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Menaces sur le caractère chrétien des institutions chrétiennes

Menaces sur le caractère chrétien
des institutions chrétiennes[1] [1]

Pierre COURTHIAL[2] [2]

I. Introduction. Le témoignage de l’histoire

La question suivante se pose et nous devons nous la poser : comment des institutions chrétiennes, fondées par des chrétiens confessants fidèles au prix de sacrifices de toutes sortes, ont-elles pu, et peuvent-elles encore, glisser et dégénérer, plus ou moins rapidement ? Comment se peut-il qu’elles en viennent à minimiser, à disputer, à contester, si ce n’est à corrompre et à répudier, les principes fondamentaux sur lesquels elles furent fondées ?

Comment, par exemple, le Collège de Harvard, fondé en 1636 avec un caractère chrétien si fortement marqué – en fait la première institution d’instruction supérieure en Amérique – a-t-il pu, en 65 ans, dévier à tel point qu’il a été nécessaire de fonder le Collège de Yale en 1701 pour suppléer à sa défaillance ? De telles déviations ont conduit Harvard un siècle plus tard, dès 1805, à sombrer dans le brouillard informe de l’Unitarisme.

Et comment Yale a-t-il pu, à son tour, perdre son chemin ?

Comment, plus tard encore, Princeton, bastion exceptionnel de la science biblique, établi en 1801 et, dès son départ, comblé par le sage héritage de la foi réformée, a-t-il pu déchoir de sa gloire ? Comment Princeton, étant parvenu à une grande maturité doctrinale et spirituelle à travers l’œuvre fidèle d’un Archibald Alexander et des Hodges, d’un Benjamin Warfield et de William Green, d’un Robert Dick Wilson et de J. Gresham Machen – parmi bien d’autres docteurs aussi savants que pieux – en est-il venu à délaisser ses premiers principes immuables ainsi que l’héritage fidèle de ses pères ? De telles défaillances ont rendu nécessaire, en 1929, la fondation du Westminster Theological Seminary à Philadelphie.

Comment encore, l’Université libre d’Amsterdam, inaugurée il y a un peu moins d’un siècle (le 20 octobre 1880)[3] [3] – don de la part de Dieu et fruit de la foi, des prières, des luttes, de l’amour, des offrandes et de l’espérance de tout un peuple de réformés aux Pays-Bas, portée aussi par le génie d’un Abraham Kuyper, – a-t-elle pu parvenir à la condition de déchéance si alarmante que nous devons constater aujourd’hui ?

Comment, pour aussi parler de la France, une Académie réformée aussi brillante et d’une renommée telle dans toute l’Europe que celle de Saumur (fondée par Duplessis Mornay en 1593), a-t-elle pu se laisser envahir – cela dès avant le milieu du xviie siècle et quelques années après le Synode œcuménique réformé de Dordrecht (1618-1619) – par un arminianisme plus ou moins camouflé ? Cette erreur « amyraldienne » s’est ensuite rapidement répandue dans la majorité des Églises réformées de mon pays.

Je me contente, ici, d’illustrer mon propos par l’exemple des universités et autres institutions académiques. Mais je pourrais en citer bien d’autres qui témoignent d’un pareil malheur : des sociétés missionnaires, des institutions médicales ou professionnelles, des écoles du dimanche, des revues ou des journaux, des Églises et des unions d’Églises qui, après un temps de fidélité où elles brûlaient de la flamme ardente de leur premier amour pour Dieu, n’ont pas su « garder » le dépôt qu’elles avaient reçu. Suite à un relâchement tout semblable, elles se sont vu retirer par Dieu ce chandelier d’or, gloire et lumière qui avaient jadis été les leurs.

Mais c’est bien à vous qui m’écoutez maintenant que je m’adresse, et il me faut d’abord attirer votre attention sur les luttes et les combats qui aujourd’hui sont les nôtres. Aussi mon discours ne saurait-il se borner à considérer de manière rétrospective l’histoire passée dont je viens d’évoquer quelques moments dramatiques. Si des situations historiques peuvent se ressembler, elles ne sont jamais vraiment les mêmes. Bien sûr, nous pouvons parfois retenir les leçons que nous livrent de pareilles ressemblances, mais en raison des différences, de cette non-similitude des époques de l’histoire, il serait préférable, pour nous, de nous tourner vers la Parole unique de Dieu. Nous pourrons y sonder les trésors d’avertissements, de promesses et d’ordres qui s’y trouvent et dont nous avons un si grand besoin. Nous verrons qu’ils sont pour nous, même aujourd’hui, d’un immense secours. Car, comme le disait jadis un Léon Bloy : « Lorsque je veux savoir quelles sont les dernières nouvelles, je lis saint Paul ! »

II. Puissances invisibles et souveraineté de Dieu

J’entame mon propos avec l’avertissement que nous donne l’apôtre Paul : « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les pouvoirs, contre les dominateurs des ténèbres d’ici-bas, contre les esprits du mal dans les lieux célestes. » (Ep 6.12)

