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Le Congrès et l’Engagement du Cap : l’impact de l’Evangile dans toutes les sphères de la société

Le Congrès et l’Engagement du Cap : l’impact de l’Evangile
dans toutes les sphères de la société1 [1]


Pierre Berthoud
Professeur émérite
Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence


Nous avons eu le privilège, Danièle, mon épouse, et moi, d’assister au Congrès sur l’évangélisation, Lausanne III, qui s’est tenu en octobre 2010 au Cap. Danièle a rejoint l’équipe de traducteurs tandis que, moi-même, j’étais membre de la délégation française. J’ai aussi été invité à faire partie d’un think tank qui regroupait des politiciens, des hommes d’affaires et des universitaires (environ 80 personnes) venant du monde entier et qui avait pour objectif d’identifier de nouveaux courants et défis contemporains auxquels les chrétiens seraient appelés à faire face durant la prochaine décennie.

Ce fut une expérience unique de se retrouver au milieu d’une assemblée qui regroupait 4200 personnes venant de 198 pays (malheureusement la délégation chinoise, composée de 200 membres, n’a pu assister au congrès n’ayant pas reçu à la dernière minute l’autorisation de quitter la Chine).

En 1974, nous avons exercé un ministère passionnant dans le cadre d’une communauté d’études appelée L’Abri – fondée par Francis et Edith Schaeffer –, qui se trouvait dans les Alpes vaudoises, à une soixantaine de kilomètres de Lausanne. J’ai eu ainsi le privilège de participer au Congrès de Lausanne, dont les deux inspirateurs étaient Billy Graham et John Stott. Ce congrès a, sans aucun doute, été un événement majeur de l’histoire du mouvement évangélique mondial, qui lui a permis de prendre un tournant décisif dont l’impact se fait sentir encore aujourd’hui et se fera sentir encore longtemps. A l’époque, les évangéliques se divisaient plus ou moins en deux groupes distincts, les uns mettant essentiellement l’accent sur l’évangélisation, les autres prônant, avant tout, l’importance de l’action sociale dans l’annonce de l’Evangile, appelée par ailleurs la mission intégrale. Tout au long du congrès, la tension entre ces deux courants était palpable, étant donné la présence de conférenciers sud-américains comme René Padilla ou Samuel Escobar. Aussi le projet de rédiger une déclaration commune n’était-il pas du tout évident. Il a fallu de longues tractations et plusieurs rédactions (toute une nuit de travail) avant de parvenir à un texte définitif, la Déclaration de Lausanne. Le rôle de John Stott a été décisif dans la mise au point du texte définitif. En plus des personnes mentionnées plus haut, des participants tels que Francis A. Schaeffer, Os Guinness et Henri Blocher ont également contribué, de manière significative, aux travaux de l’assemblée. La synthèse finale a permis à ces deux courants de trouver un terrain d’entente résolument biblique, qui relevait à l’époque du miracle. En parlant de l’engagement social du chrétien, voici ce que dit la Déclaration :

Nous affirmons que Dieu est à la fois le Créateur et le Juge de tous les hommes ; nous devrions par conséquent désirer comme lui que la justice règne dans la société, que les hommes se réconcilient et qu’ils soient libérés de toutes sortes d’oppression. L’homme étant créé à l’image de Dieu, chaque personne humaine possède une dignité intrinsèque, quelle que soit sa religion ou la couleur de sa peau, sa culture, sa classe sociale, son sexe ou son âge ; c’est pourquoi chaque être humain devrait être respecté, servi et non exploité. Là aussi, nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre. La réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu ; l’action sociale n’est pas l’évangélisation et le salut n’est pas une libération politique. Néanmoins, nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien2 [2].

Le fait d’avoir pu participer à ces deux Congrès (je n’ai pas assisté à Lausanne II qui s’est tenu à Manille aux Philippines) m’a permis de me rendre compte de l’évolution du Mouvement de Lausanne : la continuité et le développement de la vision, les domaines de réflexion et d’actions mises en œuvre. Le Congrès du Cap a fait franchir au Mouvement de Lausanne une nouvelle étape dans sa réflexion et son rayonnement en suscitant une prise de conscience capitale, celle de veiller à ce que l’Evangile ait un impact dans toutes les sphères de la société. L’étude qui suit est divisée en deux parties : le congrès lui-même et l’Engagement du Cap.

Le Congrès du Cap

Trois pôles

Tout d’abord, le congrès a mis l’accent sur trois aspects de la mission du Mouvement de Lausanne :

1) On a rappelé, une fois encore, la nécessité de poursuivre la tâche d’évangéliser les peuples qui n’ont pas encore eu l’occasion d’entendre l’Evangile. L’urgence de cette tâche implique de mettre les Ecritures à la disposition de ces populations non encore atteintes, sous forme soit de traduction écrite, soit de narration orale. Un appel a aussi été adressé aux Eglises afin qu’elles continuent et même intensifient la proclamation de la bonne nouvelle et l’implantation de nouvelles communautés.

2) Les œuvres de compassion, l’action sociale et la recherche de la justice ainsi que le respect de la dignité de la personne humaine ont été, encore une fois, au centre des débats. Le juste équilibre entre l’évangélisation et l’action sociale n’est pas toujours facile à atteindre. Lors d’une des études bibliques matinales, John Piper a souligné la prééminence de la proclamation de la Parole dans l’articulation de ces deux aspects du ministère chrétien. Plusieurs orateurs ont traité ce sujet, soulignant l’importance de former des disciples et d’incarner un style de vie caractérisé par l’humilité, l’intégrité et la simplicité, cela en réponse à l’Evangile de la prospérité et au matérialisme occidental galopant.

