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Les grandes lignes qui unissent l’Ancien et le Nouveau Testament

LES GRANDES LIGNES QUI UNISSENT
L’ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT

Ron BERGEY[1] [1]

INTRODUCTION

Un jeune homme passionné s’est un jour rendu compte de la beauté et de l’ingéniosité qui caractérisent la terre et tout ce qu’elle contient. Le processus de croissance des végétaux a particulièrement retenu son attention : quoi de plus fascinant qu’une petite graine évoluant au fil du temps pour devenir un arbre et vivre des centaines d’années. Le jeune homme s’est donc mis à étudier comment les racines puisaient l’eau de la terre, pourquoi les feuilles captaient la lumière, la façon dont les animaux et le vent disséminaient le pollen. Il a constaté que chacune de ces choses était vitale à l’arbre et que, privé d’une seule d’entre elles, l’arbre ne pouvait subsister. Il a également observé que l’arbre à son tour était nécessaire à toute vie sur terre, fournissant un abri aux oiseaux et produisant du pollen et de l’oxygène. Ils sont donc dépendants les uns des autres.

Il y a vu une analogie avec l’histoire de la révélation telle qu’elle est consignée dans l’Écriture. Il a donc parcouru la Bible du début à la fin et, de livre en livre, l’analogie s’est développée. L’univers que Dieu a modelé est complexe et merveilleux, et tout ce qu’il contient lui est indispensable. Il en est de même pour la Parole que Dieu, créateur et rédempteur, a choisi de révéler à l’homme : elle est à la fois riche, admirable et indivisible. Les deux Testaments qui la forment ont paru aussi indissociables à notre jeune homme que l’arbre et son système. Ils contiennent l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité, du début à la fin. Avec la Genèse, on franchit le cap entre l’éternité passée et le commencement de l’histoire de la rédemption. Dans l’Apocalypse, cette histoire s’achève et le rideau s’ouvre sur l’éternité future. Entre ces infinis, Dieu traverse le corridor de l’histoire aux côtés de l’homme, pas à pas. Son amour sauve son peuple du péché et les unit dans son royaume de la même manière qu’il unit les 66 volumes qui forment le canon de l’Écriture. Si nous souhaitons véritablement comprendre cette révélation divine, prenons exemple sur ce jeune homme que son ardente curiosité a conduit à réaliser que l’arbre que l’on admire recèle une multitude de trésors dont on pourra se délecter si l’on accepte de l’étudier dans son ensemble.

I. DES CORRESPONDANCES FRAPPANTES

La question qui se pose est la suivante : de quelle manière deux Testaments différents peuvent-ils former un ouvrage unifié ? Les premiers et les derniers chapitres de la Bible, l’introduction et la conclusion, donnent un premier aperçu de la cohésion canonique du livre. Genèse 1 et 2 relatent la création du ciel et de la terre. Apocalypse 21 et 22 dévoilent un nouveau ciel et une nouvelle terre. L’auteur de la création, Dieu ou Yhwh Dieu dans les deux premiers chapitres de la Genèse, apparaît dans l’Apocalypse comme étant le Christ (au début du livre, Ap 1.8, 11), et est appelé « l’Alpha et l’Omega, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (au début et à la fin du livre, Ap 1.8 ; 22.13 ; cf. 21.26). « L’Alpha et l’Oméga » est la translittération du tétragramme Yhwh dans les plus anciens manuscrits grecs de l’Ancien Testament (AT)[2] [2]. Cette continuité mise en évidence, Jean tire une grande conclusion : Dieu est au début et à la fin de l’Écriture tout comme il est au commencement et à la fin des temps. Dans la Septante et le Nouveau Testament (NT), le tétragramme est traduit par kurios, « Seigneur »[3] [3]. Le Seigneur créateur et rédempteur qui se manifeste dans l’AT s’est révélé sur terre en Jésus-Christ, le Seigneur du NT. Le « Il Est » de l’AT se manifeste dans le NT dans le « Je Suis » incarné[4] [4].

On peut identifier d’autres rapports entre les Testaments, sans qu’il soit pour autant fait de référence explicite. Par exemple, le lendemain de la Pâque, lors de la sortie d’Égypte, les Israélites « dépouillent » les Égyptiens (Ex 3.22 ; 12.36 ; cf. 11.2)[5] [5]. Par la suite, le peuple donne ce butin en guise de contribution volontaire à la construction du tabernacle (25.2-8 ; 35.5-9, 21). Cette scène est la toile de fond de la description de l’ascension du Christ que Paul donne en Éphésiens. En montant au ciel, le Christ a vaincu et pillé les puissances des ténèbres puis il a distribué le tribut aux hommes sous forme de dons de l’Esprit pour édifier l’Église (Ép 4.7-18 ; v. 8). Ce rapport implicite, à aucun moment signalé en Éphésiens[6] [6], nous permet cependant de dire que Paul fait une lecture de la victoire pascale du Christ à la lumière de la délivrance de l’Égypte. Il n’est ainsi pas surprenant que le mot « rédemption » soit employé plus souvent en Éphésiens qu’ailleurs dans ses écrits (1.7, 14 ; 4.30 ; cf. Rm 3.24 ; 8.23 ; 1Co 1.30 ; Col 1.14 ; voir aussi Hé 9.12). Le rachat libérateur de l’AT pose les fondations de la grande rédemption accomplie en Christ. C’est un thème kérygmatique inhérent aux deux Testaments, c’est-à-dire à l’ensemble du canon.