Nous devons savoir comment accueillir une telle révélation. En tout premier lieu, cela signifie que l’environnement dans lequel nous nous trouvons – cela dès le temps de la Pentecôte et jusqu’à la venue en gloire de Jésus-Christ – recèle, dans ses profondeurs mêmes, cette réalité invisible terrible au sujet de laquelle le Nouveau Testament tout entier nous avertit et nous exhorte, et contre laquelle il nous met en garde. Notre perception des menaces qui pèsent sur le caractère chrétien des institutions chrétiennes manquerait de réalité, nous tromperait, nous livrerait à des illusions et émousserait notre vigilance, si nous limitions notre vision aux réalités de ce que nous appelons le domaine des choses « visibles ». En réalité, nous nous trouvons environnés d’une atmosphère saturée de forces « invisibles », puissances spirituelles mauvaises animées et dirigées par le Prince des ténèbres. Ces forces modèlent, manipulent et utilisent ces « idées directrices » qui prévalent à chaque époque. De telles idées directrices – « l’esprit du temps » – se présentent d’abord avec une telle subtilité que nous en venons à les absorber tout naturellement ; nous les aspirons sans en prendre conscience. Ensuite, elles font progressivement peser sur nous un tel poids qu’elles finissent par nous écraser et nous détruire.

Toute institution chrétienne – tant dans son ensemble que dans chacun de ses membres – doit constamment faire face à des tentations, qui sans cesse se renouvellent, ainsi qu’à des pièges formidables que notre Adversaire, qui « rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer » (1P 5.8), place habilement sous nos pas. Nous voyons ces puissances s’associer aux hommes ; elles se trouvent à l’arrière-plan des organisations et des États, lorsqu’ils se dressent, ouvertement ou de manière secrète, contre Dieu et contre la Foi délivrée une fois pour toutes aux saints. Elles se trouvent à l’ombre, pour ainsi dire, des pseudo-chrétiens, des faux frères et de tous ceux qui se consacrent à enseigner l’erreur et le mensonge. De tels hommes animés d’un esprit impie se trouvent même à l’intérieur des Églises et au sein des institutions chrétiennes. Tout en se trouvant à l’intérieur de l’institution chrétienne, ils n’appartiennent ni au Christ, ni à son Église. Derrière de tels hommes, et avec eux, se trouvent les démons eux-mêmes et leur Prince. Ces Puissances ténébreuses sont d’une grande vigilance ; elles agissent de manières diverses, ne manquant jamais de trouver leurs complices parmi ceux qui demeurent dans le péché ; elles agissent même, hélas, dans le cœur des chrétiens les plus fidèles. Tout ceci, il nous faut bien en avoir conscience et surtout ne jamais l’oublier !

Mais il est une chose, d’une importance plus grande encore, dont nous devons nous souvenir, chose plus capitale encore à savoir et retenir : de telles tentations ne nous viennent jamais sans la volonté expresse de notre Père qui est aux cieux. C’est lui qui les permet et qui nous les présente. Il les présente à ses enfants de sa propre main, comme autant d’afflictions qu’ils doivent traverser et dont ils triompheront par la force qu’il leur donne. Ces deux réalités apparemment très différentes que sont la tentation démoniaque et l’affliction divine sont souvent désignées dans le grec du Nouveau Testament par un seul vocable : peirasmos. Elles coïncident, mais de manière antinomique, dans la réalité spatio-temporelle dont est constituée notre vie terrestre, pour qu’y soit concrètement manifestée la décision victorieuse de notre foi. Dans cette apparente « coïncidence des contraires », l’intention vicieuse de notre Adversaire n’est autre que celle de nous induire à pécher, de nous séduire, de nous faire tomber, de nous faire périr. L’intention bonne de Dieu, dessein divin qui se tient au-dessus et contre celle de notre Adversaire, est d’affliger ses enfants dans le seul but d’affermir leur foi en la purifiant, afin qu’elle glorifie son saint Nom toujours davantage. Ainsi, au lieu de nous décourager et de nous pousser au désespoir, les menaces dressées par l’Adversaire contre le caractère chrétien de ces institutions chrétiennes que Dieu confie à nos soins en tant que dirigeants responsables, doivent bien plutôt nous inciter à la vigilance, au progrès spirituel et à une plus grande ardeur dans nos combats.

Par la foi en la souveraine grâce de Dieu et par l’action toute-puissante de la Providence qui, en Jésus-Christ, prédestine ceux qui lui appartiennent à la gloire éternelle, nous savons que tout saint, celui qui est un élu de Dieu, persévérera fidèlement jusqu’à la fin ; nous savons que rien « ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Christ-Jésus notre Seigneur » (Rm 8.39). Nous savons également que l’Église élue par Dieu persévérera, elle aussi, jusqu’au bout et que même « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16.18). Cette vérité peut être affirmée d’une autre manière : nous croyons à « la persévérance des saints » et à « la persévérance de la sainte Église ».

Par ailleurs, c’est précisément par un tel cantique que nous devons, sans cesse, persévérer dans cette louange que nous adressons à Dieu par reconnaissance pour sa miséricorde si fidèle et pour sa toute-puissance. Car notre chant fait entendre à la fois l’humble reconnaissance pour le secours qu’il accorde à notre faiblesse et le devoir impérieux qui est le nôtre d’en appeler, avec une constance renouvelée, aux armes de Dieu qui sont le fruit de notre foi. Il nous appelle, par ailleurs, à invoquer avec constance les promesses indestructibles de Dieu concernant l’indéfectibilité inaltérable de ses élus et de son Église en tant qu’Épouse sainte de Jésus-Christ. Mais, ne l’oublions pas, une pareille indéfectibilité ne peut aucunement se rapporter à une quelconque Église, locale ou dénominationnelle, de notre propre choix et, bien moins encore, à une institution chrétienne particulière qui se prétendrait gardée pour toujours de toute chute. Il ne nous est pas permis de nous livrer par notre négligence à une telle confiance aveugle en une institution particulière infaillible.