3) Le troisième sujet, abordé en particulier dans le think tank Gouvernement-Affaires-Académie3 [3], a été la présentation de la foi chrétienne en tant que perspective globale qui éclaire tous les aspects de la pensée, de la vie et de l’action humaine. Pour de nombreux croyants, il n’est plus possible de limiter le témoignage évangélique aux seuls domaines de la vie privée et individuelle. La parole-sagesse de Dieu a également comme mission d’éclairer la vie publique, ses choix, ses buts et son éthique. Au sein d’une sécularisation croissante, face à l’essor de l’islam et des nouvelles formes de paganisme, comment communiquer la perspective chrétienne et les valeurs morales qui s’y rapportent afin d’irriguer et d’influencer les sphères culturelles, politiques et économiques ? Le fait que Lausanne III se soit penché sur les questions relatives à la présence et à l’action chrétiennes dans un monde qui vit à l’ombre de la mort constitue une démarche opportune et un sujet de reconnaissance. Cela a été, pour plusieurs, une incitation à contribuer au shalôm de la cité, à son bien-être. Pourtant il reste encore un long chemin à parcourir et bien des pièges à éviter, surtout celui de vouloir exercer une influence pertinente et appropriée sur la société sans se donner une base biblique suffisante à la réflexion et à l’action. Il importe de se souvenir que nous sommes dans le monde, mais pas du monde. L’espérance qui nous habite doit nous empêcher de créer une confusion entre le royaume de Dieu et une quelconque utopie humaine et terrestre, aussi attirante qu’elle puisse paraître. Ce troisième aspect est bien décrit dans la seconde partie de l’Engagement du Cap consacrée à la vérité du Christ au sein de ce monde divisé et brisé4 [4]. Le thème de la vérité est traité en lien avec le pluralisme, le monde du travail, les médias, les arts, les technologies et le monde de la cité. Il importe cependant d’aller encore plus loin, à savoir d’identifier de façon plus précise les maux à combattre5 [5] tout en étudiant en profondeur et en définissant, de façon plus rigoureuse, les principes appelés à guider la réflexion et l’action du croyant alors qu’il proclame que le Christ règne sur toutes choses, ses pensées, ses actions et son existence même.

Autres thèmes

Les sujets suivants ont également été traités avec clarté, expertise et une perspective résolument biblique pendant les multiplexes : le pluralisme et la mondialisation, les nouvelles technologies de communication, les défis de la bioéthique et de l’environnement, le sida et le trafic humain, la formation d’une nouvelle génération de leaders et les partenariats dans l’action missionnaire de l’Eglise. Un très grand nombre de séminaires ont été proposés sur des sujets tels que le « discipulat » (la vie du disciple) ou la formation théologique, la libération sexuelle et l’homosexualité (une approche humaine, pastorale et équilibrée à la lumière d’un enseignement résolument biblique), l’impact de la foi dans l’histoire de l’architecture (excellent), le colonialisme et l’ethnicité (unilatéral, partial et ethnocentrique), et bien d’autres.

Les études bibliques sur l’épître aux Ephésiens, animées par des exégètes compétents, furent un des temps forts des sessions du matin. Elles étaient suivies par un moment stimulant et édifiant de partage, de discussion et de prière dans des groupes installés autour de tables (700 tables de six personnes chacune), dont l’objectif était d’explorer plus en profondeur le chapitre quotidien présenté en plénière et d’en déduire les implications pratiques individuelles et communautaires, y compris dans la cité.

Quelques critiques mineures

Les organisateurs ont cherché à encourager les contacts personnels et les relations en regroupant les participants autour de 700 tables (six personnes par table) pendant les sessions plénières. Excellente initiative. Lors de ces rassemblements publics, un effort a été fait pour trouver un bon équilibre entre les conférences, les témoignages et les performances (le théâtre et la musique, en particulier), mais, hélas, des orateurs tels qu’Os Guinness, Tim Keller ou Benjamin Kwasli n’ont eu que très peu de temps (dix à quinze minutes) pour présenter leurs exposés. Ce fut une faiblesse ! Comment imaginer traiter, de façon satisfaisante, des sujets tels que la vérité, la mission urbaine ou le témoignage auprès des musulmans en si peu de temps ? Pourtant, les témoignages ont été poignants, en particulier ceux qui venaient de chrétiens, membres d’Eglises vivant sous la croix, confrontés à la violence et aux persécutions, y compris le martyre. En ce qui concerne l’importance accordée aux arts (théâtre, musique, cinéma), nous ne pouvons que nous réjouir du rôle significatif qu’ils ont joué lors de ce congrès. Cependant, il est arrivé que les célébrations se soient apparentées davantage à des spectacles qu’à une invitation à l’adoration et à la prière. Il n’est pas douteux qu’une réflexion plus approfondie sur la créativité et sa relation à la Parole et au culte est nécessaire dans ce domaine.

La cérémonie finale, avec la sainte cène, a été un point culminant du congrès. La louange, la proclamation de la Parole, la prière et la communion en Christ ont trouvé un équilibre harmonieux dans une célébration qui pourrait bien être comparée avec celles du Temple de Jérusalem ! L’assemblée a chanté des hymnes modernes écrits par des compositeurs talentueux tels que Keith et Kristyn Getty ou Frank Houghton. La qualité et la profondeur aussi bien que la simplicité et la pertinence de la cérémonie de clôture ont été remarquables et touchantes. Le chant du Symbole de Nicée et les prières de pénitence et d’engagement ont été deux temps forts de cet événement6 [6].

Un nouveau centre de gravité

Le centre de gravité de l’Eglise s’étant déplacé, il était normal de mettre en avant l’œuvre de Dieu en Amérique latine et aux Caraïbes, en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. Très peu d’attention a été accordée au monde occidental et, en particulier, à l’Europe. Pourtant, la sécularisation qui plonge ses racines dans l’humanisme européen représente, sans aucun doute, un défi majeur pour l’Eglise de Jésus-Christ – plus encore que l’islam ou le nouveau paganisme – parce qu’elle est présente, sous une forme ou sous une autre, partout dans le monde. Cela explique peut-être pourquoi on insiste si peu sur l’évangélisation des lycéens et des étudiants et pourquoi l’apologétique (à l’exception de certains séminaires) a tenu si peu de place dans la communication de l’Evangile au sein des cultures contemporaines.

Ces quelques critiques ne sous-estiment, en aucune manière, la qualité et le succès de ce grand rassemblement, qui a adressé un vibrant appel à la communauté chrétienne mondiale à renouveler son engagement dans la mission que le Seigneur a confiée à Son corps, l’Eglise. Il revient à celle-ci d’évangéliser, de mettre en place une action sociale cohérente, de témoigner d’un message éthique pertinent sur la place publique, d’œuvrer à la réconciliation et d’encourager les chrétiens à devenir des artisans d’une paix réelle à l’intérieur de nos communautés humaines brisées et souffrantes. Il est encore temps et il est même urgent de proclamer, avec clarté et enthousiasme, la Parole de vérité et de vie révélée dans les Ecritures et pleinement manifestée dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Sauveur et Seigneur.