Il serait difficile de nier que ces correspondances au niveau canonique soient intentionnelles. Nous pouvons donc d’ores et déjà reconnaître que cette intertextualité palpable nous invite à lire l’AT et le NT comme un seul livre. Les livres de la Bible, à l’instar des chapitres d’un livre, relatent une multitude de choses. Mais ces livres, différents les uns des autres, ont tous un but commun : la révélation du seul Dieu créateur et rédempteur, qui met en œuvre ses desseins éternels à travers le Christ pour délivrer son peuple et établir son règne (cf. Hé 1.1-2).

II. UN : SUR LA LECTURE NÉOTESTAMENTAIRE DE LA PROMESSE FAITE À ABRAHAM

1. Continuité et accomplissement

Ces considérations préliminaires nous amènent à la question suivante : comment étudier la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament ? C’est un vaste sujet qui comporte beaucoup de facettes : promesses et accomplissements, ombres et substances, préfigurations et réalités, types et antitypes, continuités et discontinuités, unité et diversité, loi et grâce, et ainsi de suite[7] [7].

Nous nous intéresserons ici, pour entamer cette question étendue, à la promesse faite à Abraham et sa descendance, centrale dans l’AT, et que reprend le NT, créant ainsi un lien fort entre les deux Testaments.

La lettre de Paul aux Romains fournit des pistes révélatrices. Le premier passage clé se trouve dans le préambule de cet écrit, où Paul défend l’authenticité de l’Évangile qu’il proclame : « De la part de Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu. Cet Évangile, Dieu l’avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Écritures » (Rm 1.1-2).

Paul met en évidence trois points clés concernant l’Évangile. Tout d’abord, Dieu l’« avait promis auparavant ». C’est son ancienneté et non sa nouveauté que Paul met en exergue dans son adresse. Cet Évangile, la bonne nouvelle, n’est donc pas nouveau en soi. Ensuite, le message repose sur les « prophètes » envoyés de Dieu, autorités reconnues tant par les générations passées que par ses contemporains. Enfin, cet Évangile de Dieu est celui déjà proclamé « dans les saintes Écritures »[8] [8]. Le ministère d’apôtre et d’évangéliste exercé par Paul consiste donc en la proclamation de la réalisation d’une promesse faite depuis longtemps dans l’AT[9] [9]. Ce qui est nouveau, c’est l’accomplissement ou, plus précisément, la réalisation de l’Évangile. Calvin déchiffre le verset 2 : « […] comme s’il [Paul] disait que Christ n’est point soudainement tombé en terre, et n’a point apporté une nouvelle façon de doctrine, dont il n’eût été mention aucune auparavant, vu que lui avec son Évangile a été promis dès le commencement du monde, et a été de tout temps attendu[10] [10]. »

Dans ce prologue, Paul explique également comment Jésus, par sa résurrection, a accédé au trône de David (Rm 1.3-4). Le Christ, fils de David, hérite du trône car il est « déclaré Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection » (v. 4). Paul voit donc dans la résurrection du Christ le signe du début de son règne et la réalisation de la prophétie relative à la continuité du trône davidique (2S 7.13 ; Ps 89.3-4, 28-29, 36). L’autorité dont le Messie est investi pour régner vient de Dieu le Père, car c’est du Père que le Fils hérite du droit d’accéder au pouvoir. Sa résurrection est la justification de son œuvre sur la croix. Son exaltation et sa suprématie sont la récompense de son abaissement, des souffrances qu’il a endurées jusqu’à la mort pour acquérir son peuple (cf. Es 52.13-53.12 ; Ph 2.8-11).

Paul considère que sa mission apostolique s’insère pleinement dans l’instauration du règne du Christ sur son peuple. Toujours dans le prologue de la lettre aux Romains, il avance que « c’est par lui que nous avons reçu la grâce et l’apostolat afin de susciter, pour son nom, l’obéissance de la foi dans toutes les nations » (Rm 1.5). Le ministère qui consiste à conduire les hommes à se soumettre au Christ par la foi ne se limite pas au peuple d’Israël mais s’étend à toutes les nations. Il est donc clair que derrière ces propos concernant la seigneurie du Christ se trouve la promesse faite à Abraham, celle d’une descendance royale (Gn 17.6, 16). Les promesses faites à David en sont le prolongement : les événements liés à l’œuvre du Christ se sont produits comme l’AT l’avait prédit dès la Genèse et à l’époque de David. C’est pourquoi Paul les explique au moyen de l’alliance avec Abraham et de la bénédiction annoncée pour sa descendance.

Dans une autre lettre, Paul met l’Évangile en rapport avec la promesse de bénédiction : « Or l’Écriture prévoyait que Dieu considérerait les non-Juifs comme justes sur la base de la foi, et elle a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : Toutes les nations seront bénies en toi » (Ga 3.8 ; Gn 12.3). Nous y reviendrons. Il apparaît donc que la bonne nouvelle que Paul prêche est la même que celle qu’Abraham a entendue, car cette bénédiction comprenait déjà la grâce spirituelle proclamée en Christ. Commentant ce verset, Calvin va dans ce sens :

Il semblait bien que la circoncision y fût requise avec l’observation de la Loi, et qu’autrement ils [les païens] étaient exclus de la participation de l’alliance. Or le saint Apôtre montre au contraire que, par la foi, ils parviennent à la bénédiction et que, par la foi, ils doivent être insérés dans la famille d’Abraham. D’où prouve-t-il cela ? Parce qu’il est dit : Toutes les nations seront bénies en toi, etc. Ces paroles signifient sans doute qu’il faut que tous soient bénis comme Abraham, car il est le modèle, voire la règle de tous. Or il a obtenu la bénédiction par la foi, il y a donc une même raison et un même moyen pour tous les autres[11] [11].

