapport avec la volonté du Père. Celle-ci, quoique simplement concomitante à cet acte nécessaire, a participé joyeusement à ce dernier.

(2) C’est un acte éternel du Père.

Cette affirmation est la suite logique de ce qui précède. Si l’engendrement du Fils est un acte nécessaire du Père, alors il est impossible d’imaginer le Fils comme non engendré, puisqu’il partage naturellement l’éternité du Père. Cela ne signifie pas cependant que c’est un acte accompli dans un passé lointain, mais seulement qu’il s’agit d’un acte éternel, éternellement présent, toujours continué et cependant jamais achevé. Son éternité ne résulte pas seulement de l’éternité de Dieu, mais aussi de l’immutabilité divine et de la véritable divinité du Fils. Tout cela peut être déduit des passages de l’Ecriture qui enseignent la préexistence du Fils et son égalité avec le Père (Mi 5:2; Jn 1:14, 18, 3:16, 5:17-18, 30, 36; Ac 13:33; Jn 17:5; Col 1:16; Hé1:3). L’affirmation du verset 7 du Psaume 2 (« Tu es mon Fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui ») est généralement citée pour prouver l’engendrement du Fils, contrairement à l’opinion de certains qui, s’appuyant sur les textes d’Actes 13:33 et d’Hébreux 1:5, supposent que ces mots se réfèrent à l’élévation de Jésus au rang de Roi messianique et à sa reconnaissance comme Fils de Dieu au sens officiel. Ces mots seraient ainsi probablement liés à la personne contenue en 2 Samuel 7:14, tout comme ils le sont en Hébreux 1:5.

(3) C’est un engendrement de l’existence personnelle, plutôt que de l’essence divine du Fils.

Certains ont laissé supposer que le Père a engendré l’essence du Fils, mais cela reviendrait à dire qu’il a engendré sa propre essence, car l’essence du Père et du Fils est la même. Il est préférable de dire que le Père engendre l’existence personnelle du Fils, et lui communique ainsi l’essence divine dans sa totalité.

Mais ce faisant, nous devons nous garder de l’idée que le Père a d’abord engendré une seconde personne, puis qu’il lui a communiqué l’essence divine. En effet, cela nous mènerait à la conclusion que le Fils n’a pas été engendré de l’essence divine, mais créé ex nihilo. Dans l’engendrement, il y a eu communication d’essence. Cela a été un acte indivisible. Et en vertu de cette communication, le Fils a aussi la vie en lui-même. Ceci est en accord avec l’affirmation de Jésus: « En effet, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. » (Jn 5:26)

(4) Cet engendrement doit être considéré comme spirituel et divin.

Contrairement aux ariens qui disaient que l’engendrement du Fils implique nécessairement une division dans l’Etre Divin, les Pères de l’Eglise soulignaient le fait que cet engendrement doit être considéré, non comme physique et « créaturel » mais comme spirituel et divin, excluant ainsi toute idée de division ou de changement. Il entraîne distinctio et distributio, mais non diversitas ou divisio dans l’Etre de Dieu (Bavinck). C’est dans le couple pensée-parole de l’homme que l’on trouve la meilleure analogie de cette affirmation. La Bible elle-même semble l’indiquer, quand elle parle du Fils comme du Logos.

(5) On peut définir ainsi l’engendrement du Fils: « C’est par un acte éternel et nécessaire de la première personne de la Trinité que celle-ci est, au sein de la Divinité, le fondement d’une existence personnelle seconde semblable à la sienne, à laquelle elle communique la totalité de son essence divine, sans aucune division, aliénation ou changement. »

d) La divinité du Fils

Dans l’Eglise primitive, ébionites, alogiens, monarchianistes dynamiques et ariens l’ont niée. A l’époque de la Réforme, les sociniens les ont suivis et ont considéré Jésus comme un simple homme. Schleiermacher et Ritschl ont soutenu la même thèse, ainsi que l’école libérale (en particulier en Allemagne), les unitariens, les modernistes et les humanistes contemporains. Ce refus ne peut s’expliquer que par une méconnaissance des enseignements de l’Ecriture, pourtant clairs en ce qui concerne la divinité du Christ8.