III. Le danger se trouve en nous-mêmes

La première menace, le premier danger, se trouve toujours en nous-mêmes. Le front sur lequel nous devons à la fois combattre, tenir et vaincre, passe à travers nos propres vies. En tout premier lieu, il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes. Notre orgueil et notre amour-propre ne disparaîtront qu’avec cette vie présente sur terre et la première manière de combattre cet orgueil est de le reconnaître, puis de le confesser. « Ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber ! » (1Co 10.12) Ceci nous montre que nous ne devons jamais, ici-bas, penser être debout, comme si nous pouvions tenir ferme par nous-mêmes.

Notre faiblesse consiste précisément en cette idée inepte : imaginer que nous pouvons être forts par nous-mêmes. Notre tendance naturelle est de toujours vouloir revenir à cette volonté d’indépendance, à l’autonomie. Cette volonté d’indépendance n’est rien d’autre que la marque de l’amour que nous nous portons à nous-mêmes, le sceau de notre orgueil.

L’exhortation du Seigneur : « Veillez et priez », exige de nous qu’en tout premier lieu nous discernions la complicité que l’ennemi trouve encore et – hélas ! – trouve toujours en nous, en chacun de nous personnellement.

« Prenez garde à vous-mêmes », dit Jésus à ses disciples (Lc 21.34). « Priez afin de ne pas entrer en tentation » (Lc 22.46). « Chacun est tenté parce que sa propre convoitise l’attire et le séduit », dit Jacques (Jc 1.14). « Veille sur toi-même », écrit Paul à Timothée (1Tm 4.16).

 

C’est ainsi que chacun de nous doit, avec le psalmiste, crier à Dieu : « Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon cœur ! Éprouve-moi et connais mes préoccupations ! Regarde si je suis sur une mauvaise voie, Et conduis-moi sur la voie de l’éternité ! » (Ps 139.23-24) Et puis ceci : « Qui connaît ses fautes involontaires ? Pardonne-moi ce qui m’est caché. » (Ps 19.13)

Aussi humiliant que cela puisse paraître à chacun de nous, il nous faut reconnaître et confesser que la menace la plus immédiate contre le caractère chrétien de l’institution chrétienne SE TROUVE EN NOUS, menace constituée par nos propres faiblesses, notre amour-propre, notre orgueil. C’est donc à nous, nous qui sommes les responsables d’institutions chrétiennes de toutes sortes, à nous personnellement, qu’est adressé l’appel à reconnaître nos faiblesses, nos fautes, et à les confesser.

IV. Nécessité d’une direction collégiale de qualité

Il convient de dire un mot maintenant à propos, non plus de cette vigilance que chacun de nous doit exercer sur lui-même, mais de la vigilance que les dirigeants de l’institution chrétienne doivent, en tant que conseil responsable d’une communauté, exercer ensemble sur le corps qu’ils dirigent.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » Jésus envoya souvent ses disciples deux par deux. Les apôtres constituaient un corps apostolique que l’on appelait les Douze. Les Églises du Nouveau Testament étaient dirigées par les anciens. Même celui qui dirige une institution chrétienne doit exercer la présidence en conseil, c’est-à-dire, non pas seul, mais en communion avec d’autres.

Lorsqu’une menace très sérieuse se dresse contre le caractère chrétien de l’institution chrétienne, cette menace devient visible, grandit et s’avère rapidement mortelle si le conseil, l’équipe qui dirige l’institution, n’est plus homogène, lorsque les membres qui le composent ne parviennent plus à tirer ensemble sur la même corde. Le diable est bien le diviseur. « Si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne peut subsister. » (Mc 3.25) Ainsi chaque membre du conseil de l’institution chrétienne doit d’abord veiller sur lui-même ; puis le conseil doit, lui aussi, veiller ensemble à demeurer un « corps » : un corps uni dans la diversité de ses talents et des services qu’il rend, corps dans lequel chacun peut manifester ses dons ; un corps aussi où chacun de ses membres sait, et découvre, à quel point les autres lui sont nécessaires ; un corps où ne règne pas la jalousie mais au sein duquel, « si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui ou si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » (1Co 12.26).

C’est pour cette raison que le simple accord doctrinal ne suffit pas à ce qu’un conseil constitue un véritable corps. Il doit s’y trouver également un accord psychologique, union établie et maintenue par un amour commun, amour réciproque, amour qui n’est pas envieux, qui ne se vante pas, qui n’est pas facilement provoqué, qui ne soupçonne pas le mal mais qui se réjouit dans la vérité (1Co 13.4-7).

Au sein de ce corps, chacun travaille à être attentionné envers les autres et, là où un tel souci du bien de tous excelle, l’humilité, la bonté, le soutien mutuel, pour tout dire la nouthesia peuvent croître. Ce sont ces qualités qui déterminent le caractère véritablement chrétien de l’institution. Ainsi la vérité y est proclamée dans l’amour et « le corps tout entier bien ordonné et cohérent, grâce à toutes les jointures qui le soutiennent fortement, tire son accroissement dans le mesure qui convient à chaque partie, et s’édifie lui-même dans l’amour » (Ep 4.15-16). Si parfois il peut s’y manifester un mouvement de colère, le jour ne se termine pas sans confession, sans correction fraternelle, et sans pardon mutuel (cf. Ep 4.26 ; Mt 5.21 ; Lc 17.3-4, etc.).