S’appuyant toujours sur Abraham et David, Paul développe plus loin en Romains 4 ce rapport entre l’alliance et la justification par la foi. Il prend Abraham et David comme exemples ultimes de l’obtention de cette justice à travers les promesses. La foi en ses promesses doit résulter de la confiance en Dieu. Sa parole et sa personne vont de pair. Croire en sa parole, c’est se confier en lui.

L’argument scripturaire de Paul en faveur de la justification d’Abraham par la foi seule est fondé sur une minutieuse exégèse du texte hébreu de Genèse 15.6. En voici une traduction : « Il eut foi dans le Seigneur et il la lui compta comme justice. » Le complément d’objet pronominal féminin en hébreu traduit par « la » se réfère à un nom féminin, « foi » (‘emunah), qui est apparenté au verbe que l’on trouve ici, « il eut foi » (‘aman). Le mot « foi » n’est donc pas présent dans ce verset mais est implicite et suggéré par le complément « la ». Paul l’explicite et l’interprète : « la » renvoie à « sa foi », c’est donc « sa foi » qui lui est « comptée comme justice » (Rm 4.5 ; Ga 3.6). L’expression « compter comme justice », aux connotations financière et juridique, indique l’acte par lequel Dieu crédite Abraham de justice par le moyen de sa foi seule. Prenant ensuite le cas du pardon de David, Paul s’appuie sur la non-imputation du péché pour démontrer l’imputation de la justice (Rm 4.6-8). Il résume alors son propos : « En effet nous disons que la foi d’Abraham lui a été comptée comme justice » (v. 9b)[12] [12].

L’actualité de l’AT pour la vie de l’Église revient à la fin de l’épître. Il y est dit : « Or tout ce qui a été écrit d’avance l’a été pour notre instruction afin que, par la persévérance et par le réconfort que donnent les Écritures, nous possédions l’espérance » (15.4).

Les Écritures dont il est question sont les livres de l’AT. Par l’enseignement de cette parole, le croyant peut persévérer et être réconforté. Le fruit de la persévérance et du réconfort est l’espérance, pour la vie d’aujourd’hui mais aussi pour la vie à venir. Calvin ajoute au sujet de ce verset : « Car voilà sur quoi principalement insistent les Écritures, à savoir à nous élever à l’espérance de la vie éternelle, et à nous faire continuer dans la méditation de celle-ci, en nous induisant à la patience et confirmant par ses consolations[13] [13]. »

Paul poursuit en citant les textes de l’AT qui annoncent l’ampleur et la nature collective de cette espérance et qui sont en train d’être réalisés par la puissance du Saint-Esprit. En effet, le début de l’ère chrétienne voit les nations, les Gentils, se joindre au véritable Israël dans l’adoration du vrai Dieu en Christ. Ainsi réunis, les premiers lecteurs chrétiens, Juifs et non-Juifs, constituent les prémices du plein accomplissement de cette attente. Pour les Juifs, c’est la confirmation des promesses faites à leurs pères (v. 8). Quant aux non-Juifs, Paul démontre par des passages de la Loi, des Prophètes et des Écrits que leur inclusion est également l’accomplissement du message proclamé tout au long de l’Écriture (v. 9-12). Il cite les versets suivants :

Parce qu’Isaï est le père de David (1S 16.10-13), cette dernière citation met de nouveau en rapport, comme dans le prologue de la lettre (1.3-5), la conversion des non-Juifs promise à Abraham et l’avancement du royaume davidique. Ces citations permettent également à Paul de mettre en exergue la raison d’être et les motivations de son apostolat (v. 14-21 ; il cite aussi Es 52.15). Il voit dans la vocation que Dieu lui a adressée un moyen pour que s’accomplissent ces anciennes prophéties.

2. Révélation du « mystère »

Cette approche de Paul au début et à la fin de sa lettre démontre bel et bien la continuité des deux Testaments. Elle met en outre en lumière une discontinuité, celle de la nouvelle dispensation, c’est-à-dire d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la rédemption et dans la manière dont le peuple de Dieu est désormais constitué et gouverné. C’est en ce sens qu’on peut la qualifier d’administration[14] [14]. Anticipée dans l’AT, elle est l’élargissement de la composition du peuple de Dieu et l’établissement par le Christ de son règne sur ce peuple nouvellement constitué. Dans l’AT, l’accent est sur Israël, la nation ; dans le NT, il est sur le nouvel homme, les Juifs et les non-Juifs, les circoncis et les incirconcis, tous dès lors unis en Christ (cf. Ep 2.11-22). Il s’agit du « mystère » si cher à Paul :

En les lisant [les mots qui précèdent], vous pouvez vous rendre compte de la compréhension que j’ai du mystère de Christ. Il n’a pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées comme il a maintenant été révélé par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes. Ce mystère, c’est que les non-Juifs sont cohéritiers des Juifs, qu’ils forment un corps avec eux et participent à la même promesse en Christ par l’Évangile (Ep 3.4-6).