(l) L’Ecriture affirme explicitement la divinité du Fils (Jn 1:1, 20:28; Rm 9:5; Ph 2:6; Tt 2:13; 1 Jn 5:20).

(2) L’Ecriture lui applique des noms divins (Es 9:6, 40:3; Jr 23:5,-6; Jl 2:32, à comparer avec Ac 2:21, 1 Tm 3:16).

(3) L’Ecriture lui confère des attributs divins comme l’éternité (Es 9:6; Jn 1:1-2; Ap 1:8, 22:13), l’omniprésence (Mt 18:20, 28:20; Jn 3:13), l’omniscience (Jn 2:24-25, 21:17; Ap 2:23), l’omnipotence (Es 9:6; Ph 3:21; Ap 1:8), l’immutabilité (Hé 1:10-12, 13:8), et en général tout attribut appartenant au Père (Col 2:9).

(4) L’Ecriture parle de lui comme accomplissant les œuvres de Dieu comme la création (Jn 1:3, 10; Col 1:16; Hé 1:2, 10), la Providence (Lc 10:22; Jn 3:35, 17:2; Ep 1:22; Col 1:17; Hé 1:3), le pardon des péchés (Mt 9:2-7; Mc 2:7-10; Col 3:13), la résurrection et le jugement (Mt 25:31-32; Jn 5:19-29; Ac 10:42, 17:31; Ph 4:21; 2 Tm 4:1), la dissolution et le renouvellement de toutes choses aux temps eschatologiques (Hé 1:10-12; Ph 3:21; Ap 21:5).

(5) L’Ecriture lui confère l’honneur divin (Jn 5:22-23, 14:1; 1 Co 15:19; 2 Co 13:13; Hé 1:6; Mt 28:19).

e) La place du Fils dans la Trinité économique

Notons que l’ordre existant dans la Trinité économique reflète celui de la Trinité ontologique. Le Fils occupe la deuxième place dans les opera ad extra. C’est du Père que viennent toutes choses, mais elles sont par le Fils (1 Co 8:6). Si le Père est la cause absolue de toutes choses, le Fils en est clairement la « cause médiatrice ». Ainsi, dans la sphère naturelle, le Fils crée et maintient toutes choses (Jn 1:3, 10; Hé 1:2-3). Il est la lumière qui éclaire tout homme dans le monde (Jn 1:9). De même, dans la sphère de rédemption, il accepte d’être le garant de son peuple et d’exécuter le plan de rédemption du Père (Ps 40:7-8). C’est par son incarnation, ses souffrances et sa mort qu’il mène plus particulièrement cette œuvre à bien (Ep 1:3-14). C’est en relation avec cette fonction qu’on lui attribue plus spécialement la sagesse et la puissance (1 Co 1:24; Hé 1:3), la miséricorde et la grâce (2 Co 13:13; Ep 5:2, 25).

3. Le Saint-Esprit, troisième personne de la Trinité

a) Le nom appliqué à la troisième personne de la Trinité

Quand il nous est dit en Jean 4:24 que Dieu est Esprit, ce nom est plus particulièrement appliqué à la troisième personne de la Trinité. Le terme hébreu par lequel il est désigné est ruach, et le terme grec pneuma. Leur racine, à tous deux, comme celle du latin spiritus, signifient « respirer », « souffler ». Ils peuvent donc aussi être rendus par « souffle » (Gn 2:7, 6:17; Ez 37:5, 6) ou « vent » (Gn 8:1; 1 R 19:11; Jn 3:8).

L’Ancien Testament utilise généralement le terme « esprit » sans aucune qualification, ou emploie l’expression « Esprit de Dieu » ou « Esprit du Seigneur ». Il n’emploie l’expression « Saint-Esprit » qu’en Psaume 51:13, Esaïe 63:10-11, alors que c’est celle-ci qui est la plus couramment employée dans le Nouveau Testament pour désigner la troisième personne de la Trinité. Tandis que l’Ancien Testament parle constamment de Dieu comme du « Saint d’Israël » (Ps 71:22, 89:18; Es 10:20, 41:14, 43:3, 48:17), le Nouveau Testament applique rarement l’adjectif « saint » à Dieu en général, mais l’utilise fréquemment pour caractériser l’Esprit: c’est très probablement parce que Dieu se révèle lui-même comme le « Saint » à travers l’œuvre de sanctification de l’Esprit. C’est le Saint-Esprit qui vient habiter dans le cœur des croyants, les met à part pour Dieu et les purifie du péché.