V. L’hypomonè ou la persévérance

Toute institution chrétienne, dès le moment où sa qualification de « chrétienne » est authentique, devient l’objet de menaces et d’attaques de la part de l’Ennemi. Sa situation, même si elle peut paraître stable et paisible, n’est jamais neutre. La stratégie du démon ne manque jamais d’imagination, car tous les moyens lui paraissent bons : guerre froide ou guerre déclarée ; actions ouvertes ou camouflées ; agressions provenant de l’extérieur ou de l’intérieur. Nous devons toujours veiller à ne pas nous laisser endormir ; nous devons toujours nous tenir sur nos gardes, sur le qui-vive, sur les remparts, prêts à agir, veillant sur tout avec la plus grande attention. Veillez et priez… veillez et priez est le mot d’ordre permanent, tant de Jésus que de ses apôtres ; c’est celui que toujours nous devons mettre en pratique.

Dans le Nouveau Testament, nous découvrons une vertu très spéciale nommée hypomonè dont la tâche est de rendre parfaits la foi, l’amour et l’espérance.

Confrontés aux menaces et aux stratagèmes des puissances démoniaques, il nous faut exercer l’hypomonè. Dans nos versions, ce mot grec est traduit de diverses manières : endurance, patience ou persévérance. Son étymologie est éclairante : hypo, dont le sens est « dessous », et le verbe menô qui signifie « tenir ». Exercer l’hypomonè consiste donc à « tenir dessous », autrement dit, « supporter ».

Mais que nous faut-il alors supporter ? Deux choses sont à supporter : tout d’abord les épreuves par lesquelles Dieu cherche à éprouver notre foi – comme le feu trempe l’acier (1P 1.6-7) – mais aussi l’écoulement du temps, la durée nécessaire au plein accomplissement du mystère divin (1Th 5.1ss ; 2Th 2.1ss). En ce qui concerne les épreuves, hypomonè désigne principalement l’endurance du chrétien ; en ce qui concerne le temps qui s’écoule, l’hypomonè signifie la patience qui le caractérise ; et, pris ensemble, endurance et patience constituent la persévérance.

Afin de pouvoir « tenir dessous », « supporter », exercer l’endurance, la patience et la persévérance, il nous faut être forts. Mais, dans la condition qui est la nôtre ici-bas, comme nous l’avons affirmé, nous sommes faibles en nous-mêmes. Nous ne pouvons donc être forts si ce n’est par la puissance qui nous est donnée et renouvelée d’en haut (Dt 8.18 ; Es 14.29-31), par cette puissance qui vient du Saint-Esprit, force céleste qui nous unit à Jésus-Christ, force qui est en Jésus-Christ lui-même (Ep 3.16-20). Cette puissance est donnée et renouvelée chez les fidèles qui la demandent, qui implorent Dieu pour la recevoir (Mt 7.7-11) ; c’est le seul moyen qui nous rend capables d’endurer, tant la dureté de l’épreuve que l’usure du temps, et d’en être vainqueurs, cela jusqu’à la fin (1Co 10.13).

VI. L’hypomonè doit caractériser notre foi et la rendre parfaite

Par la vocation qui est la sienne, une institution chrétienne sera confessante. Qu’elle ait adopté une confession ecclésiale reconnue ou que, pour ses propres besoins, elle en ait formulé une nouvelle, l’adoption d’une confession montre, de manière publique, les principes fondamentaux auxquels elle adhère. On y voit aussi, de manière bien visible, les convictions, les principes conformes à la Parole de Dieu auxquels il est nécessaire de tenir pour rester fidèles à la Parole au sein d’une telle institution chrétienne. Être ou devenir membre d’une telle institution implique que l’on accepte de manière sincère, de cœur et sans restriction mentale, telle confession ou déclaration de foi. L’acceptation d’une telle confession ou déclaration est associée à l’engagement de la respecter et de mettre en pratique les principes fondamentaux auxquels on a ainsi souscrit, en confirmant publiquement, comme nous l’avons fait, l’adhésion que nous lui portons.

Il est sans doute plus difficile de respecter et de mettre en pratique de tels principes que de les formuler. Cependant, nous avons l’obligation, nous qui sommes les dirigeants d’une telle institution, de nous engager à un tel respect, à une telle mise en pratique. Pour y parvenir nous avons besoin de nous soutenir les uns les autres.

Cependant l’histoire, même la plus récente, nous montre qu’une telle loyauté, même au niveau le plus élémentaire, n’est, ou n’est plus, à la mode, pour bon nombre de ceux qui s’engagent comme membres de nos institutions chrétiennes. Nous avons vu par le passé, et nous le voyons encore, que bien des personnes ne souscrivent aucunement de cœur et sincèrement aux principes essentiels de l’institution chrétienne à laquelle ils cherchent à adhérer. Ils souhaitent cependant en faire partie et sont même d’accord, lorsqu’on le leur demande, pour signer des promesses de fidélité aux principes inscrits dans ces formulaires, principes auxquels ils n’adhèrent pas.