Paul en parle également dans sa lettre aux Romains :

Dieu peut vous affermir selon l’Évangile que j’annonce, la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère qui a été tenu secret pendant des siècles. Ce mystère a maintenant été manifesté et porté à la connaissance de toutes les nations par les écrits des prophètes d’après l’ordre du Dieu éternel, afin qu’elles obéissent à la foi (16.25-26).

La « révélation » de ce mystère dans le NT, toujours en rapport avec la promesse, ne signifie pas que le peuple de Dieu de l’AT ignorait l’inclusion des nations avec Israël dans les projets rédempteurs de Dieu. Le mot grec traduit par « révélation » (apocalupsis) signifie « dévoilement ». N’étant pas connu dans le passé, le mystère est révélé en ce sens qu’il est mis en marche. Par sa réalisation, il est dévoilé et rendu visible. Or, il avait été promis auparavant, dans le passé. C’est aussi la lecture que l’AT nous invite à faire. L’inclusion des nations parmi les adorateurs de l’Éternel sur un pied d’égalité avec Israël y est un thème important (p. ex., Gn 12.3 ; 17.6 ; Dt 32.43a ; Ps 96 ; Es 2.2-3).

En effet, la portée de la triple promesse faite à Abraham et à ses descendants est précisée dans le NT par le dévoilement de ce mystère. Cette promesse comprend 1) une descendance, c’est-à-dire des héritiers, 2) un pays donné en héritage et 3) la bénédiction destinée à ces héritiers, qui la transmettront à toutes les nations de la terre (Gn 12.2-3, notamment). En citant les éléments de la promesse, Paul apporte des précisions quant à leur réalisation. Sa manière de les employer et de les interpréter illustre très clairement le schéma reliant le Testament de la promesse et le Testament de l’accomplissement. La réalisation des promesses a dû attendre la venue du Christ, lequel a établi définitivement, par son sang, l’alliance éternelle ainsi que la nouvelle disposition de l’alliance de grâce, la nouvelle alliance[15] [15]. Celle-ci met fin à la particularité légale et nationale de l’ancienne alliance, notamment aux dispositions cultuelles de la loi mosaïque. Les éléments temporaires de la dispensation de la loi, tels la prêtrise lévitique et les sacrifices, disparaissent (cf. Hé 8-10). Ceci est un exemple majeur de la discontinuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament (cf. Hé 7.18 ; 10.9). Elle ne concerne cependant qu’une des dispensations de l’alliance de grâce dans l’AT, celle s’étendant de Moïse à Jean-Baptiste (cf. Mt 11.13). Elle n’abroge pas le caractère de grâce des promesses de l’alliance. Par son obéissance active et passive, le Christ a accompli les exigences de la loi. Par son œuvre rédemptrice, il a inauguré et établi la nouvelle dispensation de l’alliance de grâce. Il exerce ainsi son rôle de médiateur par la pleine réalisation des promesses.

3. Accomplissement des trois promesses faites à Abraham

Les trois éléments de la promesse faite à Abraham sont repris dans le NT et, grâce à leur accomplissement en Christ, sont mis au compte de son peuple de la manière suivante (les citations de la promesse de l’AT sont en italiques) :

a) La descendance héritière de la promesse

Après avoir démontré que la justification ne dépendait pas de la circoncision mais de la foi seule (Rm 4.9-12), Paul souligne que devenir héritier de la promesse relève du même principe de grâce :

C’est donc par la foi que l’on devient héritier, pour que ce soit par grâce et que la promesse soit assurée à toute la descendance, non seulement à celle qui dépend de la loi, mais aussi à celle qui a la foi d’Abraham. En effet, Abraham est notre père à tous [Juifs et non-Juifs en Christ], comme cela est d’ailleurs écrit : Je t’ai établi père d’un grand nombre de nations. Il est notre père devant le Dieu en qui il a cru, le Dieu qui donne la vie aux morts et appelle ce qui n’existe pas à l’existence. Espérant contre toute espérance, Abraham a cru et est ainsi devenu le père d’un grand nombre de nations, conformément à ce qui lui avait été dit : Telle sera ta descendance [innombrable comme les étoiles !] (Rm 4.16-18 ; cf. Gn 17.5 ; 15.5).

Pour Paul, la descendance d’Abraham inclut non seulement les Juifs, mais aussi les non-Juifs qui croient en Christ pour leur justification. Ensemble, ils sont héritiers de cette grâce : « Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. Si vous appartenez à Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham [et] vous êtes héritiers conformément à la promesse » (Ga 3.28-29). Selon la promesse, Juifs et non-Juifs unis à Christ sont au même titre descendants d’Abraham et héritiers de la bénédiction.

b) Le pays donné en héritage

En Romains 4, Paul évoque la promesse de recevoir le monde en héritage : « […] ce n’est pas par la loi que la promesse de recevoir le monde en héritage a été faite à Abraham ou à sa descendance, mais c’est par la justice de la foi » (4.13). Ce qui est frappant, c’est que Paul ne fait pas référence à « la promesse de recevoir le pays en héritage » (cf. Gn 15.7, 18), qui ne concernait qu’un seul peuple, la nation d’Israël. La promesse dont il est question ici est élargie au « monde » (kosmos), du fait que ses héritiers viennent de toutes les nations de la terre. Cette notion d’héritage fait l’objet de quelques remarques de la part de l’auteur de l’épître aux Hébreux : « Voici pourquoi il est le médiateur d’une alliance nouvelle : sa mort est intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance afin que ceux qui ont été appelés reçoivent l’héritage éternel promis » (Hé 9.15). De quel héritage s’agit-il ? « C’est par la foi qu’Abraham a obéi lorsque Dieu l’a appelé et qu’il est parti pour le pays qu’il devait recevoir en héritage […] C’est par la foi qu’il est venu s’installer dans le pays promis comme dans un pays étranger […] car il attendait la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur » (Hé 11.8a, 9a, 10).