b) La personnalité du Saint-Esprit

Le terme « Esprit de Dieu » ou « Saint-Esprit » n’évoque pas une personnalité d’une manière aussi précise que le terme Fils. D’ailleurs, la personne du Saint-Esprit n’est pas apparue de manière tangible parmi les hommes, comme cela a été le cas pour le Fils de Dieu. C’est pour cette raison que la personne du Saint-Esprit a été souvent mise en question, et elle mérite donc une attention spéciale.

Dans l’Eglise des premiers siècles, la personnalité du Saint-Esprit a été rejetée par les monarchianistes et par les pneumatomaquistes. Les sociniens, à l’époque de la Réforme, puis Schleiermacher, Ritschl, les unitariens, les modernistes contemporains et tous les sabelliens modernes les ont suivis dans cette voie.

On dit souvent aujourd’hui que les passages qui semblent indiquer l’idée de personnalité du Saint-Esprit ne contiennent qu’une simple personnification. Mais les personnifications sont rares dans les écrits du Nouveau Testament, et elles sont aisément reconnaissables. D’ailleurs, une telle explication détruit clairement le sens de certains passages, par exemple Jean 14:26, 16:7-11, Rm 8:26. Les preuves scripturaires de la personnalité du Saint-Esprit sont tout à fait suffisantes:

(1) On le désigne comme une personne. Bien que le mot pneuma soit neutre, c’est le pronom masculin ekeinos qui est utilisé pour le Saint-Esprit en Jean 16:4; on trouve aussi le pronom relatif masculin hos en Ephésiens 1:14. De plus, le nom Parakletos lui est appliqué en Jean 14:26, 15:26, 16:7, et il ne peut être traduit par « consolation » ou être considéré comme le nom d’une quelconque influence abstraite; on voit que le Saint-Esprit est considéré comme une personne, parce qu’il est appelé « Consolateur », comme le Christ à qui le même terme est appliqué en 1 Jean 2:1. Il est vrai que ce terme est suivi du neutre ho et auto en Jean 14:16-18, mais cela provient de la présence de pneuma.

(2) On lui attribue les caractéristiques d’une personne: comme l’intelligence (Jn 14:26, 15:26; Rm 8:16), la volonté (Ac 16:7; 1 Co 12:11), les sentiments (Es 63:10; Ep 4:30). Du reste, il accomplit des actes propres à une personne. Il sonde, parle, témoigne, ordonne, révèle, lutte, crée, intercède, ressuscite les morts, etc. (Gn 1:2, 6:3; Lc 12:12; Jn 14:26, 15:26, 16:8; Ac 8:29, 13:12; Rm 8:11, 1 Co 2:10, 11). Ces actes ne peuvent être le fait d’une simple puissance ou influence, mais proviennent bien d’une personne.

(3) Ses relations avec les autres personnes impliquent sa propre personnalité. Il est juxtaposé aux apôtres (Ac 15:28), il est avec le Christ (Jn 16:14), et avec le Père et le Fils (Mt 28:19; 2 Co 13:13; 1 P 1:1-2; Jude 20-21). Une saine exégèse exige que, dans ces passages, le Saint-Esprit soit considéré comme une personne.