Nous avons aussi vu, et nous voyons encore, des personnes qui désirent rester membres d’institutions chrétiennes – parfois ils y détiennent même des postes importants – alors qu’ils ne croient plus que soit vrai l’un ou l’autre des principes essentiels de cette institution. Certains d’entre eux ne paraissent guère se rendre compte du caractère hypocrite d’une telle situation, tandis que d’autres camouflent de manière volontaire leurs convictions et leurs buts. Mais qu’il s’agisse d’accéder à une position (ou de s’y maintenir tout en gardant des convictions autres que celles sur lesquelles est fondée cette institution) ou de chercher de manière subversive à détruire l’institution en question, nous avons pu observer, et nous continuons d’observer, qu’il existe des hommes perfides qui sont capables d’adhérer publiquement à des principes qu’ils sont secrètement décidés à combattre et à renverser.

De telles manœuvres, qu’elles soient hypocrites ou subversives, constituent de réelles menaces contre l’intégrité du caractère chrétien des institutions chrétiennes. Que ce soit, pour certains, par une « force d’inertie » qui pèsera lourdement sur la vie de l’institution et finira par la paralyser, ou que ce soit, pour d’autres, par l’action subversive d’une véritable « cinquième colonne » opérant à l’intérieur de l’institution afin de la pervertir, la menace demeure.

Lorsque l’institution est confrontée à ces menaces autrement plus dangereuses venant de l’intérieur, seules l’hypomonè, la persévérance et la foi peuvent être victorieuses. Cela se produira, d’une part, par un retour durable et ardent des fidèles à l’enseignement de l’Écriture et à la prière, et, d’autre part, par l’application correcte de la discipline.

Dans un esprit de loyauté, sans crainte à l’égard des principes de l’institution, étroitement unis aux Sauveur et Seigneur Jésus-Christ, ses membres fidèles et responsables doivent demander à être sanctifiés par la Parole de Dieu qui est la Vérité (Jn 17.17). Ils doivent être fondés et demeurer dans la foi (Col 1.23). Ils doivent résister, fermes dans la foi (1P 5.9), et retenir fermement jusqu’à la fin leur assurance première (Hé 3.14). Ils doivent, en même temps, rejeter les enseignements des faux docteurs (2P 2.1ss), qui tordent le sens des Écritures (2P 3.17), qui sont de chez nous mais qui ne sont pas des nôtres (1Jn 2.1) ; qui sont des impies qui changent en dérèglement la grâce de notre Dieu (Jude 4).

Mais si le combat spirituel de l’hypomonè, de la persévérance et de la foi, cherche avec les armes de la Parole de Dieu et de la prière à fortifier les fidèles, l’hypomonè nous supplie d’être également remplis de courage afin de pratiquer une nécessaire discipline, cela au cœur même de l’institution sur laquelle nous avons été placés comme dirigeants responsables. Ni l’amitié, ni l’appréciation que nous pouvons porter à certaines qualifications ou diplômes académiques, ni même, et cela davantage encore, (nous y reviendrons) des considérations de prestige ou d’argent, ne doivent nous empêcher d’agir. Il convient d’abord d’avertir, une première et une seconde fois seul à seul, puis en conseil, et enfin d’exclure, s’il ne manifeste aucune repentance ou réparation, celui qui se montre notoirement infidèle aux principes fondamentaux de l’institution chrétienne dont nous avons reçu la charge (voir Mt 18.14-20).

La lâcheté et le relâchement en matière de discipline sont peut-être plus graves encore que le mépris ou rejet ouvert de celle-ci. Les lettres aux Églises de Pergame et de Thyatire, dans le livre de l’Apocalypse (Ap 2.14-16, 20-22), montrent clairement que Dieu nous demande de nous repentir de certaines tolérances intolérables, afin ne pas laisser le champ libre aux séducteurs des saints.

Prenons garde à toute fausse incitation à l’amour, à la paix et à la liberté, lorsque nous commençons à en appeler à la nécessité d’exercer la discipline.

Je parle ici de « fausse incitation à l’amour », car ce n’est ni aimer Dieu, ni aimer nos frères, que d’abandonner, par notre relâchement, l’institution chrétienne aux activités subversives et à la puissance de l’Ennemi, et se la laisser se transformer en son contraire. En revanche, c’est par amour pour Dieu et pour nos frères que nous devons savoir comment exercer au moment opportun une discipline équitable.

Je parle ici de « fausse incitation à la paix », car il ne peut y avoir de paix véritable là où on capitule face à l’Ennemi par toutes sortes de compromis et de concessions ; là où on abandonne la vérité des Écritures en la laissant être contestée et rejetée ; là où la portée exacte d’une proposition divine clairement formulée est livrée à ses adversaires afin d’être réduite à rien ou carrément niée, cela au nom d’hypothèses philosophiques ou scientifiques avancées par des hommes. C’est au contraire dans le but louable de rétablir la paix véritable, troublée pour un temps par l’erreur, qu’il nous faut exercer cette discipline indispensable.

Je parle ici de « fausse incitation à la liberté », car il est important de savoir de quel côté se trouve vraiment la liberté légitime. Se trouve-t-elle du côté de ceux qui méprisent les principes fondamentaux auxquels ils ont souscrit, ceux de l’institution chrétienne à laquelle ils prétendent appartenir, bafouent sa tradition fidèle et vivante, méprisent les sacrifices consentis par ses fondateurs, ses membres et ses amis, et minent ou attaquent de l’intérieur la foi particulière confessée par cette institution ? Ou se trouve-t-elle du côté de ceux qui respectent les principes fondamentaux de cette institution dont ils ont la charge, dans la fidélité à sa tradition, et qui, au prix de nouveaux sacrifices, exercent la discipline dans le seul but de maintenir l’institution chrétienne dans la voie qu’elle avait choisie lors de sa création ?