L’Engagement du Cap

L’Engagement du Cap comprend deux parties (une déclaration/confession de foi et un engagement à l’action), toutes deux exprimées dans le langage de l’amour ; en d’autres termes, dans le langage de l’alliance. Il s’agit, de toute évidence, de l’alliance de grâce initiée par le Seigneur lui-même, qui correspond au motif biblique de base : création – chute – rédemption (auquel on pourrait ajouter :  restauration et glorification). Le style rafraîchissant du document, rédigé par Chris Wright et son équipe, n’entrave, en aucune manière, la richesse et la qualité de son contenu. En élaborant de nouveaux horizons de pensée et de témoignage et en ouvrant de nouvelles perspectives d’action, les auteurs de l’Engagement du Cap ont donné un outil de qualité à l’Eglise universelle de Jésus-Christ. Voici quelques-uns des aspects saillants de ce document.

La confession/déclaration de foi

La première partie de l’Engagement du Cap s’intitule « Au Dieu que nous aimons : la confession de foi du Cap ». Cet engagement de foi constitue la réponse du croyant et de l’Eglise à la grâce et à l’amour que Dieu a manifestés le premier. Ceci ne surprend pas si l’on considère la place centrale et l’importance de l’amour dans le Nouveau Testament ; en même temps, cette centralité est quelque peu téméraire et même provocante si l’on considère l’usage et l’abus de cette notion dans le monde contemporain, y compris à l’intérieur de l’Eglise chrétienne. L’amour, souvent dévalorisé, est employé comme un slogan ou comme un moyen de satisfaire ses propres désirs ou de justifier ses propres faiblesses, pour ne pas dire son propre péché ! Voilà pourquoi, dans la première section, l’Engagement prend soin de déclarer que la grâce et l’amour de Dieu sont intrinsèquement liés à l’obéissance et, par conséquent, à la volonté de Dieu. Il se poursuit en qualifiant cette notion : « Un tel amour signifie que nous soyons semblables au Christ en personne : fermes dans l’endurance, mais doux dans l’humilité ; tenaces pour résister au mal, mais tendres dans la compassion pour ceux qui souffrent ; courageux dans la souffrance et fidèles jusqu’à la mort. »7 [7] En fait, lorsque l’on étudie l’ensemble de la première partie de l’Engagement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une exégèse de la doctrine de l’amour, à la fois divin et humain, formulée dans des termes personnels qui conviennent tout à fait à une relation d’alliance, laquelle englobe toute la création. A n’en pas douter, le Dieu trinitaire a entrepris de sauver l’humanité en Jésus-Christ afin d’inaugurer le renouvellement de toutes choses et la transfiguration finale des cieux et de la terre.

Dans la deuxième section, l’Engagement se concentre sur le caractère unique du Dieu vivant, digne de louange et de gloire. Dans cette section, on trouve une remarquable citation de John Stott sur la passion que le chrétien est appelé à manifester pour la gloire du Dieu vivant, « un zèle brûlant et passionné… pour la gloire de Jésus-Christ »8 [8].

Les trois sections suivantes, dédiées à l’amour de la Trinité, proposent une synthèse complète et brillante de la doctrine du Dieu trinitaire, infini et personnel. Dans la section traitant de la première personne de la Trinité, Dieu le Père, la notion du Dieu créateur de toutes choses aurait peut-être pu être mieux mise en évidence (I, 3, A)9 [9].

Quant à la troisième personne de la Trinité, si l’accent est placé, à juste titre, sur « la puissance du Saint-Esprit » (six références dans I, 5, A, B, C), aucune mention n’est faite de sa sagesse. Une des façons d’éviter « les abus et les mascarades » qui foisonnent « sous le couvert du Saint-Esprit » (I, 5, synthèse) consiste à souligner l’importance à la fois de la puissance et de la sagesse du Saint-Esprit.

Alors, et seulement alors, vient la sixième section sur l’amour de la Parole de Dieu. Ceci est tout à fait opportun, car l’accent est maintenant placé sur le Dieu vivant, trinitaire, qui a révélé et communiqué sa sagesse dans les catégories du langage humain. Dans ce passage, l’Engagement propose un bon équilibre entre la narration et la formulation conceptuelle, montrant que ces deux moyens de communiquer la vérité ne sont pas opposés mais complémentaires (6, B, C). Les Ecritures témoignent abondamment de ces deux manières de formuler la vérité.

La septième section traite d’un point important : celui de l’amour de Dieu pour le monde. La discussion se situe au niveau de l’amour pour la création, pour les nations, pour les pauvres, ceux qui souffrent et pour notre prochain. Les deux premiers paragraphes sont importants et pertinents pour l’ensemble des communautés humaines en traitant de la sauvegarde de la création (I, 7, A) et de la diversité ethnique (I, 7, B). En ce qui concerne le « dessein rédempteur de Dieu pour la création elle-même », la question se pose de savoir si la création, y compris la société, sont les bénéficiaires directs ou indirects de l’œuvre rédemptrice du Seigneur, comme Paul semble le sous-entendre dans son épître aux Romains : « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (8.19)10 [10].

L’accent mis sur la diversité ethnique comme « un don de Dieu » et sur l’extension de la bénédiction du Seigneur en Jésus-Christ à toutes les nations est bienvenu dans un monde où les divisions, les rivalités, les discriminations et les racismes sont légion. Tout en soulignant l’importance d’avoir à « préserver les cultures indigènes et leurs langues », l’Engagement fait aussi appel au discernement critique : « Toutes les cultures ne mettent pas uniquement en évidence l’image positive de Dieu dans la vie humaine, mais également l’empreinte négative de Satan et du péché. » (I, 7, B) Bien évidemment, ceci est aussi valable pour les sociétés occidentales ! L’accent sur l’évaluation critique des cultures est de la plus haute importance, non seulement lorsque nous évangélisons et implantons de nouvelles Eglises, mais aussi lorsque nous cherchons à apporter des changements significatifs, à promouvoir des principes éthiques bibliques et un sens renouvelé de la dignité humaine sur la place publique. Une étude plus approfondie de la Parole de Dieu et de sa loi dans ces derniers domaines peut aider à développer une réflexion, une mentalité et un style de vie chrétiens proposant des perspectives nouvelles et enthousiasmantes à nos contemporains dans toutes les sphères de la société, qu’elles soient académique, politique, économique, culturelle et artistique. Notre attachement au Christ nous pousse à proposer à nos contemporains une pensée et une action créatives qui tirent une sève abondante de la révélation et de la sagesse divines. Nous avons à nous adapter tout en étant prophétiques. Telle est la condition pour avoir un impact décisif et contribuer ainsi, par la grâce de Dieu, à un changement significatif et durable dans la cité. Mais ne jamais oublier que c’est le Dieu trinitaire seul qui établit le Royaume de Dieu !

