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La colère de l’Agneau – Apocalypse 6.16

La colère de l’Agneau
Apocalypse 6.161 [1]


Paul Wells
Professeur émérite à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence


Les attributs de Dieu

Je propose d’aborder le sujet de la colère de Dieu dans le cadre des attributs de Dieu, en soulignant, en particulier, le lien qui existe entre la colère de Dieu et son amour, « médié » par sa justice sainte et sa jalousie. Entre l’amour de Dieu et sa colère (ou sa haine) se situent ces deux concepts « médiateurs » qui sont porteurs de lumière. Les attributs de Dieu permettent d’indiquer comment est Dieu, de même que les nôtres permettent aussi de nous caractériser. Ce sont les attributs qui mettent en évidence ce qui distingue les personnes les unes des autres, qu’il s’agisse du Dieu personnel et de ses créatures, ou des êtres humains entre eux.

La difficulté est facile à voir : des textes bibliques condamnent la colère, on la compte même parmi les sept péchés capitaux. La colère de Dieu nous semble autocontradictoire. Est-ce une parade de notre part ? Il est vrai que nous n’aimons pas cette vision du Dieu en colère, probablement à cause de notre orgueil et de notre autosuffisance. Il est évident que si on comparait le nombre des textes bibliques faisant référence à la colère et à la haine de Dieu avec celui des références concernant ces réalités présentes dans l’enseignement actuel des Eglises évangéliques, le premier dépasserait de loin le second, ce qui traduit notre attitude frileuse. Nous n’accueillons pas non plus tellement facilement l’idée que nous sommes des pécheurs méritant la condamnation et le jugement de l’enfer. Reconnaissons-le, tout cela est dans l’air de notre temps. Aussi est-il particulièrement difficile, aujourd’hui, de traiter ce sujet de façon équilibrée.

Des malentendus guettent à propos de la colère de Dieu

Ce sujet est source de défis. C’est ainsi, en particulier, qu’il est courant de penser, à tort, que la colère de Dieu serait :

En bref et en généralisant, ces fausses pistes, qui expriment la fonction « défaut » de la sagesse humaine, existent lorsqu’on minimise ou néglige de prendre au sérieux la révélation biblique. Elles ont, d’une façon ou d’une autre, à leur origine, l’idée grecque que la colère est seulement une absence de modération et d’équilibre. La colère surgirait brusquement dans un élan irrationnel et incontrôlable qui dominerait l’individu. La colère de Dieu n’est pas cela ; elle est tout autre.

Les anthropomorphismes et l’accommodation

La colère de Dieu, si elle ne ressemble pas à la colère humaine, se réfère à elle pour nous faire comprendre ce qu’elle est. En effet, Dieu se sert du langage humain, s’accommode à notre compréhension pour communiquer avec nous de façon qui nous soit accessible ; il établit dans la révélation des analogies entre des réalités et des situations divines et humaines. Dieu utilise le langage humain, qui est le don qu’il a fait à l’humanité. Ainsi nous pouvons être dans le vrai dans notre compréhension, si du moins nous n’oublions pas que la réalité divine est beaucoup plus que ce que nous pouvons exprimer ou imaginer. Le langage nous est donné non pas pour que nous nous limitions à la terre, mais pour que nous ayons une révélation du Créateur. Ainsi, le langage est, non seulement, comme on dit, anthropomorphique, mais aussi théomorphique, c’est-à-dire adéquat pour exprimer, à notre niveau, la personne de Dieu.

Commençant avec Jésus…

Jésus ne s’est fâché ni contre Judas, ni contre Pierre ; le seul incident de sa vie où il s’est laissé aller à la colère (par le mot grec zêlos) est celui de l’expulsion des vendeurs du Temple (Jean 2.13-17), qui avaient transformé la maison de Dieu en un repaire de voleurs. Le Temple, microcosme de la création originelle, lieu d’adoration et de service de Dieu, est le lieu où sa colère s’enflamme contre le péché qui dérobe son honneur à Dieu et se rebelle contre lui.

Dans la bonne création, à l’origine, la colère était absente, mais, à la suite du péché, elle exprime l’attitude de Dieu contre la méchanceté humaine. Elle est l’indicateur d’une anormalité qui s’est introduite dans les relations entre Dieu et l’homme. La colère n’est donc pas un sentiment en Dieu, un feeling comme chez les êtres humains, mais un acte contre le péché, qui est intervenu dans un contexte dégradé. Il est permis d’affirmer que si Jésus agit ainsi, dans le Temple, avec une sainte jalousie, c’est qu’il se dresse contre le péché qui rompt la communion avec Dieu et déforme l’adoration.

C’est là une des clés permettant d’éclairer la notion de colère divine. Cette clé est associée à la rupture de l’alliance entre Dieu et l’homme, la relation créationnelle dans laquelle l’homme est appelé à aimer Dieu et le prochain. Tous les êtres humains sont pécheurs, « loin de la gloire de Dieu », ayant rompu son alliance et étant sous la malédiction. Cette rupture de l’alliance est l’expression de la colère de Dieu contre le refus de sa bonté. Le péché est la loi de la mort ; c’est contre cette loi que s’exprime la colère de Dieu.