(4) Dans certains passages, le Saint-Esprit est différencié de sa propre puissance (Lc 1:35, 4:14; Ac 10:38; Rm 15:13; 1 Co 2:4). De tels passages deviendraient tautologiques, sans signification et même absurdes, si l’on en déduisait que le Saint-Esprit n’est qu’une simple puissance, on peut le démontrer en remplaçant l’expression « Saint-Esprit » par un mot comme « puissance » ou influence.

c) Relation entre le Saint-Esprit et les autres personnes de la Trinité

Les premières controverses trinitaires aboutirent à la conclusion que le Saint-Esprit, aussi bien que le Fils, est de la même essence que le Père, et lui est donc consubstantiel. Les discussions sans fin, pour savoir si le Saint-Esprit procède du Père seul ou du Père et du Fils conjointement, se terminèrent finalement, en 589 au Synode de Tolède, par l’ajout du mot Filioque dans la version latine du symbole de Nicée-Constantinople: Credimus in Spiritum Sanctum qui a Patre Filioque procedit (« Nous croyons au Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils »). Cette procession du Saint-Esprit, appelée plus simplement « spiration », est sa caractéristique personnelle. Presque tout ce qui a été dit au sujet de l’engendrement du Fils peut être appliqué à la « spiration » du Saint-Esprit, et n’a donc pas besoin d’être répété. Cependant, on peut noter les points suivants, spécifiques au Saint-Esprit:

(1) L’engendrement est l’œuvre du Père seul, tandis que la « spiration » est l’œuvre conjointe du Père et du Fils.

(2) Par l’engendrement, le Fils devient capable de participer à l’œuvre de « spiration », mais le Saint-Esprit n’acquiert pas cette puissance.

(3) Dans l’ordre logique, l’engendrement précède la « spiration ».

Rappelons-nous simplement que cela n’implique pas la subordination d’essence du Saint-Esprit au Fils. Dans la « spiration », comme dans l’engendrement, il y a communication de toute l’essence divine, de telle façon que le Saint-Esprit est sur le même plan d’égalité que le Père et le Fils. La doctrine de la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils est fondée sur Jean 15:26 et sur le fait que l’Esprit est aussi appelé l’Esprit du Christ, ou l’Esprit du Fils (Rm 8:9; Ga 4:6), et est envoyé par le Christ dans le monde.

La « spiration » peut être définie comme: « Cet acte éternel et nécessaire de la première et de la deuxième personne de la Trinité, par lequel, à l’intérieur de l’Etre Divin, elles deviennent le fondement de l’existence personnelle du Saint-Esprit, et mettent la troisième personne en possession de la totalité de l’essence divine, sans division, aliénation ou changement. »

« Le Saint-Esprit est dans la plus étroite relation avec les autres personnes de la Trinité », parce qu’il procède à la fois du Père et du Fils.

De 1 Corinthiens 2:10-11, nous pouvons inférer, non que le Saint-Esprit est la conscience d’exister de Dieu, mais qu’il est en aussi étroite relation avec Dieu que l’âme d’un homme l’est avec lui-même. En 2 Corinthiens 3:17, nous lisons: « Maintenant, le Seigneur c’est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Ici, le Seigneur (Christ) est identifié à l’Esprit, non avec sa personnalité, mais avec sa manière d’agir. Dans le même passage, l’Esprit est appelé « l’Esprit du Seigneur ». L’envoi du Saint-Esprit dans l’Eglise au jour de la Pentecôte est fondé sur son unité avec le Père et le Fils. Il vient, en tant que Parakletos, prendre la place du Christ et accomplir son œuvre sur la terre, c’est-à-dire enseigner, proclamer, témoigner, etc., comme le Fils l’a fait. En ce qui concerne le Fils, cette œuvre de révélation demeure en union avec le Père. De la même façon, l’œuvre du Saint-Esprit est fondée sur son unité avec le Père et le Fils (Jn 16:14-15). Notons les paroles de Jésus dans ce passage: « Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. »

d) La divinité du Saint-Esprit

Celle-ci peut être établie de la même manière que celle du Fils, à partir de l’Ecriture.

(1) L’Ecriture donne au Saint-Esprit des noms divins (Ex 17:7, cf. Hé 3:7-9; Ac 5:3-4; 1 Co 3:16; 2 Tm 3:16, cf. 2 P 1:21).

(2) L’Ecriture lui attribue des perfections divines, telles que l’omniprésence (Ps 139:7-10), l’omniscience (Es 40:13, 14, cf. Rm 11:34, 1 Co 2:10-11), l’omnipotence (1 Co 12:11; Rm 15:19), et l’éternité (Hé 9:14).