Les trois dernières sections se concentrent sur l’amour de l’Evangile de Dieu (I, 8), sur l’amour du peuple de Dieu (I, 9) et sur l’amour de la mission de Dieu (I, 10). Ces parties de l’Engagement recouvrent un territoire familier. L’appel à l’unité, à l’honnêteté et à la solidarité (I, 9, A, B, C), lorsqu’il est entendu, ouvre la voie à une vie communautaire sainte, mature et saine, qu’il s’agisse du mariage hétérosexuel, de la famille ou de l’Eglise. En ce qui concerne l’appel à l’unité, toutes les divisions ne proviennent pas seulement de « barrières de race, de couleur, d’appartenance sexuelle, de classe sociale, de privilèges économiques ou d’appartenance politique » (I, 9, A). Parfois, elles peuvent être causées par un attachement indéfectible à la vérité. Dans l’un de ses derniers livres (souvent considéré comme son testament), La foi évangélique, un défi pour l’unité11 [11], J. Stott établit une distinction claire entre les doctrines essentielles de la foi évangélique, qui ne sont pas négociables, et les adiaphora, ces points de doctrine qui demeurent importants, mais qui permettent des différences d’interprétation, de compréhension et de pratique. Toutes les barrières charnelles sont des obstacles majeurs à l’unité mais, il ne faut pas l’oublier, la vérité appartient au cœur même de la véritable unité.

L’Engagement du Cap invite, à plusieurs reprises, les chrétiens et les Eglises à reconnaître leurs fautes et à renouveler sans cesse leur engagement envers le Seigneur. Il met également en garde contre les maux qui, si souvent, portent atteinte au témoignage évangélique. Il dénonce aussi les injustices, que ce soit dans l’Eglise ou dans la société, qui, tout en donnant libre cours à la violence, la souffrance, le chaos et la destruction, défigurent la dignité de l’homme et déshonorent ainsi le nom et la gloire de Dieu12 [12].

Cet appel prend toute sa signification dans un document rédigé dans les termes mêmes d’une alliance engageant des êtres humains et des communautés dans une relation avec le Dieu vivant. Qui dit relation d’alliance implique donc de rendre compte de ses pensées et de ses actes à son ultime Vis-à-Vis (Rm 1). Une telle perspective donne à réfléchir, mais elle est aussi source d’encouragement, car elle est essentielle à la sanctification et à la maturité chrétiennes comme à l’engagement dans l’Eglise et dans la société. A la lumière de ces considérations, examinons maintenant la deuxième partie de l’Engagement du Cap.

Au monde que nous servons. L’appel à l’action du Cap

L’appel à l’action découle naturellement du fait que l’Engagement est formulé en termes d’alliance. Le croyant et l’Eglise sont invités à répondre au Dieu de la grâce et de l’amour en l’aimant en retour et en lui obéissant. L’introduction à la deuxième partie plante la scène pour un vibrant appel adressé à l’Eglise chrétienne universelle et à ses institutions : « Les six thèmes principaux de notre congrès servent de cadre pour discerner les difficultés que toute l’Eglise de Christ doit affronter dans le monde et nos priorités pour l’avenir. »

Cette deuxième partie présente une excellente synthèse de quelques-uns des défis les plus importants auxquels les chrétiens et les Eglises ont à faire face en ce début de xxie siècle. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité, elle ne nie pas non plus que les priorités peuvent varier selon les régions du monde ; elle balise bien cependant le terrain. La première partie de l’Engagement est formulée en des termes plus généraux ; la deuxième partie est beaucoup plus détaillée dans sa description des domaines nécessitant une attention spéciale et une action résolue. Ces défis requérant un engagement ferme se doivent de provoquer une réflexion créative débouchant sur des initiatives personnelles, communautaires, sociales et culturelles déterminantes et pertinentes. Il reste encore beaucoup à faire mais, d’ores et déjà, des consultations et des congrès internationaux, régionaux et locaux ont lieu pour promouvoir la cause de l’Evangile et ses implications pratiques à la fois dans l’Eglise et dans la cité. Permettre à l’Eglise de Jésus-Christ d’être la lumière et le sel de la terre, tel est l’objectif de cette démarche concrète et pratique !

Dans les lignes qui suivent, quelques-uns des six défis majeurs placés devant les chrétiens et leurs communautés seront brièvement évoqués. Cela éclairera un peu plus la manière dont le Mouvement de Lausanne comprend l’impact que la foi chrétienne peut avoir sur la cité.

1) Rendre témoignage à la vérité dans un monde pluraliste et globalisé

Dans cette première section, la vérité est décrite par rapport à la personne du Christ, au défi du pluralisme, au monde du travail, aux médias globalisés et aux arts dans la mission. L’accent est placé sur la vie et la proclamation de la vérité de l’Evangile « comme plan de Dieu pour l’univers entier en Jésus-Christ ». L’appel pressant pour une apologétique bien structurée et articulée est bienvenu en réponse aux défis du pluralisme relativiste et de l’ultramodernité, de la sécularisation et de l’athéisme militant. Les deux aspects principaux de l’apologétique sont mis en avant : la défense argumentée de la vérité biblique et la communication appropriée, pertinente et prophétique du conseil de Dieu. En contestant la séparation entre vie privée et vie publique, l’Engagement encourage tous les croyants actifs à s’engager dans la mission sur leur lieu de travail. L’importance du ministère qui se manifeste dans la vie tout entière du disciple, y compris dans celle de « faiseur de tentes », est grande. Le discernement critique, surtout dans les domaines des médias et des arts, ainsi que l’expertise professionnelle et la créativité sont vivement encouragés. Nous nous réjouissons de ces recommandations qui cherchent à encourager les disciples du Christ à mettre leurs dons et leurs compétences au service de la mission, mais il est important de se rappeler que la raison d’être principale du chrétien est « de glorifier le Dieu trinitaire et de trouver en lui son bonheur éternel ». Cette affirmation est clairement indiquée dans tout le document même si, par moments, lorsqu’il traite de sujets pratiques, l’Engagement donne l’impression que la mission est l’objectif principal de toute autre activité, telle que l’implication dans les arts ou dans la sphère publique. Bien que nous reconnaissions que « dans le monde de la mission, les arts soient une ressource inexploitée », la finalité première des arts est d’honorer et de glorifier le Seigneur (Ps 45). En d’autres termes, comme Dieu les a intégrés au mandat culturel lors de la création, les arts n’ont besoin d’aucune autre justification !