Dans cette optique, le monde-cosmos dont il est question en Romains 4.13 n’est pas seulement la planète Terre, mais comprend les nouveaux cieux et la nouvelle terre, la nouvelle création qui abritera cette cité céleste[16] [16]. Dans l’AT grec, le terme « héritage » (klaironomias) fait référence au pays donné en héritage, Canaan (cf. LXX Ex 15.17 ; Nb 24.2 ; Dt 3.20 ; 12.9). En Romains 4.13 et ailleurs dans le NT, c’est sa dimension élargie et ultime qui est au premier plan (cf. Ga 3.18 ; Ep 1.4, 18 ; 5.5 ; Col 3.24 ; 1P 1.4). Mais cette dimension spirituelle de l’héritage faisait également partie de la foi du peuple de Dieu dans l’AT, comme le montrent les citations ci-dessus. Dieu, en offrant cette terre à son peuple pour qu’il y vive, cherchait à éveiller en lui l’espérance d’une patrie meilleure, la patrie céleste. Cette espérance est celle qui accompagne les exemples de foi d’Abel à Abraham dont parle l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hé 11.13-17).

c) La bénédiction

Devant le peuple rassemblé après la guérison de l’infirme qui mendiait à l’entrée du Temple, Pierre, dans son message, traite de la bénédiction promise à Abraham : « Vous êtes les héritiers des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue avec nos ancêtres en disant à Abraham : “Toutes les familles de la terre seront bénies en ta descendance.” C’est pour vous d’abord que Dieu a fait surgir son serviteur [Jésus], et il l’a envoyé pour vous bénir en détournant chacun de vous de ses mauvaises actions » (Ac 3.25-26 ; Gn 22.18). Selon Pierre, la bénédiction promise aux descendants d’Abraham comprend la vraie repentance (« en détournant chacun de vous de ses mauvaises actions » apostrepho ; cf. v. 19 « se convertir » epistrepho).

Dans sa lettre aux Galates, Paul met la bénédiction en rapport avec deux autres grâces : « Or l’Écriture prévoyait que Dieu considérerait les non-Juifs comme justes sur la base de la foi, et elle a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : “Toutes les nations seront bénies en toi !” Ainsi ceux qui croient sont bénis avec Abraham le croyant » (Ga 3.8-9 ; Gn 12.3). La promesse faite à Abraham peut être qualifiée d’Évangile, car sa bénédiction vise ultimement la justification par la foi des non-Juifs aussi bien que des Juifs. C’est la première grâce.

Plus loin dans ce passage, il ajoute : « C’est ainsi qu’en Jésus-Christ la bénédiction d’Abraham touche aussi les non-Juifs et que nous recevons par la foi l’Esprit qui avait été promis » (Ga 3.14). La deuxième grâce est la finalité de la bénédiction promise : le Saint-Esprit demeurant en nous. Le Père a envoyé l’Esprit (Jn 14 .25 ; 15.26), et le Fils, en sa qualité de médiateur, l’a déversé sur son peuple (Ac 2.33 ; cf. Jn 20.21 ; Tite 3.5-6). Le baptême de l’Esprit unit Juifs et non-Juifs en Christ et à Christ. Cette union forme un seul corps, une habitation de Dieu en Esprit (Ep 2.22). Comme annoncé par Jésus en Jean 16.7, l’ascension était nécessaire, car la présence physique du Christ incarné devait laisser place à la venue de l’Esprit pour que ce baptême se réalise. De cette manière, le règne du Christ peut s’étendre partout, car l’Esprit habite chaque membre de son peuple sur toute la terre et les unit en Christ en un seul corps dont il est la tête[17] [17].

La portée de la promesse abrahamique mise en lumière dans ces versets peut laisser supposer que le NT la réinterprète par une lecture christo-eschatologique. Si tel était le cas, le sens de la promesse de l’AT ne serait pas le même dans le NT. Or une manière plus juste de considérer le traitement de cette promesse dans le NT est de la comparer aux facettes d’un diamant. Après la venue du Christ, cette pierre précieuse est plus polie et étincèle davantage. Il s’agit pourtant du même diamant, de la même promesse. La portée de la réalisation divulguée dans le NT n’est pas supérieure en substance à celle de la promesse initialement faite aux pères. Les dimensions sont certes élargies dans le NT et les facettes plus claires, mais elles étaient anticipées et incluses dans la promesse initiale[18] [18]. Il était nécessaire de passer par les promesses plutôt physiques, tout comme le Christ s’est fait homme pour venir au monde (en terre promise !) en tant que descendant d’Abraham par excellence (Ga 3.16) et médiateur de la nouvelle alliance (Hé 9.15). Les aspects physiques de la promesse (pays, descendants) et même des bénédictions (champs fertiles, récoltes abondantes, sécurité, etc., Lv 26.1-13 ; Dt 30.1-9) sont les moyens dans l’AT par lesquels Dieu a suscité chez son peuple l’espérance des réalités spirituelles, célestes et éternelles (cf. Hé 11, en particulier v. 10, 16). Mais au fond, la bénédiction annoncée au départ comprenait déjà la promesse de la vie éternelle : « En effet, c’est là [à Sion] que l’Éternel envoie la bénédiction, la vie, pour l’éternité » (Ps 133.3b ; cf. Sion et les nations en Es 2.2-3).