VII. L’hypomonè doit caractériser notre amour et le rendre parfait

Au cœur même de l’Écriture sainte se trouve le commandement relatif à l’amour. De la même façon que nous devons, par la foi, persévérer dans les épreuves, il nous faut aussi persévérer dans l’amour. S’il est vrai qu’une foi authentique a pour fruit, dans notre cœur, un amour sincère pour Dieu et notre prochain, il est tout aussi vrai que les idoles qui menacent l’institution chrétienne nous invitent constamment à les préférer à Dieu : les idoles du nombre, de l’argent, de la science, du pouvoir…

« Petits enfants gardez-vous des idoles » (1Jn 5.21). C’est ainsi que nous exhorte saint Jean à la fin de sa première épître, lettre si largement consacrée à « l’amour ». « Le monde » – dans le sens précis que Jean attribue à cette expression – aime le nombre, l’argent, la science, le pouvoir plutôt que Dieu. Toutes ces idoles fascinent le monde, le séduisent, l’entraînent. Saint Jean écrit encore : « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie, ne vient pas du Père, mais vient du monde. Et le monde passe et sa convoitise aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. » (1Jn 2.15-17) Nous ne pourrons jamais dire à quel point le caractère chrétien des institutions chrétiennes a été endommagé, corrompu et finalement détruit parce que l’amour de l’une ou l’autre de ces idoles (le nombre, l’argent, la science, le pouvoir) a prévalu sur l’amour de Dieu. L’adultère spirituel commence au moment même où nous fixons le regard sur une idole et la désirons. Rappelons-nous que « l’œil est la lampe du corps » (Mt 6.22).

Ne devons-nous pas souhaiter que l’institution chrétienne croisse en nombre ? Sûrement ! Mais ne nous précipitons pas. Il faut être conscient qu’avec ce souhait peuvent apparaître les menaces liées à l’idole du nombre. C’est certes une bonne chose que de prier pour le développement normal de l’institution chrétienne et de nous en réjouir lorsque nous l’observons, mais nous pouvons très rapidement courir le risque de chercher la croissance numérique pour elle-même, au prix de toutes sortes de concessions : dans le domaine de la publicité, par exemple, qui devient mensongère ; ou dans le domaine des qualifications exigées pour devenir membre de l’institution, qui sont revues à la baisse.

La croissance qu’il nous faut demander à Dieu et rechercher avant tout est une croissance dans la grâce et la vérité. Il est triste de constater que là où on a fait de la croissance numérique une priorité, on y est souvent parvenu au détriment du caractère véritablement chrétien de l’institution. La raison de cette dérive est évidente : les membres de l’institution se réjouissent davantage du nombre que de la vérité.

De plus, dans une institution qui grandit excessivement, les relations sociales (par exemple, dans une institution éducative, le rapport entre professeurs et étudiants) ont tendance à se déshumaniser et, par conséquent, à perdre leur caractère spécifiquement chrétien. Le système administratif de l’institution prend un poids de moins en moins supportable. Lorsqu’une institution devient trop grande, il est certainement préférable d’en créer une deuxième. Le caractère chrétien d’une telle institution exige l’existence de la communion fraternelle dans la prière, dans la réflexion et la collaboration, dans la prise d’initiatives. Le trop grand nombre menace inévitablement le maintien et le développement d’une telle communion fraternelle.

Eh bien, nous dit-on encore, une institution chrétienne ne doit-elle pas disposer de moyens pour vivre ? L’institution chrétienne n’a-t-elle pas besoin de bâtiments, de bibliothèques et d’argent pour payer ses dirigeants ? Sans doute ! Mais nous devons ici aussi veiller à ce que l’argent ne devienne pas une idole. Nous ne pouvons aimer et servir, en même temps, Dieu et Mammon (Lc 16.13). Ce n’est pas sans cause que la Bible nous parle de richesses injustes (Lc 16.13) ou de richesses pourries (Jc 5.2) et que Jésus lui-même maudit ceux qui trouvent leur paraklesis, leur consolation, leur réconfort et leur assurance, dans leurs richesses (Lc 6.24), au lieu de la trouver dans le paraklete véritable, Jésus-Christ, ainsi que dans l’autre paraklete, le Saint-Esprit (Jn 14.16).

La pauvreté n’est certes pas une chose à souhaiter : il nous faut pouvoir disposer de ce qui nous est nécessaire. Et Dieu sait bien ce dont nous avons besoin. Mais l’amour de l’argent a toujours un caractère effrayant : c’est bien par amour de l’argent que certaines institutions chrétiennes ont perdu leur caractère chrétien, par les compromis ainsi rendus nécessaires, ainsi que par l’égoïsme et l’envie suscités par la prospérité de l’institution.