2) Construire la paix du Christ dans notre monde divisé et brisé

La deuxième section commence par un résumé très clair de l’enseignement biblique sur la réconciliation et ses implications pratiques. Ainsi, l’Engagement dit : « La réconciliation vraie et durable requiert la reconnaissance des péchés passés et présents, la repentance devant Dieu, la confession de sa faute à la personne blessée, et la recherche et la réception du pardon ! Il faut également un engagement de l’Eglise à chercher la justice et la réparation. »13 [13]

Cette section continue en traitant les aspects suivants d’une réconciliation centrée sur le Christ : la paix du Christ dans les conflits ethniques, pour les pauvres et les opprimés, pour les personnes handicapées ou pour la création souffrante. Dans les paragraphes qui traitent des conflits ethniques, de la pauvreté et de l’oppression, l’Engagement est spécifique dans son identification des maux et offre une argumentation cohérente (II, ii, 2 et 3). Il dénonce le silence et la complicité des chrétiens « dans des contextes de violence et d’oppression ethniques » et les appelle à la repentance. En ce qui concerne les actions à entreprendre, il serait utile de décrire la spécificité du rôle de l’Eglise et des œuvres par rapport à celui que l’Etat est appelé à jouer.

Un paragraphe est consacré à l’attention qu’il importe d’accorder aux personnes handicapées en reconnaissant leur place et leurs ministères dans le corps du Christ. Ce passage souligne aussi que leur déficience n’est pas causée « par un péché personnel, un manque de foi ou par l’absence de volonté de guérison »14 [14].

L’appel à la responsabilité écologique et au plaidoyer pour une action environnementale efficace, y compris dans le domaine de la biodiversité, trouve tout naturellement sa place dans cette section. Il est crucial que des chrétiens s’engagent dans ce domaine afin de montrer comment une perspective chrétienne du monde peut éclairer toute cette sphère de préoccupation et d’action et prévenir, avec son souci de la vérité, les tentatives de manipulations idéologiques. Mais cette exhortation aurait été plus convaincante si elle était plus élaborée et présentait une approche plus critique.

Il est indéniable que le problème du réchauffement climatique lié aux activités industrielles et technologiques de nos sociétés (et ce dès le xixe siècle) est réel et qu’il nous faut le traiter afin d’en réduire les effets néfastes lorsqu’ils relèvent de notre responsabilité. Diminuer l’énorme gaspillage des ressources naturelles est d’une importance capitale, de même pour la biodiversité qui a été particulièrement malmenée. Il nous faut militer pour une gestion plus responsable et respectueuse des biens de la création que Dieu nous a confiée. Cependant trois remarques s’imposent :

a) La question du réchauffement climatique n’est pas seulement liée aux activités humaines. Elle est plus complexe et touche à des domaines qui dépassent largement la maîtrise et l’action du Terrien. L’histoire du climat révèle des évolutions climatiques considérables, indépendantes de la révolution industrielle, dues en particulier à des phénomènes cosmiques liés aux activités solaires. Il faudrait donc distinguer entre ce qui relève de la responsabilité humaine et ce qui la dépasse. Or, on entend dire peu de choses à ce sujet, y compris chez les chrétiens. Une démarche plus humble et une analyse plus poussée de ce phénomène particulièrement complexe seraient très appréciables. Cela pourrait être une contribution spécifique de chrétiens ayant des compétences scientifiques. Au lieu de simplement suivre le mouvement, ne pourraient-ils pas faire preuve de plus d’analyse critique et d’originalité créative dans ce domaine ?

b) Le catastrophisme idéologique de certains courants écologistes est à prendre avec précaution. Il ne s’agit pas de contester leurs compétences, mais plutôt de s’interroger sur ce qui les inspire. Au-delà des faits et des comportements qui entraînent des conséquences néfastes pour notre environnement, il importe de comprendre quelle est la perspective globale qui sous-tend leurs démarches. Cette perspective me semble s’apparenter davantage à une idéologie immanente essentiellement horizontale et prônant, du moins en théorie, un retour à la nature… Il y a, sans aucun doute, un enjeu philosophico-théologique important. La perspective eschatologique biblique apporte un autre regard sur la résolution de la crise que nous vivons actuellement. Dans ce domaine, les chrétiens ont une contribution importante et pertinente à apporter. Quel éclairage significatif et original la sagesse et la loi divines apportent-elles à ces questions ?

c) A ce sujet, A Rocha (une association environnementale chrétienne fondée par Peter Harris et inspirée par le pasteur et théologien anglican John Stott) a adopté une démarche, dans le cadre d’une théologie de la création, qui maintient un bon équilibre entre les notions de développement durable et de sauvegarde de l’environnement naturel. Ses acteurs entreprennent des actions concrètes et pratiques à partir d’une perspective et d’une réflexion chrétiennes tout en collaborant avec d’autres organisations, y compris non chrétiennes. Cobelligérants, ils ne sont pas pour autant alliés ! Ils insistent sur l’importance de la compétence scientifique et de l’instruction scolaire. L’engagement sur le terrain suscite le respect des partenaires mais, parfois aussi, l’opposition de ceux qui cherchent à défendre leurs intérêts (y compris avec l’appui des politiques), sans se soucier du bien-être de la création ! Cela dit, il peut arriver qu’on ait l’impression que certains équipiers sont tentés de céder trop facilement aux sirènes du catastrophisme ambiant. Celui-ci va jusqu’à prétendre que l’homme peut tout contrôler et tient entièrement son destin entre ses mains. Hélas, la moindre remise en cause du discours consensuel du moment constitue un exercice redoutable ayant des conséquences parfois dramatiques15 [15]. La souveraineté du Christ nous invite à exercer la domination et la gérance des biens de la création avec le plus grand soin et un respect réel pour l’œuvre divine. Nous sommes donc entièrement d’accord avec l’Engagement quand il nous invite « à nous repentir de notre rôle dans la destruction, le gaspillage et la pollution des ressources de la terre » et à inventer un style de vie qui nous débarrasse de « l’idolâtrie du consumérisme » (I, 7) et trouve son inspiration dans la volonté et la sagesse du Seigneur. Pour des questions aussi complexes, le débat, même contradictoire, est essentiel à une réflexion saine et à la mise en place d’une action pertinente.