Dieu et la colère

Cette réflexion nous mène à une considération supplémentaire. Avant la chute, la relation entre Dieu et l’homme était faite d’harmonie et de paix. Cette communion s’exprime éternellement en Dieu dans l’amour parfait qui existe entre les personnes de la sainte Trinité. Il n’y a, en Dieu, aucune colère, aucune ombre de mal. Si les expressions bibliques de la colère de Dieu sont parfois étonnantes, au point de nous paraître excessives, c’est que nous n’avons qu’une faible compréhension de sa sainteté infinie. L’amour de Dieu est spontané et libre, en Dieu, et envers sa création ; aussi sa colère est-elle suscitée face à une réalité extérieure qui abuse de son amour.

C’est pourquoi certains théologiens distinguent entre les attributs essentiels en Dieu, et d’autres qui en seraient des expressions tributaires – la colère étant une expression de sa justice et de sa sainteté face à l’injustice et à la pollution du péché. Ainsi il serait possible de dire que la colère de Dieu, en tant que telle, n’est pas éternelle, une réalité existante en la sainte Trinité. C’est une expression de sa sainteté et de sa justice essentielles, dans un contexte historique, sans que cela implique un changement de nature en Dieu lui-même.

Ainsi, la colère n’est pas « en Dieu », comme sa sainteté, sa justice et son amour ; elle est en relation avec nous. Elle est ressentie par nous dans une situation où la malédiction divine s’exprime. Ainsi, l’amour divin, qui est à la fois juste et saint, est également jaloux et, face au refus, l’amour s’exprime par la colère contre toute injustice et la pollution dues au péché. Nous pourrions même dire que l’amour divin s’exprime à travers le prisme de la sainteté et de la justice divines par les traits sombres de la colère, de la condamnation, du jugement et de la mort. La colère de Dieu manifeste sa détestation du péché et de ses conséquences. Dieu est contre ce qui, en nous, est contre lui, parce que le péché détruit notre vraie nature de créatures. C’est pourquoi le péché est toujours déshumanisant et mène à la mort.

La colère de Dieu sur nous

Pensons à un parent qui aime tendrement son enfant. Il arrive que les dérapages de l’enfant provoquent sa colère, qui s’exprime dans une réprimande ou une punition, sans que le parent cesse d’aimer son enfant.

Quand Dieu « retire sa main », nous ressentons l’absence de son amour et nous sommes abandonnés à nous-mêmes. C’est l’expression de sa colère en nous. Comme le dit l’apôtre, « la colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice […] Dieu les a livrés à l’impureté […] à une mentalité réprouvée » (Rm 1.18, 24, 28). La mentalité réprouvée même est, dans sa manifestation, une expression de la colère divine.

Dieu est saint et l’homme est l’auteur et l’acteur de sa propre ruine. Cela devrait nous faire comprendre, à notre échelle humaine, quelles sont les conséquences de nos pensées et de nos actes, qu’ils soient collectifs ou individuels. Tous mènent à la mort et à la perdition, nous placent sous la colère de Dieu, afin que nous changions de cœur.

La croix et la colère de Dieu

Jean affirme, à deux reprises en sa première épître (2.2 ; 4.10), que Jésus est la propitiation (hilasmos), non le propitiateur, du péché, et que le sang de Jésus purifie de tout péché (1.7).

Nous ne voyons pas, dans l’Ecriture, qu’à la croix, Dieu le Père serait en colère contre le Fils. Nous y lisons en revanche que le Fils est frappé, abandonné, qu’il accepte la coupe de souffrance et qu’il se met en situation de malédiction pour nous. La propitiation exprime l’hostilité de Dieu contre le péché, sa rémission et son enlèvement par ce que Jésus endure dans sa passion. La colère de Dieu se détourne de notre péché et se porte sur le Fils ; la croix est donc une expression de la colère et du jugement de Dieu contre le péché qui est le nôtre. Il est inimaginable que, même à la croix, le Père soit un seul instant en colère contre son Fils bien-aimé, en qui est tout son plaisir. Le Père aime le Fils dans sa personne et dans ses actions. Mais, en tant que notre représentant, le Fils se substitue à nous et, ainsi, porte le poids de la colère de Dieu, colère qui est contre nous, non contre lui. Ce sont nos péchés qu’il porte et qu’il ensevelit. Ainsi Jean dit que Christ est notre avocat (parakletos) et, en tant que notre représentant, il présente devant Dieu le seul argument efficace pour notre défense. Il a « épuisé » la colère de Dieu contre nous dans sa mort.

Conclusion

La colère de Dieu n’est pas une passion irrationnelle. Dieu « est lent à la colère », une réalité exprimée à maintes reprises dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. « Sa colère, un instant, mais sa grâce toute la vie. » (Psaume 30.5) La colère de Dieu, y compris dans le cas de la croix, est son œuvre impropre, étrange et extraordinaire, comme le dit Esaïe (28.21), un zèle pour la justice, jumelé avec une haine parfaite de tout ce qui est mal. Elle manifeste un amour si jaloux pour le salut des bien-aimés de Dieu qu’il se dresse contre ce qui les détruit, d’où la colère de l’Agneau. Ainsi l’amour de Dieu s’exprime dans la propitiation qui manifeste sa grâce et accomplit une transformation inespérée. Nous qui « étions par nature enfants de colère comme les autres […] il nous a rendus à la vie avec Christ ». (Ep 2.3-5)

Tout comme la tragédie du début fait passer l’homme de la bénédiction à la malédiction, la réconciliation de la fin fera passer les enfants de Dieu de la malédiction à la bénédiction. Et grâce à l’incarnation, la croix et la résurrection, c’est déjà une réalité pour ceux qui sont, en Christ, une nouvelle création.


  1. Notes d’un exposé présenté au Centre évangélique à Lognes en novembre 2014.↩︎ [2]