À ce sujet, Calvin, dans le livre II de l’Institution de la religion chrétienne, intitulé « La connaissance de Dieu comme rédempteur en Jésus-Christ : ce qui a été connu, d’abord, des Pères sous la Loi et qui, depuis, nous a été manifesté dans l’Évangile », affirme :

L’Ancien et le Nouveau Testament s’accordent sur la vie éternelle. Je n’aurai pas grand peine à prouver […] que les Pères anciens ont eu Christ comme gage et confirmation des promesses que Dieu leur avait faites et qu’ils ont placé en lui leur confiance d’être bénis […] Nous conclurons donc que l’Ancien Testament ou l’alliance que Dieu a faite avec le peuple d’Israël ne concernait pas que les réalités terrestres. Elle comportait aussi de sûres promesses concernant la vie spirituelle et éternelle, dont l’espérance devait être imprimée sur le cœur de tous ceux qui étaient partie prenante de cette alliance[19] [19].

EN RÉSUMÉ

Le NT dévoile l’ampleur de l’intention originelle de Dieu dans ses promesses et met en œuvre cette nouvelle administration de l’alliance en vue de l’inclusion des nations et de la venue de l’Esprit. Autrement dit, à partir des promesses faites notamment à Abraham puis à David, Dieu établit et avance son règne en Christ au moyen de l’Évangile prêché aux Juifs et aux non-Juifs. Le royaume de Dieu est un thème clé du NT, avec près de soixante-dix occurrences (p. ex., Mc 1.15 ; Lc 15.31 ; Ac 19.8 ; 20.25 ; 28.23, 31 ; Rm 14.17 ; 1Co 15.50 ; Col 4.1 ; 1Th 1.5). La soumission des Juifs et des non-Juifs au Christ, comparable à celle des sujets à leur roi, est l’obéissance de la foi (Rm 1.5). Par son propre exemple, Abraham est le père de tous ceux qui ont cette foi (cf. Rm 4.16).

Le thème de la relation entre l’AT et le NT est vaste. Mais ses nombreuses facettes et les questions abondantes qu’il suscite révèlent un rapport profond unissant les deux testaments. L’AT annonce le NT et le NT est aboutissement de l’AT. L’AT est l’espérance de l’accomplissement. Le NT est l’achèvement de cette attente. Augustin et d’autres Pères de l’Église disaient : « Le Nouveau est caché dans l’Ancien et l’Ancien est révélé dans le Nouveau. » Le NT se fonde sur l’AT et est l’édifice construit à partir de cette base. La révélation de l’histoire de la rédemption commencée dans l’AT s’achève dans le NT. Le monde créé en Genèse est la scène de l’exécution du plan de la rédemption. Ce plan se déroulera jusqu’à la nouvelle création de l’Apocalypse.

La promesse faite à Abraham au cœur de l’AT, mise en avant dans le NT, fournit une clé de lecture importante. L’unité de la promesse montre que l’AT et le NT sont deux administrations d’une seule et même alliance de grâce, laquelle constitue le fondement de cette promesse. À ce sujet, nous avons vu qu’il y a à la fois une continuité et une discontinuité. Les diversités sont inhérentes à ces administrations d’alliance différentes et s’expliquent ainsi. Cependant, le NT reprend la promesse et la fait sienne sans trahir son sens initial. Au vu de l’œuvre rédemptrice accomplie en Christ, le second Testament définit la promesse comme étant l’Évangile, le pardon des péchés, la justification par la foi seule et le Saint-Esprit demeurant en nous. Ces éléments spirituels accompagnaient déjà la foi du peuple élu du premier Testament, car elle était aussi fondée sur l’alliance de grâce éternelle. Le NT en est la mise en œuvre eschatologique et dévoile l’amplification de cette promesse. Telle une photographie, la promesse est agrandie dans le NT, et cet agrandissement de l’image correspond bien à la teneur de l’antique promesse. Dans ce processus, l’image, petite ou plus grande, reste essentiellement la même. La promesse faite à Abraham est élargie et réalisée dans le NT sans dépasser l’intention déjà présente dans l’AT.


[1] [20] Ron Bergey est professeur d’hébreu biblique et d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[2] [21] Comme l’atteste un manuscrit grec du Lévitique trouvé dans la région de la mer Morte. Au sujet du tétragramme, on peut lire : « […] les manuscrits les plus anciens de la LXX présentaient probablement la translittération AW [ALPHA OMEGA] présente dans 4QpapLevb. » (E. Tov, « La nature du texte massorétique », Enfance de la Bible hébraïque, Le Monde de la Bible 52, sous dir. A Schenker et Ph. Hugo, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 127.) Cf. aussi E. Tov « Greek Texts from the Judean Desert », NT 43/1, 2001, 1-11(10).

[3] [22] L’usage de kurios dans la LXX provient de la lecture Qeré « [ce qu’]il faut lire » ‒ Ketiv « [au lieu de] ce qui est écrit » qui a substitué le mot ‘adonay (« Seigneur ») au tétragramme Yhwh. Cette tradition de lecture se trouve également dans les citations de la LXX et d’autres familles textuelles grecques employées dans le NT ainsi que dans l’usage de cette épithète au sujet de Jésus. 