3) Vivre l’amour du Christ auprès de ceux qui confessent d’autres religions

Cette troisième section de l’Engagement est de la plus haute importance ; elle touche, en effet, à l’un des aspects les plus sensibles que suscite la diversité culturelle planétaire : le pluralisme religieux et le relativisme ultramoderne. Elle argumente que l’amour du prochain inclut les peuples de foi différente et que l’amour du Christ appelle les chrétiens à souffrir et, parfois, à endurer le martyre par fidélité au Seigneur ; l’amour incarne l’Evangile de la grâce et plaide en sa faveur, il respecte la diversité parmi les disciples du Christ, il s’efforce d’atteindre les peuples dispersés et travaille en vue de la liberté religieuse pour tous. La déclaration trouve un juste équilibre entre l’injonction d’évangéliser et le rejet de conversions forcées, entre le maintien de la vérité et le respect de la liberté de conscience, entre la conviction que Christ est unique tout en prenant part à des débats contradictoires. L’attention toute particulière et bienveillante pour les personnes déplacées a bien sa place dans cette section si l’on considère l’étendue des flux migratoires dans le monde aujourd’hui. Néanmoins, quelques commentaires se dégagent de la lecture de cette section :

–  Tout en désapprouvant un prosélytisme déplacé et coercitif, il est intéressant de remarquer que Jésus et Paul ont, tous les deux, pressé le non-croyant de répondre, de façon positive, à l’Evangile. Ainsi, par exemple, dans la parabole du festin, le maître de la maison dit à son serviteur : « Va par les chemins et le long des haies et contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie. » (Lc 14.23, NBS) La TOB traduit même « force-les d’entrer ». C’est un cas d’urgence et une question de vie ou de mort ! (II, iii, 1, A) Nous n’habitons pas un univers neutre mais dans celui que le Seigneur lui-même a créé. Nous, les humains, croyants et incroyants, nous aurons tous des comptes à rendre lors de l’ultime rendez-vous avec le Seigneur (Rm 1) !

–  La notion de « dialogue » dans les courants culturels et religieux contemporains est ambiguë, car elle sous-entend habituellement l’égalité et la concordance de toutes les religions, dont la conséquence est de diluer implicitement le caractère unique et exclusif de l’Evangile. Il est vrai cependant que l’Engagement définit le « dialogue » plutôt comme une « discussion-débat ».

–  Alors qu’il est impératif de persévérer, avec l’aide de Dieu, dans l’obéissance fidèle et dans l’amour au sein des persécutions et peut-être même du martyre, le croyant peut également demander à Dieu de manifester sa justice en temps opportun (Ps 84). Etant donné le caractère de Dieu, le croyant est certain d’habiter dans un univers moral (II, iii, 2, 3). Amour et justice ne s’excluent pas (Ps 85). Lorsque nous prenons le temps de lire les évangiles attentivement, nous sommes frappés de constater le grand nombre de malédictions prononcées par Jésus à l’encontre des adversaires de la bonne nouvelle du Royaume. Confrontée à l’intolérable, la tolérance peut être une forme de faiblesse et même de complaisance. Il nous faut résister en suivant l’exemple que Jésus-Christ nous donne, où justice et amour s’embrassent.

De plus, la souffrance n’a pas de valeur en elle-même. Elle ne porte des fruits que si elle conduit à une saine réflexion, à une prise en compte de la sagesse et de l’action de Dieu et qu’elle suscite une foi sincère et confiante en lui (Ec 7.14).

–  Dieu demeure souverain dans sa quête de l’homme égaré, créé à son image. Il est totalement libre d’agir selon son bon plaisir au sein des cultures de ce monde. L’appel au respect de la diversité culturelle dans la manière dont le disciple vit sa foi donne à penser, est intéressant et même souhaitable, mais il faudrait bien l’articuler avec l’unité du peuple de l’alliance qui plonge ses racines dans la vérité de la parole de Dieu, écrite et incarnée. La question de l’inculturation mériterait d’être approfondie afin d’en bien préciser les limites. Plus surprenant est la discrétion de l’Engagement vis-à-vis du Insider’s Movement, que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs religions. Cette apparente « neutralité » est, à l’évidence, liée à la description fortement christocentrique qu’il donne de ce mouvement, mais cela n’est malheureusement pas toujours le cas. Sans aucun doute, le syncrétisme est une menace qui se trouve chez tous les chrétiens, y compris en Occident, mais, dans un monde pluriculturel, où le pluralisme, le relativisme et le néopaganisme sont rampants, on aurait aimé une mise en garde plus ferme face aux dangers réels inhérents à l’Insider’s Movement !

4) Discerner la volonté du Christ pour l’évangélisation du monde

Cette quatrième section se concentre sur le thème majeur des trois congrès de Lausanne : « L’évangélisation est le cœur d’une approche pleinement intégrée de notre vocation, dans la mesure où l’Evangile lui-même est la source, le contenu et l’autorité de toute mission valable bibliquement. » (II, iv, 1, E) Une importance particulière est donnée au défi de partager la bonne nouvelle avec les peuples qui n’ont pas encore été atteints ou prospectés, de communiquer l’Evangile aux cultures orales traditionnelles qui représentent la majorité de la population mondiale, de former des disciples afin de mettre en place une nouvelle génération de leaders dans l’Eglise ; à la stratégie et au développement des missions urbaines16 [16] afin d’atteindre les jeunes, les populations migrantes, ceux qui façonnent la culture et « les plus pauvres parmi les pauvres » ; à l’évangélisation des enfants, en encourageant ces derniers ainsi que les adolescents à devenir des instruments de la mission de Dieu. Pour cela, il importe de fournir des ressources qui correspondent réellement aux besoins des jeunes et les protègent de toutes sortes d’abus. L’Engagement a, sur cette question, une précision qui le rend encore plus percutant et pertinent. Il mentionne, en particulier, « la violence, l’exploitation, l’esclavage, le trafic (sexuel), la prostitution, la discrimination sexuelle et ethnique, le ciblage commercial ou la négligence délibérée » (II, iv, 5, C). On peut aussi relever la nouvelle idéologie du genre qui argumente que les différences sexuelles sont essentiellement déterminées par des facteurs culturels et sociaux. Cette théorie a des conséquences dévastatrices sur l’éducation des enfants et sur l’élaboration d’une structure familiale saine et solide.