Nous devons nous rappeler que c’est par crainte de manquer de quelque chose qu’Israël, dans le désert, a murmuré contre Dieu (Ex 15.4, 19, 20 ; Nb 11). Jésus ordonne à son peuple de ne pas se faire du souci pour le lendemain (Mt 6.19, 34), mais de rechercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice (Mt 6.33). Il se peut que, dans certaines circonstances, Dieu nous ordonne de prendre des précautions (Gn 6.21, 41 ; Lc 22.39), mais notre devoir normal (qui, pour notre nature pécheresse, est certes un devoir extraordinaire !) n’est autre, d’après le titre d’un ouvrage d’Isabelle Rivière, que le devoir d’imprévoyance[4] [4]. Cela parce que nous sommes, en Jésus-Christ, les enfants adoptifs du Dieu souverain, Seigneur qui, dans sa sagesse, dans sa bonté et dans sa toute-puissance, sait, prédestine et prévoit tout ce dont nous avons besoin. Une bonne « économie » consiste alors à faire bon usage de ce que Dieu nous donne, pour sa gloire et selon ses promesses et ses commandements, jour après jour, mois après mois, année après année, étant parfois riche, mais sans aimer les richesses ; étant parfois pauvre, mais sans récrimination ni envie ; demeurant toujours dans l’amour de Dieu et dans la pratique des œuvres suscitées par sa grâce.

Salomon le disait déjà : « Celui qui se confie dans ses richesses tombera. » (Pr 11.28) Mais celui qui est plus grand que Salomon dit à ses disciples : « Mes enfants, qu’il est difficile à ceux qui ont des biens d’entrer dans le royaume de Dieu. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Mc 10.24-25 ; Lc 18.24-25) Ce fut principalement par générosité, par amour pour Dieu, que tout un peuple de paysans réformés aux Pays-Bas, donna à Abraham Kuyper – mais à Dieu d’abord ! – les moyens nécessaires, il y a plus d’un siècle, pour créer l’Université libre d’Amsterdam. Ce fut aussi par amour pour Dieu que les premiers professeurs de cette institution chrétienne acceptèrent de recevoir un salaire plus modeste que celui auquel ils auraient pu prétendre ailleurs (2Co 9.7-13).

Eh bien, nous dit-on encore, n’est-il pas souhaitable que l’institution chrétienne puisse disposer de personnes compétentes pour occuper ses postes les plus élevés ? Dans un établissement d’éducation chrétienne, par exemple, les professeurs ne doivent-ils pas être aussi savants que possible ? Sans doute ! Mais la science ne doit pas devenir une idole. Dieu veut être reconnu comme Seigneur et Sauveur dans tous les domaines, y compris celui de la science. Prenons garde ! L’amour de la science, dressé à tort comme absolu, ne doit pas nous détourner de l’amour de Dieu.

En fait, le fétichisme scientifique, au lieu d’accroître et d’améliorer notre connaissance, comme il a la prétention de le faire, la réduit et finit par l’anéantir ; pire encore, il déforme et dégrade toute véritable connaissance et ce, d’autant plus que celle-ci dispose de moyens et d’instruments toujours plus efficaces. Ainsi, les techniques remarquables (hélas !) au service de l’idole Science, au lieu de servir le Dieu vivant, finissent par susciter une dépersonnalisation abominable de l’homme créé à l’image de Dieu. Disons-le sans ambages : certaines « expériences » biologiques, psychanalytiques, politiques ou herméneutiques pratiquées de nos jours ont un caractère clairement marqué d’un sceau spécifiquement démoniaque.

Et cependant, nous voyons des membres dirigeants des institutions chrétiennes donner une place toujours plus grande à un fétichisme scientifique si dégradant, sans même chercher à savoir ce qu’il en est véritablement. Ils le font, soit par souci d’une apologétique académiquement conformiste et donc viciée, soit par désir de se faire admettre dans les cercles supérieurs du savoir, tel qu’il est reconnu par l’Académie en place. C’est ainsi que, dans différents domaines, ces membres dirigeants des institutions chrétiennes sont prêts à reconnaître et à admettre des dogmes chrétiennement interdits, contraires aux enseignements de la révélation scripturaire.

Eh bien, nous dira-t-on enfin, ne doit-on pas souhaiter que l’institution chrétienne ait un impact, gagne en influence, tant dans l’Église que dans le monde ? Sans doute ! Mais le pouvoir menace aussitôt de devenir une idole.

Nous vivons un temps où partout est prêché le dogme de l’efficacité. Sous couvert d’efficacité, les États et les partis tendent à devenir toujours plus totalitaires. Livré à la propagande et à la publicité sous toutes leurs formes, qui déversent partout leurs sons et leurs images, l’homme s’y abandonne, se laisse de plus en plus absorber. Sous prétexte de « formation continue », beaucoup sont manipulés par des techniques dites de « groupe » ; bien d’autres encore sont réduits à l’état d’esclavage par des drogues, tant sur le plan intellectuel que psychochimique.

L’hypomonè, la persévérance dans l’amour, doit expulser de l’institution chrétienne, ainsi menacée, toute forme abusive de pouvoir et rejeter avec force toute espèce de considération à son égard ; et ce au nom et par la puissance du Seigneur, ainsi que pour son honneur. Car il ne traite jamais les humains comme des marionnettes, mais il règne sur eux de manière souveraine, tout en les considérant comme des êtres responsables, créés à son image, tant dans les manifestations de sa grâce que dans les jugements qu’il exerce sur eux.

Il y a aussi des procédés, des méthodes, des manières d’être et d’agir que les institutions chrétiennes et leurs membres doivent répudier s’ils ne veulent pas perdre leur caractère propre.

– Témoignage ? Oui. Mais par la manipulation des consciences ? Non !

– Éducation ? Oui. Mais par le lavage de cerveau ? Non !

– Fermeté ? Oui. Mais dans un esprit sectaire d’exclusion ? Non !