[4] [23] Dérivé du verbe « être » (hayah), Yhwh à la troisième personne signifie « Il est ». En Exode 3.14, « Je suis » (‘ehyeh) traduit le même verbe à la première personne. La LXX le traduit au présent « Je suis » (ego eimi) et Jésus s’y identifie de cette façon : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham soit né, je suis » (ego eimi, Jn 8.58).

[5] [24] Le verbe « dépouiller » traduit ici l’hébreu natsal (LXX skuleuo). Ailleurs, le verbe « piller » (shalal) est aussi traduit par « dépouiller » (Es 8.3 ; Za 2.8 [LXX 2.12] ; Ez 29.19 ; 38.12-13 ; 39.10). « Butin » (shalal) est traduit en grec par le substantif apparenté au verbe skuleuo (skulon, cf. Dt 2.35 ; 3.7 ; Es 53.12).

[6] [25] Le substantif doma est employé au verset 8 qui cite Psaume 68.18 (LXX 67.19) ; ce substantif grec traduit mattanah « tribut » (traduction de la BJ). Cf. Os 10.6 minhah (LXX doma) « tribut » (aussi dans la BJ). En Éphésiens 4.8 la formulation « il a donné/fait des dons » semble aller à l’encontre à la fois du texte hébreu et de la LXX, qui lisent tous deux en Psaume 68.19 : « tu as reçu/pris des dons/tributs/butins ». Les deux leçons ne sont pourtant pas incompatibles car, ayant reçu/pris ces dons, il peut les donner ou les distribuer. Un sens qui convient bien à la pensée d’Éphésiens 4 : la saisie et distribution du butin est une des prérogatives du vainqueur.

[7] [26] Pour Luther, la relation entre les deux Testaments se résume à la Loi et à l’Évangile, bien qu’il voie aussi la grâce de l’Évangile dans l’AT et la Loi dans le NT. Cette dichotomie caractéristique de la pensée luthérienne est pourtant à l’origine de certaines lectures négatives de l’AT et d’une insistance sur la nature fondamentalement opposée de la Loi et de la grâce. La position réformée classique est que la Loi est au service de l’Évangile et qu’elle est donc indispensable à la révélation du péché, au cheminement vers le Christ, ainsi qu’à l’éveil et à l’entretien de l’espérance du salut chez les croyants, car la Loi insiste sur la misère de l’homme pécheur.

[8] [27] Dans l’AT, la bonne nouvelle (besara ; « évangile » dans la LXX, 2S 4.10 ; 2R 7.9) de la victoire sur l’ennemi (2S 18.26) est proclamée par un messager (mebasser Es 40.9 ; « évangéliste » LXX). Elle contient un message de salut (Es 52.7 ; cf. Rm 10.15) et de paix (Na 2.1). Si la paix est la cessation des hostilités et la soumission du vaincu, alors l’évangile qui l’annonce est une affirmation de la suprématie du conquérant et de sa délivrance de l’emprise de l’ennemi. Reprenant ces thèmes, le NT met l’évangile en rapport avec le royaume de Dieu (Mc 4.14), le salut (Ep 1.13) et la paix (Ep 6.15). En Éphésiens, Paul compte « l’évangile de paix » parmi les armes de Dieu que le chrétien doit revêtir pour résister aux attaques du diable (6.11-17). Il est la bonne nouvelle de la victoire du Christ sur ses ennemis et ceux de son peuple, ainsi que de sa délivrance de leur domination et de la domination du péché.

[9] [28] « De même, la justice de la foi, qui est enseignée dans l’Évangile, a été attestée dans la Loi et les Prophètes (Rm 3.21) », Calvin, Institution de la religion chrétienne, II.x.3. 

[10] [29] Commentaires de Jean Calvin sur le Nouveau Testament, t. 4, Epître aux Romains, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, 1978, p. 21.

[11] [30] Commentaires de Jean Calvin sur les épîtres aux Galates, Éphésiens, Philippiens et Colossiens, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, 1978, p. 63.

[12] [31] Au sujet de la justice divine imputée par la foi, Paul se base sur Habaquq 2.4 : « En effet, c’est l’Évangile qui révèle la justice de Dieu par la foi et pour la foi, comme cela est écrit : “Le juste vivra par la foi” » (Rm 1.17).

[13] [32] Commentaires de Jean Calvin sur l’épître aux Romains, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, 1978, p. 333.

[14] [33] En dehors du NT, le terme grec (oikonomia) fait référence à la gouvernance d’une maisonnée. Dans le NT, il désigne l’administration du peuple racheté de Dieu, Juifs et non-Juifs (Ep 1.10 ; 3.10 ; 1Tm 1.4). À certaines époques, la période en question est parfois qualifiée de dispensation ou d’économie. Dans ces dispensations, les dispositions de l’alliance de grâce peuvent être différentes (voir la note suivante).