(3) Il accomplit des œuvres divines, comme la création (Gn 1:2; Jb 26:13, 33:4), le « renouvellement providentiel » (Ps 104:30), la régénération (Jn 3:5-6; Tt 3:5) et la résurrection des morts (Rm 8:11).

(4) L’Ecriture lui accorde l’honneur divin (Mt 28:19; Rm 9:11; 2 Co 13:13).

e) L’œuvre du Saint-Esprit dans l’économie divine

Certaines œuvres sont plus spécialement accomplies par le Saint-Esprit, non seulement dans l’économie générale de Dieu, mais aussi dans l’économie de la rédemption. En général, la tâche spéciale du Saint-Esprit est de conduire les choses à leur plénitude, en agissant immédiatement dans la créature et sur elle. Comme il est lui-même la personne qui complète la Trinité, ainsi son œuvre achève l’œuvre de Dieu dans toutes ses relations avec ses créatures. Il complète l’œuvre du Fils, comme l’œuvre de celui-ci complète l’œuvre du Père. Il est important de s’en souvenir, car si l’on isole l’œuvre du Saint-Esprit de l’œuvre objective du Fils, on ne peut que tomber dans un faux mysticisme. L’œuvre du Saint-Esprit intègre ce qui suit dans la sphère naturelle:

(1) L’engendrement de la vie: comme ce qui existe provient du Père, et est par le Fils, ainsi la vie est médiatisée par le Saint-Esprit (Gn 1:3; Jb 26:13; Ps 33:6; Ps 104:30). A cet égard, il met la touche finale à l’œuvre de création.

(2) L’inspiration générale et la qualification des hommes. Le Saint-Esprit inspire et qualifie les hommes pour les tâches qu’il leur confie dans les domaines de la science, de l’art, etc. (Ex 28:3, 31:2, 3, 6, 35:35; 1 S 11:6, 16:13-14).

L’œuvre du Saint-Esprit est encore plus importante dans la sphère de la rédemption. Notons les points suivants:

(1) La préparation et la qualification du Christ en vue de son œuvre de médiateur.

Il a préparé un corps au Christ, et l’a rendu capable de se sacrifier pour le péché (Lc 1:35; Hé 10:5-7). Dans les mots « tu m’as formé un corps », l’auteur de l’épître aux Hébreux suit la Septante. Ici, la signification est la suivante: « Tu m’as rendu capable, par la préparation d’un corps saint, de devenir un réel sacrifice. » A son baptême, le Christ a été oint du Saint-Esprit (Lc 3:22) et a reçu sans mesure les dons nécessaires à son ministère (Jn 3:24).

(2) L’inspiration du Saint-Esprit.

Le Saint-Esprit a inspiré l’Ecriture et a donné aux hommes la révélation spéciale de Dieu (1 Co 2:13; 2 P 1:21) et la connaissance de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus.

(3) La constitution et la croissance de l’Eglise. Le Saint-Esprit constitue et développe l’Eglise, corps mystique de Jésus-Christ, par la régénération et la sanctification. En l’habitant, il en devient le principe de la vie nouvelle (Ep 1:22-23, 2:22; 1 Co 3:16, 12:4ss).

(4) Il enseigne et conduit l’Eglise.

Le Saint-Esprit témoigne du Christ et conduit l’Eglise dans toute la vérité. Ainsi, il manifeste la gloire de Dieu et du Christ, augmente la connaissance du Sauveur, garde l’Eglise de l’erreur et la prépare pour sa destinée éternelle (Jn 14:2, 15:26, 16:13-14; Ac 5:32; Hé 10:15; 1 Jn 2:27).


1 Systematic Theology, chap. VIII.

2 K. Barth, The Doctrine of the Word of God, 344.

3 Shedd, Dogmatic Theology, I, 393s, 251ss, 178ss.

4 Barlett, The Triune God, II.

5 Cf. Rottenberg, De Triniteit in Israéls Godsbegrip, 19ss.

6 Shedd, op. cit., 271.

7 J. Calvin, Institution chrétienne, I, XIII, 6.

8 Ceci a été résumé, avec beaucoup de compétence, dans des ouvrages tels que The Divinity of the Lord de Liddon, The Lord of Glory de Warfield et Our Lord de Robinson.

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