Un appel poignant à « prier de manière unie, précise, persistante et avec une clarté nourrie bibliquement » clôt cette section. Celle-ci nous rappelle avec justesse que nous sommes collaborateurs dans la mission globale que le Seigneur a initiée. C’est Dieu lui-même qui envoie les ouvriers, transforme le cœur de ceux qui n’ont plus de raison d’être par le moyen de la vérité de l’Evangile. C’est le Seigneur lui-même qui manifeste sa gloire en Jésus-Christ par la puissance et la sagesse de l’Esprit et qui prend l’initiative de l’expansion de son royaume. C’est bien le changement de mentalité que provoque l’irruption de la grâce dans une existence humaine qui porte l’espérance de la transformation durable de la société et de la cité.

5) Appeler l’Eglise du Christ à revenir à l’humilité, à l’intégrité et à la simplicité

L’appel de cette cinquième section « à revenir à l’humilité, à l’intégrité et à la simplicité »17 [17] a fortement marqué le Congrès du Cap, sans doute parce qu’il met le doigt sur certaines des causes de la crise mondiale que nous traversons, mais surtout parce qu’il lance un défi aux chrétiens : celui d’adopter un style de vie qui soit en adéquation avec leur engagement envers Jésus-Christ. Cette section invite l’Eglise, en tant que nouvelle humanité, à incarner un comportement et un style de vie distinctifs. L’amour en lieu et place de l’idolâtrie du désordre sexuel, l’humilité en tant que renoncement à l’idolâtrie de la puissance, l’intégrité comme le rejet de l’idolâtrie du succès et la simplicité incompatible avec l’idolâtrie de la cupidité sont caractéristiques de la nouvelle humanité en Christ, ses composants essentiels. Tout en nous ramenant à la réalité, ces paragraphes nous motivent et nous encouragent à utiliser notre créativité et notre imagination inspirée afin de développer un style de vie et un témoignage qui glorifient Dieu et suscitent la surprise et l’intérêt de nos contemporains. Dans cette section, l’Engagement revient avec clarté, sensibilité et courage sur deux autres thèmes majeurs que sont la pratique désordonnée de la sexualité et la doctrine de « l’évangile de la prospérité ».

6) Etre partenaire dans le Corps du Christ, expression de l’unité dans la mission

Le thème abordé dans cette sixième section a déjà été fortement souligné dans le Manifeste de Manille18 [18]. En fait, Lausanne II ayant « donné naissance à plus de 300 partenariats stratégiques dans l’évangélisation du monde »19 [19], il n’est pas surprenant de retrouver cette insistance dans la section finale de l’Engagement, la crédibilité et l’efficacité de l’Eglise en dépendant largement. L’accent y est mis sur l’unité de l’Eglise, le partenariat dans l’action missionnaire, la collaboration des hommes et des femmes dans le ministère et le besoin de donner une dimension « missionnelle » à l’enseignement théologique. Celui-ci, dont l’objectif est de présenter une perspective globale qui éclaire tous les aspects du monde et de l’existence humaine, est d’une importance cruciale pour la croissance en maturité du chrétien et de l’Eglise.

Dans le paragraphe qui traite du partenariat des hommes et des femmes, nous avons apprécié que l’égalité de toutes les créatures devant Dieu soit soulignée, que le sacerdoce de tous les croyants et le don des charismes de l’Esprit à tous, aux hommes comme aux femmes, soient mis en évidence. L’Engagement reconnaît la diversité des points de vue sur les ministères des femmes dans l’Eglise et recommande un respect mutuel, une étude de l’Ecriture plus approfondie de cette question importante et la repentance lorsque « l’œuvre évidente du Saint-Esprit dans une sœur ou un frère » a été étouffée. La phraséologie de ce paragraphe a été soigneusement choisie et vise à argumenter en faveur, à la fois, de l’unité et de la diversité des modèles de ministères qui « reflètent le caractère de serviteur de Jésus-Christ ». A l’intérieur d’un environnement culturel qui préconise une uniformité quasi systématique et l’interchangeabilité des rôles, il serait crucial de reprendre la question de la complémentarité des ministères masculins et féminins à la lumière des Ecritures, non seulement dans la famille, mais aussi dans l’Eglise. Une telle compréhension et pratique renouvelées contribuerait à enrichir la vie et l’édification de l’Eglise et à mettre en valeur son témoignage alors qu’elle cherche à parler prophétiquement à ses contemporains. Quant à l’importance « missionnelle » d’un enseignement solide, biblique et théologique, il est indispensable à la croissance, à la persévérance et à la pertinence de l’Eglise.

En conclusion de la deuxième partie, l’Engagement rappelle avec force deux thèmes majeurs : l’obéissance radicale du disciple et le caractère impératif de la réconciliation centrée sur la croix. La vie de disciple et l’amour du prochain se trouvent au cœur de la vie et du ministère de la vraie Eglise du Christ.

Conclusion

Lors de la cérémonie de clôture de Lausanne III au Cap, Lindsay Brown a prononcé l’allocution finale dans laquelle il a présenté « la quadruple vision et l’espérance » du congrès. Ses quatre points représentent une conclusion appropriée à cette étude :

« Premièrement, la réaffirmation retentissante du caractère unique du Christ et de la vérité de l’Evangile ainsi qu’un énoncé clair de la mission de l’Eglise – le tout enraciné dans l’Ecriture. »

« Deuxièmement, identifier les questions clés que l’Eglise se doit de traiter dans la prochaine décennie. »

« Troisièmement, faciliter des amitiés et des partenariats nombreux et fructueux au sein de l’Eglise universelle. »

« Quatrièmement, permettre de nombreuses nouvelles initiatives » évangéliques ayant un impact sur les populations non atteintes de notre époque, en particulier au sein de la cité20 [20].