[15] [34] L’alliance de grâce, fondée sur le Christ et établie dans l’éternité passée (cf. Hé 13.20 « le sang [du Christ] de l’alliance éternelle » ; cf. aussi Jn 17.24 ; 2Tm 1.9 ; Tt 1.2 ; 1P 1.20 ; Ap 13.8), dispose de diverses dispensations à travers l’histoire du salut. Les anciennes administrations comprennent : 1) d’Adam à Noé ; 2) de Noé à Abram ; 3) d’Abraham à Moïse (attente de l’accomplissement de la promesse d’alliance) ; 4) de Moïse à Jean-Baptiste (attente de l’accomplissement de la dispensation légale temporaire ; cf. Mt 11.13). Puis, en Christ, les anciennes dispensations se réalisent et la nouvelle dispensation permanente est établie. En d’autres termes, le Christ est le médiateur de l’alliance de grâce à travers la promesse dans l’AT et l’accomplissement de cette promesse dans le NT. Mais afin d’être le fondement de cette alliance, le Christ, le second Adam, par son obéissance active et passive, a dû remplir les conditions de l’alliance des œuvres (ou de création) rompue par la désobéissance d’Adam. La formulation classique de cette théologie de l’alliance est résumée dans le chapitre VII de la Confession de foi de Westminster intitulé « L’Alliance de Dieu avec l’homme » : elle « a été diversement administrée au temps de la Loi et à celui de l’Évangile. Sous la Loi, elle a eu comme dispositions : des promesses, des prophéties, des sacrifices, la circoncision, l’agneau pascal et autres types et ordonnances donnés au peuple juif pour signifier à l’avance le Christ à venir ; durant ce temps, ces dispositions ont été suffisantes et efficaces, par l’action du Saint-Esprit, pour instruire et édifier les élus dans la foi au Messie promis, par lequel ils avaient l’entière rémission de leurs péchés et leur salut éternel. Cette Alliance est appelée l’Ancien Testament » (VII.5). Le paragraphe 2 de ce chapitre traite de l’alliance des œuvres avec Adam.

[16] [35] Dans la LXX, le terme « cosmos » en Genèse 2.1 traduit non pas « le ciel et la terre » mais toute leur « armée » (hébreu tsaba’), c’est-à-dire tout ce qui se trouve dans le ciel et sur la terre.

[17] [36] Cette vision des choses sous-tend peut-être la doctrine de la plénitude (pléroma) chez Paul. Il la présente dans un passage comme l’édification du corps du Christ qui remplit (pléroo) les cieux et la terre, voire l’univers (Ep 4.9-10). Ailleurs en Éphésiens et Colossiens, la plénitude, ou le fait d’être rempli, est toujours liée à l’un des membres de la Trinité (Ep 1.23 ; 3.19 ; 5.18 ; Col 1.19 ; 2.9). En ce qui concerne Éphésiens 5.18, la construction syntaxique en grec (datif) permet une traduction différente de celle habituellement choisie. Non pas : « soyez remplis de l’Esprit », mais « soyez remplis au moyen de l’Esprit » (Ep 5.18). Dans ce cas, on peut se demander de quoi, ou de qui, Paul invite les Éphésiens à être remplis. Nous pensons qu’il s’agit du Christ, de la plénitude de Dieu au moyen de l’habitation de la parole du Christ mentionnée en Colossiens 3.16-17, passage très proche d’Éphésiens 5.18b-21. Ce qui résulte du fait d’être rempli ou habité par la parole du Christ est décrit dans chacun des deux passages par une série de participes présents dans le texte grec : parlant à vous-mêmes [par] des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, chantant dans vos cœurs à Dieu, rendant grâces à Dieu le Père par le Christ et vous soumettant les uns aux autres.

[18] [37] Calvin établit cinq différences entre l’AT et le NT, qui « se rapportent toutes à la diversité des manières utilisées par Dieu pour faire connaître sa vérité, plutôt qu’à la substance de celle-ci » (Institution de la religion chrétienne, II.xi.1, p. 386). Dans le livre II, le chapitre x est consacré à la ressemblance entre l’AT et le NT et le chapitre xi à leurs différences. Concernant la première différence, Calvin écrit : « Dieu a toujours voulu que son peuple comprenne l’importance de l’héritage céleste et s’y attache profondément, mais, afin de l’aider à nourrir son espérance dans les réalités invisibles, il les lui a fait contempler et expérimenter sous forme de bienfaits terrestres. Maintenant, comme la grâce de la vie future est plus clairement révélée par l’Évangile, Dieu guide et conduit directement nos intelligences à méditer sur cette vie, sans recourir, comme avec les Israélites, à des modes d’instruction inférieurs » (Ibid., p. 387). La seconde différence concerne les figures : la loi est une ombre, l’Évangile est la substance (II.xi.4, p. 389-391). La troisième concerne l’établissement de la nouvelle alliance (Jr 31), car la loi est littérale, mortifère et temporaire, tandis que l’Évangile est spirituel, vivifiant et éternel (II.xi.7, p. 393-394). La quatrième différence découle de la troisième : la loi asservit, l’Évangile libère : « L’Écriture appelle l’Ancien Testament alliance de “servitude”, parce qu’il suscite crainte et terreur dans les cœurs des hommes. Le Nouveau est une alliance de “liberté”, parce qu’il les rassure et leur donne confiance » (II.xi.9, p. 394). Enfin, l’Ancien Testament ne concernait qu’un peuple (Dt 10.14-15 ; 32.8-9), le Nouveau en revanche s’adresse à tous (II.xi.11, p. 396-398).

[19] [38] Institution de la religion chrétienne, mise en français moderne par Marie de Védrines et Paul Wells, avec la collaboration de Sylvain Triqueneaux, Kerygma-Aix-en-Provence/Excelsis-Charols, 2009, II.x.23, p. 384.