C’est en prenant le risque de la responsabilité véritable et, par conséquent, de la liberté et de la dignité humaine – dans la foi en celui dont le règne contrôle chaque risque – que l’institution chrétienne peut éviter de capituler devant les menaces de l’idole Pouvoir.

VIII. L’hypomonè doit caractériser notre espérance et la rendre parfaite

Il existe un rapport encore plus étroit encore – si cela est possible ! – entre hypomonè et espérance qu’entre hypomonè et foi, ou même qu’entre hypomonè et amour. Un rapport si étroit que dans la réalité de notre vie chrétienne, hypomonè et espérance finissent par se confondre. C’est pour cette raison que nous voyons plusieurs fois, dans le Nouveau Testament, la trilogie de la foi, de l’espérance et de l’amour être remplacée par une autre trilogie : la foi, l’espérance et l’hypomonè (2Th 1.3-4 ; 1Tm 6.11 ; 2Tm 3.10 ; Tt 2.2 et Ap 2.19).

Comment pourrait-on endurer l’épreuve sans l’espoir d’une victoire certaine de l’amour de Dieu sur les forces ennemies ; sans l’espérance que donne la vraie foi et qui la nourrit (Hé 11.1) ? Les fidèles continuent, endurent et persévèrent parce qu’ils savent, par grâce, au moyen de la foi, qu’ils ne seront pas trompés, que leur attente patiente sera, tôt ou tard, récompensée et cela au-delà de toute mesure. La foi, la persévérance, l’espérance. Ces trois, pour le fidèle, forment un tout ; c’est aussi de cette manière qu’ils endurent l’épreuve jusqu’au bout (2Co 6.4-10).

Les menaces contre le caractère chrétien de l’institution chrétienne ne peuvent jamais faire perdre courage à ceux qui ont la responsabilité de cette institution, pour autant qu’ils s’exercent, et s’encouragent les uns les autres à l’hypomoné de la foi, de l’amour et de l’espérance. Lorsque ces menaces, provenant de l’extérieur, deviennent plus fortes, elles peuvent, dans certains cas, aboutir à l’interdiction, à la suppression d’une institution chrétienne. Nous avons vu cela en France avec la révocation de l’Édit de Nantes (1685). Nous avons vu cela, et nous le voyons encore au xxe siècle dans les pays totalitaires. Mais ces menaces extérieures n’ont jamais pu effacer le caractère chrétien de l’institution chrétienne.

Les seules véritables menaces contre le caractère chrétien de l’institution chrétienne sont celles qui naissent à l’intérieur, celles qui sont intériorisées, celles qui impliquent la responsabilité des membres de cette institution et, tout particulièrement, celle des membres dirigeants eux-mêmes. Pendant qu’il est encore temps, c’est-à-dire tant que l’institution n’est pas encore parvenue à ce stade ultime où elle rejette elle-même ouvertement ses principes fondamentaux, tant qu’elle n’a pas encore entièrement perdu son caractère chrétien, les membres fidèles doivent contre-attaquer, se fortifier par la prière sur le roc de la Parole de Dieu, demandant qu’une juste discipline soit exercée contre les membres infidèles.

Et si, dans une institution ou dans une autre, ce sont les méchants, les infidèles, les apostats, qui remportent le combat, alors les membres fidèles ont le devoir devant Dieu de partir, avec tristesse mais sans désespoir, sachant que le Seigneur, celui qui est toujours fidèle à son alliance de rédemption, établira bientôt, quelque part, une institution nouvelle pour reprendre le flambeau.

Dans chaque cas, la pratique de l’hypomonè doit être poursuivie, et elle le sera.

« Fortifiez-vous et que votre cœur s’affermisse,

Vous tous qui vous attendez à l’Éternel. »

Ps 32.25


[1] [5] Pierre Courthial, « Threats to the Christian character of the Christian institution » in Christian Higher Education. The Contemporary Challenge. Proceedings of the First International Conference of Reformed Institutions for Christian Scholarship, Potchefstroom 9-13 September 1975, Institute for the Advancement of Calvinism, Potchefstroom (Afrique du Sud), 1976, p. 44-56. Texte retraduit en français à partir de l’unique version anglaise, par Jean-Marc Berthoud (avec l’aide de Valérie Berthoud), juillet 2013.

Cet article est tiré de Contre vents et marées. Mélanges offerts à Pierre Berthoud et Paul Wells, sous dir. Jean-Philippe Bru, Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2014, p. 211-231, avec permission.

[2] [6] P. Courthial (1914-2009), pasteur de l’Église réformée de France, notamment à Paris, rue de l’Annonciation, a assumé la fonction de doyen de la Faculté Jean Calvin (anciennement Faculté libre de théologie réformée) d’Aix-en-Provence, où il a enseigné la théologie pratique et l’apologétique. À côté de nombreux articles, notamment dans La Revue réformée et la revue Ichthus, il est l’auteur de Fondements pour l’avenir, Le jour des petits recommencements et De Bible en Bible, trois ouvrages de réflexion théologique où il a exposé, avec vigueur et originalité, des convictions fondées sur la Bible reconnue pour ce qu’elle dit être : la Parole inspirée de Dieu.

[3] [7] N.D.E. : rappelons que cette conférence a été prononcée en 1975.

[4] [8] I. Rivière, Sur le devoir d’imprévoyance (petit traité d’économie pratique). Trois parties : I. Contre la prévoyance matérielle ; II. Contre la prévoyance spirituelle ; III. Contre l’économie de soi-même, Paris, Cerf, 1933.