Parmi celles-ci, Lindsay Brown espérait voir surgir « une énergie nouvelle dans la communication de la vérité biblique dans le domaine public par l’intermédiaire des médias, des arts, du monde des affaires, de l’université et du gouvernement. Toutes ces sphères façonnent les systèmes de valeurs dans les nations et exigent un témoignage chrétien hardi, clair et cohérent. »21 [21] En s’exprimant ainsi, Lindsay Brown pensait à la contribution que la perspective biblique du monde et de l’homme pouvait apporter à l’avènement du shalôm dans la société civile. Comme la foi réformée est particulièrement bien équipée dans ce domaine, n’y a-t-il pas là un défi qu’elle se doit de relever alors que nous traversons, en Europe, une des plus graves crises de civilisation de notre histoire ?

Le Congrès et l’Engagement du Cap rendent tous deux un éloquent témoignage à la réalisation initiale de cette vision et de cette espérance qui porte déjà des fruits. Ils ont ouvert de nouveaux lieux de réflexion et de ministère. Ils sont source de motivation et incitent à l’action ! Puissent les communautés chrétiennes les recevoir avec des cœurs reconnaissants, accueillir leurs défis et contribuer ainsi à l’avancement de la gloire et du royaume du Dieu trinitaire dans les années à venir !


  1.  Cet article est la reprise et l’adaptation d’un article que j’ai rédigé en anglais : “Africa Welcomes the Universal Church. The Lausanne III Congress in Cape Town”, European Journal of Theology, XXI/1, 2012, p. 60-68.↩︎ [22]

  2.  Déclaration de Lausanne, section 5, « La responsabilité sociale du chrétien », in Jean-Paul Rempp, sous dir., Evangéliser, témoigner, s’engager. Les documents de référence du Mouvement de Lausanne, Excelsis, Charols, 2017, p. 22.↩︎ [23]

  3.  Dans le think tank, les sujets suivants ont été présentés et débattus : la sécularisation et le nouvel athéisme ; la politique d’information et les nouvelles technologies ; comment la foi chrétienne peut éclairer le débat et l’action ; la sauvegarde de la création et la politique de santé ; être lumière et sel dans le monde des affaires ; la corruption dans la cité ; le développement de l’islam ; la Seigneurie du Christ dans un environnement musulman/chrétien, et ainsi de suite.↩︎ [24]

  4. II, i.↩︎ [25]

  5.  Le paragraphe intitulé « Le monde que nous n’aimons pas » est très court et par trop succinct (I, 7).↩︎ [26]

  6.  Cf. la brochure Closing Ceremony. A New Musical Setting of the Kenyan Service of Holy Communion, pour les paroles des différentes parties de la célébration. Tout le culte a été une invitation pressante à la prière, à la louange et à l’adoration du Dieu trinitaire. Au sein de cette grande assemblée, il a éveillé un sens profond de la majesté de Dieu, de la communion fraternelle et de l’appartenance au corps universel du Christ.↩︎ [27]

  7.  I, 1, D.↩︎ [28]

  8.  A part J. Stott, l’Engagement cite la Déclaration de Lausanne (deux fois), le Manifeste de Manille (une fois) et la Déclaration de Michée sur la Mission intégrale (une fois) mettant en évidence que le document de 2010 suppose les deux précédentes déclarations de Lausanne et bâtit sur elles. D’ailleurs une étude comparative attentive de ces trois documents fondamentaux révèle leur profonde cohésion, leur diversité et, pour le dernier en particulier, un élargissement de l’horizon.↩︎ [29]

  9.  Dieu le Père est employé dans l’Ancien Testament pour parler de la rédemption d’Israël en tant que nation, mais, dans certains passages, c’est l’activité créatrice de Dieu qui est soulignée (Dt 32.6 ; Es 64.8 et Mal 2.10). La créativité de Dieu n’est pas limitée à la création. La rédemption est aussi conçue comme un acte créateur.↩︎ [30]

  10.  Cette question mérite, du moins dans sa formulation, un développement supplémentaire afin que soit précisé comment la création et la société sont incluses dans l’œuvre de la rédemption divine. Ceci est également visible dans la dernière section où l’on peut lire : « Dieu transformera la création brisée par le péché et le mal en une création nouvelle dans laquelle il n’y aura plus ni péché ni malédiction. » (10 Introduction, 43) Nous sommes fondamentalement d’accord, mais l’expression « transformer… en une création nouvelle » est quelque peu ambiguë. Les Ecritures parlent de la création présente (le ciel et la terre) qui disparaît et de Dieu qui crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre. Il semblerait plus juste de parler d’une transfiguration de la création (cf. 1Co 15), cf. la deuxième partie de cet exposé.↩︎ [31]

  11.  J. Stott, The Evangelical Truth, Personal Plea for Unity, Integrity and Faithfulness, IVP Leicester, 1999 (2013 par Langham Global Library, Carlisle, UK). Edition française, La foi évangélique, un défi pour l’unité, LLB, Valence, 2000.↩︎ [32]

  12.  On retrouve, dans toutes ces dix sections, des appels à la confession, à la repentance et au réengagement aussi bien que des avertissements et des condamnations sous une forme ou sous une autre. La plupart des injustices qui sont rapportées sont exprimées en termes généraux, ce qui correspond bien à ce genre de document. Par exemple, la section I, 7, le dernier paragraphe intitulé « Le monde que nous n’aimons pas », contient une brève description du « monde de la rébellion humaine et satanique contre Dieu ». Seuls « les mauvais désirs, la convoitise et l’orgueil humain » sont mentionnés. On aurait pu s’attendre à une description plus complète du « monde que nous n’aimons pas ». En outre, à plusieurs occasions, l’Engagement nomme des maux et des injustices spécifiques (cf. nos commentaires sur la deuxième partie, un « Appel à l’action »).↩︎ [33]

  13.  II, ii, 1.↩︎ [34]

  14.  II, ii, 4, C.↩︎ [35]

  15.  Cf. le livre de l’ex-météorologue d’Antenne 2 dont les propos ont suscité de vives réactions : Philippe Verdier, Climat investigation, Ed. Ring, 2015. Disponible en Livre de Poche 2016.↩︎ [36]

  16.  La moitié de la population mondiale vit maintenant dans des villes.↩︎ [37]

  17.  Déjà mentionné dans la première partie de cet exposé.↩︎ [38]

  18.  Le Manifeste de Manille, section 9.↩︎ [39]

  19.  L’Engagement du Cap, Préambule.↩︎ [40]

  20.  Lindsay Brown, Nous avons un Evangile à proclamer : Le Cap 2010, p. 95-96.↩︎ [41]

  21.  Ibid.↩︎ [42]